Mère Julienne du Rosaire, une parole pour aujourd`hui

Transcription

Mère Julienne du Rosaire, une parole pour aujourd`hui
« Mère Julienne du Rosaire, une parole pour aujourd’hui »
Conférencière
Sœur Gilberte Baril, o.p.
Conférence du 27 mars 2011 Conférences Notre-Dame, Cathédrale de Québec
27 mars 2011
« Mère Julienne du Rosaire, une parole pour aujourd’hui »
par
Sœur Gilberte Baril, o.p.
Introduction
C’est une grande joie pour moi de vous parler de cette « femme de chez nous », Mère
Julienne du Rosaire, en l’année centenaire de sa naissance et de son baptême. La
Famille dominicaine missionnaire adoratrice remercie les organisateurs des
Conférences Notre-Dame pour cette possibilité.
Le titre de l’entretien « Mère Julienne du Rosaire, une parole pour aujourd’hui », est
significatif. Certes, toute personne appelée par Dieu à l’existence peut être considérée
comme « une parole » pour les autres. L’Apôtre saint Paul le dit lui-même lorsqu’il
écrit aux Corinthiens : « Vous êtes manifestement une lettre du Christ remise à nos
soins, écrite non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables
de pierre, mais sur des tables de chair, sur les cœurs » (2 Co 3, 3). Or, une lettre est
écrite pour dire quelque chose.
La vie de certaines personnes parle de manière particulière parce qu’elles sont
porteuses d’un appel spécial de Dieu les destinant à être, à leur manière, une
manifestation de son amour et de sa sollicitude à l’égard de ses créatures humaines.
Tels sont les saints reconnus par l’Église; tels sont aussi les serviteurs ou servantes de
Dieu qui, sans être encore reconnus comme bienheureux ou saints, possèdent une
sérieuse réputation de sainteté.
C’est le cas de Mère Julienne du Rosaire, dont la cause de béatification et de
canonisation a été introduite à Rome le 10 avril dernier, après la clôture du procès
diocésain célébré ici, dans cette cathédrale, par le Cardinal Marc Ouellet le 7 février
2010.
Avant d’aller plus loin, je dois affirmer que tout ce que je dirai sur Mère Julienne du
Rosaire ne veut anticiper en rien la décision de l’Église concernant sa présumée
sainteté.
Ma question est celle-ci : est-ce que cette petite femme de chez nous a quelque chose
de particulier à nous dire à nous, hommes et femmes du XXIe siècle?
2
1ère partie : Quelques éléments biographiques1
Son milieu d’origine
Tout d’abord, qui est cette femme? Mère Julienne du Rosaire – Julienne Dallaire – est
une Québécoise de souche, née le 23 mai 1911 dans le quartier Saint-Roch, à quelques
rues de l’église Notre-Dame de Jacques-Cartier2. C’est là qu’elle est baptisée deux
jours plus tard en la fête de l’Ascension.
Julienne est issue d’une famille humble, laborieuse et très profondément chrétienne.
Deuxième enfant et l’aînée des filles, elle joue un rôle important auprès de ses huit
sœurs et frères.
Premières expériences surnaturelles
L’enfant est précocement ouverte au monde surnaturel. Dès l’âge de 4 ans, en écoutant
sa maman lui parler du mystère de l’Ascension, Julienne se voit dans les bras de Jésus
montant au ciel et elle reçoit la certitude d’y aller un jour.
L’année suivante, lors de sa première communion en l’église Saint-Roch où la famille
réside maintenant, Julienne expérimente de manière très forte la présence de Jésus
dans l’Eucharistie. À partir de ce moment, son désir le plus profond est de le recevoir
régulièrement dans la communion et de le rejoindre au tabernacle par des visites à
l’église paroissiale ou, plus tard, à la chapelle des Servantes du Très Saint-Sacrement3.
La formation chrétienne reçue chez les Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, à
l’Académie Saint-Roch, fortifie l’intimité de Julienne avec le Christ. Ses éducatrices
éveillent en elle la soif de la Parole de Dieu, particulièrement dans les Évangiles du
dimanche. Julienne les étudie soigneusement devant le Saint-Sacrement, s’entretenant
avec Jésus, le questionnant sur le texte évangélique et cherchant à découvrir comment
il veut qu’elle vive cette parole.
C’est de cette façon qu’à l’âge de 12 ans, l’épisode de la rencontre de Jésus avec la
Samaritaine devient en elle une source permanente de lumière et de vie. Questionnant
1
Pour mieux connaître Mère Julienne du Rosaire, voir le livre : Femme de lumière et de feu, Les Éditions du
Cénacle, 1997. On peut consulter aussi le site internet des Dominicaines Missionnaires Adoratrices à :
op-dma.com/un-message-pour-tous/biographie-de-la-servante-de-dieu/
2 Notons que quatorze ans auparavant, à quelques rues du lieu de la naissance de Julienne, une autre petite fille
prédestinée voit le jour. Il s’agit de la bienheureuse Dina Bélanger, Religieuse de Jésus-Marie, première
canadienne née dans la ville de Québec à être béatifiée.
