Mai 2013 - vol. 25, no 2

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Mai 2013 - vol. 25, no 2
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chambre de recours
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dans le marché intérieur
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TABLE DES MATIÈRES
Articles
Étude et analyse de certains aspects de la proposition de
directive du 11 juillet 2012 relative à la gestion collective
des droits d’auteur et des droits voisins
Julien Beaupain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 565
Le droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle
Claire Bouchenard et Julia Darcel . . . . . . . . . . . . . 585
Pourquoi enregistrer vos marques de commerce ?
Laurent Carrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 621
Ce que les défendeurs vous diront
Daniel S. Drapeau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 641
Survol du droit canadien de la concurrence
Mistrale Goudreau et Julian Hallé . . . . . . . . . . . . . 655
Marques de commerce en 2012 : cinq décisions importantes
des cours fédérales
Chloé Latulippe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 671
Revue de cinq décisions en brevet (non pharma) 2012
Pascal Lauzon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 687
563
564
Les Cahiers de propriété intellectuelle
L’affaire des chaussures Louboutin : est-il possible d’enregistrer
une couleur comme marque de commerce ?
René Pepin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 703
La « pentalogie »
Nicolas Sapp et David Chapdelaine Miller . . . . . . . . 725
2012 en revue : les décisions du registraire des marques
de commerce
Giovanna Spataro et Monique M. Couture . . . . . . . . . 775
La protection du droit d’auteur en Chine
Weining Zou et Liang Lu . . . . . . . . . . . . . . . . . . 791
Capsules
La décision Therasence : la Cour d’appel américaine remodèle
la théorie de « la conduite inéquitable » comme un « nez de cire »
Robert M. Kunstadt et Ilaria Maggioni. . . . . . . . . . . 803
Le traité de Beijing – Un instrument important pour
les artistes-interprètes du secteur audiovisuel
Mikael Waldorff . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 815
Comptes rendus
La propriété intellectuelle : évolution historique et philosophique
Georges Azzaria . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 825
Digital Consumers and the Law Towards a Cohesive
European Framework
Ghislain Roussel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 831
Vol. 25, no 2
Étude et analyse de certains aspects
de la proposition de directive du
11 juillet 2012 relative à la gestion
collective des droits d’auteur
et des droits voisins
Julien Beaupain*
1. Le titulaire de droits : acteur principal du régime
applicable aux sociétés de gestion collective . . . . . . . . . 568
1.1 La définition du titulaire de droits . . . . . . . . . . . 568
1.2 Les droits et prérogatives du titulaire de droits . . . . 570
1.2.1 Affiliation, résiliation et retrait
en toute liberté . . . . . . . . . . . . . . . . . . 570
1.2.2 Participation aux prises de décision . . . . . . 572
1.2.3 Du droit d’être informé sur la gestion
de ses droits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 573
2. Organisation et fonctionnement des sociétés
de gestion collective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 574
2.1 Les bases de l’organisation interne de la société
de gestion collective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 575
© Julien Beaupain, 2013.
* Julien Beaupain est juriste à l’ADAMI, une société française de gestion collective
des droits de propriété intellectuelle des artistes-interprètes.
565
566
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.1.1 L’assemblée générale . . . . . . . . . . . . . . 575
2.1.2 L’organe de surveillance . . . . . . . . . . . . . 576
2.1.3 L’encadrement des dirigeants et des personnes
qui gèrent effectivement la société . . . . . . . 577
2.2 Le fonctionnement des sociétés de gestion
collective : la gestion de droits . . . . . . . . . . . . . 578
2.2.1 La gestion financière de la société . . . . . . . 578
2.2.2 La distribution de droits . . . . . . . . . . . . . 579
2.2.3 La société de gestion collective, les sociétés
homologues et les utilisateurs . . . . . . . . . . 580
2.2.4 Obligations d’information de la société
de gestion collective . . . . . . . . . . . . . . . 582
Le 11 juillet 2012, la Commission Européenne annonçait dans
un communiqué de presse avoir proposé, le jour même, « des mesures
visant à moderniser les sociétés de gestion collective de droits d’auteur et à les inciter à renforcer leur transparence et leur efficacité ».
Une telle initiative dans le domaine de la gestion collective
n’est pas véritablement une première puisque, déjà en 2005, la Commission Européenne publiait une recommandation « relative à la
gestion collective transfrontière du droit d’auteur et des droits voisins dans le domaine des services licites de musique en ligne ».
S’inscrivant dans la droite ligne de cette recommandation, la Commission Européenne a, cette fois, fait le choix d’un instrument juridique plus contraignant, celui de la directive.
Cette proposition de directive du Parlement Européen et du
Conseil « concernant la gestion collective des droits d’auteur et des
droits voisins et la concession de licences multiterritoriales de droits
portant sur des œuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne
dans le marché intérieur » se fonde sur un double constat. Selon la
Commission Européenne, le fonctionnement de certaines sociétés de
gestion collective aurait révélé des problèmes en termes de gouvernance et de transparence. Par ailleurs, les sociétés de gestion collective ne seraient pas adaptées aux enjeux et aux perspectives qu’offre
Internet, ce qui pourrait freiner le développement d’un marché
unique du contenu culturel en ligne, en premier lieu dans le domaine
de la musique.
Fort de ce constat, les objectifs poursuivis par la Commission
Européenne au travers de cette proposition de directive sont de deux
ordres : d’une part, mettre en place un cadre juridique approprié en
vue d’améliorer les normes de gouvernance et de transparence des
sociétés de gestion collective et, d’autre part, encourager et faciliter
la concession de licences multiterritoriales portant sur des œuvres
musicales en vue de leur utilisation en ligne. Le texte proposé
s’articule donc autour de deux titres principaux, le titre II relatif
au régime applicable aux sociétés de gestion collective dans leur
567
568
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ensemble, qui sera l’objet de la présente étude, et le titre III qui traite
de la question des licences multiterritoriales.
Si la proposition de directive prévoit des mesures spécifiques à
l’organisation et au fonctionnement des sociétés de gestion collective, elle s’attache également et en premier lieu à encadrer la relation entre la société de gestion collective et celui qu’elle représente, le
titulaire de droits.
1. Le titulaire de droits : acteur principal du régime
applicable aux sociétés de gestion collective
Ce n’est sans doute pas un hasard si le titre II de la proposition
de directive commence par traiter des droits des membres des sociétés de gestion collective et des titulaires de droits avant d’envisager,
ensuite, les règles applicables à l’organisation et au fonctionnement
des sociétés de gestion collective. Le titulaire de droits est placé au
centre du dispositif proposé par la Commission Européenne pour
encadrer l’activité des sociétés de gestion collective.
Ainsi, selon l’article 4 de la proposition de directive, les sociétés
de gestion collective doivent agir au mieux des intérêts de leurs
membres et ne pas imposer aux titulaires de droits des obligations
qui ne seraient pas objectivement nécessaires pour protéger les
droits et intérêts de ces derniers.
Avant de définir les droits et prérogatives du titulaire de droits,
la proposition de directive en propose une définition, dans des termes
qui méritent que l’on s’y arrête.
1.1 La définition du titulaire de droits
L’article 3 de la proposition de directive définit le titulaire
de droits comme étant « toute personne physique ou morale, autre
qu’une société de gestion collective, qui est titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin ou à qui un accord d’exploitation de droits
confère une quote-part des produits de droits d’auteur perçus sur
tout droit géré par la société de gestion collective ».
Que le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin soit un
titulaire de droits au sens de la présente proposition de directive
paraît être une évidence. Par contre, reconnaître cette qualité a
toute personne « à qui un accord d’exploitation de droits confère une
Gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins
569
quote-part des produits de droits d’auteur perçus sur tout droit géré
par la société de gestion collective » pose davantage question. Plus
précisément, la formulation choisie suscite des interrogations.
L’expression « accord d’exploitation » est une notion très générale qui ne correspond pas à un type de contrat ou d’accord en particulier et qui peut, dès lors, être utilisée pour désigner différentes
sortes de conventions ou de relations contractuelles. En règle générale, l’accord d’exploitation a pour objet l’exploitation d’une œuvre ou
de tout autre objet support de droits d’auteur ou de droits voisins.
Dans le cadre de la présente proposition de directive, il est
question d’un accord d’exploitation « de droits ». Il est donc permis de
s’interroger sur ce que recouvre cette notion. Doit-on l’entendre strictement comme un accord qui a pour objet l’exploitation de droits en
tant que tels ou peut-on l’entendre de manière plus large, au sens de
sa définition générale, c’est-à-dire un accord qui a pour objet l’exploitation d’une œuvre ou de tout autre objet auquel sont attachés des
droits d’auteur ou des droits voisins ?
Pour entrer dans le champ de la définition, cet accord d’exploitation de droits doit conférer une quote-part des produits de droits
d’auteur perçus sur tout droit géré par la société de gestion collective. Or, les accords d’exploitation ne sont, a priori, pas les seuls susceptibles de conférer une quote-part de cette nature. D’autres types
d’accords pourraient avoir le même effet, d’autant que l’auteur d’une
œuvre est libre de concéder un tel droit à toute personne de son
choix, quelque soit leur relation contractuelle. Il pourrait en être
ainsi d’accords conclus au stade de la création d’une œuvre qui confèrent une telle quote-part aux personnes qui ont participé au financement de l’œuvre. On peut donc s’interroger sur la raison pour
laquelle la Commission Européenne a ciblé précisément les accords
d’exploitation de droits.
On peut également se demander pourquoi la définition proposée est restreinte aux produits de droits d’auteur et ne couvre pas
également les produits de droits voisins. Et enfin, pourquoi exclure
les sociétés de gestion collective de cette définition alors qu’une personne morale, quelle qu’elle soit, pourra revendiquer cette qualité en
justifiant du bénéfice d’une quote-part des produits de droits d’auteur perçus sur tout droit géré par la société de gestion collective.
570
Les Cahiers de propriété intellectuelle
On le voit, la définition du titulaire de droits pose un certain
nombre d’interrogations et pourrait faire l’objet de diverses interprétations. Étant donné l’importance de cette notion, il conviendrait
donc qu’elle soit définie plus précisément.
Si d’autres définitions pourraient faire l’objet d’observations, il
n’est pas inutile de s’arrêter quelques instants sur celle du « membre
d’une société de gestion collective » qui pourrait être le reflet d’une
problématique plus générale, celle d’un éloignement des titulaires de
droits originaires (auteur, artiste-interprète, etc.) des sociétés de
gestion collective qui gèrent leurs droits.
En application de la définition proposée par l’article 3 de la proposition de directive, le membre d’une société de gestion collective
peut être une entité représentant directement des titulaires de
droits. Sachant qu’un titulaire de droits peut lui-même être une
personne morale titulaire d’une quote-part des produits de droits
d’auteur perçus sur tout droit géré par une société de gestion collective, on pourrait rencontrer des sociétés de gestion collective dont les
membres seraient des représentants de ces personnes morales titulaires d’une quote-part des produits de droits d’auteur. Le titulaire
de droits originaire risque dans ce genre de situation d’être coupé de
tout lien avec la société qui gère ses droits.
1.2 Les droits et prérogatives du titulaire de droits
Les droits et prérogatives du titulaire de droits se traduisent le
plus souvent sous la forme d’obligations imposées aux sociétés de
gestion collective. Ces obligations sont de trois ordres : i) permettre
au titulaire de droits de gérer en toute liberté ses droits, ii) s’assurer
de sa participation au processus de décision et iii) lui fournir une
information exhaustive sur ses droits.
1.2.1 Affiliation, résiliation et retrait en toute liberté
L’article 5 paragraphe 2 de la proposition de directive pose un
principe de liberté totale du titulaire de droits dans le choix de la ou
des sociétés de gestion collective auxquelles il veut adhérer ainsi que
dans l’étendue des droits qu’il souhaite confier.
Tout d’abord, il ne peut être contraint dans le choix d’une
société de gestion collective ni par son lieu de résidence ou par le lieu
d’établissement de la société ni par sa nationalité ou celle de la
société.
Gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins
571
Ensuite, le titulaire de droits est libre de confier les droits, les
catégories de droits ou types d’œuvres ou autres objets de son choix,
et ce, pour les États membres de son choix.
La proposition de directive porte également un intérêt à la qualité du consentement donné. Ce consentement doit être éclairé, d’où
l’obligation pour la société de gestion collective de l’informer de
l’étendue de ses droits avant qu’il ne s’affilie à la société. Ce consentement doit être exprès et donné par écrit pour chaque droit, catégorie de droit ou type d’œuvres et autres objets. Étant précisé que le
refus d’affiliation ne peut se faire que sur la base de critères objectifs
qui doivent figurer dans les statuts ou les conditions d’affiliation et
qui doivent être rendus publics.
Ce système d’adhésion à la carte n’est cependant pas sans
limite ni sans risque pour le titulaire de droits.
La proposition de directive ne fait pas état de la gestion collective dite « obligatoire ». Si le principe de liberté sera effectivement
applicable aux droits relevant de la gestion individuelle ou volontaire, il en ira a priori autrement s’agissant des droits relevant de la
gestion collective obligatoire. Les conditions de la gestion de ces
droits étant organisées par la loi, notamment en ce qui concerne les
organismes habilités à les percevoir et les répartir, la liberté du titulaire de droits sera nécessairement limitée.
Par ailleurs, si l’idée d’une liberté totale du titulaire de droits
paraît séduisante au premier abord, il n’est pas sûr qu’elle ne lui soit
pas in fine préjudiciable. En effet, cette liberté pourrait conduire à
un phénomène d’éparpillement des droits qui aura comme conséquence une complexification de la gestion de ces derniers et, donc,
une augmentation des frais de gestion. Ce phénomène d’éparpillement pourrait également diminuer la capacité de la société de gestion collective à représenter le titulaire de droits et, donc, à le
défendre.
La proposition de directive organise également les conditions
de résiliation de l’autorisation de gérer des droits, des catégories de
droits ou des types d’œuvres ou autres objets et les conditions de
retrait de certains d’entre eux.
572
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cette résiliation ou ce retrait suppose le respect d’un délai de
préavis raisonnable qui ne peut dépasser six mois, la société de gestion collective pouvant décider que la résiliation ou le retrait prendra
effet au milieu ou à la fin de l’exercice, à condition dans ce cas de retenir l’échéance la plus proche de l’expiration du délai de préavis
(article 5 paragraphe 3). Par ailleurs, ce droit de résiliation ou de
retrait ne peut être restreint par le fait que le membre ait ou non
confié les droits, œuvres ou autres objets concernés à une autre
société de gestion collective (article 5 paragraphe 5).
1.2.2 Participation aux prises de décision
Les sociétés de gestion collective doivent prévoir des mécanismes appropriés et efficaces de participation de leurs membres au
processus de décision, chaque catégorie de membres devant être
représentée de manière juste et équilibrée (article 6 paragraphe 3).
Si la volonté de la Commission Européenne est de s’assurer que
les titulaires de droits participent aux prises de décisions, certaines
mesures proposées pourraient avoir l’effet inverse.
Tout d’abord, l’assemblée générale, qui est l’organe où s’exprime traditionnellement la voix des membres d’une société, pourrait être dépossédée d’un certain nombre de ses attributions. Il
pourrait en être ainsi notamment de la compétence de nommer ou
révoquer les membres du conseil d’administration.
D’autres dispositions, relatives au droit de vote des membres,
pourraient limiter leur participation aux prises de décisions.
En vertu de l’article 7 paragraphe 7, la participation à l’assemblée générale et l’exercice du droit de vote peuvent être restreints en
fonction de la durée de l’affiliation et des montants reçus ou dus pour
un exercice donné. Selon la situation du membre, il pourra voir son
droit de participer aux prises de décisions limité. Même si cet article
prévoit que toute restriction aux droits des membres doit être équitable et proportionnée, il peut paraître choquant de relier le droit de
vote aux droits perçus ou dus. L’assemblée générale ne devrait-elle
pas rester le lieu où les membres se retrouvent sur un pied d’égalité
pour décider ensemble des orientations à prendre pour leur société ?
Gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins
573
Le paragraphe 8 de l’article 7 permet à un membre de mandater un tiers pour le représenter à l’assemblée générale et voter en son
nom. Faute d’autres précisions, notamment concernant le nombre
maximum de pouvoirs qu’une même personne peut détenir, une personne pourrait se retrouver à détenir un nombre très important de
mandats et donc avoir à elle seule une influence sur les prises de
décisions. Cette situation pourrait être accentuée dans le cas où cette
personne représenterait des titulaires de droits qui perçoivent beaucoup de droits et qui, par conséquent, ont un droit de vote plus fort
que les autres titulaires de droits.
Les dispositions évoquées ci-dessus pourraient donc faire perdre au titulaire de droits son pouvoir de participation aux décisions
collectives, soit en dépossédant l’assemblée générale de ses attributions, soit en concentrant entre les mains de quelques personnes le
pouvoir de décision.
Notons – s’agissant du droit de vote des membres – que, selon
l’article 6 paragraphe 4, la société de gestion collective doit être en
mesure de permettre à ses membres de communiquer par voie électronique, y compris pour l’exercice des droits que leur confère l’affiliation. Le droit de vote faisant habituellement partie des droits
conférés par l’affiliation, cela pourrait signifier que toute société de
gestion collective devra être en mesure de prévoir un dispositif de
vote à distance par voie électronique.
1.2.3 Du droit d’être informé sur la gestion de ses droits
La proposition de directive impose aux sociétés de gestion collective une obligation d’information du titulaire de droits, et ce, aux
différents niveaux de sa relation avec ce dernier, cette information
devant se faire par voie électronique. La société de gestion collective
doit communiquer au titulaire de droits, au moins une fois par an, les
informations le concernant (données personnelles) et concernant la
gestion de ses droits (droits perçus, montants dus, détail des prélèvements effectués, etc.), telles qu’énumérées à l’article 16 de la proposition de directive.
Outre les informations qui doivent être communiquées par la
société de gestion collective aux titulaires de droits et à ses membres,
ces derniers peuvent également, sur demande, obtenir communication d’autres informations, qui sont listées à l’article 18 de la proposition de directive.
574
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Au stade de l’affiliation, la société doit informer le titulaire de
droits de ses droits, et ce, avant qu’il ne consente à adhérer à la
société. Étant précisé que, s’agissant des titulaires de droits membres d’une société de gestion collective au moment de la transposition de la directive, ils doivent être informés de leurs droits dans les
six mois de ladite transposition.
Les obligations de la société de gestion collective vis-à-vis de ses
membres et des titulaires de droits telles que décrites ci-dessus
s’accompagnent également de l’obligation de conserver un registre
de ses membres régulièrement mis à jour et de mettre à la disposition de tout titulaire de droits ou de toute société de gestion collective
les informations dont elle dispose sur des œuvres pour lesquelles un
ou plusieurs titulaires de droits n’ont pu être identifiés. En effet,
pour permettre aux membres et titulaires de droits de bénéficier des
droits et prérogatives qui leur sont reconnus par la présente proposition de directive, encore faut-il qu’ils soient en relation avec la
société de gestion, ce qui suppose qu’ils soient identifiés et localisés.
Enfin, notons que l’article 34 de la proposition de directive
demande aux États membres de veiller à ce que les sociétés de gestion collective mettent à la disposition de leurs membres et des titulaires de droits des procédures efficaces et rapides de traitement des
plaintes et de résolution des litiges. Les réponses aux plaintes doivent être faites par écrit et motivées en cas de rejet de la plainte.
2. Organisation et fonctionnement des sociétés
de gestion collective
Avant d’entrer dans le détail des dispositions relatives à l’organisation interne et au fonctionnement des sociétés de gestion collective au travers de leur activité de gestion de droits, la question
suivante se pose concernant le statut ou la qualification juridique de
ces sociétés : les sociétés de gestion collective sont-elles des prestataires de services de gestion collective ?
Pourquoi une telle question ? Parce que l’exposé des motifs
puis le considérant no 3 de la proposition de directive, sans ambiguïté
aucune, les qualifient ainsi, précisant également qu’elles relèvent
par conséquent de la directive 2006/123 CE du 12 décembre 2006.
Étant donné l’importance de la question, on aurait pu s’attendre à ce que la Commission Européenne en fasse état dans le texte
Gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins
575
même de sa proposition de directive. Il n’en est rien, la proposition de
directive ne fait ni mention ni même référence à cette qualification.
Ce silence pose d’autant plus question que la directive 2006/123 CE
prévoit expressément en son article 17 que les dispositions relatives
à la libre prestation de services (article 16 de ladite directive) ne
s’appliquent ni aux droits d’auteur ni aux droits voisins.
Que les sociétés de gestion collective relèvent ou non de la directive 2006/123 CE en tant que prestataires de services, il conviendrait
que cette question soit clarifiée.
2.1 Les bases de l’organisation interne de la société
de gestion collective
La proposition de directive envisage l’organisation interne de la
société de gestion collective au travers de ses dispositions relatives à
l’assemblée générale, à l’organe de surveillance et aux dirigeants et
personnes qui gèrent effectivement la société.
2.1.1 L’assemblée générale
La société de gestion collective s’organise tout d’abord autour
d’une assemblée générale. C’est l’article 7 de la proposition de directive qui est consacré aux conditions d’organisation de l’assemblée
générale des membres de la société de gestion collective. Après avoir
précisé que l’assemblée générale doit se réunir au moins une fois
par an, il en détaille les attributions. Ainsi, l’assemblée générale
est notamment compétente pour modifier les statuts, décider de la
nomination ou de la révocation des dirigeants et approuver leur
rémunération et autres avantages, statuer sur la politique générale
d’investissement des produits de droit d’auteur ainsi que sur les
règles relatives aux prélèvements, etc.
Ce n’est pas tant la nature des attributions de l’assemblée générale qui attire l’attention, ces attributions étant assez classiques,
hormis peut-être pour ce qui est de la rémunération des dirigeants,
que son positionnement vis-à-vis de l’organe de surveillance.
Si la proposition de directive veille à assurer à l’assemblée
générale un minimum de pouvoir en lui réservant certains domaines
de compétence, la rédaction même de l’article 7 laisse à penser
qu’elle n’est pas nécessairement considérée comme l’organe central
dans l’organisation de la société. Outre les attributions qu’elle peut
576
Les Cahiers de propriété intellectuelle
volontairement déléguer à l’organe de surveillance, elle peut également être dépossédée de certaines de ses fonctions traditionnelles,
comme celle de nommer ou de révoquer le conseil d’administration.
On peut d’ailleurs se demander si l’assemblée générale ne pourrait pas finir par s’effacer derrière l’organe de surveillance qui
deviendrait, dans la pratique, le véritable organe décisionnaire de la
société. Même si cet organe de surveillance doit être constitué de
membres de la société, ce qui lui confère une certaine légitimité, il
sera nécessairement moins représentatif que l’assemblée générale
qui réunit tous les membres.
2.1.2 L’organe de surveillance
L’article 8 de la proposition de directive prévoit l’obligation
pour les sociétés de gestion collective, à l’exception le cas échéant de
celles répondant aux critères énumérés en son paragraphe 3, de
constituer un organe de surveillance, au sein duquel les membres
seront représentés de manière juste et équilibrée afin d’assurer leur
participation effective.
Cet organe a pour fonction le contrôle permanent des activités
et de l’accomplissement des missions des personnes investies de responsabilités de direction au sein de la société.
Outre l’assemblée générale, qui se réunit une fois par an,
l’organisation de la société de gestion collective s’appuie donc sur un
organe de surveillance qui se réunit régulièrement, mais dont les
prérogatives – comme le statut de ses membres – posent questions.
S’agissant de ses attributions, on peut notamment se demander
s’il est sain que l’organe de surveillance soit compétent pour désigner
les membres du conseil d’administration et le dirigeant gestionnaire
alors que, dans le même temps, il doit exercer une surveillance
des organes de direction. Comment contrôler sereinement et avec
objectivité l’activité d’une société gérée par des personnes que l’on a
soi-même nommées ? L’intérêt de constituer un organe de surveillance ne réside-t-il pas dans le fait de bien séparer fonctions de
surveillance et pouvoirs de décision ? En donnant à l’organe de surveillance des pouvoirs de décision non négligeables, la proposition de
directive risque de l’affaiblir en jetant le trouble, voire le discrédit,
sur son action.
Gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins
577
S’agissant du statut de ses membres, étant donné l’étendue des
pouvoirs susceptibles d’être confiés à l’organe de surveillance, il peut
paraître étonnant que l’article 9 de la proposition de directive exonère les dirigeants exerçant une fonction de surveillance de l’obligation d’appliquer des principes de bonne gestion et de se soumettre
aux procédures de résolution des conflits d’intérêts que la société de
gestion collective devra mettre en place. En effet, qui va contrôler la
probité des dirigeants exerçant une fonction de surveillance ? On
aurait pu imaginer un autre niveau de contrôle en soumettant ces
dirigeants à la surveillance d’un organe extérieur, comme par exemple l’organe de tutelle ou de contrôle qui existe d’ores et déjà dans
beaucoup de pays, qui a pour mission de contrôler l’activité des sociétés de gestion collective.
2.1.3 L’encadrement des dirigeants et des personnes
qui gèrent effectivement la société
La Commission Européenne consacre l’article 9 de sa proposition de directive à définir les obligations des personnes qui gèrent
effectivement les activités de la société de gestion collective, dont
font partie les dirigeants tels que définis à l’article 3 et dont sont
exclus les dirigeants exerçant une fonction de surveillance. On distingue donc trois catégories de dirigeants : i) les dirigeants tels que
définis à l’article 3 de la proposition de directive, ii) les dirigeants
exerçant une fonction de surveillance et iii) d’autres personnes, non
définies, qui gèrent effectivement les activités de la société de gestion collective.
Les personnes qui gèrent effectivement les activités de la
société de gestion, de même que les dirigeants, sont tenus d’appliquer des principes de bonne gestion en utilisant des procédures
administratives et comptables saines et des mécanismes de contrôle
interne fiables.
Ces personnes, de même que les dirigeants, doivent par ailleurs
élaborer des procédures de résolution des conflits d’intérêts afin
qu’ils ne portent atteinte aux intérêts des membres de la société de
gestion collective. Au titre de cette procédure, elles doivent communiquer à l’organe de surveillance une déclaration annuelle comportant un certain nombre d’informations relatives à leur situation
vis-à-vis de la société de gestion collective, notamment à propos des
rémunérations qu’elles ont reçues de la société. Il peut paraître
étonnant que la proposition de directive demande aux personnes qui
seront soumises à cette procédure de l’élaborer plutôt que d’en
578
Les Cahiers de propriété intellectuelle
confier l’élaboration à un autre organe de la société, comme l’organe
de surveillance par exemple.
Outre le contrôle des dirigeants et des personnes qui gèrent
effectivement les activités de la société, il aurait pu également être
intéressant que la proposition de directive s’attarde sur les grandes
lignes de leur statut et de leurs fonctions. À tout le moins, il aurait
fallu qu’elle définisse ou donne des éléments de définition de ces personnes qui gèrent effectivement les activités de la société, notion en
l’état assez floue et dès lors peu praticable. Il aurait été d’autant plus
opportun de préciser cette notion que la proposition de directive
impose à ces personnes un certain nombre d’obligations.
2.2 Le fonctionnement des sociétés de gestion collective :
la gestion de droits
La proposition de directive appréhende le fonctionnement des
sociétés de gestion collective sous l’angle de leur activité de gestion
de droits. Au travers de cette activité, elle étudie successivement les
obligations de la société de gestion collective en matière de gestion
financière, les modalités de distribution de droits, ses relations avec
les autres sociétés de gestion collective et les utilisateurs ainsi que
ses obligations en termes d’information.
2.2.1 La gestion financière de la société
Le chapitre 2 du titre II précise les règles visant notamment à
assurer une transparence dans la tenue des comptes de la société et
de ses investissements. Avant d’entrer dans le détail de ces dispositions, il convient de s’arrêter sur le titre dudit chapitre.
En effet, bien que faisant partie du titre II applicable à toutes
les sociétés de gestion collective, l’intitulé de ce chapitre se réfère aux
produits de droits d’auteur. À s’en tenir à ce titre, seule une société
gérant des produits de droits d’auteur devrait être concernée par ces
dispositions, ce qui semble être en contradiction avec le champ
d’application de la proposition de directive tel que défini en son
article 2.
Comme d’autres questions évoquées précédemment, il conviendra d’éclaircir ce point afin de savoir s’il s’agit d’une erreur dans
l’intitulé de ce chapitre ou si ces dispositions sont uniquement applicables aux produits de droits d’auteur.
Gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins
579
L’article 10 de la proposition de directive impose à la société de
gestion collective de séparer les actifs et revenus qui lui sont propres
des produits de droits d’auteur et de leurs revenus associés. Il ne doit
pas y avoir de confusion entre le patrimoine propre de la société et le
« patrimoine » des titulaires de droits représenté par les produits
de droits d’auteur. Les produits de droits d’auteur ne peuvent, sauf
prélèvement de frais de gestion, être utilisés par la société pour son
propre compte.
Cet article pose également les bases d’une politique d’investissement des produits de droits d’auteur qui vise à limiter les risques
de pertes.
L’exigence de transparence dans la tenue des comptes se
retrouve également en matière de prélèvements (article 11).
Les sociétés de gestion collective sont tenues d’être transparentes vis-à-vis de leurs membres et des titulaires de droits sur les prélèvements effectués, notamment au titre des frais de gestion, en leur
précisant en quoi ils consistent.
La proposition de directive prévoit des dispositions spécifiques
concernant les services sociaux, culturels ou éducatifs qui seraient
financés par les prélèvements. Dans cette hypothèse, les titulaires
de droits et les membres de la société de gestion collective (y compris
ceux qui ont exercé leur droit de résiliation ou de retrait) ont droit à
ces services, dont l’accès et l’étendue notamment doivent être déterminés sur la base de critères équitables.
2.2.2 La distribution de droits
Au regard de l’article 12 paragraphe 1, la société de gestion collective est tenue de distribuer et de payer tous les titulaires de droits
régulièrement, avec diligence et au plus tard douze mois après la fin
de l’exercice au cours duquel les droits ont été perçus, sauf raisons
objectives l’empêchant de respecter ce délai. Ces paiements doivent
être effectués avec exactitude en réservant un traitement égal aux
différentes catégories de titulaires de droits. Cette obligation de distribution et de paiement s’applique donc a priori à l’ensemble des
titulaires de droits.
580
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Concernant les montants qui n’auraient pu être distribués dans
un délai de cinq ans à compter de la fin de l’exercice au cours duquel
ils ont été perçus, la proposition de directive prévoit la possibilité
pour les sociétés de gestion collective d’utiliser ces montants, sous
réserve cependant du droit des titulaires de droits de les réclamer.
L’absence de délai de prescription de ce droit de réclamation va placer les sociétés de gestion collective dans une grande insécurité juridique et financière puisqu’elles pourront toujours se voir réclamer
des montants qu’elles auront utilisés. Il conviendrait donc d’encadrer ce droit de réclamation dans le temps en prévoyant un délai de
prescription au-delà duquel les droits ne pourront plus être réclamés.
2.2.3 La société de gestion collective, les sociétés homologues
et les utilisateurs
Les chapitres 3 et 4 du titre II sont relatifs aux relations
qu’entretient la société de gestion collective avec les autres sociétés
de gestion (les sociétés homologues) et les utilisateurs dans le cadre
de son activité de gestion de droits.
Les relations entre sociétés de gestion collective sont définies
dans le cadre d’accords de représentation en vertu desquels, selon
l’article 3 de la proposition de directive, une société en mandate une
autre pour représenter son répertoire. Précisons que cette définition
de l’accord de représentation, basée sur la notion de répertoire, ne
correspond pas à la pratique de toutes les sociétés de gestion collective, certaines d’entre elles n’étant pas gestionnaires de répertoires
en tant que tels.
Aux termes de l’article 13 de la proposition de directive, les
sociétés de gestion collective ne peuvent exercer de discrimination
entre les membres de la société et les titulaires de droits dont elles
gèrent les droits en vertu d’un accord de représentation, notamment
en termes de tarifs, de frais de gestion et de conditions de perception
et de distribution. Il ressort de cette disposition que les titulaires de
droits sont couverts par les accords de représentation. Or, cela pourrait être contradictoire avec le principe même de l’accord de représentation qui veut que des sociétés se mandatent mutuellement pour
gérer les droits de leurs répertoires respectifs. En effet, le répertoire
est constitué d’œuvres ou autres objets que des titulaires de droits
ont apportés à la société en s’y affiliant. Hormis le cas particulier de
Gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins
581
la gestion obligatoire, la société de gestion collective peut donner
mandat à une autre société de gestion collective de gérer son répertoire en raison du mandat que ses membres lui ont initialement
confié. Le titulaire de droits n’ayant pas adhéré à la société de gestion collective et ne lui ayant par conséquent pas confié mandat, sur
quelle base cette dernière pourrait-elle le représenter ?
En vertu de l’article 14 de la proposition de directive, sauf
accord exprès entre sociétés signataires de l’accord de représentation, une société de gestion collective ne peut prélever des frais
autres que ceux correspondant à ses frais de gestion sur les droits
qu’elle gère en vertu d’un accord de représentation. Les sociétés doivent par ailleurs distribuer et payer régulièrement et avec diligence
les montants dus aux autres sociétés.
Dans le cadre de leurs relations, les sociétés de gestion collective sont tenues de se communiquer des informations sur les droits
qu’elles gèrent au titre de leurs accords. La proposition de directive
distingue les informations que la société de gestion collective doit
communiquer au moins une fois par an aux sociétés de gestion collective avec lesquelles elle a un accord (article 17) de celles qu’elle doit
communiquer sur demande de celles-ci (article 18).
Les relations entre la société de gestion collective et les utilisateurs sont traitées à l’article 15 de la proposition de directive. Cet
article est relatif aux concessions des licences entre sociétés de gestion collective et utilisateurs. Ainsi, les conditions de ces licences
doivent reposer sur des critères objectifs, notamment en matière de
tarifs. Les utilisateurs doivent pouvoir communiquer par voie électronique avec la société de gestion collective, notamment pour rendre compte de l’utilisation des licences.
La proposition de directive appréhende différemment les tarifs
applicables à ces licences selon qu’ils concernent des droits exclusifs
ou des droits à rémunération ou à compensation.
S’agissant de droits exclusifs, les tarifs doivent refléter la valeur
économique des droits négociés et le service fourni par la société de
gestion collective, alors que pour les tarifs afférents à des droits à
rémunération ou à compensation, qui sont fixés par la société de gestion collective en l’absence de dispositions nationales déterminant
leur montant, le texte se réfère à la valeur économique des droits
négociés mais ne prend pas en compte le service fourni par la société
de gestion. Or, qu’il s’agisse de droits exclusifs ou de droits à rémuné-
582
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ration ou à compensation, la société gère ces droits et apporte donc
un service qui certes peut être différent selon la nature des droits
mais qui existe dans tous les cas. Cette différence entre droits exclusifs et droits à rémunération ou à compensation peut par conséquent
étonner.
Comme les titulaires de droits ou les autres sociétés de gestion
collective, les utilisateurs peuvent avoir, sur demande, communication d’un certain nombre d’informations relatives à la société de gestion collective.
Par ailleurs, au regard de l’article 35 de la proposition de directive, les États membres sont tenus de veiller à ce que les litiges entre
sociétés de gestion collective et utilisateurs puissent être soumis à
un tribunal et, le cas échéant, à un organe de règlement des litiges
indépendant et impartial. Cet article est complété par les articles 37
et 38 relatifs respectivement aux plaintes contre les activités de
sociétés de gestion collective et aux sanctions et mesures qui doivent
être adoptées.
2.2.4 Obligations d’information de la société de gestion collective
Outre les obligations d’information évoquées précédemment
vis-à-vis des titulaires de droits, des membres des sociétés de gestion
collective, des sociétés de gestion homologues et des utilisateurs, la
proposition de directive prévoit également à l’égard des sociétés de
gestion collective une obligation générale d’information. Ainsi, les
sociétés de gestion collective sont tenues de publier sur leur site web
les informations énumérées à l’article 19. Ces informations doivent
rester à la disposition du public et être tenues à jour. Par ailleurs,
elles sont tenues d’établir à l’occasion de chaque exercice un rapport
de transparence annuel comportant un rapport spécial. Ce rapport
est publié sur leur site web, au plus tard dans les six mois de la fin de
l’exercice considéré et doit rester à la disposition du public pendant
cinq ans.
*****
L’objectif annoncé par la Commission Européenne – s’agissant
des mesures relatives aux sociétés de gestion collective – était de
mettre en place un cadre juridique approprié pour la gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins. Si la proposition de
directive traite de l’activité principale de ces sociétés, la perception
Gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins
583
et la distribution de droits, force est de constater qu’elle ne traite pas
de manière exhaustive de l’ensemble de leurs activités et missions,
notamment celles visant au soutien de la culture. Cette proposition
de directive ne paraît donc pas suffisante en l’état pour constituer ce
cadre juridique.
Les choix et orientations faits dans l’élaboration de ce texte
peuvent donner le sentiment que cette proposition de directive est
avant tout une réponse à certaines questions ou problématiques qui
se sont posées à la Commission Européenne dans le domaine de la
gestion collective. Cette impression ressort également des dispositions du titre III de la proposition de directive relatif aux licences
multiterritoriales. Plutôt que de traiter de cette question de manière
générale et d’organiser un régime qui soit applicable à l’ensemble
des œuvres, la Commission Européenne n’a envisagé cette problématique que sous l’angle des œuvres musicales, ce qui pourrait apparaître comme la réponse législative notamment à l’affaire dite
« CISAC ».
Si la Commission Européenne ambitionne de faire de cette
directive le texte de référence dans le domaine de la gestion collective, et pourquoi pas le texte fondateur d’un statut européen des
sociétés de gestion collective, il conviendrait qu’il ne soit pas le reflet
d’une certaine vision de la gestion collective dans un certain contexte
mais qu’il traduise une conception plus globale de cette activité.
Vol. 25, no 2
Le droit à l’humour à l’aune
du droit de la propriété
intellectuelle
Claire Bouchenard et Julia Darcel*
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 587
1. LE « DROIT » À L’HUMOUR ET LE DROIT
D’AUTEUR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 588
1.1 Le « droit » à l’humour en droit d’auteur :
une exception justifiée au nom de la liberté
d’expression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 589
1.1.1 Le fondement de l’exception de parodie,
pastiche et caricature . . . . . . . . . . . . . . 589
1.1.2 Les définitions de l’exception de parodie,
pastiche et caricature . . . . . . . . . . . . . . 589
1.2 La définition et l’application des critères d’admission
de l’exception de parodie par le juge . . . . . . . . . . 591
1.2.1 La nécessité d’une intention humoristique :
un art délicat à manier . . . . . . . . . . . . . 591
© Claire Bouchenard et Julia Darcel, 2013.
* Claire Bouchenard, avocate associée du cabinet B CUBE (à Paris) ; Julia Darcel,
avocate collaboratrice du cabinet B CUBE à Paris.
585
586
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.2.2 L’absence de risque de confusion : entre emprunt
et distanciation avec l’œuvre parodiée . . . . . 598
1.2.3 L’absence d’intérêt de nuire ou la réminiscence
des prérogatives de l’auteur . . . . . . . . . . . 603
2. LE DROIT À L’HUMOUR ET LES AUTRES DROITS
DE PROPRIÉTÉ INCORPORELLE . . . . . . . . . . . . . 607
2.1 L’humour et le droit des marques :
un mariage tardivement célébré . . . . . . . . . . . . 608
2.2 La parodie et les droits de la personnalité . . . . . . . 614
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 619
INTRODUCTION
Selon Desbois,
l’esprit caustique qui est si répandu en France et y apparaît
comme l’une des formes de la liberté d’expression, serait inutilement comprimé si les auteurs qui subissent les piqûres d’épingle
de ce genre amusant devaient être consultés. Quelques-uns
ne pousseraient pas l’abnégation assez loin, ou ne feraient pas
preuve d’une largeur d’esprit suffisante pour se complaire à donner leur consentement.1
Conscient de cela, le législateur français a entendu limiter le
monopole de l’auteur sur son œuvre dès lors que celle-ci se trouverait
être la cible d’une certaine forme d’humour et a, par conséquent,
octroyé à l’humour une place d’« exception » au sein du droit de
la propriété littéraire et artistique. Ainsi, l’article L.122-5 4o du
Code de la propriété intellectuelle dispose que lorsque l’œuvre a été
divulguée, l’auteur ne peut en interdire « la parodie, le pastiche et la
caricature, compte tenu des lois du genre ». Cette disposition trouve
écho à l’article L.211-3 dudit Code relatif aux droits voisins2. Le
législateur communautaire n’a pas souhaité remettre en cause cette
exception légale au monopole de l’auteur (ou de l’artiste-interprète)
et autorise les États membres de l’Union européenne à prévoir une
telle exception3.
La reconnaissance par le droit communautaire de cette exception n’est pas surprenante au vu de l’attachement maintes fois
1. DESBOIS (Henri), Le droit d’auteur en France, 3e éd. (Paris : Dalloz, 1978), no 254.
2. L’article L.211-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « les bénéficiaires des droits ouverts au présent titre ne peuvent interdire : [...] 4o La parodie, le
pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ».
3. Voir l’article 5 alinéa 3 lettre k de la directive 2001/29/CE du Parlement européen
et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit
d’auteur, lequel dispose que « Les États membres ont la faculté de prévoir des
exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants : k) lorsqu’il s’agit d’une utilisation à des fins de caricature, de parodie ou de
pastiche ».
587
588
Les Cahiers de propriété intellectuelle
répété de la Cour de justice de l’Union européenne des droits de
l’homme à la liberté d’expression. L’humour, forme d’esprit qui s’attache à souligner le caractère comique, ridicule, absurde ou insolite
de certains aspects de la réalité, constitue, en effet, un moyen d’expression particulièrement efficace. Au nom de la liberté d’expression, l’humour dispose donc d’une véritable assise légale au sein du
droit d’auteur dès lors qu’il prend la forme d’une parodie, d’un pastiche ou d’une caricature.
En dépit de l’importance de sa justification, l’exception de
parodie, de pastiche ou de caricature ne trouve pas de consécration
légale équivalente ni au sein du droit des marques, ni au sein des
droits de la personnalité. Ce constat suscite plusieurs interrogations.
Cela signifie-t-il que le monopole reconnu à l’auteur sur son œuvre
est d’une importance telle que l’humour nécessitait l’exception de
l’article L.122-5 4o du Code de la propriété intellectuelle pour que ses
« attaques » soient légitimées ? Le « droit » à humour serait-il absent
du droit des marques et des droits de la personnalité ou, bien au contraire, la reconnaissance d’un « droit » à l’humour sous la forme
d’exception d’interprétation stricte ne serait-il pas un moyen de
conditionner et restreindre sa licéité, si bien que dans les autres
droits où une telle exception ne fait pas l’objet de dérogation textuelle spécifique, le « droit » à l’humour ne connaîtrait pas de limites ? Finalement, existerait-il une hiérarchie entre le droit d’auteur,
la marque et les droits de la personnalité ? Seule une étude du droit
positif peut permettre d’apporter les éléments de réponse à ces interrogations et de comprendre comment le « droit » à l’humour a réussi à
s’imposer face à des monopoles qui, à l’origine, paraissaient inattaquables tels que le droit d’auteur, la marque ou encore le droit à
l’image.
1. LE « DROIT » À L’HUMOUR ET LE DROIT D’AUTEUR
Le droit à « humour » jouit d’une place d’exception au sein du
droit de la propriété littéraire et artistique dès lors qu’il s’exerce sous
une forme précise. Si le « droit » à l’humour a été introduit dans le
Code de la propriété intellectuelle au nom de la liberté d’expression,
le législateur n’a pourtant pas entendu lui donner toute latitude.
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 589
1.1 Le « droit » à l’humour en droit d’auteur : une exception
justifiée au nom de la liberté d’expression
1.1.1 Le fondement de l’exception de parodie, pastiche et caricature
Sans surprise, l’exception de parodie, de pastiche et de caricature trouve son fondement dans la liberté d’expression, liberté
attachée à toute société démocratique. Ces trois formes d’humour
constituent, en effet, des moyens d’expression qui, au-delà de leur
forme attractive et parfois légère, parviennent à véhiculer efficacement une idée, une critique, une conviction politique, idéologique
ou sociale. Eu égard à cette filiation enviable, nombreux sont les
auteurs à s’être interrogés sur la nécessité d’insérer expressément
au sein des dispositions du droit de la propriété littéraire et artistique le principe selon lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ne peut
s’opposer à ce que son œuvre soit parodiée, pastichée ou caricaturée
alors qu’il eut été parfaitement possible de protéger la liberté de
l’humoriste en invoquant les normes juridiques les plus hautes tels
que l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme,
l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou
l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
L’auteur d’une œuvre de l’esprit dispose-t-il d’un statut tel que la
liberté d’expression doive lui être opposable avec prudence ? Quoi
qu’il en soit, le fait est que le législateur, en introduisant cette exception au sein du droit d’auteur, n’a pas eu suffisamment confiance
en l’auteur pour lui abandonner la décision d’accepter ou non les
« piques » de l’humour à l’égard de son œuvre. Il revient donc au juge
de le faire, ce qui n’est pas une tâche aisée.
1.1.2 Les définitions de l’exception de parodie, pastiche
et caricature
Ni le texte de loi, ni les travaux préparatoires de la loi du
11 mars 1957 n’apportent de précision sur ce qu’il faut entendre par
« parodie », « pastiche » ou « caricature ». Selon Desbois, suivi par la
majorité de la doctrine, ces trois notions correspondraient respectivement aux trois genres différents que peut revêtir une œuvre de
l’esprit. Ainsi, la parodie viserait une œuvre musicale, le pastiche
une œuvre littéraire et la caricature les arts plastiques4. La jurispru-
4. DESBOIS (Henri), Le droit d’auteur en France, op. cit., note 1.
590
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dence, quant à elle, a tenté de distinguer entre la parodie et la
caricature en estimant
qu’il est dans les lois du genre de la première, qui se distingue
en cela du pastiche, de permettre l’identification immédiate de
l’œuvre parodiée, et dans celles de la seconde de se moquer d’un
personnage par l’intermédiaire de l’œuvre caricaturée dont il
est l’auteur5, mais également entre la parodie et le pastiche : la
parodie a pour effet de travestir une œuvre pour lui donner un
sens différent de celui voulu par son auteur dans le but de faire
rire, tandis que le pastiche consiste à imiter le style de l’auteur
dans un but de raillerie ou bien d’hommage à travers un sujet
qu’il n’a pas traité.6
En réalité, l’on ne doit pas accorder trop d’importance à ces controverses terminologiques dans la mesure où aucune différence de
régime ne s’attache au choix de l’une ou l’autre de ces formes humoristiques. Dans un souci de simplicité, la doctrine a d’ailleurs pris
l’habitude de réunir ces trois formes d’humour sous le terme générique de « parodie »7.
Si le législateur n’a pas souhaité révéler les raisons de cette distinction entre parodie, pastiche et caricature, il a toutefois entendu
les soumettre à un seul et même régime juridique : elles ne sont tolérées qu’à la condition de respecter les « lois du genre ». Cette référence aux « lois du genre » qui renvoie aux usages8, a le mérite de
laisser une grande latitude au juge dans le cadre de l’appréciation de
la légalité des traits d’humour. Cela s’avérait nécessaire, la perception de l’humour étant à la fois subjective et évolutive. Mais à l’instar
de toute notion cadre, les « lois du genre » sont également source
d’insécurité juridique. En matière de droit d’auteur, le juge est
accoutumé à définir les contours de telles notions. On pense notamment à l’autre notion à géométrie variable, non moins célèbre, d’originalité qui détermine non pas l’étendue du monopole de l’auteur sur
son œuvre mais son existence elle-même. Le juge a donc la tâche
5. Cass. 1re Civ., 12 janvier 1988, Ed. Salabert c. Le Luron, Bull. civ. I, no 5, 1988,
D. 1989, no 1, p.1, RTD com. Avril-juin 1988, p. 227, D. 1988 somm. obs. Colombet.
6. TGI Paris, 1re ch., sect. 1, 30 avril 1997, Pagnol c. Sté Vog, Gaz. Pal. 17 mai 1998,
137/139, somm. 22.
7. GAUTIER (Pierre-Yves), Propriété littéraire et artistique, 6e éd. (Paris : PUF,
2007), no 368, p. 421, Terme générique que nous adopterons également dans la présente étude.
8. LUCAS (André), « Droit des auteurs.- Droits patrimoniaux.- Exceptions au droit
exclusif », J.-Cl., Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1248, no 71.
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 591
complexe de rechercher le juste équilibre entre la protection de la
liberté d’expression de l’humoriste d’une part, et celle des intérêts
patrimoniaux et moraux de l’auteur de l’œuvre « moquée » d’autre
part.
1.2 La définition et l’application des critères d’admission
de l’exception de parodie par le juge
Très vite, le juge a su dégager les conditions que doit remplir la
parodie pour qu’elle soit admise en toute légitimité à porter atteinte
au monopole de l’auteur sur son œuvre ; une parodie qui respecte
« les lois du genre » doit permettre l’identification immédiate de
l’œuvre parodiée, provoquer le rire ou à tout le moins un sourire et,
enfin, être exclusive de toute intention de nuire. Au regard du droit
positif, si l’application par le juge de ces trois conditions est constante, il en va différemment de leur appréciation.
1.2.1 La nécessité d’une intention humoristique :
un art délicat à manier
La parodie ne peut consister dans une simple adaptation, imitation ou encore transformation de l’œuvre parodiée. À défaut, il
s’agirait d’une œuvre dérivée9 dont l’exploitation nécessite l’autorisation préalable de l’auteur de l’œuvre première (sauf bien entendu à
ce que cette œuvre soit tombée dans le domaine public). Le parodiste
ne peut se soustraire à cette autorisation que si la modification
de l’œuvre première est animée par une intention humoristique. Or
définir une telle intention est loin d’être aisé tant l’humour brille par
sa subjectivité. Ainsi, à propos de l’humour, Jean Sareil disait
qu’est-ce que l’esprit, l’humour, la satire, l’ironie ? [...] le fait
que ce vague, cette absence de définition, se retrouvent non
seulement en français, mais en anglais, en allemand, en italien
etc., montre assez que la difficulté n’est pas au niveau de la
langue et du vocabulaire mais du sujet même.10
Au regard du droit positif, la parodie doit viser à « travestir ou à
subvertir l’œuvre dans une forme humoristique, avec le dessein de
9.
L’œuvre dérivée est définie par l’article L.113-2, al. 2 du Code de la propriété
intellectuelle comme « l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre
préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière ».
10. SAREIL (Jean), L’écriture comique, (Paris : PUF, 1984), p. 14-15.
592
Les Cahiers de propriété intellectuelle
moquer, de tourner en dérision pour faire rire ou sourire »11. Concrètement, le juge recherche la présence de calembours, de détournements cocasses, de bons mots ou de jeux de mots12. Il attend, par
ailleurs, du parodiste un véritable travail de travestissement de
l’œuvre parodiée. Celle-ci doit consister dans une « imitation déformante de l’œuvre originale »13. Tout élément de contraste entre
la parodie et l’œuvre parodiée jouera ici un rôle important. À titre
d’illustration, le Tribunal de grande instance de Paris, statuant sur
la licéité du film « Tarzoon, la honte de la jungle », parodie du célèbre
roman d’E. R. Burroughs intitulé « Tarzan », a retenu l’exception de
parodie après avoir mis en exergue les différences de traits de caractère entre les personnages de l’œuvre première et ceux de la parodie
au motif que
par ce retournement des personnages et de leurs rôles, l’auteur
a bien évidemment, non pas calqué, mais parodié les éléments
empruntés à l’œuvre originale, créant par le contraste – lequel
est l’un des grands ressorts psychologiques du rire – les effets
comiques qu’il recherchait.14
On peut encore citer l’œuvre « Les aventures de Saint-Tin et de
son ami Lou », parodie des aventures du reporter imaginé par Hergé,
à propos de laquelle le juge a admis l’intention humoristique en relevant les démarcations avec l’œuvre première sous forme de calembours, les jeux de mots immédiatement perceptibles, la dérision
potache et les traits de caractères des personnages loufoques15.
La recherche de l’intention humoristique s’avère plus délicate
lorsque les exagérations, les effets comiques et les présentations burlesques de l’œuvre première sont plus discrets. Ainsi, dans un arrêt
du 7 juin 1990, la Cour d’appel de Paris a refusé le bénéfice de
l’exception de parodie au bénéfice d’une œuvre publicitaire s’inspirant d’une célèbre scène du film « Quai des Brumes », au motif qu’il
s’agissait d’une simple « transposition teintée d’un humour discret et
11. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 18 février 2011, no 09/19272, SAS Arconsil c. Sté de droit
belge Moulinsart SA, (2011), 70 Revue Lamy Droit de l’immatériel no 2299,
(2012), 1 Communication Commerce électronique, comm. 1, Exception de parodie : quid novi ? Ch. Caron.
12. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 18 février 2011, op. cit.
13. TGI Paris, 1re ch. 19 janv. 1977, Charles Schulz c. Ed. Albin Michel, RIDA 2/1977,
no 92, p. 167.
14. TGI Paris, 1re ch. 3 janvier 1978, Sté Edgar Rice Burroughs c. Picha, D. 1979
p. 99, note H. Desbois.
15. CA Paris, 18 février 2011, op. cit.
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 593
non d’une imitation burlesque ou grotesque tendant à ridiculiser la
scène qui dans le film était empreinte de gravité »16.
L’affaire de « La bicyclette bleue » constitue une autre illustration de cette difficulté d’appréciation. En l’espèce, les juges de première instance ont admis l’exception de parodie en relevant que le
parodiste « s’est plu à souligner l’analogie initiale de situations entre
les deux œuvres, et a exprimé cette volonté ludique » en reprenant
des scènes devenues célèbres de l’œuvre d’« Autant en emporte le
vent » de M. Mitchell, pour établir avec ses lecteurs une complicité
amusée. Moins tolérante, la Haute Juridiction a jugé que ces seules
considérations étaient insuffisantes et a reproché à la Cour d’appel
de ne pas avoir recherché si les ressemblances avec l’œuvre première contenues dans la « parodie » ne faisaient pas de cette œuvre
seconde une simple reproduction ou une adaptation de l’œuvre première17.
Il en est allé de même s’agissant du livre « Le Monde d’AnneSophie », parodie de l’ouvrage philosophique de M. Gaarder intitulé
« Le Monde de Sophie », écrit par la société Les Jalons « spécialisée »
depuis 20 ans dans la parodie de journaux connus. En l’espèce,
l’exception de parodie a été écartée au motif notamment que le titre
de l’ouvrage parodique ne se distinguait pas de celui de l’œuvre première « par un effet surajouté, le prénom Anne-Sophie n’ayant
aucune connotation péjorative »18. En fait, le propos parodique doit
« révéler une intention humoristique évidente »19.
Au regard de ces décisions, on peut se demander si l’excès et
l’outrance ne sont pas la règle de la « loi du genre ». Cette conclusion
est trop hâtive. Ainsi, dans de l’affaire des « Feuilles Mortes » aux
termes de laquelle le caricaturiste Jacques Faizant avait pastiché
quelque temps après le décès d’Yves Montand, le texte d’une de ses
chansons dont Jacques Prévert était l’auteur, la Cour d’appel de
Paris a fait application de l’exception de parodie au motif que Jacques Faizant avait « retourné totalement le sens [de la chanson] pour
16. CA Paris, 4e ch. sect. B, 7 juin 1990, Tricotet c. SA Frères Lissac, Juris-Data
no1999-023045.
17. Cass. 1re Civ. 4 février 1992, Trust Company Bank c. Deforges, Bull civ. 1992, in
no 42, p. 31, Rec. D. 1992, no 103-105, pan. p. 92.
18. CA Paris, 4e ch. sect. B, 17 janvier 2003, SARL Les Jalons c. Jostein Gaarder,
RDPI no 155 janv. 2004, Légipresse, no 203, Juillet/août 2003, p. 99.
19. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 septembre 2012, no 10/11630, SA SCPE c. SARL
Jalons Editions, SARL, JurisData 2012-021857.
594
Les Cahiers de propriété intellectuelle
en faire de manière humoristique un hommage à la mémoire de son
interprète »20.
Les commentateurs de cet arrêt y ont vu un « tempérament » de
l’intention humoristique dans la mesure où la finalité de la parodie
n’était a priori pas de provoquer le rire ou de tourner un sujet en
dérision mais de rendre hommage à Charles Trenet21. Cette solution
a d’ailleurs fait l’objet de vives critiques de la part du Professeur
André Françon, lequel estima que la définition donnée par la Cour à
la parodie ou au pastiche licite était erronée. Selon lui, si la Cour
avait
retenu cet élément [l’élément moral de la parodie], elle n’aurait
pas pu statuer comme elle l’a fait car, dans un article paru au
lendemain de la mort d’Yves Montand et concernant ce dernier,
il aurait été indécent de vouloir faire rire, et l’on ne saurait imaginer que Faizant ait été animé d’une telle intention en rédigeant ce texte.22
Mais considérer cela n’est-il pas émettre un jugement de valeur
sur les différentes formes d’humour ? Ne peut-on pas rire de tout ?
Tel que le rappelle le Professeur Pierre Sirinelli, « le législateur n’a
jamais posé l’exigence d’un effet burlesque ou comique »23 si bien que
l’intention humoristique doit être entendue au sens large et inclure
le « sourire attristé »24. D’autant plus que par la suite, la Cour d’appel
de Versailles, dans un arrêt remarqué, a admis expressément que
le pastiche, imitation de manière et de style permise par la loi,
existe lorsque se produit, par une telle imitation, un effet de
dérision, de contradiction inattendue ou de brocard, le piquant
qui en résulte conférant dans la forme à l’imitation un caractère
20. CA Paris, 11 mai 1993, Société Sebdo c. Editions Enoch, RIDA juillet 1993, p. 340,
G. Pal. 1994, 44-46, jurisprudence. 15, RTD Com. 1993 P.150, note A. Françon.
21. SIRINELLI (Pierre), note à propos de la décision du TGI Paris, 13 février 2001,
SNC Prisma Presse c. Monsieur V., Propriétés Intellectuelles, oct. 2001, no 1,
p. 66.
22. FRANÇON (André), Exception de parodie. Conditions d’exercice, note sous CA
Paris, 11 mai 1993, Société Sebdo c. Editions Enoch, op. cit.
23. SIRINELLI (Pierre), note à propos de la décision du TGI Paris, 13 février 2001,
SNC Prisma Presse c. Monsieur V., op. cit.
24. KAHN (Anne-Emmanuelle), Droit positif : de la liberté totale à la liberté encadrée,
propos relatif à la reprise de la chanson Les feuilles mortes CA Paris, 11 mai 1993,
RLDI 201282.
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 595
humoristique parfaitement compatible avec une intention de
fond étrangère à tout humour.25
En l’espèce, il s’agissait d’une campagne anti-tabac diffusée en
France par le Ministère de la Santé, la Caisse Nationale d’Assurance
Maladie et le Comité Français d’Education pour la Santé caractérisée par
la présence du cow-boy [...] s’exprimant dans un contexte d’images et de symboles ostensiblement rattachés aux références et
mythes du Far West et articulant, avec l’intonation appropriée,
un slogan anti-tabac prenant le contrepied de l’attitude du
même personnage, fumeur dans les œuvres de référence,
soit les publicités de la société Philip Morris pour la commercialisation de ses cigarettes MARLBORO. Ainsi, bien que la parodie ait eu
pour objectif revendiqué de soutenir une cause sérieuse, l’intention
humoristique était bien présente. La forme de la parodie peut donc
être comique sans que le fond le soit.
L’étude du droit positif illustre l’importante subjectivité qui
entoure la notion d’intention humoristique. D’autres exemples attestent par ailleurs de la difficulté pour le juge de l’apprécier en se gardant d’émettre tout jugement de valeur. Ainsi, face à des parodies
aux traits d’humour particulièrement exagérés, le juge a pu écarter
cette intention humoristique. Il ne semble, en effet, pas à l’aise lorsque l’humour est trop « grossier », notamment dans le cas de parodies
pornographiques26 ou lorsqu’il s’attaque à certaines personnalités.
On pense par exemple à l’affaire dans laquelle l’intention humoristique était clairement revendiquée par le comique Jamel Debouze27.
En l’espèce, il s’agissait de la diffusion, dans le cadre d’une émission
de Canal +, d’un extrait d’une chanson de Jean Ferrat intitulée
« Deux enfants au soleil » qui avait été entrecoupée de commentaires
de l’humoriste tels que « des chansons comme ça, j’en fais tous
les jours » et « si lui a marché, alors j’ai des chances ». Le juge n’a-t-il
pas eu une conception trop étroite et subjective de l’humour ? Cela ne
devrait pas être le cas, la perception de l’humour étant variable d’une
personne à l’autre si bien que « le genre humoristique permet des
25. CA Versailles, 1re ch., sect.1, 17 mars 1994, RIDA 2/1995, avril, p. 350, D. 1995,
p. 56, obs. C. Colombet.
26. CA Paris, 14e ch., sect. B, 4 juill. 1997, Sté Marc Dorcel c. Sté Edgar Rice Burroughs, JurisData no 1997-023245.
27. Somm. sous CA Paris 4e ch. A 18 septembre 2002, INA c. Tenenbaum, On ne plaisante pas avec les chansons de Jean Ferrat, D. 2002, p. 3208.
596
Les Cahiers de propriété intellectuelle
exagérations, des déformations et des présentations ironiques, sur
le bon goût desquels l’appréciation de chacun reste libre »28.
Fort heureusement, le juge n’a en principe pas à mesurer le succès
de l’intention comique, ce qu’il rappelle d’ailleurs en ces termes :
« l’appréciation de la qualité ou de l’intensité de l’effet comique produit (est) hors de propos »29. Malgré tout on se rend compte que si
l’humoriste veut échapper au monopole de l’auteur sur son œuvre, il
devra faire preuve de vigilance, ce que le Professeur André Lucas
résume parfaitement en indiquant que
le parodiste trop habile risque d’avoir du mal à convaincre de la
réalité de l’effet comique recherché, et, à l’inverse, l’épaisseur
du trait inclinera à dénier toute trace d’humour.30
Une autre question, source d’hésitations en la matière, subsiste : les « lois du genre » excluent-elles l’intention humoristique
lorsque la parodie a également un dessein publicitaire ? Si l’exception légale ne fait pas de distinction selon le support ou la finalité de l’exploitation, nombreux sont les annonceurs qui se sont
vus condamnés sur le terrain de la contrefaçon faute d’avoir pu bénéficier de l’exception de parodie. Ce fut notamment le cas de
l’annonceur qui avait repris la réplique « t’as de beaux yeux tu sais »,
œuvre de Jacques Prévert, dans une publicité promouvant des lunettes. Comme vu supra, la Cour d’appel a considéré qu’il ne s’agissait
ni d’une
imitation burlesque ou grotesque tendant à ridiculiser la scène
qui dans le film était empreinte de gravité, ni d’un pastiche
celui-ci étant caractérisé par l’imitation d’une manière sur un
thème nouveau.31
Il en est allé de même s’agissant de la société détentrice du journal « Dépêche Mode » dont un article avait reproduit des photographies extraites des films « La femme du boulanger » et « La fille du
Puisatier » de Marcel Pagnol accompagnées d’un photomontage qui
faisait apparaître, au lieu et place des personnages des films précités, un mannequin mimant leur attitude aux fins de présenter des
28. CA Versailles, 11 mars 1991 et 1er févr. 1992, Légipresse 1992, no 95, p. 112, Note
J. Ravanas, La liberté de la caricature ne permet pas son exploitation commerciale, D. 1999, p. 120.
29. CA Paris, pôle 5, 1ère ch., 25 janv. 2012, SA Editrice du Monde c. Société Messagerie Lyonnaise de presse, Société Sonora Media, no 10/09512 (inédit).
30. LUCAS (André), « Droit des auteurs.- Droits patrimoniaux.- Exceptions au droit
exclusif », J.-Cl., Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1248, no 70.
31. CA Paris, 7 juin 1990, op. cit.
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 597
articles de mode de marque de prêt-à-porter dont le nom était mentionné en bas de page. En l’espèce, le Tribunal de grande instance de
Paris a écarté l’exception de parodie, certes au motif que
le montage photographié critiqué n’a pas pour effet de provoquer le rire, mais aussi en relevant que le but poursuivi par le
montage était non la critique du style de Marcel Pagnol ou un
hommage lui étant rendu, mais la promotion publicitaire d’articles de prêt à porter.32
Plus récemment, le Tribunal de grande instance de Paris a
refusé de faire jouer l’exception de parodie au bénéfice de la société
BNP qui avait repris les dialogues du film « Drôle de Drame » créés
encore une fois par Jacques Prévert dans ses affiches publicitaires.
Selon le Tribunal, cette reproduction constituait non pas une parodie
licite mais
un détournement à des fins publicitaires de l’œuvre en cause, ce
qui ne saurait être assimilé aux lois du genre et que les défenderesses n’ont pas été animées par une seule intention humoristique.33
De toute évidence, ces solutions trouvent leur justification dans
le fait que la liberté d’expression en tant que vecteur d’opinions n’est
plus en jeu ici, si bien que l’exception de parodie n’a plus de raison
d’être. Un arrêt de la Cour d’appel de Versailles semble quelque peu
remettre en question cette position. En l’espèce, il s’agissait d’une
photographie parodiant la célèbre photographie du Che diffusée
dans le journal « À nous Paris ». Bien qu’ayant rejeté l’exception de
parodie au motif
que le seul fait de transformer le visage d’un homme politique
en celui d’un signe, accompagné du slogan Cultural (R) Evolution et d’un pendentif singulier, n’a rien de burlesque et n’a
pas pour but de faire rire, la Cour a jugé que conformément à
la liberté d’expression, l’utilisation d’une illustration dans le
seul but commercial et publicitaire n’exclut pas l’exception de
parodie au titre de l’article L.122-5 4o du Code de la propriété
intellectuelle.34
32. TGI Paris, 1re ch., sect.1, 30 avril 1997, op. cit.
33. TGI Paris, 3e ch. 1re sect., 12 janvier 2000, Bachelot c. BNP et Sté Euro Rscg
France, no 98/1218.
34. CA Paris, 4e ch., B, 13 octobre 2006, Magaud c. Sté A nous Paris, Juris-Data
2006-316456.
598
Les Cahiers de propriété intellectuelle
On doit également se demander si l’intention humoristique est
exclusive de toute exploitation commerciale de la parodie. A priori
non35. En effet, l’auteur de l’œuvre seconde doit pouvoir vivre de son
œuvre qui, on ne doit pas l’oublier, participe de la liberté d’expression. Cela est d’autant plus justifié lorsque le parodiste aura fait
preuve d’un réel effort créatif, ce qui est souvent un critère utilisé par
les juges pour retenir l’intention humoristique. À titre d’exemple, ils
ont relevé, à propos de la parodie de Tarzan, qu’elle présentait
« une individualité nettement marquée »36 ou, à propos de l’ouvrage
« M. Schulz et ses peanuts » consacré à l’analyse des célèbres bandes
dessinées « les Peanuts » (autrement connus sous le nom de Snoopy)
créées par C. M. Schulz, que
il importe peu que certains dessinateurs aient réalisé des personnages parfaitement ressemblants à ceux de Shulz, dès l’instant que le dessinateur a fait preuve d’originalité, apportant à
l’œuvre sa facture personnelle.37
Plus expressément encore, le Tribunal de grande instance de
Paris a jugé que le pastiche « suppos[e] la création d’une œuvre véritablement originale »38. En tout état de cause, la recherche d’un
apport créatif du parodiste permettra au juge de réduire le risque de
légitimer, au nom de la liberté de l’expression, une atteinte au monopole de l’auteur, alors que le parodiste ne cherche qu’à profiter indûment de la notoriété de l’œuvre première et des efforts créatifs qu’elle
a impliqués.
1.2.2 L’absence de risque de confusion : entre emprunt
et distanciation avec l’œuvre parodiée
La seule intention humoristique ne suffit pas à légitimer la
parodie. Il faut encore
qu’elle soit reçu(e) par le public de manière à ce qu’il n’existe
pas de risque de confusion entre les deux œuvres, par la perception immédiate que doit avoir le public de ce que les deux
œuvres en cause sont des œuvres distinctes et qu’il est dès lors
nécessaire [...] que le pastiche conserve par rapport à l’œuvre
35. LUCAS (André), « Droit des auteurs.- Droits patrimoniaux.- Exceptions au droit
exclusif », J.-Cl., Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1248, no 71.
36. TGI Paris, 1re ch., 3 janv. 1978, op. cit.
37. TGI Paris, 1re ch., 19 janv. 1977, op. cit.
38. TGI Paris, 1re ch., sect. 1, 30 avril 1997, op. cit.
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 599
première une individualité suffisamment marquée pour échapper à toute confusion dans l’esprit du public.39
La parodie suppose nécessairement un emprunt à l’œuvre première – à défaut de quoi l’exception de parodie n’aurait pas lieu
d’être. Il doit s’agir d’une « imitation déformante »40, un « travestissement »41 de l’œuvre originale. En même temps, le public doit être en
mesure de comprendre que l’œuvre parodiante n’est pas une simple
reproduction ou adaptation de l’œuvre première. Un équilibre doit
donc être trouvé entre le devoir pour le parodiste de s’approprier des
éléments de l’œuvre première et celui de ne pas s’approprier excessivement l’œuvre première. Là encore le parodiste devra faire preuve
d’un savant dosage. Comment le juge mesure-t-il cette distanciation
nécessaire entre la parodie et l’œuvre première ? Dans l’affaire relative à l’ouvrage « M. Schulz et ses peanuts » précitée, il a constaté
l’existence, dans la parodie, de thématiques « dont l’effet recherché
est le bouleversement des convenances du monde clos cher à
Shulz »42, à savoir en l’espèce le sexe et la violence. Ou encore
s’agissant de la parodie des publicités pour les cigarettes MARLBORO, il a écarté le risque de confusion en raison de l’antinomie qui
existait entre l’œuvre parodiée et l’œuvre parodiante43.
Au vu des précédents développements relatifs à l’intention
humoristique, et notamment eu égard à sa reconnaissance plus aisée
en présence d’exagérations et de déformations, on peut se demander
si la condition de l’absence de risque de confusion ne se confond pas
avec celle-ci. Ce n’est pas le cas. En réalité, si les éléments relevés
par le juge au titre de la caractérisation de l’intention humoristique
sont nécessairement pris en compte pour apprécier l’absence de
confusion, ceux-ci contribuant à la distanciation nécessaire entre
l’œuvre première et l’œuvre seconde, ils ne sont pas suffisants,
comme en témoigne la jurisprudence. En effet, nombreuses sont les
décisions aux termes desquelles l’intention humoristique a été
retenue et l’absence de risque de confusion écartée. Il en est allé ainsi
39. CA Paris, 4e ch., sect. B, 17 janvier 2003, op. cit.
40. TGI Paris, 1re ch., 19 janvier 1977, op. cit.
41. Cass. 1re Civ., 27 mars 1990, Bull. civ. 1990, no 75, Gaz. Pal. 1990, no 278-279,
panorama p. 157, TGI Paris, 13 février 2001, no 00/16766, SNC Prisma Presse c.
