WALLENSTEEN, Peter, Peace Research: Theory and practice

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WALLENSTEEN, Peter, Peace Research: Theory and practice
WALLENSTEEN, Peter, Peace Research: Theory and practice. Londres et New
York, Routledge, 2011, 278 p.
Fernando A. Chinchilla1
La soirée du 24 février 1990 fut angoissante pour Peter Wallensteen. Après avoir
participé, comme médiateur, à des négociations de paix en Papouasie-NouvelleGuinée, son convoi est arrêté. Suite à des tractations, un haut gradé lui permet de
poursuivre son chemin. Cette anecdote illustre le but central de l’auteur dans
l’ouvrage Peace Research: Theory and practice, à savoir présenter un « état de
l’art » des études de la paix, non seulement comme un débat théorique et
méthodologique, mais aussi comme un programme de recherche formulé et
avancé par des hommes et des femmes.
Le sentier méthodologique de la recherche de la paix est l’itinéraire de la variation
d’un concept, politique et normatif à ses débuts, qui devient objet de recherche
scientifique, grâce aux contributions des pères fondateurs de l’irénologie2. Dans
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Fernando A. Chinchilla est professeur au Département des sciences sociales de l’Université de
Monterrey, chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le Monde (Institut d’études
politiques de Bordeaux) et au Centre d’études sur la paix et la sécurité internationale (Université
de Montréal – Université McGill), et membre expert du Réseau de recherche sur les opérations de
paix (ROP) de l’Université de Montréal.
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En 1959, le Peace Research Institute in Oslo (PRIO), le premier milieu académique d’études de
paix, ouvre ses portes grâce à Johan Galtung. L’Uppsala Conflict Data Program (UCDP), le
Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) et le Kroc Institute for International
Peace Studies (Université de Notre Dame) sont alors constitués. Entre-temps, en 1963, J. David
Singer et Malvin Small (Université du Michigan) inaugurent le projet Correlates of War (COW).
Actuellement dirigée par Paul Diehl, John Vasquez et d’autres, cette initiative rassemble à présent
presque deux siècles de données quantitatives sur 421 guerres interétatiques et intraétatiques, ainsi
que sur 200 conflits anticoloniaux et non étatiques.
ce contexte, Wallensteen ne présente ni défend une hypothèse, mais analyse les
théories formulées (et les méthodologies employées) par les experts les plus
reconnus depuis les débuts de la discipline.
Le livre se divise en cinq sections. La première dresse un portrait de l’histoire des
programmes centraux de recherche sur la paix. La deuxième explique le conflit et
la paix interétatiques. La troisième traite de la paix intraétatique. La quatrième
aborde la question des sanctions internationales. Enfin, l’auteur conclut par une
discussion sur la médiation. Cette recension est faite en trois volets. D’abord, je
regroupe les considérations reliées à la paix interétatique pour se pencher, par la
suite sur la paix intraétatique. Les considérations finales mettent en évidence les
points forts et faibles de l’ouvrage.
La paix entre les États
Le point de départ des études sur la paix internationale consiste à isoler des paires
d’États et à analyser, dans un contexte d’anarchie, et en se fondant sur les données
du projet COW, dans quelles conditions leurs relations peuvent mener à la guerre.
Wallensteen organise la recherche existante selon trois vecteurs d’analyse. D’une
part, il identifie quatre écoles cherchant à déterminer le lien entre changement et
conflit : le Realpolitik, la Geopolitik, l’Idealpolitik et le Kapitalpolitik. La
première voit un monde où les menaces à la sécurité proviennent des armes en
possession des États (dilemme de sécurité). La Geopolitik explique le
comportement étatique à partir de la géographie des frontières, celles-ci étant
tantôt à l’origine des conflits, tantôt partie à la solution. L’Idealpolitik étudie la
légitimité et l’idéologie donnant un sens aux choix stratégiques des États. Enfin,
le Kapitalpolitik, voit une « paix capitaliste », fruit d’une coopération nécessaire
en raison de l’intégration des marchés.
D’autre part, l’auteur identifie trois systèmes étatiques : l’euro-centrique (181695), l’interrégional (1896-1944) et le global (1944-présent). Par la suite, il analyse
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la guerre et la paix dans chaque période. On retiendra qu’il n’y a pas de différence
entre les systèmes euro-centrique et interrégional quant à la relation guerre-paix,
et la façon dont le pouvoir est distribué; les conflits sont de moins en moins liés à
la géographie; et la stabilité des systèmes euro-centrique et global se démarque
vis-à-vis l’instabilité du système interrégional. Ce décompte n’est pas exhaustif,
mais il illustre le type de résultats auquel arrive l’auteur au fur et à mesure qu’il
avance dans son exposé.
Enfin, Wallensteen étudie l’impact de « l’universalisme » - les tentatives des
grandes puissances de créer des consensus applicables à l’ensemble du système
international (Concert d’Europe; Ligue des Nations, etc.), et du particularisme, sur
la guerre et la paix. On retiendra que l’universalisme fait diminuer l’incertitude,
même s’il peut servir à imposer et à protéger l’ordre des puissances victorieuses
d’une guerre. L’auteur reconnaît aussi que le monde de l’après-Guerre froide a
provoqué des changements majeurs dans le système international. Leur portée
demeure, toutefois, sujette à débat.
