le foncier en nouvelle-caledonie - nc

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LE FONCIER EN NOUVELLE-CALEDONIE
Un peu d’histoire
La répartition du foncier en Nouvelle-Calédonie est étroitement liée à son histoire. En NouvelleCalédonie, l’identité Kanak est essentiellement foncière. Le rapport à la terre représente bien
plus qu’un simple périmètre foncier. Il définit l’identité sociale d’un individu par référence à un
tertre fondateur et à l’itinéraire qui a conduit les ancêtres de ce lieu d’origine à l’habitat actuel.
Localité et filiation sont indissociables. Ainsi les groupes tirent leur identité sociale d’un
enracinement dans le terroir dont ils portent encore les noms. Dès la prise de possession de la
Nouvelle-Calédonie par la France le 24 septembre 1853, les premières acquisitions de sol par les
européens se font par le biais de tractations qui sont stoppées par le gouvernement français qui,
en janvier 1855, se réserve la propriété exclusive des terres non occupées par les mélanésiens.
Le territoire est réparti arbitrairement entre terres vacantes et terres occupées en
méconnaissant la conception mélanésienne de la terre et pour partie de son occupation
concrète. En effet, l’exploitation des terres est réalisée par des groupes familiaux, très dispersés
qui pratiquent l’horticulture – cultures mobiles d’ignames et de tarots, brûlis et jachères
tournantes essentiellement vivrier, à l’intérieur de territoires définis. Cette pratique du
cantonnement a eu pour conséquence de déplacer de nombreux clans, forcés par
l’administration d’aller s’installer sur des terres de réserves où ils étaient étrangers. Leur accueil
sur ces nouvelles terres s’est fait selon le principe propre au système coutumier kanak
d’intégration de l’étranger. La constitution de l’identité d’un groupe à travers son itinéraire a
donc continué de jouer son rôle. Cependant, ces mouvements de population ne se sont pas faits
sans heurts avec l’administration coloniale et les colons, plusieurs affrontements ont émaillé le
passé jusqu’en 1917, où cette résistance active est devenue plus passive. Pour le Kanak, ce n’est
pas la terre qui appartient à l’homme, mais l’homme qui appartient à la terre. De son côté la
colonisation a poursuivi son déploiement avec une vision totalement différente, plus
économique, du foncier, de la valeur de la terre, c’est aussi la marque tangible de leur réussite
et le terreau de l’enracinement colonial. Les différentes vagues de peuplement et d’occupation
du foncier (pénitentiaire et volontaire) se faisant par l’obtention de concessions obtenues auprès
de l’administration de l’époque.
Après la fin du régime de l’indigénat, au début des années 1950, l’entrée des Kanak dans la vie
politique est vite marquée par un certain nombre de revendications concrètes, notamment sur
le plan du foncier. Au début des années 1970, la revendication foncière s’amplifie, elle est à la
base et est l’élément fédérateur de la création des différents mouvements politiques
indépendantistes. Il faut attendre 1978 pour qu’une première réforme foncière, dite réforme
DIJOUD (du nom du ministre des DOM TOM de l’époque) soit engagée suivie en 1982 par la
création de l’Office foncier. A ces revendications kanak, essentiellement identitaires et fortement
liées à la conception de la terre, le gouvernement français répond ainsi par une politique de
rééquilibrage économique et par une réforme foncière. Cette réforme est destinée à apporter
une réponse aux revendications exprimées par les clans kanak au titre du lien à la terre, mais
aussi à favoriser l’installation des exploitants agricoles par le biais d’acquisitions et d’attributions
de propriétés rurales. La revendication au départ identitaire et foncière est devenue par la suite
politique et s’est traduite de 1984 à 1988 par les évènements que nous avons connus. Les accords
politiques de 1988 (accord de Matignon) et de 1998 (accord de Nouméa) soulignent et renforcent
la place essentielle de la réforme foncière engagée, pilotée depuis 1989 par l’Agence de
Développement Rural et d’Aménagement Foncier d’Etat (ADRAF).