Monsieur V., op. cit.
42. TGI Paris 1re ch., 19 janvier 1977, op. cit.
43. CA Versailles, 1re ch., 17 mars 1994, op. cit.
600
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de la parodie de l’ouvrage philosophique « Le Monde de Sophie », les
juges ayant estimé que les
inscriptions fantaisistes [...] n’[étaient] pas suffisamment lisibles pour être vues dans leur fonction comique et que la mention « les Jalons » ne pouvait être associée immédiatement par
l’ensemble du public aux pastiches précédemment réalisés par
cette société44
ou d’un pastiche de la revue « Entrevue » intitulé « Fientrevue ». Dans
cette dernière espèce, si les juges ont reconnu l’intention humoristique, ils ont considéré qu’elle était insuffisante pour liciter la
parodie, l’œuvre parodiée et la parodie ayant le même niveau humoristique. Cet arrêt fut l’occasion pour les juges de rappeler que le fait
que l’œuvre première « soit une publication satirique n’interdit pas
qu’elle soit elle-même parodiée » 45.
Le juge veille à ce que le parodiste ait pris les précautions
nécessaires pour éviter tout risque de confusion dans l’esprit du
public, de manière notamment à écarter tout doute quant à la paternité des œuvres en présence. Ainsi, l’auteur de la parodie doit « faire
clairement comprendre au public qu’il n’est pas en présence de cette
œuvre elle-même (l’œuvre première) ou d’un extrait authentique de
celle-ci »46. Ainsi, l’association « Rassemblement pour la République » qui avait diffusé par voie de presse un placard publicitaire
intitulé « T’as voulu voir Paris, et on a vu Vésoul », premier et second
hémistiches tirés respectivement des quatrième et première strophes de la chanson de Jacques Brel, a été condamnée pour contrefaçon au motif que la phrase incriminée pouvait être perçue par le
public comme un extrait de l’œuvre du chanteur elle-même. En effet,
elle était écrite entre guillemets, sans que ses termes soient séparés
par des points de suspension, et elle était suivie de la mention
« Jacques Brel ». En outre, il convient de relever que l’absence
d’identité de genre entre l’œuvre première et l’œuvre seconde permettra d’écarter plus facilement le risque de confusion. Un autre
moyen efficace pour l’humoriste de paralyser le monopole de l’auteur
sur son œuvre sera de mentionner expressément le caractère humoristique de la parodie. Mais encore faut-il que cette mention soit clairement visible47, voire exagérément visible. C’est ainsi que dans
44.
45.
46.
47.
CA Paris, 4e ch., sect. B, 17 janv. 2003, op. cit.
CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 sept. 2012, op. cit.
Cass. 1re Civ. 27 mars, 1990, op. cit.
CA Paris, 4e ch, sect. B, 17 janv. 2003, op. cit.
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 601
l’affaire du pastiche du magazine « Entrevue », la Cour, aux termes
d’une étude détaillée du pastiche, a considéré qu’il n’existait pas de
risque de confusion, les mentions figurant sur la couverture (« Attention ! Ceci est une grossière contrefaçon signée Jalons » écrite sur
fond rouge, « 3 euros comme le vrai ») ou sur la troisième page de couverture (« Fientrevue une nouvelle parodie signée Jalons », « Toutes
nos conneries sont à vendre sur jalons.fr ») étant « suffisamment
significatives et éloquentes pour que l’acheteur ne se méprenne pas
sur l’origine de cette publication »48. En matière de parodie, la
discrétion n’est donc pas de mise.
Par ailleurs, la question se pose de savoir quel est le public par
rapport auquel le juge doit se placer pour apprécier l’existence du
risque de confusion. Dans le cadre de la parodie de Tarzan, c’est le
public moyen pris dans sa globalité qui a été pris en considération49.
Il en est allé différemment dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris
qui a apprécié l’existence du risque de confusion du point de vue du
public de l’œuvre parodiée, soit en l’espèce le public du journal
« Le Monde », qui selon la Cour est
par définition composé de lecteurs lettrés, supérieurement
avertis de la configuration de la presse écrite en France, qui
savent distinguer entre informations et extravagances, journalisme et divagation [...] au premier coup d’œil jeté sur la première page ou même seulement sur le haut du journal, un tel
public s’avise du pastiche [...],
ce qui l’amène à écarter tout risque de confusion50. Cette référence
aux lecteurs de l’œuvre pastichée est inédite et sans doute peu
appropriée, les lecteurs de l’œuvre pastichée n’étant pas forcément
les lecteurs du pastiche. C’est également faire dépendre la licéité du
pastiche du degré de discernement de ces premiers sans que cela soit
réellement justifié. Autrement dit, plus le public de l’œuvre pastichée
sera averti, plus l’exception de pastiche pourra être admise. Inversement, moins il le sera, moins le pastiche aura de « chances » d’être
caractérisé.
La même Cour, dans le cadre de l’affaire du pastiche du magazine « Entrevue », semble être revenue sur cette position puisqu’elle
48. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 septembre 2012, op. cit.
49. TGI Paris, 1re ch., 3 janv. 1978, D. 1979, p. 99, note Desbois.
50. CA Paris, pôle 5, 1re ch., 25 janv. 2012, SA Editrice du Monde c. Société Messagerie Lyonnaise de presse, Société Sonora Media.
602
Les Cahiers de propriété intellectuelle
a pris en considération l’acheteur du pastiche. En outre, la jurisprudence a précisé que le fait que le public visé par l’œuvre parodiante et
l’œuvre première soit identique est indifférent à la détermination de
l’existence d’un risque de confusion. Ainsi, dans la décision statuant
sur la parodie de Tarzan, les juges ont écarté le risque de confusion
entre les deux œuvres alors même qu’ils avaient relevé
que les publics auxquels elles s’adressent ne sont peut-être pas,
il est vrai, aussi différenciés que l’allèguent les défendeurs [...] ;
qu’en revanche, l’opposition marquée entre les deux œuvres
évite qu’elles puissent être confondues dans l’esprit du public.51
Enfin, l’absence de risque de confusion sera plus facilement
admise lorsque l’emprunt à l’œuvre première sera moindre, ce qui
implique donc de la part de l’auteur de la parodie de faire preuve
d’un effort créatif. Le parodiste ne saurait reproduire l’œuvre parodiée dans son intégralité, ce qui reviendrait en somme à remplacer
l’œuvre première, et à entraîner, par conséquent, une confusion52.
Cela ne signifie pas pour autant que l’emprunt ne pourra pas être
conséquent mais simplement qu’il doit demeurer partiel. Ainsi, il a
été jugé que
la reprise telle quelle sur un site internet de photographies
illustrant des événements dramatiques de l’actualité en y associant des légendes grossières, à l’appréciation de l’auteur de ces
clichés, ne peut bénéficier de l’exception de parodie. En effet, la
reproduction pure et simple des clichés et la légère altération
de leurs contours ne permettent pas d’éviter le risque de confusion entre les deux œuvres, les clichés originaux, présentés
de manière intacte, demeurant chargés de leur sens premier
nonobstant les légendes qui peuvent leur être associées.53
Encore une fois, on perçoit la volonté du juge de ne pas autoriser, au nom de la liberté de l’expression, des atteintes au monopole
de l’auteur injustifiées.
51. TGI Paris, 1re ch., 3 janv. 1978, op. cit.
52. CA Paris, 4e ch., sect. A, 27 novembre 1990, SA Jacobs Suchard France c.
Antenne 2, D. 1991, 5e cahier, IR, p. 35.
53. TGI Paris, 3e ch. 1re sect., 13 février 2002, AFP c. Callot, Légipresse, act. no 196,
nov. 2002, RLDA 200250, Reproduction sur Internet de photographies de l’AFP
constitutive d’un acte de contrefaçon.
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 603
1.2.3 L’absence d’intérêt de nuire ou la réminiscence
des prérogatives de l’auteur
En sus des deux conditions précitées, la parodie ne doit ni dénigrer l’œuvre première ni avoir pour conséquence de lui nuire54.
Il s’agit d’une condition dont l’application peut susciter quelques difficultés d’appréhension. En effet, par principe, le respect dû
à l’œuvre en interdit toute altération ou modification quelle qu’en
soit l’importance. Or, la parodie étant par nature une transformation, un travestissement, une déformation de l’œuvre originelle, elle
a forcément une incidence sur le droit moral de l’auteur. Au regard
de la jurisprudence, les auteurs ou ayants droit « contrariés » tentent
généralement de faire échec à l’exception de parodie en se prévalant
d’une atteinte à l’intégrité de l’œuvre. À cet égard, l’invocation du
caractère obscène de l’œuvre parodiante est courante au sein des
prétoires. Mais, sauf à remettre en question l’exception de parodie,
l’auteur « victime » se voit, en réalité, contraint d’accepter que ses
prérogatives extrapatrimoniales soient quelque peu paralysées en
présence d’une parodie qui respecte les « lois du genre ». Ainsi, dans
l’affaire « Tarzoon/Tarzan », le juge a relevé
que l’accumulation de scènes et propos grossièrement érotiques
est susceptible de blesser la pudeur des spectateurs, il a retenu
que cependant la distance entre les deux œuvres est telle, on
l’a vu, qu’il ne saurait venir à l’esprit de spectateurs offensés
d’attribuer à Burroughs ce qui est le fait de Picha, ni de qualifier désormais de licencieuse l’une quelconque de ses productions, ni encore d’altérer la réputation morale, solidement
établie, de son héros.55
En réalité, le droit moral de l’auteur n’est pas autant sacrifié
qu’on puisse le penser. En effet, la référence aux « lois du genre » permet, dans la plupart des cas, de trouver un juste compromis entre les
intérêts du parodiste et ceux de l’auteur. Ainsi, par exemple, à travers la condition d’absence de risque de confusion entre l’œuvre première et l’œuvre seconde, le droit à la paternité de l’auteur apparaît
préservé ; pour que la parodie soit admise, il faut en effet que le
public de la parodie soit en mesure de déceler le lien de filiation
avec l’œuvre première. La parodie doit être le travestissement d’une
54. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 septembre 2012, op. cit.
55. TGI Paris, 1re ch., 19 janvier 1977, op. cit.
604
Les Cahiers de propriété intellectuelle
œuvre immédiatement identifiée, ce qui impliquera que l’œuvre première ait fait l’objet d’une publicité suffisante pour qu’il en soit
ainsi56. Le fait que le nom de l’auteur de l’œuvre première et la
source de l’œuvre seconde soient mentionnés de façon non équivoque
est donc souvent relevé par le juge pour liciter la parodie. Ce fut
notamment le cas dans l’affaire des « Feuilles Mortes » où l’œuvre
parodiante permettait
l’identification immédiate de l’œuvre parodiée par la reproduction de sa phrase titre « Les feuilles mortes se ramassent à la
pelle » et la mention « d’après Prévert ».57
Mais là encore le parodiste devra trouver le juste milieu puisque dans
certains cas, l’identification expresse de l’auteur de l’œuvre première
peut aussi participer de la caractérisation du risque de confusion. Ce
fut le cas, par exemple, s’agissant de la parodie par l’association
« Rassemblement pour la République » de la chanson de Jacques
Brel58.
Quant à l’œuvre paradiée, dans la mesure où la caricature se
définit comme permettant « de se moquer d’un personnage par
l’intermédiaire de l’œuvre caricaturée dont il est l’auteur », on
ne saurait interdire à l’auteur de la caricature de « se moquer le
cas échéant avec insolence des travers de celui qui est imité »59.
Mais dans une certaine limite toutefois, l’insolence ne signifiant pas
l’insulte. Ainsi, dans l’affaire « Rachmaninov » dans laquelle une
agence de publicité avait réalisé pour le compte d’A2 un panneau
publicitaire représentant une photographie du journaliste Jacques
Chancel, accompagnée de la légende « Avant le Grand Échiquier,
tout le monde croyait que Rachmaninov était une marque de vodka »,
la Cour d’appel de Paris, adoptant les motifs des premiers juges, a
donné raison aux titulaires du droit moral du compositeur au motif
que
l’assertion, selon laquelle le nom de Rachmaninov était avant
l’émission de Jacques Chancel si peu connu qu’il était assimilé
à une marque de Vodka, constitue à l’égard de ce compositeur
de premier plan, dont le nom s’identifie à l’œuvre, une appréciation irrespectueuse et péjorative de nature à porter atteinte à
56.
57.
58.
59.
Cass. 1re Civ., 12 janvier 1988, Ed. Salabert c. Le Luron, Mabille et autres, op. cit.
CA Paris, 11 mai 1993, Société Sebdo c. Editions Enoch, op. cit.
Cass. 1re Civ., 27 mars, 1990, op. cit.
Cass. 1re Civ., 12 janvier 1988, Ed. Salabert c. Le Luron, op. cit.
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 605
sa mémoire, et dont l’excès constitue, malgré son caractère
humoristique, un trouble manifestement illicite.60
Par ailleurs, l’auteur de l’œuvre première pourra invoquer une
atteinte à sa personnalité en agissant sur d’autres fondements tels
que la loi sur la presse de 1881 ou encore la responsabilité civile
délictuelle de droit commun. Ainsi, dans l’affaire des « Feuilles mortes », le juge a invité Charles Trenet à se plaindre d’une éventuelle
« atteinte diffamatoire »61. Mais là encore, comme il sera vu plus bas,
l’auteur de l’œuvre première, sur le terrain des droits de la personnalité, devra lutter contre la liberté d’expression.
Enfin, l’exception de parodie ne peut bénéficier à des œuvres
« qui empruntent les ressorts d’œuvres premières pour s’attribuer le
bénéfice de leur notoriété et vivre ainsi de leur rayonnement »62. En
effet, la parodie licite ne saurait en aucun cas constituer un moyen
détourné de s’accaparer le public de l’œuvre première ou de reproduire substantiellement cette dernière sans procéder au moindre
effort créatif. Pourtant, le risque de parasitisme est grand en la
matière dans la mesure où l’œuvre première est par définition
notoire, à défaut de quoi la parodie ne produirait pas l’effet escompté.
L’existence de cette notoriété est aussi commandée par les « lois du
genre » puisque la parodie doit permettre une identification immédiate de l’œuvre parodiée. Mais, en principe, dès lors que l’intention
humoristique et l’absence de risque de confusion sont bien caractérisées, l’action en parasitisme comme celle en concurrence déloyale
devraient être rejetées. En effet, lorsque les juges apprécient
l’intention humoristique, ils veillent à ce que l’apport du parodiste ne
consiste pas dans une simple adjonction, aux emprunts de l’œuvre
première, de
traits d’humour secondaires, cette adjonction étant dénuée d’effet car elle ne modifie pas la nature d’une entreprise littéraire
construite sur un détournement de notoriété.63
Il en va de même lorsqu’ils apprécient l’absence de risque de
confusion en ce qu’ils veillent à ce que l’œuvre parodiante conserve
une individualité suffisamment marquée vis-à-vis de l’œuvre originale, d’où le traitement de faveur réservé aux exagérations burles60.
61.
62.
63.
CA Paris, 14e ch., sect. B, 27 octobre 1988, Juris-data 1988-026058.
Cass. 1re Civ., 12 janvier 1988, Ed. Salabert c. Le Luron, op. cit.
CA Paris, 18 févr. 2011, op. cit.
CA Paris, pôle 5, 2e ch., 18 février 2011, SAS Arconsil c. Sté de droit belge Moulinsart SA, op. cit.
606
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ques et effets de contrastes évidents. L’existence d’un effort créatif
de la part du parodiste permettra également de légitimer toute commercialisation de la parodie. Ainsi, dans son arrêt relatif à la parodie
du magazine « Entrevue », la Cour d’appel de Paris, en écartant toute
faute sur le fondement de l’action en concurrence déloyale, a admis
que
la liberté d’expression revendiquée [tant par l’auteur de l’œuvre première que par l’auteur de l’œuvre parodiante] lorsqu’il
s’agit de désigner, de moquer ou de ridiculiser les personnes physiques ou morales, objet de leur publication doit pouvoir
également s’appliquer à leur propres activités commerciales
lesquelles n’ont manifestement pas pour unique finalité l’information du lecteur en exploitant la veine humoristique mais a
également pour objet de dégager un profit financier.64
À défaut de telles solutions, l’exception de parodie serait
réduite à néant. D’ailleurs, la Cour d’appel de Paris rappelle que
il est naturel que dans le cadre d’une parodie consistant à imiter un sujet dans le but de le détourner de ses intentions initiales afin de produire un effet comique d’adopter les éléments
caractéristiques du sujet en grossissant les traits.65
Cette solution n’a pas toujours été celle en vigueur. Dans
l’affaire de la parodie « Les aventures de Saint-Tin et de son ami
Lou », les premiers juges avaient accueilli les demandes des ayants
droit d’Hergé fondées sur le parasitisme alors que, préalablement, ils
avaient admis l’exception de parodie, ce qui revenait finalement à
reprendre ce qu’ils avaient donné. Logiquement, ce jugement a été
infirmé par la Cour d’appel de Paris aux termes d’une motivation on
ne peut plus claire sur la question ;
sauf à vider de toute portée l’exception de parodie dont il a été
rappelé qu’elle procédait de la liberté d’expression, les mêmes
reprises que celles stigmatisées au titre de la contrefaçon ne
peuvent pas caractériser un comportement fautif parasitaire.66
64. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 septembre 2012, op. cit.
65. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 septembre 2012, op. cit.
66. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 18 février 2011, SAS Arconsil c. Sté de droit belge Moulinsart SA, op. cit.
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 607
Cette solution avait déjà été rappelée auparavant par la même
Cour dans des termes similaires.67
Un auteur s’est interrogé sur la question de savoir ce qu’il en
aurait été si l’action n’avait été fondée que sur le terrain de la responsabilité délictuelle de droit commun, à l’exclusion de toute action sur
le terrain du droit d’auteur68. Mais on se rend compte qu’à travers
leur appréciation de l’intention humoristique et de l’absence de
risque de confusion, les juges ont conscience des éventuelles dérives
de parasitisme et de concurrence déloyale en la matière. Dès lors, on
peut imaginer que la parodie aurait été admise de la même façon si
l’auteur de l’œuvre première avait agi sur le seul fondement de
l’article 1382 du Code civil.
En tout état de cause la liberté d’expression prendrait immédiatement le relais de l’exception légale pour venir à la rescousse du
« droit » à l’humour sur le fondement de la responsabilité délictuelle
de droit commun. On pourrait, par ailleurs, se demander si la liberté
d’expression ne suffirait pas à elle seule, aujourd’hui, à fonder
l’exception du « droit » à l’humour sur le terrain du droit d’auteur.
Ainsi, dans son arrêt du 18 février 2011 relatif à la parodie de Tintin,
la Cour d’appel de Paris a rappelé expressément que « l’exception de
parodie procède de la liberté d’expression qui a valeur constitutionnelle »69.
2. LE DROIT À HUMOUR ET LES AUTRES DROITS
DE PROPRIÉTÉ INCORPORELLE
La question se pose de savoir si le fait d’avoir cantonné
l’exception de l’article L.122-5 4o du Code de la propriété intellectuelle au droit d’auteur signifie que, dans des droits similaires tels
que le droit des marques ou les droits de la personnalité, l’humour
est banni ou à tout le moins strictement encadré. Il n’en est rien, le
« droit » à l’humour étant parvenu à s’imposer dans ces domaines,
non pas en tant qu’exception, mais tout simplement en tant que
dérivé de la liberté d’expression.
67. CA Paris, pôle 5, 1re ch., 25 janvier 2012, op. cit.
68. C. Caron Comm. com. électr. no 1, janv. 2012, comm.1 sous arrêt CA Paris,
18 février 2011, SAS Arconsil c. Sté de droit belge Moulinsart SA, op. cit.
69. CA Paris, pôle 5, ch. 2, 18 févr. 2011, SAS Arconsil c. Sté de droit belge Moulinsart
SA, op. cit.
608
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.1 L’humour et le droit des marques : un mariage
tardivement célébré
Le droit des marques ne connaît pas d’exceptions légales équivalentes à l’exception de parodie consacrée en droit d’auteur. Hormis
les exceptions des articles L.713-470 et L.713-671 du Code de la propriété intellectuelle, le titulaire d’un droit de propriété sur une
marque est en mesure d’interdire tout usage par un tiers de sa
marque72. Le juge a longtemps été respectueux de ce monopole quasi
absolu, si bien que l’humour était proscrit du droit des marques. Cela
s’explique non par la frilosité du juge – celui-ci n’a jamais hésité à
créer des normes juridiques de sa propre initiative – mais pour une
raison bien déterminée, à savoir la préservation de la valeur patrimoniale que représente la marque pour tous les acteurs économiques. Et admettre la parodie en droit des marques ne pouvait avoir
comme conséquence que de desservir les intérêts de ces acteurs.
C’est ainsi que le Tribunal de grande instance de Paris a pu annuler
la marque « Attention, j’accoste », accompagnée de crocodiles à skis
70. Article L.713-4 CPI : « Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté économique européenne ou dans l’Espace
économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.
Toutefois, faculté reste alors ouverte au propriétaire de s’opposer à tout nouvel
acte de commercialisation s’il justifie de motifs légitimes, tenant notamment à la
modification ou à l’altération, ultérieurement intervenue, de l’état des produits ».
71. Article L.713-6 CPI : « L’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à
l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme :
a) Dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est soit antérieure à l’enregistrement, soit le fait d’un tiers de bonne foi
employant son nom patronymique ;
b) Référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service,
notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée, à condition qu’il n’y ait pas de
confusion dans leur origine.
Toutefois, si cette utilisation porte atteinte à ses droits, le titulaire de l’enregistrement peut demander qu’elle soit limitée ou interdite ».
72. Article L.713-2 CPI : « Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :
a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction
de mots tels que : « formule, façon, système, imitation, genre, méthode », ainsi que
l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux
désignés dans l’enregistrement ;
b) La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée ».
Article L.713-4 CPI : « Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut
en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public :
a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une
marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans
l’enregistrement ;
b) L’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou
services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ».
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 609
se livrant à des ébats sexuels, parodie évidente de la notoire marque
LACOSTE, au motif que
le droit de faire rire de l’œuvre d’autrui par le pastiche ou la
caricature ne peut trouver d’application en ce domaine celui
des marques strictement commercial axé sur la recherche du
profit.73
Puis, la préservation « absolue » des intérêts mercantiles est
devenue moins légitime avec l’évolution de la société. Parallèlement,
la marque, en tant que signe d’identification immédiat des acteurs
sur le marché, est apparue comme un support nécessaire à la liberté
d’expression pour véhiculer notamment des critiques politiques et
sociales à l’encontre de ces derniers (la marque est en fait devenue
victime de son succès). La tentation pour le juge d’introduire l’exception de parodie de l’article L. 122-5. 4o du Code de la propriété intellectuelle au sein de la forteresse du droit des marques s’est alors faite
plus grande. Cela n’était pas sans poser de difficultés. En effet, introduire en droit des marques la notion de « lois du genre » était loin
d’être évident. Comme le relève justement Bernard Edelman, la
condition de l’absence d’intention de nuire « posait un vrai problème :
comment, en effet, pouvait-on caricaturer une marque sans déprécier, pour autant, le produit désigné ? »74. La Cour d’appel de Riom,
dans un arrêt du 15 septembre 1994, considéré comme une « avancée
importante », y est parvenue75. En l’espèce, il s’agissait d’une campagne syndicale destinée à critiquer la politique sociale de
l’entreprise Michelin et qui, pour ce faire, s’était amusée à caricaturer le Bibendum. La Cour a admis la licéité de cette parodie en
démontrant qu’elle ne dévalorisait pas l’entreprise titulaire de la
marque parodiée, sans s’attarder sur l’effet dépréciatif qu’aurait pu
avoir la parodie en cause sur les produits et services de l’entreprise,
et ce non sans un certain humour76. Quelques mois auparavant, la
73. TGI Paris 17 février 1990, inédit, J-CL. Marques-Dessins et modèles, Fasc. 7140 :
Marques.-Créations de forme protégées, no 15.
74. B. EDELMAN, Note sous CA Riom, ch. civ., 15 sept. 1994, Constitue une parodie
de l’emblème de marque l’utilisation de cet emblème par un syndicat dans le cadre
de sa mission, D. 1995, p. 429.
75. CA Paris, ch. civ., 15 sept. 1994, D.1995, 30e cahier, JCP, p. 429.
76. « Loin de dénigrer la marque Michelin, l’affiche la porte au pinacle : « numéro 1
mondial du pneumatique » ; qu’en réalité il s’agit d’un hommage à la marque,
inversement proportionnel à la critique de la politique sociale de l’entreprise ;
qu’un tel hommage se comprend, d’ailleurs de la part des ouvriers qui travaillent
à la réalisation du célèbre pneu et qui en conçoivent une légitime fierté ; que certes, le pin’s ne comporte pas le même hommage ; mais que le texte qu’il
contient [...] est écrit en caractères si petits qu’il faut s’approcher extrêmement
610
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 17 mars 1994 relatif à
la parodie de publicités de la société Marlboro susmentionné, avait
écarté habilement – bien qu’il existait, en l’espèce, une atteinte indirecte à la société Marlboro et à ses produits – l’existence de tout
dénigrement en affirmant que cette notion implique
une démarche dont le but est de discréditer, de décrier ou
de rabaisser et que le choix de l’imagerie familière à la marque Marlboro constitue non un dénigrement de cette marque
mais au contraire l’aveu de ce que ladite marque, à l’intérieur
du phénomène globalement décrié de consommation du tabac,
représente un pôle d’importance majeure justiciable par excellence d’un ciblage médiatique présumé efficace.
Indirectement, la jurisprudence a donc reconnu la possibilité
de caricaturer une marque, alors même que l’information ainsi véhiculée était susceptible de nuire à l’activité économique de son titulaire (contrairement au droit d’auteur, il semblerait que l’humoriste
rencontre moins de difficultés à caricaturer une marque dès lors que
le fond de la caricature a un dessein sérieux). Une autre illustration
jurisprudentielle peut être citée. Il s’agit du litige opposant le président du groupe PSA, Jacques Calvet, à la société Canal + du fait de la
diffusion d’une série de sketches dans le cadre des « Guignols de
l’info ». La Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, a jugé
que
les propos mettant en cause les véhicules de la marque s’inscrivaient dans le cadre d’une émission satirique diffusée par une
entreprise de communication audiovisuelle et ne pouvaient
être dissociés de la caricature faite de M. Calvet, de sorte que
les propos incriminés relevaient de la liberté d’expression sans
créer aucun risque de confusion entre la réalité et l’œuvre satirique.77
Le juge a, par la suite, eu plusieurs occasions de s’exprimer sur
la caricature d’une marque. Ainsi, dans l’affaire où l’association écologique française Greenpeace avait, dans le cadre de sa lutte contre
du porteur pour le lire ; qu’une telle approche est, du moins pour les gens bien élevés (l’immense majorité des Français), si rare qu’il ne reste de ces pin’s qu’une
image, certes ironique mais point dévalorisante, de l’illustre entreprise ».
77. Cass. AP, 12 juillet 2000, Juris-Data 2000-002952, Bull. civ. 2000, AP, 7, p. 10,
D.2001, p. 259, note B. EDELMAN, Vers une reconnaissance de la parodie de
marque.
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 611
le réchauffement climatique, utilisé les marques ESSO et AREVA, la
Cour d’appel de Paris a, dans ses deux arrêts rendus le 26 février
2003, écarté toute contrefaçon, au motif que
le principe à valeur constitutionnelle de la liberté d’expression
implique que, conformément à son objet statutaire, l’association Greenpeace puisse, dans ses écrits ou sur son site internet,
dénoncer sous la forme qu’elle estime appropriée au but poursuivi les atteintes à l’environnement et les risques causés à la
santé humaine de certaines activités industrielles et que, certes, si cette liberté n’est pas absolue, elle ne peut néanmoins
subir que les restrictions rendues nécessaires par la défense
des droits d’autrui.78
La même Cour a réitéré sa position, le 16 novembre 2005, en
réaffirmant dans les mêmes termes son attachement à l’exercice de
la liberté d’expression79. La victoire de la liberté d’expression, et
donc de la parodie, sur le droit des marques a été définitivement
consacrée par la Cour de cassation dans le cadre d’une affaire similaire opposant la société SPCEA à la même association écologiste. En
l’espèce, la Cour d’appel de Paris avait considéré que
la représentation des marques de la société, associées à une
tête de mort et à un poisson au caractère maladif, symboles que
les associations admettaient avoir choisis « pour frapper immédiatement » l’esprit du public sur le danger du nucléaire, en ce
qu’elle associait à la mort les marques A et A Areva déposées
pour divers produits et services, et non seulement le nucléaire,
à la mort, conduisait à penser que tout produit ou service diffusé sous ce sigle était mortel et que les associations Greenpeace avaient, par cette généralisation, abusé du droit à la
liberté d’expression, portant un discrédit sur l’ensemble des
produits et services de la société et avaient ainsi commis des
actes fautifs dont elles devaient réparation.
78. CA Paris, 14e ch., 26 février 2003, SA des participations du Commissariat à
l’énergie atomique c. Association Greenpeace, Juris-Data 2003-202550, D.2003,
27, cahier bleu, 1831, CA Paris, 14e ch., sect. A, 26 février 2003, Association
Greenpeace c. Sté Esso, Juris-data 2003-202549, D. 2003, 27, cahier bleu, 1831,
Note B. EDELMAN, Droit des marques et liberté d’expression, D. 2003, p. 1831.
79. CA Paris, ch. 4, sect. 1, 16 novembre 2005, Sté Esso c. Association Greenpeace
France, Juris-Data 2005-288792.
612
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La Cour de cassation a considéré qu’en statuant ainsi, alors que
ces associations agissant conformément à leur objet, dans un
but d’intérêt général et de santé publique par des moyens proportionnés à cette fin, n’avaient pas abusé de leur droit de libre
expression,
les juges de première instance avaient violé l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme80. Nul besoin donc de recourir
ici au raisonnement propre à la parodie en droit d’auteur. L’invocation de la liberté d’expression suffit à elle seule. On notera que ces
affaires ont également été l’occasion de s’apercevoir qu’il existait, au
sein même du droit des marques, une limite naturelle à ce que le titulaire d’une marque puisse s’opposer à de tels usages. En effet, en raisonnant avec les principes propres au droit des marques, le monopole
du titulaire sur sa marque n’a pas lieu d’être dans de telles hypothèses, faute d’un usage par ces associations de sa marque dans la vie des
affaires.
On doit dès lors se demander si la liberté d’expression peut être
brandie de la même manière lorsque la protection de l’intérêt général, qui n’est sûrement pas étrangère aux solutions susmentionnées,
fait défaut. Le « droit » à l’humour ciblant une marque peut-il être
admis dans la vie des affaires sans servir une cause politique ou
sociale ? Dans cette hypothèse, existe-t-il en droit des marques un
« droit » à l’humour calqué sur l’exception de parodie du droit
d’auteur ? Il apparaît, au regard de la jurisprudence, que la caricature d’une marque peut pareillement être permise si elle poursuit
une intention humoristique, si elle n’induit pas de risque de confusion avec le signe original et si elle est dénuée de toute intention de
nuire81.
Toutefois, le juge semble avoir redéfini quelque peu la notion de
« lois du genre » en droit des marques en proscrivant toute exploitation mercantile de la parodie de marque82. Ainsi, une société qui
commercialisait des t-shirts avec la mention « Monsieur Propre »
80. Cass. Civ. 1re, 8 avril 2008, Association Greenpeace France c. Société des participations du Commissariat à l’énergie atomique (SPCEA), JurisData 2008-043507,
Bull. Civ. 2008, I no 104.
81. CA Paris, 4e ch., sect. A, 20 mai 1992, Gaz. Pal. 1994, 2, Somm. P.596, CA Paris,
4e ch., B., 25 octobre 1990, Dezandre c. SNPC, D. 1991, IR p. 18, sur la reproduction du losange – déposé comme marque par le journal Libération – sur la
pochette de disque d’un groupe.
82. BAUD (Emmanuel) et al., La parodie de marques : vers une érosion du caractère
absolu des signes distinctifs ?, D. 1998, chr. P. 227-232.
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 613
accompagnée de la figure du célèbre personnage publicitaire et de
mentions parodiques, a été condamnée pour contrefaçon de marques
au motif qu’elle avait usé de la caricature ou de la parodie pour profiter de la renommée de marques déposées et réussir une opération
commerciale83.
Cette solution peut surprendre en ce que, parallèlement, la
juridiction a admis l’exception de parodie sur le terrain des droits
d’auteur en soulignant particulièrement le dessein humoristique
de la caricature litigieuse. L’exploitation d’une marque parodiée à
des fins commerciales serait donc sanctionnée sur le terrain de la
contrefaçon.
Comme le rappelle un auteur, il est normal que les conditions
de licéité de la parodie donnent lieu à une appréciation plus rigoureuse, la marque étant un signe distinctif permettant de garantir la
provenance de produits auprès du consommateur84. Cependant, on
peut se demander si cette solution se justifie lorsque l’humoriste
n’est pas un concurrent du titulaire de la marque, d’autant plus que
le titulaire d’une marque enregistrée n’est désormais plus habilité à
interdire l’usage, par un concurrent, d’un signe identique ou similaire à sa marque, dans le cadre d’une publicité comparative qui
satisfait à toutes les conditions de licéité85. Comme le soulignent des
auteurs, il [est]
fondamental de distinguer, pour apprécier la licéité de la parodie de marque, selon que celle-ci sert à faire vendre une autre
marque – ou au contraire à ne pas faire acheter la marque
parodiée – ou qu’elle sert, gratuitement, à procurer un effet
comique largement entendu, étranger à toute considération
purement commerciale.86
Mais la jurisprudence semble aujourd’hui adopter une vision
plus libertaire, comme en témoigne l’arrêt de la Cour d’appel de
Paris en date du 25 janvier 201287. En l’espèce, la société éditrice du
83.
84.
85.
86.
CA Paris, 9 sept. 1998, aff. Monsieur-Propre, D. affaires 1998, p. 1960.
Ch. Caron, Comm. com. électr. 2000, comm. 88.
CJCE, 12 juin 2008, aff. C-533/06, O2 Holdings Ltd. c. Hutchison 3G UK Ltd.
BAUD (Emmanuel) et al., La parodie de marque : vers une érosion du caractère
absolu des signes distinctifs ?, D. 1998, p. 227.
87. CA Paris, pôle 5, 1re ch., 25 janvier 2012, SA Editrice du Monde c. Société Messagerie Lyonnaise de presse, Société Sonora Media, op. cit.
614
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Monde soutenait que le titre du journal parodique « Le Monte » constituait une imitation de sa marque LE MONDE. Tous les éléments
étaient réunis pour que l’action en contrefaçon soit accueillie sur le
terrain du droit des marques. En effet, l’usage litigieux constituait
bien un usage de marque dans la vie des affaires. Par ailleurs,
comme l’a relevé la Cour elle-même, la marque revendiquée était
notoire, et le titre contesté « Le Monte » imitait bien la marque
LE MONDE en ce qu’il la reproduisait « dans tous ses éléments
caractéristiques et que la similitude visuelle et auditive ne [pouvait]
être sérieusement discutée ». Enfin, les produits désignés relevaient
tous deux des produits de l’imprimerie. En dépit de ces constatations, la Cour, après avoir rappelé que l’exception de parodie n’a pas
vocation à s’appliquer en matière de contrefaçon de marques, a considéré que les motifs développés au sujet de la contrefaçon de droit
d’auteur conservaient toute leur pertinence dans l’appréciation du
risque de confusion envisagé dans le cadre de la comparaison des
marques. Afin de conférer davantage de légitimité à sa solution, la
Cour a par ailleurs pris soin de dire que
le tribunal a opportunément rappelé la primauté du principe de
liberté d’expression sur celui de la protection des marques, d’où
il résulte que l’interdiction de publier le titre « Le Monte » pour
protéger la société Editrice du Monde d’une atteinte prétendue
à sa marque semi-figurative Le Monde constituerait, au regard
du principe supérieur de la liberté de presse, une mesure disproportionnée à son objet.
Au regard de cette décision affirmant de manière péremptoire
la liberté d’expression, le « droit » à l’humour ressort victorieux de
son affrontement avec le droit des marques.
2.2 La parodie et les droits de la personnalité
La notion de vie privée dont l’article 9 du Code civil impose le
respect comprend l’ensemble des éléments se rapportant à l’identité
d’une personne. Ce fondement permet à toute personne victime
d’une atteinte à un attribut de sa personnalité de s’opposer à son
usage. À l’instar du droit des marques, la question de transposer
l’exception de parodie du droit d’auteur au domaine des droits de la
personnalité s’est posée avec la même acuité. Là encore, l’application
des « lois du genre » n’était pas sans poser de difficultés, particulièrement s’agissant de la condition de l’absence de toute intention de
nuire. En effet, la caricature ou la satire d’une personne va, par
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 615
nature, accentuer ou révéler certains aspects déplaisants, voire ridicules, de sa personnalité si bien que cette condition
perd toute sa valeur lorsqu’[elle] est appliquée à la satire. La
volonté de faire rire l’opinion des travers d’autrui n’est pas la
preuve d’une intention bienveillante... Si l’on ne veut pas condamner le genre humoristique dans son ensemble ou l’édulcorer abusivement, il faut admettre que la dérision n’est pas en
soi illicite88. À tout le moins, comme le rappelle un auteur, il
semble nécessaire de repousser les limites de l’intention de
nuire afin de laisser place à l’humour parfois grinçant. La
moquerie, si elle devient méchanceté, pourra être admise si
l’intention de provoquer le rire est manifeste.89
Pendant un temps, la jurisprudence s’est montrée réticente à
l’insertion d’une exception de caricature en droit à l’image. Ainsi, le
Tribunal de grande instance de Nancy, à propos d’un jeu de cartes
caricaturant Valéry Giscard D’Estaing dans le rôle de grands personnages de l’histoire, a décidé dans son ordonnance de référé que
toute liberté dans la création artistique trouve sa limite dans le
droit que chaque personne a sur son image, droit qui deviendrait pratiquement illusoire s’il pouvait être impunément violé
au nom de la liberté d’expression.90
À la différence du droit d’auteur, cette solution se justifierait
par le fait que l’exception de parodie en matière de droits de la personnalité aurait une incidence directe sur les droits extrapatrimoniaux. Ce constat doit être nuancé puisque, très souvent, la « parodie
[d’une œuvre] vise à plaisanter l’auteur, par l’intermédiaire de son
œuvre »91. Cela correspond d’ailleurs à la théorie personnaliste du
droit d’auteur selon laquelle l’œuvre est protégée parce qu’elle cons88. P. AUVRET, note sous TGI Paris, 17 juin 1987, JCP 1988.II.20957.
89. FIECHTER-BOULVARD (Frédérique), La caricature : dualité ou unité, RTD Civ.
1997 p. 67, l’auteur défend l’unité du régime que la caricature porte sur une personne ou qu’elle porte sur une œuvre de l’esprit tout en admettant que « l’appréciation est certes plus délicate en matière de droit à l’image en raison de l’objet de
la caricature, mais cette difficulté ne doit pas aboutir à une distinction ».
90. TGI Nancy, 15 oct. 1976, JCP 1977, II.18526, obs. R. Lindon, JurisData 1976760557.
91. GAUTIER (Pierre-Yves), note sous 1re Civ, 12 janv. 1988, D. 1989. 1, no 3 ; Voir la
définition que donne C. Colombet à la parodie, le pastiche et la caricature, Propriété littéraire et artistique et droits voisins, 6e éd. (Paris : Dalloz, 1992), no 233 :
« ces trois genres ont pour but de faire sourire ou rire le public au détriment d’un
auteur en tournant en dérision son œuvre ».
616
Les Cahiers de propriété intellectuelle
titue l’émanation de son auteur. Cette solution absolutiste reviendrait donc à reprendre d’une main ce que l’on a octroyé de l’autre
dans le cas où la parodie a été acceptée sur le terrain du droit
d’auteur. C’est ainsi que, logiquement, dans sa décision relative à la
chanson « Douces Transes », parodie de la chanson de Charles Trenet
« Douce France » se moquant de ce dernier, la Cour de cassation a
expressément admis que l’on puisse se moquer d’une personne au
motif que
l’article 41-4o de la loi du 11 mars 1957 autorise notamment la
parodie et la caricature ; qu’il est dans les lois du genre de la
première, qui se distingue en cela du pastiche, de permettre
l’identification immédiate de l’œuvre parodiée, et dans celles de
la seconde de se moquer d’un personnage par l’intermédiaire de
l’œuvre caricaturée dont il est l’auteur ; qu’il ne saurait dès lors
être interdit au chansonnier-imitateur qui prend la voix de
l’auteur-interprète d’une chanson et se livre en même temps à
une parodie et à une caricature, de reproduire la musique originale de sorte que l’œuvre parodiée est immédiatement identifiée tandis que le travestissement des seules paroles suffit à
réaliser celui de cette œuvre prise dans son ensemble et à empêcher toute confusion, ni de se moquer le cas échéant avec insolence des travers de celui qui est imité.92
En réalité, au regard du droit positif nul doute que l’exception
au bénéfice de l’humour existe en matière des droits de la personnalité. Ainsi, le Tribunal de grande instance de Paris a jugé que
la caricature, manifestation, de la liberté de la critique, autorise un auteur à forcer les traits et à altérer la personnalité de
celui qu’elle représente, à condition de ne pas dépasser le genre
satirique, la tolérance accordée à la satire et à la critique
devant demeurer toutefois dans certaines limites.93
Il a également été jugé que la dénaturation, à partir d’un photomontage des traits d’un personnage public et notamment d’un comédien célèbre, dans un but humoristique devait être tolérée94. En
l’espèce, il s’agissait d’une photographie en double page du magazine « Elle » représentant Gérard Depardieu grimé en « Cyrano de
92. Cass. 1re Civ., 12 janv.1988, Ed. Salabert c. Le Luron, op. cit.
93. TGI Paris, 17 sept. 1984, D 1985 somm. 14, obs R. Lindon ; confirmé en appel, CA
Paris, 4e ch., 22 nov. 1984, TF1 c. Le Pen, D. 1985, somm. 165, obs. R. Lindon.
94. CA Versailles, 31 janv. 1991, Sté Edi 7 c. Belmondo, Gaz. Pal., 14-18 août 1992,
p. 18, note P. Frémond.
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 617
Bergerac » face à un photomontage de Jean-Paul Belmondo dans le
même rôle, le premier saisissant le second par le col, l’image ayant
pour objet d’illustrer l’annonce de la reprise de la pièce d’Edmond
Rostand. La caricature constitue une tolérance traditionnellement
admise à l’égard de ceux dont la profession ou l’activité permet de
présumer de leur part une autorisation tacite de l’utilisation de leur
image.
Si les conflits entre la liberté d’expression et les droits de la personnalité se sont surtout manifestés en matière de vie privée et
d’image, cela ne signifie pas que les autres droits de la personnalité
s’appliquent plus rigoureusement, au sens où ils souffriraient de
moins d’exceptions. Ainsi, s’agissant du droit que chacun a sur son
nom, il a également été reconnu un droit à l’utilisation humoristique
du nom d’autrui, dès l’instant que cette utilisation ne provoque
aucun risque de confusion. Les consorts Bidochon ont ainsi été
déboutés de leur action contre l’auteur de la bande dessinée mettant
en scène le couple formé par Raymonde et Robert Bidochon, dans le
cadre d’une série d’albums ayant pour titre « Les Bidochon », en
l’absence de confusion95.
Les limites du « droit » à l’humour vont se trouver dans le droit
commun de la responsabilité civile délictuelle et dans la loi sur la
liberté de la presse de 1881, avec le dénigrement, l’outrage, l’injure
ou encore la diffamation. Mais à l’instar des actes de concurrence
déloyale et des agissements parasitaires qui pourraient être invoqués en matière de droit des marques et de droit d’auteur par la « victime », la caractérisation de ces fautes sera appréciée plus
strictement par le juge. D’autant plus qu’en la matière, les personnes
caricaturées sont généralement des personnalités dotées d’une forte
notoriété publique qui, par définition, doivent accepter que leur droit
à l’image soit quelque peu relativisé. C’est pourquoi, au regard de la
jurisprudence, le dénigrement ou encore l’outrage ne semblent être
admis que lorsque l’acte est vraiment délibéré. A titre d’exemple, on
peut citer l’affaire « Pencassine » relative à la caricature, dans le
cadre de l’émission « Bébête Show », de Jean-Marie Le Pen représenté sous les traits d’une poupée coiffée d’un casque. En l’espèce, il a
été jugé que
l’amalgame fait de l’image traditionnelle d’un ennemi du peuple français et de l’image d’un représentant élu de ce même
peuple [...] n’est pas à l’évidence une caricature, déformation
95. CA Paris, 30 oct. 1998, D. aff. 1999, p. 165.
618
Les Cahiers de propriété intellectuelle
grotesque et outrée, mais licite de certains traits ridicules ou
déplaisants d’un individu, mais bien d’un outrage délibéré.96
Le « droit » à l’humour trouve une ultime restriction face à la
nécessité de respecter la dignité humaine, comme en atteste la
célèbre affaire de la poupée vaudou représentant les traits de Nicolas
Sarkozy vendue avec un sachet d’aiguilles97. Dans cette affaire, la
Haute Juridiction a en effet retenu une atteinte à la dignité en rappelant que
si la caricature et la satire, même délibérément provocantes ou
grossières, participent de la liberté d’expression et de la communication des opinions [...] ces deux droits doivent se concilier
et que si l’action politique doit nécessairement autoriser une
large critique sous toutes ses formes y compris la dérision et le
sarcasme et autoriser une encore plus grande liberté d’expression, il n’en demeure pas moins une limite, toute personne,
quelles que soient ses fonctions, ayant droit à la protection des
atteintes à la dignité de sa personne.
Enfin, comme en droit d’auteur et surtout comme en droit des
marques, le régime tolérant applicable aux caricatures ne doit pas
bénéficier à ceux qui prétendent utiliser la parodie à des fins exclusivement mercantiles. La reproduction de la caricature ne serait licite
que pour assurer le respect de la liberté d’expression, ce qui
n’impliquerait pas le droit de la commercialiser. Ainsi, dans l’affaire
de caricatures à l’effigie de Christophe Dechavanne mises en vente
sous la forme d’épinglettes, si la Cour d’appel a admis que le « droit à
la caricature » peut s’exercer quel que soit le support utilisé et impliquait le droit de la commercialiser, la Cour de cassation semble avoir
décidé du contraire en rappelant que « la reproduction caricaturale
n’est licite, selon les lois du genre, que pour assurer le plein exercice
de la liberté d’expression »98. La doctrine a pu déduire de cette décision « sibylline » que l’exploitation commerciale de la caricature
serait exclusive de l’exception de caricature. Un auteur propose une
distinction en la matière. Selon lui,
96. TGI Paris, 17 sept. 1984, op. cit.
97. CA Paris, 14e, ch., sect. B, 28 nov. 2008, RLDI 2008/44 no 1458, Juris-Data
2008-003581.
98. Cass. 1re Civ. 13 janv. 1998 RIDA 3/1998, p. 201, obs. Kéréver ; D. 1999, p. 120,
note Ravanas, somm. P.167, obs. Bigot, RTD Civ ; 1998, p. 341, note J. H.
HAUSER, Caricature et personnalité : fallait-il épingler les épinglettes ?
Droit à l’humour à l’aune du droit de la propriété intellectuelle 619
la caricature peut être vendue et bénéficier des tolérances
exceptionnelles décrites si la cause de la vente est l’apport du
caricaturiste [...] Si, au contraire, l’élément caricatural passe
au second plan et que l’achat se fait parce que c’est l’image de X.
ou d’Y l’exception ne se justifie plus car la liberté d’expression
n’est plus en cause.99
Et, comme le souligne Grégoire Loiseau, « en pratique la dérive marchande s’appréciera le plus souvent au regard du support de la caricature »100. C’est ce qu’a fait le Tribunal de grande instance de Nancy
relativement au jeu de cartes dont les figures caricaturaient Valéry
Giscard d’Estaing et dont il a ordonné la mise sous séquestre101. Dans
cette affaire, l’Avocat général avait d’ailleurs estimé que « la caricature des personnes notoires ne peut être réalisée et divulguée à une
fin publicitaire car elle est alors détournée de sa fin »102. Dans ce cas,
il ne s’agirait plus de sauvegarder la liberté d’expression.
CONCLUSION
Le constat est clair. Les juges ont réussi à faire prévaloir un
« droit » à l’humour aux contours larges, s’appuyant en cas de besoin
sur les textes fondamentaux et spécialement l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme et ce, aussi bien en droit
d’auteur qu’en droit des marques et dans le domaine des droits de la
personnalité. Cette cohérence était nécessaire tant ces différents
droits se recoupent entre eux. À défaut, l’exception légale de parodie
serait vidée de sa substance si la « victime » pouvait, une fois la
parodie admise en droit d’auteur par exemple, la remettre en question sur le terrain du droit des marques ou sur celui des droits de la
personnalité. Certes, la « victime » des traits humoristiques peut toujours recourir au droit commun de la responsabilité délictuelle, mais
les juges ont aujourd’hui une conception très extensive de la liberté
d’expression laissant ainsi de beaux jours au rire.
99.
100.
101.
102.
HAUSER (Jean H.), « Caricature et personnalité : fallait-il épingler les épinglettes ? », RTD Civ. 1998, p. 341.
LOISEAU (Grégoire), « Le droit à l’image et la caricature à l’épreuve du marché », JCP éd. G. 1998, II, no 10082.
Le Tribunal de grande instance de Nancy a jugé qu’un jeu de cartes ne pouvait
être un véhicule porteur de l’expression, op. cit.
L’avocat général Lindon à propos de TGI Nancy, 15 oct. 1976, op. cit.
Vol. 25, no 2
Pourquoi enregistrer vos
marques de commerce ?
Laurent Carrière*
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 625
1. AVANTAGES DÉCOULANT DE L’ENREGISTREMENT
LUI-MÊME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 625
1.1 Une protection de plus grande portée . . . . . . . . . 625
1.2 Marquage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 626
1.3 Date d’adoption présumée . . . . . . . . . . . . . . . 626
1.4 Enregistrement incontestable . . . . . . . . . . . . . 627
1.5 Pérennité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 627
2. AVANTAGES PAR CRÉATION DE
PRÉSOMPTIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 628
2.1 Présomptions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 628
2.2 Fardeau de preuve. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 628
2.3 Présomption d’emploi . . . . . . . . . . . . . . . . . . 629
© CIPS, 2013.
* Avocat et agent de marque de commerce, associé principal de ROBIC, S.E.N.C.R.L.,
un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de
commerce. Notes pour une présentation donnée à Montréal le 2012-11-13 (soit à la
Saint-Brice, patron des juges et journée internationale de la gentillesse) et à
Québec le 2013-02-26 (soit à la Saint-Nestor et journée de la pistache) sur le thème
« La marque de commerce au cœur de votre stratégie d’entreprise ».
621
622
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3. AVANTAGES EN CAS DE LITIGES . . . . . . . . . . . . 629
3.1 Pluralité de violations . . . . . . . . . . . . . . . . . . 629
3.2 Choix du tribunal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 630
3.3 Motif d’opposition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 631
3.4 Dénomination corporative . . . . . . . . . . . . . . . 631
4. AVANTAGES RELIÉS À LA LUTTE ANTICONTREFAÇON . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 632
4.1 Détention intérimaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . 632
4.2 Appui à enquête policière . . . . . . . . . . . . . . . . 632
5. AVANTAGES POUR LES DÉPÔTS À L’ÉTRANGER . . . 632
5.1 Fondement d’un enregistrement à l’étranger . . . . . 632
5.2 Date de priorité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 633
5.3 Garantie demandée par fournisseur . . . . . . . . . . 633
6. AVANTAGES POUR CONTRER L’ADOPTION
DE MARQUES CONFLICTUELLES . . . . . . . . . . . . 633
6.1 Mise en garde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 633
6.2 Dissuasion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 633
6.3 Tamisage des demandes conflictuelles . . . . . . . . . 634
6.4 Primer l’emploi d’un tiers . . . . . . . . . . . . . . . . 634
6.5 Bouclier des procédures en violation . . . . . . . . . . 634
6.6 Marque interdite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 635
7. AVANTAGES SE RAPPORTANT AUX NOMS
DE DOMAINE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 635
7.1 Obligation de résidence . . . . . . . . . . . . . . . . . 635
Pourquoi enregistrer vos marques de commerce ?
623
7.2 Enquêtes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 636
7.3 Arbitrage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 636
7.4 Litige . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 636
7.5 Nouveaux domaines de tête. . . . . . . . . . . . . . . 636
8. AUTRES AVANTAGES – MISCELLANÉES . . . . . . . . 637
8.1 Charte de la langue française. . . . . . . . . . . . . . 637
8.2 Dispositions statutaires . . . . . . . . . . . . . . . . . 637
8.3 Monétisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 638
9. VARIATION SUR LE THÈME « POURQUOI
ENREGISTRER SA MARQUE À L’ÉTRANGER ? » . . . . 639
9.1 Droits au premier déposant . . . . . . . . . . . . . . . 639
9.2 Relations d’affaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 639
9.3 Exploitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 640
9.4 Domaine national de premier niveau . . . . . . . . . 640
9.5 Litige . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 640
9.6 Inscription auprès des autorités douanières . . . . . . 640
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 640
Q. Is that compulsory?
A. No, they are registered for their own protection.
– Témoignage de George F. Halloran, sous-ministre
de l’Agriculture, Royal Commission on the Civil Service (Document parlementaire no 29a, 6 juin 1907)
INTRODUCTION
Pourquoi enregistrer ses marques ? « Parce que c’est la chose à
faire » serait sans doute une explication un peu courte1 !
Développons.
L’enregistrement2 d’une marque de commerce se traduit par
une pléiade d’avantages que n’offre pas le droit commun qui, lui,
n’est fondé que sur l’emploi. Voici, en neuf points3, les avantages de
l’enregistrement, au Canada mais aussi ailleurs.
1. AVANTAGES DÉCOULANT DE L’ENREGISTREMENT
LUI-MÊME
1.1 Une protection de plus grande portée
Ø L’enregistrement confère le droit exclusif d’utiliser la marque
de commerce partout au Canada4 même si cette marque n’est
employée que dans une région spécifique du pays5.
1. Et certains, malins, pourraient être même effleurés par la pensée que, vu sa pratique, l’auteur prêche pour sa paroisse...
2. L’article 2 de la Loi sur les marques de commerce (L.R.C. (1985), ch. T-13 ; aux présentes la « LMC ») fait référence à une « marque de commerce déposée » comme une
marque de commerce qui se trouve au registre. Souvent on parle du dépôt d’une
demande d’enregistrement, ce qui peut manquer de clarté et c’est pourquoi, pour
éviter l’équivoque, il sera ici fait référence à une marque de commerce enregistrée
plutôt que déposée. Le projet de loi C-56 Loi visant à combattre la contrefaçon de
produits uniformise la référence au terme « emploi » plutôt qu’« utilisation » et
« produits » plutôt que « marchandises » mais ne traite pas de cet aspect
déposée/enregistrée.
3. La division est, bien sûr, artificielle et il y a certes d’autres façons de décliner
l’utilité de l’inscription.
4. Art. 19 LMC.
5. Bonus Foods Ltd. c. Essex Packers Ltd., 43 C.P.R. 165 (C. d’É. ; 1964-11-18), le juge
Cattanach, aux pages 182-183 ; Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011
625
626
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Ø Une marque de commerce non enregistrée, elle, ne donnera naissance à des droits que dans la région où elle a acquis un achalandage par des activités commerciales suffisantes6.
1.2 Marquage
Ø Au Canada, il n’y a pas d’obligation statutaire de marquage7.
Ø Lorsqu’une marque de commerce est enregistrée, son propriétaire
peut apposer à proximité de celle-ci le symbole ®8 afin de mettre
en garde les tiers contre une usurpation de ses droits.
Ø « Propriété privée – Entrée interdite »9 !
1.3 Date d’adoption présumée
Une fois enregistrée, la marque de commerce est réputée avoir
été adoptée au Canada à la date de dépôt de la demande et ce, même
si son utilisation réelle et effective au Canada débute après cette
date10.
CSC 27 (C.S.C. ; 2011-05-26), le juge Rothstein, au paragraphe 25 « Le régime
canadien en matière de marques de commerce a une portée nationale. En effet, à
moins que sa marque ne soit jugée invalide, le propriétaire d’une marque de commerce déposée a le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce
qui concerne les marchandises ou les services auxquels elle se rapporte ».
6. Les trois éléments nécessaires à une action en passing-off sont donc : l’existence
d’un achalandage, la déception du public due à la représentation trompeuse et
des dommages actuels ou possibles pour le demandeur. Ciba-Geigy Canada Ltd.
c. Apotex Inc., 1992 CanLII 33 (C.S.C. ; 1992-10-29), le juge Gonthier.
7. Voir, entre autres, Stikeman Elliott c. Boulangerie Au Pain Doré Ltée, 2007
CanLII 80970 (Registraire ; 2007-11-06), J. Carrière, au paragraphe 10 « Quant à
l’absence des symboles « ® » ou « [TM] » sur les bannières, la loi ne comporte
aucune obligation quant à la présence de l’un ou de l’autre de ces symboles à
proximité de la marque déposée. ».
8. Qui se rend par l’unicode U+00AE, ce qui est bien plus simple que de prendre le
trou de sa règle à mesurer pour encercler la dix-huitième lettre de l’alphabet latin
ou la cinquième du premier mot de la pièce Ubu Roi (1886) d’Alfred Jarry, acte I,
scène I.
9. Ou plutôt « Trademark ! Private Property ! Off Limits et pas touche » de dire
Bring M. Backalive dans BATEM (Luc Collin, dit) et al., La queue du Marsupilami (Monaco, Marsu Productions, 1987), à la page 7, case 8.
10. Art. 3 LMC. Une marque est aussi réputée avoir été adoptée par une personne
lorsque celle-ci a commencé à l’employer au Canada mais les droits du propriétaire sont alors fondés sur le droit commun. Voir Chalet Bar-B-Q Canada Inc. c.
Foodcorp Ltd., 66 C.P.R. (2d) 56 (F.C.A. ; 1982-08-02), le juge Thurlow ; Culinar
Inc. c. Gestion Charaine Inc., 19 C.P.R. (3d) 54 (C.F.P.I. ; 1987-07-20), le juge
Denault.
Pourquoi enregistrer vos marques de commerce ?
627
1.4 Enregistrement incontestable
Ø Cinq ans après la date d’enregistrement d’une marque de commerce, cet enregistrement devient, au Canada, incontestable,
c’est-à-dire que la radiation ne peut plus en être demandée du fait
d’une utilisation antérieure d’une marque ou d’un nom créant de
la confusion11.
Ø Cet argument d’incontestabilité est précieux car personne ne peut
jamais être vraiment certain qu’une marque ou un nom commercial semblable à sa marque n’est pas employé « quelque part » au
Canada12.
1.5 Pérennité
Ø Les droits à la marque s’acquièrent et se maintiennent de par
l’emploi13. Une marque non enregistrée qui n’est plus employée
n’est plus protégée et peut être reprise par un tiers. Lorsque la
marque est enregistrée, même si elle n’est plus employée, un tiers
ne peut l’adopter tant que l’enregistrement est en vigueur.
Ø L’enregistrement d’une marque de commerce procure donc une
protection à long terme, quasi perpétuelle, puisque cet enregistrement peut être renouvelé14 de quinze ans en quinze ans, sans
même avoir à prouver emploi15.
11. Art. 17 LMC. C’est-à-dire qu’aucune personne ne peut en demander la radiation
du fait que cette autre personne aurait antérieurement employé ou révélé une
marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion avec la
marque enregistrée (à moins, bien sûr, que le propriétaire de la marque enregistrée ait eu connaissance de cet emploi ou révélation antérieur lors de l’adoption de sa propre marque).
12. Voir la situation dans Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27
(C.S.C. ; 2011-05-26) ou Suzanne’s Inc. c. Auld Phillips Ltd., 2005 CAF 429
(C.A.F. ; 2005-12-12).
13. HomeAway.com Inc. c. Hrdlicka, 2012 CF 1467 (C.F. ; 2012-12-12) le juge
Hughes, au paragraphe 11.
14. « L’enregistrement de marques de commerce et ses renouvellements sont la
preuve d’une intention de ne pas abandonner la marque. » : Cross-Canada Auto
Body Supply (Windsor) Ltd. c. Hyundai Auto Canada, 2007 CF 580 (C.F. ;
2007-04-24), la juge Tremblay-Lamer, au paragraphe 49 [conf. 2008 CAF 98
(C.A.F. ; 2008-03-11), requête pour permission d’en appeler à la Cour suprême du
Canada refusée 2008 CanLII 46989 (C.S.C. ; 2008-09-18)] ; voir aussi Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., 17 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F. ; 1987-09-29) le juge
MacGuigan, au, paragraphe 31.
15. Synergism Arithmetically Compounded Inc. c. Parkwood Hills Foodland Inc.,
2000 CanLII 22781 (C.S. Ont. ; 2000-08-23), le juge Métivier, au paragraphe 75
demeure toutefois à l’effet que « Failure to renew registration cannot be regarded
as abandonment of the trademark, as long as use is maintained ».
628
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2. AVANTAGES PAR CRÉATIONS DE PRÉSOMPTIONS
2.1 Présomptions
Une copie de l’inscription de l’enregistrement de la marque de
commerce, certifiée par le registraire, est une preuve des faits qui y
sont énoncés, notamment que la personne qui y est nommée est le
propriétaire de cette marque16. Elle crée :
Ø une présomption de validité17 ;
Ø une présomption de propriété18 ;
Ø une présomption d’emploi ;
Ø une preuve par elle-même des faits énoncés à l’enregistrement,
sans affidavit19.
2.2 Fardeau de preuve
Ø L’enregistrement est présumé valide20.
16. Art. 54 LMC.
17. Syntex Inc. c. Apotex Inc., 26 C.P.R. (3d) 481 (C.F.P.I. ;1989-06-21), le juge
McKay, à la page 499 [infirmé sur d’autres points 36 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F. ;
1991-05-08)].
18. Andrés Wines Ltd. c. Vina Concha Y Toro S.A., (C.F.P.I. ; 2001-06-01), le juge
Deneault, au paragraphe 8 : « Il est bien connu en droit que l’enregistrement
d’une marque de commerce confère certains droits et avantages à son propriétaire, et notamment qu’il constitue la preuve prima facie des droits afférents à la
marque de commerce et de la propriété de celle-ci. C’est pourquoi lorsqu’une
marque de commerce est enregistrée, elle est présumée valide et il incombe à la
partie qui cherche à faire radier l’enregistrement de prouver son invalidité. S’il
existe des doutes quant à la validité de l’enregistrement d’une marque de commerce, la présomption de validité n’est pas réfutée et il faut conclure à la validité
de l’enregistrement de la marque de commerce ».
19. Culinar Inc. c. Gestion Charaine Inc., 19 C.P.R. (3d) 54 (C.F.P.I. ; 1987-07-20), le
juge Denault, aux pages 58-59.
20. Cross-Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd. c. Hyundai Auto Canada, 2007
CF 580 (C.F. ; 2007-04-24), la juge Tremblay-Lamer, au paragraphe 47. [conf.
2008 CAF 98 (C.A.F. ; 2008-03-11), requête pour permission d’en appeler à la
Cour suprême du Canada refusée 2008 CanLII 46989 (C.S.C. ; 2008-09-18)] ;
Fairmont Resort Properties Ltd. v. Fairmont Hotel Management, L.P., 2008 FC
876 (C.F. ; 2008-07-21), le juge Gibson, au paragraphe 64.
Pourquoi enregistrer vos marques de commerce ?
629
Ø Un fardeau non équivoque est imposé à la partie qui demande la
radiation d’un enregistrement21, fardeau parfois lourd, ne seraitce que par l’écoulement du temps et cette présomption22.
2.3 Présomption d’emploi
Dans les procédures en opposition, même en l’absence de
preuve d’emploi d’une marque enregistrée au Canada, le registraire
inférera un emploi de minimis (minimal)23 de la marque de commerce au Canada, selon ce que mentionné à l’enregistrement de cette
marque24.
3. AVANTAGES EN CAS DE LITIGES
3.1 Pluralité de violations
L’enregistrement d’une marque donne ouverture à trois causes
d’action statutaires spécifiques, lesquelles ne peuvent pas être invoquées par le propriétaire d’une marque de commerce qui n’est pas
enregistrée :
Ø L’enregistrement confère au propriétaire de la marque de commerce le droit exclusif de l’utiliser partout au Canada en liaison
avec les marchandises ou services visés par l’enregistrement.
21. General Motors du Canada c. Moteurs Décarie Inc., 2000 CanLII 16083 (C.A.F. ;
2009-09-28), la juge Desjardins, au paragraphe 31 ; Emall.ca Inc. c. Cheaptickets
and Travel Inc., 2008 CAF 50 (C.A.F. ; 2008-02-07), le juge Sharlow au paragraphe 12 ; Bodum USA c. Meyer Housewares Canada Inc., 2012 CF 1450 (C.F. :
2012-12-20), le juge Mosley, au paragraphe 20.
22. Manhattan Industries Inc. c. Princeton Manufacturing Ltd., 4 C.P.R. (2d) 6
(C.F.P.I. ; 1971-12-09), le juge Heald, à la page 13 ; T Tubeco, Inc. c. Association
Quebecoise Des Fabricants De Tuyau De Beton, Inc., 49 C.P.R. (2d) 228 (C.F.P.I. ;
1980-06-10), le juge Addy à la page 230 « It is equally clear that the onus of proof
rests squarely on its shoulders since it is seeking to have a registered trade mark
expunged from the register and there exists at law a presumption of validity of
the mark. ».
23. Mark Anthony Group, Inc. c. Les vins Andrès du Québec Ltée, 14 C.P.R. (3d) 422
(Comm. opp. ; 1987-02-27), A.M. Troicuk, à la page 425 ; R. Griggs Group Limited
c. Groupe Yellow Inc./Yellow Group Inc., 48 C.P.R. (4th) 115 (Comm. opp. ;
2005-06-06), C. Tremblay, à la page 129 ; Major League Lacrosse LLC c. Effigi
Inc., 2012 COMC 133 (Comm. opp. ; 2012-07-20), A. Flewelling paragraphe 12.
24. Si l’enregistrement est fondé sur la révélation ou sur les enregistrement et
emploi étrangers, il n’y aura pas une telle présomption d’emploi minimal au
Canada ; mais il y aura une telle présomption dans le cas où la demande est
fondée sur un emploi au Canada ou un emploi projeté (puisque, dans ce cas, une
déclaration d’emploi au Canada aura été produite).
630
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Il doit ici s’agir de la même marque et des mêmes marchandises ou
services.
Ce droit exclusif ne dépend pas i) de l’emploi que le propriétaire
fait de sa marque dans une région donnée, ii) de l’achalandage
dont il peut jouir dans cette région, ou iii) de l’existence de confusion25.
Ø Le droit du propriétaire d’une marque de commerce enregistrée
est réputé être violé par une personne :
• qui n’est pas autorisée à l’employer ; et
• qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en
liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial
créant de la confusion26.
Il n’est pas nécessaire que ce soit la même marque de commerce
ou les mêmes marchandises ou services que ceux mentionnés à
l’enregistrement mais il faudra prouver confusion27.
Ø Il y a violation d’une marque de commerce enregistrée lorsque
l’utilisation de celle-ci a pour effet de déprécier la valeur de
l’achalandage associée à cette marque28.
Ø En ce cas, on notera que la confusion n’est pas requise29.
3.2 Choix du tribunal
Ø Le propriétaire d’une marque de commerce enregistrée peut, à son
choix, instituer des procédures en violation devant une cour provinciale ou fédérale30.
25. Art. 19 LMC.
26. Par. 6(2) LMC « ... Lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même
région serait susceptible de faire conclure [...] que ces marchandises ou services
soient de la même catégorie générale ».
27. Art. 20 LMC. Meubles Domani’s c. Guccio Gucci S.p.A., 43 C.P.R. (3d) 372
(F.C.A. ; 1992-06-19), le juge MacGuigan aux pages 376-377 ; Harley-Davidson
Motor Company c. Manoukian, 2013 FC 193 (C.F. ; 2013-02-26), le juge de Montigny, au paragraphe 39.
28. Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 (C.S.C. ;
2006-06-02), le juge Binnie, aux paragraphes 20 et suivants.
29. Art. 22 LMC.
30. Art. 53.2 LMC ; par. 20(1) de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F-7).
Pourquoi enregistrer vos marques de commerce ?
631
Ø Le propriétaire d’une marque de commerce qui n’est pas enregistrée devra, dans le cas où il décide d’entreprendre de telles procédures, s’en remettre à la concurrence déloyale et à son plus
lourd fardeau de preuve, notamment de réputation ou d’achalandage « régional »31.
3.3 Motif d’opposition
Ø Une marque de commerce n’est pas enregistrable si, entre autres,
elle crée de la confusion avec une marque de commerce enregistrée32.
Ø Une opposition peut donc se fonder uniquement sur une marque
de commerce enregistrée, sans qu’il soit nécessaire de prouver ou
même d’alléguer quelque emploi de la marque au Canada33.
3.4 Dénomination corporative
Une marque de commerce enregistrée, dans certaines juridictions canadiennes, peut créer un obstacle administratif à la constitution sous un nom semblable d’une société ou d’une corporation34.
31. Le propriétaire d’une marque de commerce non enregistrée peut instituer des
procédures devant la Cour fédérale du Canada. Toutefois, en l’absence d’enregistrement, devra-t-il quand même faire la preuve d’un achalandage dans la province du défendeur ? Oui. L’enregistrement de la marque donne naissance au
droit sans preuve d’achalandage alors que dans le cas d’une marque non enregistrée ce droit ne naîtra que s’il y a preuve d’achalandage dans la région
concernée. Dans les deux hypothèses, il faudra ensuite prouver confusion, que la
marque soit ou non enregistrée.
32. Al. 12(1)d) LMC.
33. Al. 38(2)b) LMC. C’est la différence entre le motif de non-enregistrabilité des alinéas 38(2)b)/12(1d) LMC et celui du droit à l’enregistrement des alinéas
38(2)c)/16(1)a), 16(2)a) et 16(3)c) LMC.
