GENRE, GOUVERNANCE ET PARTICIPATION DES FEMMES
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GENRE, GOUVERNANCE ET PARTICIPATION DES FEMMES
GENRE, GOUVERNANCE ET PARTICIPATION DES FEMMES “Au-delà des objectifs à court et moyen terme d’atteindre une représentation plus équitable entre les hommes et les femmes dans le pouvoir et le leadership, penser à la gouvernance des femmes devrait toujours nous faire revenir aux objectifs initiaux des mouvements de femmes. Un objectif beaucoup plus précieux que celui d’accroître l’accès des femmes au pouvoir et l’exercice du leadership est celui de saper la force de genre existante dans la politique et de remettre ainsi en question la nature du pouvoir lui-même.”1 “Il n’est possible de combiner la gouvernance démocratique et l’équité de genre que si les femmes gagnent de la force et de la légitimité dans les espaces publics et prennent part aux débats articulant leurs intérêts sexospécifiques avec les intérêts plus généraux de la démocratie et la gouvernance démocratique. Ceci permettra que, dans les processus de création de nouvelles institutions, une analyse de genre soit incluse, qui contribue à affaiblir les mécanismes qui opèrent au niveau des mentalités, des normes institutionnelles, des modèles de comportement et de subjectivités, qui catégorisent les femmes comme un groupe subordonné dans les relations que l’État établit avec la société ou dans les relations qui s’établissent entre l’Etat, le marché et la famille.”2 INSTRAW, 29 SEPTEMBRE 2005 1 Basu, A. “Genre et Gouvernance : Concepts et Contextes” dans Essai sur le Genre et la Gouvernance : une introduction. New Delhi : Centre de développement de ressource humaine, UNDP, 2003 p. 52-53 : http://hdrc.undp.org.in/pub/books/bookassets/Essays%20on%20Gender%20and%20Governance.pdf. Citation originale: “Au-delà des objectifs à court et moyen terme d’atteindre une représentation homme-femme plus équitable dans les fonctions publiques et la prise de décisions, il faudrait toujours revenir aux objectifs initiaux des mouvements de femmes. Beaucoup plus important encore que les buts d’élargir l’accès des femmes au pouvoir et à l’exercice du leadership sont ceux de saper la force du genre dans les politiques et ainsi repenser la nature du pouvoir lui-même.” 2 Guzmán, V. Gouvernance démocratique et genre : une articulation possible. Document de travail. CEPAL, 2002. p.15: http://www.eclac.cl/mujer/noticias/noticias/9/10639/vguzman.pdf I. Antécédents et contexte Equité et égalité de genre ; citoyenneté, participation et activisme politique des femmes ; et bonne gouvernance sont des concepts omniprésents à l’ordre du jour du développement, de la lutte contre la pauvreté et la démocratie. En raison de leur caractère normatif, ils influencent la tâche théorique et pratique. Il devient essentiel de connaître leur signification et portée pour un agenda du développement humain durable et sensible au genre. Dans ce sens, l’INSTRAW veut contribuer au débat actuel dans ce domaine en apportant des outils conceptuels et des programmes qui puissent enrichir les initiatives en cours ou futures. A. Égalité de genre et autonomisation des femmes : vers une pleine citoyenneté Bien que les termes d’égalité, d’autonomisation et de citoyenneté des femmes soient utilisés de façon généralisée dans l’agenda du développement, tous les acteurs ne leur donnent pas la même signification et portée. L’INSTRAW considère qu’il est fondamental de les clarifier et les redéfinir, comme le fait le mouvement des femmes et le mouvement féministe, dans le but de récupérer leur pouvoir politique émancipateur pour les femmes, et la société dans son ensemble. Comme le signale la philosophe Celia Amorós, conceptualiser est politiser et la redéfinition est une arme récurrente des opprimés et opprimées3. Égalité de genre et autonomisation des femmes comme objectifs et stratégies du développement : Au milieu des années 80 les théoriciennes et activistes féministes présentes dans les agences de développement international, proposèrent et adoptèrent une nouvelle ligne de mire, l’approche GED (Genre et Développement), pour répondre à l’inquiétude des femmes du Sud sur les approches et stratégies de la coopération au développement du moment4. Cette nouvelle approche propose un rapprochement au développement qui reconnaisse l’importance des iniquités et inégalités de genre mais aussi d’autres relations inégales de pouvoir (par race, classe, âge, orientation sexuelle, incapacité, relations Nord-Sud…). Il s’agit d’un nouveau modèle de développement centré sur la personne, soutenable et égalitaire qui exige une redistribution du pouvoir à tous les niveaux et dans tous les secteurs. L’approche GED adopte ainsi l’autonomisation des femmes, entendue comme une augmentation du pouvoir d’action pour, avec et à partir (en comparaison au pouvoir sur), comme objectif et stratégie du développement5. Il est entendu que l’autonomisation, du fait de son caractère transformateur, cherche non seulement une amélioration de la condition des femmes à travers la satisfaction de leurs intérêts pratiques, mais aussi une amélioration de leur position dans les relations hommesfemmes à travers la satisfaction de leurs intérêts stratégiques6. 