La forme des attributions a évolué au cours des différentes réformes. De 1978 à 1986, les
attributions foncières à des tribus, sous la forme d’agrandissement de réserves, puis à des clans
ont été privilégiées. De 1986 à 1988, l’ADRAF territoriale a privilégié des attributions de type
individuel. A partir de 1989, l’ADRAF d’Etat a procédé à des attributions au bénéfice de
Groupements de Droit Particulier Local (GDPL) qui est un groupement doté de la personnalité
morale, constitué de personnes de statut coutumier ou à des collectivités (Provinces, Communes)
pour des besoins d’intérêt général. Notons que l’Agence dispose d’un droit de préemption sur
les échanges fonciers.
Structure foncière de la Nouvelle-Calédonie
La structure foncière de la Nouvelle-Calédonie présente plusieurs originalités :

La coexistence de trois statuts fonciers : privé, public et coutumier. Ce dernier est propre
à la Nouvelle-Calédonie et se caractérise par la règle des « 4i » : inaliénable,
incommutable, incessible, imprescriptible. Le foncier coutumier, régit par la coutume,
nécessite ainsi des approches spécifiques, comme cela peut se voir par exemple à Baco
(Zone VKP) ou au Mont-Dore. Les terres coutumières représentent 27% de la superficie
de la Nouvelle-Calédonie. La difficulté en termes d’aménagement ou d’investissement
pour la création d’une activité économique ou la création d’entreprises en général réside
dans le fait que les investissements notamment à caractère immobilier ne peuvent pas,
compte tenu de la règle des « 4i », servir de support de garantie bancaire. Ce qui limite
fortement le développement de ces zones. Nous verrons ci-dessous les outils mis en place
pour aplanir cette difficulté.

Une politique de réforme foncière, dans un contexte de décolonisation, qui s’inscrit dans
la catégorie des « réformes agraires de type distributif ». Il s’agit de convertir des terres
privées ou domaniales en terres coutumières et de les attribuer à des collectifs (clans,
GDPL), tout en reconnaissant et en affirmant les droits des dits « coutumiers » :
l’attribution se fait au nom d’un lien à la terre, postulé comme principe fondateur de
l’identité kanak dans le préambule de l’accord de Nouméa. Comme vu plus haut, cette
réforme est conduite depuis 1988, par un établissement public d’Etat : l’ADRAF.
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Un domaine des collectivités conséquent, représentant plus de 55% de la superficie de la
Nouvelle-Calédonie, appartenant en grande partie au gouvernement de la NouvelleCalédonie. Il convient de noter que ce domaine est avant tout constitué de la chaine
centrale de la Grande Terre, au relief montagneux et peu accessible.
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Le reste, soit environ 18%, constitue le foncier privé.
Politique foncière
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La gouvernance et les outils permettant d’engager des politiques foncières volontaristes
apparaissent très limités, au regard de l’absence de droit de préemption urbain, d’un droit
d’expropriation stratifié et du défaut d’un établissement public foncier.
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En milieu urbain, la spéculation foncière, qui pèse sur le budget des ménages et des
opérateurs de logement sociaux, entraîne la recherche de fonciers moins coûteux mais
plus éloignés, accélérant l’étalement urbain. L’absence de maîtrise publique foncière
empêche la conduite de projets de territoire clairement définis et aboutit à des stratégies
de développement par opportunité.
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La fragmentation et l’imbrication des domaines coutumiers, domaniaux et privés créent
des situations régionales et locales très diversifiées, et d’autant plus variées en présence
d’activités minières. Cette diversité implique des rapports différents entre acteurs locaux,
des contraintes d’aménagement à chaque fois spécifiques, propres à un lieu, et des
complications dans l’articulation et la mise en cohérence des projets et des outils de
planification mobilisés.