34. C’est le cas pour les incorporations fédérales, de Saskatchewan, du Nunavut et
des Territoires du Nord-Ouest qui demandent un rapport NUANS de réservation
de nom et où apparaissent les marques de commerce. N’est plus vraiment d’intérêt au Québec car dans le formulaire d’immatriculation, à la rubrique « autres
noms », les marques ne peuvent être inscrites au registre des entreprises du Québec que si elles désignent un établissement ou une entreprise (plutôt qu’un produit). Même lorsqu’un des préposés du registraire « laisse passer », cela ne fait
que publiciser la marque et ne constitue pas un critère que considérera le registraire pour enregistrer un nom de compagnie.
632
Les Cahiers de propriété intellectuelle
4. AVANTAGES RELIÉS À LA LUTTE
ANTI-CONTREFAÇON
4.1 Détention intérimaire
L’enregistrement d’une marque de commerce peut constituer
une barrière (ou un outil) contre l’importation de contrefaçons. Sur
demande, les tribunaux :
Ø peuvent ordonner la garde intérimaire de marchandises sur le
point d’être importées au Canada (ou, si déjà importées, non
encore dédouanées) sur lesquelles une marque a été apposée illégalement ; et
Ø peuvent requérir le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de détenir ces marchandises.
Ces recours n’existent que dans le cas de marques de commerce
enregistrées35. Il est utile de rappeler ici, par simple parenthèse, que
la simple existence d’un nom commercial ou d’un nom de domaine ne
crée pas, comme tel, de droits à la marque.
4.2 Appui à enquête policière
Habituellement, lorsqu’un corps policier découvre ce qu’il croit
être une marque de commerce contrefaite, une copie certifiée de
l’enregistrement de la marque de commerce sera demandée au soutien du dossier remis au substitut du Procureur général qui autorisera la mise en accusation36.
5. AVANTAGES POUR LES DÉPÔTS À L’ÉTRANGER
5.1 Fondement d’un enregistrement à l’étranger
Un enregistrement canadien de marque de commerce peut être
utilisé comme fondement à l’obtention d’un enregistrement dans un
35. Art. 53.1 et 53.2 LMC. Voir également, sous le titre « Importation et exportation »
du projet de loi C-56 Loi visant à combattre la contrefaçon de produits (1re session,
41e législature, art. 43) les articles 51.02 à 51.12 LMC qui ne viseront que les
marques enregistrées.
36. Les articles 406, 407, 409 et 410 du Code criminel ne sont pas limités aux seules
marques enregistrées ; toutefois, dans les faits, les corps policiers n’interviennent
d’eux-mêmes que si la marque est enregistrée. Notons, en passant, que sous le
titre « Infractions et peines » du projet de loi C-56 Loi visant à combattre la contrefaçon de produits (1re session, 41e législature, art. 42) que l’article 51.01 LMC
ne visera que les marques enregistrées.
Pourquoi enregistrer vos marques de commerce ?
633
autre pays et ce, sans avoir à prouver l’emploi de la marque dans ce
pays.
Hors un tel enregistrement de marque de commerce, certains
pays (les États-Unis, par exemple) exigent un emploi sur leur territoire.
5.2 Date de priorité
Par l’effet de la priorité conventionnelle, une demande d’enregistrement produite à l’étranger dans les 6 mois de la demande canadienne correspondante sera réputée avoir été produite à la même
date que la demande canadienne37.
5.3 Garantie demandée par fournisseur
Dans certains pays, les manufacturiers exigent une preuve que
ce qu’ils vont fabriquer ne violera pas une marque de commerce
(dans le pays de destination) et, à cet effet, demandent une copie du
certificat d’enregistrement de la marque canadienne associée aux
produits qu’ils fabriquent.
6. AVANTAGES POUR CONTRER L’ADOPTION DE
MARQUES CONFLICTUELLES PAR UN TIERS
6.1 Mise en garde
Vu le caractère public du registre des marques de commerce38,
l’enregistrement est un bon moyen de publiciser ses droits et d’avertir les tiers que la marque est déjà prise.
6.2 Dissuasion
Ø Il est possible (sinon fortement recommandé) d’effectuer une
recherche au registre des marques de commerce de façon préalable à l’adoption d’une nouvelle marque39.
Ø Si une marque conflictuelle est localisée par un concurrent, plus
souvent qu’autrement, la marque projetée par ce concurrent sera
37. Art. 34 LMC et 4C4 de la Convention de Paris.
38. Par. 29(1) LMC : « [...] les registres [...] sont accessibles à l’inspection publique
durant les heures de bureau ».
39. Société pour l’expansion des Tissus Fins c. Marimac, Inc., 8 C.P.R. (2d) 112 (C.
sup. Qué. ; 1984-01-13), le juge Gomery, au paragraphe 5.
634
Les Cahiers de propriété intellectuelle
écartée et une autre sera choisie, le concurrent voulant généralement éviter un obstacle qui pourrait retarder ou rendre incertain
le lancement de sa nouvelle marque.
6.3 Tamisage des demandes conflictuelles
Ø Le Bureau des marques de commerce soulèvera de lui-même,
à l’examen, une objection de non-enregistrabilité pour cause de
confusion si un tiers présente une demande d’enregistrement pour
une marque susceptible de créer de la confusion avec une marque
de commerce déjà enregistrée et ce, sans que le propriétaire de la
marque citée n’ait à intervenir. Il s’agit d’une première barrière40.
Ø De plus, si le registraire a des doutes sur le caractère enregistrable de cette nouvelle marque, il enverra un avis dit « de cas douteux » au propriétaire de la marque citée, pour que celui-ci puisse
s’y opposer. C’est une seconde barrière41.
6.4 Primer l’emploi d’un tiers
Ø Le fait de déposer une demande en invoquant un emploi projeté (c’est-à-dire quand la marque n’est pas encore employée au
Canada) permettra au propriétaire de « réserver » cette marque
pendant que se poursuivront la recherche et le développement des
produits associés à la marque et que viendra le bon moment pour
commercialiser.
Ø Lorsqu’une marque est enregistrée, elle est présumée avoir été
adoptée au moment de la production de la demande et qui l’aura
employée après cette date se verra évincé même si son emploi
est antérieur à cet enregistrement (quoique postérieur à cette
demande) ; pis, il pourra même être recherché pour violation de la
marque maintenant enregistrée.
6.5 Bouclier contre des procédures en violation
L’enregistrement d’une marque de commerce peut servir de
bouclier à son propriétaire advenant que des procédures en usurpation de marque ou en concurrence déloyale soient entreprises contre
lui à titre de défendeur.
En effet, de par l’enregistrement, la Loi confère un droit exclusif à l’emploi de la marque qui en fait l’objet. Ce n’est donc qu’à partir
40. Al. 12(1)d) et 37(1)b) LMC.
41. Par. 37(3) LMC.
Pourquoi enregistrer vos marques de commerce ?
635
de l’invalidation de cet enregistrement que son propriétaire pourra
être recherché en responsabilité, mais uniquement pour des actes
commis après cette invalidation42.
6.6 Marque interdite
Ø L’enregistrement d’une marque, pour les marchandises ou services qui y sont visés, évite de se faire littéralement « exproprier »
(sans compensation) par la publication d’une marque officielle.
Ø Sur publication d’une telle marque – non limitée à des marchandises ou services particuliers et sans examen quant à l’état du
registre –, il devient interdit d’adopter, d’enregistrer ou d’employer, à titre de marque de commerce ou autrement, une marque
qui ressemble à la marque désormais interdite43.
Ø Si la marque de commerce est déjà employée, son propriétaire
peut continuer à l’employer pour les seuls services et marchandises qu’il employait avant la publication de la marque officielle44.
Par contre, il ne pourra plus enregistrer sa marque et ce, même s’il
avait déjà produit une demande d’enregistrement ou qu’il l’employait avant la publication de cette marque officielle. On en
conviendra, cela peut obérer fortement un programme de franchise ou de licence !
Ø Le consentement aux enregistrement et emploi de la marque de
commerce peut toujours être demandé au propriétaire de la marque officielle mais n’est pas toujours donné et est parfois assujetti
à des restrictions ou au versement d’une compensation.
7. AVANTAGES SE RAPPORTANT AUX NOMS DE
DOMAINE
7.1 Obligation de résidence
Ø L’obtention d’un nom de domaine national se terminant en .CA est
assujetti à certaines conditions de résidence45.
42. Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 (C.S.C. ;
2006-06-02), le juge Binnie, au paragraphe 16 ; Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars
Limited, 2007 CAF 258 (C.A.F. ; 2007-07-18), le juge Létourneau, aux paragraphes 110-114.
43. Par. 9(1) LMC.
44. Canadian Olympic Assn. v. Konica Canada Inc., 39 C.P.R. (3d) 400 (F.C.A. ;
1991-11-22), le juge Hugessen, à la page 409.
45. Canadian Internet Registration Authority (CIRA) ; Autorité canadienne pour les
enregistrements Internet (ACEI).
636
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Ø Une compagnie qui n’est pas constituée en vertu de la loi canadienne n’est pas autorisée à obtenir et à maintenir un enregistrement d’un domaine .CA.
Ø Toutefois, les exigences de présence canadienne seront satisfaites
si celui qui demande l’enregistrement du nom de domaine en .CA
est propriétaire d’une marque de commerce canadienne enregistrée pour les mots visés par ce nom de domaine46.
7.2 Enquêtes
Une requête en divulgation relativement à un nom de domaine
.CA pour lequel des informations apparaissent au registre WHOIS
et qui appartient à un individu (par opposition à une corporation)
requiert une copie certifiée d’un enregistrement canadien de marque
de commerce.
7.3 Arbitrage
Dans le domaine de l’arbitrage en récupération de noms de
domaine, la propriété d’une marque de commerce enregistrée pour
laquelle le nom de domaine en litige crée de la confusion satisfait
automatiquement aux exigences de l’ACEI/CIRA de la démonstration des droits sur une marque de commerce48.
7.4 Litige
L’enregistrement des marques de commerce facilitera les procédures judiciaires à l’encontre des cyber-squatteurs, des typopirates et autres malandrins du cyberespace.
7.5 Nouveaux domaines de tête
Un enregistrement de marque de commerce peut servir à bloquer l’octroi d’un nom de domaine de premier niveau ou à bénéficier
des périodes de réservation pré-lancement.
46. Règles générales en matière d’enregistrement (version 3.18 du 13 janvier 2013),
art. 2.1 et Exigences en matière de présence au Canada applicables aux titulaires
(version 1.3), art. 2q).
47. WHOIS est une contraction de l’anglais « Who is ? » : il s’agit d’un service de
recherche permettant d’obtenir de l’information sur une adresse IP ou un nom de
domaine.
48. Politique de l’ACEI en matière de règlement des différends relatifs aux noms de
domaine Version 1.3 (le 22 août 2011), art. 3.2c) et 4.1a).
Pourquoi enregistrer vos marques de commerce ?
637
8. AUTRES AVANTAGES – MISCELLANÉES
8.1 Charte de la langue française
Une marque de commerce enregistrée49 permet de déroger à
l’obligation d’utiliser des termes français :
Ø sur des produits50, les catalogues, brochures, dépliants, annuaires
commerciaux et publications de même nature51,
Ø dans l’affichage public et la publicité commerciale52.
8.2 Dispositions statutaires
Quelques dispositions statutaires assujettissent :
Ø la commercialisation de certains produits à l’apposition sur ceuxci d’une marque de commerce enregistrée (par exemple, la Loi sur
le poinçonnage des métaux précieux)53 ;
Ø la représentation sur une enseigne extérieure d’un humain ou
d’un animal ou la simple présence d’un logo à une marque de commerce enregistrée (voir les règlements sur l’affichage des villes de
Longueuil et de Saint-Bruno)54.
49. Même si le règlement fait référence à une marque de commerce « reconnue », ce
que la jurisprudence ne restreint pas à une marque de commerce enregistrée,
l’interprétation de l’Office québécois de la langue française est dogmatique et ne
sont vraiment considérées comme bénéficiant de plein droit de l’exception que les
marques enregistrées. « [...] l’Office considère que sont visées par l’exception touchant les marques « reconnues » (prévue par le 4o des art. 4, 13 et 25) uniquement
les marques déposées auprès du Bureau canadien des marques (OPIC), si les formalités d’enregistrement sont terminées à la date où l’exception est soulevée ».
50. Art. 7, 4o du Règlement sur la langue du commerce et des affaires adopté en vertu
de la Charte de la langue française.
51. Art. 13, 4o du Règlement sur la langue du commerce et des affaires adopté en vertu
de la Charte de la langue française.
52. Art. 24, 4o du Règlement sur la langue du commerce et des affaires adopté en vertu
de la Charte de la langue française. Sont visés : panneaux publics, affiches et panneaux publicitaires.
53. Terrasse Jewellers Inc. c. R., 20 F.T.R. 1 (C.F.P.I. ; 1988-06-09) ; conf. 107 N.R.
159 (C.A.F. ; 1989-10-12).
54. Règlement 1642 Affichage sur le boulevard Taschereau à Longueuil.
GENERAL/11.3.4 Message et contenu.
Le message de toute enseigne ne peut être constitué que de lettres, chiffres pictogrammes, logos ou sigles.
[...]
638
Les Cahiers de propriété intellectuelle
8.3 Monétisation55
Une marque de commerce enregistrée, par la plus grande certitude sur l’étendue de son monopole, constitue un actif commercial
d’importance et sa monétisation ou valeur de réalisation en est
d’autant facilitée56 :
Ø identification d’actifs qui pourraient être vendus, totalement ou
en partie ;
Ø création des sources de revenus à l’aide de licences ou de franchises ;
Ø « collatérisation »57 des marques de commerce (où les marques
sont offertes en garantie) ;
Ø « sécurisation » de prêts ou d’investissements par le biais d’hypothèques (au registre fédéral des marques, les « accords de sûreté »
grevant une marque n’apparaîtront au dossier électronique qu’à
l’enregistrement, donc inexistants pour les marques non enregistrées ; aux registres provinciaux, ces hypothèques pourront être
enregistrées) ;
Ø soutien à certains montages financiers et justification
d’avantages fiscaux.
L’utilisation de reproduction d’animaux, de personnes, d’objets personnifiés ou
de produits est prohibée, sauf s’il s’agit de logos ou de sigles reconnus et dûment
enregistrés au Bureau de marques de commerce.
Règlement de zonage URB-Z2009, chapitre 8 Affichage de la ville de SaintBruno :
ARTICLE 448 MESSAGE D’UNE ENSEIGNE
Seules les inscriptions suivantes sont autorisées
1o Sur un enseigne murale, sur auvent, sur marquise, projetante, en saillie et une
oriflamme, les inscriptions peuvent comprendre :
a) Le logo dument enregistré de l’occupant de la suite ;
b) Le nom enregistré de l’occupant de la suite [...].
55. « Monétisation : Action de transformer quelque chose en source de revenu » selon
Le petit Larousse illustré 2013 et, plus platement selon Le petit Robert 2013
« monétiser : transformer en monnaie ».
56. Certains diront même que la présence de marques de commerce enregistrées est
de nature à rassurer les investisseurs qui en concluront une saine gérance des
actifs et les conforteront dans une exploitation paisible de la marque. L’aspect
« police d’assurance » !
57. L’Office québécois de la langue française ne reconnaît pas le néologisme et
indique que le terme collatéral devrait se dire, en français « Bien qu’un emprunteur offre en garantie de l’acquittement d’une dette. »
Pourquoi enregistrer vos marques de commerce ?
639
9. VARIATION SUR LE THÈME « POURQUOI
ENREGISTRER SA MARQUE À L’ÉTRANGER ? »58
Les avantages que procure l’enregistrement d’une marque de
commerce sont globalement les mêmes dans la plupart des pays
membres de l’Union de Paris ou de l’OMC59 et sont souvent les
mêmes qu’au Canada. Rappelons certains d’entre eux.
9.1 Droits au premier déposant
Ø Dans certains pays, seul l’enregistrement permet d’obtenir des
droits à la marque.
Ø De plus, dans la plupart des pays, les droits à la marque s’acquièrent par le simple enregistrement : c’est au premier déposant
(généralement de bonne foi) qu’échéeront les droits.
9.2 Relations d’affaires
Ø La prudence voudrait donc que, pour les pays où l’on songe à
faire affaire, directement ou par un réseau de distributeurs, une
demande d’enregistrement soit produite rapidement, de façon
concomitante à quelque discussion d’affaires ; cela est beaucoup
moins onéreux que de devoir instituer, toujours avec des chances
de succès aléatoires, des procédures en radiation, longues et coûteuses, pour récupérer, peut-être, marque et marché.
Ø Variation de la précédente : l’enregistrement dans le pays de
son manufacturier évite des tentations à ce dernier qui pourrait
songer
• à l’enregistrer en son nom comme moyen de pression économique ;
• à en tirer prétexte pour justifier un détournement d’une partie
de sa production (après, tout, la marque est à son nom !) ;
58. « Think big ! » eût dit Bob Elvis Gratton dans Elvis Gratton II – Miracle à
Memphis (1999) du réalisateur Pierre Falardeau. Oui, oui, la citation est ici
tronquée pour préserver un certain bon goût.
59. Au 1er juin 2013, 174 pays étaient membres de la Convention et l’OMC comptait
159 membres. Seul un pays peut être membre de la Convention alors que des territoires ou organisations supranationales peuvent être membres de l’OMC (Hong
Kong et Macao ; Benelux et Union européenne). Ne sont partie ni à l’une ni à
l’autre : Afghanistan, Érythrée, Éthiopie, Kiribati, Îles Marshall, Micronésie,
Nauru, Palau, Somalie, Timor Leste et Tuvalu.
640
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• ou qu’un tiers ne l’enregistre et ne s’en serve pour perturber la
production par une procédure en contrefaçon...
9.3 Exploitation
Ø L’enregistrement est une obligation préalable à certaines formes
de marquage, dont l’utilisation du symbole ®, ou équivalent.
Ø Dans certains pays, l’enregistrement d’une marque est obligatoire
pour commercialiser ou publiciser celle-ci.
9.4 Domaine national de premier niveau
L’enregistrement de certains noms de domaine nationaux est
assujetti à une obligation de domiciliation qui, comme au Canada,
peut être remplacée par un enregistrement national de marque de
commerce.
9.5 Litige
Ø Permet d’obtenir des dommages plus importants advenant violation et un certain magasinage de forums (forum shopping).
Ø Après un certain temps, la marque devient incontestable et son
enregistrement ne peut plus être attaqué pour quelque raison.
Ø Crée une présomption de propriété et de validité (même si la présomption est réfragable, c’est un avantage non négligeable advenant contrefaçon).
Ø Donne ouverture à une défense additionnelle advenant poursuite
en violation ou en passing-off.
9.6 Inscription auprès des autorités douanières
Dans certains pays (États-Unis, Union européenne), la preuve
de l’enregistrement d’une marque de commerce peut être déposée
auprès des autorités douanières afin de prévenir l’importation de
marchandises arborant des marques de commerce contrefaites.
CONCLUSION
Voilà, en quelques mots, certains points à considérer lorsque
viendra le temps de décider s’il faut enregistrer « sa » marque avant
qu’elle ne devienne celle de quelqu’un d’autre.
Vol. 25, no 2
Ce que les défendeurs
vous diront
Daniel S. Drapeau*
Excuse no 10 : La preuve que vous avez contre moi
est périmée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 643
Excuse no 9 :
J’ai plusieurs points de vente, mais ils font
tous partie d’une seule et même entreprise. . . 644
Excuse no 8 :
Je n’ai pas les moyens de me payer
un avocat (mais j’en ai assez pour avoir
une compagnie...). . . . . . . . . . . . . . . . . 644
Excuse no 7 :
Mon nouveau procureur a besoin
de plus de temps . . . . . . . . . . . . . . . . . 646
Excuse no 6 :
Vous devez plaider dans ma langue . . . . . . . 646
Excuse no 5 :
Vous perdez votre temps, parce que.... . . . . . 648
Excuse no 4 :
Le demandeur n’a subi aucun dommage . . . . 649
Excuse no 3 :
Le demandeur n’a pas droit à grand-chose
parce que... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 650
Excuse no 2 :
Je n’ai plus les exemplaires contrefaits... . . . . 653
Excuse no 1 :
J’étais de bonne foi . . . . . . . . . . . . . . . . 653
© Daniel S. Drapeau, 2013.
* Avocat et agent de marques de commerce chez DrapeauLex Inc.
641
Il n’y a pas que les professeurs qui soient en mesure de vous
offrir de savoureuses perles tirées de leur pratique. Inspiré par
Jean-Charles1, votre tout dévoué collectionne, depuis quelques
années, les excuses les plus ingénieuses servies par des défendeurs
créatifs.
Au-delà du classique « achetez nos produits de style (MARQUE
CONNUE) », qu’on peut retrouver sur le marché, l’audace de certains les a amenés aux portes de la Cour fédérale du Canada, qui a
ainsi eu l’occasion de se prononcer sur certaines de celles-ci.
Allons-y donc pour un petit topo sur les dix excuses les plus
fréquemment rencontrées, et les répliques que la Loi et la jurisprudence offrent au praticien.
Excuse no 10 : La preuve que vous avez contre moi
est périmée
Avant d’intenter une action en justice, le demandeur aura préservé la preuve des agissements du défendeur. Ce dernier soulèvera
peut-être que celle-ci est périmée. Or, la Loi sur les Cours fédérales2
prévoit que la prescription est régie par la loi de la province où le fait
générateur est survenu. Au Québec, celle-ci est de trois ans3 alors
qu’en Ontario4 et en Colombie-Britannique5, elle est de deux.
1. JEAN-CHARLES, La Foire aux cancres, (Paris : Calmann-Lévy, 1962).
2. Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 39(1) :
« Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le
fait générateur est survenu dans cette province. »
3. L’article 2925 du Code civil du Québec énonce que :
« L’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont
le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans. »
4. L’article 4 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, 2002, S.O. 2002, c. 24,
Sch. B énonce :
« Sauf disposition contraire de la présente loi, aucune instance relative à une réclamation ne peut être introduite après le deuxième anniversaire du jour où sont
découverts les faits qui ont donné naissance à la réclamation. »
5. L’alinéa 3(2)(a) du Limitation Act, R.S.B.C. 1996, Chapter 266 énonce que :
643
644
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Excuse no 9 : J’ai plusieurs points de vente, mais ils font
tous partie d’une seule et même entreprise
Il se peut qu’un défendeur opère à partir de plusieurs points
de vente. Dans Gianni Versace SpA c. V.K. Design cob Laco Sac6,
la Cour a rejeté l’argument du défendeur à l’effet que ses nombreux magasins constituaient une seule entreprise et a multiplié le
montant des dommages accordés par le nombre de magasins où le
défendeur avait vendu des contrefaçons. Ce principe a d’ailleurs été
appliqué dans Louis Vuitton Malletier S.A. c. Lin Pi-Chu Yang7, où
une condamnation monétaire de plus de 250 000 $ a été imposée.
Plus récemment, dans l’affaire Louis Vuitton Malletier S.A. c. Singga
Entreprises (Canada) Inc.8, la fréquence de renouvellement des stocks
du défendeur a été admise comme facteur de multiplication.
Excuse no 8 : Je n’ai pas les moyens de me payer un avocat
(mais j’en ai assez pour avoir une compagnie...)
Hormis des circonstances particulières, la règle 120 des Règles
des Cours fédérales9 prévoit qu’une société doit être représentée
par avocat. La circonstance « particulière » la plus fréquemment
invoquée ? Vous l’avez devinée, l’indigence du défendeur, bien sûr.
A beau prétendre qui vient de loin, le défendeur corporatif
aurait avantage à mettre en preuve non seulement l’indigence de la
société10, mais également celle de son actionnaire principal11.
« After the expiration of 2 years after the date on which the right to do so arose a
person may not bring any of the following actions :
(a) subject to subsection (4) (k), for damages in respect of injury to person or property, including economic loss arising from the injury, whether based on contract, tort or statutory duty ; »
6. Dossier de la Cour T-1575-01, 10 décembre 2001, le juge Blais.
7. 2007 CF 1179 (C.F.), la juge Snider.
8. 2011 CF 776, au paragraphe 140, le juge Russel.
9. Cette règle prévoit :
« Une personne morale, une société de personnes ou une association sans personnalité morale se fait représenter par un avocat dans toute instance, à moins que
la Cour, à cause de circonstances particulières, ne l’autorise à se faire représenter
par un de ses dirigeants, associés ou membres, selon le cas. »
10. Wic Premium Television Ltd. c. Levin, (2001) 211 F.T.R. 201 (C.F.P.I.) (C.F.) la
juge Heneghan, au paragraphe 18 :
« [...] Je ne suis saisie d’aucun élément de preuve indiquant que lesdites sociétés
sont incapables d’obtenir les services juridiques nécessaires en raison de leur
indigence. Il incombe aux sociétés défenderesses de prouver cette situation si
c’est là la raison pour laquelle elles n’ont pas désigné de conseiller juridique. Les
sociétés défenderesses n’ont pas réussi à se décharger du fardeau de la preuve
qu’elles avaient à cet égard. »
11. Source Services Corp. c. Source Personnel Inc., (1995) 105 F.T.R. 42 (C.F.P.I.), le
juge Rouleau au paragraphe 17. Dans cette affaire où les états financiers déposés
Ce que les défendeurs vous diront
645
Qui plus est, il n’y a pas que l’indigence qui compte dans
la détermination des circonstances particulières permettant à une
société d’être dispensée des services d’un procureur. En effet, la Cour
a rappelé qu’on doit également tenir compte d’autres facteurs, dont :
• La possibilité que la personne qui représente la société comparaisse à titre de témoin.
Dans les affaires Kobetek Systems Ltd. c. R.12 et Wic Premium
Television Ltd. c. Levin13, les requêtes des défendeurs corporatifs
pour permission d’être représentés par des non-avocats ont été
rejetées au motif que lesdits représentants avaient déjà déposé
des affidavits au dossier de la Cour.
• Le bon déroulement de l’instance
En refusant à un défendeur corporatif la permission d’être représenté par un de ses dirigeants, la Cour a déjà mentionné que la
présence d’un procureur améliorera certainement le déroulement
d’une instance : Canada (Ministre du Revenu national) c. 2786885
Canada Inc.14.
Il peut également arriver qu’une société et un particulier se
retrouvent comme co-défendeurs. Pourquoi ne pas faire d’une pierre
deux coups, économiser sur les frais d’avocats et faire représenter la
première par le deuxième ? Tentation à laquelle a succombé ce brave
couple dans l’affaire D & A’s Pet Food N’ Moore Ltd. c. Mr. P’s & Mr.
Pets Ltd. and Greg Penno15. Espoir déçu : la Cour a refusé à Monsieur
la permission de représenter la société défenderesse, dont l’unique
actionnaire était Madame, au motif qu’il n’était pas officier de celleci et qu’aucune circonstance particulière n’avait été démontrée.
12.
13.
14.
15.
en preuve par le défendeur ont été jugés insuffisants pour établir son impécuniosité, la Cour a également noté l’absence de preuve concernant l’impécuniosité de
l’actionnaire principal du défendeur en rejetant sa requête en vertu de la Règle
120 :
« La défenderesse doit avoir fait la preuve non seulement que la personne morale
est impécunieuse, mais que son principal actionnaire l’est également. En ce qui
concerne l’impécuniosité de la personne morale, le bilan abrégé en question ne
donne pas suffisamment de détails sur la situation financière de la personne
morale et ne saurait être invoqué pour arriver à la conclusion que les services
d’un avocat ne pouvaient pas être retenus.. [...] Aucun élément de preuve n’a été
produit au sujet de l’impécuniosité des actionnaires de la personne morale. »
(1998) 1 C.T.C. 308 au paragraphe 7 (C.F.P.I.) le juge Muldoon.
(2001) 211 F.T.R. 201 au paragraphe 15 (C.F.P.I.) la juge Heneghan.
(1998) 98 D.T.C. 6266 (C.F.P.I.) le protonotaire Morneau au paragraphe 4.
2005 CF 1370 (C.F.) le juge Harrington.
646
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Excuse no 7 : Mon nouveau procureur a besoin
de plus de temps
Si cette excuse peut, à première vue, paraître raisonnable, lisez
attentivement la décision dans l’affaire General Motors Corp. c.
Diabco Internationale Inc.16, où la Cour mentionne :
En faisant abstraction du fait que la requête n’est appuyée que
par l’affidavit d’un avocat – sans toutefois excuser cette omission –, je vais rejeter la requête pour deux motifs :
a) Le fait qu’un avocat n’est intervenu que récemment au
dossier alors que rien ne prouve ou même n’indique que
l’avocat précédent s’est mal conduit ne justifie pas de reporter l’instruction d’une requête en jugement sommaire qui,
lors de la conférence du 14 décembre 2006 relative à la gestion de l’instance, accusait déjà un retard de onze mois. Le
client qui change d’avocat doit remettre le dossier à son nouvel avocat, qui doit accepter le dossier dans l’état où il se
trouve alors. Un changement d’avocat justifie rarement,
voire jamais, de retarder le déroulement d’un procès.[...]
Excuse no 6 : Vous devez plaider dans ma langue
Quelle chance que de vivre dans un pays dont le bilinguisme est
constitutionnellement enchâssé17 ; on peut s’adresser à la Cour fédérale, en français ou en anglais, dixit la règle 68(2) des Règles des
Cours fédérales18.
16. 2007 A.C.F. 554 (C.F.) le juge Hugessen au paragraphe 3(a).
17. L’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 énonce que :
« Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature
de Québec, l’usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les
débats, sera facultatif ; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux
et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire ; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou
émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l’autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec,
il pourra être fait également usage, à faculté, de l’une ou de l’autre de ces
langues.
Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être
imprimées et publiées dans ces deux langues. »
Article 19(1) de la Charte canadienne des droits et libertés énonce que :
« Chacun a le droit d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires
dont sont saisis les tribunaux établis par le Parlement et dans tous les actes de
procédure qui en découlent. »
18. La règle 68(2) des Règles des Cours fédérales énonce que :
« Les actes de procédure, les mémoires exposant les faits et le droit et les prétentions écrites relatives aux requêtes doivent être en français ou en anglais. »
Ce que les défendeurs vous diront
647
Si tant est qu’il soit nécessaire de rappeler ce droit fondamental, le plaideur trouvera ce dont il a besoin pour encourager la partie
adverse au bilinguisme dans l’affaire Chanel S. de R.L. c. Genève
Accessoires Inc.19, où la Cour mentionne :
Contrairement à la prétention des défendeurs, Chanel a le
droit de choisir de s’exprimer en français ou en anglais devant
cette Cour. Dans l’arrêt Lavigne c. Canada (Développement des
ressources humaines), [1995] A.C.F. no 737 (QL), le juge Noël au
para. 15, a déclaré :
Je ne puis trouver aucun fondement juridique permettant
de soutenir que Sa Majesté ou une institution fédérale est
tenue de fournir à une partie une traduction des affidavits
faits sous serment par ses témoins, lorsque l’affidavit en
question est rédigé dans la langue officielle autre que celle
qui a été choisie par la partie en question. Dans la mesure où
cette obligation découle de la Constitution, de la Charte ou
de la Loi sur les langues officielles, elle doit être tirée d’une
garantie inscrite dans la Constitution ou du libellé de la Loi.
Tel qu’il est mentionné plus haut, la garantie constitutionnelle liée à l’emploi de l’une ou l’autre des langues officielles
dans les poursuites judiciaires concerne celui qui rédige les
plaidoiries écrites et non celui qui les lit. Il n’existe donc
aucun droit constitutionnel permettant à une partie d’exiger les affidavits produits par la partie adverse dans la
langue officielle qu’elle a choisie ; en conséquence, le gouvernement n’est nullement tenu de fournir une traduction.
De plus, dans la même affaire, Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), [1995] A.C.F. no 1629 (QL), le juge
Richard a souligné que la Loi sur les langues officielles et les Règles
n’obligent pas la Cour à fournir une traduction, dans l’une ou l’autre
des langues officielles, des documents (comme des affidavits) utilisés
devant la Cour :
Les défendeurs n’ont donc pas le droit de recevoir des copies des
affidavits de la partie demanderesse en français. D’autre part,
je rejette également l’argument des défendeurs à l’effet que le
jugement original serait un document illégal selon l’article 20
de la Loi sur les langues officielles. Je note d’ailleurs que le jugement par défaut a depuis été traduit en français. Il ne semble
19. 2008 CF 87 (C.F.) le juge Martineau aux paragraphes 12-13.
648
Les Cahiers de propriété intellectuelle
pas non plus y avoir d’accroc aux règles de justice naturelle. En
effet, je note que certaines lettres de M. Sebag à Chanel et à
cette Cour sont rédigées en anglais. D’ailleurs, les factures émises par Sun Jewelry & Art Inc. de Miami, Floride pour les
bijoux des marques de commerce CHANEL sont en anglais. Je
note également que même si M. Sebag a une instruction scolaire très limitée, il est capable de comprendre la nature des
procédures en l’espèce. M. Sebag n’est pas une partie mal
informée. Il agit au nom d’entreprises dont il est le président et
l’actionnaire principal. Il a pu lire la correspondance de Chanel
et écrire à cette Cour.
Excuse no 5 : Vous perdez votre temps, parce que :
(cochez la case appropriée)
q je n’ai pas d’argent
q j’ai mis mes avoirs à l’abri
Une fois le moment venu de faire face aux conséquences de ses
actes, quoi de plus commode que de se prétendre pauvre. Pour ceux
tentés par cette excuse facile, rappelons l’affaire Ragdoll Productions (UK) Ltd. c. Jane Doe20 où la Cour mentionne que la capacité de
payer du défendeur n’est pas un facteur dont il faut tenir compte
pour établir les dommages auxquels le demandeur a droit. Ajoutons
à ceci que le défaut de s’acquitter d’une condamnation monétaire
constitue un outrage au tribunal21, passible d’une variété de sanctions prévues à la règle 472 des Règles des Cours fédérales22.
20. (2002) 21 C.P.R. (4th) 213 (C.F.P.I.) le juge Pelletier au paragraphe 32. La même
règle prévaut en matière de dépens : Soloski c. La Reine, [1977] 1 C.F. 663
(C.F.P.I.) le juge Addy ; confirmé sans commentaire sur ce point [1978] 2 C.F. 632
(C.A.F.) confirmé sans commentaire [1980] 1 R.C.S. 821 ; Nike Canada Ltd. c.
Jane Doe, (1999) A.C.F. 1018 (C.F.P.I.) le juge Gibson, au paragraphe 11.
21. Règle 466(b) des Règles des Cours fédérales.
22. La règle 472 énonce que :
« 472. Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge
peut ordonner :
(a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce
qu’elle se conforme à l’ordonnance ;
(b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se
conforme pas à l’ordonnance ;
(c) qu’elle paie une amende ;
(d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir ;
(e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la
règle 429 ;
(f) qu’elle soit condamnée aux dépens. »
Ce que les défendeurs vous diront
649
Qui plus est, une ordonnance de la Cour fédérale, exécutable en
tout temps dans les six ans qui suivent sa reddition, peut être renouvelée, de six ans en six ans23, de quoi fournir au défendeur impécunieux le temps de renflouer ses coffres.
Excuse no 4 : Le demandeur n’a subi aucun dommage
On retrouve souvent cette excuse en matière d’anti-contrefaçon
ou de piraterie. Après tout, qu’est-ce qu’un petit signal détourné ou
un réticule dernier cri ? Eh bien non, la Cour fédérale est bien au fait
des dommages occasionnés par ces activités illicites24 :
L’affidavit Penman établit que Nintendo applique des normes
de qualité exigeantes à l’égard des marchandises sous licence
autorisées exploitant les marques de commerce de Nintendo.
Toutefois, l’entreprise ne peut d’aucune façon régir la qualité
ou la sécurité des marchandises non autorisées ou contrefaites.
Les consommateurs ayant acheté des marchandises Nintendo
contrefaites de piètre qualité trouveront vraisemblablement à
redire et, ignorant probablement qu’ils ont affaire à des contrefaçons, se détourneront des marchandises de bonne qualité
exploitant légitimement les droits de propriété intellectuelle de
Nintendo, au détriment des demanderesses.
Comme, en outre, les marchandises contrefaites ou illégales se
vendent généralement moins cher que les produits Nintendo
véritables, des consommateurs seront moins portés à acheter
ces produits véritables parce qu’ils croiront pouvoir se procurer
à meilleur prix des marchandises en apparence « identiques ».
Par conséquent, la vente bon marché de produits contrefaits ou
illégaux de qualité inférieure porte atteinte à la réputation qu’a
23. La Règle 437 des Règles des Cours fédérales prévoit :
« 437. (1) Tout bref d’exécution est valide pendant les six ans suivant la date de sa
délivrance.
(2) Si un bref n’a été exécuté qu’en partie, la Cour peut, sur requête, rendre, avant
l’expiration du bref, une ordonnance renouvelant celui-ci pour une période de
six ans à la fois.
(3) Un bref dont la période de validité a été prolongée en vertu du paragraphe (2)
ne peut être exécuté que si l’une des conditions suivantes est respectée :
(a) il porte une indication de la date de l’ordonnance de prolongation ;
(b) le requérant a signifié une copie certifiée de l’ordonnance au shérif auquel le
bref est adressé.
(4) Le bref dont la période de validité a été prolongée en vertu du paragraphe (2)
produit son effet de façon ininterrompue. »
24. Viacom Ha ! Holding Co. c. Jane Doe, (2000) 6 C.P.R. (4th) 36 (C.F.P.I.), la juge
Tremblay-Lamer aux paragraphes 53-56.
650
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Nintendo de produire des marchandises de qualité et amoindrit
la valeur de l’achalandage attaché à ses droits de propriété
intellectuelle ; elle nuit également aux ventes que peuvent réaliser les détaillants honnêtes ayant acquis de bonne foi les marchandises Nintendo autorisées dans le but d’en tirer un juste
profit.25
Philosophe, le praticien en propriété intellectuelle s’enorgueillira de ce prononcé percutant, venu tout droit de la Cour provinciale
de la Colombie-britannique, repris par la Cour fédérale 26 :
C’est du vol. Me Neeman a raison : parce qu’il s’agit là d’une pratique répandue, certains sont tentés de ne pas la considérer
comme du vol proprement dit. Cependant, le principe de la propriété intellectuelle est d’une grande importance dans notre
société. La propriété intellectuelle protège en effet la créativité.
Elle protège les idées originales et confère des droits sur elles,
de manière à récompenser la capacité d’invention et de création
de leurs auteurs. Ce principe joue un rôle essentiel dans l’évolution et le progrès de notre société. En effet, ce qui distingue une
société avancée ou à niveau de vie élevé des autres sociétés est
le degré de pensée originale, de créativité et d’invention qui la
caractérise. Il y a ici en jeu un intérêt sociétal qui me paraît de
la plus haute importance. À mon avis, ce genre de vol constitue
une infraction très grave, plus grave que le vol d’autres objets
ou biens, parce qu’il menace l’essence même de ce qui distingue
une société avancée et créatrice d’une société qui ne l’est pas.
Excuse no 3 : Le demandeur n’a pas droit à grand-chose
parce que :
(cochez à volonté, voire même, toutes
ces réponses)
q il n’a droit qu’aux profits qu’il a perdus
q mes contrefaçons sont peu chères
q je suis un si petit vendeur
q j’en ai juste vendu quelques-unes
25. (2000) 6 C.P.R. (4th) 36(C.F.P.I.), la juge Tremblay-Lamer aux paragraphes
53-56.
26. Louis Vuitton Malletier S.A. c. Singga Entreprises (Canada) Inc., 2011 CF 776 le
juge Russel au paragraphe 167.
Ce que les défendeurs vous diront
651
Ce n’est pas que de la bouche des défendeurs qu’on entend ces
prétentions. Leurs procureurs parfois les servent, avec beaucoup de
verve. À leur décharge, n’est-il pas vrai qu’à faible prix ou quantité
minime, marge de profit faible ? Quoi de plus logique. C’est cependant ignorer les seuils de dommages dits « compensatoires » ou
« symboliques » établis par la Cour fédérale en l’an 200027, qui ne
dépendent ni de la taille du défendeur, ni des quantités d’exemplaires contrefaits vendus, mais plutôt de la nature des opérations
de ce dernier, à savoir :
• pour un fabricant ou un distributeur : 24 000 $ (31 135 $ en 2013)28
• pour un vendeur avec une adresse fixe : 6 000 $ (7 783 $ en 2013)
• pour un vendeur itinérant : 3 000 $ (3 892 $ en 2013)
Bien que ces seuils aient été adoptés par la Cour fédérale
dans un souci de traitement efficace des dossiers d’anti-contrefaçon,
notons que le seuil de 6 000 $ a déjà été accordé dans une affaire de
violation de marque de commerce, à savoir D. & A.’s Pet Food’n More
Ltd. c. Seiveright (c.o.b. Pets ‘n’ More)29 :
Bien que l’analogie ne soit pas parfaite, je souscris au raisonnement qu’a suivi le juge Pelletier, maintenant juge à la Cour
d’appel fédérale, dans Ragdoll Productions (U.K.) Limited et
al. c. Mme Unetelle et al. (2002), 21 C.P.R. (4th) 213. Je fixe
les dommages-intérêts à la somme de 6 000 $, qui m’apparaît
appropriée dans le cas d’un magasin de détail fixe. Je prends
note des efforts que la défenderesse a déployés en ce qui a trait
à la boutique afin de modifier rapidement son affichage, si bien
qu’environ un an plus tard, elle n’était plus contrefaite.
27. Oakley Inc. c. Jane Doe (2000) 8 C.P.R. (4th) 506 (C.F.P.I.), le juge Pelletier au
paragraphe 3 et première note de bas de page.
28. Selon la Banque du Canada (http://www.banqueducanada.ca/taux/renseignements-complementaires/feuille-de-calcul-de-linflation). La Cour acceptant par
ailleurs que ces montants soient corrigés pour tenir compte de l’inflation : Vuitton
Malletier S.A. c. Lin Pi-Chu Yang, 2007 CF 1179, la juge Snider au paragraphe
43 ; Louis Vuitton Malletier S.A. c. Singga Entreprises (Canada) Inc., 2011 CF
776, le juge Russel au paragraphe 130.
29. [2006] A.C.F. 243, le juge Lemieux au paragraphe 9.
652
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le raisonnement qui sous-tend ces seuils laisse peu d’espoir au
défendeur qui érige en bouclier sa petite taille ou ses faibles ventes :
À mon avis, la fixation de dommages-intérêts symboliques d’un
montant de 6 000 $, par opposition aux 3 000 $ fixés dans le cas
des vendeurs ambulants, visait à indiquer les conséquences
financières plus graves qu’un commerce fixe de détail pourrait
avoir pour les demandeurs. Un grand nombre d’entreprises
familiales pourraient sans doute être considérées comme des
commerces fixes de détail, mais il est également vrai qu’il est
beaucoup plus probable que pareils commerces fassent appel à
des employés rémunérés qu’un vendeur ambulant. Les dommages-intérêts symboliques qui étaient fixés, dans des cas où des
commerces fixes de détail étaient en cause, ne visaient pas à
faire varier le montant accordé selon le nombre d’employés.30
Par ailleurs, encore faudrait-il que le défendeur soit en mesure
de démontrer, preuve à l’appui, que ses profits sont effectivement en
deçà du seuil applicable :
Il est toujours permis au défendeur d’établir l’étendue de son
commerce de biens contrefaits et de demander que l’évaluation
des dommages-intérêts s’appuie sur les ventes réelles. Cependant, lorsque le vendeur ne tient aucun registre, il ne peut
reprocher au demandeur de ne disposer d’aucune preuve de
l’étendue du préjudice subi.
[...]
Dans la présente affaire, la Cour est aux prises avec un préjudice pécuniaire. Cela exclut-il le recours au barème des
dommages-intérêts établi ? Le fait est que, faute de registres
comptables détaillés, les demanderesses ne sauraient faire
avec une précision mathématique la preuve des pertes qu’elles
ont subies. Il serait déplorable de récompenser la suppression
des registres comptables en y voyant un obstacle à l’évaluation
du préjudice. Lorsque les pratiques commerciales du défendeur
et son omission de produire une défense ont rendu impossible
l’évaluation du préjudice, il est plus équitable pour le défendeur
d’appliquer le barème établi que d’examiner chaque affaire
comme si elle était unique en son genre et de fixer des dommages-intérêts sans se référer à des affaires similaires. La pra30. (2000), 199 F.T.R. 35 (C.F.P.I.) au paragraphe 5.
Ce que les défendeurs vous diront
653
tique actuelle distingue entre le vendeur dans un marché aux
puces, le vendeur ambulant, le détaillant établi à demeure et le
fabricant et le distributeur et, dans cette mesure, les cas apparentés sont réglés semblablement. Une gradation plus précise
peut être envisagée par la Cour au besoin.31
Excuse no 2 : Je n’ai plus les exemplaires contrefaits :
(cochez la case appropriée)
q je les ai détruits
q mon fournisseur les a repris
Quel bon moyen pour un défendeur d’empirer son sort, déjà peu
enviable. Rappelons que, face à une partie qui escamote une preuve,
la Cour a le loisir de tirer une conclusion défavorable à son encontre32.
Et on termine avec l’excuse tout-aller :
Excuse no 1 : J’étais de bonne foi
Pour éviter la déconfiture, invoquons la bonne foi ! Après tout,
qu’y a-t-il à perdre ? Du moins en matière de marques de commerce,
il y a peu à gagner. En effet, même dûment prouvée, la bonne foi ne
constitue pas une défense valable à la violation de marque de commerce33.
Pour ceux qui sont tentés d’invoquer au soutien de leur bonne
foi les dires d’un tiers, du type « mon fournisseur m’a assuré que mes
contrefaçons étaient authentiques » : ce chemin a déjà été parcouru,
31. Ragdoll Productions (UK) Ltd. c. Jane Doe, (2002) 21 C.P.R. (4th) 213 (C.F.P.I.),
le juge Pelletier aux paragraphes 37 et 48.
32. Anton Piller K.G. c. Manufacturing Processes Ltd., [1976] 1 All E.R. 779 (C.A.
Angl.), les juges Denning, Ormrod et Shaw au paragraphe 784 ; Adobe Systems
Inc. c. KLJ Computer Solutions Inc., [1999] 3 C.F. 621 (C.F.P.I.), le juge Richard
au paragraphe 33 :
L’ordonnance n’est cependant pas un mandat de perquisition autorisant un
demandeur à pénétrer dans les locaux du défendeur contre son gré, mais une
ordonnance adressée au défendeur in personam pour qu’il autorise l’entrée du
demandeur, sous peine de poursuites pour outrage au tribunal et au risque que
des conclusions défavorables soient tirées contre lui au procès.
33. Henkel Kommanditgesellchaft Auf Aktien c. Super Dragon Import Export Inc.,
(1984) 2 C.P.R. (3d) 361 (C.F.P.I.), le juge Walsh aux pages 368 et 375 [confirmé
(1986) 12 C.P.R. (3d) 110 (C.A.F.)] ; Parfums Christian Dior, S.A. c. Di Iorio,
(1980) 53 C.P.R. (2d) 145 (C.F.P.I.), le juge Walsh au paragraphe 10.
654
Les Cahiers de propriété intellectuelle
avec peu de succès. Dans l’affaire Microsoft Corporation c. 9038-3746
Québec Inc.34, la Cour en a conclu que le défendeur, qui n’avait rien
fait pour vérifier les dires de son fournisseur, avait fait preuve
d’ignorance volontaire. En d’autres mots « il n’est pas suffisant pour
cette personne de fermer les yeux devant des faits qui auraient été
évidents si elle avait gardé les yeux ouverts », comme l’a mentionné
la Ontario High Court of Justice, dès 197535.
Et voilà, pour le palmarès des perles servies en défense.
34. 2006 FC 1509, le juge Harrington aux paragraphes 78, 84 et 84(a).
35. Simon & Schuster Inc. c. Coles Book Stores Ltd., (1975) 23 C.P.R. (2d) 43 (H.C.J.
d’Ont.), le juge Weatherston au paragraphe 45.
Vol. 25, no 2
Survol du droit canadien
de la concurrence
Mistrale Goudreau* et Julian Hallé**
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 657
1. LES INFRACTIONS CRIMINELLES . . . . . . . . . . . . 659
1.1 Les accords anticoncurrentiels . . . . . . . . . . . . . 660
2. LES MATIÈRES CIVILES . . . . . . . . . . . . . . . . . . 664
2.1 Les recours concernant les prix . . . . . . . . . . . . . 664
2.2 Le maintien des prix . . . . . . . . . . . . . . . . . . 665
2.3 Le refus de vendre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 666
2.4 Les pratiques restrictives . . . . . . . . . . . . . . . . 667
2.5 L’abus de position dominante . . . . . . . . . . . . . . 669
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 670
© Mistrale Goudreau et Julian Hallé, 2013.
* Professeur titulaire, Section de droit civil, Université d’Ottawa.
** LL.L., LL.M. (Maîtrise en droit, Concentration droit notarial, Université
d’Ottawa).
655
INTRODUCTION
Tout le monde connaît le succès fulgurant qu’ont connu les
livres « For Dummies ». Le premier livre a été conçu comme ouvrage
de vulgarisation du système d’opération DOS pour les non-initiés
aux mystères de l’informatique. Ecrit et publié en 1991 par Dan Gookin, il avait été accueilli avec un certain scepticisme1 qui, on le sait,
n’a pas duré. Aujourd’hui, avec plus de 250 millions de livres et 1 800
titres2, la série peut certainement servir d’inspiration. En l’occurrence, elle est le point de départ de cette chronique. Nous avons
voulu présenter en quelques pages un survol du droit canadien de la
concurrence pour les novices.
En premier lieu, il est sans doute bon d’expliquer pourquoi
l’adoption d’une Loi sur la concurrence est nécessaire dans le contexte économique canadien. Le texte de la loi3, à l’article 1.1, nous
indique lui-même son objet :
La présente loi a pour objet de préserver et de favoriser la
concurrence au Canada dans le but de stimuler l’adaptabilité et
l’efficience de l’économie canadienne, d’améliorer les chances
de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en
tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada, d’assurer à la petite et à la moyenne entreprise
une chance honnête de participer à l’économie canadienne, de
même que dans le but d’assurer aux consommateurs des prix
compétitifs et un choix dans les produits.
Offrir aux entreprises, notamment aux petites et moyennes
entreprises, une chance honnête de participer, voilà l’objectif réel
de la Loi. Pour fournir une explication encore plus concrète, on peut
faire la comparaison avec le sport.
1. Wiley-Blackwell, The For Dummies Success Story (2013), en ligne : www.dummies.com <http://www.dummies.com/Section/The-For-Dummies-Success-Story.
id-323929.html>.
2. Wiley-Blackwell, About For Dummies – Making Everything Easier (2013), en
ligne : www.dummies.com <http://www.dummies.com/about-for-dummies.html>.
3. L.R.C. (1985), ch. C-34, aux présentes la Loi.
657
658
Les Cahiers de propriété intellectuelle
On peut dire que les attentes vis-à-vis d’un athlète, autant de la
part de ses admirateurs que de ses compétiteurs, tournent essentiellement autour de l’honnêteté. On ne veut pas que l’athlète s’entende
avec ses compétiteurs pour truquer la compétition, fixer les résultats
ou qu’il s’avantage par des moyens déloyaux, en consommant des stéroïdes ou d’autres drogues de performance. L’honnêteté est l’un des
piliers des règles de compétition et dans notre cas, de la concurrence
entre entreprises. C’est cette honnêteté que la Loi a voulu placer au
centre de la conduite des entreprises canadiennes. Cette honnêteté,
les entreprises se la doivent non seulement entre elles, mais aussi
vis-à-vis du public, ou plus simplement des consommateurs. Cette
honnêteté se manifeste par l’interdiction de faire des accords anticoncurrentiels, de manipuler les prix, d’adopter des pratiques restrictives de commerce ou encore de refuser de vendre sans bonne
raison. En ce sens, les règles de concurrence protègent l’ensemble de
la population.
Pour atteindre son but, la Loi prévoit plusieurs types d’intervention. Les premières lois sur la concurrence comportaient uniquement des mesures pénales interdisant certaines pratiques et
prévoyant des pouvoirs d’enquête4. De nos jours, il existe, en plus des
dispositions pénales, une procédure administrative de surveillance
des pratiques commerciales. Le Bureau de la concurrence, dirigé par
le Commissaire nommé en vertu la Loi5 et chargé de l’application de
certaines lois, dont la Loi sur la concurrence, surveille les comportements sur le marché afin de déceler les infractions possibles et les
comportements qui pourraient nuire à la concurrence. Il fait enquête
ou reçoit des plaintes concernant des pratiques commerciales causant des dommages à des entreprises. Si le Bureau est d’avis qu’une
personne a adopté une des pratiques visées par la Loi et que cela nuit
indûment à la concurrence, il entre en communication avec cette personne. Le Bureau et le Commissaire de la concurrence privilégient
davantage l’éducation et la conformité volontaire6 que le recours
aux tribunaux. Cependant, si cette personne refuse de se conformer
volontairement à la Loi, le Bureau peut soumettre la pratique problématique au Tribunal de la concurrence et celui-ci peut ordonner à
4. Pour une étude historique des premières lois canadiennes sur la concurrence, voir
MAGWOOD (John M.), Competition Law of Canada, (Toronto : Carswell, 1981),
c. 5.
5. Article 7 de la Loi.
6. Bureau de la Concurrence, Le continuum d’observation de la Loi (2000), en ligne :
Bureau de la concurrence <http://www.ic.gc.ca/eic/site/iccat.nsf/fra/03173_2.html>
[Le continuum d’observation].
Survol du droit canadien de la concurrence
659
cette personne de changer sa conduite et l’assujettir, en certains
cas7, au paiement d’une « sanction administrative pécuniaire ». Pour
les affaires les plus graves, le Bureau renvoie le dossier au directeur
des poursuites pénales qui décide ou non d’intenter une action en
vertu des dispositions pénales de la Loi. Une condamnation pénale
mène à des amendes ou même à des peines d’emprisonnement8.
Notre texte portera donc sur ces deux types de mesures visant
à contrer le tort causé par des agissements anticoncurrentiels : les
infractions criminelles et les matières civiles, c’est-à-dire ces matières sujettes à révision par un tribunal ou à examen par le Tribunal
de la concurrence. Nous n’aborderons pas les règles de concurrence
concernant la fusion, car à elles seules, elles représentent un sujet
ambitieux de recherche.
1. LES INFRACTIONS CRIMINELLES
Plusieurs infractions pénales visent des cas particuliers, dont :
le truquage d’offre9, certaines techniques de commercialisation
trompeuses comme la publicité mensongère, le télémarketing, la
commercialisation à paliers multiples et le concours10, le complot à
l’étranger11, les ententes relatives au sport professionnel12 et les
ententes en matière d’institution financière13. Compte tenu de leur
portée plus limitée, nous n’en traiterons pas dans notre résumé. Les
règles concernant la publicité mensongère ont une application plus
vaste et méritent de faire l’objet d’une étude distincte. Elles ont déjà
fait l’objet de plusieurs textes accessibles, auxquels nous vous référons14 et elles ne seront pas analysées dans notre article. Nous allons
nous concentrer, dans la catégorie des infractions criminelles, sur la
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
Les sanctions administratives pécuniaires sont prévues pour les abus de positions dominantes, les publicités mensongères et le non-respect des règles concernant les fusions. Voir les par. 74.1(1), 79(3.1) et 123.1(1) de la Loi.
Pour un survol des sanctions imposées par les tribunaux depuis 2007, voir le
tableau compilé par le Bureau de la concurrence : Bureau de la Concurrence,
Sanctions imposées par les tribunaux, en ligne : Bureau de la concurrence
<http://www. bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/01863.html>.
Article 47 de la Loi.
Articles 52 à 55.1 de la Loi.
Article 46 de la Loi.
Article 48 de la Loi.
Article 49 de la Loi.
GOUDREAU (Mistrale), « Marques de commerce et concurrence déloyale » dans
JurisClasseur Québec – Propriété intellectuelle (Montréal, LexisNexis Canada,
2012), nos 26-33 et 39 ; L’HEUREUX (Nicole) et al., Droit de la consommation,
6e édition, (Cowansville : Blais, 2011), titre 2.
660
Les Cahiers de propriété intellectuelle
plus connue et la plus étendue des dispositions, celle qui vise les
accords anticoncurrentiels.
1.1 Les accords anticoncurrentiels
On peut dire que c’est l’un des domaines les plus anciens et les
plus importants de la politique canadienne dans le domaine économique15. Les règles concernant les accords anticoncurrentiels ont été
substantiellement durcies au cours des dernières années jusqu’à
devenir la règle édictée, aujourd’hui, à l’article 4516. Il est important
de remarquer que l’article 90.1, article nouveau17, est le pendant
civil à l’infraction criminelle décrite à l’article 45. Ainsi, le Bureau de
la concurrence peut faire la demande afin qu’une poursuite criminelle soit intentée en vertu de l’article 45, mais il lui est aussi possible de choisir d’intenter un recours de type civil. Dans les Lignes
directrices sur la collaboration entre concurrents18, le Bureau explique de quelle façon il entend appliquer les nouvelles dispositions 45
et 90.1. Notons que si une poursuite criminelle est intentée en vertu
de l’article 45, une poursuite civile selon l’article 90.1 est exclue,
à moins qu’il y ait plusieurs ententes vis-à-vis des mêmes entreprises19.
L’infraction de l’article 45 a changé au cours des ans. Jusqu’en
2009, la Loi interdisait de faire un accord pour empêcher ou diminuer indûment la concurrence, ce qui exigeait entre autres de prouver l’effet de l’accord sur la concurrence dans le marché en cause. Il
fallait donc examiner le marché pertinent, sa structure, de même
que le degré de puissance commerciale des parties et le comportement des entreprises20. Ces analyses sont très techniques et la
preuve de l’effet sur le marché était complexe et difficile à faire21. Le
15. R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, au para 87
[NSPS].
16. L’article 45 a été modifié par la Loi d’exécution du budget de 2009, LC 2009, c 2,
art. 410 ; l’article est entré en vigueur un an après la date de sanction de la loi,
soit le 12.03.2010 ; voir art. 444 de cette loi.
17. L’article 90.1 a été introduit par l’article 429 de la Loi d’exécution du budget de
2009, LC 2009, c 2, il est entré en vigueur un an après la date de sanction de la loi,
soit le 12.03.2010 ; voir art. 444 de cette loi.
18. Bureau de la Concurrence, Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents (2009), en ligne : Bureau de la concurrence <http://competitionbureau.gc.ca/
eic/site/cb-bc.nsf/fra/03178.html> [Lignes directrices sur la collaboration].
19. Art. 45.1 et 90.1(10).
20. Sur les notions juridiques en cause, voir la décision de la Cour suprême NSPS,
supra, note 15.
21. BÉRIAULT (Yves) et al., Le droit de la concurrence au Canada, (Carswell : Scarborough (Ontario), 1999), aux p. 122 à 125 [BÉRIAULT].
Survol du droit canadien de la concurrence
661
défaut de faire cette preuve pouvait mener à des acquittements ou
rejet des procédures22. Le nouvel article 45 crée des infractions de
type per se, c’est-à-dire illégales en soi. On ne cherche plus à savoir si
l’accord a ou aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence. Le seul fait de faire la preuve que plusieurs concurrents se
sont entendus sur divers éléments spécifiques concernant un produit
ou un service vis-à-vis duquel ils sont, ou seront éventuellement,
en concurrence directe est suffisant. Même des petites et moyennes
entreprises pourraient tomber sous le coup de la Loi23. Selon le
Bureau, il est probable que de telles ententes produiront des effets
nuisibles à la concurrence et elles méritent donc d’être sanctionnées
même si leurs effets réels sur le marché n’ont pas été étudiés en profondeur24.
Certaines caractéristiques de l’article 45 n’ont pas changé : il
prohibe tous les types d’« accord, de complot ou d’arrangement »
entre concurrents ou concurrents éventuels qui visent les trois sujets
précis qui y sont énoncés. Il est important de comprendre qu’au sens
de la Loi, un accord, un complot ou un arrangement sont en réalité
des synonymes25 et décrivent une entente au sens large. Un accord
est en fait un échange de volonté, écrit ou verbal, entre deux entreprises ou deux individus. Le simple fait de communiquer avec un
compétiteur ne fait pas présumer à une entente, il faut qu’il y ait une
intention réelle de mettre un « plan » à exécution, de la même façon
que le fait de suivre une pratique répandue dans une région, ce qui
est souvent appelé par le Bureau comme du parallélisme conscient,
n’entraîne une violation de cette règle à moins que cette décision soit
accompagnée d’autres éléments comme de l’échange d’information
ou encore d’une entente illégale26. On vise toute entente entre deux
ou plusieurs entités concurrentes ou concurrentes potentielles distinctes, de sorte que la filiale qui contracte avec sa société mère n’est
pas visée27. On ne vise pas non plus une entente entre une entreprise
et son fournisseur28, si ceux-ci ne sont pas en concurrence.
22. BÉRIAULT, supra, note 21, à la p. 118 ; voir à titre d’exemple R. c. Clarke Transport Canada (1995), 64 C.P.R. (3d) 289 (C. d’Ont. div. gén.) ; R. c. Bugden’s Taxi
(1970), 2007 NLTD 167 (NL Sup Ct (TD)).
23. DIAWARA (Karounga), « La réforme du droit des ententes anticoncurrentielles :
aperçu du domaine du nouveau régime hybride à double volet », (2010) 1:3 Bulletin de droit économique 23, 25 [DIAWARA].
24. Lignes directrices sur la collaboration, supra, note 18, à la p 6.
25. BÉRIAULT, supra, note 21, aux p. 109-11 ; R v. Armco Canada, (1976), 24 C.P.R.
(2d) 145 aux p. 152-153 (CA d’Ont.).
26. BÉRIAULT, supra, note 21, aux p. 110-111 ; Lignes directrices sur la collaboration, supra, note 18, à la page 7.
27. BÉRIAULT, supra, note 21, à la p. 110.
28. DIAWARA, supra, note 23, à la p. 24.
662
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La Loi précise trois types d’accords entre concurrents dont
l’effet anticoncurrentiel est indiscutable, soit : la fixation de prix,
le partage de marché29 ou encore la réduction de la production30.
Aujourd’hui la peine maximale pour l’infraction est de 14 années
d’emprisonnement et 25 millions de dollars31. C’est d’ailleurs ces
mesures qui font que le Canada est aujourd’hui l’un des pays les plus
stricts à l’égard des cartels, avec ses amendes pécuniaires extrêmement sévères et ses peines d’emprisonnement très lourdes32. De cette
manière, la Loi canadienne s’approche de plus en plus de la loi américaine. Un bon exemple d’accord anticoncurrentiel est sans aucun
doute celui de la société agroalimentaire Archer Daniels Midland,
dont l’histoire a grandement influencé le scénario du film « The
Informant ! ». Cette dernière a, en 1998, plaidé coupable, au Canada,
à des accusations de fixation de prix et de partage de marché avec des
concurrents en vertu de la Loi canadienne, ce qui lui a valu une
condamnation de 16 millions de dollars. La compagnie avait été plus
précisément accusée d’avoir fait des ententes internationales avec
des concurrents dont le but était de fixer les prix de la lysine et de
l’acide citrique qui sont des produits surtout utilisés dans le secteur
de l’alimentation animale, de la production de boissons gazeuses et
détergents. Cette fraude aurait eu lieu entre 1992 et 1995, les plus
touchés ont sans aucun doute été les consommateurs de volaille, de
porc, de boissons gazeuses et d’aliments transformés, ce qui comprend une très grande partie de la population canadienne33. Il est à
noter que les consommateurs ou clients des parties à un complot peuvent intenter un recours en dommages intérêts34 contre celles-ci et
plusieurs recours collectifs ont été certifiés au cours des dernières
29. Ou de clients.
30. Voir le par. 45(1) de la Loi. McCarthy Tétrault Progresseur MC : Le point sur la
Loi sur la concurrence et Investissement Canada – Aperçu à l’intention des entreprises, (mai 2011), en ligne : McCarthy Tétrault <http://www.mccarthy.ca/pubs/
Presentation_droit_concurrence_et_Investissement_Canada_31_05_2011.pdf>.
31. Par. 45(2) de la Loi.
32. GULY (Christopher), Canada gets tough on cartels, The Lawyers Weekly [2 avril
2010], 29 :44, 2010.
33. Bureau de la concurrence, Archer Daniels Midland doit acquitter des amendes de
16 millions de dollars pour avoir enfreint la Loi sur la concurrence dans l’industrie des additifs pour l’alimentation humaine et animale (27 mai 1998) en ligne :
Bureau de la concurrence <http://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cbbc.nsf/fra/00629.html>.
34. Art. 36 de la Loi.
Survol du droit canadien de la concurrence
663
années35. La Cour suprême aura bientôt à préciser les conditions que
doivent satisfaire les demandeurs dans ces recours36.
Il existe des moyens de défense, établis dans la Loi ou reconnus
par les tribunaux37. L’une des plus importantes concerne l’accord
anticoncurrentiel accessoire à une entente plus large ou distinct qui,
lui, est légal. C’est la défense dite de « l’effet accessoire » qui, à certaines conditions38, fait échec à la déclaration de culpabilité sous
l’article 45. Le Bureau donne l’exemple de « l’entente entre concurrents visant à mettre en œuvre certaines mesures de protection de
l’environnement ou une nouvelle norme de l’industrie »39. En augmentant les coûts de production, l’entente aura probablement pour
effet de faire monter les prix, mais comme c’est un effet accessoire à
une entente plus large qui poursuit un but légitime, elle demeure
légale en vertu de l’exception législative.
En ce qui concerne le recours civil de l’article 90.1, il faut préciser que, contrairement aux recours pénaux, celui-ci comporte un critère d’effet sur la concurrence. Il ne touche donc que les parties
qui disposent d’une puissance de marché40. Toute entente anticoncurrentielle est visée, dont les formes les plus répandues sont :
« [les] ententes de commercialisation, ententes de partage d’information, ententes visant la recherche et développement, ententes de
coproduction, ententes d’achats groupés et ententes de non-concurrence »41. Ici, la défense d’accord accessoire n’est pas applicable et
les ententes accessoires à une autre entente principale peuvent
être examinées en vertu de l’article 90.142. Par contre, à certaines
35. Pro-Sys Consultants Ltd. c. Infineon AG, 2009 BCCA 503 ; Irving Paper c. Atofina
Chemicals, 2010 ONSC 2705 (C. sup. d’Ont.) ; Quizno’s Canada Restaurant Corporation c. 2038724 Ontario Ltd., 2010 ONCA 466 ; Pro-Sys c. Microsoft, 2010
BCSC 285, 2011 BCCA 186 ; Sun-Rype Products Ltd. c. Archer Daniels Midland
Company, 2010 BCSC 922, inf. 2011 BCCA 187 ; Option Consommateurs c. Infineon Technologies, 2011 QCCA 2116 ; Fanshawe College c. LG Philips, 2011
ONSC 2484.
36. Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2011 CanLII 77282 (C.S.C.) ;
Sun-Rype Products Ltd. c. Archer Daniels Midland Company, 2011 CanLII 77189
(C.S.C.) ; Samsung Electronics Co. Ltd. c. Option Consommateurs, 2012 CanLII
26718 (C.S.C.).
37. Notamment la défense pour les activités réglementées, les exportations, les
ententes entre personnes morales affiliées ou entre institutions financières fédérales visées au par. 49(1) de la Loi ; voir les par. 45(5)(6) et (7) de la Loi.
38. Paragraphe 45(4) de la Loi.
39. Lignes directrices sur la collaboration, supra, note 18, à la p. 11.
40. DIAWARA, supra, note 23, à la p. 26.
41. Lignes directrices sur la collaboration, supra, note 18, à la p. 20.
42. Lignes directrices sur la collaboration, supra, note 18, à la p. 19.
664
Les Cahiers de propriété intellectuelle
conditions43, les parties peuvent invoquer l’exception des gains en
efficience. Les économies d’échelle sont un exemple de gain en efficience44. Supposons qu’une entreprise veuille faire des recherches
pour des produits plus performants, recherches qui demandent des
installations et des équipements plus spécialisés et très coûteux.
Ce coût fixe fera augmenter le coût unitaire de tous ses produits.
Une association avec une entreprise concurrente, pour effectuer
ses recherches en partageant les coûts, représentera une économie
d’échelle et pourrait constituer un gain en efficience. Si les conditions précises exigées par la loi et de la jurisprudence sont satisfaites, les parties pourront invoquer l’exception, se mettant à l’abri
d’une ordonnance en vertu de l’article 90.145. Enfin, notons qu’en
vertu de cet article, le tribunal peut imposer aux parties de changer
leur conduite mais il ne peut pas ordonner le paiement d’une « sanction administrative pécuniaire ».
2. LES MATIÈRES CIVILES
Les matières civiles couvrent, en plus des ententes concurrentielles, les agissements concernant les prix, le refus de vendre, les
pratiques restrictives comme l’entente d’exclusivité, la limitation de
marché, la vente liée et l’abus de position dominante.
2.1 Les recours concernant les prix
Dorénavant, tous les recours concernant les prix sont de nature
civile ; les infractions criminelles ont été abolies par la modification
législative de 2009. Désormais, l’unique disposition qui demeure
directement liée aux prix, l’article 76, concerne le maintien de prix.
Les autres agissements concernant les prix qui peuvent tomber sous
le coup de la loi sont des pratiques révisables ou sujettes à examen,
43. Voir le par. 91.1(4).
44. Dans l’affaire Directeur des enquêtes et recherches c. Hillsdown Holdings, 1992
CanLII 1901 (Trib. conc.), le tribunal de la concurrence explique : « [Les fusionnements] peuvent augmenter l’efficience des firmes, par exemple, en leur permettant de bénéficier d’économies d’échelle (le coût unitaire de production diminue à
mesure que le volume d’extrants augmente), d’économies de gamme (quand il est
moins coûteux de produire ensemble deux ou plusieurs produits que de les produire séparément), de gains en efficience dynamiques obtenus grâce à l’amélioration de la qualité des produits ou à des innovations », citant AREEDA (Phillip)
et al., Antitrust Analysis : Problems, Text, Cases, 4e éd. (Boston : Little, Brown,
1988), p. 120.
45. Pour une application de la notion de gain en efficience dans le contexte d’une
fusion, voir Canada (Commissaire de la concurrence) c. Supérieur Propane, 2003
CAF 53, [2003] 3 CF 529.
Survol du droit canadien de la concurrence
665
notamment le refus de vendre ou l’abus de position dominante, que
nous aborderons ci-dessous.