3 Amorós, C. Femmes et pouvoir. Exposé dans le forum de débat : Pékin + 10. Madrid, 5 mars 2005: http://www.soyempresaria.com/aplicacion/AF.php?accion=pag_blanca&clave_f=palcong&id_pagBla=19 4 En 1985, lors du Forum international des ONG de Nairobi (événement parallèle à la IIIe Conférence mondiale sur les femmes), le groupe DAWN (Alternatives de Développement avec les Femmes pour une Nouvelle Ère) constitué par des femmes de pays du Sud proposera : “Nous voulons un monde libre d’inégalités de classe, de genre et de race, tant dans chaque pays que dans les relations entre les pays ; où les nécessités de base deviennent des droits fondamentaux et où la pauvreté et toutes les formes de violence soient éliminées. Où chaque personne ait l’opportunité de développer toutes ses possibilités et créativité et où les valeurs féminines de former et soigner les autres et de solidarité, caractérisent les relations humaines. (...) Nous voulons un monde où les ressources massives maintenant destinées à la production d’instruments de destruction soient attribuées à des secteurs où elles servent à alléger l’oppression à l’intérieur et à l’extérieur des foyers, (...) Nous voulons un monde où toutes les institutions soient ouvertes aux processus démocratiques participatifs, où les femmes partagent la détermination des priorités et la prise de décisions. (...) Nous ne pourrons montrer que ces ‘droits inaliénables’ des pauvres sont entrelacés avec la transformation des institutions qui subordonnent les femmes qu’en resserrant les liens entre le développement, l’égalité et la paix. Tout ceci peut s’accomplir en générant du pouvoir pour et par les propres femmes.” (Traduction propre à partir du site internet de Dawn : http://ww.dawn.org.fj, et de Sen, G. y Grown, C. “Vision développement, crises et alternative” dans Monthly Review Press. New Haven, NY: 1987 cité par Jane l. Parpart, M. Patricia Connelly et V. Eudine Barriteau (ed.). Perspectives théoriques sur le genre et le développement, chapitre 3. Canada: IDRC, 2000: http://www.idrc.ca/fr/ev-27444-201-1-DO_TOPIC.html) 5 Pour plus d’informations, consulter: Politique sur l’égalité de genre de CIDA. 1999 (http://www.acdicida.gc.ca/INET/IMAGES.NSF/vLUImages/Policy/$file/GENDER-E-nophotos.pdf); BRIDGE. Genre et autonomisation : Définitions, approches et implications pour une politique. Brighton: Institut de recherche pour le développement, 1997 (http://www.ids.ac.uk/bridge/Reports/re40c.pdf) y Kabeer, N. “Réflexion sur l’évaluation de l’autonomisation des femmes.” en Discuter l’autonomisation des femmes : Théorie et pratique. Stockholm: Études sur le sida No. 3, 2001. 6 La distinction de Maxine Molyneux entre les intérêts pratiques et stratégiques est très utile pour comprendre la participation politique des femmes et pratiquer une gouvernance sensible au genre. Les intérêts pratiques de genre (aussi connus comme nécessités de genre) sont des nécessités de base et immédiates et découlent de la condition, de la situation matérielle dans laquelle se trouvent les femmes : leur pauvreté, leur manque d’éducation et de 2 L’approche GED est celle qui a inspiré et encadré la Déclaration et le programme d’action (PdA) de Beijing de 1995 ainsi que les engagements internationaux ultérieurs dans la matière7. Entre les acteurs traditionnels de l’ordre du jour du développement humain, un document clé pour le changement de paradigme a été le rapport du PNUD de 1995 sur le développement humain qui reconnaissait que l’inégalité entre les sexes était une des inégalités les plus persistantes et insistait que l’autonomisation des femmes devait être une partie substantielle du paradigme de développement humain durable8. Ultérieurement, en 2000, les Objectifs de développement du millénaire (ODM)9 inclurent l’objectif #3 qui explicite le succès de l’égalité de genre et l’autonomisation des femmes. L’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes sont actuellement reconnues comme des pierres angulaires de la lutte contre la pauvreté, le développement humain durable et par conséquent, de la bonne gouvernance. Citoyenneté pleine et active des femmes: Une des réclamations principales du mouvement des femmes et du mouvement féministe a été et est celle de l’exercice de la part des femmes d’une citoyenneté pleine et active, qu’elles estiment leur avoir été refusée du fait de n’avoir pas été reconnues comme ‘égales’ lors de la définition et de la construction de la citoyenneté au XVIIIe siècle. Depuis, le mouvement de femmes et le mouvement féministe ont dénoncé cette exclusion, revendiquant une citoyenneté élargie et effective pour les femmes. En premier lieu, vers la fin du XIXe siècle et aux débuts du XXe, le mouvement féministe exigea le droit de vote et d’autres droits civiques, civils et politiques ; plus tard, la seconde vague féministe des années 60 et 70 continua à exiger l’élargissement de la citoyenneté des femmes et une redéfinition du ‘privé’, terrain où on considère qu’elles étaient isolées et d’où les femmes étaient exclues d’avoir des droits et, par conséquent, du plein exercice de la citoyenneté. Depuis