LA JUStICE ENvIRONNEMENtALE - Association pour la Prévention

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LA JUStICE ENvIRONNEMENtALE - Association pour la Prévention
DROIT
Helga-Jane SCARWELL1
LA JUSTICE
ENVIRONNEMENTALE :
ASPECTS JURIDIQUES
RÉSUMÉ
La contribution de C. Ghorra-Gobin dans ce numéro
d’Air Pur montre combien la prise de conscience
de la question des inégalités environnementales
aux USA, avec une forte dimension ethnique,
s’est inscrite au sein d’une mobilisation qui a
pris des formes juridiques compte tenu de la
forte juridicisation de la société américaine. En
revanche, en France (L. Charles et I. Roussel), le
droit a peu intégré ces formes de revendication
qui se cristallisent plutôt autour des atteintes à la
sacro sainte propriété privée (Noiville). Dans cet
article sont soulignées les difficultés auxquelles le
droit est confronté quand il s’agit de transformer
les inégalités en injustices. Ces réflexions sur la loi
face aux inégalité, ont déjà été exprimées par H.
Scarwell dans la revue numérique « Développement
Durable et Territoire » (Charles et al., 2007) et dans
un numéro spécial de la revue « Contact santé ».
1
Professeur à
l’Université Lille 1
Sciences et Technologies
La salubrité de l’environnement, facteur reconnu de
bien être et de santé, est inégalement répartie. Les
populations urbaines les plus modestes sont aussi
celles qui vivent dans des environnements dégradés
et souffrent le plus des problèmes d’environnement
(Theys, 2002). Les recherches en cours sur la qualité
de l’air ou les risques liés à l’industrie montrent
notamment que les populations défavorisées sont
en proportion deux fois plus nombreuses à vivre à
proximité d’une industrie polluante que les autres.
En France, plus de 40 % des personnes qui vivent
en Zones urbaines sensibles (ZUS) sont exposées
aux risques industriels, soit deux fois plus que dans
d’autres quartiers (Champion et al., 2004).
Ces inégalités, reconnues comme une injustice,
suscitent l’action. La prise de conscience
individuelle ou collective d’une nuisance se traduit
par une mobilisation qui peut revêtir plusieurs
formes depuis la simple réclamation jusqu’à une
procédure juridique.
Comment penser la justice dans un contexte
inégalitaire ? Lorsqu’il est question de justice
environnementale, « l’environnement » s’entend
comme tous les attributs de l’environnement
physique susceptibles d’avoir un impact sur le
bien-être d’une communauté. Aussi, le dommage
provenant d’une source de pollution ou d’un risque
sanitaire lié à une exposition disproportionnée
constitue une inégalité en termes d’inégalités face à
la pollution atmosphérique, à l’exposition au bruit,
aux risques (naturels, industriels et technologiques)
et enfin en termes de paysages, etc. Différents
auteurs ont étendu la théorie de Rawls à la justice
environnementale. On lira avec profit, sur ce sujet,
Cooper et Palmer (1995), Hofritcher (1993) et
Low (1993). De même, l’accès aux ressources de
la Terre et la sécurité environnementale relèvent
de la justice (Rawls, 1987) au même titre que
la redistribution des avantages économiques.
Comment éviter de penser à l’environnement sous
l’angle de la distribution juste des inconvénients
et avantages qui lui sont rattachés ? Peter Wenz,
par exemple, croit que l’environnement relève
typiquement du ressort de la justice en raison
des conditions qu’il fait inévitablement peser sur
la qualité et le type de vie que peuvent espérer
vivre un individu ou un groupe de citoyens (Wenz,
1988). À ce titre, la protection de l’environnement
et sa détérioration éventuelle entraînent des coûts
et des inconvénients à partager de manière juste
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parmi les citoyens. Ceci étant, la proximité estelle synonyme d’exposition ? Par conséquent,
les législations environnementales ont un rôle
naturel à jouer dans le combat contre les injustices
environnementales
Le droit à l’environnement fait partie des droits
et libertés inscrits dans la Constitution, ce qui
implique d’une part que l’Etat mette en place des
organismes informés et compétents disposant de
bonnes connaissances du droit environnemental,
car celui-ci ne s’applique pas spontanément et
d’autre part que le grand public soit bien informé
de ses droits et qu’il puisse participer au processus
de décision et éventuellement ensuite ester en
justice afin de garantir un meilleur équilibre
des forces dans le système d’expertise. L’équité
s’appuierait sur un système de compensation
difficile à établir. Ne peut-on pas considérer que la
question des inégalités écologiques est restée sous
le couvert en raison justement de l’ampleur des
compensations financières prévisibles (y compris
en termes Nord-Sud, c’est le problème de la dette
écologique) ? La juridicisation américaine s’appuie
sur la réclamation de compensations (à l’origine de
la dynamique de l’Environmental justice).