3 Les Sœurs Servantes du Très Saint-Sacrement, à leur arrivée dans la ville de Québec en 1920, s’installent
dans la paroisse Saint-Roch.
3
Jésus sur ce qu’est ce don de Dieu dont il parle à la femme, Julienne reçoit cette
réponse : « C’est moi dans l’Eucharistie; c’est l’Eucharistie qui est le don de Dieu4 ».
Peu à peu, ce même récit lui fait découvrir une autre grande vérité : « Le Père cherche
des adorateurs…, des adorateurs en esprit et en vérité. » Julienne se sent appelée à
aider Jésus à lui en trouver. Mais surtout, elle comprendra que l’adoration en esprit et
en vérité doit se vivre en Jésus et par lui, car c’est lui l’Adorateur parfait du Père, lui,
l’Homme-Dieu qui seul connaît vraiment le Père. Elle comprend aussi avec le temps
que la messe est le sacrifice d’adoration par excellence.
Appel à la vie religieuse et importants problèmes de santé
L’appel à la vie religieuse, déjà présent dans son cœur depuis son enfance, se précise.
À 17 ans, Julienne entre chez les Franciscaines Missionnaires de Marie. Mais sa santé
fait défaut et elle doit quitter la congrégation. À 21 ans et à 29 ans, elle fait deux
nouveaux essais de vie religieuse dans deux communautés différentes5. La dernière est
une congrégation dominicaine où, dès son entrée, elle se sent déjà en communion
profonde avec saint Dominique; là, elle découvre aussi d’une façon nouvelle la
présence de la Vierge du Rosaire dans sa vie. Mais encore une fois, les autorités de la
congrégation lui signifient qu’elle doit retourner dans sa famille, toujours à cause de sa
santé.
Le 2 novembre 1940, Julienne, tout en larmes, retourne chez elle et fait le sacrifice de
la vie religieuse. Elle accueille ce qui lui paraît être la volonté de Dieu : se sanctifier
dans le monde.
Étape décisive : vers la fondation des Dominicaines Missionnaires Adoratrices
Pourtant, c’est précisément à ce moment que s’ouvre pour elle l’étape la plus
importante de sa vie.
En 1941, à la suggestion d’une religieuse dominicaine, Julienne fait la rencontre d’un
nouveau conseiller spirituel, M. le chanoine Cyrille Labrecque.
De 1941 à 1945, elle vit des années d’intenses purifications spirituelles, mais surtout
d’illuminations singulières à travers lesquelles Dieu la fait entrer plus profondément
dans son mystère. Peu à peu, elle comprend qu’il a une mission à lui confier.
Le Jeudi saint, 2 avril 1942, Julienne fait l’expérience de la dernière Cène qui
deviendra le centre de sa vie spirituelle. Cette expérience, et d’autres encore, lui font
découvrir l’immense amour avec lequel notre Seigneur se donne dans l’Eucharistie.
Elle saisit que, dans le Cœur du Christ nous donnant l’Eucharistie, toute la Trinité est
présente et agissante; là se trouvent comme en résumé tous les mystères de notre foi.
4
Femme de lumière et de feu, ibid., p. 34.
Il s’agit d’abord des Servantes du Saint-Cœur-de-Marie, ensuite des Dominicaines de l’Enfant-Jésus,
devenues aujourd’hui les Dominicaines de la Trinité.
5
4
Progressivement, d’autres signes lui sont donnés. Avec son directeur spirituel, Julienne
comprend que Dieu lui confie la fondation d’une nouvelle communauté religieuse qui
portera le nom de Dominicaines Missionnaires Adoratrices. Cette communauté aura
comme mission, pour reprendre ses mots, « de former une génération d’âmes toutes
dévouées à l’amour de Notre-Seigneur dans son Eucharistie, amour qu’elles
honoreront sous le vocable de “Cœur Eucharistique de Jésus” ».
La fondation, autorisée par l’Archevêque de Québec, le Cardinal Jean-Marie-Rodrigue
Villeneuve, o.m.i., se réalise le 30 avril 1945. Par la suite et jusqu’à sa mort le
6 janvier 1995, toute la vie de Julienne – devenue Mère Julienne du Rosaire – est
consacrée à la mission qui lui a été confiée : mission de fondatrice mais aussi, mission
d’apôtre privilégiée du Cœur Eucharistique de Jésus!