la réclamation du droit de vote des suffragettes, la citoyenneté des femmes a progressé en conquérant légalement chaque fois plus de droits (économiques, politiques, culturels, sociaux, civils). Cependant, cette citoyenneté de droit ne correspond pas à une pleine citoyenneté de fait. Selon la philosophe Alicia Mirayes, les femmes vivent une citoyenneté incomplète, défective et inactive car les femmes n’accomplissent de manière satisfaisante aucun des quatre traits caractéristiques d’une citoyenneté pleine et active : la capacité de choix, la capacité de participation, la distribution de la richesse et la reconnaissance (autoritas)10. Et elles ne le font, comme les données le démontrent, dans aucune des quatre dimensions dans lesquelles la citoyenneté doit être présente et visible pour qu’elle opère substantiellement : l’échelle politique ; économique ; culturelle des normes et valeurs ; et au niveau personnel de la famille, du foyer et des relations11. Dans ce sens, la perspective féministe considère que les droits civiques des citoyens doivent être élargis pour qu’ils s’universalisent aux femmes et qu’ils contemplent en même temps de nouvelles réalités et problématiques. Il est entendu que toutes les dimensions des droits capacitation, leur charge excessive de travail, leur manque d’accès à la technologie moderne, etc. Les intérêts stratégiques de leur côté découlent de la position de subordination des femmes et requière une contestation et une transformation de celle-ci et des relations inégales de pouvoir. Voir :, YOUNG, K. “Le potentiel transformateur dans les nécessités pratiques : autonomisation collective et le processus de planification” dans León, M (comp.) Pouvoir et autonomisation des femmes.. Santafé de Bogotá: Tiers Monde/Fac. Sciences Humaines, 1997. pp. 99-118 7 Pour plus d’informations, consulter: Beijing +5: Nouvelles mesures et initiatives pour mettre en œuvre la Déclaration de Beijing et la plate-forme d’action (juin 2000): http://www.onu.org/temas/mujer/Beijing5/beijing5.htm Beijing +10: Examen et évaluation de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing et du document final de la vingt-troisième session extraordinaire de l’Assemblée générale (mars 2005): http://www.un.org/spanish/events/beijing10/pages/index.htm 8 UNDP. Rapport 1995 sur le développement humain. Genre et développement humain t: http://hdr.undp.org/reports/global/1995/en/ 9 Pour plus d’informations : http://www.un.org/spanish/millenniumgoals/ 10 Miyares, A. Démocratie féministe. Exposé dans le forum de débat : Pékin +10. Madrid, 4 mars 2005: http://www.soyempresaria.com/aplicacion/AF.php?accion=pag_blanca&clave_f=palcong&id_pagBla=17 11 KIT /OXFAM GB. Genre, Citoyenneté et Gouvernance. Un livre source global. Les Pays-bas : 2004. p.19: http://www.kit.nl/net/KIT_Publicaties_output/showfile.aspx?a=tblFiles&b=FileID&c=FileName&d=TheFile&e=445 3 humains sont d’égale importance : les droits civils et politiques ; les droits sociaux, économiques et culturels ; et les droits reproductifs et sexuels, qui doivent être absolument reconnus et respectés12. B. Participation des femmes au pouvoir et à la prise de décisions Le droit des femmes de participer au pouvoir et à la prise de décisions a été une des premières revendications des femmes à titre individuel et de façon explicite, du mouvement féministe. Déjà en 1791, Olympe de Gouges reconnaissait et déclarait que “la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune, pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi”13. Deux siècles plus tard, le droit des femmes à la participation aux processus et instances de prise de décisions sociales, politiques et économiques à tous les niveaux et dans les différents secteurs14 devient officiel dans divers instruments internationaux : La Déclaration Universelle des droits de l’homme15 (1948); la Convention sur les droits politiques de la femme16 (1952); le Pacte international relatif aux droits civils et politiques17 (1966); et la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes18 (1979), entre autres. En 1995, le Programme d’action (PdA) de la IVe Conférence mondiale des femmes de Beijing19 a identifié la pleine participation des femmes dans l’exercice du pouvoir comme une de ses principales sphères de préoccupation, la reconnaissant, ainsi que l’intégration de leurs points de vue à tous les niveaux de la prise de décisions, comme indispensable à l’obtention des objectifs d’égalité, de développement et de paix. Dès lors, plusieurs résolutions, campagnes et déclarations20 ont renforcé et /ou complété le PdA de Beijing sur ce point, convertissant la participation des femmes au pouvoir et à la prise de décisions en une question prioritaire dans l’agenda des femmes et du développement à tous les niveaux, local, national, régional21 et international22. Dans ce sens, la Déclaration du Millénaire23 (septembre 2000) réaffirme la centralisation de la participation des femmes dans le développement et déclare, pour la première fois, l’urgence de promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes comme les moyens les plus efficaces pour combattre la pauvreté, la faim et les maladies et pour stimuler le développement réellement durable. 