Dans le cadre du schéma d’aménagement et de développement de la Nouvelle-Calédonie
« Nouvelle-Calédonie 2025 », une réflexion a été engagée sur le sujet, notamment le chapitre 6.7
« Développer des stratégies foncières ». Parmi les thèmes abordés, nous pouvons citer quelques
objectifs :
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Construire une collaboration interinstitutionnelle
Favoriser la gestion et la mise en valeur des terres coutumières
Maîtriser et réguler les pressions foncières
Valoriser les terres domaniales
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Les outils
 Cadre juridique du GDPL
Le GDPL est une structure juridique purement locale, dotée de la personnalité morale. Ce statut
est unique puisqu’il n’existe qu’en Nouvelle-Calédonie. Il a été élaboré en 1982 pour concilier les
exigences du droit civil et l’organisation coutumière traditionnelle. Celui-ci regroupe en son sein
des personnes attachées entre elles par des liens coutumiers (au sein d’une famille, d’un clan ou
d’une tribu). La plupart des GDPL ont été constitués au début des années 1990 (début des
Provinces) en vue de bénéficier des attributions foncières effectuées par l’ADRAF, sous le régime
du droit coutumier. Le GDPL s’adapte aisément à l’organisation coutumière spécifique à chaque
secteur géographique. Le GDPL est ainsi propriétaire de son foncier, il le gère librement et ses
membres peuvent décider de s’y établir, de l’exploiter économiquement, ou de le mettre à
disposition de personnes extérieures qui souhaiteraient y réaliser un projet de développement
économique. Notons que sa constitution est aisée. Il suffit que ceux qui se déclarent membres et
qui se constituent en GDPL fassent une simple déclaration à sa Province d’appartenance, puis
une annonce est insérée au Journal Officiel de la Nouvelle-Calédonie. Le GDPL est représenté visà-vis des tiers par un mandataire. Il ne peut prendre d’engagement au nom du GDPL que lorsqu’il
a été autorisé et mandaté par l’assemblée générale pour le faire. La création du GDPL est très
simple. Il suffit d’adresser au président de la province (bureau des affaires générales) une
déclaration comportant :
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la désignation du mandataire
l'objet du GDPL
l’adresse de son siège social
la liste des membres du groupement
leur état-civil
leurs signatures
La signature du mandataire doit être authentifiée par le maire de la commune correspondante
au siège social. Les services provinciaux se chargent des formalités de publicité et de
l’immatriculation au registre du commerce. La déclaration doit être également adressée au maire
de la commune du siège du groupement qui procède à son affichage en mairie.
Certaines difficultés peuvent parfois être observées, outre les inconvénients et contraintes
juridiques engendrant une sécurisation insuffisante pour les établissements bancaires :
 Les décisions peuvent prendre du temps puisqu’elles nécessitent consensus
 Un manque de formalisme pour certaines structures pouvant entrainer des difficultés de
gestion ou un décalage vis-à-vis des administrations (décès d’un mandataire ou d’un
membre, non déclarés à l’administration entrainant un bouleversement du
fonctionnement du GDPL)
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 Absence de délibérations écrites lors des AG (tradition orale) pouvant entrainer des
contestations entre membres ou vis-à-vis des tiers, si non suivies
 Absence de formations des mandataires en gestion et économie
 Remise en cause le la légitimité du GDPL par des familles ou clans ou tribus externes au
GDPL
Les GDPL peuvent disposer librement de leur foncier pour s’y installer ou l’exploiter
économiquement, les membres peuvent également décider de le louer via la création d’un bail
emphytéotique à une société par exemple.
 Le recours au bail emphytéotique
Le bail emphytéotique est un bail de longue durée, de 18 à 99 ans et plus, pour lequel le bailleur
confère au preneur un droit réel qui lui permet, voire lui impose, de construire sur les terrains
qui en sont l’objet, des immeubles, puis de les entretenir. A l’issue du bail, le bailleur propriétaire
du sol devient propriétaire des constructions. Dans cette attente, le propriétaire ne reçoit qu’un
loyer généralement faible ; sa véritable rémunération étant constituée par la remise gratuite des
biens édifiés en fin de bail.
Ce type d’outil est à encourager puisqu’il permet le développement d’activités économiques sur
terre coutumière. C’est une solution pour des zones comme dans certaines communes de la
Province Nord qui ne disposent plus de foncier privé pour pouvoir se développer. De nombreux
exemples existent en Nouvelle-Calédonie.