2e partie : Une « parole » pour aujourd’hui; mais quelle parole?
En quoi peut-on dire de Mère Julienne du Rosaire qu’elle est « une parole pour
aujourd’hui »? En réponse, je vous propose quatre pistes de réflexion : une première, à
partir du témoignage de sa vie, et trois autres puisées dans son message spirituel.
1. Mère Julienne du Rosaire :
une « parole » interpellante par le témoignage de sa vie
Mystérieux rayonnement des amis (amies) du Seigneur
Depuis quelques années, mes compagnes et moi sommes impressionnées par le
témoignage de gens qui nous parlent de ce que Mère Julienne du Rosaire est pour eux.
Parfois, ce sont des personnes qui l’ont connue de son vivant, mais le plus souvent, ce
sont des gens qui, sans l’avoir connue, se sont mis à demander son intercession. Des
messages viennent parfois de très loin : de la Pologne, de l’Allemagne, de la France,
de la Belgique et d’ailleurs. Et que disent-ils? Qu’elle est devenue leur amie; qu’ils
l’ont adopté comme mère : « Elle est proche de moi, s’occupe de moi, m’aide dans
mes souffrances… » etc.
Mystérieux rayonnement des amis (amies) du Seigneur! Car c’est d’abord ce
rayonnement qui peut être une parole pour nous, nous montrant à quel point « la
fraîcheur de l’Évangile6 » se découvre de manière spéciale dans le témoignage d’une
vie. Et c’est certainement ce qui parle le plus fort aujourd’hui, comme le Pape Paul VI
le disait il y a plusieurs années : « L’homme contemporain écoute plus volontiers les
6
L’expression est de notre nouvel archevêque, Mgr Gérald Lacroix, utilisée dans son premier point de presse
du 22 février 2011, après l’annonce de sa nomination; cf . http://www.ecdq.tv/fr/videos.
5
témoins que les maîtres ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des
témoins7 ».
Une femme chaleureuse au regard pénétrant
Mère Julienne était une personne chaleureuse et aimante, une femme transparente et
tellement vraie! Petite de taille, elle avait de grands yeux bleus et un regard profond,
lumineux. C’est avec tendresse et respect qu’elle plongeait son regard dans celui de
ses interlocuteurs. Quand elle était avec quelqu’un, son attention intérieure était tout à
l’écoute de l’Esprit Saint en elle, on le sentait. Mais en même temps, elle regardait la
personne qui était là devant elle avec une bienveillante intensité.
L’amie privilégiée de tant de personnes
Les premières à bénéficier de son contact étaient les membres de sa communauté,
« ses filles » comme elle nous appelait affectueusement. Mais en même temps, elle a
touché un nombre incalculable de personnes, sans quitter très souvent les murs de son
couvent. Tous les dimanches après-midi, des personnes se succédaient à son parloir.
Conseillère, amie, confidente, celle à qui l’on recommandait des intentions de prière,
guide spirituelle, elle a été tout cela et combien plus pour des gens de toutes
catégories.
Un jour, j’étais dans un centre d’achat à Québec, attendant une compagne, lorsqu’une
dame m’aborde et me demande : « Êtes-vous de la communauté de Mère Julienne? »
À ma réponse affirmative, elle dit : « Oh! Mère Julienne, c’est ma grande amie; je suis
allée la rencontrer une fois! » Au dedans de moi, je souriais en me disant : eh bien oui,
une fois suffit pour que la personne se sache vraiment aimée par cette petite mère…, et
par le fait même chérie par Dieu.
Une femme tout attentive aux autres
C’était là un trait typique chez elle que d’être toute donnée à la personne avec qui elle
entrait en contact. En 1979, elle et moi, nous étions à une aérogare dans l’Ouest
canadien attendant notre vol de retour pour Québec. Plusieurs personnes étaient
venues nous saluer et Mère Julienne prenait du temps avec chacune. Un couple, après
s’être entretenu avec elle, me dit : « C’est drôle, lorsqu’elle est avec nous, c’est comme
si nous étions les seules personnes au monde pour elle ».
Même attitude pendant les dernières années de sa vie, lorsque la maladie l’obligeait à
demeurer dans sa chambre. Quand les gens la visitaient, ils commençaient
habituellement par s’informer de sa santé. Mais très rapidement, Mère Julienne
détournait l’attention en leur demandant : « Et vous, comment allez-vous? Comment
va telle personne? Telle situation? »
7
Dans son Exhortation apostolique post-synodale Evangelii nuntiandi no 41, en 1975.