12 Dans le cadre d’une conception élargie de la citoyenneté, les féministes réclament aussi la reconnaissance des droits sexuels et reproductif des femmes. Voir : Maffía, D. “Citoyenneté sexuelle. Aspects personnels, légaux et politiques des droits reproductifs comme droits humains” dans Feminaria, année XI, numéro 26/27. Buenos Aires, 2001.pp. 28-30. Voir aussi la Campagne pour une convention interaméricaine des droits sexuels et reproductifs (http://www.convencion.org.uy) 13 Article X de la Déclaration des droits de la femme et la citoyenneté (1791) de Olympe de Gouges: http://es.wikisource.org/wiki/Declaración_de_los_Derechos_de_la_Mujer_y_la_Ciudadana (Date de consultation: 12 septembre 2005). 14 On distingue normalement trois niveaux (local, national et international ou mondial) et trois secteurs (secteur public, société civile et secteur privé). Cette classification, cependant, ne prend pas en considération l’espace domestique où existent aussi des relations inégales de pouvoir et où des décisions fondamentales sont prises pour les personnes et la société dans son ensemble. 15 Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : http://www.un.org/Overview/rights.html 16 Convention sur les droits politiques des femmes : http://www.unhchr.ch/html/menu3/b/22.htm 17 Pacte internationale des droits civils et politiques : http://www.unhchr.ch/html/menu3/b/a_ccpr.htm 18 Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW): http://www.un.org/womenwatch/daw/cedaw/cedaw.htm Le 18 mars 2005, 180 pays –plus de 90% des États membres des Nations Unies – faisaient partie de la CEDAW et un état supplémentaire l’avait signé, s’engageant légalement à ne pas agir à l’encontre de ses principes de base : http://www.un.org/womenwatch/daw/cedaw/states.htm (Date de consultation : 12 septembre 2005) 19 Rapport de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes : http://www.onu.org/documentos/conferencias/1995/beijing/20.pdf 20 Pour plus d’informations, consulter : INSTRAW. “La femme dans l’exercice du pouvoir et la prise de décisions : Nouveaux défis” dans Beijing 10 ans après : de la politique à la pratique. 2005. pp 2-3: http://www.un-instraw.org/es/images/stories/revision_beijing/womeninpoweranddecisionmakingsp.pdf Les chapitres “Accords internationaux” et “Conférences internationales” de cette section du site internet de l’INSTRAW : http://www.uninstraw.org Campagne “50/50 pour 2005. Pour l’équilibre de genre dans la représentation” initiée par l’Organisation de femmes pour l’environnement et le développement (WEDO pour ses sigles en anglais): http://www.wedo.org/campaigns.aspx?mode=5050campaignkit#sp 21 Voir dans le chapitre des Accords internationaux les traités régionaux adoptés dans la matière : http://www.un-instraw.org 22 Un des thèmes sélectionnés pour la cinquantième session de la Commission sur la condition juridique et sociale des femmes des Nations Unies qui aura lieu en 2006 est la participation équitable des femmes et des hommes dans les processus de décision dans tous les niveaux. (Résolution ECOSOC 2001/4 “Propositions pour un programme de travail pluriannuel pour la Commission de la condition juridique et sociale des femmes pour 2002-2006.”: http://www.un.org/womenwatch/daw/csw/resolution20014.pdf) 23 Déclaration du Millénaire : http://www.un.org/spanish/millenniumgoals/ares552.html 4 Cependant, malgré la reconnaissance formelle du droit des femmes de participer sur pied d’égalité avec les hommes dans les structures du pouvoir et la prise de décisions, celles-ci sont toujours inégalement représentées à tous les niveaux et dans tous les secteurs. Les statistiques mettent en évidence cette sous-représentation et de nombreuses études tentent de l’expliquer alléguant que les dynamiques, les temps, les procédures et la culture “masculine” prédominantes ne favorisent pas les femmes surtout en raison de leurs responsabilités ménagères dont elles assument habituellement seules la charge. C. L’agenda de la bonne gouvernance : un agenda de développement humain durable L’agenda de la bonne gouvernance surgit dans les années 90 après la fin de la guerre froide et avec l’évidence de l’échec des plans d’ajustement structurel imposés aux pays du Sud. Ce sont les institutions financières et les donateurs internationaux qui l’introduisent pour la première fois et la promeuvent entre les pays récepteurs de l’aide comme condition de base pour la réussite de changements économiques, sociaux et politiques, considérés nécessaires pour le développement. Depuis la Déclaration du Sommet de Copenhague sur le développement social (1995), qui reconnaissait que “la démocratie, la transparence et la responsabilité dans la conduite des affaires publiques et l’administration dans tous les secteurs de la société sont les bases indispensables à la réalisation d’un développement social durable et centré sur l’être humain”24, la bonne gouvernance et le développement humain durable sont devenus indivisibles25. De même, la Déclaration de Copenhague reconnaît que le développement économique et social ne peut être assuré d’une manière durable sans la pleine participation des