Citons pour mémoire la réalisation du Koulnoué Village de Hienghène qui a accueilli un temps le
Club Med. Les réalisations de lotissements à usage industriel et commercial ou de logements
avec les GDPL de Baco à Koné dans le cadre de l’aménagement de la zone VKP ou au Mont Dore
avec le GDPL Kanoda pour la construction de logements locatif au profit de la SIC ou le GDPL
Yanna pour la construction d’une station-service et d’une agence bancaire.
C’est également un outil qui permet aux différents bailleurs sociaux d’investir sur terres
coutumières, notamment aux îles, pour permettre la réalisation de logements aidés. Ce type de
bail permet aux opérateurs de rentabiliser leurs investissements et aux coutumiers de percevoir
des loyers et de récupérer les investissements en fin de bail.
 La création d’un cadastre coutumier
Il est énoncé dans l’alinéa 3 du point 1.4 « la terre » de l’Accord de Nouméa que : « les terres
coutumières doivent être cadastrées pour que les droits coutumiers sur une parcelle soient
clairement identifiés. De nouveaux outils juridiques et financiers seront mis en place pour
favoriser le développement sur terres coutumières, dont le statut ne doit pas être un obstacle à
la mise en valeur ». C’est aujourd’hui le vrai chantier à mettre en œuvre. Sur une même parcelle,
plusieurs clans ou familles peuvent s’estimer propriétaires de par la tradition orale (voir la
première partie du document). La difficulté pour un investisseur privé est d’identifier, sans aucun
doute possible, le véritable propriétaire terrien, afin de sécuriser ses investissements et de ne
pas créer un conflit coutumier.
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Ce dossier devrait être mis en œuvre par le Sénat coutumier regroupant en son sein l’ensemble
des aires coutumières de la Nouvelle-Calédonie. Cependant ce dernier est confronté à de
nombreuses difficultés puisque qu’il s’agira de trancher sur des légitimités qui peuvent s’avérer
différentes au regard de l’interprétation de la tradition orale transmises par les différentes
générations et selon les alliances qui ont pu se faire entre les familles ou les clans. La réalisation
de ce cadastre coutumier validé et approuvé par tous, serait vraiment un outil formidable de
stabilité, il permettrait aux différentes composantes ethniques du pays de retrouver leur place
et permettrait d’envisager sereinement la création d’activité et ainsi le développement
économique.
Conclusion
La situation du foncier en Nouvelle-Calédonie est la résultante de son histoire, des différentes
cultures et des hommes qui la composent. Un formidable challenge s’offre aujourd’hui, celui du
vivre ensemble ou destin commun. Il faut faire confiance aux gens de ce pays qui ont su par le
passé prendre leurs responsabilités et vivre en paix depuis près de 30 ans. Le futur reste à
construire, quelle que soit l’issue des différentes consultations prévues dans l’accord de Nouméa.
Des outils existent ou sont à imaginer, la question foncière ne doit pas être un sujet de discorde
mais doit être un vecteur de développement pour le bien de l’ensemble des populations. La
mobilisation du foncier coutumier en matière de développement est incontournable, cela va
notamment permettre l’installation des jeunes générations qui, compte tenu aujourd’hui du prix
du foncier, n’ont pas les moyens de s’investir dans des projets de développement. L’agriculture
en est l’exemple le plus parlant. Le défi qui se profile est bien celui de la mise en place d’une
politique foncière cohérente à l’échelle du Pays.
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Sources documentaires :
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Rapport et vœu N°05/2010 du CESE de Nouvelle-Calédonie
Accords de Nouméa de 1998 et Loi organique du 19 mars 1999
Rapport d’activité de l’ADRAF 2011 et précédents
Atlas de la Nouvelle-Calédonie – IRD 2012
Schéma d’aménagement et de développement Nouvelle-Calédonie 2025 version 2014 et précédentes
Au fondement de l’identité culturelle Kanak, les représentations du foncier, par Isabelle LEBLIC –
Ethnologue (CNRS-LACITO)
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ANNEXE 1 : Répartitions foncières en Nouvelle-Calédonie au 31/12/2011 (Adraf)
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Annexe2 Origine des attributions foncières au 31/12/2011 (Adraf)
Annexe 3 Affectations foncières au 31/12/2011 (Adraf)
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