6
Ce dernier trait est important. On pourrait croire qu’étant donné son intense vie
spirituelle et les grâces qu’elle a reçues, Mère Julienne avait tendance à parler d’elle,
de sa relation au Seigneur, des faveurs qu’il lui accordait. Pas du tout! Elle parlait du
Christ et elle le faisait avec feu, témoignant de l’amour du Seigneur, du don de
l’Eucharistie. Mais elle le faisait en gardant une grande discrétion sur elle-même et sur
ses grâces personnelles.
Toute à l’autre, mais sans mainmise sur ses interlocuteurs! Il arrivait que certaines
personnes, qui avaient été proches d’elle pour un temps, prenaient leurs distances.
Mère Julienne les laissait aller sans plus, elle les gardait dans son cœur et dans sa
prière bien sûr, mais respectait totalement leur liberté. On lui demandait un conseil?
Elle le donnait, mais sans attendre des nouvelles en retour et sans exercer sur la
personne la moindre pression.
Une fondatrice et une mère donnée à sa communauté
Au sein de la communauté, Mère Julienne était totalement donnée à sa mission de
fondatrice, et pendant de nombreuses années, à son service de prieure générale.
Découvrir et réaliser la volonté de Dieu sur la communauté et en chacun de ses
membres était sa grande préoccupation. Elle vivait ce service avec audace et une
certaine fermeté, mais aussi avec une délicate attention à chacune de ses filles,
recherchant à la fois leur avancement spirituel, leur fécondité apostolique et, comme
elle aimait le dire, leur bonheur. Car elle était une femme heureuse qui cherchait à
semer la joie autour d’elle.
En dépit de cela, pour elle comme pour toute personne, des souffrances de toutes
sortes : physiques, morales, spirituelles mêmes, ont abondé dans sa vie; et dans le cas
d’une fondatrice, d’une personne ayant une mission spéciale, cela ne pouvait aller
autrement. Elle vivait ses souffrances avec humilité, simplicité, et avec un désir
profond de communier en tout à la volonté de Dieu, et surtout de demeurer unie au
Sauveur dans l’offrande de lui-même au Père par amour pour la vie du monde. Elle y
voyait des occasions de réaliser d’une manière spéciale sa vocation d’adoratrice.
Un charisme d’enseignement
Très régulièrement, même quotidiennement pendant plusieurs années, Mère Julienne
rompait pour ses filles le pain de la parole et communiquait le trop-plein de sa
contemplation. Tous les aspects de la foi chrétienne y passaient, ainsi que les chemins
à emprunter pour répondre aux appels de Dieu. Mais c’est surtout le mystère de
l’Eucharistie qui était au cœur de ses entretiens. Quelle richesse que les enseignements
de cette femme de lumière et de feu!
7
2- Mère Julienne du Rosaire :
une « parole » lumineuse qui se veut l’écho de l’unique Parole
Séduite toute jeune par la Parole de Dieu
Lorsque j’ai parlé du cheminement spirituel de la jeune Julienne, j’ai mentionné
comment elle avait été marquée par la méditation des Évangiles. Cet amour de la
Parole de Dieu a grandi en elle tout au long de sa vie.
Or cette familiarité avec l’Écriture s’exprimait fortement dans ses entretiens. Puisant
son enseignement dans son expérience spirituelle, dans sa contemplation, la Parole de
Dieu était quand même toujours, directement ou indirectement, au cœur de ses propos.
Elle arrivait devant nous avec sa Bible ou son « Prions en Église » tout annotés et nous
partageait avec ferveur ce que les textes, surtout ceux de la messe du jour, lui avaient
fait comprendre ce matin-là.
La Parole, c’est Jésus qui se donne par amour dans l’Évangile
Pour elle, l’Écriture, c’était aussi « le don de Dieu », c’est-à-dire Jésus qui nous donne
sa vie. C’est ce qu’elle a exprimé lors de son allocution du Jeudi saint 1978 :
Sa vie!... Jésus le grand Amour, nous l’a donnée de son premier souffle à son
dernier, et il nous la redonne en un livre inspiré : l’Évangile.
Cette vie qu’il nous a donnée goutte à goutte pendant 33 ans, il nous la redonne,
avec tout ce qu’elle comporte, en ce livre divin qu’on nomme l’Évangile. Elle
palpite dans toute la Bible, mais plus encore dans les pages du Nouveau
Testament8.
Invitation à tous à fréquenter quotidiennement la Parole de Dieu
Mère Julienne recommandait à tous : religieux, religieuses, prêtres, laïcs, la
fréquentation quotidienne de la Parole de Dieu. En 1984, dans ses vœux à un groupe
de laïcs, elle disait :
Les Saintes Écritures, en particulier l’Évangile, c’est Jésus vivant pour nous dans
ce livre. L’ouvrir avec foi, c’est nous ouvrir à lui, c’est le rencontrer..., le voir...,
l’entendre..., c’est boire la lumière de sa vérité et l’amour de son Cœur.