femmes ; l’égalité et l’équité entre hommes et femmes sont pour la communauté internationale un objectif prioritaire qui doit, en tant que tel, se situer au cœur du développement économique et social26. Ainsi, et essentiellement grâce à l’impulsion du IVe Sommet mondial des femmes de Beijing (1995)27, l’inégalité de genre est devenue une préoccupation centrale dans le discours du développement humain durable, et par conséquent aussi dans celui de la bonne gouvernance. La bonne gouvernance est un concept normatif avec différentes significations et fins selon qui la promeut, conditionné par les principes, mandats et priorités des différents acteurs et par les conceptions qui gèrent le développement ; la démocratie, l’équité et l’égalité ; l’autonomisation et les droits humains ; entre autres. Il y a cependant des aspects centraux de la bonne gouvernance que tous les acteurs partagent. D’une part, la bonne gouvernance cherche à générer transparence et responsabilité de la part de l’administration publique à l’égard de la population qu’elle est supposée servir. D’autre part, la démocratisation des structures de l’état et le renforcement de la participation des citoyens sont considérés fondamentaux pour promouvoir une meilleure gouvernance. Un troisième aspect central de l’agenda de la bonne gouvernance a été la promotion de la décentralisation des gouvernements qui implique une meilleure gestion des ressources sociales au niveau local et est supposé stimuler la participation des populations et favoriser la transparence des gouvernements en les rapprochant des populations qu’ils servent. De même, les conceptions actuelles de la bonne gouvernance reconnaissent de multiples protagonistes dans différents secteurs et à différents niveaux ; En sus du secteur public, se trouvent la société civile et le secteur privé tant au niveau local qu’au niveau national et 24 Rapport du Sommet mondial sur le développement social (Copenhague, 6-12 mars 1995). Point 4: http://www.un.org/documents/ga/conf166/aconf166-9sp.htm 25 La bonne gouvernance est mentionnée dans la Déclaration des objectifs du Millénaire des Nations Unies de 2000. Voir chapitre V de la Déclaration du Millénaire : http://www.un.org/spanish/millenniumgoals/ares552.html 26 Rapport du Sommet mondial sur le développement social(Copenhague, 6-12 mars 1995). Point 7: http://www.un.org/documents/ga/conf166/aconf166-9sp.htm 27 Rapport de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes : http://www.onu.org/documentos/conferencias/1995/beijing/20.pdf 5 international. Entre les acteurs clefs se trouvent les gouvernements ; les organisations de la société civile ; le mouvement des femmes et le mouvement féministe ; les entreprises privées ; et les partis politiques, entre autres. Il faut en outre tenir compte des agences, des donateurs et des institutions financières, qui sont devenus des protagonistes fondamentaux en démarquant les approches et priorités dans l’agenda de la gouvernance à tous les niveaux. II. Cadre de Référence L’INSTRAW considère qu’intégrer la perspective de genre dans la gouvernance et les processus de décentralisation actuels est essentiel pour atteindre un développement humain durable équitable et inclusif. En même temps, une présence de femmes plus grande et transformatrice dans les postes de prise de décisions, et un mouvement de femmes et un mouvement féministe forts qui facilitent la reconnaissance des droits des femmes, leur autonomisation et l’exercice de leur pleine citoyenneté, deviennent nécessaires. A. Participation politique des femmes : élargir les espaces et les stratégies Les données, en matière de représentation des femmes dans les instances et postes de responsabilité et de prise de décisions dans le secteur public, privé et la société civile au niveau mondial démontrent actuellement que, en dépit des efforts, initiatives et stratégies mis en oeuvre, des résistances persistent pour l’avancement des femmes dans les postes, professions, espaces et milieux traditionnellement dominés par les hommes. Secteur public28: En avril 2005, le pourcentage mondial de femmes dans les parlements nationaux a atteint le niveau le plus haut, avec 15,9% de représentation, toutes chambres confondues29. Cependant, ce chiffre est très loin de celui de 30% considéré comme pourcentage minimum pour assurer une “masse critique”30 de femmes qui puisse influencer le processus de prise de décisions et les priorités de la tâche politique. La représentation des femmes est encore plus basse dans le pouvoir exécutif. Actuellement, seules neuf (9) femmes occupent le poste de chefs d’État dans le monde31, représentant 4,71% du total de chefs d’État32. Quant aux femmes qui occupent des postes ministériels, les chiffres attirent actuellement moins l’attention que le type de portefeuille qu’elles détiennent. Bien que les femmes ministres restent dans l’ensemble cantonnées au secteur social, leur présence dans des domaines considérés plus stratégiques autrefois réservés aux hommes, est en augmentation. En novembre 2003, vingt (20) femmes avaient été nommées ministres des relations extérieures, neuf (9) de la défense et la sécurité, et dix-neuf (19) des