Situation no 9 Une rumeur sur Internet

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Situation no 9 Une rumeur sur Internet
Situation no 9
Une rumeur
sur Internet
UNE RUMEUR SUR INTERNET ANNONCE L’ARRÊT
D’UNE ACTIVITÉ. VOTRE DRH SOUPÇONNE
UN DE VOS COLLABORATEURS
La situation : contexte et événements
Une rumeur circule sur Internet, annonçant l’arrêt d’une activité. Internet est incontrôlable, pour le meilleur et pour le pire. Cette nouvelle peut donc venir troubler l’ordre
établi dans l’entreprise. L’information échappe au contrôle de la direction et, parfois, au
plus élémentaire principe de responsabilité. Néanmoins, chaque salarié, par son contrat
de travail, a une obligation de loyauté et de confidentialité.
Votre DRH soupçonne un de vos collaborateurs et vous demande d’intervenir pour
faire cesser cette rumeur.
Quel est le rôle de l’encadrant vis-à-vis de son collaborateur pour reprendre la main
sur cette conduite déloyale ? Comment aborder l’individu, sans dégrader l’ambiance dans
votre équipe, indispensable à la mobilisation et à la performance collective ?
Cela va en fait dépendre des motivations du collaborateur et de son niveau de
conscience du non-respect des règles.
Les acteurs : enjeux et état d’esprit
Pour le salarié concerné, aucun doute sur son identité, c’est bien lui. 2 possibilités se
présentent :
– soit son action est consciente et vous avez le choix entre la sanction (en justifiant
la règle mise en cause) et la complaisance (au risque de voir se reproduire le cas ou
de passer pour un faible) ;
– soit son action n’est pas consciente et vous souhaitez, d’une erreur, tirer un
enseignement. Le salarié n’a sans doute pas voulu mal agir, mais le mal est fait :
dans le cas de circulation de fausses nouvelles, l’anxiété va vite se transformer en
interrogation puis en sous-entendus, que l’on va alors partager, puis propager.
Pour vous : vous n’avez pas de certitude sur ce qui motive le comportement de votre
collaborateur. Vous n’êtes pas forcément surpris par la situation, l’intégration de nou-
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velles recrues vous a appris à faire montre de pédagogie et de patience. Vous ne pouvez
pas laisser cette situation en l’état, votre DRH vous demande d’agir.
Pour l’entreprise : c’est désormais « l’e-réputation » (personnal branding) ou réputation en ligne qui s’affirme comme une des priorités de l’ère Internet. Cette tendance est
sans retour, accentuée par l’avènement des outils mobiles (smartphone, tablettes) et une
quasi-interopérabilité informatique. Arrêtez la circulation de cette information sur la toile
est nécessaire et rappeler la règle sont vos priorités.
Les risques (de l’incident au scénario
catastrophe)
Le traitement de la rumeur
. La rumeur possède 2 caractéristiques. D’abord, elle prend généralement l’espace
que lui a laissé l’absence de communication sur un sujet. Dans le cas d’une rumeur de
fermeture, vous n’avez pas dû suffisamment informer vos collaborateurs de la solidité de
l’activité concernée ou de la volonté de l’actionnaire et de la direction générale de garder
leur indépendance avec ce savoir-faire.
. Ensuite, la rumeur est d’autant plus tenace qu’elle s’appuie sur des croyances. Par le
passé des menaces de vente de l’entreprise ou de rapprochement avec tel ou tel groupe
ont pu enraciner les convictions du personnel sur un possible transfert des activités.
. Or, la rumeur a un effet démobilisateur au niveau des collaborateurs par la rupture
de confiance envers les décideurs de l’entreprise. Il faut donc vite intervenir pour éviter
l’enkystement et la propagation.
. Ne pas se prêter à une exploitation du « silence radio » de la direction. L’absence de
communication de la part de la direction peut alimenter la stratégie de certains membres
du personnel (représentants ou leaders naturels) : « Ils ne veulent rien vous dire... et c’est
encore la preuve que la direction considère le personnel comme quantité négligeable. »
Dans le cas où la rumeur est fondée. Généralement, les salariés en savent autant
que la direction, ils connaissent les forces et les fragilités de leur activité, ils sont
conscients des répercussions possibles des aléas économiques sur leur travail. Ils attendent alors une information vraie pour savoir comment faire face. Un épaississement du
secret ne peut qu’exacerber les tensions, casser la confiance et pousser certains à adopter
des comportements jusqu’au-boutistes.
La circulation de rumeurs sur Internet peut alors être entendue comme un appel au
secours. Toute annonce officielle devra néanmoins juridiquement respecter les canaux de
la représentation du personnel.
Dans le cas où la rumeur est infondée, comme dans notre situation, il faut réagir.
Ne rien faire en attendant le dégonflement des informations erronées risque au
minimum de conforter le salarié responsable dans son impunité. Vous devrez de toute
façon rendre compte à votre DRH des mesures prises dans votre service.