2.2 Le maintien des prix
Il s’agit d’un élément encadré par l’article 76, disposition de
type civile. L’ancien article 61, qui créait des infractions relatives
aux prix, a été abrogé. L’article 76 interdit qu’une entreprise qui
fabrique, vend, loue ou fournit un produit, fasse une menace, entente
ou promesse pour forcer ses clients ou ses concurrents à maintenir ou
monter leur prix, ou à enlever un rabais que ceux-ci voudraient
accorder sur un produit. Il s’applique aussi au fournisseur qui refuse
de vendre à une personne ou fait de la discrimination à l’égard de
cette entreprise à cause de son régime de bas prix46. Le Bureau de la
concurrence donne des exemples de comportements visés, dont celui
du détaillant qui « menace de ne plus faire affaire avec un fournisseur, à moins que ce dernier ne s’engage à cesser de fournir des produits à des vendeurs à rabais »47. De simples suggestions de prix ne
soulèvent pas de problème, mais la Loi exige que le fournisseur
indique clairement à ses clients qu’ils peuvent vendre à des prix
moindres et qu’ils ne souffriront pas dans leurs relations commerciales s’ils le font48.
L’article 76 ne vise que les comportements de maintien de prix
qui ont eu, ont ou auront « vraisemblablement pour effet de nuire
à la concurrence dans un marché ». Donc, en pratique, une preuve
d’impact sur le marché est nécessaire et l’article vise uniquement
les entreprises qui jouissent d’une certaine puissance commerciale.
À cet égard, le nouvel article 76 est plus en ligne avec le droit américain. Aux États-Unis, la Cour suprême a décidé en 2007 dans l’arrêt
Leegin Creative Leather Products, Inc. v. PSKS, Inc.49 que les infractions concernant le maintien des prix devaient être considérées en
fonction de leur objectif, des conséquences qu’elles entraînent sur le
marché et d’un ensemble de facteurs. Elles ne sont plus considérées
comme des conduites illégales en soi ou infractions per se.
46. Bureau de la concurrence, Vos prix : À vous de les établir (2011), en ligne Bureau
de la concurrence <http://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/
fra/03213.html>.
47. Ibid.
48. Par. 76(5) et (6).
49. 551 U.S. 877, (2007).
666
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.3 Le refus de vendre
Il s’agit, ici aussi, d’une pratique que le Bureau peut réviser.
On vise plus particulièrement à protéger les petites entreprises50.
On veut s’assurer que les entreprises qui ont besoin d’un produit particulier pourront s’approvisionner et seront en mesure de mener à
bien leurs opérations. Cependant on ne veut pas mettre un fournisseur en péril en le forçant à transiger avec un client insolvable. On ne
veut pas non plus imposer des façons de faire à un producteur : une
entreprise doit demeurer libre de limiter sa production ou de changer son mode d’opération pour le rendre plus rentable. Aussi, l’article 75 n’est pas ouvert à toutes les situations. Une série d’éléments
doivent être constatés pour que le tribunal accepte le recours. En
premier lieu, on doit démontrer que la personne victime du refus
n’est pas en mesure de se procurer un produit en quantité suffisante
pour mener à bien sa production et que cela la gène sensiblement51.
Ensuite, il faut prouver que cette personne est en mesure de respecter les conditions normales d’achat du produit : en fait, son incapacité de se procurer le produit de façon suffisante doit être due à
l’insuffisance de la concurrence entre les fournisseurs sur le marché
et non à une autre circonstance. Par exemple, dans l’affaire Nadeau
Ferme Avicole Limitée c. Groupe Westco52, la Cour a estimé que
l’incapacité d’un abattoir de poulets à s’approvisionner en poulets
était une conséquence d’un système de gestion de l’offre dans le secteur de la volaille, système qui avait été établi par le gouvernement
et qui imposait des quotas de production de poulets. Le recours sous
l’article 75 pour refus de vendre a donc été rejeté.
Le fournisseur doit être en mesure de produire la quantité
demandée et finalement le refus de vendre doit avoir pour effet de
nuire à la concurrence dans un marché, typiquement le marché en
aval du produit. Par exemple, dans l’affaire Nadeau Ferme Avicole,
puisque le plaignant était un abattoir de poulets, la question était de
savoir si la concurrence était réduite dans le marché des entreprises
qui achetaient des poulets des abattoirs. Une fois tous les éléments
prouvés, le tribunal pourra forcer un ou plusieurs fournisseurs à
50. BÉRIAULT, supra, note 21, à la p. 234.
51. Voir par exemple l’affaire Director of Investigation and Research c. Chrysler
Canada, (1989) 27 C.P.R. (3d) 1 (Trib. conc.), conf. (1991) 38 C.P.R. (3d) 25 (CAF),
dans laquelle on a estimé qu’une entreprise qui exportait des pièces d’automobile
et qui ne pouvait plus obtenir des pièces des voitures Chrysler avait été substantiellement affectée puisque, de 1986 à 1988, ses ventes avaient baissé de
200 000 $ et ses profits bruts de 30 000 $. Le tribunal indique toutefois que toute
une série d’éléments doivent être considérés. Ibid., p. 18.
52. 2011 CAF 188.
Survol du droit canadien de la concurrence
667
vendre le produit en question53. Il est à noter que normalement un
produit visé par l’article 75 n’est pas un produit portant une marque
en particulier54. Par exemple, on ne peut forcer le propriétaire du jus
d’orange de marque « X » à vendre du jus d’orange à une entreprise,
si par ailleurs d’autres fournisseurs de jus d’orange sont prêts à
s’acquitter de la tâche, à moins de pouvoir prouver que la marque
« X » est sur ce marché à ce point dominante que celui qui en est privé
est sensiblement affecté dans l’exploitation de son entreprise.
2.4 Les pratiques restrictives
L’article 77 vise trois types de pratiques qui sont très répandues dans le monde des affaires : l’entente d’exclusivité, la limitation
de marché et la vente liée55. Celles-ci deviendront toutefois problématiques si elles ont pour effet de réduire sensiblement la concurrence en créant des barrières dans le marché.
L’entente d’exclusivité sert au fournisseur à garantir l’exclusivité de son produit dans un point de vente. Il est pratique courante
qu’un fournisseur demande que son distributeur s’engage à ne pas
vendre dans ses succursales le produit d’un fournisseur concurrent.
Ce type d’entente est à l’avantage du fournisseur puisqu’elle lui permet de mieux planifier sa production56. À la base, une telle entente
ne contrevient pas à l’article 77, mais lorsqu’un fournisseur occupe
une place dans le marché si importante qu’il est très difficile pour un
autre fournisseur de trouver des revendeurs, il y a lieu d’intervenir57.
La limitation de marché a lieu lorsque le fournisseur limite
l’aire de distribution d’une entreprise qui vend son produit. Cette
53. Paragraphe 75 in fine de la Loi.
54. Voir le paragraphe 75(2). Voir aussi la décision Canada (Directeur des enquêtes et
recherches) c. Tele-Direct (Publications) Inc., (1997), 73 C.P.R. (3d) 1 aux p 30-33
[Tele-Direct], dans laquelle le tribunal décide que le refus de fournir une licence
de marque de commerce n’est pas un abus de position dominante. Le tribunal a
aussi décidé dans l’affaire Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Warner Music Canada Ltd., (1997), 78 C.P.R. (3d) 321 qu’une licence de droit d’auteur
n’est pas un produit visé par l’article 75.
55. Paragraphe 77(1) de la Loi.
56. BÉRIAULT, supra, note 21, à la p. 251.
57. Il faut alors satisfaire aux conditions du paragraphe 77(2) de la Loi. Le tribunal
de la concurrence a appliqué l’article 77, de même que l’article 79, dans l’affaire
Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. NutraSweet Co., (1990) 32 C.P.R.
(3d) 1 (Trib. Conc.) [NutraSweet]. Pour une analyse par la Cour d’appel fédérale
des critères applicables, voir Canada (Commissaire de la concurrence) c. Tuyauteries Canada Ltée, 2006 CAF 233 (C.A.F.) [Tuyauteries Canada].
668
Les Cahiers de propriété intellectuelle
pratique trouve tout son sens lorsque le fournisseur a plusieurs distributeurs et qu’il ne veut pas qu’ils se fassent concurrence entre eux.
La question se pose à savoir dans quelles situations une telle pratique sera préjudiciable pour le marché. Si le fournisseur est en compétition avec d’autres fournisseurs importants, la concurrence par
les distributeurs des produits d’autres marques dans le marché
empêchera d’augmenter indûment les prix58. Par contre, si les autres
fournisseurs sont peu nombreux ou de petite taille, il est possible que
la concurrence soit réduite et le tribunal pourra réviser les ententes59. La Loi autorise l’exclusivité ou la limitation du marché si elle
est « pratiquée uniquement pendant une période raisonnable pour
faciliter l’entrée sur un marché soit d’un nouveau fournisseur d’un
produit soit d’un nouveau produit »60.
La vente liée61 est un autre type d’entente qui intervient assez
fréquemment entre un distributeur et son fournisseur. Celle-ci se
produit lorsque le fournisseur accepte de vendre un produit « X » à la
condition qu’un produit « Y » soit, lui aussi, acheté par le distributeur. L’affaire BBM fournit un exemple : cette entreprise qui mesure
les cotes d’écoute de la radio et de la télévision vendait ses données
sur la radio avec ses données sur la télévision ou encore offrait un
rabais à ceux qui achetaient les deux sortes de statistiques ensemble, ce qui a été jugé une vente liée réduisant sensiblement la concurrence62. L’Union des consommateurs du Québec cite d’autres cas de
vente liée : appareil photo numérique et carte mémoire, service
Internet et modem, service de télédistribution et décodeur, imprimante et cartouches d’encre63.
Tout comme l’entente d’exclusivité, il est rare que la vente liée
cause un préjudice à la concurrence. Néanmoins, si le fournisseur est
un vendeur important d’un produit clé, cela peut créer une situation
d’iniquité pour les distributeurs qui se voient forcés d’acheter un
autre produit de ce fournisseur, ce qui peut à long terme nuire à la
concurrence dans le marché de cet autre produit64. La Loi pose plu58.
59.
60.
61.
62.
BÉRIAULT, supra, note 21, à la p. 273.
Ibid.
Par. 77 (4) de la Loi.
Par. 77(1) de la Loi.
Director of Investigation and Research v. BBM Measurement Bureau, (1981), 60
C.P.R. (2d) 26 (R.T.P.C.), conf. [1985] 1 C.F. 173 (C.A.F.) [BBM]. Pour un autre
exemple, voir Tele-Direct, supra, note 54.
63. Union des consommateurs, Les ventes liées : enjeux pour le consommateur (juin
2010), Union des consommateurs <http://uniondesconsommateurs.ca/docu/rap
ports2009-2010/06-R18-Vente-liee-f(rev).pdf>.
64. BÉRIAULT, supra, note 21, aux p. 261-262.
Survol du droit canadien de la concurrence
669
sieurs conditions avant que le tribunal n’intervienne : il doit arriver
à la conclusion que le fournisseur a adopté une pratique de vente liée
qui a ou aura vraisemblablement pour effet de réduire sensiblement
la concurrence, en faisant obstacle à l’entrée ou au développement
d’une firme sur le marché, ou au lancement d’un produit sur un marché, ou à l’expansion des ventes d’un produit sur un marché ou,
encore, à un autre effet d’exclusion. Dans ces cas seulement, le tribunal peut interdire les ventes liées. De plus, la Loi crée des exceptions
qui font échapper certaines ventes liées aux pouvoirs de révision du
tribunal, notamment celles qui sont raisonnables compte tenu de la
connexité technologique existant entre les produits 65.
2.5 L’abus de position dominante
Les articles 78 et 79 encadrent les abus de position dominante.
L’article 78 dresse une liste non exhaustive66 de comportements qui
sont considérés comme des abus de position dominante, c’est-à-dire
que celui ou ceux qui sont en bonne position dans le marché pourraient être considérés comme abusant de leur position s’ils commettaient les actes prévus à l’article 7867. Le Bureau de la Concurrence
fournit des exemples pratiques d’abus :
l’acquisition de la clientèle ou des fournisseurs d’un concurrent,
le recours à des « marques de combat » (marques à rabais) afin
de mettre au pas les concurrents ou de les éliminer, le fait
d’empêcher des sociétés concurrentes d’obtenir des approvisionnements essentiels, le recours à des contrats à long terme
pour empêcher la clientèle de changer de fournisseurs et le fait
d’outrepasser le pouvoir conféré par un droit de propriété intellectuelle, notamment celui afférent à une marque de commerce
ou à un brevet.68
65. Par. 77(4).
66. BÉRIAULT, supra, note 21, à la p. 300.
67. Pour des exemples d’affaires où le tribunal de la concurrence a conclu à un abus,
voir NutraSweet, supra, note 57 ; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c.
Laidlaw Waste Systems, (1992), 40 C.P.R. (3d) 289 (Trib. conc.) ; Canada c. D. and
B. Companies (1995), 64 C.P.R. (3d) 216 (Trib. conc.) ; Canada (Directeur des
enquêtes et recherches) c. AGT Directory Ltd., [1994] C.C.T.D. 24. Pour une analyse par la Cour d’appel fédérale des critères applicables, voir Tuyauteries
Canada, supra, note 57.
68. Bureau de la concurrence, Abus de puissance commerciale, en ligne : Bureau de
la concurrence <http://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/
03211.html>.
670
Les Cahiers de propriété intellectuelle
On peut aussi rajouter comme exemple d’abus fréquent le fait
de vendre des articles à un prix inférieur au coût d’acquisition de ces
articles dans le but de discipliner ou d’éliminer un concurrent69.
Aussi, comme pour les autres dispositions, il faut être en mesure
d’établir que l’acte posé par l’entreprise qui domine le marché « a, a
eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer
sensiblement la concurrence dans un marché »70. Dernièrement, une
modification à la Loi a fixé le montant des amendes administratives
pécuniaires maximales à 10 000 000 $ pour une première ordonnance et, pour toute ordonnance subséquente, à 15 000 000 $71.
L’objectif de cette sanction très sévère est d’enlever l’envie aux compagnies qui dominent un marché d’empêcher toute nouvelle entreprise de percer ce même marché. Cette position est justifiée par le
fait que l’un des objectifs premiers de la Loi est de permettre aux
petites et moyennes entreprises d’avoir une chance honnête de participer à l’économie canadienne72. Le montant de l’amende administrative lorsqu’elle est imposée dépendra de divers facteurs qui sont
énumérés au paragraphe 3.2 de l’article 79.
CONCLUSION
Voici en quelques pages un survol des dispositions la Loi sur la
concurrence qui touchent les pratiques commerciales les plus fréquentes. Évidemment, plusieurs aspects de la Loi demeurent sujets
à interprétation et le Commissaire de la concurrence jouit d’une discrétion non négligeable dans son application. Nous espérons néanmoins que ce texte permet au gestionnaire d’une petite ou moyenne
entreprise d’identifier les pratiques commerciales courantes qui suscitent des problèmes en droit antitrust et d’ajuster sa conduite en
conséquence.
69. Alinéa 78 (1)i).
70. Par. 79(1).
71. Paragraphe 79 (3.1) de la Loi, tel que modifié par l’article 428 de la Loi d’exécution
du budget de 2009, LC 2009, c. 2.
72. Article 1.1 de la Loi.
Vol. 25, no 2
Marques de commerce en 2012 :
cinq décisions importantes
des Cours fédérales
Chloé Latulippe*
1. Corporation Sun Media c. Duproprio inc. . . . . . . . . . . 674
1.1 Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 674
1.2 La décision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 675
1.3 À retenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 677
2. HomeAway.com c. Hrdlicka. . . . . . . . . . . . . . . . . . 677
2.1 Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 677
2.2 La décision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 677
2.3 À retenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 678
3. Bodum USA, Inc. c. Meyer Housewares Canada Inc. . . . . 678
3.1 Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 678
3.2 La décision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 679
3.3 À retenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 680
© Chloé Latulippe, 2013.
* Avocate, Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L, s.r.l.
671
672
Les Cahiers de propriété intellectuelle
4. Conseil du Régime de retraite des enseignantes
et des enseignants de l’Ontario c. Canada
(Procureur général) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 681
4.1 Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 681
4.2 La décision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 682
4.3 À retenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 683
5. Hawke & Company OutFitters LLC and Retail Royalty
Company and American Eagle Outfitters, Inc. . . . . . . . 683
5.1 Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 683
5.2 La décision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 685
5.3 À retenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 686
Après une année 2011 marquée par l’opus de la Cour suprême
du Canada dans l’arrêt Masterpiece1, l’année 2012 en marques de
commerce aurait pu nous sembler quelque peu terne. Les Cours fédérales ne nous laissent toutefois pas sur notre faim et plusieurs décisions d’intérêt ont été rendues au cours de l’année. Comme le veut la
tradition, nous en avons retenu cinq dont les enseignements méritent d’être explorés.
Dans Corporation Sun Media c. Duproprio inc.2, la Cour fédérale s’est penchée sur la question de savoir si une action déclaratoire
pure et simple était possible en matière de marques de commerce, en
l’absence d’une disposition expresse à cette fin dans la Loi sur les
marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (« LMC »).
L’affaire HomeAway.com c. Hrdlicka3 a été l’occasion pour la
Cour fédérale de s’interroger sur la notion d’emploi d’une marque
de commerce dans le contexte d’Internet et de nous livrer à une
réflexion « philosophique » sur l’absence de frontière dans le monde
virtuel.
Dans Bodum USA, Inc. c. Meyer Housewares Canada Inc.4, une
action en contrefaçon qui a plutôt mal tourné pour la demanderesse,
Bodum USA, Inc., l’enjeu était de déterminer si la marque déposée
FRENCH PRESS était une marque valide ou si elle devait plutôt
être radiée en raison de son absence de caractère distinctif.
Dans Conseil du Régime de retraite des enseignantes et des
enseignants de l’Ontario c. Canada (Procureur général)5, le seul arrêt
de la Cour d’appel fédérale que nous examinerons, la Cour a tenu
compte de la clientèle visée par les services d’administration des rentes de retraite des enseignants de l’Ontario pour décider si la marque
TEACHERS’ donnait une description claire de la nature des services
de l’appelante au sens de l’alinéa 12(1)b) de la LMC.
1.
2.
3.
4.
5.
Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., [2011] 2 R.C.S. 387.
2012 CF 1028 [protonotaire Morneau].
2012 CF 1467 [juge Hughes].
2012 FC 1450 [juge Mosley].
2012 CAF 60 [juges Blais, Nadon, Dawson].
673
674
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Finalement, l’affaire Hawke & Company OutFitters LLC and
Retail Royalty Company and American Eagle Outfitters, Inc.6 a été
l’occasion pour la Cour fédérale d’appliquer les enseignements de
l’arrêt Masterpiece à l’analyse de la confusion entre les marques
de commerce AMERICAN EAGLE OUTFITTERS & DESIGN et
HAWKE & CO. OUTFITTERS & BIRD DESIGN, pour parvenir à la
conclusion qu’un terme courant pouvait constituer la partie dominante d’une marque de commerce.
1. Corporation Sun Media c. Duproprio inc.7
1.1 Les faits
La demanderesse Corporation Sun Media s’était adressée à la
Cour pour obtenir une déclaration à l’effet que son utilisation des
marques de commerce VIA PROPRIO, VIA PROPRIO DESIGN et du
nom de domaine « viaproprio.ca » ne serait pas contraire aux dispositions de la LMC en raison des droits de la défenderesse Duproprio
inc. (« Duproprio ») dans les marques DUPROPRIO. Pour sa part,
Duproprio a déposé une requête en radiation de la déclaration de
Sun Media, alléguant que la Cour n’avait pas compétence pour
rendre un jugement déclaratoire de non contrefaçon. C’est de cette
requête en radiation dont il était question dans cette affaire.
Au soutien de sa requête en radiation, Duproprio invoquait la
décision Peak Innovation Inc. c. Meadowland Flowers Ltd., 2009 FC
661, dans laquelle la Cour fédérale avait décidé qu’elle n’avait pas
compétence pour émettre en faveur du demandeur une déclaration
à l’effet que certains de ses produits ne contrevenaient pas aux dessins industriels de la défenderesse puisque la Loi sur les dessins
industriels, L.R.C. (1985), ch. I-9, ne contenait pas une disposition
expresse prévoyant ce type de remède. Dans cette affaire, la Cour
fédérale avait écarté l’application du paragraphe 20(2) de la Loi sur
les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, comme assise à l’action
déclaratoire au motif qu’il était établi par la jurisprudence (Radio
Corporation of America c. Philco Corporation (Delaware), [1966]
R.C.S. 296 (« Radio Corporation ») et Cellcor Corp. of Canada Ltd. et
al. c. Kotacka (1976), 27 C.P.R. (2d) 68 (« Cellcor ») que le paragraphe
20(2) de la Loi ne lui donnait pas, en soi, compétence à l’égard d’une
cause d’action, à moins que celle-ci ne soit prévue indépendamment
6. 2012 FC 1539 [juge de Montigny].
7. Supra, note 2.
Marques de commerce en 2012
675
par une loi fédérale. Le paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que la Cour « a compétence concurrente dans tous les
autres cas de recours sous le régime d’une loi fédérale [...] relativement à un brevet d’invention, un droit d’auteur, une marque de commerce, un dessin industriel ou une topographie au sens de la Loi sur
les topographies de circuits intégrés ».
1.2 La décision
Selon le protonotaire Morneau qui a rendu jugement dans cette
affaire, la portée des arrêts Radio Corporation et Cellcor était plus
limitée que celle qui leur a été accordée dans Peak Innovation. En
effet, dans Radio Corporation, la Cour suprême du Canada avait à
décider si l’appelante avait le droit, dans le cadre de procédures
intentées en vertu du paragraphe 45(8) de la Loi sur les brevets de
1952, d’attaquer des revendications de la demande de brevet de
l’intimée à l’égard desquelles le Commissaire n’avait soulevé aucune
objection. Pour la Cour, l’économie de la loi faisait en sorte qu’une
action relative à un conflit de demandes de brevets ne pouvait porter
que sur les revendications qui étaient en litige devant le Commissaire. De même, dans Cellcor, le demandeur avait entrepris une
action fondée sur l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales, demandant à la Cour de déclarer qu’il était la personne en droit d’obtenir
des lettres patentes en vertu de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, ch.
P-4. La Cour d’appel fédérale devait décider si la Cour fédérale avait
compétence pour rendre un tel jugement déclaratoire et elle a conclu
par la négative compte tenu du fait qu’en vertu de la Loi sur les brevets, c’est le Commissaire qui doit déterminer si un brevet doit ou
non être accordé à une personne. Les circonstances de ces affaires
étant bien loin de celles de la présente, il semblait donc permis de
s’en distancier.
Par ailleurs, l’article 55 de la LMC prévoit que « la Cour fédérale peut connaître de toute action ou procédure en vue de l’application de la [présente] loi ou d’un droit ou recours conféré ou défini
par celle-ci ». Bien que cet article soit semblable à l’article 15.2 de la
Loi sur les dessins industriels, L.R.C. (1985), ch. I-9 et que cela n’ait
pas suffi à convaincre la Cour d’intervenir dans Peak Innovation, le
protonotaire note qu’en vertu de la Loi sur les dessins industriels,
seul un dessin enregistré confère des droits. Or, dans Peak Innovation, la demanderesse ne détenait pas d’enregistrement. À la différence de la Loi sur les dessins industriels, la LMC confère cer-
676
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tains droits du simple fait qu’une demande d’enregistrement ait été
déposée. En effet, l’article 3 de la LMC prévoit que :
Une marque de commerce est réputée avoir été adoptée par une
personne, lorsque cette personne ou son prédécesseur en titre a
commencé à l’employer au Canada ou à l’y faire connaître, ou, si
la personne ou le prédécesseur en question ne l’avait pas antérieurement ainsi employée ou fait connaître, lorsque l’un d’eux
a produit une demande d’enregistrement de cette marque au
Canada.
Il est vrai qu’à la différence de la LMC, la Loi sur les brevets prévoit expressément qu’une action peut être intentée devant la Cour
fédérale contre le breveté pour obtenir une déclaration qu’un procédé
ou un article ne constitue pas une violation du droit de propriété ou
d’un privilège exclusif du breveté (paragraphe 60(2) de la Loi). Mais
la Loi sur les brevets, tout comme la Loi sur les dessins industriels ne
touche qu’aux droits enregistrés. Une telle disposition était donc
nécessaire dans ce contexte.
Les différences majeures entre les régimes des brevets et des
dessins industriels et celui de la LMC faisaient donc en sorte qu’un
raisonnement différent pouvait être suivi par la Cour. Le critère
pour la radiation sur une question de compétence est celui de la
clarté et de l’évidence, ce qui, selon la Cour, était loin d’être le cas en
l’espèce. En effet, à la lumière des articles 55 de la LMC et 20(2) de la
Loi sur les Cours fédérales, il n’était pas clair que la Cour n’avait pas
compétence sur l’action déclaratoire. Par ailleurs, la Cour fédérale
avait déjà reconnu sa compétence à l’égard d’actions déclaratoires,
notamment dans l’affaire Philip Morris Products S.A. c. Marlboro
Canada Limited, 2010 FC 1099 (renversée sur une autre question
dans 2012 FCA 201).
La Cour fédérale a donc refusé de radier la déclaration de Sun
Media car il n’était pas « clair et évident » qu’une requête en radiation d’une déclaration au motif d’absence de compétence de la Cour
pour rendre une déclaration à l’effet que l’emploi de marque de commerce n’est pas contraire aux droits de Duproprio inc. devait être
accueillie.
Marques de commerce en 2012
677
1.3 À retenir
Bien que la LMC ne comporte aucune disposition prévoyant
expressément un recours déclaratoire, un tel recours devrait être
admis.
2. HomeAway.com c. Hrdlicka8
2.1 Les faits
La demanderesse HomeAway.com Inc. a saisi la Cour fédérale
d’une demande en vertu de l’article 57 de la LMC dans le but de faire
invalider la marque VRBO d’un certain Martin Hrdlicka, enregistrée en association avec des services de registre de fiches descriptives d’immeubles pour les vacances. La demande avait été faite sur
une base d’emploi projeté et l’enregistrement avait été accordé à la
suite du dépôt d’une déclaration d’emploi en 2010. Au soutien de sa
demande, HomeAway.com invoquait le fait qu’elle-même ou son prédécesseur en titre avait employé une marque VRBO au Canada
depuis au moins 2003 pour des services de location immobilière pour
les vacances en ligne. HomeAway.com avait apporté une preuve à
l’effet qu’elle avait fait de la publicité au Canada avant la date de
dépôt de la demande d’enregistrement en litige et que son site Web –
sur lequel apparaissait la marque VRBO – annonçait déjà des logements à louer au Canada. Quant à M. Hrdlicka, il n’avait déposé
aucune preuve pertinente d’emploi de la marque avant novembre
2012. L’issue de cette affaire dépendait donc de la question de savoir
si l’utilisation de la marque VRBO effectuée par HomeAway.com
constituait un « emploi » au sens de la LMC.
2.2 La décision
Notant le peu de jurisprudence sur la question de l’emploi d’une
marque par simple affichage sur l’écran d’un ordinateur, le juge
Hughes offre dans cette décision une analyse de ce que constitue
l’emploi d’une marque de commerce en association avec des services
offerts sur Internet. La Cour s’inspire de décisions rendues dans des
contextes tout autres, notamment l’affaire eBay Canada Limited c.
Canada (Ministre du Revenu national), 2007 CF 930 (confirmée par
la Cour d’appel fédérale dans 2008 CAF 348), où il était question de
la divulgation à des fins fiscales de renseignements se trouvant sur
8. Supra, note 3.
678
Les Cahiers de propriété intellectuelle
des ordinateurs aux États-Unis mais accessibles du Canada. Le juge
Hughes avait alors écrit que des renseignements accessibles électroniquement se situent « à la fois ici et ailleurs ». C’est la réalité « du
monde d’aujourd’hui ». La loi doit être interprétée de façon à tenir
compte des réalités du monde moderne de sorte que les données
informatiques conservées dans un pays peuvent être considérées
comme existant au Canada. Notant que la marque de commerce de
HomeAway.com apparaissait sur les écrans d’ordinateur au Canada
et ailleurs, la Cour indique qu’une marque de commerce visible par
le biais d’Internet sur un écran d’ordinateur au Canada est employée
et annoncée au Canada et ce, indépendamment de la provenance des
renseignements ou du lieu où ils sont emmagasinés. La Cour écorche au passage les sous-alinéas 5b)i) et ii) de la LMC, les qualifiant d’ésotériques et désuets, puisqu’ils stipulent qu’une marque est
réputée révélée au Canada si elle est employée dans un pays de
l’Union autre que le Canada en association avec des marchandises
ou services et que ceux-ci sont annoncés en liaison avec la marque
soit dans des « publications imprimées » soit dans des « émissions de
radio ».
2.3 À retenir
La LMC doit être interprétée d’une façon qui tienne compte des
réalités du monde moderne. L’affichage d’une marque par l’entremise d’un site Internet sur un écran d’ordinateur au Canada peut
constituer un emploi de cette marque au Canada, peu importe la
provenance des renseignements et le lieu où ils sont emmagasinés.
3. Bodum USA, Inc. v. Meyer Housewares Canada Inc.9
3.1 Les faits
Titulaire depuis 1997 d’un enregistrement pour la marque
FRENCH PRESS, Bodum USA, Inc. (« Bodum ») a intenté des procédures pour contrefaçon de marque de commerce, commercialisation
trompeuse et dépréciation d’achalandage contre Meyer Housewares
Canada Inc. (« Meyer »). En défense et demande reconventionnelle,
Meyer a attaqué la validité de l’enregistrement de Bodum, invoquant l’absence de caractère distinctif de la marque. Le nœud de
cette affaire était donc de déterminer si les mots « French Press » qui
apparaissaient sur l’emballage et la publicité pour les cafetières à
9. Supra, note 4.
Marques de commerce en 2012
679
pistons de Bodum constituaient une marque de commerce valable ou
n’étaient rien de plus qu’une expression générique, de sorte que la
marque n’était pas distinctive de Bodum. Compte tenu de la présomption de validité de l’enregistrement de Bodum, Meyer avait le
fardeau d’établir l’absence de caractère distinctif de la marque.
Or, la preuve révélait que d’autres fabricants, distributeurs et
détaillants vendaient des machines à café au Canada en employant
les termes « French Press ». Il semble d’ailleurs que cette expression
faisait l’objet d’un emploi répandu dans l’industrie. La façon dont
Bodum elle-même employait « French Press® » sur ses produits
et dans ses communications publiques était révélatrice. En effet,
« French Press® » était toujours employée sur les emballages dans
une police plus petite que celle utilisée pour le nom Bodum et le
nom du modèle en particulier. Les catalogues de Bodum utilisaient
d’ailleurs l’expression de manière générique et Bodum décrivait sa
machine comme « The Original French Press », reconnaissant ainsi
de façon implicite l’existence d’autres machines de type « French
press » sur le marché. De plus, dans ses propres demandes de brevets
et dessins industriels, Bodum traitait des machines à café de type
« French press » comme d’un élément connu de l’art antérieur et
comme une sorte de machine à café. Tous ces éléments jouaient
contre Bodum. Par ailleurs, la Cour a noté que Bodum n’avait entrepris de procédures contre aucune des compagnies qui utilisaient
« French Press » au vu et au su de Bodum, à part Meyer.
3.2 La décision
À la lumière d’une preuve volumineuse, constituée notamment
de témoignages d’experts en design, en marketing et de linguistes
ainsi que de plusieurs témoins de faits, la Cour a déclaré que l’enregistrement de Bodum n’était pas valide et a rejeté son action contre
Meyer. Rappelant que le caractère distinctif d’une marque est une
question de faits, la Cour s’est arrêtée principalement à la question
de savoir si l’association entre la marque et les cafetières de Bodum
permettait à cette dernière de distinguer ses marchandises de celles
de tiers qui utilisaient également l’expression « French press ». Or,
en l’absence de preuve que « French Press » ait jamais été utilisée
comme marque « seule » par Bodum mais toujours en lien étroit avec
le nom Bodum, la position de Bodum à cet égard était plutôt faible.
L’expression faisait déjà partie du langage courant au Canada lorsque Bodum l’avait adoptée.
680
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La place que fait la Cour à l’interaction entre le marché américain et le marché canadien ainsi que le poids accordé à une décision
du US Trademarks Appeal Board sont des aspects fort intéressants
de cette décision. En effet, dans son analyse, la Cour a pris en considération une décision rendue par le US Trademarks Appeal Board à
l’égard de la demande de Bodum pour la marque FRENCH PRESS
aux États-Unis. Compte tenu de ce qu’elle qualifie d’« intégration »
des marchés américains et canadiens, la Cour prend note de cette
décision rendue en 1999 qui avait refusé l’enregistrement de
FRENCH PRESS au motif que la marque était purement descriptive. Si la jurisprudence étrangère doit être employée avec précaution, il n’en demeure pas moins qu’elle peut aider la Cour dans son
analyse, particulièrement dans la mesure où la preuve déposée dans
le dossier américain était semblable à celle déposée en l’instance. La
Cour a également pris en compte l’effet du marché américain sur le
caractère distinctif de la marque au Canada. Il va de soi, selon la
Cour, que le flux d’informations entre les deux pays fait en sorte que
les informations en provenance des États-Unis ont une influence sur
la perception des consommateurs canadiens. Ainsi, l’emploi répandu
de « French press » aux États-Unis a eu un effet au Canada.
Tous ces éléments ont mené la Cour à conclure à l’invalidité de
la marque FRENCH PRESS au motif qu’elle n’était pas distinctive
des marchandises de Bodum. La Cour a analysé les autres motifs
d’invalidité soulevés par Meyer pour conclure au surcroît que la
marque donnait une description claire des marchandises en liaison
avec lesquelles elle est employée, en contravention de l’alinéa 12(1)b)
de la LMC et qu’elle est constituée du nom en anglais de ces marchandises, contrairement à ce que prévoit l’alinéa 12(1)c) de la LMC.
3.3 À retenir
L’échec cuisant de Bodum dans cette affaire rappelle quelques
règles d’or en ce qui a trait à la protection du caractère distinctif
d’une marque :
1) Le fait qu’une marque soit employée comme sous-marque peut
nuire à son caractère distinctif.
2) L’emploi de la marque de façon générique dans des contextes aussi variés que la publicité, les procédures judiciaires, les
demandes de brevets ou de dessins industriels est pertinent à
l’analyse.
Marques de commerce en 2012
681
3) L’absence de mesures prises par le titulaire afin de protéger le
caractère distinctif de sa marque face à l’emploi par des tiers
peut lui nuire sérieusement.
4. Conseil du Régime de retraite des enseignantes
et des enseignants de l’Ontario c. Canada
(Procureur général)10
4.1 Les faits
Le Conseil du Régime de retraite des enseignantes et des
enseignants de l’Ontario (« le Conseil ») avait déposé une demande
d’enregistrement pour la marque TEACHERS’ en association avec
les services suivants : « administration d’un régime de pension,
gestion d’un fonds de pension et investissements y afférents pour
les enseignants de l’Ontario ». Se fondant sur les alinéas 12(1)b) et
37(1)b) de la LMC, le registraire avait rejeté la demande d’enregistrement au motif que la marque donnait une description claire de
la nature des services de l’appelante et constituait « un mot approprié sur le plan commercial pour décrire la nature intrinsèque des
services d’administration, de gestion et de placement relatifs à un
régime ou fonds pour les enseignants et, par conséquent, ce mot
devrait pouvoir être employé par d’autres personnes parce que les
mots descriptifs sont la propriété de tous et qu’une personne ne peut
pas se les approprier pour son utilisation exclusive ».
Dans sa décision, la Cour fédérale s’était d’abord penchée sur la
norme de contrôle applicable. Conformément à la jurisprudence relative à la norme de contrôle applicable lorsque de nouveaux éléments
de preuve significatifs sont déposés en appel d’une décision du registraire, la Cour fédérale avait décidé d’examiner le dossier à la
lumière de la preuve soumise par l’appelante, sans retenue à l’égard
de la décision du registraire. La Cour avait conclu qu’il convenait de
considérer la marque dans le contexte du régime de retraite des
enseignants de l’Ontario dans le cadre duquel l’appelante devait
gérer un fonds de pension et à l’égard duquel les enseignants sont les
consommateurs finaux. Selon la Cour, une marque de commerce qui
décrit clairement une caractéristique notable des marchandises ou
services tombe sous le coup de l’interdiction d’enregistrement prévue
à l’alinéa 12(1)b). Ainsi, comme le mot TEACHERS’ décrivait une
caractéristique notable du fonds de pension des enseignants onta10. Supra, note 5.
682
Les Cahiers de propriété intellectuelle
riens, il donnait une description claire au sens de l’alinéa 12(1)b) de
la Loi, et ce, malgré le fait qu’il ne décrivait pas les services d’administration, de gestion ou de placement relatifs au fonds de pension en
question. Le juge avait donc conclu que la marque de commerce
n’était pas enregistrable et a rejeté l’appel du Conseil.
Dans l’appel de la décision de la Cour fédérale, la Cour d’appel
fédérale devait donc se prononcer sur la question du caractère descriptif de la marque de commerce TEACHERS’.
4.2 La décision
Rappelant la jurisprudence constante à l’effet que le critère
applicable pour décider si une marque de commerce donne une description claire est celui de la première impression, la Cour d’appel
fédérale indique que la marque ne doit pas être examinée de façon
isolée, mais en fonction de l’ensemble du contexte des marchandises
et des services. Le mot « claire » dans l’expression « description
claire » véhicule l’idée qu’il doit être évident que la marque donne
une description de la nature des marchandises ou services. Quant au
mot « nature », il s’entend d’une caractéristique, d’une particularité
ou d’un trait inhérent aux marchandises ou aux services. Le juge de
première instance ayant bien énoncé ces principes, la seule question
à trancher était celle de savoir s’il avait commis une erreur dans la
façon dont il les a appliqués.
Le Conseil avait soulevé trois moyens d’appel. En premier lieu,
il plaidait que le juge avait commis une erreur en considérant le fait
que la marque référait aux bénéficiaires des services comme une
indication qu’elle donnait une description claire des services de
l’appelant. La Cour d’appel fédérale a rejeté ces prétentions, estimant que la conclusion qui viendrait spontanément à l’esprit de la
personne raisonnable est que le régime de retraite concerne des
enseignants. Le mot « teachers » donnait donc une description claire
de la nature ou d’une qualité inhérente ou intrinsèque des services
du Conseil.
En deuxième lieu, le Conseil plaidait que le juge avait commis
une erreur en fondant sa décision sur le fait « qu’accorder à l’appelant un monopole sur l’emploi du mot commun « teachers’ » empêcherait d’autres services de pension et de services financiers visant les
enseignants [...] d’employer le terme » puisque, selon le Conseil, il
n’était pas possible de dire avec certitude que ce serait le cas. Or,
d’après la Cour d’appel fédérale, cela importait peu puisque la seule
Marques de commerce en 2012
683
véritable question était de savoir si oui ou non la marque donnait
une description claire des services de l’appelant.
Finalement, le Conseil plaidait que le registraire aurait dû
approuver la demande en vue de sa publication et permettre à la
question d’être débattue devant la Commission des oppositions, le
cas échéant. La Cour d’appel fédérale a balayé cet argument du
revers de la main, rappelant que le registraire n’a d’autre choix que
de refuser la demande d’enregistrement lorsqu’il est d’avis que la
marque donne une description claire de la nature ou de la qualité des
services en liaison avec lesquels elle est employée. L’article 37 de la
LMC étant « un code complet », le registraire n’a pas de marge de
manœuvre lorsqu’il pense qu’une marque n’est pas enregistrable et
il ne peut déférer la question à la Commission des oppositions.
4.3 À retenir
Le contexte particulier des marchandises ou services en cause
doit guider l’analyse du caractère clairement descriptif d’une marque. La « nature » d’un service s’entend d’une caractéristique, particularité ou d’un trait inhérent du service en question. La clientèle
visée par les services peut faire partie des caractéristiques, particularités ou des traits inhérents du service en question.
5. Hawke & Company OutFitters LLC and Retail Royalty
Company and American Eagle Outfitters, Inc.11
5.1 Les faits
À la suite d’une opposition déposée par les intimées Retail
Royalty Company (« RRC ») et American Eagle Outfitters, Inc.
(« AEO »), le registraire a refusé la demande d’enregistrement de
Hawke & Company OutFitters LLC (« Hawke ») pour la marque
HAWKE & Co. OUTFITTER & BIRD DESIGN en association avec
des vêtements et des services de vente au détail fondée sur un emploi
projeté au Canada. La marque en litige est reproduite ci-dessous :
11. Supra, note 6.
684
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Les motifs d’opposition soulevés par les opposantes RRC et
AEO reposaient essentiellement sur la question de la confusion avec
la marque AMERICAN EAGLE OUTFITTERS & Design de RRC :
Devant la Commission des oppositions, les opposantes avaient
déposé en preuve matériel promotionnel, preuve d’emploi volumineuse, chiffres de ventes, dépenses publicitaires, etc. Quant à
Hawke, elle avait déposé une preuve d’emploi de la marque en litige
et ses chiffres de vente au Canada.
Dans son analyse de la confusion, la Commission des oppositions
a évidemment pris en compte les facteurs énumérés au paragraphe
6(5) de la LMC. Elle a conclu que le facteur du caractère distinctif
inhérent des marques et la mesure dans laquelle elles sont devenues
connues favorisaient les opposantes malgré le fait que le terme « outfitters » soit générique et malgré sa conclusion à l’effet que les deux
marques avaient à peu près le même degré de caractère distinctif
inhérent. En effet, la marque de RRC avait acquis par l’emploi un
caractère distinctif important. La période pendant laquelle les marques de commerce avaient été en usage favorisait les opposantes et il
était clair qu’il y avait chevauchement entre les marchandises des
parties. Quant au degré de ressemblance entre les marques, la Commission a conclu qu’il y avait ressemblance entre les dessins d’aigles
et les idées suggérées par les marques, notamment en raison du mot
« outfitter ».
Bien que le mot « outfitter » ne soit pas particulièrement distinctif, c’est le dernier élément des deux marques et la preuve n’avait
pas été faite qu’il s’agissait d’un terme communément employé en
association avec des vêtements à la date pertinente. Hawke avait
omis de déposer les extraits du registre des marques de commerce
qu’elle citait à l’appui de son argument que les dessins d’oiseaux
étaient communément employés dans l’industrie au moyen d’un affidavit. Or, dans le cadre d’une opposition, le registraire ne prend pas
connaissance d’office de l’état du registre. Soupesant tous ces éléments, le registraire s’est dit d’avis que la probabilité de confusion ne
penchait véritablement en faveur de ni l’une ni l’autre des parties et
qu’en conséquence, il se devait de refuser la demande d’enregistrement de Hawke, cette dernière ayant le fardeau d’établir que sa
marque était enregistrable.
Marques de commerce en 2012
685
5.2 La décision
Face à la preuve supplémentaire déposée en appel par Hawke,
la Cour fédérale devait d’abord décider si cette preuve aurait eu un
impact important sur les conclusions du registraire et, dans la négative, d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable.
Devant la Cour fédérale, Hawke avait déposé deux nouveaux affidavits ; le premier, pour remédier aux lacunes de sa preuve d’état du
registre, était un affidavit auquel étaient joints des extraits de la
base de données de l’OPIC démontrant le nombre de marques comportant les termes « outfitters » et « outfitter » ainsi que le nombre de
marques comportant un dessin d’oiseau ou d’aigle en association
avec des vêtements. Des définitions du dictionnaire du mot « outfitter » étaient également jointes. Un deuxième affidavit, cette fois-ci
du président de la requérante, avait également été déposé pour
faire état de certaines informations absentes en première instance,
notamment des factures témoignant des ventes de produits portant
la marque de Hawke par son distributeur au magasin Winners.
Pour la Cour fédérale, cette nouvelle preuve n’aurait pas été
suffisamment importante pour affecter les conclusions de la Commission des oppositions, notamment parce que le seul élément véritablement nouveau (des factures à Winners) était postérieur à la
période pertinente pour l’analyse de la confusion et du caractère distinctif de la marque. De même, la preuve relative à la fréquence du
mot « outfitter » et des dessins d’oiseaux n’était pas suffisante puisqu’elle n’établissait pas l’état du marché et l’emploi réel de ces marques à la date pertinente. Pour faire une véritable preuve de l’état du
marché, il aurait fallu fournir une preuve d’achat de marchandises
portant les marques en question, de la publicité et des chiffres de
vente de marchandises associées avec ces marques. Par ailleurs, seules trois ou quatre marques au registre combinaient à la fois le mot
« outfitter » ou « outfitters » et un dessin d’oiseau et aucune preuve
n’avait été faite de l’emploi de ces marques. Sur ce point, la Cour rappelle que le nombre de marques requis pour établir qu’un élément
d’une marque avait été couramment adopté dépend des circonstances de chaque dossier mais tourne généralement autour de dix marques. C’est ainsi que la décision de la Commission devait être révisée
selon la norme de la décision raisonnable (Mattel, Inc. c. 3894207
Canada Inc., 2006 1 R.C.S. 772).
Le degré de ressemblance entre les marques en litige étant le
facteur le plus important dans l’analyse de la confusion (Masterpiece,
par. 49), la conclusion de la Commission était de l’ordre du raison-
686
Les Cahiers de propriété intellectuelle
nable. Le fait que le mot « outfitters » soit un mot courant du dictionnaire ne faisait pas en sorte que ce ne pouvait pas être l’élément
distinctif et dominant de la marque, tel qu’enseigné par la Cour
suprême dans l’arrêt Masterpiece. La combinaison du mot « outfitter(s) » comme dernier élément des deux marques au dessin d’un
oiseau de proie faisait en sorte que les marques avaient un degré
élevé de ressemblance.
5.3 À retenir
Le concept de partie dominante de la marque fait partie de
l’analyse de confusion dans le sillage de l’arrêt Masterpiece. Un mot
commun comme « outfitters » peut raisonnablement être une partie
dominante d’une marque de commerce. Il en est de même de la représentation figurative d’un aigle. Il était donc raisonnable d’accorder
une importance moindre aux mots « Hawke & Co. » et « American
Eagle » dans l’analyse de la confusion entre les marques en litige.
Vol. 25, no 2
Revue de cinq décisions en
brevet (non pharma) 2012
Pascal Lauzon*
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 689
1. Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada ltée,
2012 CF 113 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 689
1.1 Le brevet et le litige en cause . . . . . . . . . . . . . . 690
1.2 Les défenses et motifs d’invalidité soulevés
par Bell. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 691
1.2.1 L’exception pour cause réglementaire
ou expérimentale . . . . . . . . . . . . . . . . . 691
1.2.2 Défense Gillette . . . . . . . . . . . . . . . . . 691
1.2.3 L’évidence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 692
1.2.4 L’utilité et la portée excessive . . . . . . . . . . 692
1.3 Les mesures de réparation . . . . . . . . . . . . . . . 693
1.3.1 Profits ou dommages-intérêts ? . . . . . . . . . 693
1.3.2 Dommages-intérêts punitifs . . . . . . . . . . . 694
© Pascal Lauzon, 2013.
* Avocat et agent de marques de commerce, associé chez BCF s.e.n.c.r.l.
687
688
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2. Hollick Solar Systems Ltd. c. Énergie Matrix inc.,
2012 CAF 174 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 695
3. Repligen Corp. c. Procureur général du Canada,
2012 CF 931 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 696
4. Drissi c. 4463251 Canada inc., 2012 QCCA 1707 /
2012 QCCA 697 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 699
5. Canada c. GlaxoSmithKline inc., 2012 CSC 5 . . . . . . . . 699
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 701
INTRODUCTION
Lorsqu’on m’a demandé si je voulais contribuer aux Cahiers de
propriété intellectuelle en rédigeant la revue jurisprudentielle 2012
en matière de brevet, c’est avec plaisir que j’ai accepté. Je me suis
immédiatement dit que cela me permettrait d’aborder l’arrêt Viagra
de la Cour suprême du Canada et d’agrémenter mon texte de jeux de
mots. J’aurais, par exemple, parlé de la montée grandissante de la
popularité des causes en propriété intellectuelle à la Cour suprême
et du durcissement des critères de validité des brevets.
Toutefois, avant de laisser trop longuement cours à mon imagination, on m’a précisé que l’arrêt Viagra faisait l’objet d’un article distinct. Je me suis alors réconforté en me disant que la Cour
suprême avait rendu d’autres décisions en matière de brevet dans les
affaires Teva et Merck Frosst. C’est à ce moment qu’on a mieux circonscrit mon mandat : je devais faire une révision de la jurisprudence 2012 en brevet non pharma. Ceci restreint donc grandement le
choix des décisions à résumer pour cette année 2012 qui fut faste au
niveau des décisions en matière pharmaceutique.
Malgré tout, je crois avoir réussi à rassembler cinq décisions
qui sauront intéresser les lecteurs. Je propose d’abord deux décisions
qui ont trait à des actions en violation de brevet (des décisions en
droit des brevets « pur et dur ») et trois décisions plus « périphériques » si l’on veut, traitant respectivement de la correction d’« erreur
d’écriture » par la commissaire aux brevets, la nature de la relation
avocat-client des cabinets d’avocats et d’agents de brevet et des incidences fiscales que peuvent représenter les avantages liés à une
licence de brevet.
1. Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada ltée,
2012 CF 113
Cette décision est intéressante car non seulement constitue-telle en soi l’entier corpus jurisprudentiel en matière de violation de
brevet dans le domaine des hélicoptères, mais elle présente aussi des
689
690
Les Cahiers de propriété intellectuelle
motifs intéressants, notamment sur l’invalidité pour cause d’absence
d’utilité démontrée (ou de prédiction valable) et sur la question des
dommages punitifs, si souvent réclamés, mais très rarement accordés.
Cette décision fait écho en quelque sorte aux commentaires
qu’émettait le juge Hughes lors d’une conférence à laquelle j’ai
assisté il y a quelques années. Le juge Hughes reprochait aux avocats d’avoir souvent tendance à présenter trop de motifs d’invalidité
en réponse à une action en contrefaçon de brevet. Il disait que les
examinateurs de brevets sont des gens compétents qui connaissent
leur travail et qu’un brevet ne devrait pas être invalide pour cinq raisons différentes. Peut-être y a-t-il lieu d’explorer plusieurs motifs
d’invalidité pendant la phase avant-procès, mais au moment du procès, il faut choisir son meilleur motif d’invalidité, et peut-être un
motif d’invalidité subsidiaire ; en effet, au troisième motif, les juges
ne sont généralement plus très intéressés, nous indiquait le juge
Hughes. Comme on le verra dans cette affaire Eurocopter, le fait de
présenter trop de motifs d’invalidité dans le cadre du procès peut
s’apparenter à de l’abus de procédure.
1.1 Le brevet et le litige en cause
L’invention brevetée par Eurocopter porte sur un nouveau type
de train d’atterrissage à patins pour hélicoptères. Une des caractéristiques de cette invention est que les parties avant des patins sont
reliées par une traverse. Dans un train d’atterrissage classique, la
traverse avant se retrouve un peu plus reculée par rapport au bout
des patins (qui ont donc l’allure de skis). Ce nouveau type de train
d’atterrissage dit de type « traîneau » (et désigné familièrement par
Eurocopter sous le nom de train « Moustache ») présente certains
avantages, dont un poids plus léger, un amortissement plus en douceur à l’atterrissage et permet d’éliminer certaines résonances au
sol.
La défenderesse, Bell, avait fabriqué 21 trains d’atterrissage,
soit le train « Legacy », qu’Eurocopter prétendait contenir tous les
éléments essentiels de plusieurs revendications du brevet. Bell ne
niait pas ces allégations tout en présentant certaines défenses, dont
quelques-unes seront analysées ci-dessous.
Après que le recours en violation de brevet fut intenté, Bell a
rapidement modifié le train « Legacy » et a mis au point le train « Production » afin de chercher à se distinguer des revendications du
Revue de cinq décisions en brevet (non pharma) 2012
691
brevet en cause. Eurocopter soutenait que le train « Production » contrevenait également au brevet en cause. La Cour a jugé que tous les
éléments des revendications du brevet d’Eurocopter étaient essentiels et qu’ils ne se retrouvaient pas tous dans le train « Production ».
Cette partie du jugement est moins d’intérêt, quoique importante
pour la trame factuelle, et ne sera pas abordée davantage.
1.2 Les défenses et motifs d’invalidité soulevés par Bell
Tous les éléments des revendications en cause se retrouvaient
clairement dans le train « Legacy », ce qui n’était d’ailleurs pas
contesté par Bell. La Cour n’a donc pas longuement fait état de la
question à savoir si le train « Legacy » était visé par les revendications en cause et s’est attardée plus en détail sur les défenses et
motifs d’invalidité soulevés par Bell. Je relèverai ci-dessous certains
de ces défenses et motifs d’invalidité.
1.2.1 L’exception pour cause réglementaire ou expérimentale
Il y a relativement peu de jurisprudence sur cette défense à
la contrefaçon et sa portée exacte demeure incertaine. Toute décision
traitant de ce moyen de défense est donc bienvenue.
Aucun hélicoptère muni d’un train « Legacy » n’avait été vendu,
Bell étant en attente de son homologation par les diverses agences
des transports. Bell faisait valoir que 20 des 21 trains « Legacy »
qu’elle avait fabriqués avaient servi à des tests à des fins d’homologation.
Le vingt-et-unième train « Legacy » avait toutefois été installé
sur un hélicoptère qui avait été présenté lors d’un salon commercial
afin d’en faire la publicité et de solliciter des commandes anticipées.
Selon la Cour, cela était suffisant pour écarter la défense pour cause
réglementaire ou expérimentale car la construction et l’utilisation
du train « Legacy » par Bell ne se justifiaient pas par la seule
mesure nécessaire à la préparation du dossier d’information que la
loi l’oblige à fournir.
1.2.2 Défense Gillette
Bell soutenait qu’elle ne faisait qu’exécuter des réalisations
antérieures lorsqu’elle a conçu et fabriqué son train « Legacy ». La
Cour rejette cette défense à la lumière de la preuve pour plusieurs
raisons, dont une particulièrement intéressante.
692
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Lors du Forum annuel de l’American Helicopter Society tenu à
Montréal en 2008, Bell avait fièrement présenté son nouveau train
d’atterrissage « Legacy » (lequel, rappelons-le, contient tous les éléments essentiels des revendications en cause) et faisait valoir qu’il
avait été conçu pour la « première fois » et qu’il « diffère du train classique en ce que la traverse tubulaire avant et les tubes de patin ont
été intégrés ». Disons que, dès lors, la défense de l’utilisation antérieure était difficile à démontrer.
1.2.3 L’évidence
Outre le fait que la Cour a estimé que les antériorités mises en
preuve étaient ambiguës ou non pertinentes, la Cour a retenu le fait
qu’Eurocopter avait travaillé trois ans au développement de son
train « Legacy ». De plus, Bell avait même loué un hélicoptère d’Eurocopter muni d’un train Moustache afin de l’étudier et d’effectuer des
essais sur celui-ci.
1.2.4 L’utilité et la portée excessive
La revendication indépendante du brevet en cause précise que
la traverse avant est décalée par rapport à la délimitation avant du
point d’appui des patins sur le sol. La revendication dépendante 15
précise que la traverse est décalée vers l’avant tandis que la revendication 16 précise que la traverse est décalée vers l’arrière. Ceci veut
donc dire que les deux inclinaisons sont comprises dans la revendication 1.
Eurocopter faisait valoir que l’utilité consiste à créer un train
d’atterrissage fonctionnel. La Cour n’est pas de cet avis et indique
que l’utilité de l’invention brevetée doit s’analyser à la lumière des
promesses dans la divulgation.
À la lumière des divulgations et de la preuve, la Cour était plus
que satisfaite que l’utilité de la configuration du train « Moustache »,
avec l’inclinaison de la traverse avant vers l’avant, était démontrée à
la date de dépôt du brevet. Même si l’on pouvait argumenter que certaines inclinaisons n’étaient pas utiles, la Cour était d’avis que la
personne moyennement versée dans l’art n’aurait eu aucune difficulté à choisir le degré d’inclinaison le plus approprié dans les circonstances.
Revue de cinq décisions en brevet (non pharma) 2012
693
Mais qu’en est-il d’une inclinaison vers l’arrière ? À la date du
dépôt, les inventeurs n’avaient aucune preuve que l’inclinaison vers
l’arrière présenterait un quelconque avantage. En fait, une telle
configuration aurait été perçue comme plus vulnérable à un écrasement qu’une inclinaison vers l’avant. La Cour conclut en rappelant
qu’un brevet n’est pas accordé en se fondant sur des conjectures ou
des suppositions. La Cour déclare donc invalides toutes les revendications dont la portée inclut une inclinaison vers l’arrière. Une seule
revendication demeure donc valide, soit la quinzième, mais elle était
suffisante pour maintenir l’action en violation de brevet.
1.3 Les mesures de réparation
La Cour émet donc une injonction et ordonne la destruction des
trains « Legacy ». Toutefois, ce sont les propos de la Cour sur les questions des dommages qui sont les plus intéressants. Vu l’ordonnance
de disjonction, la Cour n’avait pas à déterminer le montant des dommages, mais devait déterminer quels types de dommages pouvaient
être réclamés par Eurocopter.
1.3.1 Profits ou dommages-intérêts ?
Il est souvent préférable pour un demandeur de réclamer les
profits du défendeur plutôt que de chercher à prouver ses dommages véritables. Toutefois, la Cour rappelle que le choix des profits
n’est pas automatique et qu’il revient à la Cour, dans ses pouvoirs
d’equity, d’ordonner les profits.
En l’espèce, le fait pour Eurocopter d’avoir les « mains nettes »
n’était pas en soi suffisant à justifier une restitution des profits. En
effet, la complexité du calcul des profits de Bell suite à sa fabrication
et son utilisation des trains « Legacy » milite contre l’octroi d’une restitution des profits. Notamment, les trains ne sont pas vendus seuls
et aucun hélicoptère muni d’un tel train n’avait été vendu (bien qu’il
y ait eu des précommandes). De plus, la Cour envisageait qu’une
enquête dans les profits de Bell aurait mené à générer de multiples
litiges, longs et coûteux, entre les parties. Eurocopter devra donc se
contenter de démontrer qu’elle a subi des pertes, soit à titre de ventes perdues ou de perte de redevances.
694
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.3.2 Dommages-intérêts punitifs
La Cour rappelle que des dommages punitifs ne peuvent être
accordés que lorsque la conduite d’une partie a été malveillante,
opprimante ou abusive, choque le sens de la dignité du tribunal ou
représente un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en
matière de comportement acceptable. De plus, ils ne seront accordés
que lorsque les dommages généraux et majorés réunis ne permettent
pas d’atteindre l’objectif qui consiste à punir et à dissuader. En
l’occurrence, même si le montant des dommages généraux n’était pas
encore fixé, la Cour a estimé que des dommages punitifs étaient
appropriés, sans toutefois en fixer le montant.
La Cour était d’avis que la conduite de Bell était hautement
répréhensible et constituait une indifférence complète à l’égard des
droits d’Eurocopter, notamment pour les raisons suivantes :
• Bell avait connaissance du brevet et sa prétention à l’effet contraire n’était pas crédible ;
• Bell avait loué un hélicoptère Eurocopter muni d’un train « Moustache » dans le but de l’étudier et le train « Legacy » « n’était rien
de plus qu’une copie servile du train d’atterrissage Moustache
breveté » ;
• Lorsque des doutes ont été soulevés au sujet de la similitude entre
le train « Legacy » et le train d’Eurocopter, Bell a « de façon téméraire » dit à ses ingénieurs de poursuivre le travail ;
• Bell avait un service de propriété intellectuelle qui était expressément chargé de vérifier les contrefaçons possibles ;
• Bell n’a fait preuve d’aucun remords et n’a offert aucune excuse
pour son comportement. Elle a nié l’existence de la contrefaçon en
adoptant « une position vindicative durant toute l’instance » plaidant des défenses qui n’ont pas été sérieusement retenues ;
• Bell avait fait la publicité à l’effet qu’elle était la première à avoir
conçu un train d’atterrissage du type en cause ; et
• Bell a continué à faire la promotion de son hélicoptère muni du
train « Legacy » après l’institution de l’action d’Eurocopter.
Revue de cinq décisions en brevet (non pharma) 2012
695
Cette décision a été portée en appel par Bell et Eurocopter a
produit un appel incident. La demande d’audition ayant été déposée
en novembre 2012, on pourrait avoir une décision de la Cour d’appel
à temps pour la revue de la jurisprudence en brevet 2013.
2. Hollick Solar Systems Ltd c. Énergie Matrix inc.,
2012 CAF 174
Cet arrêt de la Cour d’appel fédérale constitue un bon rappel de
l’importance de ne pas inclure des éléments qui ne sont pas nécessaires dans les revendications d’un brevet et de la difficulté subséquente de rencontrer le test tripartite de l’arrêt Free World Trust c.
Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 afin de démontrer qu’un élément
inclus dans les revendications n’est pas essentiel.
L’invention en cause concernait un système de chauffage de
l’air par énergie solaire : une plaque métallique trouée est chauffée
par l’énergie solaire, l’air extérieur à la surface de la plaque est
chauffé et ensuite aspiré dans l’espace d’aspiration derrière la plaque en raison d’une prise de ventilation qui aspire l’air à l’intérieur de l’immeuble. Les revendications précisaient que la prise de
ventilation était positionnée au sommet de l’espace d’aspiration.
L’emplacement de la prise de ventilation au sommet avait vraisemblablement été choisi par l’inventeur en raison du fait que les systèmes de ventilations se retrouvent généralement à la hauteur des
toits des immeubles et qu’il est naturel d’acheminer l’air du sommet
de l’espace d’aspiration directement au système de ventilation plutôt
que d’aspirer l’air plus bas et l’acheminer ensuite par le biais d’une
canalisation plus longue. Toutefois, on comprendra que l’air étant de
l’air et pouvant aisément être aspiré de n’importe quel point, il
n’était peut-être pas nécessaire de préciser que la prise de ventilation devait être positionnée au sommet de l’espace d’aspiration.
Ce qui devait donc arriver arriva. Un ancien distributeur des
demanderesses avait choisi de commercialiser un système de chauffage de l’air par énergie solaire conceptuellement identique au système breveté, à une variante près : la prise de ventilation est positionnée dans la partie inférieure de l’espace d’aspiration, ou près
de celle-ci. Tout le litige portait sur le caractère essentiel ou non de
l’emplacement de la prise d’air.
En première instance, les demanderesses avaient soutenu que
la variante n’affectait pas le fonctionnement de l’invention. Plus particulièrement, les demanderesses avaient cherché à démontrer que
696
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’invention revendiquée visait le comportement de l’air à l’extérieur
de la plaque et donc que l’endroit d’où l’air était aspiré dans l’espace
d’aspiration derrière la plaque n’empêchait pas l’air extérieur d’être
chauffé et ensuite aspiré pour être acheminé vers le système de ventilation. La défenderesse quant à elle prétendait qu’il y avait un
avantage à placer la prise de ventilation au sommet car l’air chauffé
qui se trouve dans l’espace d’aspiration a tendance à monter naturellement vers le haut. Un tel système serait donc plus efficace et un
système avec une prise d’aspiration dans la partie inférieure serait
moins efficace. La Cour a retenu la thèse de la défenderesse.
Les demanderesses ont porté la décision en appel et plaidaient
essentiellement que le juge de première instance avait commis une
erreur dans l’interprétation du brevet (donc une erreur de droit) en
concluant que le positionnement de la prise d’aspiration au sommet
était essentiel. La Cour d’appel a plutôt pris l’approche que la détermination du caractère essentiel ou non de l’emplacement de la prise
d’aspiration découlait de la preuve d’expertise qui avait été soumise.
La Cour d’appel a estimé que les appelantes lui demandaient essentiellement de remettre en cause l’appréciation de la preuve d’expert,
ce qui requiert une erreur dominante ou manifeste ce qui, jugea-telle, n’était pas le cas.
3. Repligen Corp. c. Procureur général du Canada,
2012 CF 931
Une dizaine d’années après le célèbre arrêt Dutch Industries
Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2003 CAF 121, l’affaire
Repligen remet à l’actualité la question du défaut de paiement des
taxes de maintien, les conséquences d’un tel défaut et les difficultés
de convaincre la commissaire aux brevets de considérer une « erreur
d’écriture » au sens de l’article 8 de la Loi sur les brevets1 pour accepter un paiement en retard. Cette décision représente toutefois peutêtre un assouplissement des critères requis pour obtenir une révision judiciaire d’une décision discrétionnaire de la commissaire refusant de corriger une erreur d’écriture, mais cela reste à voir.
Les faits à l’origine de cette affaire sont les suivants. L’agent de
brevets canadien de Repligen avait par erreur indiqué à son homologue américain que le numéro du brevet en cause était le 1 314 486,
au lieu du 1 341 486. Ainsi, ce même numéro erroné a été fourni à la
1. 8. Un document en dépôt au Bureau des brevets n’est pas invalide en raison
d’erreurs d’écriture ; elles peuvent être corrigées sous l’autorité du commissaire.
Revue de cinq décisions en brevet (non pharma) 2012
697
société dont les services ont été retenus pour le versement des taxes
périodiques (CPA). Lorsque CPA a payé les taxes périodiques en faisant erronément renvoi au brevet 1 314 486, soit un brevet de
Rolls-Royce, l’OPIC lui a signalé que le paiement avait déjà été effectué (la taxe ayant été payée par Rolls-Royce). Sans se poser plus de
question, CPA a demandé le remboursement de son paiement et
l’OPIC lui a par la suite fait parvenir ce remboursement. Les années
suivantes, CPA et Rolls-Royce effectuaient le paiement de la taxe de
maintien pour le brevet 1 314 486 et celle des deux qui effectuait le
paiement en deuxième demandait et obtenait un remboursement. Il
en résulte que les taxes de maintien pour le brevet 1 341 486 de
Repligen demeuraient impayées.
L’Office de la propriété intellectuelle du Canada (l’« OPIC ») a
donc envoyé un avis de taxe périodique à l’agent canadien de Repligen signalant que la taxe périodique requise n’avait pas été payée.
Il n’y a pas eu de réponse de la part de l’agent de Repligen et le brevet
de Repligen est officiellement devenu périmé en raison du nonpaiement de la taxe périodique.
Les agents de Repligen ont été substitués et les nouveaux
agents ont contesté la péremption du brevet tout en tentant de payer
les taxes échues sur la base que l’inversion des chiffres constituait
une « erreur d’écriture » au sens de l’article 8 de la Loi sur les brevets.
Bien que reconnaissant qu’il s’agissait d’une erreur d’écriture, la
commissaire a refusé de la corriger sous prétexte que « le retard dans
l’examen des erreurs a fait en sorte que, pendant une longue période,
des tiers se sont peut-être fondés sur des documents accessibles au
public et sur les renseignements qu’ils contenaient » et que « ladite
correction est susceptible d’avoir une incidence négative sur les
droits de tiers ».
Repligen se pourvoit en Cour fédérale une première fois2 (la
décision ici résumée a trait à la seconde fois !) pour demander la révision judiciaire du refus de la commissaire. Le juge Lemieux avait
conclu que la commissaire n’avait pas exercé correctement son pouvoir discrétionnaire, n’ayant pas tenu compte de certains facteurs
pertinents, dont le fait que Repligen avait effectué les paiements et
qu’ils avaient été reçus par l’OPIC (bien qu’ils avaient été attribués à
un autre brevet). Le juge Lemieux met également en doute la pertinence, en l’instance, d’évoquer des possibles incidences négatives sur
2. Repligen Corporation c. Canada (Procureur général), 2010 CF 1288.
698
Les Cahiers de propriété intellectuelle
les droits de tiers. La Cour renvoie donc l’affaire devant la commissaire pour une décision.
Malgré les facteurs pertinents à considérer énumérés par le
juge Lemieux, la commissaire en est venue à la même conclusion
générale et refusa encore d’exercer son pouvoir discrétionnaire de
corriger l’erreur et de rétablir le brevet. Repligen se pourvoit donc à
nouveau devant la Cour fédérale et demande la révision judiciaire de
cette deuxième décision.
La Cour fédérale rappelle que le pouvoir dont dispose la commissaire pour décider, à la lumière des circonstances de fait, s’il y a
lieu ou non de corriger une erreur d’écriture particulière en application de l’article 8 de la Loi sur les brevets est discrétionnaire. Il faut
donc se poser la question de savoir si le refus en l’espèce d’exercer
cette discrétion était raisonnable.
Dans cette deuxième demande de révision judiciaire, le juge
Near est d’avis que l’approche adoptée par la commissaire suggère
que la norme applicable au paiement des taxes périodiques (et aux
erreurs d’écriture connexes) est celle de la perfection. Selon lui, si
une telle approche devait être admise, le législateur n’aurait vraisemblablement pas inclus l’article 8 à la Loi sur les brevets. En
d’autres termes, si le législateur a prévu inclure à la loi la possibilité
que la commissaire corrige des erreurs d’écriture, il veut bien que le
commissaire exerce cette discrétion lorsqu’il est raisonnable de le
faire.
À la lumière des motifs précédents émis par son collègue, le
juge Near est d’avis qu’il n’était pas raisonnable pour la commissaire
de refuser la correction de l’erreur d’écriture. Selon lui, la commissaire a omis de concentrer son attention sur la question centrale du
paiement ininterrompu de la taxe périodique par Repligen conformément au régime législatif et sur l’intention qu’avait Repligen de
maintenir ses droits de brevet, malgré le fait que ses paiements ont
été assignés à un autre brevet.
La Cour fédérale a donc renvoyé à nouveau le dossier devant la
commissaire afin qu’elle décide de corriger ou non l’erreur d’écriture.
J’ai eu l’occasion d’échanger avec l’avocat qui a représenté Repligen
devant la Cour fédérale et il me confirme que, trois mois après la
deuxième décision, la commissaire a accepté de corriger l’erreur
d’écriture et de rétablir le brevet.
Revue de cinq décisions en brevet (non pharma) 2012
699
4. Drissi c. 4463251 Canada inc., 2012 QCCA 1707 / 2012
QCCA 697
Dans cette affaire, on aborde les questions du secret professionnel et du conflit d’intérêt qui peuvent surgir dans les cabinets multidisciplinaires d’avocats et d’agents de brevets. Ces questions ne
trouvent malheureusement pas réponse, mais il est néanmoins pertinent et utile de se les rappeler.