Par le truchement des mots de ce livre, Jésus notre Rédempteur exerce sur nous
une action bien mystérieuse qui nous transforme. Que de saints canonisés ont fait
8
Mère Julienne du Rosaire, L’Évangile et l’Eucharistie, Éditions du Cénacle, pp. 6-7. Il s’agit d’un tiré à part
du livre Il les aima jusqu’à la fin, publié aux Éditions Paulines en 1991. Nous avons placé à l’arrière de la
Basilique des copies de cet entretien. Pour les personnes qui nous écoutent par l’entremise de Radio-Galilée ou
par internet sur ECDQ.tv, vous pouvez vous rendre sur le site des Dominicaines Missionnaires Adoratrices à :
op-dma.com/editions-du-cenacle/ pour savoir comment vous procurer gratuitement ce fascicule. Vous pouvez
écrire aussi aux Dominicaines Missionnaires Adoratrices, 131, rue des Dominicaines, Québec, QC, G1E 6S8.
8
leur premier pas dans la foi à partir d’une parole des Saintes Écritures, laquelle
les a interpellés et bouleversés, car elle est vivante, cette Parole... C’est
Quelqu’un!... C’est le Sauveur!...9
Il me semble que ce témoignage de Mère Julienne sur l’importance de la manducation
des Saintes Écritures nous interpelle fortement, dans la foulée du dernier Synode sur la
Parole de Dieu et dans l’appel à nous engager de plus en plus dans la nouvelle
évangélisation.
3- Mère Julienne du Rosaire :
une « parole » convaincante qui annonce le Cœur Eucharistique
L’apport spécifique de Mère Julienne du Rosaire à l’Église
Le deuxième thème que je veux mettre en relief constitue sans contredit le cœur de
l’enseignement de Mère Julienne du Rosaire et de son apport spécial à l’Église. Il
s’agit de sa compréhension du mystère de l’Eucharistie, et plus spécifiquement du
mystère du Cœur Eucharistique de Jésus. Comme le Cardinal Marc Ouellet le laissait
entendre dans son homélie lors de l’ouverture de sa cause de béatification en 2008 :
Mère Julienne offre à l’Église un développement doctrinal original de la piété
eucharistique dont il faut examiner la valeur et la portée. En plus de la sainteté de
vie, je ne serais pas surpris qu’on reconnaisse chez elle un charisme doctrinal
autour de la dévotion au Cœur eucharistique10.
Certes, nous aurions beaucoup à dégager de l’enseignement de Mère Julienne du
Rosaire sur l’Eucharistie en général; cependant, je me limiterai à son enseignement sur
le Cœur Eucharistique de Jésus.
Retour à ses expériences spirituelles avant la fondation de la communauté
Revenons à son expérience de l’évangile de la Samaritaine, à 12 ans, et à ce qu’elle a
compris à ce moment-là : le don de Dieu, c’est Jésus lui-même, Jésus dans
l’Eucharistie.
Ce mystère du « don de Dieu », du don de l’amour du Père qu’est Jésus, toujours
sacramentellement présent parmi nous, suivra Mère Julienne tout au long de sa vie.
Cependant, des perspectives nouvelles et insoupçonnées s’ouvriront pour elle à partir
du Jeudi saint 1942 et par la suite.
9
Vœux de Mère Julienne du Rosaire à la Fraternité eucharistique, 12 janvier 1984, Archives DMA.
Cardinal Marc Ouellet, Homélie lors de la célébration de l’ouverture du procès diocésain de la Cause de
Mère Julienne du Rosaire, 14 septembre 2008, texte relevé de l’enregistrement-vidéo de ECDQ.tv.
10
9
Jésus, le « don de Dieu », est aussi celui qui se donne par amour
Oui, Jésus est le don de Dieu. Mais il est aussi, et d’une manière bouleversante, le
« Don qui se donne ». Comme elle le dit dans le passage déjà cité : « Sa vie!... Jésus le
grand Amour, nous l’a donnée de son premier souffle à son dernier ». Et elle
continue : « Sa vie!... Jésus, le grand Amour, nous l’a donnée une fois pour toutes en
mourant sur une croix, et il nous la redonne en un pain sacramentel : l’Eucharistie11 ».
D’où ce cri du cœur qui montera en elle à diverses reprises : « Oh, l’immense amour
du Cœur du Christ à la veille de sa mort, lorsqu’il invente l’Eucharistie! Oh,
l’immense amour qui, au Jeudi saint, pousse Jésus à se livrer aux siens dans le
sacrement de “son corps livré et de son sang versé”! ». « L’Eucharistie, dira-t-elle,
c’est le Cœur du Christ dans son acte rédempteur12 »
Le Cœur du Christ dans son acte rédempteur s’offrant pour la gloire de la Trinité et
pour le salut du monde…; l’immense amour de Jésus se donnant à nous dans
l’Eucharistie, à la Cène comme à l’autel… : tout est là, et c’est cela le mystère de son
Cœur Eucharistique.
