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Clearstream
Machines à sous
jeudi 1er juin 2006
Photo : Belga
En France, l’affaire Clearstream est un scandale. Hommes politiques,
services secrets, enquêtes de la justice, fichiers informatiques trafiqués,
révélations dans la presse… On dirait un film d’espionnage.
Derrière le scandale politique, il y a les pratiques pas très
claires des grandes entreprises et de la finance.
Clearstream est le nom d’une société financière
basée au Luxembourg. Cette société assure les mouvements
d’argent entre les banques. Clearstream, c’est une banque des banques.
Clearstream, c’est la tuyauterie du système financier international.
Dans les tuyaux, l’argent circule d’une banque à l’autre.
Les tuyaux sont des systèmes informatiques rapides et sécurisés.
En anglais, toutes ces opérations s’appellent du clearing. En
français, « Clearstream » veut dire « courant
clair ». Les comptes des clients de Clearstream sont publiés, donc
visibles. Les mouvements d’argent peuvent, en principe, être contrôlés.
En pratique, c’est plus compliqué. Comme l’argent circule
par ordinateurs, il est très difficile de s’y retrouver : d’où vient
exactement l’argent, où va-t-il ?
Il est tout à fait possible que de l’argent sale soit blanchi
dans des systèmes comme Clearstream. En 2001, un journaliste,
Denis Robert révèle qu’il y aurait une liste de comptes
non publiés qui échappent à tout contrôle. Cette
liste lance l’affaire politique Clearstream.
Marchands d’armes
Le général Rondot - Photo : Belga
En 1991, l’entreprise française d’armement Thomson vend
des bateaux de guerre, des frégates, à Taïwan pour 2,4 milliards
d’euros. En plus, Thomson a versé des commissions pour un total
estimé à 900 millions d’euros. Une somme énorme.
Les commissions servent à payer les intermédiaires. Ce sont des
hommes d’affaires, hommes ou partis politiques qui ont influencé l’acheteur.
Cela se fait souvent pour des gros contrats. Plusieurs entreprises veulent
en effet avoir ces gros contrats. Pour l’emporter, une entreprise doit
influencer l’acheteur. La pratique est connue. En France, les entreprises
ne peuvent pas verser les commissions n’importe comment. L’Etat
doit être prévenu. Le ministère des Finances vérifie,
par exemple, que l’argent des commissions n’est pas de l’argent
illégal. En 2001, la justice française enquête sur l’argent
des frégates qui serait passé par la société Clearstream.
Deux ans plus tard, en novembre 2003, Jean Louis Gergorin, un dirigeant de
l’entreprise EADS donne un fichier informatique à un général
des services secrets français : le général Rondot.
Comme Thomson, EADS est une entreprise d’armement. Thomson et EADS se
font la guerre commerciale. Le fichier est une liste de noms de personnalités
du monde politique, des affaires et même du spectacle. Ces personnalités
auraient un compte non publié chez Clearstream. Mais le fichier est
un faux ! On a trafiqué la liste de comptes non publiés donné par
Denis Robert. L’affaire devient politique. Le nom de Nicolas Sarkozy,
ministre français est dans le faux fichier. Gergorin est proche de Dominique
de Villepin, devenu Premier ministre de la France. Pendant plus de 2 ans, la
justice enquête. Les juges reçoivent encore des fichiers de noms
et des informations qui sont, elles, le plus souvent anonymes. Mais ils ne
trouvent rien. En avril 2006, l’affaire Clearstream devient un scandale.
On retrouve tous les éléments d’un film d’espionnage
moderne : vente d’armes, finance internationale et argent caché,
services secrets, jeux d’influence entre entreprises et entre hommes
politiques. Qui manipule qui ? Difficile d’y voir clair.
Transparence
Ce qui est clair derrière l’affaire Clearstream, c’est
trois choses. La première : la guerre commerciale entre les
grandes entreprises multinationales à coups de milliards et à coups
d’influence. EADS, par exemple, est le numéro deux mondial de
l’industrie d’avions civils et de défense. Le groupe français
Lagardère possède 15% de EADS. Lagardère est aussi un
grand groupe de presse et de communication : Europe1, RFM, MCM, Paris Match,…
La deuxième : les Etats n’arrivent pas à contrôler
toutes les opérations du système financier international. La
troisième : les pouvoirs publics et les hommes politiques sont les premières
victimes des affaires comme Clearstream. On exige de nos représentants
politiques de la clarté et même de la transparence dans leurs
actions. Exige-t-on et même, peut-on exiger la même transparence
des grandes entreprises multinationales et des systèmes financiers ?
Thierry Verhoeven