M. Drissi avait demandé une déclaration d’inhabilité contre le
cabinet d’avocat représentant la partie adverse, soit Robic, sur la
base qu’il avait confié un mandat à un agent de brevet chez Robic une
dizaine d’années plus tôt, mandat qui, selon M. Drissi, avait une
connexité avec l’affaire en cours. Notamment, les parties représentées par Robic dans ce litige avaient communiqué comme pièce au
soutien de leur action une correspondance qu’il estimait privilégiée
entre lui et Robic.
La Cour supérieure a rejeté la requête pour déclaration d’inhabilité sur la base que la communication entre M. Drissi et l’agent de
brevet chez Robic n’était pas protégée par le privilège avocat-client.
M. Drissi demande la permission d’interjeter appel de ce jugement
interlocutoire.
Le juge Kasirer, siégeant seul, accueille la demande de permission d’interjeter appel. Selon lui, « l’intérêt de la justice [...] requiert
que la Cour examine de près la situation où le cabinet d’avocat comportant des membres non-avocats risque d’être déclaré inhabile à
agir en fonction des faits particuliers de l’espèce ». Du coup, il
ordonne la suspension du dossier en Cour supérieure en attendant
que la Cour d’appel se prononce sur la question de l’inhabilité.
Avant que l’appel ne soit entendu, Robic a cessé d’agir dans le
dossier et a été substitué par le cabinet d’avocats Woods. La Cour
d’appel donne acte du retrait de Robic et estime que la question
devant elle est désormais théorique ; l’appel est rejeté sur cette base
et la question demeure donc ouverte.
5. Canada c. GlaxoSmithKline inc., 2012 CSC 52
Comme je voulais absolument résumer une décision de la Cour
suprême dans le domaine pharmaceutique malgré les directives
reçues, je termine avec l’arrêt GlaxoSmithKline. Il s’agit d’un arrêt
700
Les Cahiers de propriété intellectuelle
en matière de droit fiscal, mais le mot « brevet » y apparaît bel et bien
deux ou trois fois. Loin de moi le désir de vouloir me prétendre fiscaliste, mais cet arrêt aborde un principe juridique qui peut être utile
pour les praticiens en propriété intellectuelle.
Les faits à l’origine de cette affaire sont les suivants. Glaxo se
procurait de la ranitidine, l’ingrédient actif du médicament Zantac,
auprès d’une société affiliée en Suisse à un prix variant entre 1 512 $
et 1 651 $ le kilogramme. Or, durant la même période, Apotex et
Novopharm, qui bénéficiaient de licences obligatoires leur permettant de commercialiser le médicament breveté, se procuraient de la
ranitidine d’autres fournisseurs à un prix variant entre 194 $ et
304 $, soit environ 1 300 $ moins cher que le prix payé par Glaxo. Sur
cette base, et prétextant que Glaxo avait versé un montant pour
l’achat de ranitidine plus élevé que ce qui aurait été raisonnable afin
de diminuer son revenu imposable au Canada, le ministère du
revenu a établi des nouvelles cotisations pour Glaxo qui avaient pour
effet d’augmenter son revenu imposable de 51 millions de dollars.
Glaxo soutenait que le prix payé était raisonnable et se justifiait notamment en raison de la licence dont elle bénéficiait qui
lui permettait notamment d’utiliser et vendre le produit breveté,
d’employer exclusivement les marques de commerce, d’avoir accès
aux améliorations, de bénéficier d’appui à la commercialisation et
d’obtenir une indemnisation des dommages-intérêts qui pourraient
découler d’une action en contrefaçon de brevet ou marque. En appel à
la Cour canadienne de l’impôt, la Cour estimait qu’il fallait examiner
le contrat d’achat séparément du contrat de licence et que ce dernier
n’était donc pas pertinent pour déterminer le prix de pleine concurrence approprié à payer pour se procurer de la ranitidine. La Cour
d’appel fédérale a infirmé cette décision et la Cour suprême du
Canada a confirmé la décision de la Cour d’appel.
Le paragraphe 69(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu permet au
ministre de s’interroger sur le prix qui aurait été raisonnable dans
les circonstances si le fournisseur non-résident et le contribuable
canadien n’avaient eu aucun lien de dépendance entre eux. Ce faisant, il est donc nécessaire de considérer les ententes susceptibles de
conférer des droits et des avantages en sus du bien acheté, lorsque
ces ententes sont liées au contrat d’achat. En l’occurrence, il n’existait que deux sources approuvées de ranitidine. L’obligation pour
Glaxo de se procurer de la ranitidine d’une source approuvée ne
résultait pas de son lien de dépendance à sa société-mère et son fournisseur affilié, mais plutôt du contrôle qui était exercé sur la marque
Revue de cinq décisions en brevet (non pharma) 2012
701
de commerce et le brevet relatifs au produit pharmaceutique d’origine que Glaxo souhaitait commercialiser. Tout autre distributeur,
même sans lien de dépendance, qui souhaiterait commercialiser le
médicament Zantac pourrait donc aussi être contraint à cette même
obligation.
La Cour suprême considère par conséquent qu’une partie des
prix d’achat versée par Glaxo à son fournisseur servait de contrepartie pour au moins certains droits et avantages conférés par la
licence. La Cour suprême ne tranche pas la question de savoir si
dans ce cas précis le prix payé était entièrement justifié par la licence
et renvoie l’affaire devant la Cour canadienne de l’impôt pour réexamen à la lumière de ses motifs et le dossier est présentement toujours ouvert à la Cour canadienne de l’impôt.
CONCLUSION
Malgré la tâche difficile de trouver cinq décisions intéressantes
et pertinentes rendues en 2012 dans le domaine des brevets « non
pharma », j’espère avoir présenté un tour d’horizon adéquat et informatif. J’espère aussi pour la personne chargée de cette revue en 2013
que cette année sera un peu plus garnie en termes de jugements et
d’arrêts.
Vol. 25, no 2
L’affaire des chaussures Louboutin :
est-il possible d’enregistrer une
couleur comme marque
de commerce ?
René Pepin*
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 705
2. AU CANADA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 707
3. AUX ÉTATS-UNIS AVANT L’AFFAIRE
LOUBOUTIN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 711
4. LA DÉCISION LOUBOUTIN . . . . . . . . . . . . . . . . 715
5. CONCLUSION : ET MAINTENANT, QU’ALLONSNOUS FAIRE ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 723
© René Pepin, 2013.
* Professeur, Faculté de droit, Université de Sherbrooke.
703
1. INTRODUCTION
Le 5 septembre 2012, la U.S. Court of Appeals a rendu sa
décision dans le litige opposant deux maisons françaises de haute
couture, Christian Louboutin et Yves Saint-Laurent1. Louboutin
reprochait à YSL d’utiliser, dans une de ses collections de vêtements,
des souliers à semelles rouges, ce qui lui était réservé par marque de
commerce. YLS a rétorqué que cette marque était invalide, parce que
la loi américaine ne permet pas l’enregistrement d’une couleur,
seule, comme marque de commerce.
Les faits dans cette affaire sont assez banals2. C’est vers 1972
que Louboutin a eu cette idée de se distinguer des autres maisons de
vêtements de haute couture en fabriquant des souliers qui auraient
tous un dénominateur commun : une semelle rouge, couleur appelée
« rouge Chine impériale », et couverte d’une couche de laque. Selon
son créateur, cette couleur a été choisie parce qu’elle évoque l’énergie
et la passion amoureuse3. L’enregistrement de la marque a été
accepté aux États-Unis en janvier 20084. Cela s’est avéré un grand
coup de marketing. Le succès commercial a été énorme5. Cette idée
de doter des souliers de semelles rouges a rempli la même fonction
que celle prévue pour les marques de commerce. D’abord, identifier
1. Ci-après YSL. Voir Christian Louboutin, S.A., c. Yves St-Laurent America
Holdings, 696 F.3d, 206.
2. Ils sont rappelés au début de la décision en première instance, par la cour de
district. Voir Christian Louboutin S.A. c. Yves Saint-laurent America, inc., 778
F.supp. 2d 445 (2011).
3. Ibid., p. 447.
4. Le numéro d’enregistrement auprès du PTO (Patent and Trademark Office) est le
3361597. L’enregistrement a été accepté pour l’objet suivant : « a lacquered red sole
on footwear ». Aux États-Unis, le PTO est l’organisme unique qui s’occupe tant des
demandes d’enregistrement pour les marques de commerce que les brevets. En cas
de désaccord, c’est le Trademark Trial and Appeal Board qui se prononce, avant
que l’affaire ne soit déférée aux tribunaux judiciaires.
5. Supra, note 2, p. 448. Le juge mentionne qu’en 2010, un quart de million de paires
de ces chaussures se sont vendues aux États-Unis seulement, à un prix variant
entre 400 $ et 2000 $ la paire. À travers le monde, on parle d’un demi-million de
paires de chaussures, dont le prix s’élève jusqu’à six mille dollars ! Voir aussi
GORMAN (Danielle E.), « Protecting Single Color Trademarks in Fashion After
Louboutin », (2012) 30 Cardozo Arts & Entertainment Law Journal 369.
705
706
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’origine. En effet, toute personne qui s’intéresse à la mode peut faire
le lien très vite et très direct entre la vue de souliers à semelle rouge
vif et la maison Louboutin. Et, on l’espère toujours, être un gage de
qualité. Ce qui devait être le cas, on le souhaite aux femmes qui les
portent, car ces chaussures peuvent coûter deux mille dollars aux
États-Unis, et plus en Europe !
Louboutin n’aimait pas voir que la maison St-Laurent faisait
déambuler, à l’occasion, lors de défilés de mode, ses mannequins avec
des souliers à semelles rouges. Ce qui a précipité le litige est que YSL
a présenté en 2011 une collection appelée « Croisière », où plusieurs
souliers à semelle rouge étaient offerts aux clientes. Devant le refus
de YSL de retirer ces éléments de sa collection, Louboutin s’est
adressé aux tribunaux pour réclamer une injonction interlocutoire.
La demande s’appuyait sur les motifs suivants : violation de la
marque de commerce, concurrence déloyale, dilution de l’achalandage
et violation de diverses lois étatiques interdisant des pratiques commerciales déloyales. YSL a rétorqué en alléguant surtout que la
marque n’aurait jamais dû être enregistrée, qu’elle n’était pas suffisamment distinctive, qu’elle était simplement ornementale et qu’elle
était fonctionnelle. En conséquence, c’est Louboutin qui devrait des
dommages-intérêts à YSL6.
La question posée est intéressante, et pertinente. C’est évidemment celle de savoir dans quelle mesure une couleur peut être protégée par une loi sur les marques de commerce. L’affaire Louboutin
mérite d’être étudiée, parce que les lois canadienne et américaine
sont très semblables dans leur définition de ce qui peut être enregistré comme marque de commerce. Et en droit canadien, la jurisprudence et les auteurs ne se sont pas penchés beaucoup sur cette
question de la protection des couleurs par le régime des marques de
commerce. D’où l’intérêt d’examiner la décision Louboutin. Dans un
premier temps, nous allons regarder l’état du droit au Canada, puis
la situation aux États-Unis jusqu’à la décision Louboutin. Nous
allons ensuite vérifier si cette affaire a changé les règles du droit
américain sur la possibilité de protéger une couleur par le régime des
marques de commerce, pour voir enfin si la décision peut nous servir
d’enseignement au Canada.
6. Supra, note 2, p. 449.
L’affaire des chaussures Louboutin
707
2. AU CANADA
On peut faire deux remarques préliminaires, qui pourront
aider la compréhension des règles applicables dans ce domaine. Une
première chose à établir, c’est qu’une question ainsi formulée : « une
couleur peut-elle être protégée comme marque de commerce ? »
n’a pas de sens. Car toute personne qui connaît un tant soit peu le
domaine des marques de commerce sait que la Loi sur les marques de
commerce7 n’accorde aucune exclusivité absolue. Pour prendre un
exemple simple qui fait voir la différence avec un régime comme
celui établi en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, la compagnie
Coca-Cola, qui possède la marque COKE ne peut pas empêcher
un historien qui publie un volume sur l’histoire de la compagnie
d’employer des dizaines de fois le mot « Coke ». Ce que la LMC
accorde, c’est l’usage exclusif d’une marque, mais toujours pour un
produit donné, ou un service. De même, la compagnie d’articles de
sport Nike a pu obtenir comme marque de commerce la représentation d’un petit crochet8, mais pour certains articles qu’elle vend,
comme des casquettes et souliers de course. La question en litige,
posée correctement, pourrait se formuler de la façon suivante : « une
couleur unique peut-elle être acceptée comme marque de commerce
pour un produit ou un service ? ».
Une deuxième constatation qu’on doit faire, c’est que la loi
canadienne n’interdit pas a priori l’utilisation d’une couleur lors
d’une demande d’enregistrement, au contraire des odeurs, ou des
sons, qui ne peuvent être protégés. Cette réalité n’apparaît pas
clairement dans le libellé de la définition, à l’article 2, de ce qui
peut constituer une marque de commerce. Cette définition est très
englobante : ce peut être « toute marque employée par une personne
pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues [...] par elle ». Cependant l’article 30, qui énumère le
contenu d’une demande de marque de commerce prévoit, au paragraphe h), qu’elle doit être accompagnée d’« un dessin de la marque
de commerce ». Notre loi ne vise donc, on le constate, que ce qui
s’adresse à l’œil.
Il y a eu peu de décisions, au cours des ans, qui ont étudié cette
question de la protection d’une couleur par la LMC. Les litiges ont
porté presque tous sur des tentatives de compagnies pharmaceutiques d’obtenir une protection sur la forme et la couleur de leurs pro7. L.R.C. (1985), ch T-13 ; ci-après la LMC.
8. Appelé aussi check ou swoosh.
708
Les Cahiers de propriété intellectuelle
duits9. Ainsi, en 1987, le juge Strayer, de la division de première
instance de la Cour fédérale10 a infirmé une décision du registraire
refusant la demande de la compagnie SKF concernant les comprimés
TAGAMET. Selon le registraire, la compagnie voulait faire protéger
la couleur verte, qui recouvrait uniformément le comprimé. Le juge
Strayer s’est dit d’accord avec l’affirmation selon laquelle une couleur seule ne peut constituer une marque de commerce, mais ce qui
était en jeu était une demande de marque de commerce pour un comprimé de telle grosseur, telle forme, et telle couleur. Il retourna donc
l’affaire au registraire, pour faire déterminer si le comprimé en question pouvait avoir un caractère distinctif suffisant pour identifier le
produit à son fournisseur, sans porter atteinte aux autres marques
de commerce11.
Plus récemment, en 2010, la question s’est posée encore en
Cour fédérale. Cette fois, c’est la compagnie Apotex qui a demandé la
radiation de l’enregistrement de la marque de Glaxo Smith Kline
concernant l’inhalateur ADVAIR, pour les asthmatiques. Selon les
faits de la cause, la marque « se compose de la couleur violet foncé
no 2587C du code Pantone, et de la couleur violet pâle no 2567C du
code de Pantone appliquées à la surface [...] d’un inhalateur »12.
Le juge Barnes, qui a rendu la décision, a bien posé la question en se
demandant si, au moment de la demande d’enregistrement, les utilisateurs de ces produits que sont les médecins, les pharmaciens et les
patients, reconnaîtraient la marque de GSK d’après son apparence
et associeraient cet habillage à une source unique13. Il fallait se
demander, en effet, si telle marque, qui peut être composée entre
autres d’une couleur, est suffisamment distinctive pour que le consommateur fasse le lien mental entre le produit qu’il voit et son fabricant. Sur la question de la couleur et de la forme d’un produit en tant
qu’aspect du caractère distinctif, le juge a écrit que ces éléments peuvent sans doute aider à distinguer les produits d’un fabricant de ceux
d’un autre, et que ces éléments peuvent avoir une influence sur le
comportement des consommateurs. « Néanmoins, une marque qui
9.
10.
11.
12.
13.
Voir JONES (Paul), « Tis a Tale Full of Sound and Colour – Signifying
Nothing ? », (2003) 23(9) Lawyers Weekly ; voir aussi SIM (Keltie) et al., « Protecting Colour as Trademark » (2004) 23(47) Lawyers Weekly.
Smith Kline & French Canada Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 633.
Ibid., au par. 6.
Apotex inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2010 CF 291, au
par. 2. Le code Pantone est un système international de classification des
couleurs.
Ibid., au par. 5.
L’affaire des chaussures Louboutin
709
est fondée sur la couleur et la forme d’un produit sera probablement
une marque faible »14.
Dans le cas soumis, le tribunal est arrivé à la conclusion que
pour les médecins et les pharmaciens, la couleur ou la forme d’un
comprimé ou un produit comme un inhalateur ne sont que des indicateurs secondaires de la source du produit15. Quant aux patients, ils
n’accorderaient que peu d’importance à l’apparence d’un produit
pharmaceutique. La fonctionnalité, la posologie et l’efficacité compteraient16 davantage. De plus, la compagnie GSK n’a pu faire jouer le
paragraphe 12(2) de la loi en sa faveur, à l’effet qu’une marque, qui
n’est pas en soi distinctive, peut le devenir à l’usage, par un emploi
continu. C’est que la plupart des compagnies qui fabriquent des produits contre l’asthme utilisent déjà les couleurs violet ou bleu. L’une
pour le produit à emploi quotidien, l’autre pour le produit à utiliser
en cas de crise d’asthme. La demande de la radiation de l’enregistrement a donc été accueillie17.
La doctrine n’a pas, non plus, consacré de longs développements à la question. Dans son traité, David Vaver18 enseigne qu’une
combinaison de couleurs peut plus facilement être protégée en vertu
de la LMC. Il donne en exemple la combinaison du bleu, blanc et or
utilisée par la compagnie Visa. Il indique aussi qu’il ne suffit pas,
dans une demande d’enregistrement, de désigner une couleur de
façon générale, comme « la couleur bleue ». Il faut donner une description plus précise, sans être obligé cependant de référer à un système reconnu de classification des couleurs. Il insiste aussi sur cette
règle essentielle en marques de commerce selon laquelle un signe
doit être distinctif pour pouvoir être enregistré. Il faut montrer
qu’une marque crée une association dans la tête du consommateur
entre elle et le fabricant d’un produit. Une couleur ou une combinai-
14. Ibid., au par. 14.
15. Voir au par. 25. Par exemple, pour un pharmacien, la couleur d’un comprimé peut
parfois indiquer qu’il renferme une dose minimale de l’ingrédient actif, ou le contraire, mais il n’y a pas de lien direct qui se fasse dans son esprit entre la couleur
d’un comprimé et son fabricant.
16. Ibid., au par. 29.
17. Les mêmes principes avaient été utilisés par la Cour fédérale en 2003 dans Novopharm Ltd. c. Astrazeneca, 2003 CF 1212. Cette décision a été commentée par
SYRIANOS (Stella), « L’enregistrabilité de la couleur et de la forme des comprimés », (2004) 16:3 Cahiers de propriété intellectuelle 589.
18. VAVER (David), Intellectual Property Law, (Toronto : Irwin Law, 2011), p. 46971.
710
Les Cahiers de propriété intellectuelle
son de couleurs qui n’ont pas encore acquis le statut de signe distinctif ne peuvent donc pas être enregistrées tout de suite19.
Il explique aussi une règle dont la jurisprudence canadienne
parle peu, à l’effet qu’une couleur ne peut être enregistrée si elle
est fonctionnelle. À première vue, cette affirmation semble absurde.
Une couleur ne peut jamais, semble-t-il, empêcher un objet d’accomplir la fonction qui lui est destinée. Mais il faut comprendre l’affirmation comme signifiant qu’on ne peut faire enregistrer une couleur dans un cas où le choix des couleurs disponibles est limité et que
cela aurait pour effet de faire une concurrence déloyale aux autres
fabricants. Ainsi, par exemple, aux États-Unis on a refusé l’enregistrement de la couleur blanche et de la couleur noire pour des
moteurs hors-bords pour bateaux, parce que les autres fabricants ne
pourraient mettre sur le marché des moteurs dont la couleur s’harmonise facilement avec le bateau sur lequel ils sont installés20. Il y
a aussi des normes qui ont été élaborées dans certains secteurs
d’activités, qu’on doit respecter. Ainsi, la couleur orange est souvent
signe de conformité avec une norme de sécurité. Cela a pour effet
pratique de limiter la possibilité d’utiliser cette couleur à d’autres
fins.
Quant à Teresa Scassa21, elle enseigne qu’il y a eu au cours
des ans une ouverture plus grande de la part des tribunaux et
du registraire des marques de commerce sur la question qui nous
intéresse. Ainsi, dans les années ‘20, la Cour de l’Échiquier avait
estimé qu’il était totalement impossible qu’une couleur soit acceptée
comme marque de commerce22. Mais aujourd’hui on peut lire dans le
Règlement sur les marques de commerce, au paragraphe 28(1)23, que
« Lorsque le requérant revendique une couleur comme caractéristique de la marque de commerce, la couleur est décrite ». On voit donc
qu’il y a une ouverture, maintenant, dans notre droit. Elle mentionne qu’en 2007, dans l’affaire Simpson Strong-Tie Co.24, la Commission des oppositions des marques de commerce a jugé qu’une
19. Ibid., p. 470.
20. Ibid. La décision américaine à laquelle l’auteure réfère est Brunswick Corp. c.
British Seagull, 35 F3d. 1527, p. 1531 (1994). On a aussi estimé que la couleur
noire est avantageuse parce qu’elle fait paraître le moteur plus compact.
21. SCASSA (Teresa), Canadian Trademark Law, (Toronto : LexisNexis, 2010),
p. 63-66.
22. Dans Henry K. Wampole & Co. c. Hervay Chemical Co. Of Canada, [1929] R.C.É.
78.
23. DORS/96-195.
24. Simpson Strong-Tie Co. c. Peak Innovations inc., 2007 CanLII 80935 (Comm.
opp.).
L’affaire des chaussures Louboutin
711
couleur uniforme appliquée sur la totalité de la surface d’un objet
pourrait tenir lieu de marque de commerce. La commission a ajouté
qu’il n’était pas nécessaire qu’une marque de commerce soit limitée à
la couleur d’un objet d’une certaine taille ou forme. Elle a donné en
exemple la couleur rose qui est maintenant associée à un fabricant
de laine minérale isolante. Mais on doit préciser que ces affirmations
n’ont pas toutes été reprises dans la décision de la Cour fédérale dans
ce litige25.
Ce bref examen du droit canadien nous montre qu’il accepte la
possibilité qu’une couleur devienne un signe distinctif, et qu’on
puisse en obtenir l’enregistrement à titre de marque de commerce.
Ce qui nous manque, c’est qu’il n’y a pas eu d’examen en profondeur
des motifs pour lesquels il est avisé ou non d’accepter l’enregistrement d’une couleur comme marque de commerce. Nous verrons que
c’est ce à quoi s’est employé le droit américain.
3. AUX ÉTATS-UNIS AVANT L’AFFAIRE LOUBOUTIN
La loi américaine sur les marques de commerce est appelée la
Lanham Act et a été codifiée en 194626. Sa définition de ce qui peut
être enregistré comme marque de commerce est très large27. En fait,
on peut dire que presque tout peut servir de marque de commerce,
sauf ce qui est interdit spécifiquement dans la loi. Il faut évidemment, comme au Canada, que ce pour quoi on demande l’enregistrement ait les caractéristiques d’une marque de commerce : elle a été et
elle est employée dans le cours des affaires, elle possède un caractère
distinctif, elle indique l’origine (le fabricant) et elle n’est pas principalement fonctionnelle. Ceci ne nous dit cependant pas spécifiquement si une couleur peut, en soi, être enregistrée. Jusqu’en 1985, il
était considéré évident qu’une couleur, seule, ne pouvait jamais être
suffisamment distinctive pour pouvoir être enregistrée28. Une couleur ne pouvait être protégée que si elle était jointe à d’autres couleurs, ou à des mots, symboles, ou motifs. On a même considéré que
l’emploi de deux couleurs n’était pas suffisant29. Les tribunaux
ont souvent utilisé l’argument de la « fonctionnalité » pour refuser
25. 2009 CF 1200.
26. 15 U.S.C. ss 1051 et ss.
27. L’article 45 du Lanham Act de 1946 (maintenant 15 U.S.C. 1127) est ainsi formulé : une marque de commerce inclut « any word, name, symbol, or device or any
combination thereof adopted and used by a manufacturer or merchant to identify
his goods and distinguish them from those manufactured or sold by others ».
28. GORMAN, supra, note 5, p. 374.
29. Campbell Soup Co. c. Armour & Co., 175 F2d 795 (1949).
712
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’enregistrement. Selon cet argument, une compagnie ne peut obtenir un avantage indu sur ses concurrents en ayant un monopole virtuel sur la couleur d’une caractéristique utilitaire de son produit30.
C’est pour ce motif que la compagnie John Deere n’a pu obtenir de
protection pour la couleur verte appliquée sur sa gamme d’instruments aratoires, parce que les fermiers préfèrent manœuvrer un
tracteur joint à une pièce de machinerie de la même couleur.
Tout cela a changé en 1985 lorsqu’une cour d’appel a décidé que
la compagnie Owens-Corning pouvait faire enregistrer comme marque de commerce la couleur rose pour de la laine isolante en fibre de
verre31. La juge Pauline Newman, qui a rendu la décision, a d’abord
admis qu’avant la réforme de 1946, il n’était pas possible qu’une couleur soit protégée par la loi sur les marques de commerce. Mais la
réforme a eu pour but de moderniser la loi, pour faciliter le commerce, tout en protégeant le consommateur. De sorte que maintenant on doit considérer qu’il n’y a qu’une seule norme fondamentale :
« if a mark is capable of being or becoming distinctive of applicant’s
goods in commerce, then it is capable of serving as a trademark »32.
Ainsi les règles appliquées dans l’affaire des soupes CAMPBELL,
où on avait refusé l’enregistrement des couleurs rouge et blanc sur
l’étiquette des boîtes de conserve, ne tiennent plus. L’argument utilisé alors, la peur de l’épuisement du spectre des couleurs, ne doit
plus tenir, car non-conforme avec le nouvel objectif de la loi d’insuffler un vent de renouveau dans ce domaine33. Il n’y a donc plus
d’objection de principe à ce qu’une couleur puisse, seule, être protégée par la loi. Et dans l’affaire soumise, concernant la laine iso30. GORMAN, supra, note 5, p. 375. C’est en 1998 que l’interdiction relative à la
« fonctionnalité » a été incorporée dans la loi américaine. Voir 15 U.S.C. art
1052(f) (une chose qui est principalement fonctionnelle ne peut être enregistrée,
même si elle est distinctive), 1091(c) (une marque qui est principalement fonctionnelle ne peut être enregistrée), 1064(3) (le caractère fonctionnel d’une marque peut être un motif d’annulation) et 115(b)(8) (le caractère fonctionnel d’une
marque est un motif de défense prévu dans la loi). Pour une étude sur le sujet,
voir KING (Elizabeth W.), « The Tademark Functionality Doctrine », (2012) 5
Landslide 20 et LURHS (Lauren E.), « When in Doubt, Wear Red : Understanding Trademark Law’s Functionality Doctrine and its Appplication to SingleColor Trademarks in the Fashion Industry », (2012) 61 Kansas Law Review 229,
234-42.
31. In re : Owens-Corning Fibreglas Corporation, 774 F. 2d 1116 (U.S. Court of
Appeals).
32. Ibid., p. 1120.
33. Ibid. La juge écrit : « This theory is not faulted for appropriate application, but
following passage of the Lanham Act courts have declined to perpetuate its per se
prohibition which is in conflict with the liberating purposes of the Act. ».
L’affaire des chaussures Louboutin
713
lante rose, on ne pouvait objecter que cette couleur a une fonction
utilitaire. Rien n’empêche les compétiteurs de la compagnie OwensCorning de vendre de la laine isolante d’une autre couleur. Il restait
seulement alors à décider si la demanderesse avait fait la preuve que
la marque qu’elle voulait enregistrer avait acquis un caractère suffisamment distinctif34. Comme la marque n’avait pas de caractère distinctif en soi, il fallait montrer que l’écoulement du temps lui avait
conféré ce caractère. Ce qui n’a pas été difficile, vu le temps depuis
lequel la laine isolante rose était connue, et les millions dépensés en
publicité auprès des consommateurs pour les convaincre d’exiger
l’isolant « rose »35.
La principale décision sur la question qui nous intéresse est
celle de la Cour suprême en 1995 dans l’affaire Qualitex36. Dans cette
affaire, dont les faits sont fort simples, la compagnie Qualitex vendait des tampons qui sont placés sur les plaques chauffantes des
machines à repasser utilisées par les établissements de nettoyage à
sec. Elle a voulu empêcher un concurrent de vendre des tampons de
couleur vert-or, celle qu’elle utilisait depuis les années cinquante. Le
jugement unanime de la cour a été rendu par le juge Breyer. Dès le
premier paragraphe de ses motifs, il livre l’essentiel de la décision.
La question posée, à son avis, est de déterminer si la loi américaine
permet l’enregistrement d’une marque constituée, purement et simplement, d’une couleur. À son avis, oui, lorsque la couleur répond à
toutes les exigences de la loi en matière d’enregistrement. Lorsque
c’est le cas, aucune règle n’interdit l’enregistrement d’une simple
couleur à titre de marque de commerce37.
Selon la cour, à la fois les termes employés dans la loi et les
principes de base en matière de marques de commerce laissent
entendre qu’une couleur peut faire partie des choses enregistrables
comme marque de commerce. D’ailleurs, dans les faits, une couleur
est souvent employée par un fabricant pour identifier ses produits.
Ce qu’il faut, pour satisfaire les conditions de la loi, c’est que la
couleur ait acquis une signification secondaire, c’est-à-dire qu’elle
n’identifie pas seulement un produit, mais qu’elle amène le consommateur à faire le lien entre le produit et le fabricant38.
34. Ibid., p. 1124.
35. Ibid., p. 1125. Au moment du procès, la compagnie avait dépensé plus de 42 millions de dollars en publicité.
36. Qualitex Co. c. Jacobson Products Co., 115 S.Ct. 1300, 514 U. S. 159.
37. Ibid., 115 S.Ct. p. 1302, 514 U.S. p. 160.
38. Ibid., 514 U.S. p. 163, 115 S.Ct. p. 1303.
714
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le tribunal a ensuite considéré l’argument concernant l’aspect
fonctionnel d’une des caractéristiques d’un produit. Selon la définition qu’il avait lui-même formulée dans un arrêt antérieur, « [...] a
product feature is functional and cannot serve as a trademark if it is
essential to the use or purpose of the article, or if it affects the cost or
quality of the article »39. Cette règle empêche donc un fabricant de
monopoliser un aspect utilitaire d’un produit. Car cela nuit à la saine
compétition. Autre motif de l’interdiction, c’est que cela permettrait
à un fabricant d’obtenir l’équivalent d’un brevet, alors que le produit
ne possède pas les éléments de nouveauté, utilité et non-évidence
qu’exige la loi sur les brevets. La cour donne l’exemple d’un manufacturier d’ampoules électriques qui, par une forme particulière de
l’ampoule, diffuse plus de lumière. À l’expiration du brevet, il ne
pourra prétendre que la forme de l’ampoule est devenue sa marque
de commerce, car cela équivaudrait à accorder un brevet éternel40.
La cour a ensuite examiné et rejeté les deux principaux arguments du défendeur. Le premier concernait les difficultés et incertitudes créées dans le cas où un compétiteur utiliserait une couleur
d’une teinte très semblable à celle protégée par la loi. Où placer la
ligne de démarcation ? Selon le juge Breyer, des difficultés similaires
se produisent souvent dans le domaine des marques de commerce
lorsqu’il s’agit de comparer deux marques qui se ressemblent, pour
savoir si l’une crée de la confusion. Il y a des normes légales qui existent en ces domaines pour guider les tribunaux qui doivent faire ces
comparaisons. Le second argument avait trait au nombre limité de
couleurs disponibles pour les manufacturiers. On avançait que lorsqu’on élimine les couleurs qui ne sont pas attrayantes pour certains
produits, et celles qui sont d’une teinte trop près d’une couleur protégée, on peut se trouver dans une situation où il n’y a plus suffisamment de couleurs disponibles pour des compétiteurs. Cet argument
n’a pas persuadé le tribunal41, car on ne peut se servir d’une problématique ponctuelle pour justifier une interdiction généralisée. Dans
les cas où le problème se produirait vraiment, les tribunaux pourraient se servir de la doctrine de la « fonctionnalité » pour empêcher
qu’un fabricant monopolise une couleur de façon à nuire indûment à
la compétition42.
39. 514 U.S. p. 165, 115 S.Ct.1304.
40. Nous avons connu la même situation au Canada dans l’affaire Kirkbi A.G. c. Gestion Ritvik inc., [2005] 3 R.C.S. 303, où la compagnie fabriquant les jeux LEGO a
prétendu, à l’expiration du brevet sur les petites briques emboîtables, que le système de tenons et mortaises était devenu sa marque de commerce.
41. 115 S.Ct. p. 1306, 514 U.S. p. 168.
42. Par exemple, les tribunaux ont interdit que la couleur bleue soit protégée pour
les fabricants d’engrais, car il existe une pratique généralisée à l’effet que cette
L’affaire des chaussures Louboutin
715
4. LA DÉCISION LOUBOUTIN
On peut s’interroger, tout d’abord, à savoir si la question posée
dans l’affaire Louboutin aurait été entièrement résolue par les principes émis par les tribunaux américains. On doit dire que non, car la
question qui restait non résolue était de savoir si ces principes trouvent application directe dans le monde de la mode. On sait que c’est
un univers particulier, qui n’est pas beaucoup protégé à l’heure
actuelle par les diverses lois en matière de propriété intellectuelle.
Plusieurs motifs expliquent cela. Nos lois ne veulent pas accorder de monopoles sur des objets qui sont essentiellement utilitaires.
On ne veut pas qu’une maison de haute couture puisse avoir un
monopole sur « un col de chemise » ou « des manchettes » ou « des boutons ». Le droit d’auteur pourrait servir à protéger le dessin d’une
robe, ou une photographie, mais une robe n’est pas une sculpture : ce
n’est que du tissu cousu de façon telle qu’il habille le corps humain !
D’autre part, on sait que la couleur est un élément très utilisé par les
créateurs de mode pour leurs nouvelles collections. Il serait à première vue fort inquiétant de constater que l’un d’eux peut s’approprier une couleur. Les tribunaux devaient donc avoir en tête ces
considérations lorsqu’ils ont eu à trancher le litige entre les deux
maisons françaises de haute couture.
En première instance, en 2011, devant la Cour de district43,
Louboutin a été débouté sur toute la ligne, au motif principal qu’en
matière de mode, la couleur a un aspect ornemental, et a une fonction esthétique, ce qui est nécessaire pour assurer une saine compétition dans cette industrie. Et ce, même lorsqu’une couleur aurait
acquis une signification secondaire, c’est-à-dire qu’elle fasse le lien
dans la tête du consommateur entre un produit et le manufacturier44. Selon le juge Victor Marrero, les enseignements de la Cour
suprême sont à l’effet qu’une couleur peut être protégée par la loi,
mais à certaines conditions. Notamment, i) qu’elle ait atteint un sens
secondaire, et ii) qu’elle ne soit pas fonctionnelle, c’est-à-dire essencouleur indique la présence d’azote. Cf. 514 U.s. p.170, 115 S.Ct.p.1306. Mais on
ne doit pas penser que le critère concernant l’aspect fonctionnel d’un objet ne pose
plus de difficultés. Ainsi une auteure a pu écrire récemment : « Despite the plethora of cases that have examined and applied this concept, aesthetic functionality still confuses the courts to this day [...] » et « The Supreme Court’s treatment
of aesthetic functionality has been unclear. ». Voir SCHULTZ (Alexandra J.),
« Looks Can Be deceiving : Aesthetic Functionality in Louboutin and Beyond »,
(2012) 15 Tulane Journal of Technology & Intellectual Property 261, 261 et 267.
43. 778 F.Supp. 2d, 445. L’action avait débuté en avril 2011.
44. Ibid., p. 449 in fine.
716
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tielle pour l’utilisation d’un produit ou au but pour lequel il a été
créé, ou iii) qu’elle affecte le coût de production d’un bien, iv) ou sa
qualité. En appliquant ces critères au domaine de la mode, on doit
conclure qu’on ne doit pas permettre l’enregistrement d’une seule
couleur comme marque de commerce, car cela vient en conflit avec
les besoins et les caractéristiques particulières de cette industrie : le
sens de la créativité, l’esthétisme, le goût et les modes toujours changeantes45.
Selon le juge Marrero, en effet, dans l’industrie de la mode la
couleur ne sert pas seulement à indiquer l’origine, mais aussi et surtout à des fins expressives, d’esthétisme et d’ornementation. En termes plus simples, on peut dire que les créateurs de mode se servent
de la couleur, entre autres, pour créer un beau produit, attrayant,
qui sera recherché par les consommateurs. Pas principalement pour
indiquer l’origine. La couleur n’atteindrait donc pas en l’occurrence
un sens secondaire. Dans des motifs qui seront fort critiqués en doctrine46, le juge a fait la comparaison suivante. Même en admettant
que toute analogie est imparfaite, il s’est interrogé à savoir si la
demande pourrait conduire à une situation où le peintre Monet qui,
terminant une toile représentant la mer, aurait pu se faire accuser
par Picasso d’utiliser la couleur bleu indigo, d’une certaine teinte,
qu’il a lui-même beaucoup utilisée dans ses toiles, pendant une de
ses « périodes », couleur maintenant associée au sentiment de mélancolie47. Il faudrait évidemment éviter ce résultat. Aux yeux du juge,
la couleur, en peinture comme dans la mode, est essentielle aux créateurs. Ils l’utilisent pour créer de beaux objets, qui sont un reflet de
leur personnalité, et qui, l’espèrent-ils, plairont aux consommateurs.
Ainsi la couleur, dans ces deux mondes, sert principalement à attirer, à plaire, ou à être utile, mais pas principalement à identifier le
fabricant ni à lui faire de la publicité48. Il faudrait donc s’en tenir à la
position des tribunaux jusque-là en matière de mode, à savoir que la
loi sur les marques de commerce ne doit protéger qu’un ensemble de
couleurs, incorporées dans un motif pour le rendre unique49.
45.
46.
47.
48.
49.
Ibid., p. 451.
Voir infra, à partir de la note de bas de page 62.
Supra, note 43, p. 451-2.
Ibid., p. 452 in fine.
Ibid. Le juge écrit : « In the fashion industry, the Lanham Act has been upheld to
permit the registration of the use of color in a trademark, but only in distinct
patterns or combinations of shades that manifest a conscious effort to design a
uniquely identifiable mark embedded in the goods ».
L’affaire des chaussures Louboutin
717
Le juge a aussi été convaincu par l’argument relatif au caractère fonctionnel de la couleur. À son avis, un soulier est, en soi, un
objet utilitaire : quelque chose qui protège et soutient le pied. L’utilisation d’une semelle d’un rouge foncé est faite pour que le soulier
devienne un objet de beauté. La couleur ici n’a pas de lien avec le but
de l’utilisation d’un soulier, ni la façon de l’utiliser, mais elle en a un
avec le coût et la qualité des souliers, et peut avoir rapidement un
impact négatif sur les compétiteurs50. Il est facile en effet d’envisager que si Louboutin avait gain de cause, il pourrait interdire à
YSL de fabriquer des souliers entièrement rouges, ou de créer des
souliers d’un rouge qui s’apparente avec la couleur d’autres articles
de vêtements, comme des robes ou pantalons. Louboutin pourrait
éventuellement s’en prendre aux maisons qui fabriquent des foulards, sacs, ou autres objets du genre, d’un rouge semblable à celui
utilisé pour les souliers faits d’une seule teinte, rouge51.
De l’avis du tribunal, Louboutin a peut-être fait une erreur
stratégique dans cette affaire en demandant une protection pour la
couleur rouge, sans spécifier une teinte dans un registre reconnu
mondialement, comme le Pantone. Il en résulte que ses compétiteurs
ont encore plus de difficultés à déterminer à partir de quel point une
couleur d’une teinte légèrement différente sera considérée enfreindre ou non la marque de commerce52.
Enfin, le juge a aussi rejeté la demande en considérant le fait
qu’elle faisait allusion à un vernis. La demande précisait « lacquered
red ». Cela crée alors une difficulté additionnelle pour les compétiteurs, car ils ne sauront pas à partir de quel degré de brillance leur
produit sera jugé enfreindre la marque de commerce de Louboutin. À
la limite, accepter la demande pourrait provoquer de véritables guerres rangées dans le domaine de la mode : des compagnies pourraient
s’empresser de réclamer l’exclusivité de telle couleur pour tel produit, et multiplier les demandes de cette nature, de sorte qu’elles
acquerraient une sorte d’exclusivité, ce qui désavantagerait grandement leurs compétiteurs naturels53.
En appel, en septembre 201254, la décision a été rendue, par
trois juges. Un seul, le juge José Cabranes, a fourni des motifs. La
décision en première instance semble à première vue avoir été ren50.
51.
52.
53.
54.
Ibid., p. 454.
Ibid.
Ibid., p. 455.
Ibid., p. 457 in limine.
696 F3d 206.
718
Les Cahiers de propriété intellectuelle
versée sur toute la ligne. Mais lorsqu’on lit attentivement les motifs,
on voit que la décision a une portée plus limitée. On ne peut affirmer
qu’elle a ouvert la porte à la possibilité d’enregistrer n’importe
quelle couleur, seule, comme marque de commerce. Voici les éléments essentiels de ce qui a été décidé.
Premièrement, l’affirmation en première instance, selon
laquelle une couleur unique ne peut jamais devenir une marque de
commerce dans le domaine de la mode, n’est pas conforme à la décision de la Cour suprême dans l’affaire Qualitex.
Deuxièmement, dans le cas soumis, la marque de Louboutin,
soit une semelle rouge pour un soulier haut de gamme pour femmes,
a acquis un caractère distinctif, quoique limité, comme signe identifiant le fabricant. L’enregistrement de la marque est en conséquence
modifié pour couvrir seulement les utilisations où la semelle rouge
fait contraste avec le reste du soulier.
Troisièmement, comme les souliers rouges monochromes de
YSL ne constituent pas une « utilisation » de la marque modifiée de
Louboutin, il n’est pas nécessaire de se demander si ces souliers risquent de créer de la confusion au sens de la loi. Il n’est pas nécessaire
non plus de trancher la question de savoir si la marque de Louboutin,
telle que modifiée par la cour, est fonctionnelle. Enfin, il y a un élément de la décision en première instance qui est confirmé, savoir que
Louboutin ne peut interdire à ses compétiteurs la création de tout
soulier au seul motif que la semelle serait d’un rouge verni. La protection de sa marque de commerce ne va pas jusque-là55.
Le tribunal consacre une bonne partie de son analyse à étudier
la défense de « fonctionnalité ». Il explique qu’elle a deux aspects. Le
premier se présente de la façon dont nous en avons traité. On se
demande si un produit a une caractéristique considérée fonctionnelle, c’est-à-dire essentielle au but ou au fonctionnement du produit, ou qui en affecte le coût ou la qualité. Mais il y a aussi une
fonctionnalité dite « esthétique ». C’est le cas où le « design » d’un produit est ce qu’on cherche à enregistrer comme marque de commerce.
Dans ce cas, la marque sera considérée fonctionnelle et non enregistrable si elle confère à son propriétaire un avantage indu sur
ses concurrents. Et cela même si le design n’affecte aucunement le
coût ou la qualité du produit56. Ainsi par exemple, dans la décision
55. Ibid., p. 213.
56. Ibid., p. 219-220.
L’affaire des chaussures Louboutin
719
Wallace China Co.57, dès 1952 les tribunaux ont jugé qu’un motif floral sur de la porcelaine ne pouvait être protégé en tant que marque
de commerce parce qu’il avait un aspect esthétique et utilitaire. Car
un tel motif est un élément important qui explique le succès commercial de ce type de bien. Le tribunal doit donc se demander si le fait de
reconnaître un élément d’un produit comme marque de commerce
« would significantly hinder competition » ou « would put competitors
at a significant non-reputation-related disadvantage » 58.
Restait alors à déterminer si les règles établies par les tribunaux s’appliquent intégralement à l’industrie de la mode. De l’avis
du juge Cabranes, il n’était pas nécessaire ni même approprié de se
demander si des règles différentes devaient jouer. Le tribunal s’est
dissocié de l’affirmation suivante, faite en première instance : « [...]
there is something unique about the fashion world that militates
against extending trademark protection to a single color »59. On doit
reconnaître, évidemment, que dans cette industrie la couleur ne sert
pas que d’ornementation, mais est beaucoup utilisée comme outil
dans l’arsenal du designer. Mais il reste que la défense dite « de fonctionnalité » permet seulement aux autres maisons de haute couture
de faire compétition de façon équitable dans ce marché. Elle ne peut
être utilisée par le détenteur d’une marque de façon à exclure complètement ses adversaires. Il faut donc trouver une règle qui permette la compétition, tout en laissant au fabricant la possibilité
d’utiliser un signe distinctif qui identifie son produit, et qui évite la
confusion avec d’autres.
Est-ce que la marque constituée par les semelles rouges répond
à ces critères ? De l’avis de la cour, oui. D’abord, le fait que la marque
ait été enregistrée crée une présomption de validité. De plus, la cour
a rejeté l’affirmation selon laquelle une couleur unique ne peut
jamais être enregistrée dans le domaine de la mode. Il faut alors se
demander si une marque, constituée d’une couleur, qui n’est pas en
soi distinctive, évidemment, aurait acquis, au cours des ans, ce
caractère distinctif. Après un examen attentif de la preuve fournie,
la cour a conclu par l’affirmative. Ce qui est devenu distinctif, cependant, ce n’est que la semelle rouge faisant contraste avec le reste du
soulier60. C’est toujours ultimement une question de faits que de
savoir si une marque a acquis un caractère distinctif. Mais le tribunal a pu conclure assez facilement que oui, en appliquant les critères
57.
58.
59.
60.
Pagliero c. Wallace China Co., 198 F2d 339 (1952).
Supra, note 51, p. 221.
Ibid., p. 223.
Ibid., p. 225.
720
Les Cahiers de propriété intellectuelle
appropriés dans ce domaine : i) la publicité faite par le fabricant,
ii) les résultats des sondages faits auprès des consommateurs, iii) le
succès commercial du produit, iv) les tentatives des concurrents de
copier la marque, v) la durée d’existence de la marque61 et vi) le
temps pendant lequel elle a été utilisée exclusivement par le fabricant.
On devine que cette décision a suscité beaucoup de commentaires en doctrine62. La plupart, on le devine, vont dans le même sens
que la décision en appel. On craignait que la décision en première
instance rende encore plus difficile la protection dont les maisons
de haute couture peuvent bénéficier, elles qui sont déjà le parent
pauvre du droit de la propriété intellectuelle63. À notre avis cependant, ce qui ressort de plus intéressant de ces textes, ce n’est pas tant
l’examen minutieux des motifs du tribunal en première instance ou
en appel, ni les raisons pour lesquelles tel commentateur se déclare
convaincu par tel motif ou tel autre. C’est que certains textes étudient la question de l’opportunité de protéger les couleurs par une loi
sur les marques de commerce avec du recul, en l’examinant comme
question de « policy », c’est-à-dire en cherchant à déterminer s’il est
préférable, comme politique publique, d’accorder cette protection.
On peut ainsi mieux mesurer les véritables enjeux en cause.
On apprend ainsi que l’industrie de la mode aux États-Unis
génère une activité économique de plusieurs centaines de milliards
de dollars par année, plus que ce que représente l’ensemble de
61. Le fait est que la maison Louboutin utilisait cette « marque » depuis déjà une
vingtaine d’années.
62. Un texte a été publié avant même la décision en première instance. Voir SREEPADA (Sunila), « The New Black : Trademark Protection for Color Marks in the
Fashion Industry », (2009) 19 Fordham Intellectual Property & Entertainment
Law Journal 1131. L’auteure y déplore que l’industrie de la mode soit peu protégée par les diverses lois en matière de propriété intellectuelle, et souhaite que
la décision Louboutin y remédie en partie. Mentionnons brièvement que l’auteure
explique que chez l’humain plusieurs couleurs sont liées à ce que l’environnement
nous apprend. Ainsi le rouge est associé souvent au feu, au sang, et au danger.
Tandis que le bleu est associé à l’eau, au ciel, et au calme. On nous explique aussi
que l’œil humain peut percevoir des centaines de milliers de teintes de couleurs,
mais pour quelques secondes seulement. Voir à la page 1143.
63. Voir, par exemple, MORTON (Katie M.), « “Sole” Searching : Christian Louboutin’s Fight Against Yves Saint Laurent – and the Aesthetic Functionality Doctrine – to Own the Color Red », (2012) 12 Wake Forest Journal Business &
Intellectual Property 293, et MAX (Theodore C.), « Coloring Outside the Lines in
the Name of Aesthetic Functionality : Qualitex, Louboutin and How the Second
Circuit Saved Color Marks for Fashion », (2012) 102 Trademark Reporter 1081.
L’affaire des chaussures Louboutin
721
l’industrie du livre, du cinéma et de la musique64 ! On sait aussi combien certaines marques, celles les plus reconnues, peuvent atteindre
un statut presque mythique. On dit qu’il y a une année d’attente
pour qui veut se procurer le sac à main KELLY de la maison Hermès,
du nom de la princesse Grace Kelly de Monaco, qui avait été photographiée à la une de la revue Time en 1956 et tenant ce sac à main.
Le tailleur classique créé par Coco Chanel dans les années ‘30 se
vend encore environ 5 000 $ pièce ! Il y a aussi des marques dont la
notoriété est mondiale. Qui n’a pas entendu parler ou ne reconnaît
pas la chemise polo RALPH LAUREN, la valise LOUIS VUITTON,
les jeans LEVI 501, les lunettes de soleil RAY BAN ?
Ce qui pose la question de la protection légale qui doit être
apportée à cette industrie. Ici, deux courants s’opposent. Selon les
uns, il ne faut pas que l’industrie de la mode soit protégée par les
lois en matière de propriété intellectuelle65. Car cela lui enlèverait
un incitatif important à se renouveler. Une entreprise qui pourrait
engranger les millions en tablant sur ses succès commerciaux antérieurs serait moins motivée à se montrer créative. D’ailleurs, le
propre de l’industrie de la mode est de changer continuellement. En
effet, on ne peut parler de « mode » ou de « nouveauté » pour quelque
chose qui n’est plus dans l’actualité immédiate. Selon d’autres, au
contraire, le domaine de la mode est le domaine où les créateurs peuvent s’exprimer le plus librement, en se renouvelant à chaque saison.
Or, les lois de propriété intellectuelle sont censées avoir justement
pour objectif de protéger et récompenser les gens qui ont des idées
originales.
On se trouve alors devant une contradiction apparente. Il y a
d’une part des firmes dont le nom, l’image, le logo valent des centaines de millions de dollars, voire des milliards, mais qui sont peutêtre des colosses aux pieds d’argile, parce que peu de lois les protègent. On sait que la Loi sur le droit d’auteur protégerait un motif
imprimé sur du tissu, mais pas une robe ou un tailleur en soi. Cette
loi refuse aussi de protéger les objets utilitaires66. La Loi sur les bre64. SCHWARTZ (Erica), « Red With Envy : Why the Fashion Industry Should
Embrace ADR As a Viable Solution to Resolving Trademark Disputes », (2012) 14
Cardozo Journal of Conflict Resolution 279.
65. Voir les auteurs mentionnés par Mme Schwartz à la note de bas de page 22. Pour
un texte récent sur la protection qui pourrait ou devrait être conférée par loi américaine sur le droit d’auteur, voir MAMFREDI (Alexandra), « Haute Copyright :
Tayloring Copyright Protection to High-Profile Fashion Designs », (2012) 21
Cardozo Journal of International & Comparative Law 111.
66. Notre loi prévoit au paragraphe 64(2) que si un dessin ou un motif original
est appliqué sur un objet visé par la Loi sur les dessins industriels, le créateur du
722
Les Cahiers de propriété intellectuelle
vets, pour sa part, récompense les personnes qui ont des idées fécondes applicables dans le domaine de la production industrielle. Et on
doit constater que ce n’est pas un hasard si le monde de la haute couture n’est pas mieux protégé. C’est la volonté du législateur. On a
calculé que depuis 1914, le Congrès américain a étudié plus de 70
projets de loi dans le domaine de la création de mode67, tous sans succès. Les deux dernières tentatives sont aussi restées lettre morte : la
Design Piracy Prohibition Act de 2009 et la Innovative Design Prevention and Piracy Prohibition Act en 201068.
La seule véritable protection accordée à l’industrie de la mode
réside dans la loi sur les marques de commerce, qui protège le nom de
l’entreprise, et son logo69. La question cruciale est de savoir s’il y a
lieu d’aller plus loin, en protégeant les couleurs, par exemple. Est-ce
que la compagnie Tiffany devrait pouvoir protéger la teinte caractéristique de bleu « œuf de merle » qu’elle utilise dans ses catalogues,
ses sacs d’emballage et ses boîtes renfermant des bijoux ? Ou la
teinte orange favorisée par Hermès, ou le rouge de Valentino ? Ici, on
l’a vu en jurisprudence, et la doctrine le reflète, il n’y a pas de consensus. Chaque tenant d’une position a de bons arguments à faire valoir.
D’une part, on argumente à l’effet que si une couleur est devenue distinctive et remplit les autres conditions pour être reconnue comme
marque de commerce, on ne voit pas en vertu de quoi on ferait une
exception pour l’industrie de la mode. D’autre part, on peut rétorquer
que l’essence de cette industrie est de se renouveler constamment, de
proposer toujours de nouveaux produits. Et dans ce domaine les
créateurs devraient avoir toute latitude de jouer avec les couleurs
comme ils le veulent bien. Car c’est un élément essentiel pour créer
un objet tel qu’ils l’imaginent. De façon plus prosaïque, on doit aussi
reconnaître qu’accorder une protection aux couleurs va entraîner
une multiplication de litiges devant les tribunaux, ce qui implique
temps et argent, et une décision peut-être non pertinente parce que
dessin ou motif ne peut , sauf exceptions, instituer des procédures en violation, si
l’objet utilitaire est produit à plus de 50 exemplaires.
67. SCHWARTZ, supra, note 64, p. 284.
68. Il faut tout de même dire que dans les dernières décennies, aux États-Unis, des
lois ont été adoptées de façon à mieux protéger les détenteurs de marques de commerce. Ainsi, en 1988 une loi a accordé une protection aux marques projetées
(donc non encore utilisées). En 1995 la Federal Trademark Dilution Act a accordé
plus de protection aux marques célèbres, et en 1999 la loi Anticybersquatting
Consumer Protection Act a interdit la création d’un nom de domaine pareil ou
semblable à une marque de commerce déposée, c’est-à-dire dont l’enregistrement
a été accepté.
69. Par exemple l’alligator pour les vêtements de la compagnie Lacoste, ou le cheval
avec cavalier jouant au polo pour Ralph Lauren.
L’affaire des chaussures Louboutin
723
rendue à un moment où l’industrie n’est plus intéressée à utiliser ce
qui a été l’objet du litige70.
5. CONCLUSION : ET MAINTENANT, QU’ALLONSNOUS FAIRE ?
Peut-on tirer de l’affaire Louboutin un enseignement applicable en droit canadien ? Ce qu’on peut dire, à tout le moins, c’est que
les enjeux impliqués dans la question en litige ont été davantage étudiés qu’au Canada. Nos tribunaux connaissent les arguments relatifs à l’épuisement des couleurs et au frein à la concurrence, mais ils
n’ont pas examiné autant en profondeur le bien-fondé et les limites
de ces arguments. En ce sens, il serait avantageux qu’ils prennent
connaissance de la jurisprudence américaine sur le sujet.
Si on nous permet d’exprimer une opinion personnelle, nous
dirions ceci : si on applique les règles du droit des marques de commerce, il est tout à fait correct de dire qu’il est possible d’obtenir
l’enregistrement, et donc une protection juridique, pour une couleur
appliquée à un objet. Une couleur peut très bien être le signe qu’un
manufacturier a choisi pour distinguer ses biens de ceux des concurrents. Et même si ce n’était pas initialement son intention71, une
couleur peut avoir acquis avec le temps, pour les consommateurs,
cette caractéristique d’identifier non pas tant un objet que l’origine
de cet objet.
Mais c’est l’argument de l’épuisement des couleurs qui nous
porte à penser qu’on devrait être particulièrement circonspect avant
d’accepter l’enregistrement de la couleur d’un objet comme marque
de commerce. On a mentionné que dans plusieurs domaines de l’activité humaine, certaines teintes de couleurs ont acquis une signification précise, parfois à cause de facteurs culturels. De sorte que le
choix offert aux manufacturiers s’en trouve limité. Pour ne prendre
que cet exemple, en occident, le noir est associé au deuil, et le blanc à
70. SCHWARTZ, supra, note 64, aux pages 299 et suivantes, suggère d’ailleurs qu’il
serait préférable que l’industrie se tourne vers les modes alternatifs de règlement
des litiges, comme l’arbitrage, la médiation, ou un organisme d’autoréglementation. Ainsi par exemple, le Council of Fashion Designers, qui existe déjà, se verrait confier cette tâche additionnelle.
71. La Loi sur les marques de commerce envisage les deux éventualités dans la formulation de la définition d’une marque de commerce, à l’article 2 : « marque
employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées [...] par elle, des marchandises fabriquées [...] par d’autres ».
724
Les Cahiers de propriété intellectuelle
la joie, à la pureté, à la nouveauté. On serait bien mal venu de vouloir
utiliser ces couleurs dans un contexte tout à fait contraire. Les tribunaux américains se sont montrés ouverts à ces réalités. La Cour
suprême des États-Unis, dans Qualitex72, a elle-même reconnu que
dans certains cas, le nombre limité de couleurs disponibles nuirait
trop à la concurrence. En 1990, la jurisprudence américaine avait
utilisé l’argument de l’épuisement des couleurs pour refuser à des
compagnies vendant des édulcorants de monopoliser des couleurs.
Il y avait déjà sur le marché concurrence entre les édulcorants
EQUAL dans son sachet bleu pastel, SWEET & LOW dans son
sachet rose et SUGAR TWIN dans son sachet jaune. Dans le cas soumis, on a rejeté la demande de Nutra Sweet visant à empêcher la
compagnie Stadt d’utiliser des sachets bleus73.
Il ne faut pas oublier, non plus, qu’en matière de marque de
commerce le privilège accordé par la loi ne s’éteint pas après 20 ans,
ou 50 ans après la mort du créateur. Il suffit de ne pas oublier de faire
la demande de renouvellement de l’enregistrement de la marque de
commerce. Si on accorde à Louboutin l’exclusivité de la couleur rouge
pour des semelles de chaussures, on risque de voir d’autres compagnies se précipiter pour réclamer l’exclusivité des autres couleurs
primaires, l’une pour le bleu, et une autre pour le jaune. Comme le
noir et le beige sont déjà d’usage courant pour les semelles de chaussure, que restera-t-il comme moyen de se distinguer pour un nouvel
arrivant sur le marché, lorsque le vert aura aussi été réclamé ? Et si
Louboutin peut avoir une exclusivité pour « une semelle de soulier
rouge », qu’est-ce qui l’empêche de demander l’enregistrement de la
marque suivante : « la couleur rouge appliquée à une robe »74 ? Ce qui
viserait alors toutes les robes, quel que soit le style en cause, la
longueur de la robe, ou le tissu. On objectera ici que la demande
serait sûrement rejetée par les tribunaux, parce que cela créerait
une situation trop anticoncurrentielle. Ce qui est logique, car les
robes sont traditionnellement faites de tissus de couleur, souvent
rouges. Mais notre exemple sert à montrer ceci. La ligne de démarcation entre le cas des souliers à semelles rouges celui des robes rouges
n’est pas si évidente. Il y a une zone grise importante. Ce qui nous
porte à penser que nos tribunaux devraient faire un travail pour raffiner les critères applicables en matière de protection légale des couleurs, avant de se lancer dans un régime de protection tous azimuts,
qu’on risque de regretter par la suite.
72. Qualitex, supra, note 36, 514 U.S. 159, p. 168, 115 S.ct 1300, p. 1305-6.
73. Nutra Sweet c. Stadt Corp., 917 F2d 1024 (1990).
74. Cet exemple nous est fourni dans GORMAN, supra, note 5, p. 399.
Vol. 25, no 2
La « pentalogie »
Nicolas Sapp et David Chapdelaine Miller*
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 729
1. Entertainment Software Association c. Société canadienne
des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique :
en taxi écologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 730
1.1 Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 730
1.2 L’historique judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . 730
1.3 La question en litige. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 731
1.4 L’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 731
1.4.1 La neutralité technologique et le droit
d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 732
1.4.2 Le droit de « communiquer ». . . . . . . . . . . 734
1.5 Les conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 739
1.6 Ce que l’on retient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 739
2. Rogers Communications Inc. c. Society of Composers, Authors
and Music Publishers of Canada : la transmission
en continu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 740
© CIPS, 2013.
* Avocats de ROBIC, s.e.n.c.r.l., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents
de brevets et d’agents de marques de commerce.
725
726
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.1 Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 740
2.2 L’historique judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . 740
2.3 Les questions en litige. . . . . . . . . . . . . . . . . . 742
2.4 L’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 742
2.4.1 La norme de contrôle. . . . . . . . . . . . . . . 742
2.4.2 La transmission en continu . . . . . . . . . . . 743
2.5 Les conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 748
2.6 Ce que l’on retient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 749
3. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs
de musique c. Bell Canada : l’écoute « équitable » . . . . . . 750
3.1 Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 750
3.2 L’historique judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . 751
3.3 La question en litige. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 751
3.4 L’exception d’utilisation équitable . . . . . . . . . . . 751
3.5 L’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 752
3.5.1 Premier volet : une fin permise . . . . . . . . . 753
3.5.2 Deuxième volet : Le caractère « équitable ». . . 754
3.6 Les conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 758
3.7 Ce que l’on retient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 758
4. Alberta (Education) c. Canadian Copyright Licensing
Agency (Access Copyright) : l’enseignement, une fin
permise ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 759
4.1 Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 759
La « pentalogie »
727
4.2 L’historique judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . 760
4.3 La question en litige. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 760
4.4 L’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 761
4.4.1 Court rappel des arrêts Socan c. Bell
et CCH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 761
4.4.2 Consensus sur le premier volet . . . . . . . . . 761
4.4.3 Le caractère « équitable » des copies
de la catégorie 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . 762
4.5 Les conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 766
4.6 Ce que l’on retient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 766
5. Ré:Sonne c. Fédération des associations de propriétaires
de cinémas du Canada : la limite des droits voisins. . . . . 767
5.1 Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 767
5.2 L’historique judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . 768
5.3 La question en litige. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 768
5.4 Les droits voisins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 769
5.5 L’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 769
5.6 Les conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 771
5.7 Ce que l’on retient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 772
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 772
INTRODUCTION
L’année 2012 a sans contredit été l’année du droit d’auteur sur
la scène de la propriété intellectuelle canadienne. En effet, quelques
jours seulement après que le Projet de Loi C-11 (défini ci-après) eut
obtenu la sanction royale, la Cour suprême du Canada se prononçait
sur cinq affaires touchant directement le droit d’auteur.
La Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur1 a en effet obtenu la
sanction royale le 29 juin 2012. Il s’agissait de la première réforme
majeure du régime législatif en matière de droit d’auteur depuis
1997. Parmi les principaux changements à la Loi sur le droit d’auteur2 (ci-après « la Loi » et « la Lda »), on notera la reconnaissance des
droits d’auteur des photographes et des peintres sur leurs œuvres,
l’élargissement de l’exception d’utilisation équitable par l’ajout des
termes « éducation, parodie ou satire », la possibilité pour les établissements d’enseignement d’utiliser plus facilement des œuvres protégées ainsi que l’élimination des dispositions portant sur la spécificité
technologique.
Le 12 juillet 2012, la Cour a eu l’occasion de rappeler, mais surtout d’appliquer, quelques grands principes en matière de droit
d’auteur canadien. La confirmation du principe de la neutralité technologique, développé dans l’arrêt Robertson c. Thomson Corp.3, est
assurément ce que l’on retient des analyses et conclusions de cette
penthologie. La Cour procède également à une revue des bases
établies dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du HautCanada4 et des critères applicables relativement à l’exception d’utilisation équitable, dont notamment le point de vue à adopter lors de
l’analyse du caractère équitable. Au cœur de ses analyses et de ses
conclusions, la Cour prend bien soin d’appliquer les principes de
l’arrêt clé en matière de droit d’auteur, Théberge c. Galerie d’Art du
Petit Champlain inc.5. Soucieuse de maintenir l’équilibre entre la
1.
2.
3.
4.
5.
L.C. 2012, ch. 20 (« Projet de Loi C-11 »).
L.R.C. (1985), ch. C-42 (la « Loi »).
[2006] 2 R.C.S. 363.
[2004] 1 R.C.S. 339.
[2002] 2 R.C.S. 336.
729
730
Les Cahiers de propriété intellectuelle
diffusion des œuvres des créateurs et l’obtention d’une juste récompense pour leur travail, la Cour ne peut toutefois pas s’empêcher de
reconnaître le rôle essentiel que jouent l’Internet et les nouvelles
technologies.
Sous forme de résumé/analyse, la présente revue des cinq arrêts
du 12 juillet 2012 couvre les questions i) de la neutralité technologique, ii) de la transmission en continu, iii) de l’écoute préalable,
iv) des photocopies en classe ainsi que v) des bandes sonores accompagnant les œuvres cinématographiques.
1. Entertainment Software Association c. Société
canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs
de musique6 : en taxi technologique
1.1 Les faits
Entertainment Software Association (« ESA ») représente une
coalition d’éditeurs et de distributeurs de jeux vidéo qui permettent
au public de télécharger des jeux vidéo sur Internet. Pour sa part, la
Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la « SOCAN ») est une société de gestion qui gère le droit de communiquer des œuvres musicales pour le compte des titulaires du
droit d’auteur sur ces œuvres.
Les copies « numériques » des jeux vidéo rendues disponibles
sur Internet via téléchargement sont identiques aux copies « physiques » que le consommateur peut se procurer directement en
magasin. Il est d’usage dans l’industrie des jeux vidéo de négocier,
préalablement à la vente de ceux-ci, les redevances à verser aux titulaires de droit d’auteur dans des œuvres musicales intégrées à un jeu
vidéo.
En 1995, la SOCAN a déposé devant la Commission sur le droit
d’auteur (la « Commission ») plusieurs projets tarifaires relativement à l’utilisation d’œuvres musicales protégées et constituant, à
son avis, des communications au public sur Internet.
1.2 L’historique judiciaire
La Commission en vient à la conclusion que le téléchargement
d’un fichier, en l’espèce une copie « numérique » d’un jeu vidéo, conte6. 2012 CSC 34 (« ESA c. SOCAN »).
La « pentalogie »
731
nant une œuvre musicale équivaut à communiquer cette dernière au
public par télécommunication en application de l’alinéa 3(1)f) de la
Loi. Ainsi, les membres de la SOCAN auraient droit à des redevances selon le tarif 22.B-G7, homologué par la Commission8.
ESA a porté en appel la décision de la Commission par voie
de contrôle judiciaire. Toutefois, la Cour fédérale d’appel a confirmé
l’interprétation de la Commission, à savoir que le téléchargement
d’un fichier renfermant une œuvre musicale constitue une communication au public par télécommunication9.
1.3 La question en litige
Reconnaissant l’usage dans le secteur de l’édition de jeux vidéo,
à savoir, que les redevances de reproduction des œuvres musicales
intégrées à un jeu vidéo sont actuellement négociées avant l’emballage et la vente au public, la Cour a établi que « [l]a question qui se
pose en l’espèce est celle de savoir si les droits renaissent néanmoins
lorsque l’œuvre est vendue sur Internet plutôt qu’en magasin »10.
Afin de répondre à cette question la Cour s’est penchée sur l’interprétation du verbe « communiquer », employé à l’al. 3(1)f) de la Loi, mais
non défini.
1.4 L’analyse
Dans une décision fortement partagée à 5 contre 4, la majorité
donne le ton d’entrée de jeu en mentionnant : « [qu’à] notre avis, il
serait illogique de faire une distinction entre les deux modes de vente
d’une même œuvre »11. À l’appui de ce constat, la majorité procède à
une analyse en deux temps. Elle réitère tout d’abord le principe de la
neutralité technologique applicable au droit d’auteur et, plus particulièrement, dans le contexte du paragraphe 3(1) de la Loi. Elle procède par la suite à l’analyse de l’alinéa 3(1)f), et plus précisément à
l’interprétation du verbe « communiquer ».
7.
Tarif des redevances à percevoir par la SOCAN, Internet-Autres utilisations de
musique.
8. 2007 Carswell Nat 3467.
9. 2010 CAF 221.
10. Supra, note 6, par. 1.
11. Ibid.
732
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.4.1 La neutralité technologique et le droit d’auteur
La Cour a développé le principe de la neutralité technologique
dans l’arrêt Robertson :
Le paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur reflète le principe de la neutralité du support, en reconnaissant un droit de
produire ou de reproduire une œuvre « sous une forme matérielle quelconque ». La neutralité du support signifie que la Loi
sur le droit d’auteur continue de s’appliquer malgré l’usage de
supports différents, y compris ceux qui dépendent d’une technologie plus avancée. [...]12
[Les italiques sont nôtres.]
Selon la majorité, la conclusion de la Commission va à l’encontre du principe de neutralité technologique, à savoir que la Loi doit
s’appliquer uniformément aux supports traditionnels et aux supports plus avancés sur le plan technologique. En appliquant le principe de la neutralité technologique, le téléchargement d’un jeu vidéo
incorporant une œuvre musicale protégée par le droit d’auteur ne
devrait pas être considéré comme une communication donnant droit
à une redevance supplémentaire, tel qu’exigé par la SOCAN, mais
plutôt comme un simple mode de distribution :
À notre avis, il n’y a aucune différence d’ordre pratique entre
acheter un exemplaire durable de l’œuvre en magasin, recevoir
un exemplaire par la poste ou télécharger une copie identique
sur le Web. Internet ne représente qu’un taxi technologique
assurant la livraison d’une copie durable de la même œuvre à
l’utilisateur.13
[Les italiques sont nôtres.]
