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Les trois formes de discriminations
subies par les femmes de l’immigration
Même nées ou élevées en France, les femmes issues de l’immigration subissent des discriminations
spécifiques : celles que connaissent les immigrés et celles qui touchent les femmes en général ; celles que
l’on pourrait qualifier d’institutionnelles ; et enfin celles qui relèvent des traditions - souvent entérinées par
la religion - de leurs pays d’origine respectifs. L’auteur souligne ici la prégnance de cette dernière forme
de discrimination sexiste, généralement cachée derrière le paravent de la “différence culturelle”.
par Juliette Minces,
journaliste
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Il n’est pas nécessaire de s’étendre sur les discriminations qui concernent
l’ensemble des immigrés, hommes et femmes, dont l’origine est souvent le
racisme et la xénophobie : les exemples abondent. Ce racisme, cette xénophobie, au travail, dans le logement, dans les loisirs, sont aujourd’hui, sinon
plus forts, du moins plus ouvertement exprimés et actifs que naguère. Les
femmes en sont victimes. À cela s’ajoutent les diverses formes d’inégalités
que connaissent les femmes en France en général. Il est à noter cependant
que les femmes sont souvent moins en butte au racisme “ordinaire”, celui
qui se manifeste par un geste, un mot, un refus… que les hommes. Inutile
de s’étendre sur cet aspect, lui aussi bien connu.
La législation française a nettement amélioré le statut juridique des
immigrées en situation régulière, en dissociant enfin leurs titres de
séjour et de travail de ceux de leurs maris dans le cadre du regroupement familial légal. De même perçoivent-elles maintenant directement
les diverses allocations, ce qui leur permet de mieux les utiliser pour
elles-mêmes et leurs enfants. Mais, dans le cas où une femme a rejoint
son mari sans avoir suivi la procédure dite de regroupement familial,
qui doit être initiée dans le pays de départ, celle-ci ne peut obtenir de
permis de séjour. Ou elle retourne chez elle pour y faire les démarches
nécessaires, sans assurance d’obtenir satisfaction, ou elle reste en
France et se retrouve en situation irrégulière et totalement soumise à
son conjoint, lequel a parfois intérêt à ce que cette situation se prolonge. En cas de divorce ou de répudiation, elle risque de se retrouver
sans logement et parfois sans ressources, puisque sans papiers.
La loi du 26 novembre 2003 durcit la situation des nouveaux venus :
l’épouse se voit délivrer une carte de résident si son conjoint en possède
une, mais ceci n’intervient qu’au bout de deux ans de séjour, au lieu de un
an comme c’était le cas jusqu’alors ; il en va de même pour le ou la
conjoint(e) de Français, qui n’obtiendra son permis et éventuellement
sa naturalisation qu’après un séjour de deux ans en France et à la condition qu’il y ait eu continuité dans la vie commune. En revanche, la loi
introduit une disposition qui permet à l’épouse étrangère d’un Français ou
d’un résident, au cas où il y aurait rupture de la vie commune à la suite de
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violences conjugales, d’obtenir le renouvellement de sa carte de séjour.
À l’origine, la nouvelle loi prévoyait que le titre de résident ne serait délivré qu’au bout de cinq ans de séjour. Ce n’est qu’à la suite de nombreuses
discussions et de multiples interventions d’associations de femmes ou de
soutien aux immigrés que la rigueur du projet de loi a été atténuée. D’une
manière générale, cette loi renforce la précarisation de tous les étrangers, car la carte de résident n’est plus renouvelée de plein droit.
Pourquoi les codes de la famille
s’appliquent-ils en France ?
Ces femmes de culture musulmane viennent du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, de Turquie, du Pakistan. Or tous ces pays (sauf la Turquie,
pays laïc) ont promulgué un code de la famille – ou code de statut
Nawal
© Marie-Hélène Roinat.