finances33. Dans les pouvoirs publics locaux, la présence des femmes aux postes décisionnels est un peu plus haute qu’à l’échelle nationale. D’après une enquête menée par Cités et Gouvernements Locaux Unis en 200334, les femmes occupaient 9% des postes de maires 28 Le secteur public inclut les plusieurs sous-secteurs du gouvernement général (essentiellement les unités de gouvernement centraux, nationaux et locaux ainsi que les fonds de la sécurité sociale qu’ils contrôlent) et les corporations publiques, c’est à dire celles sujettes au control des unités gouvernementales. UNDP/UNECE 2004:http://www.unece.org/stats/gender/web/glossary/p.htm 29 Union internationale parlementaire: http://www.ipu.org/wmn-e/world.htm. (Date de consultation: 13 septembre 2005) 30 Le terne de “masse critique” qui se réfère aux femmes dans des postes de décision a été appliqué pour la première fois en Norvège dans les années 80 pour expliquer l’impact que la présence toujours plus grande des femmes avait dans les postes de décisions ; en matière de changements des législations, approbation de lois spéciales (avortement, violence sexiste…), mesures de conciliation de la vie personnelle et du travail, subventions aux activités de soin, lots budgétaires spécifiques pour l’égalité de genre…, (UNRISD. “Les femmes dans la fonction publique : une tendance en hausse” dans La parité hommes-femmes : la lutte pour la justice dans un monde inégal. 2005. p.147: http://www.unrisd.org/unrisd/website/document.nsf/(httpAuxPages)/12F166540C09D163C1256FB1004C0156?OpenDocument&panel=additional) 31 Source: http://geocities.com/capitolHill/Lobby/4642/#section1 (Date de consultation : 13 septembre 2005 32 Ce pourcentage a été obtenu en considérant 191 États parties des Nations Unies à la date du 24 février 2005 : http://www.un.org/Overview/unmember.html (Date de consultation: 13 de septembre 2005) 33 OIT. Rompre le toit de verre. Les femmes aux postes de direction. Genève : 2004. p.26: http://www.ilo.org/dyn/gender/docs/RES/292/F61986410/Romper%20el%20techo%20de%20cristal.pdf 34 Cités et gouvernement locaux unis : http://www.cities-localgovernments.org/uclg/index.asp?pag=wldmstatistics.asp&type=&L=EN&pon=1&IDpag=124 (Date de consultation : 12 de septembre de 2005) 6 dans 60 pays du monde et 20.9% de ceux de conseillères municipales ou dirigeantes dans 67 pays. Dans le système judiciaire, la représentation des femmes aux postes de prise de décisions a aussi connu des progrès. Cependant, les femmes sont attribuées principalement les postes de juges et se heurtent à des difficultés pour accéder aux instances plus élevées du pouvoir judiciaire, comme les cours suprêmes ou les tribunaux constitutionnels. Au niveau international, la Cour Pénale Internationale (ICC, selon les sigles en anglais) est reconnue comme l’exemple d’institution qui a établi des mécanismes et procédures pour favoriser la représentation équilibrée des hommes et des femmes35. Ainsi, vers la mi-2005, sur les dixhuit (18) juges de l’ICC, sept (7) étaient des femmes36. Cependant, une grande sousreprésentation des femmes persiste au sein des organismes de justice internationaux. Il y a seulement une (1) femme entre les quinze (15) juges membres de la Cour Pénale Internationale de Justice37. Secteur privé38 et Société civile39: Dans ces secteurs de l’action politique, les chiffres confirment la basse représentation des femmes aux postes de prise de décisions comme dans le cas du secteur public de l’État. Bien qu’en général les données sur les femmes dans les postes de prise de décisions dans les deux secteurs soient rares et souvent confuses, elles indiquent généralement que les femmes sont présentes de façon majoritaire ou très haute dans de nombreux espaces (Organisations non gouvernementales, partis politiques, groupes communautaires, entreprises du secteur de services, moyens de communication..), mais se concentrent dans les postes les plus bas et sont gravement absentes dans les postes les plus élevés. En 2001, une étude de la Fédération internationale des journalistes 40 montre cette sous-représentation des femmes dans les postes de prise de décisions dans le secteur des communications, signalant que bien que les femmes représentent plus du tiers des journalistes actives du monde, le pourcentage de femmes éditrices, chefs de départements ou propriétaires n’atteint même pas 1%41. Accès des femmes aux postes de structures du pouvoir et de la prise de décisions : Malgré la sous-représentation persistante, l’accès des femmes aux structures du pouvoir et aux postes de prise de décisions a amélioré au cours du siècle dernier grâce à la mise en marche de plusieurs stratégies et mesures. D’une part, un travail a été fait sur tout ce qui concerne la sensibilisation du droit des femmes de participer sur un pied d’égalité avec les hommes dans toutes les affaires sociales, économiques, politiques et culturelles. En même temps, des progrès ont été faits dans la reconnaissance des femmes en tant que citoyennes de plein droit et des mécanismes et procédures ont été établis pour faciliter la participation publique des femmes et leur accès aux postes de structures du pouvoir (lois