La paix à l’interne des États
Le nombre de conflits internes a toujours été plus élevé que le nombre de conflits
interétatiques. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et jusqu’à 2005,
231 conflits internes, intra-étatiques internationalisés et interétatiques, ont été
recensés dans 151 endroits à l’échelle mondiale. Or, ce n’est que depuis les
années 90 que l’étude des conflits armés internes devient prioritaire. On entend
par « conflit armé interne » les incompatibilités entre deux parties – au moins
l’une d’entre elles étant un État – contestées par la force, produisant au moins 25
morts par an3. La notion « d’incompatibilité » justifie l’étude des accords et des
processus de paix ainsi que toute tentative pour les transformer, les résoudre ou
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La définition est la suivante : « …an armed conflict is a contested incompatibility that concerns
government and/or territory where the use of armed force between two parties, of which at least
one is the government of a state, results in at least twenty-five battle-related deaths in one calendar
year » (pp. 106-107).
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les accommoder. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui cherchent à prévenir des
scénarios comme ceux du Rwanda, de la Bosnie-Herzégovine et de la Somalie qui
se sont déroulés dans les années 90.
Ici, le compte rendu de Wallensteen montre que nous avons un travail à accomplir
en matière de clarification conceptuelle et méthodologique. D’une part, l’auteur
établit une multiplication de référents pour les mêmes concepts. Il évoque huit
définitions de « conflict prevention ». Il énumère les difficultés à déterminer si
une action préventive peut être considérée comme un « succès » ou un « échec ».
Il analyse la question du « timing » de l’intervention, et il regarde les facteurs
incitant à la coopération interethnique. Les apports des « poids lourds » dans le
domaine– Fearon, Goertz, Laitin, Rothchild, Regan – sont tous scrutés, même si
parfois l’exercice est succinct et même s’il n’existe pas une structure générale
organisant l’ensemble de l’exposé.
D’autre part, les recherches sur les processus de pacification intra étatique mènent
à des résultats parcellaires. On dénombre 144 accords de paix dans un tiers des
121 conflits internes actifs depuis 1989, qui règlent des sujets aussi divers que
l’élection du premier gouvernement de l’ère postconflictuelle, la gestion de la
pacification, les dispositions de partage du pouvoir, ainsi que la légalisation de
l’opposition et sa transformation en parti politique civil, parmi d’autres. Les
statistiques sont solides, mais globalement, l’analyse demeure discrète quand il
s’agit d’explorer les raisons de l’échec ou du succès des accords de paix. L’auteur
étudie aussi l’expérience en matière de recherche de la paix (peacemaking) –
diplomatie préventive, médiation, etc. –, mais de façon anecdotique.
Considérations finales
Il est facile pour le lecteur de critiquer le chercheur, car tout écrit est perfectible. Il
serait donc injuste de qualifier de désorganisé l’exposé sur la paix intraétatique
vis-à-vis le récit sur la paix interétatique, parce qu’un des traits du champ de la
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résolution de conflits internes est l’absence d’approches intégratrices. Il est
également injuste de reprocher à un internationaliste chevronné de ne pas agir en
comparatiste expérimenté. Ainsi, Wallensteen aborde la question des sanctions en
Chine, Corée du Nord, Côte d’Ivoire, Cuba, Inde, Iran, Libéria, et au Pakistan,
ainsi que dans les cas des Apartheids sud-africain et rhodésien, de la France
napoléonienne, de l’Empire portugais, et de l’ex-Yougoslavie. Or, il se limite à
constater que l’efficacité des sanctions est modeste, alors que les dynamiques
internes peuvent être des facteurs centraux pour expliquer l’échec ou le succès des
sanctions. En fait, l’honnêteté de cet exposé montre combien il est nécessaire de
faire converger les relations internationales avec d’autres sous-disciplines de la
science politique, notamment avec la politique comparée. C’est dans la mise en
commun d’outils méthodologiques que se trouve la conception de regards
capables d’analyser de façon cohérente des événements imbriqués dans des
relations de causalité incluant des facteurs internes et externes. Par ailleurs, divers
internationalistes indiquent que la prévention des conflits doit être adaptée aux
spécificités du contexte local. Comment opérer une telle adaptation si ce n’est en
étudiant ces contextes?
Il y aurait donc un seul talon d’Achille à cet ouvrage. Puisqu’il s’agit d’un compte
rendu sur la recherche sur la « paix », il aurait été opportun d’être beaucoup plus
explicite quant à la définition de « paix ». En d’autres termes, il ne suffit pas de
signaler que l’absence de guerre est essentielle dans la plupart des définitions de
paix pour se lancer ensuite dans l’étude des guerres. Sans doute faut-il mieux
comprendre les causes du conflit pour mieux saisir la paix. Toutefois, ceux qui
croient, comme moi, qu’il faut développer une définition de la paix (c’est-à-dire la
différencier de la simple absence de guerre sans pour autant tomber dans des
notions trop générales et vagues), risquent d’être déçus.
Il n’en demeure pas moins que trois apports font de ce livre une source essentielle
à l’irénologie. Premièrement, Wallensteen aborde le côté « humain » dans
l’élaboration d’un programme de recherche, ce qui rappelle que la recherche de la
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paix est une entreprise risquée non seulement pour les protagonistes politiques,
mais aussi pour les académiciens, les coopérants internationaux et les journalistes,
pour ne nommer que ceux-là. Deuxièmement, l’auteur traite de la déontologie de
la recherche. Bien sûr, étant donné son expérience, il aurait été opportun
d’élaborer davantage par rapport aux terrains pouvant porter atteinte à l’intégrité
physique du chercheur. L’effort pour intégrer les questions éthiques à la réflexion
demeure néanmoins notable. Finalement, et malgré un certain préjugé
(Wallensteen mentionne des chercheurs de pays industrialisés qui font de la
pratique de peacemaking sur le terrain, mais néglige les peacebuilders locaux qui
manquent de formation théorique « occidentale » en peacebuilding), l’ouvrage est
un bon point de départ pour intégrer a notre réflexion la question de la réduction
du fossé entre la théorie et la pratique de la résolution de conflits.
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