Le travail photographique
présenté dans cet article
a fait l’objet d’un bel
ouvrage, Identités volées,
publié par Mario Mella
Edition, Lyon, 2001.
Marie-Hélène Roinat :
[email protected]
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personnel –, directement inspiré de la loi coranique, la Charia. Ces codes
précisent les droits et les devoirs des époux concernant le mariage, la
répudiation ou le divorce, la polygamie, la garde des enfants ou l’héritage. Ils reconnaissent une inégalité de fait entre les hommes et les
femmes, plaçant celles-ci sous la tutelle de leur époux ou, à défaut, sous
celle d’un homme de la famille et faisant d’elles des mineures à vie. Seule
la Tunisie avait, peu après son indépendance, rédigé son code dans un
sens plus moderne, c’est-à-dire plus égalitaire. Le Maroc vient, sous l’impulsion du roi et à la suite d’années d’acLa plupart des discriminations
tions des femmes marocaines, de réviser
en janvier 2004 son code pour consacrer
subies par les femmes immigrées
enfin le principe d’égalité entre l’homme
viennent de la tradition.
et la femme, en matière de responsabilité
Mais aujourd’hui, de nombreuses jeunes filles,
familiale, de droits et de devoirs des époux.
très souvent soutenues par leurs mères,
Cette réforme abolit le tutorat matrimonial
pour la femme majeure, impose l’égalité
refusent de reproduire ce modèle.
entre homme et femme concernant l’âge
du mariage (dix-huit ans pour les deux) ; régule répudiation et divorce
(qui ne peuvent donc plus intervenir de façon discrétionnaire à l’initiative de l’époux seul) et introduit le principe du divorce consensuel sous
le contrôle d’un juge ; elle modifie des règles de l’héritage ; soumet la
polygamie à l’autorisation d’un juge, etc.
En revanche, les codes non “modernisés” reconnaissent la polygamie
et la répudiation, même s’ils admettent le divorce demandé par l’épouse,
à des conditions souvent draconiennes ; ils attribuent au seul père ou à
défaut à un homme de sa famille la tutelle sur les enfants, tout en acceptant que l’épouse en ait la garde dans certaines conditions ; ils maintiennent l’inégalité entre frères et sœurs en matière d’héritage et, d’une
façon générale, placent la fiancée en position d’infériorité puisqu’elle
ne peut se marier sans tuteur matrimonial. Néanmoins, tout mariage
s’accompagne d’un contrat, obligatoire, et l’épouse peut y insérer par
exemple une clause excluant la polygamie ou lui permettant de sortir
pour travailler, ou tout autre droit qui sans cette inscription pourrait lui
être refusé par son mari. Mais la plupart du temps elle ne connaît pas ses
droits, notamment les possibilités que lui ouvre le contrat.
Ces codes peuvent dans certains cas être appliqués en France, à la
suite d’accords interétatiques signés avec les pays d’origine des migrants.
En général, il suffit que les époux se soient mariés au pays ou dans leur
consulat pour être soumis au statut personnel de leur pays. La législation
française stipule bien que les ressortissants étrangers peuvent demander que leur soit appliquée la loi la plus favorable, mais bien peu d’immigrés connaissent ce droit, et encore moins les femmes, de même que
peu d’entre elles sont informées du contenu du code de la famille de leur
pays. Enfin, tous les magistrats n’appliquent pas systématiquement la loi
la plus favorable, par souci de respecter “l’identité” des personnes. Nous
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nous trouvons là devant un conflit de droit où, alors que le droit français
reconnaît aujourd’hui l’égalité entre les époux, les codes de la famille,
conformément au droit religieux, nient aux époux cette égalité.
Crispations sur les valeurs
On peut craindre aujourd’hui que, sous l’influence de l’islamisme radical, et à travers le Conseil français du culte musulman qui développe
en France les revendications identitaires des populations de culture
musulmane, les imams exercent des pressions pour l’application de ces
codes à tous, y compris à des jeunes couples qui choisiraient de ne se
marier que civilement, en invoquant que ce mariage ne serait pas
valide et relèverait du concubinage, considéré comme de la fornication
et donc interdit et puni en islam.