d’égalité, actions de discrimination positive comme les quotas42 y la réserve de postes, réformes des 35 Ceci a été dû en grande partie à la pression exercée par les organisations de femmes et concrètement par le Groupe de pression pour la justice de genre (Caucus des femmes pour la justice de genre), créé en 1997, qui surveille tout le processus d’établissement du tribunal (mécanismes, structures, personnel…). Pour plus d’informations consulter : http://www.iccwomen.org/ 36 Tribunal Criminel International : http://www.icc-cpi.int/chambers/judges.html (Date de consultation : 12 septembre 2005) 37 Cour Internationale de Justice: http://www.icj-cij.org/icjwww/igeneralinformation/icjgnnot.html (Date de consultation : 12 septembre 2005) 38 Le secteur privé inclut les entreprises privées et le secteur informel du marché. (UNDP. Gouvernance pour un développement humain durable. Un document de politique de l’UNDP. 1997: http://magnet.undp.org/policy/summary.htm) 39 La société civile inclut des individus et organisations tels que les syndicats, les organisations de femmes ou les mouvements de citoyens, qui sont en dehors de l’état ou du secteur privé, et qui ont la possibilité d’apporter des visions alternatives à celles du gouvernement et des entreprises privées. (Oneworldaction: http://owa.netxtra.net/indepth/project.jsp?project=206) 40 Fédération Internationale des Journalistes, Égalité et Qualité : Établir des standards pour les femmes dans le journalisme, 2001: http://www.ifj.org/pdfs/ws.pdf 41 INSTRAW, “La femme et les moyens de diffusion : nouveaux défis” dans Beijing après 10 ans: de la politique à la pratique, 2005, pp.5: http://www.uninstraw.org/es/images/stories/revision_beijing/womenandthemediasp.pdf. Pour obtenir plus d’informations sur les femmes et les moyens de communication, consulter le rapport complet. 42 Bien que quelques quotas commencèrent déjà à s’établir dans les années 50, la plupart ont été établis à partir de la moitié des années 90. Ils sont compris comme mécanismes progressifs vers la parité. Il existe différents types : quotas constitutionnels pour les parlementaires nationaux, lois de quotas électoraux pour les parlementaires nationaux, quotas de partis politiques pour candidats aux élections, et quotas constitutionnels ou législatifs au niveau local, y compris les niveaux provincial, de circonscription, local ou gouvernemental. Pour plus d’informations, voir :, Krook, M. Réformer la Représentation: La diffusion des quotas de genre en matière de candidature dans le monde entier. Université de Columbia, 2004 : 7 systèmes électoraux43, mesures pour concilier la vie personnelle et professionnelle,…). Les progrès dans ce sens ont été importants, mais de nouveaux défis apparaissent de nos jours qu’il faut affronter. La participation des femmes aux postes de pouvoir et de prise de décisions est un processus complexe qui implique une analyse de plusieurs facteurs, comme entre autres : les systèmes électoraux nationaux et locaux qui garantissent ou limitent la participation démocratique, en particulier des groupes ou secteurs traditionnellement marginalisés ; les partis politiques et leurs mécanismes de représentation de la citoyenneté ; les formes et niveaux d’organisation des femmes, et leur incidence dans les espaces de concertation politique ; les relations de genre et la culture qui compliquent ou facilitent la participation des femmes aux postes de prise de décisions (tant au niveau des institutions qu’à ceux des ménages) ; et les résistances à la reconnaissance des femmes en tant que paires et les stéréotypes liés à la perception culturelle des genres de la part des membres masculins des partis politiques et des organisations locales, qui continuent à renforcer le manque de crédibilité dans l’action et le leadership des femmes dans le monde politique et l’absence de ressources et d’appuis financiers aux campagnes des femmes. Dans une étude réalisée en 2004 pour la Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique latine (CEPAL) sur les systèmes électoraux et la représentation féminine en Amérique latine44, on reconnaît que les obstacles qui limitent la participation politique des femmes dans le cercle national, applicables aussi au local sont : le manque d’appui de la citoyenneté aux candidatures féminines ; le manque de reconnaissance et de légitimité de la participation des femmes dans les sphères du pouvoir public ; le manque de ressources économiques dont disposent les femmes pour se lancer dans une candidature ; la réduction de leurs chances pour s’organiser et s’associer en raison des multiples fonctions qu’elles déploient dans le milieu productif, reproductif et communautaire ; leur inexpérience et méconnaissance de la pratique politique et de leur capacité de diriger et parler en public ; les exigences auxquelles sont soumises les femmes qui occupent un poste public de devoir démontrer qu’elles sont exceptionnelles ; la faible incidence des organisations et du mouvement des femmes dans les partis politiques ; les horaires des réunions et la dynamique de la gestion publique qui ne conviennent pas aux femmes ; le discrédit envers le politique ; et