Dans les 2 cas, l’entreprise a intérêt à prendre les devants, en termes de notoriété.
C’est en effet la somme d’influence de ses collaborateurs, par leurs propos et leurs
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comportements sur la toile, qui impacte son « e-reputation ». Il est nécessaire qu’il y
ait convergence de messages (émis en interne et sur Internet), afin de donner une image
cohérente de la société (pour le personnel mais plus largement pour les clients et
partenaires).
Les outils d’analyse
Au niveau du pouvoir du management, l’exercice de la sanction disciplinaire peut
se résumer ainsi : constitue une sanction toute mesure (écrite) prise par l’employeur à
l’encontre d’un salarié à la suite d’un agissement considéré comme fautif. La nature et
l’échelle des sanctions sont fixées par le règlement intérieur. L’engagement de poursuites
disciplinaires peut aller du jour de la connaissance des faits jusqu’à un délai maximum de
2 mois (les faits sont prescrits ensuite). La procédure comporte 2 phases, l’entretien
préalable (par convocation écrite avec un délai d’une semaine) et la notification de la
sanction (qui ne peut intervenir qu’après 2 jours francs suivant l’entretien, et au plus tard
dans un délai d’un mois). L’entretien a pour objet principal de recueillir les explications du
salarié, pas d’annoncer la sanction qui doit intervenir (après réflexion) en tenant compte
de la teneur de l’entretien (les dés ne sont pas encore jetés à la seule lecture du dossier
préparatoire). Le salarié peut se faire assister par toute personne appartenant à l’entreprise (représentant du personnel ou non). La tenue de l’entretien est assurée le plus
souvent par un manager, une personne des RH ou les 2.
Si sanction il y a, elle doit respecter, outre le règlement intérieur, la convention
collective. Cette sanction doit être proportionnelle et découle de la violation d’un
principe contractuel ou réglementaire.
Contractuellement, ce qui est en cause dans notre situation, c’est l’obligation de
loyauté et l’obligation de confidentialité.
Conformément à l’article 1134 du Code civil, le contrat de travail doit être exécuté de
bonne foi. Mais ce qui vaut pour l’employeur vaut aussi pour le salarié. Cette exécution
loyale du contrat s’articule autour de 3 obligations spécifiques au salarié :
1. Obligation de discrétion à l’intérieur de l’entreprise mais surtout vis-à-vis des tiers.
2. Obligation de fidélité interdisant au salarié, pendant toute la durée de son contrat,
d’exercer une activité concurrente.
3. Obligation générale de ne pas nuire aux intérêts de l’entreprise.
Ce sont les principes 1 et 3 qui sont en cause dans notre situation.
(Pour plus d’éclairage sur les comportements et expressions sur des réseaux sociaux,
voir la situation no 20.)
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CONSEILS POUR AGIR
Face à un comportement fautif, le pire est de ne rien faire.
Dans cette situation, évitez...
Dans le cas d’une intention de nuire
. de faire comme si de rien n’était. L’effet peut être déplorable pour la perception
d’équité dans votre équipe (si vous ne faites rien) et votre crédibilité managériale
peut en être durablement affaiblie. Ne vous privez pas d’agir, dans votre sphère de
compétences en vous appuyant sur les avis de RRH et de juristes. La sanction est
d’abord un acte managérial ;
. de trouver des excuses à tout le monde. 95 % des salariés dans une entreprise ont
de bonnes intentions et veulent remplir convenablement leur mission. Mais être
manager ne veut pas dire être naïf, savoir trancher un dossier de façon objective et
argumentée fait aussi partie de la palette de compétences nécessaires à un encadrant responsable ;
. de confondre la personne et le comportement. Sanctionner le non-respect d’un
principe n’est pas remettre en cause la personne (que l’on peut par ailleurs apprécier) ou moins la considérer.
Dans le cas de l’inconscience
. de sanctionner a priori le salarié initiateur de l’information erronée sans s’expliquer. Il va même falloir faire preuve de pédagogie pour faire comprendre au salarié
les conséquences de ses actes et l’importance de respecter les règles de loyauté.
Dans les 2 cas
. de communiquer ouvertement et nommément sur le cas du salarié. Ce genre de
situation se gère en tête-à-tête. Faire savoir que tel ou tel principe doit être respecté dans une équipe est acceptable si l’on évite de mettre en cause la personne
(même si, dans le fond, chacun au sein du service saura faire le lien entre les 2). Si au
cours de l’entretien en face à face, votre collaborateur est accompagné, vous
pouvez rappeler son obligation de discrétion à la personne qui l’assiste.
Dans cette situation, préférez...