Il n’est pas d’aspect du développement durable qui
puisse être obtenu en l’absence d’un cadre normatif
élémentaire, d’organes judiciaires et administratifs
fonctionnant correctement et de procédures
ouvertes et transparentes permettant la participation
publique aux décisions environnementales et la
réparation des dommages causés. L’Etat de droit
implique que “ s’il existe un droit, il existe un recours ”.
Cette maxime juridique se trouve renforcée par la
garantie inscrite dans les constitutions et traités et
comporte notamment deux aspects : l’accès à la
justice et les réparations matérielles. En effet, les
inégalités liées à la proximité d’une nuisance créée
par un équipement installé pour le bénéfice de la
collectivité (infrastructure de transport, industrie,
incinérateur…) mériteraient de se traduire par un
dédommagement des riverains par l’ensemble des
bénéficiaires de cet équipement.
Cependant l’éradication des inégalités environnementales ne peut pas se réduire à la maîtrise
des sources de pollution. Certes, les expositions
peuvent être très inégalitaires mais, contrairement
à certaines affirmations, l’environnement n’est pas
simplement ce qui est extérieur à l’individu, il est
co-construit à la faveur d’une dynamique continue d’adaptation de l’homme à son milieu de vie
dans un souci d’harmonie et de bien être. Or, cette
capacité de construction et d’adaptation est
inégalitaire, certains sont plus handicapés et n’ont
pas la force physique ou mentale nécessaire pour
contrôler un certain nombre de facteurs comme la
création de réseaux de solidarité par exemple.
De même, il ne faut pas sous-estimer les tensions
entre le développement de cadres juridiques
destinés à protéger l’environnement et leur mise en
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application. Il existe aussi souvent un fossé entre le
droit de la protection environnementale et la réalité
sur le terrain. Il ne s’agit nullement de se limiter à
l’analyse des principes et des procédures, mais il
convient de se pencher également sur différentes
formes d’injustices dont les principales figures sont
notamment l’exclusion et le déni de reconnaissance.
À cet effet, un rapport de l’inspection générale
de l’environnement (IGE, 2005) définit sous
le vocable d’inégalités écologiques un cumul
d’inégalités d’accès à la qualité du cadre de vie
et des inégalités dans l’exposition aux nuisances
(Theys, 2000 ; Emelianoff, 2001 et 1999) tout en
omettant sciemment la question de l’inégalité des
citoyens face aux démarches de participation. Pour
le ministère de l’Ecologie et du Développement
durable, cela ressort des inégalités sociales (IGE,
2005). Le rapport (Diebolt et al., 2005) précise que
“ S’il est vrai que les populations les plus défavorisées
n’ont généralement pas la possibilité de fuir des
situations écologiques dégradées, qu’elles ont
une moindre capacité à réagir contre des projets
susceptibles de détériorer leurs conditions et leur
cadre de vie, ces premières constatations ne vident
pas pour autant le sujet des inégalités écologiques
comme s’efforcera de le démontrer la suite de ce
rapport ” (IGE, 2005, p. 9). Pourtant, démocratie
et écologie n’ont-elles pas partie liée ? Faut-il
penser que les “ Rencontres de Nanterre sur les
villes périphériques ” (octobre, 2002) intitulées
“ Comment discriminations et inégalités ruinent
la participation ” n’ont trouvé aucun écho? Penser
l’environnement en termes de justice et non plus
seulement en termes de préservation signifierait
que tout homme a un droit « inné » à vivre dans
un environnement sain, alors toute structure
ou tout processus orientant la dégradation ou
les risques environnementaux vers les secteurs
vulnérables de la population serait injuste d’un
point de vue social et économique. Dans cette
perspective, toute action contre la destruction et la
dégradation environnementale devient synonyme
d’un espace de lutte démocratique et d’affirmation
de l’universalité des droits de l’homme. La
reconnaissance au niveau constitutionnel du droit
de l’homme à vivre dans un environnement sain
donnerait à ce principe une valeur égale aux droits
fondamentaux, comme la liberté de circuler ou le
droit de propriété.
RéFéRENCES
Champion J.B., Choffel P., Dupont E. et al. (2004). Les
nuisances et les risques environnementaux, In Rapport 2004
de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles.
Observatoire national des ZUS, Ed. de la DIV, 2004,
p. 124-131
Charles L., Emelianoff C., Ghora-Gobin C. et al. (2007).
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Diebolt W., Helias A., Bidou D., Crepey G. (2005).
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Theys J. (2002). L’approche territoriale du « développement
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ligne le 23 septembre 2002. URL :
http://developpementdurable.revues.org/document1475.html.
Wenz P. (1988). Environmental Justice, University of New
York Press, Albany, State
Air Pur N° 76 - 2009 - 29