La majorité est d’avis qu’une telle approche est conforme aux
enseignements de l’arrêt Théberge. En l’espèce, la recherche d’un
équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de
la création et de la diffusion des œuvres et, d’autre part, l’obtention
d’une juste récompense pour le créateur, commande de reconnaître
la « nature limitée » des droits du créateur d’une œuvre musicale
intégrée à un jeu vidéo :
12. Supra, note 3, par. 49.
13. Supra, note 6, par. 5.
La « pentalogie »
733
On atteint le juste équilibre entre les objectifs de politique
générale, dont ceux qui précèdent, non seulement en reconnaissant les droits du créateur, mais aussi en accordant l’importance qu’il convient à la nature limitée de ces droits. D’un point
de vue grossièrement économique, il serait tout aussi inefficace
de trop rétribuer les artistes et les auteurs pour le droit de reproduction qu’il serait nuisible de ne pas les rétribuer suffisamment. Une fois qu’une copie autorisée d’une œuvre est vendue à
un membre du public, il appartient généralement à l’acheteur, et
non à l’auteur, de décider du sort de celle-ci.14
[Les italiques sont nôtres.]
Malgré le fait que la SOCAN n’ait jamais été en mesure de percevoir de redevances pour la vente d’une copie « physique » d’un jeu
vidéo, elle soutient que le téléchargement sur Internet d’une copie
« numérique » identique d’un tel jeu, devrait lui permettre de percevoir à la fois une redevance pour i) la reproduction des œuvres musicales contenues dans le jeu vidéo ainsi que ii) la communication de
ces œuvres musicales. Or, la majorité est d’avis que le raisonnement
de la SOCAN, entériné par la Commission et confirmé par la Cour
d’appel fédérale, fait fi des enseignements développés dans l’arrêt
Robertson. En effet, sauf intention claire du législateur, le principe
de la neutralité technologique veut que la Loi soit interprétée « de
manière à ne pas créer un palier supplémentaire de protection et
d’exigibilité d’une redevance qui soit uniquement fondé sur le mode
de livraison d’une œuvre à l’utilisateur »15.
À cet égard, le juge Rothstein, se prononçant au nom de la dissidence, avance qu’une double rémunération pourrait être évitée en
ajustant les deux redevances (communication et reproduction)16.
Toutefois, la majorité écarte promptement cette avenue qui, selon
elle, irait à l’encontre de l’objectif même des sociétés de gestion collective, soit la recherche d’une gestion et d’une administration efficaces des différents droits d’auteur en application de la Loi. S’appuyant
sur le propos de l’auteur Ariel Katz, la majorité est d’avis qu’en adoptant une telle façon de procéder, l’effet préjudiciable serait double :
[TRADUCTION] Lorsque, à elle seule, une activité économique
emporte l’application de plus d’un type de droit, chacun étant
géré par une société de gestion collective distincte, la multipli14. Supra, note 5, par. 31.
15. Supra, note 6, par. 9.
16. Ibid., par. 12.
734
Les Cahiers de propriété intellectuelle
cité des licences nécessaires peut entraîner une inefficacité [...].
Dès lors, le prix que doit verser l’utilisateur au total est trop élevé
[...].
L’octroi par plusieurs monopoles de gestion collective des licences nécessaires à l’exercice d’une seule activité crée des inefficiences dont souffre également la collectivité des titulaires du
droit d’auteur.17
[Les italiques sont nôtres.]
La majorité conclut que permettre une forme de double rémunération créerait des coûts injustifiés pour l’utilisation et le développement de technologies plus efficaces.
1.4.2 Le droit de « communiquer »
• Historique législatif
Au cœur du débat, la Cour a procédé à l’interprétation de
l’alinéa 3(1)f) de la Loi et du verbe non défini « communiquer » :
3.(1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de
produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de
l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter
ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en
public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou
une partie importante ; ce droit comporte, en outre, le droit
exclusif :
[...]
f) de communiquer au public, par télécommunication, une
œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique.
La Loi de 1921 concernant le droit d’auteur (la « Loi de 1921 ») a
été conçue pour appliquer certaines dispositions de la Convention de
Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques de 1886
17. Supra, note 6, par. 11 : KATZ (Ariel), « Commentary : Is Collective Administration of Copyrights Justified by the Economic Literature ? », dans Marcel BOYER
et al. (dir.), Competition Policy and Intellectual Property, (Toronto : Irwin Law,
2009) 449, aux p. 461-463.
La « pentalogie »
735
(la « Convention de Berne »). Partant, le paragraphe 3(1) de la Loi de
1921 se lisait comme suit :
[...] le droit exclusif de produire ou de reproduire une œuvre
sous une forme matérielle quelconque, d’exécuter ou de représenter ou, s’il s’agit d’une conférence, de débiter en public, et si
l’œuvre n’est pas publiée, de publier l’œuvre ou une partie
importante de celle-ci. [...]
[Les italiques sont nôtres.]
L’alinéa 2q) de la Loi de 1921 prévoyait la définition suivante
d’« exécution » ou de « représentation » :
[...] toute reproduction sonore d’une œuvre, ainsi que toute
représentation visuelle d’une action dramatique, contenue
dans une œuvre, y compris la représentation effectuée à l’aide
d’un instrument mécanique. [...]
À la lecture de ces dispositions, on comprend que le droit
d’exécution ou de représentation supposait que le public était constitué d’un auditoire sur place. S’ensuit l’arrivée de la radiodiffusion et
la possibilité de rejoindre un auditoire éloigné. Suivant le consensus international, cette nouvelle technologie devait être considérée
comme un prolongement de l’exécution ou de la représentation. En
1931, afin de se conformer au nouvel article 11 de la Convention de
Berne qui élargissait le droit d’exécution, le Canada, par le biais de la
Loi modifiant la Loi du droit d’auteur18, adoptait le nouvel alinéa
3(1)f) et modifiait la définition d’« exécution » ou de « représentation » :
f) S’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou
artistique, de transmettre cette œuvre au moyen de la radiophonie.
« représentation » ou « exécution » ou « audition » désigne toute
reproduction sonore d’une œuvre [...] y compris la représentation à l’aide de quelque instrument mécanique ou par transmission radiophonique.
[Les italiques sont nôtres.]
18. S.C. 1931, ch. 8.
736
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Évidemment, malgré une technologie évoluée pour l’époque, la
radiophonie ne permettait pas la distribution d’une copie permanente de l’œuvre, mais supposait plutôt la reproduction sonore de
celle-ci. Les propos tenus lors des débats en Chambre par le ministre
responsable de ces modifications à l’époque allaient dans ce sens et
permettaient à la majorité de conclure que la transmission radiophonique constituait une forme de représentation. La Cour suprême du
Canada aura également eu l’occasion de se prononcer sur l’interprétation adéquate à donner à l’alinéa 3(1)f) de la Loi du droit d’auteur
de 1931 dans l’arrêt Composers, Authors and Publishers Assn. Of
Canada Ltd. c. CTV Television Network Ltd.19. La majorité retient de
cet arrêt que les signaux transmis par CTV à ses stations affiliées ne
communiquaient pas des « œuvres de musique », mais communiquaient plutôt leur « exécution ». Ainsi, la communication peut
s’entendre de l’exécution et donc l’alinéa 3(1)f) doit englober le droit
exclusif d’exécution publique par radiodiffusion.
L’alinéa 3(1)f) de la Loi, tel qu’on le connaît aujourd’hui, a été
adopté en 1988 dans le cadre de la Loi de mise en œuvre de l’Accord de
libre-échange Canada – États-Unis20. La SOCAN argue que cette
modification du législateur avait comme principale motivation de
supprimer toute activité traditionnelle d’exécution ou de représentation et ainsi d’étendre la portée du droit de communication de
manière à incorporer les technologies comportant la transmission de
données qui permettent à un utilisateur de conserver une copie permanente de l’œuvre. La majorité n’est toutefois pas de cet avis. En
effet, considérant l’historique et le contexte ayant mené à cette modification, le remplacement du terme « télécommunication » est plutôt
une suite logique ayant comme principale motivation d’élargir les
modes de distribution d’une œuvre. À titre d’exemple, une telle modification permet notamment d’inclure la câblodistribution et toutes
technologies ultérieures, sans avoir à modifier la Loi constamment.
La majorité est également confortée dans son interprétation de
l’alinéa 3(1)f) de la Loi par l’intégration des mots « au public » précédant le terme « télécommunication ». En effet, un tel ajout démontre
l’intention du législateur à l’effet que le droit de communication
visé à l’alinéa 3(1)f) de la Loi demeure un droit d’exécution ou de
représentation :
19. [1968] R.C.S. 676.
20. Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange Canada – États-Unis, L.C.
1988, ch. 65, art. 62.
La « pentalogie »
737
Par conséquent, nous partageons l’avis du juge Rothstein (au
par. 98) selon lequel il existe, dans la Loi sur le droit d’auteur,
un « lien historique » entre le droit d’exécution ou de représentation et le droit de communication, mais nous ne souscrivons
pas à sa conclusion voulant que, au vu des modifications de
1988, le législateur ait voulu rompre ce lien. Selon nous, le lien
historique entre communication et exécution ou représentation
subsiste de nos jours. Soit dit en tout respect, la Commission fait
abstraction de son existence lorsqu’elle conclut que la transmission du téléchargement d’une œuvre musicale sur Internet peut
équivaloir à une « communication ».21
[Les italiques sont nôtres.]
• Télécharger … Communiquer
En concluant que distribuer une copie « numérique » d’un jeu
vidéo renfermant une œuvre musicale protégée équivaut à « communiquer » cette œuvre au public, la majorité est d’avis que la Commission fait abstraction du long historique législatif à l’effet « que le
droit de « communiquer » a toujours été lié à celui d’exécuter ou de
représenter une œuvre, et non un droit de créer une copie permanente de l’œuvre, [...] »22. C’est essentiellement pour la même raison
que la majorité ne peut que s’en remettre à la définition lexicographique du mot « communiquer » qui, selon le juge Rothstein, s’entend
de toute transmission de données, y compris le téléchargement qui
permet à l’utilisateur de conserver une copie durable de l’œuvre. En
s’arrêtant à une telle définition, les juges dissidents ne reconnaissent pas l’historique législatif de l’alinéa 3(1)f) de la Loi.
L’impair de la Commission ressort essentiellement du sens
qu’elle donne au terme « téléchargement ». En se basant sur les
arrêts Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de
musique c. Association canadienne des fournisseurs Internet23 et
Association canadienne des télécommunications sans fil c. Société
canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique24, la
Commission concluait que le téléchargement d’une œuvre par Internet pouvait s’entendre de communiquer celle-ci au public par télécommunication. Toutefois, la majorité souligne que la signification
du verbe « communiquer », tel qu’employé au paragraphe 3(1) de la
21.
22.
23.
24.
Supra, note 6, par. 27.
Ibid., par. 12.
[2004] 2 R.C.S. 427 (« SOCAN c. ACFI »).
2008 CAF 6.
738
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Loi, n’était pas directement en cause dans l’arrêt SOCAN c. ACFI et
qu’au surplus, aucun des deux arrêts « ne se penche sur l’historique
législatif du verbe « communiquer » ou sur le lien entre communication et exécution ou représentation »25.
La majorité note également que la Commission ne distingue
pas « téléchargement » de « transmission en continu ». Pourtant,
cette distinction est fondamentale. Effectivement, alors que la Commission reconnaît que le téléchargement est une activité de reproduction26, elle définit la transmission en continu comme « une transmission de données permettant à l’usager d’entendre ou de voir le
contenu au moment de la transmission et qui n’est pas destinée à
la reproduction »27. Or, à la différence du téléchargement qui se rapporte à la reproduction, la transmission en continu s’entend de la
communication, ou plutôt de l’exécution ou de la représentation.
En élargissant à tort le sens du verbe « communiquer » pour
englober la distribution sur Internet d’une copie permanente de
l’œuvre, la Commission méconnaît la distinction traditionnelle entre
droit d’exécution ou de représentation et droit de reproduction. Pourtant, l’exécution d’une œuvre est fondamentalement différente de sa
reproduction. Une telle distinction existe depuis l’apparition du
paragraphe 3(1) et a, depuis, toujours subsisté. À cet égard, la Cour
suprême du Canada concluait dans l’arrêt Bishop c. Stevens28 que le
droit d’exécuter une œuvre – y compris celui de la communiquer – ne
pouvait être interprété de façon à englober le droit de la reproduire,
puisque l’exécution ou la représentation et la communication diffèrent intrinsèquement de l’enregistrement. La majorité ajoute qu’une
telle distinction ressort également de la gestion collective des tarifs
de redevances en vertu de la Loi ainsi que des deux catégories de
décisions de la Commission relativement aux œuvres musicales :
Dès lors, le verbe « communiquer » employé à l’al. 3(1)f), qui a de
tout temps été lié au droit d’exécution ou de représentation, ne
doit pas être transformé par la présence du mot « télécommunication » de telle sorte qu’il englobe des activités apparentées à
la reproduction. Une telle mutation équivaudrait à l’abandon de
la distinction traditionnelle établie dans la Loi entre droit d’exécution ou de représentation et droit de reproduction. Aucune dis25.
26.
27.
28.
Supra, note 6, par. 30.
Ibid., par. 10.
Ibid., par. 15.
[1990] 2 R.C.S. 467.
La « pentalogie »
739
position ayant modifié la Loi en 1988 ou par la suite n’atteste
que le législateur a voulu un tel abandon.29
[Les italiques sont nôtres.]
• Un droit distinct ?
La majorité soulève un dernier point dans son analyse. Le droit
de communiquer n’est pas un droit sui generis qui donne à lui seul le
droit pour le titulaire d’un droit d’auteur de percevoir une redevance
quelconque. En effet, les droits exclusifs prévus au paragraphe 3(1)
de la Loi sont exhaustifs. Une telle affirmation est confortée par
l’utilisation du terme « means » dans la version anglaise de la Loi.
Ainsi, les autres droits énumérés aux alinéas a) à i) du paragraphe
3(1) de la Loi ne doivent pas être interprétés comme étant des droits
distincts des droits exclusifs, mais plutôt comme des exemples30.
1.5 Les conclusions
Suite à cette analyse, la Cour conclut que distribuer sur Internet une copie permanente d’un jeu vidéo qui renferme une œuvre
musicale ne peut s’entendre de communiquer cette œuvre en application de l’alinéa 3(1)f) de la Loi et que la SOCAN ne peut se voir
reconnaître le droit de percevoir des redevances à cet effet.
1.6 Ce que l’on retient
Bien que l’arrêt ESA c. SOCAN soit marqué par une forte dissidence, on retient que la majorité a usé de son « gros bon sens » pour
en arriver à ses conclusions. En effet, en appliquant les enseignements de l’arrêt Robertson relativement à la neutralité technologique ainsi que les principes d’interprétation législative, la majorité
est incapable d’en venir à la conclusion que le consommateur devrait
avoir à payer des frais supplémentaires lorsqu’il se procure une version numérique d’un jeu vidéo plutôt qu’une copie physique. En effet,
l’approche proposée par la SOCAN aurait comme effet de créer des
distorsions dans le système des redevances, voire une double rémunération des créateurs, ce qui serait contraire au principe de la
rémunération équitable.
29. Supra, note 6, par. 39.
30. Supra, note 6, par. 42 : HANDA (Sunny), Copyright Law in Canada, (Markham :
Butterworths, 2002), p. 195 ; Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers
Ltd., [1987] 1 C.F. 173 (1re inst.) (C.F.P.I.), p. 197.
740
Les Cahiers de propriété intellectuelle
On retient donc de cet arrêt que la Cour a pris bonne note de
l’intention du législateur et du principe de la neutralité juridique à
l’effet que l’avènement des nouvelles technologies doit être considéré
un outil supplémentaire dans la promotion et la diffusion des œuvres
des créateurs canadiens, plutôt que comme un obstacle à leurs droits
exclusifs. Les pourvois connexes abondent dans le même sens.
2. Rogers Communications Inc. c. Society of Composers,
Authors and Music Publishers of Canada31 :
la transmission en continu
2.1 Les faits
Rogers Communications Inc., Rogers Wireless Partnership,
Shaw Cablesystems G.P., Bell Canada et Société TELUS Communications (collectivement les « Appelantes ») exploitent des services de
musique en ligne et offrent au public un vaste répertoire d’œuvres
musicales accessibles en tout temps, notamment par téléchargement
ou par transmission en continu. Pour une meilleure compréhension
de la présente affaire, le « téléchargement » s’entend de « la transmission sur Internet d’un fichier de données, tel l’enregistrement sonore
d’une œuvre musicale, dont l’utilisateur conserve une copie permanente »32 sur un support quelconque (i.e., disque dur ou carte
mémoire) alors que la « transmission en continu » se veut plutôt « une
transmission de données permettant d’entendre ou de voir le contenu au moment de la transmission ; elle ne permet que le stockage
temporaire sur le disque dur de l’utilisateur »33. Ainsi, le consommateur qui fait le choix d’une œuvre musicale parmi l’un des répertoires
des Appelantes peut soit la télécharger ou se la faire transmettre en
continu sur son ordinateur ou son téléphone intelligent.
Tel que mentionné précédemment, la SOCAN est une société de
gestion responsable de déposer des projets de tarifs auprès de la
Commission et de percevoir des redevances pour les compositeurs,
les auteurs et les éditeurs de musique qu’elle représente.
2.2 L’historique judiciaire
En 1995, la SOCAN a déposé devant la Commission plusieurs
projets tarifaires pour diverses utilisations d’œuvres musicales qui
31. 2012 CSC 35 (« Rogers c. SOCAN »).
32. Supra, note 31, par. 1.
33. Ibid.
La « pentalogie »
741
constituaient, selon elle, une communication au public d’œuvres
musicales sur Internet et qui emportaient le paiement de redevances.
Devant la complexité des projets tarifaires déposés par la
SOCAN, la Commission a décidé de procéder à une analyse en deux
phases. La Commission devait tout d’abord déterminer « quelles activités sur l’Internet, le cas échéant, consitu[ai]ent une utilisation protégée [du répertoire d’œuvres musicales de la SOCAN] visé par le
tarif »34. Elle devait par la suite procéder à l’établissement d’un tarif
de communications d’œuvres musicales sur Internet pour les années
1996 à 2006.
C’est ainsi que le 27 octobre 1999, la Commission se prononçait
sur la première phase (le « Tarif 22 »)35 et concluait que le téléchargement et la transmission en continu d’œuvres musicales relèvent du
droit exclusif du titulaire du droit d’auteur de communiquer une
œuvre au public, par télécommunication, tel que prévu à l’article 3
de la Loi, donnant ainsi ouverture à l’établissement d’un tarif et aux
paiements de redevances. Il convient également de retenir l’interprétation que la Commission a faite des mots « au public » utilisés à
l’article 3 de la Loi, à savoir qu’il peut y avoir communication au
public lorsque celle-ci vise des particuliers au même moment ou à
des moments différents. Dans l’arrêt SOCAN c. ACFI, le juge Binnie
concluait que cette interprétation n’était « plus contestée »36.
Le 18 octobre 2007, la Commission se prononçait sur la
deuxième phase en établissant le tarif applicable à la communication d’œuvres musicales sur Internet pour les années 1996 et 2006
(le « Tarif 22.A »)37. Confortée par les propos du juge Binnie cités précédemment, la Commission rappelait que communiquer une œuvre à
des particuliers par téléchargement ou par transmission en continu,
à des moments différents et sur demande, équivaut à communiquer
celle-ci « au public » en vertu de l’article 3 de la Loi.
Appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour d’appel
fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire des Appelantes.
En effet, la Cour d’appel fédérale était d’avis que l’interprétation de
34. Ibid., par. 6.
35. Le « Tarif 22 » : Projet de tarif de la SOCAN, Exécution publique d’œuvres musicale 1996, 1997, 1998 (tarif 22, Internet) (Re) (1999).
36. Supra, note 23, par. 30.
37. [2007] D.C.D.A. 7.
742
Les Cahiers de propriété intellectuelle
la Commission, quant à savoir ce que constitue une « communication
au public » au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi, était raisonnable.
2.3 Les questions en litige
La Cour était initialement saisie de deux questions en litige.
Toutefois, considérant ses conclusions dans le pourvoi connexe ESA
c. SOCAN, la Cour a rapidement écarté la première question, à
savoir si les services de musique en ligne portent atteinte au droit
exclusif de « communiquer au public par télécommunication » lorsqu’ils offrent des téléchargements au public. En effet, on se rappellera que dans l’arrêt ESA c. SOCAN, précédemment analysé, la Cour
avait conclu que le téléchargement d’une pièce de musique, via une
plateforme telle qu’iTunes, ne peut s’entendre d’une « communication » au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi.
Suite à cette conclusion, « [l]a question en litige dans le présent
pourvoi est désormais celle de savoir si la transmission en continu de
fichiers sur Internet à la demande d’un utilisateur individuel constitue une communication « au public », par le service de musique en
ligne qui offre une telle transmission aux utilisateurs, des œuvres
musicales contenues dans les fichiers »38.
2.4 L’analyse
2.4.1 La norme de contrôle
La Cour se penche en premier lieu sur la norme de contrôle
applicable en l’espèce, et plus précisément sur la première phase,
alors que la Commission abordait les points de droit et les questions
de compétence.
Dans l’arrêt SOCAN c. ACFI, la Cour avait conclu à l’application de la norme de la décision correcte lorsqu’il faillait procéder au
contrôle d’une décision de la Commission. Or, l’arrêt Dunsmuir c.
Nouveau-Brunswick39 a permis à la Cour de revoir et de simplifier les modalités applicables en matière de contrôle judiciaire. On
retient notamment de cet arrêt « que la déférence est habituellement
de mise lors du contrôle judiciaire de la décision d’un organisme
administratif qui interprète et applique sa loi constitutive »40, ce qui
38. Supra, note 31, par. 5.
39. [2008] 1 R.C.S. 190.
40. Supra, note 31, par. 11.
La « pentalogie »
743
est précisément le cas dans la présente affaire, alors que la Commission abordait les points de droit et les questions de compétence lors
de la première phase. Toutefois, la Cour conclut que c’est la norme de
la décision correcte qui doit s’appliquer à la décision de la Commission. En effet, considérant que le régime législatif établi par la Loi
reconnaît une compétence concurrente sur une question de droit à la
Commission et à une cour de justice de première instance, la Cour
est d’avis qu’il serait illogique de contrôler une décision de la Commission selon la norme de la décision raisonnable, mais de contrôler
une décision d’un tribunal de première instance selon la norme de la
décision correcte. Ainsi, puisque la Loi n’établit pas un régime administratif distinct et particulier, la Cour ne peut conclure que le législateur voulait reconnaître à la Commission une expertise supérieure
à une cour de justice de première instance sur une question de droit
soulevée lors de l’application de la Loi. Ainsi, la Cour est d’avis qu’« il
faut supposer que la Cour de justice et [la Commission] ont, à l’égard
du texte législatif, une même connaissance approfondie et une même
expertise »41.
La juge Abella, dissidente uniquement sur la question de la
norme de contrôle, est toutefois d’avis qu’il y aurait lieu de retenir la
norme de contrôle de la décision raisonnable. En effet, selon elle, la
Commission est un organisme spécialisé auquel on doit accorder un
degré de déférence élevé afin de respecter sa compétence. La Commission devrait se voir accorder la même déférence lorsqu’elle est
appelée à interpréter sa loi constitutive aux fins de l’établissement d’un tarif pour la communication d’une œuvre quelconque. En
effet, la juge Abella rappelle que depuis l’arrêt Dunsmuir, la Cour
reconnaît un plus haut degré de déférence envers les tribunaux
administratifs et de leurs expertises spécialisées lorsqu’ils doivent
interpréter leurs propres lois constitutives. La juge Abella conclut
que l’application de la norme de décision correcte, tel que le conclut
la majorité, viendrait à nier la compétence du forum expert et d’une
certaine façon ignorer sa raison d’être.
2.4.2 La transmission en continu
La Cour se penche par la suite sur la question de la transmission en continu. Afin de répondre à la question en litige, la Cour
41. Ibid., par. 15.
744
Les Cahiers de propriété intellectuelle
devait analyser l’alinéa 3(1)f) de la Loi, et plus précisément interpréter le terme « au public » :
3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif [...]
f) de communiquer au public, par télécommunication, une
œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique ;
• L’arrêt CCH
Les parties fondent leurs prétentions sur l’arrêt CCH, alors que
la Cour suprême avait été amenée à procéder à l’analyse du terme
« au public », tel qu’utilisé à l’alinéa 3(1)f) de la Loi. À cet effet, la
Cour fédérale avait notamment conclu que les transmissions par
télécopieur de la Grande bibliothèque à ses usagers ne constituaient
pas des communications au public puisqu’elles « provenaient d’un
seul point et n’étaient destinées à n’atteindre qu’un seul point »42.
La Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale confirmaient toutes deux cette conclusion et ajoutaient que « [t]ransmettre
une copie à une seule personne [...] n’équivaut pas à communiquer
l’œuvre au public »43. Au surplus, la Cour suprême du Canada faisait
siennes les conclusions de la Cour d’appel fédérale à l’effet que « pour
être faite « au public », une communication doit être destinée à un
groupe de personnes, ce qui est plus qu’une personne, mais pas
nécessairement tout le public en général »44.
Fortes de ces conclusions, les Appelantes étaient d’avis que la
transmission en continu via Internet d’une pièce musicale sélectionnée dans l’un de ses répertoires ne pouvait s’entendre d’une communication au public et ainsi emporter l’application d’un tarif tel que
le réclamait la SOCAN. À cet effet, les Appelantes prétendaient dans
leur mémoire d’appel que « les juridictions successivement appelées
à se prononcer dans [l’affaire CCH] ont toutes trois conclu que le service de télécopie offert par la Grande bibliothèque ne portait pas
atteinte au droit de communication au public, par télécommunication, après s’être demandé si chacune des transmissions était une
communication au public »45. Ainsi, les Appelantes arguaient que la
transmission en continu « est forcément une opération privée qui
42. CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2000] 2 C.F. 213.
43. Supra, note 4, par. 78 ; CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2002
C.A.F. 187, par. 101 et 253.
44. Supra, note 4, par. 78 ; Supra, note 43, par. 100.
45. Supra, note 4, Mémoire d’appel des Appelantes au par. 45.
La « pentalogie »
745
échappe au droit exclusif de communiquer au public »46 prévue à
l’alinéa 3(1)f) de la Loi.
Or, les propos de la juge en chef McLachlin appellent à la précaution. En effet, de telles conclusions n’étaient applicables qu’aux
faits particuliers de l’affaire CCH :
Transmettre une seule copie à une seule personne par télécopieur n’équivaut pas à communiquer l’œuvre au public. Cela
dit, la transmission répétée d’une copie d’une même œuvre à de
nombreux destinataires pourrait constituer une communication
au public et violer le droit d’auteur. Toutefois, aucune preuve
n’a établi que ce genre de transmission aurait eu lieu en l’espèce.
Compte tenu de la preuve, les transmissions par télécopieur ne
constituaient pas des communications au public. [...]47
[Les italiques sont nôtres.]
Les parties ne s’entendaient toutefois pas sur l’application de
cette réserve. En effet, les Appelantes, adoptant l’optique du destinataire, prétendaient que la transmission en continu et répétée, à différents consommateurs, de la même pièce musicale provenant de l’un
de ses répertoires ne devait pas être considérée comme un seul
acte mais plutôt comme une série d’actes indépendants les uns des
autres, ce qui n’emporterait pas la violation du droit d’auteur et par
le fait même le paiement de redevances. La SOCAN, adoptant l’optique des actes accomplis par l’expéditeur, était plutôt d’avis que
l’arrêt CCH n’exige pas que la transmission répétée soit le résultat
d’un seul acte de l’expéditeur pour que l’alinéa 3(1)f) de la Loi trouve
application.
• L’importance du contexte
La Cour est d’avis que retenir les prétentions des Appelantes et
adopter l’angle d’analyse du destinataire ne ferait que mener à des
résultats arbitraires. En effet, la protection du droit d’auteur ne saurait répondre des détails techniques du mode de communication
d’une œuvre :
46. Supra, note 31, par. 52.
47. Supra, note 4, par. 78 et 79.
746
Les Cahiers de propriété intellectuelle
[...] la transmission d’une œuvre protégée par l’envoi d’un seul
courriel à 100 citoyens ordinaires choisis au hasard constituerait une communication « au public ». Pourtant, suivant la
même logique, l’expéditeur qui ferait la même chose, mais en
envoyant un courriel distinct à chacun de ces mêmes 100 destinataires ne violerait pas le droit d’auteur. Lorsque l’acte est foncièrement identique – bien qu’il soit accompli par des moyens
techniques différents –, rien ne justifie d’établir une distinction
entre les deux envois pour les besoins de l’application du droit
d’auteur.48
[Les italiques sont nôtres.]
La Cour est confortée par les propos du juge Sharlow dans
la décision Assoc. Canadienne des télécommunications sans fil c.
Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique49 à l’effet qu’« [i]l serait illogique d’en arriver à un résultat différent pour la simple raison que les transmissions sont effectuées une
par une et qu’elles ont donc lieu à des moments différents »50. Dans
cette décision, la Cour d’appel fédérale concluait que « la personne
qui offre à des particuliers la possibilité de télécharger des sonneries pour leurs téléphones portables communique au public l’œuvre
musicale contenue dans ces sonneries »51.
La Cour conclut qu’il faut nécessairement tenir compte du
contexte dans l’analyse des transmissions :
S’attacher à chacune des transmissions individuelles fait perdre de vue la nature véritable de la communication en cause et
subordonne la protection du droit d’auteur aux détails techniques du mode opératoire retenu par la personne qui violerait le
droit d’auteur, ce qui n’est pas de nature à assurer une protection rationnelle du droit d’auteur. Il faut donc tenir compte du
contexte général pour déterminer si une transmission point à
point porte atteinte au droit exclusif de communiquer l’œuvre au
public. C’est la seule façon de s’assurer que la forme ne l’emporte
pas sur le fond.52
[Les italiques sont nôtres.]
48. Supra, note 31, par. 29.
49. 2008 CAF 6, [2008] 3 R.C.F. 539 (autorisation de pourvoi refusée, [2008] 2
R.C.S.).
50. Ibid., par. 43.
51. Supra, note, 32, par. 31.
52. Ibid., par. 30.
La « pentalogie »
747
• La communication « sur demande »
Les Appelantes avaient également avancé que la Cour devait
considérer l’intention de l’expéditeur qui effectue une transmission
de données. À l’instar des faits de l’arrêt CCH, les Appelantes prétendaient que la transmission en continu se distingue de la communication à grande échelle, faite à l’initiative de l’expéditeur, puisque
la transmission d’une pièce musicale sélectionnée par le consommateur est effectuée à sa demande expresse et non avec l’intention de
transmettre à nouveau l’œuvre protégée en cause :
La Commission conclut que « [l]es téléchargements sont « destiné[s] à un groupe de personnes » » et sont « offerts à quiconque
possède l’appareil approprié et est disposé à remplir les conditions [établies] » (par. 97). Il n’est guère possible de soutenir que
« l’expéditeur n’a pas l’intention de transmettre de nouveau la
même œuvre ».53
[Les italiques sont nôtres.]
La Cour rejette cet argument au motif que « [l]e libellé de l’al.
3(1)f) de la Loi ne justifie aucunement une interprétation aussi
stricte »54. Considérer l’intention du destinataire individualiserait
l’analyse et ferait fi du contexte général de la transmission, tel que
mentionné précédemment. En effet, suite aux conclusions sur l’importance de considérer le contexte, examiner chacune des transmissions isolément, puisqu’elle s’effectue à la demande individuelle d’un
consommateur, aurait pour effet de soustraire toute communication
sur demande au respect du droit exclusif de communiquer une
œuvre au public.
• Neutralité technologique
On se rappellera que l’insertion de l’expression « par télécommunication » à l’alinéa 3(1)f) de la Loi avait précisément comme
objectif de permettre à la Lda de suivre l’évolution technologique
sans avoir à être constamment modifiée lorsqu’un nouveau mode de
communication fait son apparition. Il a notamment été question de
cet aspect dans le pourvoi connexe ESA c. SOCAN. Les parties sont
d’accord à l’effet que le téléchargement ou la transmission en continu
de fichiers audionumériques via Internet est visée par la définition
53. Ibid., par. 33.
54. Ibid., par. 35.
748
Les Cahiers de propriété intellectuelle
large du terme « télécommunication » à l’article 2 de la Loi. Ainsi, la
Cour conclut que l’alinéa 3(1)f) de la Loi ne vise pas que la « distribution sélective » traditionnelle, tel que le prétendaient les Appelantes,
puisqu’il est neutre sur le plan technologique :
Le lien historique entre le droit de communiquer au public et la
« distribution sélective » ou « radiodiffusion », en particulier la
modification apportée en 1988, montre bien que la Loi s’est
adaptée pour demeurer en phase avec un contexte technologique en constante évolution. Ce lien ne permet pas de considérer que la Loi établit implicitement des restrictions qui ne
ressortent pas de son libellé neutre ou qui sont même incompatibles avec celui-ci.55
[Les italiques sont nôtres.]
La Cour rappelle également que pour déterminer le champ
d’application du droit d’auteur, l’arrêt Théberge prévoit que la Loi
« est généralement présentée comme établissant un équilibre entre,
d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de
la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part,
l’obtention d’une juste récompense pour le créateur »56 :
Cet équilibre n’est pas correctement établi lorsque, au lieu de
dépendre de l’activité de communication sous-jacente, la protection de l’œuvre est entièrement tributaire du modèle d’entreprise retenu par celui qui contreviendrait au droit d’auteur.
Qu’une entreprise choisisse de transmettre un contenu protégé
selon le mode traditionnel de la « radiodiffusion » ou qu’elle opte
pour une nouvelle technologie axée sur ce qui plaît ou convient à
l’utilisateur, le résultat est en fin de compte le même : l’œuvre
protégée est mise à la disposition d’un groupe de personnes faisant partie du grand public.57
[Les italiques sont nôtres.]
2.5 Les conclusions
Pour l’ensemble des motifs expliqués précédemment, la Cour
rejette les prétentions des Appelantes et conclut que « la transmis55. Ibid., par. 38.
56. Supra, note 5, par. 30.
57. Supra, note 31, par. 40.
La « pentalogie »
749
sion d’œuvres musicales considérée en l’espèce, lorsqu’elle constitue
une « communication », ne peut être autre chose qu’une communication « au public » »58 au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi permettant
ainsi l’établissement d’un tarif tel qu’exigé par la SOCAN et le versement de redevances par les Appelantes :
Dans le cas d’un service de musique en ligne, les œuvres musicales sont indistinctement mises à la disposition de quiconque
a accès à son site Internet. Dès lors, le consommateur qui
demande la transmission en continu ne fait pas partie d’un
groupe restreint, comme la famille ou le cercle d’amis. Il fait
seulement partie du « public ». Dans ces conditions, transmettre
un fichier contenant une œuvre musicale, du site Internet du
fournisseur à l’ordinateur du consommateur, à la demande de
ce dernier, équivaut dès la première fois à « communiquer au
public, par télécommunication, une œuvre ».59
[Les italiques sont nôtres.]
La Cour souligne finalement que les faits de la présente affaire
sont différents de ceux de l’affaire CCH et qu’ainsi les conclusions
citées par les Appelantes ne pouvaient appuyer leurs prétentions.
2.6 Ce que l’on retient
On retient de cet arrêt l’importance d’adopter une vision globale afin de déterminer si l’acte en question emporte l’application de
la Loi, et plus précisément la protection des droits exclusifs des titulaires de droit d’auteur. On retient également le rappel de la Cour
concernant le principe de la neutralité technologique en matière de
droit d’auteur et l’objectif du législateur de permettre à la Loi de
suivre l’évolution technologique, mais surtout de continuer à trouver
application peu importe le support ou le mode de communication
utilisé. Finalement, les conclusions de la Cour s’inscrivent dans
la recherche de l’équilibre de la Loi, telle qu’énoncée dans l’arrêt
Théberge.
Mentionnons également que bien que l’on doive s’en tenir aux
conclusions de la majorité relativement à la norme de contrôle applicable à la Commission, les propos de la juge Abella n’étaient pas
58. Ibid., par. 53.
59. Ibid., par. 56.
750
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dépourvus de toute pertinence et il sera intéressant de voir comment
la Cour traitera cette question dans l’avenir.
3. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs
de musique c. Bell Canada60 : l’écoute « équitable »
3.1 Les faits
Tel que mentionné précédemment, la SOCAN est une société de
gestion responsable de déposer des projets de tarifs auprès de la
Commission et de percevoir des redevances pour les compositeurs,
les auteurs et les éditeurs de musique qu’elle représente.
Bell Canada, Apple Canada Inc., Rogers Communications Inc.,
Rogers Wireless Partnership, Shaw Cablesystems G.P. et Société
TELUS Communications (les « Intimées ») exploitent des services de
musique en ligne et vendent le téléchargement de fichiers audionumériques.
Par l’entremise de vastes catalogues accessibles par lnternet,
les Intimées offrent au public des œuvres musicales classées par
titre de piste ou d’album, genre ou artiste. On peut notamment penser à la populaire plateforme iTunes. En consultant ces catalogues,
un consommateur a l’opportunité d’écouter gratuitement l’extrait
d’une œuvre musicale qui pourrait l’intéresser. Règle générale, les
extraits offerts par les Intimées sont d’une durée de 30 à 90 secondes.
Une fois un extrait sélectionné, son écoute se fait par mode de transmission continue, de sorte que le consommateur a accès à une copie
temporaire d’une pièce musicale qu’il ne peut conserver de manière
permanente dans son ordinateur. Mentionnons que le consommateur peut procéder à l’écoute d’un extrait autant de fois qu’il le
désire. Il peut ensuite procéder à l’achat, par voie de téléchargement,
d’une copie permanente de la pièce musicale. Dans le marché, une
telle pratique se nomme « l’écoute préalable ».
Devant s’adapter à l’ère numérique, et par le fait même aux
nouveaux modes de transmission des œuvres des titulaires de droits
d’auteur qu’elle représente, la SOCAN a demandé à la Commission
de fixer les redevances exigibles lors de la communication au public
d’œuvres musicales sur Internet.
60. 2012 CSC 36 (« SOCAN c. Bell »).
La « pentalogie »
751
3.2 L’historique judiciaire
En 2007, la Commission a conclu que la SOCAN pouvait, de bon
droit, percevoir des redevances pour le téléchargement d’œuvres
musicales sur Internet, mais qu’il en était autrement pour l’écoute
préalable. En effet, la Commission était d’avis que l’écoute préalable
devait être assimilée à l’exception d’utilisation équitable prévue à
l’article 29 de la Loi et qu’ainsi, l’écoute préalable ne pouvait emporter le versement de redevances61.
Saisie d’une demande de contrôle judicaire, la Cour d’appel
fédérale a confirmé la décision de la Commission62.
3.3 La question en litige
Considérant que les gens font de plus en plus l’acquisition de
pièces musicales par le biais d’Internet et que plusieurs plateformes
offrent la possibilité de procéder à l’écoute préalable, la Cour est
d’avis que « la question à trancher est celle de savoir si l’« utilisation
équitable » visée à l’article 29 de la Loi [...] peut s’entendre de cette
écoute préalable »63.
3.4 L’exception d’utilisation équitable
Avant de procéder à son analyse, la Cour fait une revue intéressante du contexte ayant mené à la reconnaissance du droit des utilisateurs.
Historiquement, le droit d’auteur était centré sur l’auteur
d’une œuvre ainsi que sur le droit exclusif de cet auteur, ou du titulaire du droit d’auteur, de décider de l’usage de l’œuvre sur le marché64. L’arrêt Théberge marquait une rupture de cette conception et
établissait que l’application du droit d’auteur doit commander « un
équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt public, de la
création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et,
d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur »65.
61.
62.
63.
64.
65.
Supra, note 37.
2010 CAF 123.
Supra, note 60, par. 1.
Supra, note 28, p. 478-479.
Supra, note 5, par. 30.
752
Les Cahiers de propriété intellectuelle
L’arrêt CCH s’inscrivait dans cette évolution du droit d’auteur
au Canada et reconnaissait ainsi le rôle essentiel des utilisateurs à
la réalisation des objectifs de la Loi liés à l’intérêt public. Effectivement, dans l’arrêt Théberge, la Cour mentionnait que la diffusion
des œuvres devait jouer un rôle crucial dans l’établissement d’un
domaine public rigoureux. Ainsi, dans l’arrêt CCH, la Cour soulignait que « l’exception d’utilisation équitable énoncée à l’article 29 de
la Loi constitue [justement] l’un des moyens retenus par le législateur pour établir un juste équilibre entre protection et accès »66 aux
œuvres permettant notamment une diffusion adéquate de celles-ci.
De plus, sans l’exception d’utilisation équitable, plusieurs activités
essentielles au maintien d’un juste équilibre violeraient le droit
d’auteur. C’est pourquoi la Cour est d’avis « [qu’] il ne faut pas
l’interpréter restrictivement »67.
L’exception d’utilisation équitable comporte deux volets. Dans
un premier temps, l’utilisation de l’œuvre doit avoir pour but l’une
des fins prévues à l’article 29 de la Loi, soit i) l’étude privée ou
ii) la recherche, auxquelles s’ajoutent maintenant iii) l’éducation et
iv) la parodie ou la satire. Dans un deuxième temps, l’utilisation de
l’œuvre doit se qualifier d’« équitable ». Pour déterminer si l’utilisation est « équitable », la Cour considérera les éléments suivants :
i) le but, ii) la nature de l’utilisation, iii) l’ampleur de l’utilisation,
iv) l’existence de solutions de rechange à l’utilisation, v) la nature de
l’œuvre, et vi) l’effet de l’utilisation sur l’œuvre :
29. L’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du
droit d’auteur aux fins d’étude privée ou de recherche ne constitue pas une violation du droit d’auteur.
Considérant l’exception d’utilisation équitable comme un
« moyen de défense », il incombe à la personne qui l’invoque de faire
la démonstration que l’utilisation qu’elle fait d’une œuvre protégée
par le droit d’auteur satisfait à ces deux volets.
3.5 L’analyse
La juge Abella, s’exprimant au nom de la Cour, abonde dans le
même sens que la Commission et confirme que l’écoute préalable
peut s’entendre d’une utilisation équitable.
66. Supra, note 60, par. 11.
67. Supra, note 4, par. 48.
La « pentalogie »
753
3.5.1 Premier volet : Une fin permise
Le terme « recherche », tel qu’employé à l’article 29 de la Loi,
n’est pas défini par le législateur. Dans l’arrêt CCH, la Cour conclut
« [qu’i]l faut [l’]interpréter [...] de manière large afin que les droits
des utilisateurs ne soient pas indûment restreints »68. Ce faisant, la
Cour adhère à la conclusion de la Commission, à l’effet que compte
tenu de la preuve présentée, l’écoute préalable peut s’entendre d’une
« recherche » au sens de l’article 29 de la Loi. En effet, l’écoute préalable s’inscrit dans un processus exigeant effort et recherche de la
part du consommateur afin qu’il puisse être en mesure d’arrêter son
choix sur la pièce musicale qu’il pourrait éventuellement acheter par
voie de téléchargement. La SOCAN était toutefois d’avis qu’une telle
interprétation du terme « recherche » est i) trop large et ii) ne tient
pas compte du point de vue du fournisseur de services.
• Interprétation large ou restrictive ?
Selon la SOCAN, la « recherche » devrait avoir pour but la
conception d’œuvres créatives, car seule une utilisation contribuant
au processus de création serait dans l’intérêt public. Toutefois, une
telle interprétation « restrictive » irait à l’encontre des enseignements de la Cour suprême du Canada à l’effet que la diffusion des
œuvres protégées par le droit d’auteur fait également partie des
objets de la Loi. Une interprétation « large » de l’exception d’utilisation équitable milite ainsi à l’équilibre recherché dans l’arrêt
Théberge :
Certes, l’un des objets importants de l’utilisation équitable
des œuvres protégées est de permettre à d’autres personnes
d’accomplir elles-mêmes des actes d’expression et de création
(A. DRASSINOWER, « Taking User Rights Seriously », dans
Michael GEIST (dir.), In the Public Interest : (2005) The Future
of Canadian Copyright Law 462, 467-472). Pour autant, on ne
saurait considérer que seule une fin créative constitue une fin de
« recherche » pour l’application de l’art. 29 de la Loi sur le droit
d’auteur, car ce serait oublier que la diffusion des œuvres fait
également partie des objets de la Loi ; dès lors, la diffusion – avec
ou sans créativité – est aussi dans l’intérêt public. [...]69
[Les italiques sont nôtres.]
68. Ibid., par. 51.
69. Supra, note 60, par. 21.
754
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La SOCAN invoquait également un courant jurisprudentiel
américain à l’effet que l’on ne doit conclure au caractère équitable
d’une utilisation que si celle-ci est à une fin « transformative ». À cet
égard, la Cour rappelle que les différences fondamentales entre la loi
canadienne et la loi américaine doivent appeler à la prudence quant
à l’importation automatique des concepts américains en matière de
droit d’auteur. En effet, « contrairement aux tribunaux américains
qui passent directement à l’appréciation du caractère équitable, les
tribunaux canadiens déterminent d’abord s’il y a utilisation à l’une
des fins permises dans la Loi sur le droit d’auteur avant de se pencher sur le caractère équitable »70.
• L’angle d’analyse
Concernant l’angle d’analyse, tel qu’il était mentionné dans
l’arrêt CCH, la Cour rappelle que l’utilisation d’exception équitable
est le droit des utilisateurs, et qu’en l’espèce, il convient d’adopter le
point de vue du consommateur aux fins de son appréciation. Or, la
SOCAN soutenait que l’on devrait plutôt analyser le premier volet en
fonction du fournisseur de services :
De même, afin de déterminer si, pour les besoins du premier
volet du critère de l’arrêt CCH, la fin qui sous-tend l’écoute
préalable est la « recherche », la Commission tient compte avec
raison du point de vue de l’utilisateur ou de la fin que poursuit le
consommateur. Sous cet angle, l’écoute préalable permet au
consommateur d’effectuer une recherche pour choisir les pièces
dont il fera l’achat, ce qui entraîne la diffusion des œuvres musicales et la rétribution de leurs créateurs, deux résultats voulus
par le législateur.71
[Les italiques sont nôtres.]
3.5.2 Deuxième volet : Le caractère « équitable »
Concluant que l’écoute préalable pouvait s’entendre de la
« recherche », la Cour devait par la suite déterminer le caractère
« équitable » d’une telle écoute. Pour ce faire, la Cour applique les éléments développés dans l’arrêt CCH et rappelle que le caractère équitable est une question de fait qui doit être tranchée à partir des
circonstances en l’espèce72.
70. Ibid., par. 26.
71. Ibid., par. 30.
72. Supra, note 4, par. 52.
La « pentalogie »
755
• Le but de l’utilisation
La Cour doit déterminer objectivement le but ou le motif réel de
l’utilisation de l’œuvre protégée73. La SOCAN alléguait que l’écoute
préalable a un but strictement commercial. Abondant dans le même
sens que la Commission et la Cour d’appel fédérale, la Cour est plutôt d’avis que la SOCAN arrive à une telle conclusion puisqu’elle se
place du point de vue du fournisseur de services. Toutefois, si l’on
aborde cet élément selon l’angle d’analyse de l’utilisateur, le but est
essentiellement le même que la fin poursuivie faisant l’objet du premier volet de l’analyse, c’est-à-dire la recherche d’œuvres musicales
en vue d’en faire l’achat par voie de téléchargement. L’écoute préalable ne permet que de faciliter la recherche du consommateur. À cet
effet, la Cour ajoute :
La Commission relève également que des mesures garantissent
raisonnablement que l’écoute préalable aurait lieu à cette fin :
les extraits sont courts, en continu et de qualité souvent inférieure à celle de l’œuvre musicale. Ces caractéristiques empêchent la substitution des extraits aux œuvres, mais permettent
néanmoins la recherche.74
[Les italiques sont nôtres.]
• La nature de l’utilisation
Selon cet élément, l’utilisation peut être inéquitable lorsque de
multiples copies d’une œuvre sont diffusées largement75. La SOCAN
prétendait que dans le cadre de l’écoute préalable, un consommateur
accède en moyenne dix fois plus souvent à un extrait qu’à la version intégrale d’une pièce musicale. Toutefois, la Cour souligne que
puisque les extraits sont transmis en continu, le consommateur
n’en obtient pas de copie permanente. Partant, la transmission en
continu ne permet pas au consommateur d’obtenir une copie permanente de la pièce musicale puisque le fichier est supprimé automatiquement à la fin de l’écoute préalable. Une telle mesure rend
impossible toute reproduction ou nouvelle diffusion par l’utilisateur.
Ainsi, le fait que la copie cesse d’exister après son usage milite en
faveur du caractère équitable de l’utilisation76.
73.
74.
75.
76.
Ibid., par. 54.
Supra, note 60, par. 35.
Supra, note 4, par. 55.
Ibid.
756
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• L’ampleur de l’utilisation
La Commission précisait dans l’appréciation de l’« ampleur »
que celle-ci doit correspondre à la durée de l’extrait par rapport à la
durée entière de l’œuvre. Or, la SOCAN prétendait plutôt qu’il faut
tenir compte du nombre global d’extraits écoutés par les consommateurs au moyen de la transmission en continu et que, suivant ce raisonnement, le temps consacré globalement à l’écoute préalable est si
considérable qu’il rend l’utilisation inéquitable. La Cour n’est toutefois pas de cet avis et abonde plutôt dans le même sens que la
Commission :
S’il ne fait aucun doute que l’écoute préalable donne globalement accès à une grande quantité de musique, l’argument de la
SOCAN va toutefois à l’encontre de ce que dit la Cour dans
CCH, à savoir que l’« ampleur » de l’utilisation s’entend de
« l’ampleur [d’ordre quantitatif] de l’extrait tiré de l’œuvre »
(par. 56). Puisque le droit d’utilisation équitable correspond à
un droit des utilisateurs, il faut déterminer « l’ampleur » en fonction de l’utilisation individuelle, et non globale. C’est donc à
l’aune du rapport entre l’extrait et l’œuvre entière, comme le préconise la Commission, qu’il faut déterminer l’ampleur de l’utilisation. Une telle conclusion me paraît conforme à la démarche
de la Cour dans CCH, où elle qualifie l’utilisation des œuvres en
se penchant sur les suites données par la Grande bibliothèque
aux demandes individuelles formulées par des usagers relativement à des œuvres précises, et non sur le nombre total
d’usagers ou le nombre total de pages demandées. Il faut donc
apprécier l’élément de l’« ampleur de l’utilisation » au regard de
chacune des utilisations individuelles plutôt que de l’ensemble
des utilisations.77
[Les italiques sont nôtres.]
La Cour souligne également que cette approche « globale » doit
plutôt être considérée dans l’appréciation du deuxième élément, soit
la nature de l’utilisation. Au surplus, la Cour est d’avis que retenir
une telle approche irait à l’encontre du principe de neutralité technologique, c’est-à-dire l’application uniforme de la Loi peu importe le
support ou le degré d’avancement technologique. En effet, « vu la
facilité avec laquelle une œuvre numérisée peut être diffusée à
grande échelle sur Internet, s’attacher à l’utilisation « globale »
77. Supra, note 60, par. 41.
La « pentalogie »
757
risque de mener à une conclusion d’utilisation inéquitable beaucoup
plus souvent pour les œuvres qui sont numérisées que pour celles qui
ne le sont pas [...] »78.
• Les solutions de rechange
La Cour doit également examiner toute solution de rechange
à l’utilisation de l’œuvre protégée, soit le fait qu’un équivalent non
protégé aurait pu servir ou que l’utilisation de l’œuvre n’était pas
raisonnablement nécessaire eu égard à la fin visée qui pourrait militer contre le caractère équitable de l’utilisation79. Pour sa part, la
SOCAN arguait que les Intimées pourraient avoir recours à d’autres
méthodes que l’écoute préalable, telles que la publicité, les pochettes
d’albums, les critiques, etc. Or, aucune des solutions de rechange proposées par la SOCAN ne permettrait au consommateur d’entendre la
pièce musicale. La Cour fait sienne la conclusion de la Commission à
l’effet que « [l’]écoute préalable d’un extrait est vraisemblablement la
façon la plus pratique, la plus économique et la plus sûre pour les
[utilisateurs] de s’assurer d’obtenir ce qu’ils veulent »80.
• La nature de l’œuvre
La Cour doit déterminer si l’œuvre est de celles qui devraient
être largement diffusées. La SOCAN n’est pas contre le fait qu’une
œuvre soit largement diffusée ; toutefois, elle est d’avis qu’une œuvre
protégée peut être facilement acquise et diffusée sans avoir recours à
l’écoute préalable. À cet effet, la Cour croit plutôt « [qu’]un grand
accès à une œuvre musicale ne coïncide pas nécessairement avec sa
diffusion à grande échelle. Il n’y aura diffusion d’une œuvre que si un
acquéreur éventuel peut la trouver et décide de l’acheter »81.
• L’effet de l’utilisation
La Cour établit un lien entre le cinquième élément et le sixième
élément, notamment quant au risque que l’écoute préalable puisse
nuire ou même concurrencer une pièce musicale. Considérant la
courte durée et la piètre qualité des extraits disponibles pour l’écoute
préalable, la Cour est d’avis qu’il serait difficile d’en arriver à de
telles conclusions. Effectivement, « l’écoute préalable a pour effet
78.
79.
80.
81.
Ibid., par. 43.
Supra, note 4, par.57.
Supra, note 62, par. 114.
Supra, note 60, par. 47.
758
Les Cahiers de propriété intellectuelle
d’augmenter les ventes d’œuvres musicales protégées par le droit
d’auteur – donc leur diffusion –, ce qui entraîne la rémunération de
leurs créateurs, on ne saurait lui attribuer d’incidence négative sur
les œuvres »82. Un tel effet rejoint directement les objectifs de la Loi,
tel qu’énoncé dans les arrêts Théberge et CCH.
3.6 Les conclusions
Suite à son analyse, la Cour confirme la conclusion de la Commission à l’effet que l’écoute préalable peut s’entendre d’utilisation
équitable au sens de l’article 29 de la Loi et que les Intimés ne violent
pas le droit d’auteur :
[...] Pour arriver à cette conclusion, la Commission établit un
juste équilibre entre les objets de la Loi en encourageant la
création et la diffusion des œuvres, d’une part, et en veillant à
la juste rétribution des créateurs, d’autre part. Elle respecte les
paramètres établis par la Cour dans CCH, les principes d’interprétation qui y sont énoncés et le critère qui y est formulé pour
déterminer qu’une utilisation peut être assimilée ou non à
l’utilisation équitable visée à l’art. 29 de la Loi sur le droit
d’auteur. [...]83
3.7 Ce que l’on retient
L’arrêt SOCAN c. Bell offre une bonne rétrospective de l’exception d’utilisation équitable prévue à l’article 29 de la Loi, notamment
concernant l’historique de cette disposition et la reconnaissance
dans l’arrêt CCH d’un véritable droit des utilisateurs.
On retient de cet arrêt un certain élargissement du premier
volet de l’utilisation équitable et de l’expression « à des fins de
recherches ». Concernant le deuxième volet, la Cour amène quelques
précisions sur l’application des critères développés dans l’arrêt CCH.
Fait important à noter, la Cour souligne qu’il y a lieu d’adopter le
point de vue de l’utilisateur et non du fournisseur de services lors de
l’analyse des faits.
La Cour ne peut que reconnaître l’utilité de l’écoute préalable
dans la diffusion et la promotion des œuvres, ce qui a pour effet
82. Ibid., par. 48.
83. Ibid., par. 49.
La « pentalogie »
759
d’augmenter l’accessibilité et, par le fait même, l’opportunité pour
les créateurs d’obtenir plus de redevances.
4. Alberta (Education) c. Canadian Copyright Licensing
Agency (Access Copyright)84 : l’enseignement, une fin
permise ?
4.1 Les faits
La Canadian Copyright Licensing Agency (mieux connue sous
la raison sociale « Access Copyright »), représente des auteurs et des
éditeurs d’œuvres littéraires et artistiques au Canada. Elle négocie
et octroie des licences, globales ou ponctuelles, d’utilisation pour les
œuvres de ses membres contenues dans son catalogue. Elle est également responsable de percevoir les redevances générées par ces
œuvres et de les redistribuer à ses membres. Lorsqu’elle n’est pas en
mesure de conclure une entente d’octroi de licence avec un utilisateur, Access Copyright peut déposer un projet de tarif devant la
Commission afin de fixer les redevances applicables à l’utilisation
d’une œuvre de son catalogue.
Pour la période 1991 à 1997, Access Copyright avait conclu,
avec l’ensemble des provinces canadiennes (les « Appelantes »), à
l’exception du Québec, une entente relativement aux redevances exigibles pour la reproduction d’œuvres incluses à son catalogue en vue
d’une utilisation dans les établissements d’enseignement élémentaire et secondaire des Appelantes. En 1999, les Appelantes ont conclu une entente de cinq ans prévoyant l’augmentation du montant
des redevances, lesquelles étaient dorénavant fixées au prorata
du nombre d’élèves, et non plus en fonction du nombre de pages
reproduites.
Au moment de procéder au renouvellement de cette entente en
2004, Access Copyright a demandé une modification du calcul des
redevances. En effet, plutôt que d’être établi au prorata du nombre
d’élèves, elle désirait que le montant des redevances tienne alors
compte du volume et de la teneur de l’objet reproduit. Puisque les
parties n’étaient pas en mesure de s’entendre, Access Copyright a
déposé un projet de tarif pour la période 2005 à 2009 auprès de la
Commission. Avant que la Commission ne puisse se prononcer sur
le projet de tarif, les parties se sont entendues sur les modalités
84. 2012 CSC 37 (« Alberta c. Access Copyright »).
760
Les Cahiers de propriété intellectuelle
d’« enquête sur le volume », ont procédé à une collecte des données et
ont convenu de l’existence de quatre catégories de copies. Les parties
étaient d’accord que les trois premières catégories de copies, c’est-àdire celles faites par un enseignant pour lui-même ou pour un élève à
sa demande, correspondaient à une utilisation équitable. Toutefois,
les parties ne s’entendaient pas sur le caractère équitable des copies
de la catégorie 485, c’est-à-dire lorsque l’enseignant fait des copies de
son propre chef et demande à ses élèves d’en prendre connaissance.
En effet, Access Copyright est d’avis que les copies relatives à la catégorie 4, représentant environ 16,9 millions de pages, devraient être
assujetties à un tarif différent puisqu’elles ne respectent pas les critères établis dans l’arrêt CCH relativement à l’utilisation équitable.
4.2 L’historique judiciaire
La Commission concluait que les copies de la catégorie 4 étaient
produites selon les fins permises à l’article 29 de la Loi, c’est-à-dire
aux fins d’étude privée ou de recherche. Toutefois, à l’étude du
deuxième volet, la Commission n’a pas été en mesure de conclure au
caractère équitable des copies de la catégorie 4. Elle a également
rejeté les prétentions des Appelantes à l’effet que les copies de la
catégorie 4 pouvaient bénéficier de l’exception spécifique aux établissements d’enseignement prévue à l’article 29.4 de la Loi86.
Les Appelantes en ont alors appelé de la décision de la Commission par voie de contrôle judiciaire. La Cour d’appel fédérale a tout
d’abord renvoyé devant la Commission la question de l’exception spécifique aux établissements d’enseignement, considérant que l’un des
volets du critère n’avait pas été considéré. Elle a toutefois jugé raisonnable la conclusion de la Commission à l’effet que les copies de la
catégorie 4 ne remplissaient pas le deuxième volet de l’exception
d’utilisation équitable87.
4.3 La question en litige
Dans le présent litige, les Appelantes interjettent appel sur le
caractère déraisonnable de la décision de la Commission relativement à l’appréciation du caractère équitable des copies de la caté85. Supra, note 84, par. 7 : « [...] Elles résultent de la reproduction de courts extraits
de manuels et elles sont distribuées aux élèves par l’enseignant en guise de complément au manuel principal utilisé. »
86. 2009 D.C.D.A. no 6 (QL).
87. 2010 CAF 198.
La « pentalogie »
761
gorie 4. La Cour est d’avis que la question à trancher « [...] est celle de
savoir si le fait, pour les enseignants, de faire des photocopies en vue
de les distribuer en classe aux élèves peut constituer une utilisation
équitable pour l’application de la [Loi] »88.
4.4 L’analyse
4.4.1 Court rappel des arrêts SOCAN c. Bell et CCH
D’entrée de jeu, la Cour reprend essentiellement les mêmes
remarques qu’elle avait mentionnées relativement à l’exception
d’utilisation équitable dans le pourvoi connexe SOCAN c. Bell,
notamment à l’effet que l’utilisation équitable s’entend de certaines
activités qui, sans cette exception, pourraient violer le droit d’auteur.
Citant l’arrêt CCH, la Cour rappelle également que la personne
désirant bénéficier de l’exception d’utilisation équitable doit être en
mesure de démontrer que l’utilisation qu’elle fait d’une œuvre protégée i) poursuit l’une ou l’autre des fins permises par la Loi et ii) est
« équitable ». Aux fins du second volet de l’analyse, les éléments
considérés par la Cour sont les suivants : i) le but de l’utilisation,
ii) la nature de l’utilisation, iii) l’ampleur de l’utilisation, iv) l’existence de solutions de rechange à l’utilisation, v) la nature de l’œuvre,
et vi) l’effet de l’utilisation sur l’œuvre. La dissidence précise toutefois que la prise en compte de ces éléments n’est pas une exigence de
la Loi.
4.4.2 Consensus sur le premier volet
Les parties ont convenu que les copies de la catégorie 4 respectent les fins visées à l’article 29 de la Loi, soit la « recherche » ou
« l’étude privée ». Prenant connaissance de ce consensus sur le premier volet, la Cour est d’avis que le litige porte alors essentiellement
sur le deuxième volet, à savoir : « les copies de la catégorie 4 résultent-elles d’une utilisation « équitable » au regard des éléments
énoncés dans CCH ? »89.
88. Supra, note 84, par. 1.
89. Ibid., par. 14.
762
Les Cahiers de propriété intellectuelle
4.4.3 Le caractère « équitable » des copies de la catégorie 4
En effet, la Cour remet en question l’application que la Commission a faite de certains des éléments d’appréciation du caractère
équitable.
• Le but de l’utilisation
Étant d’avis que l’erreur de la Commission est essentiellement
due à une mauvaise conception de l’élément correspondant au but de
l’œuvre ainsi qu’à une mauvaise interprétation de l’arrêt CCH, la
Cour consacre la majeure partie de son analyse à cet élément :
À mon avis, le problème principal réside dans la manière dont
elle conçoit l’élément qui correspond au « but de l’utilisation ».
Parce que les copies de la catégorie 4 ne sont pas faites à la
demande d’un élève, la Commission conclut au second volet que
la reproduction n’a plus pour fin la recherche ou l’étude privée.
Elle invoque à l’appui de sa conclusion le fait que, dans l’affaire CCH, la Grande bibliothèque produisait des copies à la
demande d’avocats. En l’espèce, puisque les copies de la catégorie 4 ne résultent pas d’une telle demande, la Commission
estime que l’utilisation a pour but prédominant la fin poursuivie
par l’enseignant, c’est-à-dire « l’étude non privée » ou « l’enseignement ». Cet élément fait selon elle pencher la balance du côté
de l’utilisation inéquitable. La Cour d’appel fédérale convient
avec la Commission que le but ou le motif réel de la reproduction est l’enseignement, non l’étude privée.90
[Les italiques sont nôtres.]
La Commission et la Cour d’appel fédérale en sont venues à
cette conclusion en suivant les prétentions d’Access Copyright à
l’effet qu’il faut déterminer le but de l’utilisation du point de vue de la
personne qui fait la copie, en l’espèce l’enseignant. Or, suivant les
enseignements de l’arrêt CCH, l’exception d’utilisation équitable est
un « droit des utilisateurs » et en l’espèce, il convient d’adopter le
point de vue de l’élève afin de déterminer s’il y a utilisation à une fin
permise.
Access Copyright se fondait essentiellement sur trois arrêts du
Commonwealth selon lesquels la fin que poursuit la personne qui
90. Ibid., par. 15.
La « pentalogie »
763
reproduit l’œuvre est déterminante. Toutefois, la Cour est d’avis
qu’une telle jurisprudence n’est pas très utile en l’espèce puisque
« les tribunaux du Royaume-Uni conçoivent la « fin » de l’utilisation
plus restrictivement que ne le fait la Cour dans CCH. »91. Retenir
une telle approche ne permettrait pas d’interpréter les fins permises
de manière large de sorte que les droits des utilisateurs pourraient
être indûment restreints. La Cour fait également siens les propos du
juge Linden de la Cour d’appel fédérale92 à l’effet que dans ces arrêts,
les intéressés étaient animés par un motif commercial et tentaient
d’échapper à des allégations de violation du droit d’auteur en s’appuyant sur les fins permises que sont la « recherche » ou l’« étude
privée » :
Donc, dans la mesure où elles sont pertinentes, ces affaires
permettent d’affirmer non pas que la « recherche » et l’« étude
privée » sont incompatibles avec l’enseignement, mais plutôt
que l’auteur des copies ne peut dissimuler la fin distincte qu’il
poursuit en l’amalgamant avec la recherche ou l’étude à laquelle
s’adonne l’utilisateur final.93
[Les italiques sont nôtres.]
Or, la Cour souligne que le but de l’auteur des copies n’est pas
toujours dépourvu de toute pertinence lorsque vient le temps d’apprécier le caractère équitable de l’utilisation. Toutefois, dans la présente affaire, l’enseignant qui photocopie lui-même des extraits d’un
volume et qui demande à ses élèves d’en prendre connaissance n’a
pas de « motif inavoué », mais poursuit plutôt une fin d’enseignement
dans un contexte d’éducation :
[...] On ne saurait non plus soutenir qu’il poursuit une fin
d’« enseignement » totalement distincte, car il est là pour faciliter la recherche et l’étude privée des élèves. Il est à mon avis axiomatique que la plupart des élèves sont incapables de trouver
ou de demander les documents que requièrent leurs propres
recherche et étude privée et qu’ils dépendent à cet égard de
l’enseignant. Ils étudient ce qu’on leur dit d’étudier, et la fin
que poursuit l’enseignant lorsqu’il fait des copies est celle de
procurer à ses élèves le matériel nécessaire à leur apprentissage. L’enseignant/auteur des copies et l’élève/utilisateur qui
91. Supra, note 84, par. 19.
92. Supra, note 4, par. 132.
93. Supra, note 84, par. 21.
764
Les Cahiers de propriété intellectuelle
s’adonne à la recherche ou à l’étude privée poursuivent en symbiose une même fin. Dans le contexte scolaire, enseignement et
recherche ou étude privée sont tautologiques.94
[Les italiques sont nôtres.]
La Commission continue son interprétation erronée de l’arrêt
CCH en concluant qu’il faut faire une distinction entre les copies produites par un enseignant à la demande d’un élève (catégories 1 à 3)
et les copies produites par un enseignant en l’absence d’une telle
demande (catégorie 4). Toutefois, « [d]ans CCH, la Cour ne laisse
aucunement entendre que les photocopies d’ouvrages juridiques doivent avoir été « demandées » à la Grande bibliothèque pour que l’on
puisse considérer qu’elles ont été faites aux fins « de recherche ». Au
contraire, elle conclut que les copies d’ouvrages juridiques « sont
nécessaires au processus de recherche et en font donc partie » »95.
Considérant que la distribution de copies représentant des courts
extraits de manuels scolaires est un élément essentiel de la recherche et de l’étude privée, la Cour est d’avis que les copies remises aux
élèves, qu’elles le soient à leur demande ou non, ne changera en rien
leur importance puisqu’ils s’adonnent à l’une ou l’autre des fins
permises par la Loi.
La Commission concluait également que les copies de la catégorie 4 ne pouvaient se qualifier d’équitables puisqu’elles ne poursuivaient pas une fin d’étude « privée », étant utilisées collectivement
par les élèves en classe plutôt qu’isolément par chacun des étudiants.
Or, la Cour est d’avis « [qu’e]n s’attachant au lieu physique de
l’enseignement dispensé en classe plutôt qu’à la notion d’étude, la
Commission dissocie encore de manière artificielle l’enseignement
dispensé par l’enseignant et l’étude à laquelle se livre l’élève »96.
• L’ampleur de l’utilisation
Aux fins de l’appréciation de cet élément, la Commission devait
se demander si la proportion entre chacun des courts extraits et
l’œuvre complète est équitable. En adoptant le point de vue de
l’enseignant, la Cour est d’avis que la Commission fausse son analyse de l’ampleur de l’utilisation. En effet, il ne faut pas perdre de vue
que malgré que les copies de la catégorie 4 soient faites par l’enseignant, ce sont les élèves qui les utiliseront au final.
94. Ibid., par. 23.
95. Ibid., par. 24.
96. Ibid., par. 27.
La « pentalogie »
765
De plus, tel qu’elle l’avait souligné dans l’arrêt SOCAN c. Bell,
« l’élément de l’« ampleur » ne commande pas une appréciation quantitative en fonction de l’utilisation globale ; il appelle un examen du
rapport entre l’extrait, et non pas la quantité totale de ce qui est
diffusé, mais bien l’œuvre complète »97. Or, l’aspect quantitatif, soit
la distribution de multiples copies à des classes entières, doit plutôt
être considéré lors de l’analyse de l’élément de la nature de l’utilisation. En considérant le nombre total de copies de la catégorie 4, la
Commission évince la proportionnalité de l’analyse du caractère
équitable.
• L’existence de solutions de rechange
Tel qu’établi dans l’arrêt CCH, « [l]a balance risque de pencher
en faveur d’une utilisation inéquitable lorsqu’un équivalent non protégé peut remplacer l’œuvre ou que l’utilisation de cette dernière
n’est pas raisonnablement nécessaire eu égard à la fin visée »98.
Suite à son analyse, la Commission était d’avis que les Appelantes
disposaient d’une solution de rechange aux copies de la catégorie 4,
en considérant qu’ils pouvaient simplement acquérir des exemplaires pour tous les élèves ou les mettre à leur disposition à la bibliothèque.
Or, la Cour est d’avis qu’adopter une telle solution n’est pas réaliste, voire impraticable. En effet, les copies de courts extraits sont
faites justement afin de faciliter un accès, plutôt limité, aux exemplaires que les Appelantes ont déjà acquis et qu’elles conservent
dans les salles de classe ou à la bibliothèque. Retenir la solution de la
Commission obligerait les Appelantes à acheter, pour chacun des
élèves, un exemplaire complet de toutes les œuvres visées par le
catalogue d’Access Copyright et utilisées par les enseignants. Elle
conclut : « La reproduction de courts extraits est donc raisonnablement nécessaire eu égard aux fins visées que sont la recherche et
l’étude privée des élèves »99.
• L’effet de l’utilisation sur l’œuvre
La Cour se penche en dernier lieu sur les prétentions d’Access
Copyright concernant l’effet des copies de la catégorie 4 sur les
œuvres visées par son catalogue et les conclusions de la Commission.