. dialoguer en premier lieu avec l’initiateur de la rumeur, afin de connaître ses
motivations. Votre action sera différente selon qu’il sera conscient ou non des
conséquences de ses actes. Vous êtes encore dans l’investigation qui va vous
permettre de mener objectivement ce dossier ;
. lui faire part de ses obligations de loyauté envers l’entreprise, afin de donner du
sens à votre démarche et à la suite de vos actions. Soyez clair sur l’étape suivante,
annoncez l’entretien à venir.
Dans le cas d’une intention de nuire
. recevoir individuellement la personne, dans le cadre d’un entretien préalable à
sanction (en respectant la procédure) :
– accueillir et rappeler formellement le cadre de l’entretien ;
– questionner le salarié sur les faits et la perception de sa responsabilité ;
– donner votre version des événements (de façon factuelle) ;
– arriver au principe mis en cause et à l’établissement du comportement fautif ;
– demander l’état d’esprit du salarié (défausse, prise de conscience, regret,
excuses, engagement à ne pas récidiver...) ;
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– si le salarié est accompagné, prendre l’avis de la personne qui l’assiste ;
– récapituler les échanges, conclure (sans jamais donner la sanction à l’avance).
. obtenir (au minimum) un retrait des informations sur la Toile et (en cas de rumeur
infondée) un démenti neutralisant l’effet initial préjudiciable pour l’entreprise.
. en cas de sanction inéluctable, nous ne nous prononcerons pas ici sur le niveau de
sanction, qui dépend du contexte, des acteurs et du domaine d’activité de l’entreprise. Une personne de très mauvaise foi, une information confidentielle divulguée en rumeur sur le net, un secteur d’activité très concurrentiel ou sensible, un
préjudice important au regard du comportement déloyal, sont autant de facteurs
aggravants qui amèneront une sanction élevée :
– rendez lisibles les critères de sanction et le traitement nécessaire de ce principe
non respecté (source de compréhension et d’apaisement pour votre équipe) ;
– soyez transparent sur les délais et mesures ;
– restez ouvert aux questions que certains membres de votre équipe souhaiteraient vous poser en face à face (levez les éventuelles interrogations).
Dans le cas de l’inconscience ou de l’ignorance du principe
. recevoir l’initiateur de la rumeur, afin de connaître son état d’esprit :
– lui demander des explications ;
– lui faire prendre conscience des conséquences sur le collectif en interne et sur
l’image de la société en externe ;
– obtenir le retrait de l’information erronée.
. envisager des solutions en commun. Faites preuve de pédagogie, l’appropriation
des règles dans une organisation se fait avec le temps et étape par étape.
. être clair et ferme sur le principe de loyauté et de confidentialité. Être trop
consensuel pourrait laisser croire, à tort, que seule la direction (ou ses représentants) a des obligations et des responsabilités.
. donner du sens. Les salariés de la génération Y comprennent les directives, à
condition qu’elles aient du sens et qu’elles soient clairement exposées. Cette situation est une occasion d’ouvrir le dialogue sur un principe qu’ils doivent accepter,
une meilleure appropriation de certains modes de conduite collective dans une
organisation de travail. Le savoir-faire réside dans le registre à privilégier pour faire
passer ce message. Une réunion débat avec l’ensemble des membres de l’équipe
pourrait avoir plus d’effets qu’une note de service rappelant les règles.
. en fonction de la réaction du salarié, décider avec la DRH des éventuelles suites
disciplinaires à donner (selon l’impact et le préjudice provoqué). Réprimer, même
de façon minime, sur la forme peut être nécessaire (affichage du « non acceptable »
pour lui et pour le groupe dans votre service).
Dans les 2 cas
. ne pas vous interdire de vous réunir pour échanger sur cette situation dans le
service (sans personnaliser).
. associer, autant que possible, les représentants du personnel. Dans cette circonstance où tout le monde doit être solidaire pour combattre la rumeur infondée,
faites des représentants du personnel vos alliés en évoquant le problème avec eux
et en les associant à votre communication (invitation à la réunion d’équipe ou mise
à l’ordre du jour du traitement du cas en réunion de délégués du personnel).
. accompagner sur le fond pour que la situation ne se reproduise pas. La sanction,
à elle seule, n’est pas suffisante.
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LES IDÉES CLÉS
Remontez à la source du comportement déloyal. Distinguez bien le comporte
ment conscient et nuisible (réprimez le fermement) et la faute par ignorance ou
inconscience (tirez en partie pour sensibiliser collectivement).
. Menez de façon factuelle vos entretiens (disciplinaires ou non), soyez clair sur
vos motifs.
. Attachez de l’importance aux individus et personnalisez vos modes relationnels
(génération Y).
. Face à la rumeur :
comblez absolument le vide de communication sur lequel elle s’est
installée pour éviter une exploitation du silence de la direction ;
communiquez largement... en tenant compte des croyances et des sys
tèmes de valeurs des interlocuteurs ;
sur la Toile, obtenez le retrait de l’information erronée.
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