Ainsi la plupart des discriminations subies par les femmes immigrées viennent de la tradition, qui recoupe souvent les textes religieux,
plutôt que de la société d’accueil. Le contrôle social exercé depuis toujours sur les femmes, tout autour de la Méditerranée, a été source de
multiples violences, physiques et psychologiques. Ce n’est d’ailleurs
que depuis peu que les choses ont changé légalement en Europe du
Nord. Dans l’immigration, surtout dans un premier temps, on constate
une crispation sur les valeurs traditionnelles. Cela vaut autant pour les
femmes que pour les hommes. Ces valeurs, qui s’appuient sur un système patriarcal très hiérarchisé où les rôles respectifs des deux sexes
sont fortement différenciés et où l’espace est nettement séparé (l’intérieur pour les femmes, l’extérieur pour les hommes), pèsent alors
lourdement sur les femmes même si elles ont été modelées dès leur
petite enfance pour s’y conformer.
Bien sûr, il n’est pas question de généraliser ces attitudes, car aussi
bien dans les pays d’origine que dans le pays d’accueil, l’éventail des
comportements familiaux vis-à-vis des femmes est très ouvert, et les
familles qui acceptent que leurs femmes et leurs filles mènent une vie
“moderne” sont nombreuses. Mais pour beaucoup de personnes, la
crainte, toujours présente, de voir les “valeurs de l’islam” mises en question sous l’effet d’un autre mode de vie, renforce alors le contrôle sur le
comportement des femmes.
À la pression des traditions s’ajoute aujourd’hui l’influence, bien plus
grande qu’il y a une vingtaine d’années, des imams islamistes sur l’ensemble des populations de culture musulmane. Ceux-ci cherchent à revitaliser une pratique du “vrai” islam inspirée des Frères musulmans ou du
wahhabisme, particulièrement puritains à l’égard des femmes notamment, et qui suppose l’abandon de ce que l’on a appelé “l’islam villageois”, imprégné de magie et de superstitions. Cet “enseignement” met
l’accent sur le danger que représentent pour les femmes les valeurs des
sociétés occidentales, présentées comme incompatibles avec celles de
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l’“islam” tel qu’interprété par ces groupes intégristes. Lorsqu’une famille
refuse de se plier, la pression sociale s’exerce sur elle au nom de l’identité musulmane. Car aux yeux des radicaux, l’enfermement des femmes
à la maison ou sous un voile correspond à une nécessité de les protéger
des influences extérieures et surtout des hommes étrangers.
Aujourd’hui, de nombreuses jeunes filles, très souvent soutenues par
leurs mères, refusent de reproduire ce modèle, qui implique aussi de
nombreuses maternités. Elles souhaitent s’émanciper, avoir un métier,
être libres de leurs choix de vie. D’autres, qui craignent de se voir rejeter par leur famille ou par le groupe en se montrant trop “libres”, sont
contraintes à une certaine forme d’hypocrisie et à faire preuve de l’obéissance, de la modestie, de la discrétion que l’on attend d’elles à la maison
ou dans leur quartier.