L’acte d’amour du Jeudi saint : un acte qui se perpétue dans l’espace et le temps
Mère Julienne va encore plus loin : cet acte d’amour du Christ au Jeudi saint n’est pas
seulement chose du passé. Elle explique :
L’acte d’amour qui a institué l’Eucharistie le Jeudi saint n’a pas été un acte
passager : il se perpétue à travers les siècles, il opère à chaque messe, il agit à la
communion de chaque personne; il est donc très actuel. Cet acte d’amour
soutient l’Eucharistie dans l’existence; il en est, pourrait-on dire, l’âme, la vie13.
Parler du Cœur Eucharistique de Jésus, c’est donc parler d’un Christ qui, au souffle de
l’Esprit, se donne avec toute la puissance de son amour de Sauveur, dans le mystère de
sa mort et de sa résurrection; il se donne jusqu’à la fin des temps, toujours par amour,
pour rejoindre chaque génération humaine et chaque personne individuelle qui s’ouvre
à son don.
D’où toute la force de cette compréhension de Mère Julienne en 1958 :
La terre est comme un immense autel : il n’y a qu’un prêtre, le Christ, et le Christ
fait entendre les battements de son Cœur produisant toujours le même acte
d’amour qui le pousse à s’immoler pour la gloire de la Sainte Trinité et à se
donner aux hommes par la communion, afin de les unir à ses adorations et à ses
louanges14.
11
L’Évangile et l’Eucharistie, ibid., p. 10.
Ibid
13 Mère Julienne du Rosaire, Conférence aux amis du Sacré-Cœur, 20 juin 1974, Archives DMA.
14 Cité dans différentes conférences de Mère Julienne du Rosaire, entre autres, son Commentaire de la Prière
au Cœur Eucharistique, 6 mars 1959, Archives DMA.
12
10
Une demande et une promesse concernant la dévotion au Cœur Eucharistique de
Jésus
Mère Julienne comprend également que « les âmes qui honoreront d’une façon
particulière cet amour seront introduites dans son divin Cœur; elles vivront en lui et
par lui une vie d’amour15 ». Il y a dans ces mots à la fois une demande et une
promesse.
Comment « Honorer cet amour »? Nous le faisons d’abord et avant tout en accueillant
avec joie, reconnaissance et amour ce don que le Christ nous fait de lui-même dans la
célébration eucharistique. Concrètement, cela veut dire participer activement à la
messe en y apportant toute notre vie. Là, le Seigneur nous entraîne dans ce grand
mouvement vers le Père qu’il vient vivre avec nous en Église en nous unissant à son
sacrifice d’adoration.
On l’honore aussi d’une manière intime et profonde en l’accueillant par la communion
sacramentelle; et quand celle-ci n’est pas possible, par la communion spirituelle. Car
communier vraiment, c’est laisser le Christ nous transformer peu à peu en lui pour
vivre de sa vie. Et nous savons que vivre de sa vie, c’est aimer comme lui, avec son
Cœur à lui; aimer le Père, et aimer nos frères et sœurs, en posant des gestes concrets.
Il arrivait parfois à Mère Julienne d’interpeller doucement les gens qui venaient la
voir : « Vous me demandez de prier. Et vous, priez-vous? Participez-vous à la messe
dominicale? » Quand la réponse manifestait un certain éloignement, elle ajoutait
délicatement et avec beaucoup de tendresse : « Savez-vous de quoi vous vous
privez? »
Entrer dans le Cœur du Christ pour découvrir ce que c’est, la messe
Si Mère Julienne disait cela avec autant de conviction, c’est qu’elle avait une profonde
expérience de la puissance de l’action du Cœur du Christ eucharistique au sein de
l’Église, dans le monde et surtout dans nos vies. Son expérience lui permettait de saisir
par l’intérieur que vivre la messe, c’était vraiment cela : « vivre », c’est-à-dire entrer
dans le mystère, se laisser transformer par lui et en même temps, laisser l’Esprit de
Jésus nous unir, en frères et sœurs, dans la même offrande du Fils à son Père.
Nous savons que si nous nous limitons à « assister » à l’Eucharistie dominicale comme
à une activité faite simplement de rites, de paroles, de gestes, nous risquons d’en
perdre le goût, le sens profond et même l’habitude. Pourquoi? Parce que la messe,
pour être vécue vraiment, ne peut l’être que dans une communion spirituelle avec le
Christ eucharistique, présent et agissant au cœur de l’Église…; désirons au moins y
15
Cité par le Père Jean-Marie Côté, C.Ss.R., dans son homélie lors des funérailles de Mère Julienne du Rosaire
le 10 janvier 1995 et dont on trouve le texte dans Femme de lumière et de feu, pp. 92-99.