On se rappellera tout d’abord que l’appréciation de cet élément per97. Ibid., par. 29.
98. Supra, note 4, par. 57.
99. Supra, note 84, par. 32.
766
Les Cahiers de propriété intellectuelle
met de déterminer si l’utilisation faite d’une œuvre a un effet nuisible sur celle-ci ou la concurrence.
Considérant que les établissements scolaires copient plus d’un
quart de milliard de pages de manuels scolaires chaque année, la
Commission était d’avis que l’effet de ces photocopies est suffisamment important pour conclure à son caractère inéquitable.
Or, il appert que les copies de la catégorie 4 représentent moins
de 7 % de ces pages. De plus, rien n’a été mis en preuve afin de
démontrer l’existence d’un quelconque lien entre les copies de la
catégorie 4 et la diminution des ventes de manuels scolaires, tel
que le prétendait Access Copyright. Finalement, la Cour n’est pas en
mesure de conclure que les photocopies de courts extraits, à titre
complémentaire, peuvent concurrencer les manuels scolaires disponibles sur le marché. En effet, sans ces photocopies, l’accès à un complément d’information serait tout simplement moins évident pour
les élèves.
4.5 Les conclusions
L’appréciation du caractère équitable d’une utilisation est
essentiellement une question de fait. En appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable, la Cour est d’avis que la décision de
la Commission est déraisonnable puisque sa conclusion, à l’effet que
les copies de la catégorie 4 sont « inéquitables », est issue d’une mauvaise application des éléments énoncés dans l’arrêt CCH. La Cour
accueille donc le pourvoi et renvoie l’affaire à la Commission pour
qu’elle l’examine à nouveau.
4.6 Ce que l’on retient
À l’instar du pourvoi connexe SOCAN c. Bell, l’arrêt Alberta c.
Access Copyright reprend et applique les principes énoncés dans
l’arrêt CCH relativement à l’exception d’utilisation équitable. Tout
en considérant l’intention de l’enseignant, on retient que c’est du
point de vue du véritable utilisateur des copies, l’élève, que la Cour
doit procéder à son analyse. On note également la distinction relativement aux critères de l’ampleur et de la nature de l’utilisation
Les conclusions de l’arrêt Alberta c. Access Copyright, juxtaposées à l’ajout de l’« éducation » à titre de fin permise à l’article 29 de la
Loi, auront un impact bien réel pour les sociétés de gestion collective
La « pentalogie »
767
et les titulaires de droits d’auteur. À titre d’exemple, le 18 janvier
2013, la Commission rendait sa décision suite au réexamen des
copies de la catégorie 4 exigé par la Cour. Elle concluait ainsi :
La décision de la Cour suprême est claire et ne laisse place à
aucune interprétation : compte tenu du dossier soumis à la
Commission et des conclusions de fait de la Cour suprême, les
copies de la catégorie 4 constituent une utilisation équitable
à une fin permise et, à ce titre, ne donnent pas droit à une
redevance. Le taux par élève ETP doit être réduit en conséquence.100
Les redevances qui avaient été fixées à 5,16 $ par élève équivalent temps plein (« ETP »)101 ont donc été réduites à 4,81 $ par élève
ETP. Des conséquences similaires sont également possibles au Québec, notamment sur les conventions à intervenir entre la Conférence
des recteurs et des principaux des universités du Québec (CRÉPUQ)
et la Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (COPIBEC).
5. Ré:Sonne c. Fédération des associations de propriétaires
de cinémas du Canada102 : La limite des droits voisins
5.1 Les faits
Ré:Sonne (« l’Appelante ») est une société de gestion autorisée à
percevoir une rémunération équitable en vertu du paragraphe 19(1)
de la Loi pour l’exécution en public ou la communication au public
par télécommunication de l’enregistrement sonore publié d’œuvres
musicales. Le 28 mars 2008, Ré:Sonne a déposé devant la Commission deux projets de tarifs concernant i) l’établissement d’une redevance pour l’utilisation d’enregistrements sonores intégrés dans un
film par un cinéma ou par un autre établissement projetant des films
(le « Tarif 7 ») et ii) l’utilisation d’enregistrements sonores lors d’une
télédiffusion commerciale en direct, ou par une télévision spécialisée, payante ou autre (le « Tarif 9 »).
100.
101.
102.
Tarif des redevances à percevoir par Access Copyright pour la reproduction par
reprographie, au Canada, d’œuvre de son répertoire (Établissements d’enseignement – 2005-2009), Commission du droit d’auteur, le 18 janvier 2013, par. 5.
Tarif des redevances à percevoir par Access Copyright pour la reproduction par
reprographie, au Canada, d’œuvre de son répertoire (Établissements d’enseignement – 2005-2009), Commission du droit d’auteur, le 17 juillet 2009.
2012 CSC 38.
768
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La Fédération des associations de propriétaires de cinémas du
Canada, Rogers Communications Inc., Shaw Communications Inc.,
Bell ExpressVu LLP, Cogeco Câble inc., Eastlink, Quebecor Media,
Société TELUS Communications, Association canadienne des radiodiffuseurs et Société Radio-Canada (collectivement, les « Intimées »)
ont contesté ces deux projets de tarifs arguant que la définition
d’« enregistrement sonore » énoncée à l’article 2 de la Loi excluait la
bande sonore d’une œuvre cinématographique.
Au soutien de sa thèse, l’Appelante prétend que le terme « bande
sonore » utilisé à l’article 2 de la Loi renvoie uniquement à l’ensemble
des sons qui accompagnent une œuvre cinématographique et non à
ses éléments constitutifs. En effet, par opposition à l’ensemble des
sons qui accompagnent une œuvre cinématographique, Ré:Sonne est
d’avis que les enregistrements sonores préexistants incorporés à une
bande sonore en forment des éléments constitutifs et ne sont pas
visés par la portée du terme « bande sonore », tel qu’utilisé à l’article 2 de la Loi.
5.2 L’historique judiciaire
Se ralliant à l’interprétation préconisée par les Intimées, la
Commission avait conclu que les projets de Tarif 7 et de Tarif 9
n’étaient pas fondés en droit et ne pouvaient donc pas être homologués103.
Saisie d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour d’appel
fédérale estime que la Commission a correctement statué et souscrit
à la décision104.
5.3 La question en litige
Ré:Sonne interjette appel devant la Cour suprême du Canada
afin qu’elle détermine si les enregistrements sonores préexistants
incorporés à une bande sonore sont visés par le terme « bande
sonore » utilisé dans la définition que fournit l’article 2 de la Loi au
terme « enregistrement sonore ». Plus concrètement :
[...] puisque seul un « enregistrement sonore » peut donner droit
à l’application d’un tarif en vertu de l’art. 19, la reproduction
d’un enregistrement sonore préexistant qui fait partie inté103.
104.
(2009), 78 C.P.R. (4th) 64.
2011 CAF 70.
La « pentalogie »
769
grante de la bande sonore d’une œuvre cinématographique
peut-elle donner droit à l’application d’un tarif quand la bande
sonore en question accompagne une œuvre cinématographique ?105
5.4 Les droits voisins
Afin de trancher la question en litige, la Cour rappelle brièvement le contexte législatif entourant les « droits voisins » et plus
précisément l’objectif visé par l’adoption de l’article 19 de la Loi.
Similaires aux droits d’auteur traditionnels prévus au paragraphe
3(1) de la Loi, l’implantation de droits voisins en 1997 avait notamment pour objectif de conférer aux artistes-interprètes et aux producteurs le droit à une rémunération équitable à l’égard de leurs
enregistrements sonores :
19. (1) Sous réserve du para. 20(1), l’artiste-interprète et le producteur ont chacun droit à une rémunération équitable pour
l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication – à l’exclusion de la communication visée aux
alinéas 15(1.1)d) ou 18(1.1)a) et de toute retransmission – de
l’enregistrement sonore publié.
[...]
(2) En vue de cette rémunération, quiconque exécute en public
ou communique au public par télécommunication l’enregistrement sonore publié doit verser des redevances :
a) dans le cas de l’enregistrement sonore d’une œuvre musicale, à la société de gestion chargée, en vertu de la partie
VII, de les percevoir ; [...]
En l’espèce, Ré:Sonne est la société de gestion autorisée à percevoir les redevances des artistes-interprètes et des producteurs
fixées en fonction des tarifs établis par la Commission lorsqu’un
enregistrement sonore est exécuté en public ou communiqué au
public par télécommunication.
5.5 L’analyse
Le droit à une rémunération équitable suivant les projets de
Tarif 7 et de Tarif 9 est sujet à l’interprétation d’« enregistrement
105.
Supra, note 102, par. 25.
770
Les Cahiers de propriété intellectuelle
sonore », tel que défini à l’article 2 de la Loi. Ainsi, la Cour devait
déterminer si le terme « bande sonore », non défini dans la Loi, est un
« enregistrement sonore » permettant à l’Appelante de percevoir des
redevances pour son exécution en public ou sa communication au
public par télécommunication, tel que prévu à l’article 19 de la Loi.
La définition « d’enregistrement sonore » est la suivante :
2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
[...]
« enregistrement sonore » Enregistrement constitué de sons
provenant ou non de l’exécution d’une œuvre et fixés sur un
support matériel quelconque ; est exclue de la présente définition la bande sonore d’une œuvre cinématographique lorsqu’elle
accompagne celle-ci.
[Les italiques sont nôtres.]
Suivant les principes clairement établis et reconnus en matière
d’interprétation législative106, la Cour est d’avis qu’une « bande
sonore » doit être considérée comme un « enregistrement sonore » au
sens de l’article 2 de la Loi, donnant ainsi droit à une rémunération
équitable en vertu de l’article 19 de la Loi, seulement dans la mesure
où une telle bande sonore n’accompagne pas une œuvre cinématographique. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Lebel écrit :
Lorsqu’il accompagne un film, l’enregistrement de sons qui
constituent une bande sonore n’est pas visé par la définition
« d’enregistrement sonore » et ne déclenche pas l’application de
l’art. 19. Un enregistrement sonore préexistant est constitué de
sons enregistrés. Or, la Loi ne précise pas que l’enregistrement
préexistant d’un « son » qui accompagne un film ne peut pas
constituer une « bande sonore » au sens où il faut l’entendre
pour l’application de l’art. 2. À mon avis, un enregistrement
sonore préexistant ne peut pas être exclu du sens de « bande
sonore », à moins que le législateur exprime explicitement une
telle intention dans la Loi. Il aurait pu le faire, par exemple, en
106.
Ibid., par. 32 : « [...] l’interprétation législative vise à discerner l’intention du
législateur à partir des termes employés, compte tenu du contexte global et du
sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi, son objet et
l’intention du législateur. »
La « pentalogie »
771
excluant uniquement « l’ensemble des sons qui constitue une
bande sonore ».107
[Les italiques sont nôtres.]
La Cour mentionne également que l’historique législatif peut
aider à discerner quelle était l’intention du législateur lorsqu’il a
choisi le libellé particulier d’une disposition. À cet égard, la Cour est
confortée dans son interprétation par les commentaires formulés
lors des séances du Comité permanent du patrimoine canadien (le
« Comité ») portant sur l’adoption de l’article 19 de la Loi. De tels propos avaient également été cités par la Commission pour appuyer sa
décision. En effet, le Comité avait clairement indiqué qu’il n’y avait
aucune intention, à l’article 19 de la Loi, d’inclure une rémunération
équitable pour un enregistrement sonore qui accompagne un film ou
une émission télévisée. La bande sonore allait être un enregistrement sonore qui donnerait droit à une rémunération équitable lorsqu’elle serait diffusée séparément du film ou de l’émission télévisée.
L’Appelante invoquait notamment certaines décisions étrangères à l’appui de ses prétentions. À l’instar de la Commission et de la
Cour d’appel fédérale, la Cour considère qu’elle ne peut être liée par
de telles décisions compte tenu des différences manifestes entre la loi
canadienne et les lois étrangères en matière de droit d’auteur.
Ré:Sonne prétendait également qu’une telle interprétation de
la Loi serait incompatible avec la Convention de Rome108. Toutefois,
la Commission avait jugé que l’article 19 de la Loi avait justement
été adopté afin que le Canada se conforme à la Convention de
Rome. À cet effet, la Commission mentionnait que « la Convention
[de Rome] prévoit expressément qu’aucune protection n’est exigée
dans le cas de l’utilisation indirecte d’un enregistrement sonore, par
exemple lorsqu’il est incorporé dans une bande sonore [...] »109.
5.6 Les conclusions
Suite à son analyse, la Cour rejette le pourvoi de Ré :Sonne
puisqu’elle est d’avis que « [l]a Commission n’a pas commis d’erreur
en concluant que le terme « bande sonore » comprend les enregis107.
108.
109.
Supra, note 102, par. 36.
Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion,
496 R.T.N.U. 43.
Supra, note 103, par. 38.
772
Les Cahiers de propriété intellectuelle
trements sonores préexistants et que ces enregistrements sont donc
exclus de la définition d’« enregistrement sonore » lorsqu’ils accompagnent une œuvre cinématographique »110. En effet, une telle interprétation est compatible avec l’esprit de la Loi, l’intention du législateur ainsi que les obligations internationales du Canada en matière
de droit d’auteur.
5.7 Ce que l’on retient
Cet arrêt offre un bref rappel intéressant du régime des droits
voisins, mais c’est toutefois l’application des principes d’interprétation législative qui retient l’attention. Bien que les artistes-interprètes prétendent être traités différemment des auteurs et compositeurs111, la Cour était appelée à discerner l’intention du législateur
et non à réformer le régime des droits voisins afin de le rendre plus
équitable aux droits d’auteur traditionnels. En effet, il appartient au
législateur d’adopter les dispositions législatives, tel qu’il l’a fait en
reconnaissant les droits moraux des artistes-interprètes sur leurs
prestations dans le Projet de Loi C-11.
CONCLUSION
Passant par les arrêts Bishop, Robertson, Théberge et CCH, la
pentalogie permet de réviser des concepts clés en matière de droit
d’auteur canadien, mais surtout aussi de prendre acte de l’adaptation du régime législatif canadien, principalement sur les questions
de l’exception d’utilisation équitable et le principe de la neutralité
technologique.
On retient notamment la concrétisation du principe de la neutralité technologique alors que la Cour a été claire dans l’arrêt ESA c.
SOCAN en affirmant que la Loi s’applique uniformément aux supports traditionnels et aux supports plus avancés sur le plan technologique. Quant à l’exception d’utilisation équitable, la Cour a eu
l’occasion de réaffirmer qu’il s’agit avant tout du droit des utilisateurs. On retient notamment qu’il convient d’adopter le point de vue
de l’utilisateur lorsque l’on procède à l’analyse du caractère équitable et non celui du fournisseur de services ou de l’auteur des copies.
110.
111.
Supra, note 102, par. 52.
En ligne : <https://artisti.ca/Message-de-la-presidence-Artisti>, consulté le
5 mars 2013.
La « pentalogie »
773
Bien que les décisions de la Cour puissent sembler un coup dur
pour les créateurs et les sociétés de gestion collective, force est de
constater que l’adoption du Projet de Loi C-11 et les décisions de la
Cour ne sont que la reconnaissance du rôle que jouent les nouvelles
technologies dans la diffusion et la promotion des œuvres des créateurs canadiens. Pour preuve, une récente étude112 du groupe de
recherche NPD Group concluait que le téléchargement illégal de
musique via des sites « peer-to-peer » était en baisse, et ce, au profit
des sites de musique offrant la transmission en continu. C’est une
bonne nouvelle lorsque l’on considère que, dans l’arrêt Rogers c.
SOCAN, la Cour a confirmé que l’écoute de musique en ligne sans
téléchargement emporte le versement de redevances. Ainsi, il n’est
pas impossible de croire que l’avenir s’annonce peut-être moins
sombre que les créateurs et les sociétés de gestion collective le
prétendent !
112.
En ligne : <http://techno.lapresse.ca/nouvelles/internet/201302/27/01-4626040le-telechargement-illegal-de-musique-diminue.php>, consulté le 4 mars 2013.
Vol. 25, no 2
2012 en revue : les décisions
du registraire des marques
de commerce
Giovanna Spataro et Monique M. Couture*
1. DÉCISIONS EN MATIÈRE D’OPPOSITION . . . . . . . . 777
1.1 Les dossiers Robert Marcon. . . . . . . . . . . . . . . 777
1.1.1 Heineken Brouwerijen BV c. Marcon . . . . . . 778
1.1.2 MHCS c. Marcon . . . . . . . . . . . . . . . . . 780
1.2 Vincor International Inc. c. Proximo Spirits, Inc. . . . 782
1.3 CoreLogic, Inc. c. MLXjet Media . . . . . . . . . . . . 783
2. DÉCISIONS EN MATIÈRE D’APPLICATION
DE L’ARTICLE 45 DE LA LOI . . . . . . . . . . . . . . . . 786
2.1 Lapointe Rosenstein LLP c. The West Seal, Inc. . . . . 786
2.2 Bellagio Limousines c. Mirage Resorts,
Incorporated . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 789
© Giovanna Spataro et Monique M. Couture, 2013.
* Avocates et agentes de marques de commerce chez Gowling Lafleur Henderson.
775
Le registraire des marques de commerce au Canada a été fort
occupé en 2012. Parmi les quelque 250 décisions qui ont été rendues,
certaines d’entre elles se démarquent par des faits particuliers ou
parce qu’elles clarifient certains principes de base relativement à
l’usage d’une marque de commerce. Nous avons retenu les cinq décisions suivantes, trois décisions en matière d’opposition et deux en
matière d’application de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce1 (la « Loi »).
1. DÉCISIONS EN MATIÈRE D’OPPOSITION
1.1 Les dossiers Robert Marcon
Impossible de ne pas traiter des décisions du registraire dans
les célèbres dossiers de Robert Marcon. Bien que deux décisions
aient été rendues, nous les traitons pour les fins de cet article comme
une seule réflexion. Les détenteurs de marques ont poussé un soupir
de soulagement en voyant les demandes d’enregistrement pour les
marques HEINEKEN et DOM PERIGNON refusées dans les décisions Heineken Brouwerijen BV c. Marcon2 et MHCS c. Marcon3
respectivement. Reste à comprendre comment ces demandes ont pu
être approuvées pour publication.
Le registraire a choisi de trancher les deux dossiers en traitant
simplement de la confusion entre les marques. Le registraire aurait
eu avantage à approfondir le droit sur les questions de mauvaise foi
et de l’article 30 de la Loi. Il aurait été idéal en outre que le registraire commente sur la situation d’un requérant qui cherche sans
pudeur à bénéficier de marques connues.
1. L.R.C. (1985), ch. T-13.
2. 2012 COMC 164.
3. 2012 COMC 195.
777
778
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.1.1 Heineken Brouwerijen BV c. Marcon
Le 18 février 2003, Marcon (le « requérant ») a produit une
demande d’enregistrement pour la marque de commerce HEINEKEN (la « marque ») dans l’intention de l’employer au Canada pour
les marchandises suivantes : « boissons non alcoolisées à base de
café ; boissons non alcoolisées à base de thé ; produits laitiers, nommément lait et crème ».
Après publication dans le Journal des marques de commerce,
Heineken Brouwerijen B.V. (l’« opposante ») a produit une déclaration d’opposition le 21 avril 2009. Les motifs invoqués par l’opposante dans la déclaration d’opposition sont fondés sur la confusion en
vertu de l’alinéa 12 (1)d) de la Loi et le droit du requérant à l’enregistrement de la marque à la lumière des droits de l’opposante sur la
marque HEINEKEN, en vertu de l’alinéa 16(3)a) de la Loi. L’opposante alléguait de plus que la demande ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 30 de la Loi puisque le requérant n’avait pas
l’intention d’employer la marque au Canada. À ce titre, l’opposante
alléguait que le requérant n’avait pas d’entreprise légitime. L’opposante prétendait également que le requérant était conscient de la
réputation de la marque et que ce dernier cherchait à bénéficier de la
reconnaissance de la marque partout au Canada. L’opposante alléguait que le requérant agissait de mauvaise foi. L’opposante alléguait enfin que la marque n’était pas distinctive en vertu de l’article
2 de la Loi.
La Commission des oppositions des marques de commerce (la
« Commission ») examine les marques de commerce enregistrées par
l’opposante et constate que la marque HEINEKEN de l’opposante
est toujours utilisée en liaison avec une étoile. Cependant, la Commission établit que le mot « Heineken » est un élément dominant de
la marque.
Le registraire a accueilli l’opposition au motif que la marque du
requérant prêtait à confusion avec la marque HEINEKEN de l’opposante en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi.
Le registraire constate que le mot « Heineken » a un caractère
distinctif inhérent en raison du fait qu’il n’y a aucune connotation
directe associée avec les marchandises des parties. De plus, l’opposante a démontré l’utilisation de la marque au Canada depuis 1953.
Environ 28 900 magasins au Canada vendent les bières HEINEKEN
de l’opposante. De plus, un témoin de l’opposante, Timoney, constate
2012 en revue
779
que la bière HEINEKEN est l’une des bières européennes les plus
importées au Canada. De plus, Timoney affirme que la bière HEINEKEN est grandement promue au Canada dans les bars, les restaurants, les événements sportifs, les annonces publicitaires et à la
radio.
Bien que la marque du requérant vise des boissons non alcoolisées, le registraire est d’avis qu’il y a un chevauchement entre les
marchandises des parties, en raison du fait que les deux marques
sont associées à des boissons. Le registraire s’appuie sur l’extrait suivant de la décision Société Anonyme des Eaux Minérales d’Evian,
S.A. c. Marcon, (2010) CarswellNat 2538 impliquant le même requérant :
La bière lager de la requérante et les boissons non alcoolisées,
non gazéifiées et aromatisées aux fruits de l’opposante appartiennent à la même catégorie générale de marchandises, soit
les boissons. La requérante soutient que les marchandises
des parties devraient être considérées comme appartenant à
des catégories générales différentes, nommément les boissons
alcoolisées et les boissons non alcoolisées. Quoi qu’il en soit, il
convient de se rappeler que le paragraphe 6(2) de la Loi prévoit : « L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion
avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux
marques de commerce dans la même région serait susceptible
de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de
commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées,
ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés,
par la même personne, que ces marchandises ou ces services
soient ou non de la même catégorie générale.4 [Les italiques sont
nôtres.]
Le registraire affirme qu’il y aurait ainsi une possibilité que la
brasserie Heineken produise des boissons non alcoolisées. Conséquemment, il y a une grande similarité entre le genre de marchandises des deux parties.
Après avoir énuméré et analysé les éléments au paragraphe
6(5) de la Loi, le registraire, s’appuyant sur l’arrêt de la Cour
suprême dans l’affaire Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc.
(2011), 92 C.P.R. (4th) 361 (S.C.C.), note l’importance du facteur prédominant, soit le degré de ressemblance entre les marques de commerce.
4. Heineken Brouwerijen BV c. Marcon, 2012 CMOC 164, au par. 29.
780
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Marcon a tenté d’établir l’existence de plusieurs marques de
commerce identiques qui existent conjointement au Canada. Le
registraire affirme que la preuve du requérant n’a aucune pertinence, étant d’avis que la preuve démontrant la coexistence de certaines marques de commerce au Canada n’illustre pas une norme.
En effet, il est possible que des arrangements entre les parties
aient été conclus pour permettre l’utilisation conjointe des marques.
Le registraire conclut qu’il n’était pas en mesure de décider sur cette
question en raison d’un manque de preuve pertinente.
De plus, le registraire a analysé s’il y avait une absence de
caractère distinctif en vertu de l’article 2 de la Loi. Pour ce faire,
l’opposante doit démontrer, à la date de l’opposition, si la marque de
commerce était suffisamment reconnue pour réduire le caractère
distinctif de cette marque. Le registraire était d’avis que la marque
HEINEKEN était suffisamment connue au Canada en relation avec
la bière. Il est possible de déduire que cette marque de commerce est
liée aux boissons alcoolisées. Cela étant dit, l’argument d’opposition
basé sur l’absence de caractère distinctif doit prévaloir. Le registraire n’a pas analysé les autres arguments d’opposition parce que
l’opposante a réussi son argumentation basée sur la confusion et
l’absence d’un caractère distinctif.
1.1.2 MHCS c. Marcon
Dans cette deuxième affaire impliquant Robert Marcon, le
requérant a produit une demande d’enregistrement pour la marque
de commerce DOM PERIGNON dans l’intention de l’employer au
Canada pour les marchandises suivantes : « boissons nutritives pour
utilisation comme substituts de repas ; café et boissons non alcoolisées à base de café ; thé et boissons non alcoolisées à base de thé ;
limonade non alcoolisée ».
Après publication dans le Journal des marques de commerce,
l’opposante Champagne Moët & Chandon a produit une déclaration
d’opposition le 15 septembre 2009. Le 7 mai 2012, un amendement à
la déclaration d’opposition a été accepté pour le changement de
l’opposante à MHCS.
Les motifs d’opposition invoqués par l’opposante sont, à toutes
fins utiles, identiques aux motifs d’opposition soulevés par Heineken
Brouwerijen dans la décision portant sur la marque HEINEKEN,
soit la confusion en vertu de l’alinéa 12 (1)d) de la Loi et l’absence de
droit du requérant à l’enregistrement de la marque à la lumière des
2012 en revue
781
droits de l’opposante sur la marque DOM PERIGNON en vertu
de l’alinéa 16(3)a) de la Loi. L’opposante alléguait de plus que la
demande ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 30 de la Loi
puisque le requérant n’avait pas l’intention d’employer la marque au
Canada. L’opposante prétendait également que le requérant était
conscient de la réputation de la marque et que ce dernier cherchait à
bénéficier de la reconnaissance de la marque partout au Canada.
L’opposante alléguait enfin que la marque n’était pas distinctive en
vertu de l’article 2 de la Loi.
Le motif d’opposition basé sur la confusion est le point déterminant de la décision. L’opposante allègue que la marque crée de la
confusion en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, compte tenu du fait
que la marque est identique à celle enregistrée par l’opposante en
liaison avec les marchandises de type vins de champagne et autres
vins mousseux et non mousseux.
L’opposante soumet de la preuve qui démontre l’historique de
la marque. En revanche, le requérant a produit de la preuve qui
démontre que la marque est un nom de famille au Canada et donc ne
possède aucun caractère distinctif. Le registraire est d’avis que la
marque de l’opposante a acquis une grande popularité au Canada et
un caractère distinctif. Un témoin pour l’opposante, Steip, constate
que le champagne DOM PERIGNON jouit d’une grande réputation
partout dans le monde et au Canada. De plus, ce dernier a démontré
l’enregistrement de la marque dans plusieurs pays dans le monde.
La marque DOM PERIGNON est utilisée au Canada depuis 1840.
La preuve démontre que la vente de ce champagne a débuté dans
les années 1950.
Comme dans la décision HEINEKEN, le registraire est d’avis
que la marque DOM PERIGNON possède un fort caractère distinctif
en raison de son usage et de sa renommée au Canada. Le registraire
est d’avis qu’il y a un chevauchement entre les marchandises des
deux parties, en raison du fait que les deux marques sont liées aux
boissons. Le registraire accueille donc l’opposition pour les motifs
fondés sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi.
Il est intéressant de noter les commentaires du registraire dans
son analyse quant au caractère distinctif de la marque du requérant.
En l’espèce, le registraire constate que la marque de commerce DOM
PERIGNON est très reconnue au Canada en relation avec le champagne. Cela étant dit, il existe une possibilité que la renommée de la
marque de commerce aura comme effet de lier cette marque à un
782
Les Cahiers de propriété intellectuelle
marché de boissons alcoolisées ou, à tout le moins, aux boissons en
général.
1.2 Vincor International Inc. c. Proximo Spirits, Inc.5
C’est l’impact continu de la décision de la Cour suprême du
Canada dans Masterpiece6 qui est mis en évidence dans la décision
Vincor International Inc. c. Proximo Spirits, Inc.7. Le registraire a
voulu souligner l’importance de considérer l’aspect unique d’une
marque en faisant l’analyse de confusion.
Dans cette affaire, la requérante Proximo Spirits, Inc. a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce
THREE OLIVES NAKED dans l’intention de s’en servir au Canada
en liaison avec des boissons alcoolisées, soit de la vodka et des mélanges à cocktails alcoolisés.
Après publication dans le Journal des marques de commerce,
Vincor International Inc. (l’« opposante ») a produit une déclaration
d’opposition le 27 novembre 2009. L’opposition de Vincor International Inc. est fondée sur le non-respect des exigences des alinéas 30e)
et i), ainsi que sur le risque de confusion entre la marque et les marques déposées NAKED GRAPE de l’opposante.
L’analyse du registraire quant au risque de confusion mérite
que l’on s’y attarde. Selon le registraire, les deux marques ont un
caractère distinctif inhérent. Cependant, le registraire est d’avis que
la marque possède un degré de distinction légèrement plus élevé, car
il s’agit d’une construction linguistique unique. Le registraire considère que les trois mots « three olives naked » ne suggèrent aucune
relation avec la vodka ou des boissons alcoolisées. Toutefois, le mot
« grape », compris dans les marques de l’opposante, suggère une association avec le vin. Cela étant dit, le registraire est d’avis que le
terme « naked » est l’élément le plus frappant dans les deux marques.
La preuve de l’opposante démontre que sa marque est utilisée
au Canada depuis très longtemps. Quant à la nature des marchandises des parties, le registraire est d’avis que la description des marchandises diffère, mais qu’il y a un lien entre les deux marques avec
l’industrie de boissons alcoolisées.
5. 2012 COMC 44.
6. Masterpiece Inc. v. Alavida Lifestylesl Inc., [2011] 2 R.C.S. 387.
7. Supra, note 5.
2012 en revue
783
Le registraire constate que l’élément le plus important est le
degré de ressemblance entre les marques de commerce, citant Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc.8. Le registraire conclut que la
demande d’enregistrement doit être rejetée parce que la requérante
a incorporé l’élément le plus distinctif de l’opposante ; soit le mot
« naked ». Le registraire ajoute que la réputation et la renommée de
la marque de l’opposante et le fait que les marques des parties sont
liées à l’industrie des boissons alcoolisées ajoutent au risque de
confusion. De plus, le registraire indique que l’absence de preuve
démontrant qu’il y a d’autres marques de commerce incluant le mot
« naked » fait en sorte que l’on ne peut conclure que le consommateur
moyen serait en mesure de distinguer les marques des parties.
1.3 CoreLogic, Inc c. MLXjet Media Corp.9
Cette décision est intéressante car le registraire a clarifié des
principes de base quant à l’usage des marques en liaison avec des
marchandises et des services. Le registraire confirme que l’usage est
défini de façon restreinte en ce qui a trait aux marchandises, mais
qu’une interprétation plus large est possible en ce qui a trait à
l’usage pour des services. Au Canada, les services ne doivent pas être
vendus pour que l’utilisation de la marque existe. Or, les marchandises ne peuvent pas être que « promotionnelles », mais doivent bien
signaler leur origine.
Dans cette affaire, la requérante MLXjet Media Corp. a produit, le 15 mars 2007, une demande d’enregistrement pour la marque de commerce MLXJET dans l’intention de s’en servir au Canada
en liaison avec des uniformes pour les employés ainsi que des stylos.
De plus, la requérante déclare que la marque est employée depuis le
1er janvier 2007 en liaison avec des services de conseil et séminaires
en lien avec le droit immobilier ; services de courriels en ligne,
notamment fournir accès aux sites web, suivre, éditer et organiser
les courriels ; service d’inscription en ligne, notamment fournir accès
aux sites web, suivre, éditer et organiser les annonces immobilières.
Après publication dans le Journal des marques de commerce,
l’opposante The First American Corporation produit une déclaration
d’opposition le 29 septembre 2008. Les motifs d’opposition invoqués
par l’opposante sont fondés sur les articles 2, 16 et 30 de la Loi. Plus
précisément, l’opposante allègue que la demande ne satisfait pas aux
8. (2011), 92 C.P.R. (4th) 361 (C.S.C.).
9. 2012 COMC 67.
784
Les Cahiers de propriété intellectuelle
exigences de l’article 30 en ce que la requérante n’avait pas l’intention d’utiliser la marque au Canada. L’opposante prétend que la
requérante n’a pas utilisé la marque de commerce en relation avec
les services identifiés. L’opposante soutient que la marque est le nom
de l’entreprise et que MLXjet Pro est la marque de commerce pour
les produits vedettes de la société. De plus, l’opposante allègue que
les services de conseil et séminaires en relation avec le droit immobilier ne sont pas accessibles aux tierces parties, mais sont simplement
relatifs à l’usage interne.
L’opposante prétend également que la demande d’enregistrement n’est pas conforme aux exigences de l’alinéa 30i) de la Loi parce
que la requérante n’était pas convaincue qu’elle avait le droit d’utiliser la marque au Canada compte tenu de l’utilisation antérieure de
la marque MLXCHANGE par l’opposante. L’opposante allègue de
plus que la requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque compte tenu de l’usage antérieur de la marque
MLXCHANGE.
Selon le registraire, la preuve établit que la marque a été utilisée indépendamment de la référence MLXjet Pro. En ce qui concerne l’accessibilité aux services, le registraire constate que le fait
que les services ne sont pas publiés ne veut pas dire qu’il n’y a aucun
bénéfice pour le public. Le registraire cite un extrait de la décision de
la Commission des oppositions dans l’affaire War Amputations of
Canada/Amputés de Guerre du Canada c. Faber-Castell Canada
Inc.10 dans laquelle le registraire constate que l’usage d’une marque
de commerce en liaison avec des services gratuits n’affecte pas la possibilité que cet usage corresponde à la définition d’« usage » prévue
au paragraphe 4(2) de la Loi. Au paragraphe 11 de la décision dans
l’affaire War Amputations, le registraire déclare :
En l’occurrence, le public tire un avantage du programme éducatif de sécurité de l’Opposante. Par ailleurs, aucune disposition de la Loi sur les marques de commerce ne prévoit qu’un
service doit être rémunéré pour être exécuté et je ne suis pas
disposé à conclure que tel doit être le cas. D’autre part, contrairement au paragraphe 4(1) de la même loi, il n’est pas
question au paragraphe 4(2) de services s’inscrivant « dans la
pratique normale du commerce ». Enfin, je tiens compte des
remarques du juge Strayer dans la décision Kraft Ltd., qui ne
voyait aucune raison d’imposer une interprétation restrictive
10. (1992), 41 C.P.R. (3d) 557 (Comm. opp.).
2012 en revue
785
du terme « service » figurant dans la Loi sur les marques de commerce.
En rejetant le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b), le
registraire conclut donc que l’absence de vente de ces services au
public n’influe aucunement sur les bénéfices qui en résultent.
Quant au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30e), la preuve
démontre que les uniformes ne sont pas vendus au public, mais qu’ils
sont plutôt fournis aux employés durant les séminaires. Les stylos ne
sont pas vendus, mais sont donnés au public à titre d’article promotionnel. Selon le registraire, la requérante n’a pas l’intention d’utiliser la marque en relation avec ces marchandises selon l’article 2 de la
Loi. En accueillant le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30e), le
registraire conclut que la requérante avait seulement l’intention de
promouvoir ces services.
Par ailleurs, le registraire rejette le motif d’opposition fondé
sur l’article 30i) puisque la mauvaise foi de la requérante n’a pas été
démontrée.
En ce qui a trait aux motifs d’opposition portant sur la confusion, le registraire indique que la requérante n’a pu établir l’absence
de risque de confusion.
En effectuant l’analyse du risque de confusion en fonction des
critères énoncés à l’article 6(5) de la Loi, le registraire est d’avis que
les deux marques ont toutes deux des caractères distinctifs inhérents. La preuve de l’opposante démontre qu’elle utilise la marque
MLXCHANGE depuis 2001.
Le registraire est également d’avis que le premier élément compris dans les marques des parties, soit l’élément « MLX », affiche une
grande ressemblance. Le registraire note que le dictionnaire Oxford
ne fournit aucune définition de MLX. Le registraire conclut que,
même s’il y a une distinction entre les marques, l’argument de
l’opposante devrait être reçu.
Le registraire conclut que la requérante n’a pas établi qu’il n’y a
pas de confusion entre les marques, mais rejette la demande en vertu
de l’alinéa 30e) de la Loi.
786
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2. DÉCISIONS EN MATIÈRE D’APPLICATION
DE L’ARTICLE 45 DE LA LOI
En 2012, le registraire des marques de commerce a réaffirmé le
principe de la disponibilité d’un service quand vient le temps de
déterminer l’usage d’une marque de commerce en liaison avec des
services.
Ainsi, le registraire a tenté de limiter la portée de la décision de
la Cour fédérale dans TSA Stores, Inc. c. Canada11 qui interprétait
de façon large la notion d’usage d’une marque de commerce en liaison avec des services de vente au détail.
2.1 Lapointe Rosenstein LLP c. The West Seal, Inc.
Ainsi, dans Lapointe Rosenstein LLP c. The West Seal, Inc.12,
le registraire précise qu’en l’absence de boutiques exploitées au
Canada, et en l’absence de vente et livraison de marchandises au
Canada, l’on ne peut conclure de la simple présence d’une marque de
commerce sur un site web qu’il y a usage en liaison avec des services
de vente au détail, sans qu’il ne soit démontré que le site web offre un
seuil minimum de services auxiliaires à des services de vente au
détail.
Dans cette affaire, le registraire, à la demande de Lapointe
Rosenstein LLP, a émis un avis en vertu de l’article 45 de la Loi forçant ainsi The West Seal, Inc., propriétaire de l’enregistrement de la
marque de commerce ARDEN B, à démontrer l’usage de sa marque
de commerce déposée. La marque ARDEN B a été enregistrée en liaison avec des vêtements, ainsi que des services de vente au détail.
L’article 45 de la Loi oblige le propriétaire d’une marque de
commerce déposée à démontrer que la marque a été employée au
Canada, au cours des trois ans précédant la date de l’avis du registraire, en liaison avec chacune des marchandises et chacun des
services énumérés dans l’enregistrement. En l’absence d’une telle
démonstration ou de l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant l’absence d’usage, l’enregistrement sera radié, ou partie de
l’enregistrement correspondant à celles des marchandises ou ceux
des services dont l’emploi n’aura pas été démontré. La période pertinente en l’espèce s’échelonne du 7 août 2006 au 7 août 2009.
11. (2011), 91 C.P.R. (4th) 324 (C.F.).
12. 2012 COMC 114.
2012 en revue
787
West Seal a produit l’affidavit de John Kosoff, directeur de la
division de commerce électronique et marketing direct. L’affiant
Kosoff allègue que The West Seal, Inc. exploitait un site web de vente
au détail à l’adresse www.ardenb.com pendant la période pertinente.
Monsieur Kosoff allègue également que les Canadiens avaient accès
au site web. Il admet toutefois que, pendant la période pertinente,
West Seal n’avait aucun établissement pour expédier au Canada
les marchandises achetées à partir de son site web. Cependant, il
affirme que les consommateurs canadiens ont pu obtenir livraison
des marchandises achetées sur le site web de West Seal en faisant
appel à des entreprises américaines spécialisées dans les services de
réception et transmission de colis.
Le membre Bene considère que les entreprises de réception
et transmission de colis sont des tiers, qui n’agissent pas à titre
d’agents de West Seal. La livraison des marchandises aux consommateurs est ainsi effectuée sans l’intervention du titulaire de la
marque. Le membre Bene considère que la vente des marchandises
est complétée par la livraison des marchandises à l’entreprise de
réception et transmission de colis située aux États-Unis. Il s’agit
donc d’une transaction aux États-Unis et non d’une vente au
Canada. Le membre Bene conclut donc à l’absence d’usage de la
marque en liaison avec les marchandises.
Quant aux services de vente au détail, The West Seal, Inc.
devait à tout le moins démontrer qu’elle était prête à fournir ces services au Canada au cours de la période pertinente. Or, le membre
Bene a déjà conclu que West Seal n’avait pas vendu ni livré de marchandises au Canada. La preuve fait également état de l’absence
d’établissement de vente au détail au Canada. Le seul service auxiliaire offert par West Seal sur le site www.ardenb.com était un localisateur de magasin. Le membre Bene conclut que West Seal n’a pas
démontré un seuil minimal de services auxiliaires à la vente au
détail permettant de conclure à l’usage de la marque pour ces services :
[28] En d’autres termes, il semble y avoir un critère minimal de
services accessoires qui, offerts ensemble, peuvent maintenir
l’enregistrement d’une marque en liaison avec des services de
magasin de détail. Ce qui semble être nécessaire, c’est un degré
d’interactivité avec le client, notamment avec le client canadien
hypothétique. Bien que la Partie requérante ait invité le registraire à faire tout simplement abstraction du raisonnement
suivi dans TSA, ce raisonnement peut être jugé compatible
788
Les Cahiers de propriété intellectuelle
avec les autres décisions, la Cour fédérale ayant conclu que la
prestation de services accessoires établissait un degré suffisant
d’interactivité avec les Canadiens qui avaient consulté le site
Web pour maintenir les enregistrements en ce qui a trait aux
« services de magasin de détail ».
[29] Cependant, même si je considérais la décision rendue dans
TSA comme une décision permettant de dire que l’enregistrement d’une marque en liaison avec des « services de magasin de
détail » peut être maintenu en l’absence de ventes et de livraisons au Canada dans des circonstances restreintes semblables
où des services accessoires établissant « l’interactivité » sont
fournis, ces circonstances ne sont pas présentes en l’espèce.
Après avoir examiné la preuve soumise, je constate que le seul
élément de preuve d’un service accessoire semblable à ceux qui
ont été jugés pertinents dans TSA concerne un service appelé
« Store Locator » (trouvez un magasin). Il serait peut-être raisonnable de conclure que les Canadiens pouvaient se prévaloir
de ce service et l’ont fait, mais il n’y a aucun élément de preuve
direct en ce sens. En tout état de cause, compte tenu de la décision rendue dans Boutique, je ne crois pas que cette preuve soit
suffisante pour justifier l’enregistrement en liaison avec les
Services.
Le membre Bene interprète la décision dans TSA13 comme exigeant un minimum d’interaction entre le consommateur et le détaillant. En l’absence d’une telle interaction, il ne saurait y avoir d’offre
de services.
Compte tenu que West Seal n’a pu démontrer, à la satisfaction
du registraire, l’existence de circonstances spéciales justifiant l’absence d’usage, l’enregistrement numéro 656,338 a été radié.
Cette décision restreint la portée de la décision rendue en 2011
dans l’affaire TSA, en précisant que la seule présence d’une marque
de commerce sur un site web de vente au détail ne constitue pas un
usage de la marque en liaison avec les services de vente au détail. Le
titulaire de la marque doit démontrer qu’il vendait et livrait des marchandises au Canada. En l’absence d’établissement de vente au
Canada, et en l’absence de vente et livraison de marchandises au
Canada, le titulaire de la marque doit démontrer que le site web offre
des services auxiliaires aux services de vente au détail, de telle sorte
13. Précité, note 11.
2012 en revue
789
qu’il y ait un certain degré d’interaction avec le consommateur canadien. Bien que l’usage d’une marque en liaison avec des services
puisse faire l’objet d’une interprétation large, tel que préconisé dans
l’affaire TSA, le titulaire de la marque doit tout de même démontrer
qu’il offre un service faisant en sorte qu’il existe une interaction avec
le consommateur. La décision du registraire dans West Seal nous
rappelle de plus qu’il ne saurait y avoir usage d’une marque en liaison avec des marchandises en l’absence d’une intervention du détaillant dans la livraison des marchandises au Canada.
2.2 Bellagio Limousines c. Mirage Resorts, Incorporated
Par ailleurs, dans l’affaire Bellagio Limousines c. Mirage
Resorts, Incorporated14, le registraire réitère que l’interprétation
large du mot « services » requiert tout de même que les services visés
par un enregistrement soient disponibles au Canada.
Dans l’affaire Bellagio, le registraire a émis un avis en vertu
de l’article 45 sommant Mirage Resorts de démontrer l’usage
au Canada de la marque BELLAGIO enregistrée sous le numéro
540,882 en liaison avec des services de réservation d’hôtel et de
casino, des services de casinos et spectacles et des services d’hôtellerie, salons de beauté et spas.
La preuve produite par Mirage Resorts démontre que celleci exploite un établissement aux États-Unis offrant des services
d’hôtellerie, casino, restaurant et spa sous la marque de commerce
BELLAGIO. Mirage Resorts fait la promotion de son établissement
BELLAGIO par l’intermédiaire de son site <web www.bellagio.
com>. Bien qu’elle n’exploite aucun établissement au Canada,
Mirage Resorts soutient qu’elle offre au Canada les services visés
par l’enregistrement 540,882 puisque les consommateurs canadiens
peuvent effectuer des réservations par le truchement du site web ou
d’une ligne téléphonique sans frais de service à la clientèle. Se fondant sur la décision TSA, Mirage Resorts prétend ainsi que la
réservation de séjour sur le site web ou sans frais par téléphone
s’apparente à la visite d’un établissement hôtelier afin de bénéficier
des services du personnel d’hôtellerie.
Le membre Bene conclut que le principe énoncé dans l’affaire
TSA ne peut trouver application en l’espèce. La nature des services
de vente au détail faisant l’objet de la décision dans TSA est tout à
14. 2012 TMOB 220.
790
Les Cahiers de propriété intellectuelle
fait différente des services d’hôtellerie. Contrairement aux services
de vente au détail qui peuvent être entièrement exécutés en ligne, il
en va autrement des services hôteliers. Le membre Bene explique :
[17] Unlike retail store services, where the Registrar and courts
have recognized that technology has progressed to the point
where one can enjoy the retail experience without ever having
to leave one’s home, there is no evidence before me that hotel
services have made such progress. To put it more simply, in my
view, a « bricks-and-mortar » presence in Canada is required for
such hotel services. A hotel cannot be operated via the Internet
or a 1-800 telephone number ; it is contrary to common sense to
equate the ability to make hotel reservations with the operation of a hotel. Indeed, I note the decision in Motel 6 v No 6
Motel Ltd (1981), 56 CPR (2d) 44 (FCTD) which explicitly
states that “...receiving and confirming reservations for motel
accommodation in the U.S.A. does not constitute use of the
mark in Canada in association with motel services”.15
Le membre Bene affirme ainsi que le principe énoncé dans
l’affaire TSA ne peut être appliqué sans égard à la nature des services. L’interprétation large de la notion de services se doit de respecter la nature des services visés par l’enregistrement et ne saurait les
dénaturer. Une interprétation large de la notion de services ne peut
donner à un service des attributs qui dépassent la définition ordinaire du service.
Il sera intéressant de voir comment la décision dans l’affaire
TSA sera appliquée dans les décisions à venir, tant dans les décisions
du registraire des marques de commerce que dans celles de la Cour
fédérale.
15. Précité, note 14, par. 17.
Vol. 25, no 2
La protection du droit d’auteur
en Chine
Weining Zou* et Liang Lu**
1. Le système juridique du droit d’auteur . . . . . . . . . . . 793
2. La protection administrative du droit d’auteur . . . . . . . 794
3. La protection judiciaire du droit d’auteur . . . . . . . . . . 795
4. Les organismes de gestion collective du
droit d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 797
5. Le droit d’auteur à l’ère numérique . . . . . . . . . . . . . 798
6. La troisième révision de la Loi sur le droit d’auteur . . . . 799
© Weining Zou et Liang Lu, 2013.
* Weining Zou est associé du cabinet juridique Jun He à Beijing, membre de la
All-China Bar Association et titulaire d’une maîtrise en droit de la China University of Political Science and Law.
** Liang Lu est associé du cabinet juridique Jun He à Beijing et titulaire d’une
maîtrise en droit de la China University of Political Science and Law.
791
1. LE SYSTÈME JURIDIQUE DU DROIT D’AUTEUR
La loi la plus importante pour la protection du droit d’auteur en
Chine est la Loi sur le droit d’auteur. La présente Loi sur le droit
d’auteur est la nouvelle révision de 2010. De plus, elle inclut des
règlements administratifs et des règles départementales touchant
aux droits d’auteur comme le Règlement sur la mise en œuvre de la
Loi sur le droit d’auteur, qui a été promulgué et mis en application en
2002, le Règlement sur la protection du droit d’auteur des logiciels,
qui protège le droit d’auteur des logiciels, le Règlement sur la protection du droit de la diffusion en réseau de l’information, qui vise la
protection du droit d’auteur dans les réseaux et les Mesures pour
l’enregistrement du droit d’auteur des logiciels, qui prévoit le système d’enregistrement du droit d’auteur des logiciels, aussi bien que
le Règlement sur la gestion collective des droits d’auteur, qui régit la
gestion collective, etc.
En Chine, l’interprétation judiciaire promulguée par la Cour
populaire suprême est aussi une des composantes de ce système
légal puisqu’elle peut interpréter les lois et donner des lignes directrices aux tribunaux de différents niveaux dans leur travail judiciaire. Les interprétations judiciaires majeures dans le domaine
de droit d’auteur incluent les Interprétations de 2002 sur certaines
questions concernant l’application des lois pendant les procédures
dans des litiges civils sur le droit d’auteur et les Interprétations
sur certaines questions concernant l’application des lois pendant les
procédures dans des litiges sur le droit d’auteur dans les réseaux
informatiques, qui ont été promulguées en 2000, puis révisées deux
fois, soit en 2004 et en 2006. Les interprétations judiciaires touchent
non seulement les procédures civiles, mais aussi celles au criminel.
Par exemple, en 2004 et 2007, le Parquet populaire suprême et la
Cour populaire suprême ont conjointement promulgué des interprétations judiciaires relativement aux responsabilités criminelles
dans le cas de violations de droits de propriété intellectuelle, en
imposant une responsabilité criminelle plus lourde pour la piraterie ; de plus, les personnes qui ont illégalement reproduit d’autres
793
794
Les Cahiers de propriété intellectuelle
œuvres à plus de 500 copies vont probablement être assujetties à des
responsabilités criminelles1.
La Chine est un état signataire de la Convention de Berne, de
l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC ou, en anglais, TRIPS), le Traité de
l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur le droit
d’auteur (TODA ou WCT), le Traité de l’Organisation mondiale de la
propriété intellectuelle sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (TOEP ou, en anglais, WPPT) et de la Convention sur la
protection des producteurs de phonogrammes contre la reproduction
non autorisée de leurs phonogrammes, de même que d’autres conventions internationales sur le droit d’auteur. L’actuelle loi chinoise sur
le droit d’auteur est devenue, à la suite de diverses législations et de
révisions, fondamentalement compatible avec la Convention universelle sur le droit d’auteur (CUDA) au regard de ses principes et de ses
principales clauses et la législation chinoise prévoit en réalité une
protection égale et complète aux auteurs, aux artistes-interprètes et
aux producteurs de phonogrammes étrangers.
2. LA PROTECTION ADMINISTRATIVE
DU DROIT D’AUTEUR
Le Département administratif responsable de la protection du
droit d’auteur est l’Administration nationale du droit d’auteur et les
bureaux locaux de droit d’auteur à divers niveaux. Le Département
de l’industrie et du commerce a aussi l’autorité administrative pour
enquêter et sévir en matière de piraterie2. Pendant le processus
1. L’article 1 des Règles d’interprétation de la Cour populaire suprême et du Parquet
populaire suprême sur certaines questions concernant l’application spécifique des
lois dans le traitement des affaires criminelles de violation des droits de propriété
intellectuelle (II) de 2007 édicte ce qui suit : « Toute reproduction ou publication
dans un but lucratif, sans la permission du titulaire du droit d’auteur, de ses
œuvres littéraires, musicales et cinématographiques, des émissions de télévision
et de vidéos, de programmes d’ordinateur et d’autres œuvres, pour un nombre total
de plus de 500 copies, est sous la juridiction de la disposition visant « toutes autres
circonstances sérieuses » comme cela est prescrit par l’article 117 du Code criminel.
Si le nombre total de copies est supérieur à 2 500, il sera traité en fonction de la disposition visant « toutes autres circonstances extrêmement sérieuses » comme cela
est prescrit par l’article 217 du Code criminel.
2. Avis de l’Administration nationale du droit d’auteur de l’Administration d’État
pour l’industrie et le commerce pour mettre sévèrement fin à la piraterie et à d’autres
actes violant le droit d’auteur : « L’Autorité administrative responsable de l’industrie et du commerce dans chaque région locale renforcera la surveillance et
l’administration sur la piraterie et sur d’autres actes de violation du droit d’auteur
dans le domaine couvert et elle inclura ce travail dans son ordre du jour de travail
La protection du droit d’auteur en Chine
795
d’exécution du droit administratif, l’autorité compétente peut ordonner aux contrevenants d’arrêter les actes de violation, détruire les
documents reproduits contrefaits, confisquer les gains illégaux et les
outils des contrevenants ayant servi à l’infraction et imposer une
pénalité de nature administrative.
La Chine met en œuvre un système d’enregistrement volontaire des œuvres. Selon la loi chinoise, une œuvre est automatiquement protégée par le droit d’auteur dès le moment de sa création.
Aucun enregistrement de droit d’auteur n’est exigé comme condition
d’obtention de la protection du droit d’auteur. Cependant, l’enregistrement du droit d’auteur d’une œuvre est considéré comme la
preuve présumée de la paternité et de la propriété du droit d’auteur
et il facilitera la protection administrative ou judiciaire. En pratique, beaucoup de sociétés tant nationales qu’étrangères ont
procédé à l’enregistrement du droit d’auteur dans leurs œuvres
(incluant le logiciel).
3. LA PROTECTION JUDICIAIRE DU DROIT D’AUTEUR
Des tribunaux chinois ont accueilli un grand nombre de poursuites civiles en droit d’auteur. Le principe d’attribution en matière
d’infraction à un droit d’auteur est la responsabilité de la faute. En
général, si un défendeur a reproduit l’œuvre du demandeur sans sa
permission, il sera tenu responsable de la faute par le tribunal. La
méthode pour détecter l’infraction est « l’accès à + la similitude substantiellement parlant ». En somme, si le défendeur a probablement
eu accès aux œuvres du demandeur et si la représentation est substantiellement semblable aux œuvres du demandeur, le défendeur a
donc commis une violation du droit d’auteur. De plus, il y a des grandes disparités régionales dans la recevabilité d’une poursuite en
droit d’auteur. Les tribunaux de Beijing, de Shanghai et de Guangzhou, là où il y a une industrie de droit d’auteur bien développée,
comme une tâche de routine. Toute violation des lois et des règlements sur
l’administration de l’industrie et du commerce sera examinée et punie sévèrement
conformément aux dispositions des lois et des règlements pertinents. Quant aux
actes illégaux comme la vente ou la location de livres, de produits audiovisuels, de
programmes d’ordinateur contrefaits ou la projection de produits audiovisuels sans
permission, les services administratifs responsables de l’industrie et du commerce
donneront des avertissements, ordonneront l’arrêt de la vente, de la location et de
la projection de même qu’ils confisqueront les produits et les gains illicites, ou donneront une amende d’au plus cinq fois le prix total des produits illicites ou de cinq à
dix fois les gains illicites générés, ou suspendront même les licences d’entreprises
selon la gravité de l’infraction. ».
796
Les Cahiers de propriété intellectuelle
accepteront chaque année d’entendre plusieurs milliers de poursuites en droit d’auteur et les juges impliqués ont accumulé des
expériences judiciaires importantes à cet égard.
En termes de mesures de redressement, les tribunaux chinois
demanderont généralement la cessation de la violation, ce qui se
résume en une demande d’injonction permanente une fois qu’un
geste est considéré comme constituant une infraction. Quant aux
compensations pour les dommages occasionnés par l’infraction au
droit d’auteur, elles ont été relativement minimes en Chine, faisant
en sorte que beaucoup de détenteurs de droit d’auteur ont été incapables de recouvrer leurs dommages. En attendant, puisque le coût de
non-respect de la loi par les contrevenants est très bas, une violation
d’un droit d’auteur ne peut pas réellement être prohibée malgré des
interdictions répétées. Ceci a toujours été critiqué par les titulaires
de droits et la doctrine. De plus, bien que l’article 50 de la Loi sur le
droit d’auteur prévoie le recours à « l’injonction préliminaire »3, le
tribunal est très prudent dans sa mise en œuvre et « l’injonction
préliminaire » n’a été accordée que dans quelques cas.
Quant aux responsabilités criminelles lors d’une violation de
droit d’auteur, le Code criminel prévoit « un crime d’infraction à un
droit d’auteur » afin de punir les gestes de violation grave d’un droit
d’auteur. En 2007, une personne physique a fourni par Internet à un
établissement public de services sociaux une copie piratée du logiciel
protégé Windows XP, copie qui violait le droit d’auteur dans le logiciel de Windows, et le service ainsi fourni faisait partie d’un bloc
d’autres logiciels d’application et de publicités dans le logiciel Windows piraté en vue de réaliser des profits ; cela constituait ainsi un
acte criminel violant un droit d’auteur. L’individu a été finalement
condamné par la cour à une peine d’emprisonnement fixe de trois ans
et six mois et la cour lui a aussi imposé une amende de 1 000 000
RMB (Yuans)4.
3. Le paragraphe un de l’article 50 de la Loi sur le droit d’auteur énonce ce qui suit :
« Lorsqu’un titulaire de droit d’auteur ou un titulaire d’un droit voisin du droit
d’auteur a la preuve établissant qu’une autre personne est en voie de commettre ou
commettra un acte de violation de son droit, acte qui pourrait causer un dommage
irréparable à ses droits légitimes et à ses intérêts si l’acte n’était pas dissuadé
immédiatement, il peut demander au Tribunal populaire d’ordonner la cessation
de l’acte invoqué et de prendre des mesures pour la conservation de sa propriété
avant d’intenter une action en justice. ».
4. Voir <http://it.chinabyte.com/290/9104290.shtml>.
La protection du droit d’auteur en Chine
797
4. LES ORGANISMES DE GESTION COLLECTIVE
DU DROIT D’AUTEUR
Selon la Loi sur le droit d’auteur et les règlements pertinents en
Chine, un titulaire de droits peut exercer ses droits au moyen des
organismes de gestion collective. Plusieurs organismes de gestion
collective sont présentement en place en Chine, dont la Music Copyright Society of China (MCSC), qui est responsable de la gestion des
droits des auteurs et des compositeurs d’œuvres musicales, la China
Audio-Video Copyright Association (CAVCA), qui est chargée de la
gestion des droits des producteurs de phonogrammes, et la toute
nouvelle China Film Copyright Association, responsable de la gestion des droits dans les œuvres cinématographiques, etc. Les organismes chinois de gestion collective représentent non seulement les
ayants droit chinois mais aussi ceux de pays étrangers.
À la suite de la démarche initiée par les organismes de gestion
collective, la Chine a commencé à édicter des mesures et des normes
afin de réclamer des redevances pour les droits de radiodiffusion, le
droit d’exécution en public et d’autres droits et elle en a entamé la
mise en œuvre. Par exemple, la MCSC percevra des redevances pour
l’utilisation de la musique5 par des organismes de radiodiffusion au
nom des ayants droit de paroles de chansons et de partitions musicales ; la CAVCA percevra des redevances pour l’utilisation de la
musique par la société KTV pour le compte des producteurs de
phonogrammes, etc.
Cependant, les organismes de gestion collective de droits d’auteur en Chine s’attendent à une plus grande amélioration dans la
perception à l’avenir. Les titulaires de droits reçoivent présentement
peu de revenus de droits d’auteur. L’efficacité des organismes de
gestion collective a donc été largement mise en doute6. On s’attend
cependant, avec l’amélioration du mécanisme de perception des
redevances et le renforcement de la protection du droit d’auteur, à ce
que les ayants droit puissent obtenir plus de redevances de droit
d’auteur de la part des organismes de gestion collective des droits.
C’est important pour les organismes de gestion collective du
droit d’auteur en Chine d’intégrer et de se référer aux expériences
fructueuses de gestion du droit d’auteur des sociétés étrangères de
5. Voir <http://www.chinadaily.com.cn/hqgj/jryw/2012-01-13/content_4950183.
html>.
6. Voir <http://it.sohu.com/20100127/n269848350.shtml>.
798
Les Cahiers de propriété intellectuelle
gestion collective. Quelques organismes étrangers de gestion collective, tels que la Motion Picture Association of America (MPAA) et
l’International Federation of the Phonographic Industry (IFPI), ont
été très actifs dans la protection du droit d’auteur. Le Bureau représentant la MPAA en Chine a fourni de la preuve de la titularité du
droit d’auteur et d’autre aide juridique à des entreprises étrangères de l’industrie du film dans un grand nombre de poursuites en
droit d’auteur, alors que l’IFPI a grandement soutenu des ayants
droit étrangers dans la protection de leurs droits d’auteur dans des
œuvres musicales numérisées en Chine ; ce dernier organisme a également fait positivement accélérer l’amélioration des législations sur
les droits voisins des producteurs d’enregistrements sonores7.
5. LE DROIT D’AUTEUR À L’ÈRE NUMÉRIQUE
En 2006, le Conseil d’État a émis le Règlement sur la protection
du droit de diffusion de l’information en réseau, qui est devenu la loi
la plus importante dans le domaine de droit d’auteur en réseau. Ce
règlement, qui réfère au principe américain reconnu du safe harbour
principle, tel que prescrit dans la législation américaine DMCA, stipule qu’un prestataire de services dans un réseau ne sera pas tenu
responsable d’une infraction à un droit d’auteur s’il n’est pas entièrement conscient du contenu contrefait et s’il a agi « promptement »
dans le retrait de l’œuvre protégée par le droit d’auteur ou la suppression des liens à celle-ci après qu’il en ait été notifié par le titulaire des droits. Ce principe a été reconfirmé en 2009 dans la Loi sur
la responsabilité en matière de délit. De plus, le règlement prévoit la
protection par des mesures techniques et celle des informations
électroniques sur l’administration des droits.
Pendant la période de 2005 à 2007, des titulaires de droits
d’auteur dans des œuvres musicales émanant de producteurs internationaux d’enregistrements sonores, incluant EMI, Sony BMG et
les Rolling Stones, ont amorcé plusieurs poursuites civiles contre des
moteurs de recherche de musique dirigés par Baidu MP3. Cependant, les tribunaux chinois ont généralement cru que Baidu MP3
était incapable d’examiner et de dépister le grand nombre d’œuvres
musicales contrefaites et que l’entreprise avait agi « promptement »
afin de retirer les liens litigieux dès la réception de l’avis des titulaires de droits, ce qui était conforme au principe de « safe harbour » ;
7. Voir <http://www.ccdy.cn/yule/bagua/201109/t20110927_110291.htm>.
La protection du droit d’auteur en Chine
799
l’entreprise Beidu MP3 fut donc exemptée du versement d’une compensation au regard de ses responsabilités en droit civil8.
Des entreprises en technologies de l’information et de services
Internet en Chine ont été largement insultées à cause de graves violations de droits d’auteur. En 2003 et 2004, Warner Music, Go East
Entertainment Co. Ltd. et d’autres titulaires de droits d’auteur
ont poursuivi en justice <www.music.tyfo.com> et <www.chinamp3.
com> pour la fourniture de téléchargements gratuits qui violaient
les droits d’auteur des demanderesses ; le tribunal a tenu les défenderesses responsables de violation9. Entre 2008 et 2010, d’importants sites web chinois de partage de fichiers vidéos, incluant <www.
youku.com> et <www.tudou.com>, ont téléchargé un grand nombre
de films et de jeux télé destinés à un visionnement gratuit par le
public, et ce, sans la permission des titulaires des droits d’auteur.
Ces sites ont été poursuivis en justice plusieurs fois et ils ont été
condamnés à verser une compensation. Grâce aux efforts soutenus
des détenteurs de droits, le nombre de sites web chinois de musique
qui fournissent directement des téléchargements de MP3 contrefaits
a énormément réduit. De plus, quelques moteurs de recherche font
activement la promotion d’éditions licites d’œuvres musicales. Une
nette amélioration s’est manifestée depuis face aux cas de violation
de droits d’auteur par les sites vidéo majeurs en Chine. Plusieurs
sites font activement la promotion de l’achat de films et de jeux télé
protégés de manière à fournir des copies licites de ces œuvres au
grand public10.
La protection du droit d’auteur dans les réseaux s’améliore
maintenant constamment en Chine grâce au développement de la
législation et au renforcement de la protection judiciaire.
6. LA TROISIÈME RÉVISION DE LA LOI SUR LE
DROIT D’AUTEUR
La présente Loi sur le droit d’auteur en Chine est la révision de
2011. Afin de répondre aux exigences du développement des entreprises culturelles et de la protection de droit d’auteur, l’Administration nationale du droit d’auteur a amorcé en 2011 la procédure de
révision de la Loi sur le droit d’auteur et elle a rendu respectivement
8.
9.
Voir <http://bjyouth.ynet.com/article.jsp?oid=26445198>.
Voir <http://www.110.com/falv/dianzishangwufa/wangluoqinquan/2010/0719/
137634.html>.
10. Voir <http://news.ccw.com.cn/internet/htm2008/20081116_544713.shtml>.
800
Les Cahiers de propriété intellectuelle
publics en mars et en juillet 2012 deux projets de modification de la
Loi sur le droit d’auteur.
Comme nous le constatons à la lecture du projet de révision, de
grands changements ont été apportés par comparaison avec la Loi
sur le droit d’auteur en vigueur. Par exemple, une disposition sur
l’« œuvre orpheline » est ajoutée à la loi et les œuvres d’art appliqué
sont désormais protégées par le droit d’auteur ; des dispositions supplémentaires sont également introduites en ce qui concerne le droit
de radiodiffusion des titulaires de droits voisins, les droits de saisie
et de conservation des services administratifs et les dommages-intérêts statutaires maximaux lors de violations de droit d’auteur, qui
sont portés de 500 000 RMB à 1 000 000 RMB11, etc.
Cela vaut également la peine de mentionner la disposition du
projet de révision relativement à la licence statutaire de reproduction des phonogrammes : « Les producteurs de phonogrammes peuvent utiliser les œuvres musicales d’un autre enregistrement sonore,
qui a été publié depuis trois (3) mois, en vue de procéder à l’enregistrement sans la permission du titulaire du droit d’auteur, et ce,
conformément aux conditions prescrites par l’article 48 de cette loi ».
Or, l’actuel article 40 de la Loi sur le droit d’auteur stipule qu’« une
telle œuvre ne sera pas exploitée lorsque le propriétaire de droit
d’auteur a déclaré qu’une telle exploitation n’est pas permise », ce qui
signifie que des titulaires de droits peuvent être exemptés de la
licence statutaire par déclaration. Cette modification a déclenché
des controverses considérables dans le milieu de la musique en
Chine, car le nouveau projet supprime l’exemption des titulaires de
droits, ce qui est inévitablement critiqué par l’industrie musicale et,
tout particulièrement, par quelques célèbres entreprises nationales
d’enregistrements sonores. En attendant que les organisations chinoises de gestion collective aient des structures administratives plus
fortes et que soit prise en considération la protection des titulaires de
droit d’auteur en termes de conception institutionnelle, une telle
modification occasionne une difficulté pour les détenteurs de droits
d’auteur en vue de garantir leurs revenus.
Donc, cette disposition du projet de révision a été férocement
critiquée par les gens de tous les milieux. L’Administration nationale du droit d’auteur l’a par la suite retirée12 dans le deuxième pro-
11. Voir <http://news.ccvic.com/guoneixw/guonei/2012/0405/182144.shtml>.
12. Voir <http://www.sipo.gov.cn/mtjj/2012/201204/t20120427_681054.html>.
La protection du droit d’auteur en Chine
801
jet de révision de la loi. Présentement, la nouvelle Loi sur le droit
d’auteur est toujours à l’étape de projet pour commentaires de la part
des personnes de tous les milieux.
Capsule
La décision Therasence : la Cour
d’appel américaine remodèle
la théorie de « la conduite
inéquitable » comme un
« nez de cire »
Robert M. Kunstadt et Ilaria Maggioni*
1. La jurisprudence de la CAFC donne lieu à la décision
Therasense . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 807
2. La décision Therasense s’écarte de la règle 52 qui impose
la déférence eu égard à la vérification des faits en
première instance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 810
3. Les implications concrètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 811
4. Le nouveau règlement proposé par l’USPTO . . . . . . . . 812
5. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 813
© R. Kunstadt, P.C., 2013.
* Avocats en propriété intellectuelle, cabinet R. Kunstadt, P.C., New York ; les
auteurs souhaitent remercier Capucine Gurs, étudiante en droit à l’Université
Paris X-Nanterre, pour sa collaboration dans la traduction de cet article. Merci à la
revue allemande GRUR Int pour la publication en français de cet article paru sous
« The Therasense Decision : U.S. Appeals Courts Reshapes Inequitable Conduct –
As If It Were A « Nose of Wax » », 2011), 11 Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht, Internationaler Teil (GRUR Int.) page 799.
803
Aux États-Unis, la théorie des « mains sales », qui est à l’origine
de la théorie de « la conduite inéquitable », doit empêcher le déposant
d’un brevet d’accomplir un objectif anti-compétitif en garantissant
l’émission d’un brevet par des moyens mensongers. En examinant
les allégations de la conduite inéquitable, une Cour d’appel se doit de
respecter les conclusions de fait jugées les plus crédibles par le juge
de première instance, au même titre que la jurisprudence de la Cour
suprême. En considérant que la conduite inéquitable entreprise par
un déposant d’un brevet, et dont il a été accusé, doit avoir été la
condition sine qua non de la délivrance d’un brevet, la Cour d’appel,
dans le cas Therasense, s’éloigne du principe énoncé par la Cour
suprême qui impose le devoir absolu de franchise devant l’examinateur du brevet. La Cour d’appel ne doit pas « remodeler » le régime
de la conduite inéquitable comme si c’était « un nez de cire », en le
tordant pour parvenir à sa propre conception aux fins de réduire le
nombre de cas de conduite inéquitable qui est maintenant trop
important (selon la CAFC). Ceci relève de la compétence du Congrès.
Comme la Cour d’appel pour le circuit fédéral (CAFC) a développé un ensemble de conditions ad hoc en matière de brevetabilité,
(cependant, cet ensemble de conditions, plus connu sous le qualificatif de « la machine » ou « la transformation », a été récemment annulé
par l’arrêt Bilski1 de la Cour suprême des États-Unis) ; la CAFC a
ainsi élaboré dans sa décision récente Therasense2 et à partir de sa
1. Dans la décision Re Bilski, 130 S.Ct. 3218 (2010).
2. Therasense, Inc. c. Becton, Dickinson and Co., 649 F.3d 1276 (Fed. Cir. 2011). Dans
une décision récente, la CAFC a réaffirmé les normes exigeantes de Therasense
confirmant que la conduite inéquitable est maintenant un moyen de défense particulièrement inaccessible : « La connaissance de la référence et la connaissance de
sa matérialité en soi sont insuffisantes après Therasense pour prouver l’intention
de tromper. De plus, ce n’est pas suffisant pour soutenir l’accusation la négligence,
l’inattention, l’incurie à respecter l’échéance ou à lier des références, ou d’autres
conduites pouvant être considérées comme étant adoptées avec négligence ou
même avec une négligence grave. Pour soutenir la charge de la conduite inéquitable, « une preuve claire et convaincante doit établir que le demandeur de brevet a
pris une décision délibérée de retenir une référence matérielle connue. » 1st Media
LLC c. Electronic Arts Inc. et al., décision de la CAFC numéro 2010-1435, 13
septembre 2012, pages 12-13).