Le renouveau des mariages forcés
On constate depuis quelque temps une multiplication des mariages
arrangés, voire contraints. Pour certaines familles traditionnelles, il vaut
mieux marier les filles au pays sans trop attendre, pour qu’elles ne risquent pas d’imiter la trop grande liberté des jeunes Françaises non
musulmanes ou de tomber amoureuses d’un “Français”, la loi religieuse
leur interdisant d’épouser un non musulman. Les hommes, eux, ne sont
pas soumis à un tel interdit. Aussi est-il assez fréquent que la jeune fille
soit du jour au lendemain confinée à la maison, dès que cesse l’obligation scolaire et souvent malgré son goût pour l’étude et l’insistance des
enseignants pour qu’elle poursuive sa scolarité. Elle sait alors que des
démarches ont été entreprises, souvent à son insu, pour organiser son
mariage. La plupart du temps, il aura lieu à la faveur des vacances prises
au pays des parents, et si elle se rebelle, ceux-ci l’enfermeront et lui retireront son passeport. Il est vrai que les garçons n’échappent pas non plus
aux mariages arrangés, bien que cela soit plus rare. Surtout, ils peuvent
faire en sorte de les différer et convaincre leur famille de leur laisser
choisir la future conjointe parmi toutes celles qu’elle va leur proposer.
En outre, il est rarissime que les parents les retirent de l’école pour les
marier. Bien évidemment tous les mariages ne sont pas forcés, car bien
des parents tiennent aujourd’hui compte des souhaits de leurs filles pour
lui choisir un conjoint. Mais les jeunes filles acceptent en général ces
mariages arrangés, suivant en cela leur devoir d’obéissance. Il est aussi
assez fréquent de les entendre affirmer qu’elles préfèrent rester célibataires plutôt que de subir une union non désirée, alors que le célibat est
mal vu par l’islam. D’autres disent qu’elles préféreraient un “Français”
(entendre : un non musulman) tant elles craignent le “machisme” de
leurs “coreligionnaires”. Un tel mariage est très mal vécu par les parents
qui, souvent, rompent avec leur fille, ce qui provoque immanquablement
chez elle un fort sentiment de culpabilité.
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L’importance de la virginité des filles, de la chasteté des femmes, est
à l’origine de la plupart des mesures et des interdits qui les touchent.
Car sur elles repose l’honneur de la famille, concept central en Méditerranée. Dans ce contexte, une jeune fille
n’a de vie sexuelle que clandestine et
nombre d’entre elles veillent à ce que ces
rapports ne portent pas atteinte à leur
virginité. Quant aux frères, ils se voient
souvent chargés de surveiller leurs sœurs
et prennent parfois leur rôle très au
sérieux. L’éducation donnée aux garçons,
plus choyés et plus libres, amène souvent
ceux-ci à se comporter en petits chefs à
l’égard de leurs sœurs. Cela peut s’accompagner de brutalités, lorsque la jeune
fille ne répond pas rigoureusement à ce
que l’on attend d’elle. Les parents interviennent assez rarement. Ceux des frères
qui se sont mis à fréquenter une mosquée, en bons néophytes zélés, cherchent
à imposer le voile à leurs sœurs et parfois
même à leur mère. Ils remettent en question d’une part la hiérarchie familiale, et
d’autre part la façon dont la famille pratique sa foi. Des conflits familiaux peuvent en résulter, l’attitude du fils étant
perçue comme un “manque de respect”.
Mais tous les garçons ne sont pas des despotes et beaucoup se montrent
plutôt complices de leurs sœurs, fermant les yeux sur leurs sorties ou
leurs fréquentations. Encore une fois, toute généralisation deviendrait
abusive. Il n’empêche que la vie quotidienne des femmes et surtout des
filles s’est très nettement détériorée depuis quelques années, en corrélation avec ce “renouveau de l’islam”.
Hiba
Les crimes d’honneur
Il y a aussi ce que l’on nomme les “crimes d’honneur”, qui sont assez
rarement pénalisés dans les pays d’origine. Kurdes, Turcs, Pakistanais
mais aussi parfois Maghrébins, peuvent ainsi condamner leur fille à mort
pour une “faute” souvent bien bénigne à nos yeux. Cela peut consister en
un geste banal, comme de tenir la main d’un garçon ou d’embrasser un
camarade de classe pour lui dire au revoir. Les voisins veillent, surveillent, dénoncent, et on ne peut alors laisser impuni un comportement
que le groupe réprouve, sans risquer d’être déconsidéré. Aussi, lorsqu’une fille est soupçonnée “d’inconduite” et que les “corrections” se
sont révélées inopérantes, les parents vont charger de préférence l’aîné
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Ikram
des garçons non majeurs de “laver le déshonneur”, sachant que la loi
française est moins rigoureuse envers les mineurs.