11
participer ainsi. Beaucoup de personnes touchées par le message de Mère Julienne en
ont fait l’expérience et peuvent témoigner que plus nous entrons dans le Cœur
Eucharistique du Christ en le laissant nous emporter dans son adoration et son amour,
plus nous découvrons vraiment ce que c’est, « vivre la messe ».
« Vivre sa messe », mais aussi « mettre la messe dans sa vie »
Vivre sa messe..., mais aussi, pour reprendre une autre expression de Mère Julienne :
« mettre la messe dans sa vie », c’est-à-dire permettre à la célébration eucharistique de
transformer progressivement notre quotidien. Écoutons-la encore une fois :
Quand la messe est finie et que nous sortons de l'église […], la messe à laquelle
nous venons de participer est terminée; mais la nôtre, la messe dans notre vie,
celle que Notre-Seigneur veut célébrer dans l'intime de notre être, sur l'autel de
notre cœur, elle commence : « Faites ceci en mémoire de moi, gardez le souvenir
actif de ce que vous venez de vivre. » La messe a d’autant plus de valeur et
d'efficacité personnelles que celui qui y participe met sa vie en accord avec elle
[…]16.
Et elle poursuit :
La messe, c'est le soleil qui illumine, qui réchauffe, qui vivifie, qui transforme
tout. […] elle nous aide à devenir plus intensément chrétiens, plus
généreusement apôtres, plus heureux, plus disponibles, plus abandonnés aux
mains du Père. La messe nous aide à bien vivre, nous aide à bien souffrir et nous
aidera un jour à bien mourir17.
4- Mère Julienne du Rosaire :
une « parole » entraînante qui conduit à l’adoration en esprit et en vérité
Ces propos nous amènent au dernier thème que je veux souligner : l’appel que Mère
Julienne nous adresse à devenir « adorateurs, adoratrices ». Je développerai moins ce
dernier aspect; il est en lien direct avec ce qui précède18.
Toute personne possède en elle-même un appel à l’adoration
Mère Julienne a souvent évoqué cette vérité à savoir que toute personne porte, inscrite
dans les profondeurs de son être, un appel à l’adoration, qu’elle en soit consciente ou
pas. Car, en tant que créatures, nous sommes, selon son expression, « un être de
16
Conférence aux membres de la Fraternité dominicaine missionnaire adoratrice, « La messe dans ma vie », 21
mars 1979, Archives DMA.
17 Ibid.
18 Comme pour la publication dont il a été question plus haut (supra. note 8), le fascicule L’adoration par Lui,
avec Lui, en Lui, Les Éditions du Cénacle, 2008, est placé à l’arrière de la Basilique. Vous pouvez aussi
consulter notre site internet – op-dma.com/editions-du-cenacle – pour savoir comment vous procurer
gratuitement un exemplaire.
12
dépendance vis-à-vis de Dieu », un être appelé à boire humblement et à tout instant la
vie « dans une sorte d’extase devant la puissance de Dieu19 ».
Jésus est le seul adorateur véritable et son adoration atteint son sommet sur la Croix
Mais ce Dieu, qui le connaît vraiment et qui nous le fait connaître sinon Jésus, le Fils
du Père et notre frère? Lui seul alors accomplit parfaitement et en notre nom cette
vocation de l’être humain à l’adoration. Comme le dit Mère Julienne : « Le Christ est
le sanctuaire, le temple vivant de l’adoration… [l’adoration du Christ], c’est
l’adoration chrétienne, c’est l’adoration de l’Église20 ».
Oui, Jésus est l’adorateur parfait du Père. Et son adoration atteint son sommet lorsque,
sur la croix, il offre sa vie en sacrifice dans un acte d’amour et de totale obéissance au
Père, sacrifice qui sauve le monde. Le Père, lui, répond à la livraison du Fils en le
ressuscitant d’entre les morts et en faisant jaillir de son Cœur transpercé l’Esprit Saint
qui sera répandu sur toute l’humanité.
La célébration eucharistique, lieu par excellence pour adorer en esprit et en vérité
C’est ce sacrifice que Jésus a laissé aux siens par l’institution de l’Eucharistie au soir
de la Cène. L’acte d’adoration par excellence de toute l’Église et de chacun de nous se
vit donc dans et par la célébration eucharistique qui actualise ce sacrifice. En d’autres
mots, nous sommes adorateurs, adoratrices d’abord et avant tout à la messe. Nous le
sommes en communiant à ce grand mouvement d’adoration de Jésus envers son Père,
mouvement d’adoration qui traverse l’histoire et s’éternisera dans la gloire.