805
806
Les Cahiers de propriété intellectuelle
décision de 2008 Star Scientific3, une théorie normative à l’effet que,
s’il existe « une ou n’importe quelle interprétation raisonnable »,
cette dernière doit être acceptée par le tribunal de première instance, malgré son incrédulité concernant le témoignage du déposant
de brevet.
La faculté pour les tribunaux de première instance de contrecarrer les déclarations trompeuses enregistrées au Bureau des brevets ne doit pas être entravée pour que leur rôle d’administrer la
justice, en accordant des recours en équité, soit préservé. La théorie
des « mains sales », qui est à l’origine de la théorie de « la conduite
inéquitable », doit empêcher le déposant d’un brevet d’accomplir un
objectif anti-compétitif en garantissant l’émission d’un brevet par
des moyens mensongers. Comme l’a déclaré la Cour suprême :
La théorie fondamentale dans cette affaire est la maxime énonçant que « quiconque veut revendiquer l’équité doit avoir les
mains propres ». Cette maxime est bien plus qu’une simple
banalité. C’est une règle, que l’on s’impose à soi-même, susceptible de fermer les portes d’un tribunal opérant en équité, à
tout individu, sali par sa conduite inéquitable ou par sa mauvaise foi, qui demande un recours peu importe le degré de sa
mauvaise conduite.
[...]
La portée considérable, tant au plan social qu’économique, d’un
brevet confère par conséquent, un intérêt public très important, en raison du droit exclusif attaché à ce que celui-ci découle
d’une fondation exempte de toute fraude ou d’autres conduites
inéquitables. Ainsi, l’ensemble de ces monopoles seront gardés
dans leur portée légitime. Les faits de cette affaire doivent être,
par conséquent, mesurés à la fois par les canons publics et privés de l’équité.4
Comme lorsqu’une partie comparaît devant la Cour avec les
mains salies par sa conduite inéquitable, le détenteur d’un brevet ne
peut pas être entendu par la justice pour faire valoir son brevet,
obtenu de manière frauduleuse, sous peine de dévaloriser le principe
d’équité. L’intérêt public pour préserver l’intégrité du système des
3. Star Scientific Inc. c. R. J. Reynolds Tobacco Co., 537 F.3d 1357, 1365 (Fed. Cir.
2008).
4. Precision Instrument Mfg. Co. c. Automotive Maintenance Mach. Co., 324 U.S. 806,
814, 816 (1945).
La décision Therasence
807
brevets n’en impose pas moins comme recours. Malheureusement,
l’interprétation étroite de la Cour suprême, qui a été articulée dans
la décision Therasense, empêche ce bon résultat.
1. La jurisprudence de la CAFC donne lieu à la
décision Therasense
C’est dans la décision de la cour de district, Scanner Technologies Corp. c. ICOS Vision Systems Corp. N.V. qu’a été rendu un arrêt
qui facilite la compréhension traditionnelle de la doctrine de la
conduite inéquitable :
Une partie qui prétend qu’un brevet est invalide pour conduite
inéquitable doit prouver, par une preuve « claire et convaincante »,
que le breveté ou ses agents ont produit des informations matérielles
trompeuses ou fausses ou ont omis de produire certaines informations matérielles avec l’intention de tromper le Bureau des brevets et
des marques (le PTO). Bristol-Myers Squibb Co. c. Rhone-Poulenc
Rorer, Inc., 326 F.3d 1226, 1233 (Fed. Cir. 2003) ; Kingsdown Med.
Consultants, Ltd. c. Hollister Inc., 863 F2d, 867, 872 (Fed. Cir. 1988).
Les déposants de brevets ont une obligation de franchise et de bonne
foi dans toutes leurs relations avec le Bureau des brevets et des marques et la violation de cette obligation doit aboutir à trouver des
conduites inéquitables. Bristol-Myers, 326 F.3d, à la page 1233 ;
Molins PLC c. Textron, Inc., 48 F3d 1172, 1178 (Fed. Cir. 1995). Une
partie qui a obtenu un brevet en trompant le Bureau des brevets et
des marques est proscrite, par application de la théorie des mains
sales, pour le faire valoir. General Electro Music Corp. c. Samick
Music Corp., 19 F3d 1405, 1408 (Fed. Cir. 1994).
La conduite inéquitable inclut la soumission au Bureau des
brevets et des marques lorsque les informations matérielles sont
trompeuses, par de fausses déclarations ou par l’omission d’informations matérielles avec en plus l’intention de tromper. PerSeptive Biosystems Inc. c. Pharmacia Biotech, Inc., 225 F3d. 1315, 1318 (Fed.
Cir. 2000) ; Molins, 48 F3d à la page 1178. À la fois donc, la conduite
matérielle et l’intention de tromper doivent être établies. Id., à la
page 1318-19 ; Molins, 48 F3d, à la page 1178. Mais, une fois que le
seuil des deux a été atteint, les deux sont pondérées ; plus la déformation des faits par le demandeur de brevet est matérielle, moins le
degré de l’intention, nécessaire pour aboutir à une décision judiciaire
808
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de conduite inéquitable, est important. PerSeptive Biosystems, 225
F3d, à la page 1319.5
Cependant, ce n’est plus précisément le régime juridique actuel.
L’opinion de la Cour de district dans sa décision Scanner a été rejetée
en appel par la CAFC6 sur ce point précis. Ainsi aujourd’hui, le
régime a été changé, et de façon d’ailleurs beaucoup plus dramatique, par la décision Therasense.
La CAFC avait déjà commencé à quitter le parcours dans sa
décision Star Scientific, quand il est tenu que pour satisfaire la
preuve claire et convaincante nécessaire pour prouver la conduite
inéquitable, l’intention de tromper doit être « la conclusion la plus
raisonnable capable d’être tirée de la preuve »7.
Cette erreur a été aggravée dans la décision Scanner, et maintenant citée dans la décision Therasense à la page 26 :
Par conséquent, lorsqu’il y a de nombreuses conclusions raisonnables, l’intention de tromper ne peut pas être affirmée. Voir
Scanner Techs. Corp. c. ICOS Vision Sys. Corp., 528 F.3d 1365,
1376 (Fed. Cir. 2008). (« Quand une évidence qui démontre
la matérialité ou l’intention est susceptible de déduction en
faveur d’une autre également raisonnable. »).8
Depuis que la CAFC justifie sa théorie en raison du fait que la
présomption de validité requiert une preuve « claire et convaincante » pour renverser un brevet présumé valide (c’est-à-dire une
approche récemment confirmée par la Cour suprême des ÉtatsUnis)9 son raisonnement transforme indûment la présomption de
fait en un fait déjà établi. Cependant, un remède plus approprié pour
cette question devrait être éliminé par la présomption de validité
pour restaurer un minimum d’équilibre entre les détenteurs de brevets et les défendeurs accusés de violer un brevet. La décision Microsoft c. i4i de la Cour suprême suggère que la présomption de validité
n’est pas aussi solide si l’examinateur de brevets n’a pas accès à l’état
5. 486 F.Supp. 2d 330 (SDNY 2007) (J.Chin).
6. Scanner Techs. Corp. c. ICOS Vision Sys. Corp., 528 F.3d 1365 (Fed. Cir. 2008).
7. Les décisions de la CAFC postérieures à Therasense font une référence spécifique à
cette évolution entre l’affaire Star Scientific et Therasense. American Calcar, Inc. c.
American Honda Motor Co., Inc., WL 2 519 503, *10-11 (Fed. Cir. 2011).
8. Therasense, 2011 WL 2 028 255 à *11.
9. Microsoft c. i4i L.P., 131 S.Ct 2238, 2241 (2011).
La décision Therasence
809
de la technique matérielle10. Par conséquent, selon le régime juridique actuel, le demandeur a donc un intérêt motivé à révéler les
informations matérielles. Si un examinateur de brevets s’attend à
procéder lui-même relativement à un rapport apparemment incomplet, il devrait s’ensuivre nécessairement que les brevets ne jouissent d’aucune présomption de validité. Mais, comme le rééquilibrage
du système de la charge relève de la compétence du Congrès et non
des Cours d’appel, les modifications de la présomption de validité11
le sont aussi.
Une Cour d’appel comme la CAFC ne possède pas le pouvoir de
remplacer la détermination judiciaire en première instance sur la
crédibilité du témoin avec son interprétation du témoignage jugé raisonnable de façon abstraite, sur un rapport écrit et en effaçant tous
les doutes possibles en faveur de ce témoin. La CAFC a l’air de reconnaître les limites de son rôle, mais elle n’agit pas en conséquence
puisqu’elle utilise la décision Therasense pour démanteler les conclusions du tribunal inférieur12.
Par exemple, dans l’affaire Scanner c. ICOS13, décidée deux
semaines après l’affaire Star Scientific, la Cour a déterminé qu’il
était raisonnable pour un déposant de brevet de dire à l’examinateur
qu’une unité informatique était « en pleine vue » dans un salon professionnel, avec l’implication que ses contenus avaient été copiés par
le défendeur, même si l’unité était dans une caisse métallique fermée
et dont le contenu était inaccessible au défendeur ou aux visiteurs du
salon. Le juge de première instance avait déclaré les brevets invalides, non violés et inopposables, en s’appuyant sur les témoignages
10. Ibid., à la page 2251 : « autrement dit, si le PTO n’a pas reçu tous les éléments
matériels, son jugement en l’espèce pourra perdre considérablement de sa
force. ».
11. Ibid., à la page 2252.
12. American Calcar, Inc. c. American Honda Motor Co., Inc., WL 2 519 503, *11
(Fed. Cir. 2011) : « Bien que la cour ait constaté que le témoignage d’Obradovich
ait manqué de crédibilité, et nous admettons la portée considérable de cette
découverte, FilmTec Corp. c. Hydranautics, 982 F.2d 1546, 1554 (Fed. Cir. 1992)
nous ne viendrons pas interférer avec la compétence de la cour fédérale pour
juger en matière de crédibilité. Ceci est insuffisant pour trouver l’intention spécifique de tromper délibérément et de discuter des règles applicables. Voir Therasense, F.3d. Cependant, ce n’est pas notre rôle de statuer sur les faits, et nous
annulons la décision de la cour fédérale et lui renvoyons la question. ».
13. Scanner Techs. Corp. c. ICOS Vision Sys. Corp., 528 F.3d 1365, 1376 (Fed. Cir.
2008) : « Quand la preuve fournie afin de démontrer la matérialité ou l’intention
[de la conduite] est susceptible de multiples déductions toutes possiblement raisonnables, une cour fédérale se trompe clairement en négligeant une déduction
en faveur d’une autre également raisonnable. ». Les auteurs du présent article
représentaient la partie défenderesse ICOS dans cette affaire.
810
Les Cahiers de propriété intellectuelle
des déposants non crédibles en fait, et il avait accordé les honoraires
d’avocat de la partie gagnante à plus de 2 millions de dollars. La
CAFC a confirmé la décision (sauf quant au verdict d’inopposabilité),
en saisissant donc l’occasion d’appliquer sa récente décision Star
Scientific. Lors d’un argument oral, l’un des membres de ce panel est
allé trop loin en affirmant qu’une pile de dossiers légaux sur le banc
équivalait à la mettre « en pleine vue », alors qu’en fait ce n’était rien
de plus que de la mettre à la vue de tous, tout en restant fermée. Si la
Cour avait voulu accuser le public du vol du secret de fabrication du
contenu inaccessible de cette pile de dossiers, elle aurait agi de façon
aussi coupable que le déposant d’un brevet dont la conduite est
excusée par la ratio de la décision Star Scientific.
2. La décision Therasense s’écarte de la règle 52
qui impose la déférence eu égard à la vérification
des faits en première instance
Une Cour d’appel telle que la CAFC se doit de respecter les conclusions de fait jugées les plus crédibles en première instance, selon
la règle 52 des Règles fédérales de procédure civile des États-Unis,
mais aussi selon la jurisprudence de la Cour suprême. Le rejet par la
CAFC, dans la décision Therasense, des conclusions détaillées des
juges de première instance, était contradictoire avec cette règle universelle de révision par la Cour d’appel : « La vérification des faits en
première instance ne doit pas être annulée, à moins d’être le fruit
d’une erreur manifeste et dominante, et il faut tenir compte de
l’opportunité qu’a le tribunal de première instance de juger de la crédibilité des témoins. » (Règle 52(a), Fed. R. Civ. P.). Cette « règle veut
dire ce qu’elle énonce », à savoir que les conclusions des faits, même
« ceux décrits comme étant « les faits décisifs » en ce qu’ils déterminent le verdict du litige », sont aptes à être révisées en appel avec
déférence eu égard à la vérification des faits en première instance14.
Comme il est déclaré dans l’arrêt Anderson c. City of Bessemer City :
Si le compte-rendu des preuves de la cour de district est plausible aux lumières du rapport, considéré dans son intégralité,
les cours d’appel ne devraient donc pas le renverser même si
elles sont convaincues qu’en étant considéré comme un juge des
faits, cela aurait équilibré les preuves différemment. Lorsqu’il y
a deux lectures possibles des preuves, le choix du juge des faits
entre les deux ne peut pas être manifestement erroné. [...] De
plus, lorsque les conclusions de fait sont basées sur la crédibi14. Bose Corp. c. Consumers Union of United States, 466 U.S. 485, 498 (1984).
La décision Therasence
811
lité du témoin, la règle 52(a) exige une déférence encore plus
grande face aux conclusions en première instance, parce que le
juge de première instance est le seul qui peut être au courant
des changements de comportement et du ton de la voix qui
apportent énormément à la compréhension et à la crédibilité de
ce qu’il dit. [...] Lorsque les conclusions, de fait et de droit, d’un
tribunal de première instance, sont basées sur sa décision de
donner du crédit aux témoignages d’un, de deux ou de plusieurs
témoins, et que chacun a raconté une histoire cohérente et totalement plausible et qui ne peut être contredite par une preuve
intrinsèque, alors cette conclusion, si elle n’est pas intérieurement incohérente, ne peut jamais être considérée comme une
erreur manifeste et dominante.15
Plutôt que d’avoir l’autorité de contraindre le juge de première
instance de donner foi à n’importe quelles conclusions argumentées
par le déposant d’un brevet pour excuser sa conduite inéquitable,
c’est à la CAFC seule qu’il incombe de respecter le choix du juge de
première instance entre les deux différentes lectures permises des
preuves, qui ne peuvent pas être annulées comme étant une erreur
manifeste et dominante.
La tâche d’une Cour d’appel est d’appliquer la législation du
Congrès et de la Cour suprême et non pas de chercher d’où vient le
vent, d’évaluer l’ampleur du litige concernant cette question-ci ou
une autre, et de parvenir à ce jugement, étant donné que cette
question de conduite inéquitable est la « peste », car elle est invoquée
beaucoup trop souvent16.
3. Les implications concrètes
« La conduite inéquitable » s’est révélée un sujet insaisissable
pour les Cours de première instance en la circonscrivant avec une
certitude doctrinale. Les détenteurs de brevets et leurs avocats
détestent cette idée en particulier, car cela conduit à augmenter le
coût pour acquérir un brevet en entraînant ainsi le risque substantiel que le brevet soit attaqué en le rendant inopposable en raison des
erreurs innocentes qui, pour le défendeur sceptique qui cherche un
moyen de défense, se mettent à ressembler à des actes intentionnels17.
15. 470 U.S. 564, 574-75 (1985) (italiques ajoutés).
16. Therasense, 2011 WL 2 028 255, à *8-9.
17. Lawrence T. KASS et al., « Therasense : vaccin contre une épidémie », National
Law Journal (6 juin 2011).
812
Les Cahiers de propriété intellectuelle
De là, les avocats en matière de brevetabilité peuvent alors
pratiquer une défense préventive, en citant beaucoup plus de
données antérieures au Bureau des brevets qu’il serait autrement
strictement nécessaire. Cela peut facilement être porté jusqu’à son
extrême. Par exemple, le brevet numéro 7 462 767 contient 274 citations d’antériorité, et il n’y en a que 7 qui ont été citées par l’examinateur. Les 267 autres ont été citées par le demandeur, vraisemblablement par prudence ; de plus, il est difficile de supposer que
l’examinateur ait réellement besoin de considérer ces 267 références
pour évaluer un brevet mécanique sur une guitare acoustique :
Les cyniques pourraient partir du principe que, parfois, on
fournit des citations en excès, non pas par prudence, mais pour submerger l’examinateur de brevet sous des piles de dossiers. On peut
alors considérer ce comportement comme une autre forme de conduite inéquitable quoi qu’il n’a pas été reconnu comme tel en raison
de la difficulté de la preuve : il est facile d’affirmer « Je n’ai pas voulu
omettre quoi que ce soit qui pourrait se révéler être important d’une
façon ou d’une autre ». À partir de la nouvelle norme de la preuve
proposée dans Therasense, il est pratiquement impossible de prouver
la conduite inéquitable dans ce cas, puisque le détenteur de brevet a
une « explication alternative raisonnable » toute faite que le juge
devrait nécessairement créditer.
4. Le nouveau règlement proposé par l’USPTO
En effet, l’USPTO a ainsi proposé de nouvelles règles concernant les opérations liées aux brevets, à partir de la décision Therasense, pour réduire les exigences de la soumission des informations
de l’état de la technique18. Le Bureau des brevets propose de modifier
18. « Révision de la matérialité de la norme de brevetabilité pour l’obligation de
divulguer l’information au cours de la demande de brevet », Federal Register,
vol. 76, no 140, pages 43631-4), juillet 21, 2011, Lois proposées.
La décision Therasence
813
la norme de la matérialité par le devoir de révéler les informations
dans la demande de brevet et dans les réexamens selon les articles
1.56(b) et 1.555(b) à lire dans cet extrait :
(b) l’information est considérée comme étant matérielle pour la
brevetabilité si elle l’est selon le standard mis en place par la
décision Therasense, Inc. c. Becton, Dickinson and Co., F.3d
(Fed. Cir. 2011). L’information est jugée matérielle pour la brevetabilité selon Therasense si : (1) Le Bureau des brevets ne
trouve pas une revendication brevetable après avoir été au
courant de l’information, appliquant les critères de la prépondérance de probabilité et donnant à la revendication une
construction la plus raisonnable possible ; ou (2) le breveté
adopte devant le Bureau des brevets une conduite active d’une
extrême mauvaise foi concernant les informations.19
De plus, le Bureau des brevets a expliqué que :
Alors que les demandeurs doivent éviter de formuler des revendications qui soient non brevetables en vue des données antérieures qu’elles dévoilent, le Bureau des brevets ne considèrera
pas ces divulgations d’informations comme des admissions de
non-brevetabilité dans les revendications de la demande de
brevet. Voir le § 1.97(h). De plus, il n’y a pas d’obligation, selon
le § 1.56, de soumettre une information qui n’est pas matérielle
au sens du standard « sine qua non » articulée dans la décision
Therasense et du § 1.56(b).20
5. Conclusion
La Cour dans Therasense a très vraisemblablement21 souhaité
mettre un frein à l’obligation imposée par les pratiques antérieures.
Le problème naît parce que la Cour a dépouillé la portée de la
conduite inéquitable : en rendant plus difficile de plaider et de
prouver une affaire de conduite inéquitable en général, le problème
sous-jacent de la conduite inéquitable en lui-même (mais aussi comment le détecter et le dissuader) reste en suspens. Un recours plus
focalisé, comme par exemple imposer des sanctions pour les accusations injustifiées de conduite inéquitable, va plus convenablement
résoudre les problèmes de l’abus de la défense de conduite inéquitable, sans fournir une immunité aux malfaiteurs.
19. Ibid., à 43 634.
20. Ibid., à 43 633.
21. Therasense, 2011 WL 2028255 à *11.
814
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En mettant un frein aux allégations de conduite inéquitable, la
CAFC pourrait réellement devenir la victime de conséquences inattendues : un standard libéralisé de divulgation devrait encourager
les détenteurs de brevets, se fiant sur la présomption de validité, à
être toujours prêts à faire valoir ces brevets invalides. Cela pourrait
changer le cœur des litiges relatifs aux brevets, sans réduire (et
peut-être augmenter) la charge de travail globale du système judiciaire.
La CAFC ne devrait pas remodeler le régime de la conduite inéquitable comme si c’était un « nez de cire », en le tordant pour parvenir à sa propre conception aux fins de réduire le nombre de cas de
conduite inéquitable qui est maintenant trop important (selon la
CAFC)22. La Cour ne pourrait agir de même ni pour le « caractère
inventif » ni pour l’objet du brevet, ou comme d’autres conceptions
similaires (comme la Cour suprême l’a déjà démontré dans ses
décisions KSR23 et Bilski)24. La Cour suprême a établi, il y a longtemps, que les demandeurs qui ont des demandes en suspens devant
l’USPTO, ont une « obligation absolue de lui signaler tous les faits
concernant une fraude potentielle ou une conduite inéquitable », aux
demandes de brevets en cours25. Cette obligation absolue ne doit pas
être altérée, même légèrement, par une Cour d’appel.
22. White c. Dumbar, 119 U.S. 47, 51 (1886) interdit de traiter une demande de brevet « comme un nez de cire qui peut être tordu et tiré de droite à gauche, en se
référant simplement à la signification, pour ainsi inclure quelque chose de plus,
ou quelque chose de différent, que ses mots expriment. [...] La revendication du
brevet relève d’une obligation légale, prescrite pour que le breveté définisse exactement ce qu’est son invention ; et c’est injuste pour le public, comme le serait
une fraude à la loi, d’interpréter, de manière différente, l’apport évident de ses
termes ».
23. KSR Int’l CO. c. Teleflex, Inc., 127 S Ct. 1727 (2007).
24. Supra, note 1.
25. Precision Instrument Mfg. Co. c. Automotive Maintenance Machinery Co., 324
U.S. 806, 818 (1945).
Capsule
Le traité de Beijing
Un instrument important pour les
artistes-interprètes du secteur audiovisuel
Mikael Waldorff*
1. Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 817
2. Droits accordés par le Traité de Beijing . . . . . . . . . . . 819
3. Article 12 : Transfert de droits . . . . . . . . . . . . . . . . 821
4. Qu’arrivera-t-il maintenant ?. . . . . . . . . . . . . . . . . 822
© Mikael Waldorff , 2013.
* Vice-Président de la FIA, conseiller senior de l’Association des acteurs danois et de
Filmex (société de gestion collective pour les prestations audiovisuelles).
815
En juin 2012 le Traité sur les interprétations et exécutions
audiovisuelles de l’OMPI a été adopté à Beijing par les 185 États
membres de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.
Ce traité transmet un signal clair à la communauté mondiale qu’un
terme doit être mis à 50 années de discrimination envers les acteurs.
1. CONTEXTE
De manière prévisible, les travaux devant mener à la protection internationale des interprètes du secteur audiovisuel ont été
caractérisés par un désaccord entre les producteurs de films et de
télévision d’une part et les acteurs et leurs organisations d’autre
part.
En 1961, la Convention de Rome a introduit une protection
pour les artistes-interprètes, mais ce traité pourrait seulement être
adopté moyennant l’inclusion d’un article à l’effet qu’une fois qu’un
interprète a consenti à l’incorporation de sa prestation dans une fixation visuelle ou audiovisuelle, tous les droits acquis selon ce traité
cesseraient de s’appliquer. Les gouvernements n’avaient pas envisagé les menaces que les nouvelles technologiques feraient peser à
l’endroit des productions audiovisuelles et ont cédé aux demandes de
l’industrie cinématographique, leur procurant une assurance légale.
Pendant les trois décennies suivantes, la FIA (Fédération
Internationale des Acteurs) tâchait d’attirer l’attention sur le manque de protection des artistes-interprètes du secteur de l’audiovisuel. Finalement, au début des années 1990, des circonstances
favorables se présentèrent. La FIA, la FIM (Fédération Internationale des Musiciens) et l’industrie du phonogramme ont souligné le
besoin de protection dans le nouvel environnement numérique et le
lancement du World Wide Web, en 1993, a mis en évidence que les
droits de propriété intellectuelle faisaient face à un nouveau défi.
Ceci devait mener à la convocation d’une Conférence Diplomatique en 1996.
817
818
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La conférence devait, elle, mener à l’adoption de deux traités :
un pour les auteurs et un pour les interprètes.
Encore une fois, les producteurs de films ont insisté afin que les
interprètes des productions audiovisuelles ne bénéficient pas de
droits et ce, bien que les compagnies de film les plus importantes
conviennent de conditions contractuelles permettant aux interprètes
de bénéficier des revenus des productions. L’industrie cinématographique et le gouvernement américain ont insisté pour que le traité
inclue une disposition obligeant les parties contractantes à inclure
dans leur loi nationale une présomption de transfert des droits de
l’artiste-interprète au producteur. Bien évidemment, cela n’était
guère acceptable pour la FIA ainsi que pour la plupart des gouvernements. Cependant, puisque le consensus est exigé à l’OMPI, le traité
ne pouvait finalement couvrir que les prestations des phonogrammes. Les auteurs et les artistes interprètes du secteur de l’enregistrement sonore ont obtenu la protection dans l’environnement Internet, alors que les acteurs ne l’ont pas eue.
Les États membres de l’OMPI étaient évidemment mécontents
de devoir, encore une fois, laisser tomber les artistes-interprètes du
secteur audiovisuel. Il s’ensuivit donc l’adoption d’une Résolution
relative aux prestations audio-visuelles reconnaissant l’importance
d’une protection adéquate desdites prestations et tablant sur la
tenue d’une session extraordinaire dans les trois mois.
Après ceci, un certain nombre de sessions extraordinaires aussi
bien qu’ordinaires eurent lieu sans aboutir à quelque conclusion que
ce soit jusqu’à l’année 2000, où une nouvelle Conférence Diplomatique était convoquée. Malgré moult préparatifs, la question principale demeura la même : l’industrie audiovisuelle et le gouvernement
états-unien exigeaient une présomption obligatoire de transfert des
droits. Un certain nombre de propositions ont été présentées pour
arriver à un compromis, mais l’article 12 – tristement célèbre –
demeurait un obstacle incontournable. Les organisations d’artistesinterprètes, l’Union Européenne (UE) et d’autres gouvernements
refusèrent d’adopter un traité qui enlevait des droits aux interprètes
alors qu’il devait leur en accorder ; 19 articles ont été approuvés,
mais l’article portant sur le transfert a signé l’échec de la Conférence.
Il y avait toujours du travail à faire. La solution portant sur
l’article 12 a été élaborée par un cercle plutôt restreint et devait être
acceptée par la majorité des États membres. De plus, l’ordre du jour
de l’OMPI avait changé depuis la Conférence 2000 et focalisait désor-
Le traité de Beijing
819
mais sur le programme du Développement. Cette question relative à
l’accès à la culture et à l’information dans les pays en développement
soulevait des débats quant aux exceptions et limitations des droits
d’auteur ainsi que des discussions relatives aux mesures de protection technologiques.
Ces questions n’étaient toujours pas résolues quand la Conférence Diplomatique a été convoquée à Beijing et ceci a suscité
d’autres préoccupations en lien avec le Traité dans certains
pays. Quoique les négociations soient une matière propre aux États
membres, la présence des organisations d’artistes-interprètes : FIA,
AEPO-ARTIS (l’organisation regroupant les sociétés de gestion collective européennes) et, non la moindre, la société espagnole AISGE,
a semblé utile pour convaincre des pays de différents continents que
semblables préoccupations ne devraient pas bloquer la voie à un
traité.
Finalement, le 26 juin 2012, le Traité a été adopté, après deux
décennies de discussions et des déceptions. Le fait que le consensus
soit exigé signifie que le Traité n’est pas aussi parfait que les artistes-interprètes l’auraient souhaité, mais il s’agit néanmoins d’un
gigantesque pas vers l’avant.
2. DROITS ACCORDÉS PAR LE TRAITÉ DE BEIJING
Le principe fondateur de la protection des droits de propriété
intellectuelle est de procurer aux créateurs des outils pour obtenir
une part équitable du revenu provenant de l’utilisation de leurs
œuvres et prestations. Dans les pays où une telle protection existe,
les producteurs et les éditeurs doivent négocier les conditions d’utilisation, ce qui donne aux artistes l’occasion de négocier, individuellement ou collectivement, des conditions d’utilisation leur garantissant un revenu.
Le Traité de Beijing, pris dans son ensemble, octroie des droits
aux artistes-interprètes audiovisuels semblables à ceux accordés
aux auteurs dans les traités internationaux. Ces droits sont tant
moraux qu’économiques.
Les droits moraux incluent deux éléments : le droit à être identifié comme interprète et le droit de s’opposer à toute altération,
mutilation, ou autre modification de sa prestation qui serait préjudiciable à sa réputation. Contrairement aux droits économiques, les
droits moraux ne peuvent pas être cédés au producteur.
820
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le droit à être mentionné en tant qu’interprète est, bien sûr,
important pour la carrière individuelle de l’artiste-interprète et
l’approbation de ce droit, au niveau international, peut résoudre des
problèmes dans de nombreux pays. Le droit de s’opposer à toutes utilisations préjudiciables de sa prestation est devenu extrêmement
important dans l’environnement numérique puisque la technologie
rend facile la manipulation d’une prestation et la distribution de la
prestation modifiée sur Internet. Ce point a été fondamental pour la
Guilde des Acteurs de cinéma (SAG – Screen Actors Guild) car, à
ce jour, les interprètes états-uniens devaient compter uniquement
sur le bon vouloir des producteurs pour s’opposer à de telles manipulations de leurs prestations. Puisque ce nouveau droit ne peut être
transféré, les artistes-interprètes des États-Unis pourront entreprendre des poursuites judiciaires, indépendamment du producteur.
Les droits économiques conférés par le Traité consistent en un
certain nombre de droits spécifiques et sont les droits nécessaires
pour l’utilisation d’une production audiovisuelle.
La Convention de Rome avait donné à l’artiste-interprète le
droit de fixation, qui lui permet de s’opposer à l’enregistrement
de toute prestation. Cependant, ce traité n’est pas ratifié par tous
les pays, ce qui peut occasionner des problèmes pour les artistesinterprètes. Un exemple pourrait être l’enregistrement non autorisé
d’une prestation au théâtre, qui serait distribuée sur Internet.
Le droit de reproduction est le droit de contrôler les copies d’un
enregistrement, qu’elles soient tangibles ou sous forme de copies
numériques à télécharger. Avec le droit de distribution, qui concerne
seulement les copies tangibles, ces droits sont nécessaires pour la
vente de DVDs ou la reproduction aux fins de radiodiffusion et ils
permettent aux interprètes de négocier une part des revenus générés
pour de telles utilisations. Il en va de même pour le droit de location.
Contrairement aux droits mentionnés ci-dessus, le droit de
mise à disposition est un nouveau droit dans la législation internationale sur le droit d’auteur. Ce droit a été introduit en 1996, par les
Traités Internet, destinés aux auteurs et aux artistes-interprètes de
phonogrammes et il a pour but de fournir une protection dans
l’environnement Internet. Ce droit donne à l’interprète le droit d’autoriser ou d’interdire l’utilisation d’une prestation par la mise à la
disposition du public à la demande et permet ainsi aux artistesinterprètes de négocier une rétribution pour toute distribution
Le traité de Beijing
821
numérique sur Internet, que ce soit par téléchargement ou webdiffusion.
Finalement, on accorde aux artistes-interprètes audiovisuels
un droit de radiodiffusion et de communication au public. En réalité,
peu de pays incluent ce droit dans leur législation sur le droit
d’auteur et il va au-delà de la protection offerte aux prestations phonographiques, qui sont assujetties aux licences obligatoires. Pour les
mêmes raisons, le Traité permet aux parties contractantes d’émettre
des réserves pour limiter ce droit. Ceci pourrait être en limitant le
droit à certaines utilisations, ou d’autres façons, ou en ne mettant
pas du tout en œuvre ce droit. Évidemment, les organisations d’artistes-interprètes doivent œuvrer pour la meilleure mise en œuvre possible.
3. ARTICLE 12 : TRANSFERT DE DROITS
Malgré quelques imperfections, les droits mentionnés ci-dessus
sont un grand accomplissement pour les artistes-interprètes. Cependant, la mise en œuvre par les parties contractantes sera décisive
pour la valeur que pourront en tirer les artistes-interprètes et, à cet
égard, la question du transfert des droits sera d’une importance
capitale.
Le principal paragraphe de l’article 12 mentionne ce dont un
gouvernement pourrait finalement convenir : légiférer sur les transferts sera laissé aux soins des parties. Une partie contractante
pourra prévoir, dans sa loi nationale, qu’une fois qu’un artiste-interprète a autorisé que l’on fixe sa prestation, les droits exclusifs seront
la propriété de, ou seront exercés par, ou seront transférés au producteur, sous réserve de toutes stipulations contraires. Cela signifie
que le système des États-Unis, où les droits sont dévolus au producteur, peut rester inchangé. De même, l’on pourrait supposer que les
pays accordant des droits exclusifs sans aucune présomption de
transfert n’intégreront pas de telles dispositions.
La question est de savoir comment les pays qui intégreront des
droits exclusifs conformément au Traité vont s’occuper de la question du transfert de droits. Une présomption de transfert affaiblira
invariablement les artistes interprètes et il semble vraisemblable
qu’un nombre important de pays adopteront cette position. À cet
égard, un autre paragraphe de l’article 12 est très important. Il est à
l’effet qu’indépendamment du transfert de droits, les lois nationales
ou les conventions collectives peuvent permettre à l’artiste inter-
822
Les Cahiers de propriété intellectuelle
prète de percevoir des redevances ou de la rémunération équitable
pour toute utilisation de la prestation. Cette disposition a été élaborée pendant des consultations entre des gouvernements clés, des
producteurs et les organisations d’artistes-interprètes, FIA, FIM et
AEPO-ARTIS, en juin 2011. L’on doit considérer ceci comme une
concession très importante envers les artistes-interprètes. Elle permet l’introduction d’un système de rémunération, qui pourrait être
la seule (ou la meilleure) façon de bénéficier des nouveaux droits.
4. QU’ARRIVERA-T-IL MAINTENANT ?
Même s’il est très important pour les acteurs d’avoir la protection conférée par le droit d’auteur à l’échelle internationale, le Traité
en soi ne change rien. Un processus long et difficile est en aval.
Tout d’abord, le Traité n’entrera pas en vigueur avant qu’il n’ait
été ratifié par 30 États membres de l’OMPI, ce qui pourrait prendre
quelques années. Les syndicats et les sociétés de gestion d’artistesinterprètes feront de leur mieux pour encourager les gouvernements
à procéder rapidement à une ratification mais un certain nombre de
difficultés devront être abordées. À titre d’exemple, l’Union européenne, qui pourrait permettre 27 ratifications, devra s’entendre sur
le droit de radiodiffusion et de communication au public. Ce droit
n’est toujours pas harmonisé dans la législation de droit d’auteur de
l’Union européenne et les États membres de l’Union européenne ont
des réglementations variées en la matière (certains ayant des droits
exclusifs tandis que d’autres ont des droits à rémunération).
La question de la présomption de transfert de droits (l’article 12
dans le Traité) divise également les pays de l’Union européenne. Certains n’ont pas de telle présomption (sauf en ce qui a trait au droit de
location harmonisé), tandis que d’autres ont des présomptions légales sur tous les droits audiovisuels. Dans d’autres parties du monde,
des préoccupations semblables existeront et, en outre, quelques pays
hésiteront à ratifier le traité en raison de l’incertitude relative à la
clause de Traitement national ou parce que les gouvernements sont
fortement influencés par les intérêts des producteurs.
À proprement parler, un autre problème est que certains
gouvernements n’ont aucune expérience en matière de protection
de la propriété intellectuelle. À la session finale de la Conférence
Diplomatique, quelques délégués ont exprimé l’opinion que le Traité
serait un outil important dans le combat contre la piraterie, un problème que le Traité n’aborde pas ; il semble donc évident que des
Le traité de Beijing
823
conseils quant au Traité sont nécessaires. L’OMPI, qui a joué un
rôle très important dans l’élaboration du Traité, devrait offrir de
l’aide aux gouvernements et aux organisations d’artistes-interprètes
quant à l’intention, le contenu et la mise en œuvre possible du Traité.
L’adoption par consensus à Beijing exprime la vue de la communauté
mondiale : les artistes-interprètes audiovisuels ont besoin de protection pour promouvoir une production culturelle durable et diversifiée et, par conséquent, le Traité devrait être ratifié et mis en
œuvre pour parvenir à cette fin.
Une fois le Traité ratifié, la prochaine étape sera la mise en
œuvre dans la législation nationale. Bien que l’existence du Traité et
la reconnaissance internationale des droits des artistes-interprètes
audiovisuels exercent une pression sur les gouvernements, le processus est complexe puisque la simple acceptation de la formulation
dans le Traité ne garantira pas en soi que les artistes-interprètes
profiteront de cette nouvelle protection internationale. L’expérience
démontre que même une protection complète ne saura bénéficier
aux artistes-interprètes si elle n’est pas accompagnée d’une infrastructure suffisante mise en place. Dans nombre de pays de l’Union
européenne, des artistes-interprètes audiovisuels ne reçoivent qu’un
paiement unique pour leur participation dans des films ou des productions de télévision, compte tenu du fait que leurs droits exclusifs
sont transférés au producteur par une présomption légale ou en raison du faible pouvoir individuel de négociation de l’artiste-interprète
pour la conclusion du contrat.
Par conséquent, les artistes-interprètes de chaque pays doivent
réfléchir à la meilleure solution possible, en prenant en considération les relations avec les producteurs et les diffuseurs (leur volonté
de négocier, la force des syndicats, la solidarité entre les artistesinterprètes et aussi la force économique de l’industrie), aussi bien
que l’intérêt potentiel d’un gouvernement à soutenir un environnement culturel durable. De tels éléments doivent être analysés avant
de recommander un mode spécifique de mise en œuvre nationale du
Traité.
Dans un grand nombre de pays, principalement dans ceux
d’expression anglaise et dans la zone de l’Europe du Nord, il sera plutôt simple de mettre en œuvre les droits exclusifs, puisqu’une longue
tradition de négociation collective existe. Dans ces pays, des syndicats forts existent et sauront comment tirer avantage des droits
exclusifs, au bénéfice des membres. Mais même dans ces pays, il
pourrait être digne d’intérêt de considérer l’introduction de droits à
824
Les Cahiers de propriété intellectuelle
rémunération dans certaines sphères. À titre d’exemple, les membres européens de la FIA ont décidé de soutenir l’introduction d’un
droit à rémunération équitable pour l’utilisation en ligne transfrontalière des prestations audiovisuelles.
Cependant, presque partout dans le monde, les syndicats d’artistes-interprètes sont soit faibles ou ils doivent faire face à des producteurs hostiles (voire les deux) et ils éprouveront des difficultés à
créer un climat propice de négociation qui pourrait mener à des bénéfices pour les artistes-interprètes. Dans de tels cas, il peut être préférable de chercher à introduire des systèmes de rémunération basés
sur des licences légales. Plusieurs de ces pays connaissent le système
de rémunération équitable pour la radiodiffusion et la communication au public de phonogrammes, lequel prive l’artiste-interprète du
droit d’autoriser ou d’interdire l’utilisation tout en forçant les utilisateurs à payer des redevances pour l’utilisation qu’ils font des phonogrammes. Il pourrait être plus facile de convaincre les gouvernements d’étendre de tels systèmes au secteur de l’audiovisuel, que
d’établir un environnement favorable à la négociation collective.
Finalement, dans quelques pays, il n’existe aucune protection
ni aucun savoir en matière de gestion des droits des artistesinterprètes. Les artistes-interprètes des pays en question auront
grand besoin de l’aide de la communauté internationale.
Tandis que l’OMPI peut être utile dans une optique de compréhension du Traité et des façons de le mettre en œuvre dans la législation nationale, le combat principal est laissé à d’autres parties :
établir des accords permettant aux acteurs et aux autres artistes-interprètes de recevoir une rémunération récurrente pour l’utilisation de leur prestation sera l’affaire des organisations internationales d’artistes-interprètes, plus particulièrement de la FIA et
d’AEPO-ARTIS, la première étant expérimentée dans la négociation
d’ententes collectives alors que la seconde est versée en matière de
gestion de la rémunération équitable.
Puisque les ententes collectives sont essentielles dans la gestion des droits exclusifs des artistes-interprètes du secteur audiovisuel, l’Organisation internationale du travail devrait également
considérer comme un de ses devoirs d’offrir de l’aide aux artistesinterprètes du monde entier afin de contribuer à la concrétisation de
la vision de la communauté mondiale : permettre finalement aux
artistes-interprètes de tirer profit de leur contribution à la création
de la culture mondiale.
Compte rendu
La propriété intellectuelle :
évolution historique et
philosophique*
Georges Azzaria**
Trop peu d’auteurs s’aventurent en archéologue sur le terrain
des fondements de la propriété intellectuelle et la raison en est fort
simple : il faut une dose impressionnante d’érudition pour analyser
les origines et l’évolution du droit lié à la protection des créations et
des inventions. Avocate, docteure en philosophie et professeure à
l’Université libre de Bruxelles, Mireille Buydens a rédigé l’ouvrage
qui manquait à la littérature francophone en propriété intellectuelle. Après Bernard Edelman qui, avec Le sacre de l’auteur publié
en 2004, jetait un premier éclairage sur le concept d’auteur, cet exercice laborieux est mené avec une habileté remarquable dans La propriété intellectuelle : évolution historique et philosophique.
La propriété intellectuelle s’est échafaudée sur plusieurs siècles, au gré des hésitations sur sa nature et ses justifications. L’un
des intérêts de l’ouvrage est de démontrer comment cette construction a cherché ses repères et comment, pour y parvenir, le destin de
la propriété intellectuelle s’est retrouvé intimement lié avec d’autres
institutions juridiques. En exposant les fondements et l’histoire de la
propriété intellectuelle, Mireille Buydens nous offre aussi une lecture du droit de la propriété et du droit du travail.
© Georges Azzaria, 2013.
* BUYDENS (Mireille), La propriété intellectuelle : évolution historique et philosophique, (Bruxelles : Bruylant, 2012), 490 pages. ISBN 978-2-8027-3586-1.
** Professeur, vice-doyen aux études supérieures et à la recherche à la Faculté de
droit de l’Université Laval.
825
826
Les Cahiers de propriété intellectuelle
L’ouvrage propose un découpage temporel en cinq chapitres.
Les trois premiers couvrent l’Antiquité au XVe siècle et présentent
l’essor de deux éléments essentiels à la consécration de la propriété
intellectuelle : la reconnaissance sociale de l’individu comme auteur
ou inventeur d’une part et, d’autre part, l’intégration par le droit
d’une forme de propriété immatérielle. On constate combien le chemin a été tortueux.
En Grèce, l’artisan est perçu comme un être servile, soumis à
autrui de qui il dépend pour vivre et qui, de plus, se vend lui-même
lorsqu’il vend son travail. Le titre d’auteur lui échappe d’autant plus
que, pour les Grecs, l’auteur véritable c’est la Muse, ce sont les
Dieux. Dès lors, une personne ne peut prétendre au titre d’auteur.
À Rome, les activités créatrices ou inventives qui sont trop en rupture avec l’évolution des techniques ne sont pas valorisées : on
remarque, dit Buydens, une « profonde défiance par rapport à l’idée
même d’innovation » (p. 38). Mais naissent pourtant à Rome quelques fondements qui intéressent la propriété intellectuelle. D’abord,
le principe selon lequel l’écriture ne se réduit pas à la manifestation d’une puissance divine exprimée à travers un individu, ce dernier pouvant être un créateur. Cicéron aurait d’ailleurs, le premier,
revendiqué une sorte de droit de divulgation sur une œuvre. Durant
cette période, Martial s’insurge contre les plagiaires, traitant ceux-ci
de voleurs d’enfants, forgeant du coup la conception que l’œuvre est
en quelque sorte le prolongement de l’auteur. Sénèque pose quant à
lui les jalons de ce qui sera, plusieurs siècles plus tard, un fondement
de la propriété intellectuelle : la distinction entre le droit de l’auteur
sur une œuvre et la propriété du support de l’œuvre. C’est également
à Rome que se trouve discuté le précepte voulant qu’une idée ne
puisse faire l’objet d’une appropriation. Ces divers repères de la propriété intellectuelle ne trouvent pas encore refuge dans le droit, mais
amorcent sa longue gestation.
La reconnaissance juridique de l’inventeur et de l’auteur passe
par l’Antiquité chrétienne et le Moyen Âge, alors qu’apparaît la possibilité pour plus d’une personne d’être propriétaire, sous des usages
divers, d’une même chose. La propriété est ainsi pensée comme un
usage et cette réflexion inaugure, selon Buydens, l’idée d’appropriations distinctes. Le Moyen Âge prescrit toutefois l’anonymat aux
créateurs : les avancées faites à Rome quant au statut de l’auteur ne
seront pas reprises et, comme chez les Grecs, l’auteur se présente
comme le relais d’une volonté divine, « l’auteur est donc avant tout
celui qui transmet » (p. 90). Mais le Moyen Âge valorise le travail et,
par ce biais, ouvre la voie à l’acquisition de la propriété par le travail,
Propriété intellectuelle : évolution historique et philosophique
827
un postulat qui sera éventuellement repris pour justifier les droits
de propriété intellectuelle.
Dès la fin du XIVe siècle apparaissent les premiers privilèges
qui donnent à l’inventeur une exclusivité de posséder ou d’utiliser
son invention. Venise, tout comme plusieurs autres villes d’Europe,
aura recours aux privilèges, le plus souvent pour des inventions qui
sont importées sur le territoire, notamment pour la canalisation de
l’eau ou pour des moulins à vent. Le privilège accordé à Florence en
1421 à un certain Brunelleschi pour la construction d’un nouveau
type de bateau serait un présage du droit des brevets : un privilège
lui est en effet consenti pour l’encourager à proposer d’autres inventions et on estime que sa divulgation profitera éventuellement au
public.
Le quatrième chapitre nous mène au cœur d’un moment juridique fondateur de la propriété intellectuelle en occident : la Parte
Venetiana de 1474. Buydens relate les confrontations d’idées qui ont
ponctué la reconnaissance des auteurs et des inventeurs.
Pour que la propriété intellectuelle telle que nous la connaissons aujourd’hui soit véritablement en place, il faut que l’individualité du créateur soit consacrée. Des traces de cette reconnaissance se
retrouvaient déjà à Rome et refont surface au Moyen Âge sous la
plume d’Abélard, qui valorise l’individu comme auteur. La période
qui débute au XVe siècle donnera l’essor à ce fondement. C’est à travers la querelle du maniérisme en peinture que s’impose l’idée
qu’une œuvre est l’expression de la personnalité d’un auteur. Le philosophe Hobbes théorise, de son côté, le principe voulant qu’une
personne devienne propriétaire lorsqu’elle découvre quelque chose
ou qu’elle prend possession d’un bien non approprié. L’arrivée de
l’imprimerie accéléra cette réflexion même si, comme le démontre
Buydens, les copistes du XVe siècle étaient déjà d’une redoutable
efficacité.
Sur le plan philosophique, afin de justifier la propriété intellectuelle, il est nécessaire que soit admis le principe de la propriété sur
les fruits de son travail. Avec Locke, se trouve légitimée l’idée que
chacun, à titre de propriétaire de sa personne, peut être propriétaire
des fruits générés par son travail. L’acte de création donne un droit
de propriété sur l’objet créé ainsi qu’un droit sur l’usage de cet objet.
827
828
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La Parte Venetiana instaure la matrice des législations actuelles en matière de brevets, avec le principe de la protection pendant
10 ans d’une invention technique nouvelle, ingénieuse et utile et, de
plus, elle prévoit même une forme de licence obligatoire. En Angleterre, en matière d’invention, les privilèges apparaissent vers le
milieu du XVIe siècle et ils fleurissent jusqu’à ce que l’affaire du Case
of Monopolies en balise les contours et que le Statute of Monopolies
de 1624 énonce des critères plus objectifs. Les privilèges d’édition
seront aussi accordés en Angleterre à partir du XVIe siècle et, en
1557, on accorde un privilège général d’édition à la Stationers Company, qui prend alors le contrôle de l’édition. La France est au cœur
des mêmes débats et fonctionne également sur le modèle des privilèges dès le XVIe siècle pour les inventions, de même que pour les
œuvres littéraires et artistiques. Ces diverses avancées législatives
participent à la construction de la propriété intellectuelle, mais ce
qui est en germe depuis l’Antiquité n’est pas encore tout à fait abouti.
C’est au cinquième et dernier chapitre, lequel forme près de la
moitié de l’ouvrage, qu’est proposée une vaste synthèse du développement moderne de la propriété intellectuelle et de son destin actuel.
Le XVIIIe siècle met en œuvre l’appropriation de la création : « en un
temps où l’essentiel des terres a été conquis, inclure et enclore les
objets abstraits dans le domaine privé est la seule voie d’extension
majeure de l’appropriation » (p. 258). Buydens présente les cinq principales justifications qui ont été fournies pour octroyer une propriété
sur une création ou une invention : la justification par le travail (un
droit sur les fruits de son travail), la justification contractualiste (un
contrat entre l’auteur et le public), la théorie de l’occupation (la propriété revient à la première personne qui a matérialisé une œuvre ou
une invention), la thèse personnaliste (l’œuvre est l’émanation de la
personne) et l’utilitarisme (l’octroi d’un droit de propriété constitue
un incitatif à la création). À travers l’exposé de ces justifications et de
leurs critiques, l’ouvrage retrace quelques procès ayant marqué
l’histoire de la propriété intellectuelle tout en soulignant les débats
qui ont eu cours lors de l’adoption du Statute of Anne en 1710.
Mireille Buydens montre ensuite comment, à la suite de l’adoption de la Convention de Paris en 1883 et de la Convention de Berne
en 1886, de nombreux autres instruments internationaux sont venus
étendre les droits de propriété intellectuelle. Cet apogée de la protection des créations et des inventions essuie toutefois d’importantes
attaques à la fin du XXe siècle : d’une part, les arguments justifiant l’octroi des droits, notamment l’utilitarisme, sont relativisés et,
d’autre part, certains estiment que la propriété intellectuelle nuit à
Propriété intellectuelle : évolution historique et philosophique
829
l’accès à l’information, à la culture et aux médicaments, en plus de
cautionner l’appropriation de savoirs traditionnels. Buydens rapporte aussi les critiques de ceux qui considèrent que les profits de la
propriété intellectuelle sont souvent éloignés des créateurs et des
inventeurs, pour se concentrer dans les mains des entrepreneurs.
L’ouvrage se conclut en discutant de trois orientations prospectives : i) l’abolition de la propriété intellectuelle ou, dans une forme
moins radicale, sa mutation en octroi de prix ou en licences obligatoires, ii) la perversion de la propriété intellectuelle avec le mouvement
des logiciels libres et des creative commons que l’on retrouve dans le
domaine des publications scientifiques et dans les patents pools et
iii) la réforme de la propriété intellectuelle, qui passerait notamment
par sa requalification comme un privilège qui doit aussi servir
l’intérêt général, par un resserrement de la notion d’originalité et
par une réduction de la durée des droits.
Dans cet ouvrage exigeant, Mireille Buydens va aux sources et
raconte des histoires : celle de la philosophie, celle de l’art, celle des
innovations, celle des transformations sociales et, en même temps,
celle du droit. Avec rigueur et détails on démontre comment la propriété intellectuelle est née et a pris son envol dans la controverse
et le doute. Elle rassemble, au sein d’une même démonstration, la
problématique de l’appropriation des créations produites par les
auteurs et les inventeurs. Comme l’indique D.W. Feer Verkade dans
sa préface de l’ouvrage, il est salutaire que la propriété intellectuelle soit abordée autrement que par un exposé du droit positif.
Une meilleure compréhension des fondements et de l’histoire de la
propriété intellectuelle procure une vue d’ensemble permettant de
mieux appréhender ses transformations actuelles. La somme d’idées
et la synthèse magistrale des concepts font que cet ouvrage a désormais sa place sur la table de chevet de quiconque veut reculer d’un
pas et comprendre le parcours sinueux et encore incertain de la
propriété intellectuelle.
Compte rendu
Digital Consumers and the
Law Towards a Cohesive
European Framework*
Ghislain Roussel**
Digital Consumers and the Law – Towards a Cohesive European Framework est un ouvrage collectif de l’Institute for Information Law de l’Université d’Amsterdam et il constitue le titre 28
de l’Information Law Series sous la direction de Lucie Guibault,
membre du comité éditorial international des Cahiers de propriété
intellectuelle. L’ouvrage résulte de la collaboration étroite d’une
équipe multidisciplinaire de divers horizons (droits des contrats, de
la consommation, des médias, de la propriété intellectuelle, des technologies de l’information, des chartes et droits fondamentaux, etc.)
de deux centres de recherche (Centre pour le droit européen des
contrats (CSECL) et Institute for Information Law). L’équipe était
composée de Natali Helberger, Lucie Guibault, Lodewijk Pessers,
Marco B. M. Loos, Chantal Mark et Bart van der Sloot et elle était
appuyée par des collaborateurs de dix États membres de l’Union
européenne et d’un des États-Unis d’Amérique.
L’ouvrage analyse dans tous ses aspects le droit des contrats et
le droit de la consommation dans l’environnement numérique au
regard du consommateur qui acquiert non plus des biens tangibles,
mais des biens intangibles en ligne, à savoir des « biens numériques »
© Ghislain Roussel, 2103.
* Natali Helberger, Lucie Guibault, Marco Loos, Chantal Mak, Lodewijk Pessers,
Bart van der Sloot, Lucie Guibault, éd., Institute for Information Law, Information
Law Series no 28, (Wolters Kluwer, Alphen aan den Rijn, 2012), 284 pages, ISBN :
978-90-411-4049-4.
** Avocat et président des Cahiers de propriété intellectuelle inc.
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Les Cahiers de propriété intellectuelle
avec ou sans support matériel, et ce, de diverses manières et sous
diverses formes dont des licences de propriété intellectuelle (podcasts, steamings, MP3, etc.). Est-ce que les directives européennes et
le droit des États membres de l’Union européenne sur les contrats et
la vente, conçus dans un environnement analogique et de « tangibilité » sont adaptés à l’environnement numérique ? Est-ce que le droit
existant respecte les droits de ce nouveau genre de consommateurs
(ci-après « consommateur numérique ») au regard non seulement du
droit national et du droit communautaire des contrats et de la
consommation, mais également des droits de la concurrence, des
médias, de la propriété intellectuelle, des technologies de l’information, de la vie privée, etc. ?
Les marchés changent, ainsi que les modes de distribution
et les conditions d’acquisition et d’accès des biens. De nouveaux
joueurs, qui fixent les règles du commerce, interviennent et le consommateur numérique n’est pas nécessairement en lien direct avec
ces nouveaux joueurs, tout cela dans un environnement juridique
conventionnel du droit des contrats et de la consommation. Une
interaction se manifeste entre le consommateur numérique et le
fournisseur de biens ou de services. Une incertitude ou une insécurité juridique persiste face à l’application et à la conformité des
règles communautaires et nationales conventionnelles ou traditionnelles en matière de consommation.
Il y a une opposition entre le droit privé, notamment le droit des
contrats, le droit de la consommation et le droit de la propriété intellectuelle, face au droit public, dont le droit constitutionnel, les chartes et les droits fondamentaux, et l’intérêt public.
Doit-on adapter – est-il adaptable ou transposable – le droit
actuel à ce nouvel environnement, créer un droit nouveau avec une
nouvelle directive ou un règlement communautaire sur le sujet, etc. ?
L’ouvrage fait d’ailleurs une analyse approfondie des critères ou des
éléments à prendre en considération, ainsi que du projet de directive
de 2011, avec la controverse qu’il soulève au regard du droit européen communautaire des contrats.
L’ouvrage est composé de huit chapitres, la plupart étant rédigés par un auteur en équipe ou parfois en collaboration (chapitre 2)
portant respectivement sur :
• un portrait actuel du marché numérique et de son contenu
(recherches à jour au 1er février 2012) ;
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• la classification du contenu numérique ;
• le régime juridique du contenu numérique et le statut des « prosumers » (consommateur producteur professionnel de contenu) ;
• l’obligation précontractuelle d’information des entreprises à ces
nouveaux consommateurs de contenu numérique ;
• la conformité ou non du droit actuel au contenu numérique et à sa
consommation ;
• l’éducation du législateur face à ces nouveaux consommateurs ;
• le respect des droits fondamentaux des consommateurs « numériques » ;
• dont le respect de la vie privée.
Nous reviendrons de manière plus détaillée sur chacun de ces
chapitres.
L’ouvrage est complété par une très riche bibliographie de 44
pages et de diverses annexes, dont le projet de directive européen sur
les droits des consommateurs numériques (2011/83/UE).
Le chapitre 1 situe le consommateur de contenu numérique
dont la mise en marché, les caractéristiques et les défis sont nettement différents des biens dans l’environnement analogique ou des
biens tangibles ; le cadre juridique à prendre désormais en considération fait intervenir simultanément diverses législations, en outre
de l’intérêt public au regard du respect des droits fondamentaux et
de la vie privée de ce nouveau type de consommateur, car le concept
du consommateur numérique ou en ligne a des impacts également
sur le respect de ses droits fondamentaux et les impacts vont au-delà
des législations nationales et ils interpellent des directives européennes et des traités ou conventions à portée internationale. Les
conflits portent certes sur la notion de propriété du bien intangible
« acquis », mais aussi sur la propriété intellectuelle, notamment.
L’auteur de ce chapitre résume les attentes du consommateur
face à l’information disponible et à sa transparence, et à son titre de
propriété. Il existe une problématique réelle face aux règles existantes régissant ou encadrant les contrats de vente dans l’environnement numérique. Il ne semble d’ailleurs pas y avoir de standardisa-
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Les Cahiers de propriété intellectuelle
tion des règles applicables en matières contractuelles et du droit de
la consommation au regard des utilisations et des pratiques admises
et les attentes de ce nouveau consommateur ne semblent pas comblées. Trop d’incertitude persiste.
Les problèmes diagnostiqués par ordre d’importance en ce qui
concerne ce consommateur en ligne sont : i) l’accès au bien ou au service et ses contraintes, dont celles de nature légale et technique ; ii) le
choix et la diversité des biens offerts ; iii) les restrictions d’utilisation, dont les mesures de protection (« DRM ») ; iv) l’information disponible et la transparence de la part des entreprises qui fournissent
des biens et des services numériques ou en ligne ; v) le respect de la
vie privée au regard de la collecte et de la communication de données
personnelles ; vi) l’équité en matières contractuelles ; vii) la sécurité
de la transaction et du bien « acquis » (logiciels, bogues, virus, mesures techniques de protection, pourriels, etc. Nous le constatons très
rapidement : tout cela est d’actualité.
Le chapitre 2 se penche sur la classification du contenu numérique livré avec ou sans support tangible. Est-ce un bien, un service ?
Est-ce autre chose ? Ce contenu dispose-t-il ou devrait-il disposer de
ses propres règles ? Ne serait-il pas plutôt l’objet d’un contrat sui
generis ou d’une licence de propriété intellectuelle ? Il y a confrontation ou rencontre du droit de la consommation et du droit d’auteur
visant spécifiquement la gestion du contenu numérique, mais également du droit des technologies de l’information et du droit des
médias.
La qualification du contrat n’est certes pas simple selon l’existence d’un support ou non dans un premier temps dans la délivrance
du bien « acquis » en ligne. Il n’existe pas d’uniformité des règles et
des interprétations. Le droit traditionnel des contrats et de la consommation varie d’un État à l’autre et de nombreuses variantes prévalent. Une incertitude persiste. La protection du consommateur
numérique dépendra donc de la qualification du bien : droit des
contrats ou droit des consommateurs (existence d’un support, épuisement, propriété) ; régime sui generis ; licence de droit d’auteur
(aucun support, licence, utilisation licite, non-épuisement) ? Les
règles varieront donc selon la qualification nationale du bien et du
contrat.
L’auteur de ce chapitre conclut à l’extension des biens numériques aux droits des contrats, mais cela n’est pas si sûr. Une uniformisation des règles s’imposerait comme le projet de directive CESL,
Digital Consumers and the Law...
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avec prise en considération, en sus du droit des contrats et de la
consommation, des droits de la propriété intellectuelle, de la vie
privée, du commerce électronique, des médias, des télécommunications, avec concordance des principes et des règles de la même façon
que l’environnement classique de la consommation et de l’achat de
biens tangibles.
Le chapitre 3 traite du « prosumer », consommateur privé qualifié de professionnel et de « vendeur ». Les règles applicables à ce
consommateur, nouvel interlocuteur dans le réseau de distribution
des biens en ligne, ne sont pas claires et la recherche d’« accommodements » dans le contexte légal actuel n’est pas facile. Une liste de
critères souples (plan et importance des activités, leur échelle, l’intention du « prosumer », l’impression auprès des consommateurs,
l’apparence, la différenciation de l’échelle d’affaires au regard d’une
entreprise, etc.) est soumise afin de pouvoir instaurer un régime
légal stable face au statut de ce « prosumer ».
Le chapitre 4 aborde l’obligation du « vendeur » ou des divers
intervenants dans la chaîne de distribution au chapitre de leur obligation précontractuelle d’information et de transparence envers le
consommateur d’un contenu numérique. L’auteur de ce chapitre souligne l’écart entre l’information disponible et les attentes du consommateur et il identifie quelques problèmes. Il soumet divers critères
afin de fournir à ce consommateur une information conforme selon le
droit communautaire et les législations nationales, aspects portant
sur l’accès au contenu, sa qualité, sa fonctionnalité au regard des
mesures techniques de protection (« DMR », entre autres), les conditions de la licence d’utilisation du contenu, l’éthique ou la gouvernance de l’entreprise ou du fournisseur, etc.
Tout d’abord, les lois nationales et les directives européennes
en la matière s’appliquent-elles et, si oui, sont-elles satisfaisantes,
conformes ou respectueuses ? La réponse est encore loin d’être claire,
compte tenu de la multiplicité des sources de droit, des structures,
des interprétations judiciaires : une sorte de « patchwork ». L’incertitude persiste là encore. Au regard de l’acquis communautaire, des
directives prévalent et des règles existent tant à l’égard des biens
tangibles que d’autres catégories de biens. La difficulté réside dans
la mise en œuvre de ces règles par les États membres. Il s’agit davantage d’un problème d’application que de pertinence et d’adéquation
des règles en vigueur. La solution ne consisterait pas dans l’augmentation des standards, mais bien dans l’uniformisation de ceux en
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Les Cahiers de propriété intellectuelle
place sous une seule autorité, de préférence. Un souhait exprimé, à
tout le moins.
Le chapitre 5 scrute et valide le test de conformité du droit communautaire, dont la réglementation actuelle sur le droit des contrats
ou de vente, et de diverses législations nationales face à la protection du consommateur de biens numériques. Il s’attarde également
au projet de règlement européen du droit de la vente (« CSL » –
« sales law »). Le test de la conformité est souvent manipulé par des
intervenants dans la chaîne de la consommation en ligne de biens
relativement aux problèmes d’accès, à l’inter-opérationnalité, à la
fonctionnalité, à la qualité, aux mesures techniques de protection.
L’auteur de ce chapitre reprend la discussion sur la qualification du
contenu numérique, un « bien », selon la directive, inclus dans le
droit des contrats, donc application ou extension des mêmes règles
que le bien tangible, avec toutefois des considérations abstraites sur
la vie privée et quant à l’intérêt public. L’auteur fait aussi état des
attentes des consommateurs face aux entreprises et il identifie de
nouveau les problèmes du consommateur individuel sur l’accès, la
compatibilité, la fonctionnalité, la qualité, la sécurité, chaque État
membre disposant de ses propres règles.
Selon l’auteur, le test de conformité doit revêtir un concept évolutif, quels que soient le temps, le support, la mise à jour du bien
« acquis », et une obligation continue de conformité doit être soumise
au vendeur ou à l’entreprise, à savoir pérennité du bien et récurrence
du service, quels que soient le changement de support, les mises
à jour. Sinon, avec la manipulation du test de conformité, le consommateur perdra confiance et il n’obtiendra pas de réponse à ses attentes. Une clause sur le test de conformité est nécessaire dans le temps
et le projet de directive CESL devrait s’étendre au contenu numérique dans un cadre juridique clair et cohérent.
Le chapitre 6 s’attarde à la protection du consommateur mineur
ou non émancipé (« underage »), en soulignant que le consommateur
traditionnel n’est plus nécessairement celui dans l’environnement
numérique. Il n’y a pas que l’âge qui importe, car le mineur est un
consommateur aguerri et même averti, mais l’est-il suffisamment ?
Le profil de ce consommateur « underage » est difficile à cerner et à
saisir et il comporte des sous-groupes.
Il est nécessaire de protéger les clientèles vulnérables eu égard
à l’inexistence de règles uniformes au sein de l’Union européenne et
dans les États-membres. Il y a fragmentation des principes, règles et
Digital Consumers and the Law...
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pratiques. La capacité contractuelle du consommateur doit être un
élément à prendre en considération dans le droit de la consommation
et des contrats à l’échelle européenne lors de l’uniformisation des
concepts dans l’avenir et le concept d’« émancipation » doit être revu.
Le législateur doit se pencher sur une réforme juridique rapide
et efficace, vu l’hétérogénéité des règles concernant les consommateurs. L’auteur de ce chapitre émet cependant des doutes sur
l’actualisation des règles existantes en matière d’émancipation et
des pratiques actuelles de consommation et il rappelle le rejet dans
le passé du projet de réglementation communautaire sur la capacité
légale du sujet dans le « Cadre commun de référence » (projet de
« CFR »). Le législateur a certes un rôle à jouer, mais aussi les divers
intervenants dont les réseaux de distribution dans le commerce électronique et la transparence des outils de vérification et des systèmes
de paiement sont d’une importance primordiale en vue d’une protection du consommateur « underage ».
Le chapitre 7 analyse la situation des droits fondamentaux des
consommateurs dans l’environnement numérique. Pour un, ce ne
sont pas tous les Européens qui ont accès à un tel contenu présentement si l’on s’attarde à l’exercice de la liberté d’information. Cela
affecte les relations contractuelles. Les principes de base en vigueur
respectent théoriquement les droits fondamentaux des consommateurs numériques, mais des suggestions sont faites en vue de transcender le conflit droit privé – droit public soulevé par la pluralité des
sources de droit, des interprétations nationales et des autorités judiciaires. La reconnaissance de ces droits existe, mais un problème
demeure au chapitre de leur application.
Il devient nécessaire de rechercher un équilibre des intérêts
et de concevoir une infrastructure juridique dans l’application des
droits fondamentaux dans le droit contractuel européen : renforcement des droits d’accès, de la non-discrimination, de respect de la vie
privée, protection des données personnelles, etc.
Le chapitre 8 de l’ouvrage porte sur un éventuel cadre légal de
protection de la vie privée et de la protection des données personnelles dans le contexte de la consommation numérique. Le droit de la vie
privée, de droit vertical qu’il était, est devenu un droit dit « horizontal » dans l’environnement numérique. Les pratiques dans ce
domaine ne sont pas nécessairement conformes ou elles sont en conflit avec les règles communautaires existantes sur les contrats ;
de plus, elles sont insuffisantes pour protéger adéquatement la
vie privée du consommateur numérique. Une alternative doit être
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Les Cahiers de propriété intellectuelle
recherchée ou un nouveau modèle d’affaires doit être pensé, en
retournant aux principes de base du droit sur la vie privée et en se
fondant sur le principe d’équité. Il faudra tenir compte désormais
non plus du sujet de la donnée, mais de la personne ou de l’entreprise
qui traite les données, le « processor ».
En conclusion, il faut rendre tout le crédit aux auteurs de cet
ouvrage qui aborde des questions d’actualité de première importance
qui ne sont pas simples à résoudre et qui ont été peu traitées de
manière aussi exhaustive ou substantielle. C’est déjà complexe sous
notre propre régime juridique. Il est alors aisé de saisir la complexité
de la tâche face à un encadrement juridique de marchés conventionnels faisant intervenir vingt-cinq États et la mise en application et
l’interprétation nationale d’outils communautaires de régulation.
Des encadrements de marchés traditionnels s’étendent ou peuvent
s’étendre aux nouveaux marchés en ligne, mais encore faut-il que
tous s’entendent et aient la même lecture et la même interprétation
des dispositions applicables, ce qui est loin d’être le cas.
D’où la nécessité d’une certaine uniformisation des règles du
jeu afin de protéger adéquatement le consommateur dans l’environnement numérique, incluant le jeune consommateur. La tâche s’annonce énorme, car doivent être prises en considérations de nouvelles,
sinon d’autres problématiques aiguës, dont les droits de propriété
intellectuelle et la protection de la vie privée et des renseignements
personnels. Là où une solution conventionnelle est applicable ou
étendue par interprétation ou autrement, nous constatons rapidement que le commerce et la vente de biens – dans son acception la
plus large – dans cet environnement numérique ou du commerce
individuel en ligne interpellent au premier chef les droits de propriété intellectuelle.
Et la règle première qui semble prévaloir est la transparence
des règles du jeu à tous égards sans manipulation par les divers
intervenants ou nouveaux joueurs avec lesquels le consommateur
numérique individuel transige. Mais ils ne sont pas nécessairement
les ayants droit ou les personnes qui devraient répondre au premier
chef aux attentes des consommateurs au chapitre de la qualité, de la
fonctionnalité, de la sécurité du bien acquis et de sa pérennité.
Une critique qui peut être formulée à propos de cet ouvrage
réside dans le fait de la rédaction de l’ouvrage en collaboration par
un ou des auteurs différents qui reprennent çà et là des thèmes qui
ont pu avoir été effleurés ou traités précédemment par un auteur
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dans un autre chapitre de manière plus détaillée, mais pas dans tous
les cas. Nous avons ainsi l’impression de relire parfois la même chose
à deux ou trois reprises, quelquefois davantage. Mais cela n’enlève
rien à la qualité des aspects analysés et de pistes de solution mises de
l’avant.
Pour un lecteur pressé, les conclusions de parties de chaque
chapitre et des divers chapitres de cet ouvrage constituent d’excellents résumés au contenu clair et exhaustif.