Pour toutes ces raisons, les jeunes filles ont tendance à investir
l’école : pour elles, il s’agit en quelque sorte d’un espace de liberté qui leur
permettra peut-être par leur réussite d’échapper à une condition prédéterminée. Et ce que souhaite la grande majorité d’entre elles, c’est de pouvoir tout simplement étudier et mener la vie de leurs camarades, filles
d’immigrés ou pas, musulmanes ou pas. Celles qui ne se conforment pas
sont alors considérées, même par des garçons qui ne fréquentent pas la
mosquée, comme des femmes impudiques, que l’on peut insulter, humilier,
violer, parfois en groupe (les “tournantes”), voire tuer. Le danger qu’elles
courent dans leur quartier si elles vont tête nue a incité un certain nombre
d’entre elles à se voiler. Sinon, aux yeux de ces bandes, islamistes ou pas,
elles seraient perçues comme des femmes non “respectables”, des occidentalisées – une insulte –, qui ont renié leur appartenance. Puisque de
culture musulmane, elles doivent se comporter comme des musulmanes,
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et le montrer. Il n’est pas nécessaire que des imams prônent la violence à
leur rencontre, il suffit de stigmatiser celles qui n’obéissent pas. Le
machisme maladif de ces garçons, né de toutes sortes de frustrations, en
prend prétexte pour se donner le droit d’attaquer les récalcitrantes.
Il est consternant que pour s’en protéger, des femmes – ou des
jeunes filles – ne trouvent d’autre réponse, en France, que d’user d’un
symbole considéré comme religieux. La rébellion de certaines (dont
celles de l’association Ni putes ni soumises) ne semble pas, pour le
moment, avoir eu d’impact dans ces quartiers, malgré les soutiens
qu’elles ont pu obtenir d’autres jeunes gens, des médias et des pouvoirs
publics. Les non musulmanes sont elles aussi confrontées à ce problème : “offertes” par définition, elles subissent les mêmes exactions
que leurs camarades de leurs quartiers. Éduquer les garçons, réprimer
leur violence, plutôt que protéger les femmes par un voile, ne semble
pas encore être devenu une priorité.
Polygamie et excision clandestines
Plus que les autres, les femmes africaines subissent en France la polygamie, qu’elles dénoncent de plus en plus souvent. Parfois le mari renvoie au
pays l’une des épouses pour la remplacer par une autre, souvent plus
jeune. Mais il garde auprès de lui tous les enfants. Du jour au lendemain,
ceux-ci sont privés de leur mère avec les conséquences psychologiques qui
en découlent, et leurs relations avec la deuxième épouse ne sont pas toujours des meilleures. Quand le mari conserve auprès de lui ses épouses,
aux problèmes psychoaffectifs que crée souvent la polygamie s’ajoutent
alors ceux de la cohabitation dans un appartement toujours inadapté.
Aussi les demandes de divorce initiées par les femmes se développent.
