1 J`avais 20 ans. Bon, je reconnais, ça fait un peu cliché. A vrai dire j

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1 J`avais 20 ans. Bon, je reconnais, ça fait un peu cliché. A vrai dire j
 J’avais 20 ans. Bon, je reconnais, ça fait un peu cliché. A vrai dire j’en avais peut‐être 19 ou 21, je ne sais plus trop, mais disons 20 pour le charme, l’insouciance et la magie. J’avais donc 20 ans, et quand on m’interroge, j’aime répéter comme elle était simple et facile, ma vie, entre la fac, le cinéma du lundi (le jour où l’entrée était à prix réduit), la cafétéria enfumée, les « amphi » surpeuplés… Mais tout au fond de moi, je me souviens surtout d’une gamine anguleuse et terne, aux gestes peu assurés, sans conversation ni répartie… Une certaine forme de solitude aussi, au milieu d’un groupe de filles, que dis‐je, de femmes déjà sûres de tant de choses, et qui collectionnaient les conquêtes… quand mon tableau de chasse restait piteux et inavouable… Et pourtant, ma virginité, c’était du passé. Du passé encore tout récent certes, et rien de très romantique. Tout juste quelques minutes d’un déhanchement mécanique, accompagné d’un bruit humide de mâchoires édentées… puis une Lucky Strike pour faire décontracté… Bref pas la grande vie mais une énergie qui me poussait à rejoindre le groupe, un instinct grégaire qui faisait que tous mes gestes, tous mes mots voulaient crier « Attendez‐moi ! », « Acceptez‐moi ! », « Je suis comme vous ! », « Je suis avec vous ! ». Et puis cet autre garçon dont je suis incapable aujourd’hui de me rappeler le nom, si je l’ai jamais su. Pas très grand mais musclé. Une tignasse brune et bouclée où je rêvais de fourrer mon visage, de petites lunettes toutes rondes, qui donnait à cette incarnation du fantasme de l’intellectuel sportif juste ce qu’il fallait de fragilité. Appelons‐le : Le Garçon. Assis devant moi ce jour‐là en cours de bio, donc un gradin plus bas, et ses cheveux souples à la portée de mes doigts. Je serrais mon crayon au sang pour résister à la tentation puis soudain, alors que j’étais à un cheveu… le Garçon se retourna, sembla me voir, et lâcha : ‐
On va prendre un café ? J’écarquillai les yeux, tentai de déglutir, puis m’empressai d’acquiescer, d’une voix que je ne connaissais pas, en rassemblant maladroitement mes affaires. Et voilà que nous étions tous les deux attablés au bistrot d’à côté, face à face. Affolée comme un papillon dans la lueur des phares, je cherchais vainement quelque chose de « cool » à lui dire, et bien sûr rien ne me venait à l’esprit. Ma tête vide bourdonnait au point que je ne comprenais rien à ce qu’il me racontait. Je voyais pourtant bien ses mains qui s’agitaient… Il avait commandé deux cafés. Portant le mien à ma bouche, son amertume me fit sursauter. Je rajoutai donc un sucre, puis deux, puis trois, grimaçant à chaque fois, contrariée de ne pas trouver le goût suave et corsé que je recherchais. Avant d’abandonner, de peur que le liquide ne déborde et inonde la soucoupe. Il regarda sa montre, je compris le message, et vidai ma tasse cul sec. Et c’est là qu’il me dit : ‐
Attends, je sais lire l’avenir, regarde ! Et d’un geste souple le poignet, le Garçon retourna ma tasse sur la table, dans un élégant ballet bouclé. 1 ‐
Alors, qu’est‐ce que tu vois ? demandai‐je fascinée. Il se pencha à nouveau : ‐
Ben… je crois que tu es enceinte. Et là, comme un film passé en accéléré, tout me revint à l’esprit, cette gymnastique obscène et sans tendresse le mois dernier, avec le copain d’une copine qui s’était dévoué, cette chambre si peu familière, ces quelques jours de retard sur le calendrier… Et je vis que le Garçon le voyait comme moi, ce film, il savait tout et je percevais son air dégoûté, sa déception aussi… J’étais incapable de bouger, murée dans ma panique et mon humiliation. Il se leva et jeta quelques pièces sur la table, il me tournait presque le dos, déjà… Il lança : ‐
Ben fais pas cette tête, je déconne ! Depuis ce jour, je ne bois que du thé. La nouvelle vous a plu ? Alors achetez le recueil complet auprès de l’auteur ! 2 

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