L’adoration devant le Saint Sacrement prolonge l’adoration de la messe
Le don de la présence du Christ dans l’Eucharistie est, ne l’oublions pas, un don
permanent. C’est ainsi que nous pouvons prolonger devant le Saint Sacrement
l’adoration de la messe. Là, adorant le Christ toujours présent dans le signe
sacramentel du Pain consacré, nous pouvons vivre avec lui des moments d’intimité
simples et profonds. On se souvient de ces paroles vibrantes du futur bienheureux
Jean-Paul II : « … comment ne pas ressentir le besoin renouvelé de demeurer
longuement, en conversation spirituelle, en adoration silencieuse, en attitude d'amour,
devant le Christ présent dans le Saint-Sacrement?21 »
Mais ne l’oublions pas : le Christ qui est là présent à nous est toujours, pour reprendre
des mots de Mère Julienne, celui « qui tient en mains sa chair et son sang et [… qui]
s’offre au Père avec tous les membres de son corps mystique22 ». Il est donc toujours
celui qui nous entraîne dans son adoration, dans sa louange, faisant de nous, avec lui,
ces adorateurs et adoratrices que cherche le Père. Ainsi, le temps que nous passons en
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Ibid., p. 5
Ibid., p. 7
21 Encyclique Ecclesia de Eucaristia, no 27, 17 avril 2003.
22 Adoration, Par lui, avec lui, en lui, p. 11.
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adoration devant le Saint-Sacrement est d’une valeur irremplaçable pour enraciner en
nous cette livraison de nous-mêmes au Christ. Nous unissant aux sentiments de son
Cœur, nous devenons ainsi et de plus en plus en lui adorateurs, adoratrices en esprit et
en vérité.
L’adoration dans la vie
Un autre aspect fondamental se dégage des enseignements de Mère Julienne sur
l’adoration eucharistique. Cette adoration dans et par le Christ ne trouve son
authenticité qu’au cœur de notre vie la plus concrète. Écoutons-la encore :
Comment adorer dans le concret de nos vies […]? En se donnant dans toute la force
du mot, au rythme du quotidien, sans sélectionner; en prenant les circonstances, les
événements, les minutes qui passent avec leur contenu, en essayant de leur faire
produire le plus de fruit possible. […] Devenons un « oui » de tous les instants au
Seigneur; que le Christ soit capable de chanter en tout ce que nous faisons, dans
toutes nos démarches, en tout ce que nous disons, son cantique d’adoration et
d’action de grâce23.
La Vierge Marie, modèle par excellence de l’adoration en esprit et en vérité
Parmi les créatures humaines, qui est le modèle par excellence de l’adoration en esprit
et en vérité, sinon la Vierge Marie? Combien de fois Mère Julienne nous rappellera
l’exemple de l’humble Myriam de Nazareth, fidèle à son Fils en tout et offerte avec lui
dans l’amour, particulièrement au pied de la croix… Combien de fois aussi nous
invitera-t-elle à demander à la Vierge de nous aider à réaliser notre vocation à
l’adoration.
Conclusion
Il est temps de conclure. Je suis consciente de n’avoir fait qu’effleurer le contenu si
riche de cette lettre que furent la vie et l’enseignement de Mère Julienne du Rosaire.
Mais j’espère en avoir dit suffisamment pour que son message vous ait touchés d’une
manière ou d’une autre.
De toute façon, j’ai la conviction que, de son côté, Mère Julienne elle-même continue
de travailler… N’avait-elle pas compris, avant même la fondation de la communauté,
que le Christ lui mettait son Cœur dans les mains pour qu’elle puisse parcourir la terre
et faire connaître son Amour, son Amour eucharistique? Dans les dernières années de
sa vie, environ vingt jours avant sa mort, elle disait : « Je voudrais tellement aller au
ciel tout droit pour commencer ma mission de chercher des adorateurs » (15 décembre
1994). Et trois jours avant son départ, réfléchissant sur ces mages d’aujourd’hui venant
de loin vers Jésus, elle affirmait mystérieusement : « c'est comme si je les guidais,
comme si je les aidais à marcher dans la droite ligne vers le berceau de Jésus ».
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Ibid, pp. 18-19.
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Ne sommes-nous pas tous et toutes, nous aussi, de ces mages d’aujourd’hui, toujours à
la recherche de Jésus? Puisse-t-elle nous aider à marcher dans la droite ligne vers
lui…, lui, présent et agissant dans notre monde et dans nos vies, avec toute la
puissance de son amour, par son Eucharistie.
Merci
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