Et puis il y a les mutilations génitales des petites filles, qu’à tort on
attribue à l’islam. En France, bien que ce soit interdit, des fillettes sont
encore excisées, et les personnels de santé ne le découvrent qu’une fois
le fait accompli et craignent par un signalement d’en subir les conséquences. Dans ces conditions, l’opération n’est révélée que quand une
catastrophe se produit (hémorragie, infections, etc.). Aussi ne sait-on
pas bien jusqu’à quel point cette pratique persiste, puisqu’elle est clandestine. Des femmes d’Afrique noire et des Françaises (dont l’association Gams - Groupe femmes pour l’abolition des mutilations sexuelles et
autres pratiques affectant la santé des femmes et des enfants) mènent
pourtant depuis plus de vingt ans un véritable travail pédagogique
auprès des familles contre l’excision. Il semble qu’elles aient obtenu des
résultats, du moins en France, bien qu’il soit difficile d’en savoir plus. Il
est sûr que les méfaits de 1’excision sont davantage reconnus, y compris
en Afrique, mais elle est encore loin d’être éradiquée et, si en principe
on excise moins en France, il n’est pas rare que les grands-mères s’en
chargent, à la faveur de vacances au pays et souvent à l’insu des parents.
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Aujourd’hui, toutes les composantes de la société française sont
confrontées à la question du foulard, notamment à l’école. Il ne s’agit pas
seulement de poser le principe du respect de la laïcité, même si cet aspect
est très important. Il s’agit aussi de l’égalité entre hommes et femmes, du
respect des femmes, de la mixité, du rapport des genres. C’est la raison
pour laquelle la croix ou la kippa n’ont pas provoqué un tel tollé, ces symboles ne soulevant pas toutes ces questions. À côté de certaines jeunes
filles qui affirment avoir choisi de porter le voile ou l’uniforme islamiste,
soit parce qu’elles adhèrent à l’idéologie afférente, soit parce qu’elles se
servent du “foulard” pour se protéger, soit encore parce qu’elles y sont
contraintes par leurs familles, la majorité n’en veut pas et a peur. Ce sont
celles-là qui sont en danger aujourd’hui et que l’on doit aider et éventuellement protéger. Mais tant d’enseignants ont été formés au culte du droit
à la différence que sans même le savoir, ils incitent les jeunes à reproduire
les traditions des parents et ne sont donc pas préparés à mettre en avant
le concept d’égalité entre garçons et filles, qui est à l’opposé de l’acceptation du voile. Les filles ayant peur aussi de se retrouver reléguées dans un
univers communautaire terriblement contraignant où l’individu qu’elles
savent être n’a guère d’autonomie par rapport au groupe et où leur identité dans toute sa complexité n’est pas acceptée.
Pour cela, une loi interdisant les “signes religieux visibles” à l’école
est devenue nécessaire, mais n’est pas suffisante. Les pouvoirs publics et
l’opinion française auront-ils le courage de prendre les mesures qui permettront de mettre un frein à l’activisme des islamistes radicaux et de
développer une politique de la ville et de l’intégration qui leur coupera
l’herbe sous les pieds ? Auront-ils le courage de faire en sorte que les
jeunes issus de l’immigration soient enfin considérés et traités comme
des Français à part entière, afin qu’ils aient toutes les chances d’accéder
à des postes de visibilité, de responsabilité ou de décision sans que cela
soit considéré comme une exception heureuse ? Auront-ils donc le courage de s’opposer à tous les fondamentalismes religieux dont les femmes
sont toujours les premières victimes, et ceci sans compromissions ? Rien
n’est moins sur.
Odile Merckling, “L’emploi des femmes étrangères et issues de l’immigration”
Hors-dossier, n° 1239, septembre-octobre 2002
A PUBLIÉ
Edwige Rude-Antoine, “Le mariage des Marocains et des Vietnamiens de France :
contrainte, persuasion ou liberté”
Hors-dossier, n° 1227, septembre-octobre 2000
Camille Lacoste-Dujardin, “Femmes kabyles : de la rigueur patriarcale à l’innovation”
Dossier Les Kabyles - De l’Algérie à la France, n° 1179, septembre 1994
Malika Bentaïeb, “Les femmes étrangères en France”
Dossier Elles... Femmes en mouvement(s), n° 1141, mars 1991
Juliette Minces, “L’excision”
Dossier Les Africains noirs en France - I - Aspects socio-économiques et conditions de vie,
n° 1131, avril 1990
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