finalement, l’incompréhension de la part des hommes et des femmes des thèmes relatifs à la dimension de genre. Consolidation des femmes dans les postes de pouvoir et de prise de décisions : En sus d’assurer l’accès des femmes aux postes de prise de décisions, il faut assurer aussi leur permanence dans ces postes. Plusieurs facteurs expliquent la non-consolidation des femmes dans les postes de responsabilité et leur difficile progression vers les échelons plus élevés du pouvoir. Les femmes ne sont toujours pas considérées comme des agents politiques légitimes, il en résulte que leur présence n’est pas considérée essentielle pour la démocratie et qu’elles sont perçues comme interchangeables alors que les hommes sont indispensables. En même temps, la mentalité culturelle de la dichotomie ‘public/privé’ persiste et fait que les hommes et les femmes perçoivent comme “normales” la présence des femmes dans le http://www.columbia.edu/~mlk22/isa_proceeding_14671.pdf; Parlement européen. Quotas et action positive pour augmenter la participation féminine dans la vie politique. 1997: http://www.europarl.eu.int/workingpapers/femm/w10/4_es.htm; IDEA/Université de Stockholm. Base de données globale des quotas pour les femmes : http://www.quotaproject.org/papers_SU.htm 43 Il existe trois types fondamentaux de systèmes électoraux : Pluralité majoritaire, représentation proportionnelle et représentation semi-proportionnelle. La représentation proportionnelle semble être le système le plus favorable aux femmes. Mais il y a d’autres facteurs à considérer, comme le type du système de représentation proportionnelle, le climat politique et la culture de genre. Pour plus d’informations, voir Bareiro, L., López, O., Soto, C. y Soto, L. Systèmes électoraux et représentation féminine en Amérique latine. Paraguay: CEPAL, 2004: http://www.eclac.org/cgibin/getProd.asp?xml=/publicaciones/xml/8/14798/P14798.xml&xsl=/mujer/tpl/p9f.xsl&base=/tpl-i/top-bottom.xslt; Htun, M. N. Le leadership des femmes en Amérique latine : Défis et tendances. BID/Dialogue interaméricain/WLAC, août 2000:http://www.iadb.org/sds/prolead/publication/publication_7_2810_s.htm; CLD. Systèmes électoraux :: Atteindre un équilibre de genre dans la représentation politique. 2000: http://www.cld.org/waw6.htm 44 Bareiro, L., López, O., Soto, C. y Soto, L. Systèmes électoraux et représentation féminine en Amérique latine. Paraguay: CEPAL, 2004: http://www.eclac.cl/publicaciones/UnidadMujer/7/LCL2077/lcl2077e.pdf. 8 milieu familial et celle des hommes dans la sphère publique. De même, les normes, les modes et les temps de l’action politique publique “expulsent” beaucoup de femmes parce qu’ils sont adaptés aux nécessités et caractéristiques des hommes. Un autre défi fondamental qui fait face au futur est celui de mettre en question l’incidence réelle d’une augmentation de la participation des femmes aux postes de prise de décisions. Quelques études ont signalé l’impact positif de leur présence en ce qu’elle favorise des changements dans les structures et processus des institutions et dans le discours de la gouvernance. Une augmentation de la prise de conscience sur les questions et les intérêts des femmes et la diminution de la corruption a été constatée. En outre, elle a favorisé la création de départements ou institutions spécialisés et la réforme de la législation pour incorporer les questions de genre ainsi que l’adoption de lois spécifiques à ce sujet. Cependant, les études à ce sujet sont encore naissantes et manquent d’outils méthodologiques adéquats pour les mener à bien. Il est donc nécessaire d’approfondir la connaissance sur cet aspect de l’impact pour réorienter les stratégies et actions à partir des résultats des études et analyses.45 Mouvement de femmes et mouvement féministe : La participation politique et civique des femmes se développe dans des milieux très divers. Une conception élargie de la participation politique, qui dépasse ce qui ressort du gouvernement, nous permet de visualiser les femmes participant à l’intérieur et à l’extérieur des espaces formels traditionnels de l’exercice politique, des partis politiques et des syndicats, entre autres. Dans ce sens, les femmes ont développé et développent la majeure partie de leur action politique dans des structures politiques informelles, comme les organisations non gouvernementales et les mouvements sociaux. Plus loin, si nous entendons l’action politique comme toute activité où s’expriment et se gèrent les relations de pouvoir, celle-ci traverse toutes les sphères de la vie permettant aussi parler de la participation politique quotidienne, “au jour le jour”46, des femmes. Dans une analyse de la gouvernance, de l’égalité des sexes et de la participation des femmes aux postes de prise de décisions, il est fondamental de considérer et analyser les mouvements de femmes et féministes. Cette analyse suppose reconnaître que l’action politique des femmes se réalise aussi, et surtout, en dehors des sphères formelles traditionnelles et que les groupes, associations et mouvements de femmes et féministes sont des protagonistes clés de l’agenda de la bonne gouvernance. C’est à travers l’activisme dans ces espaces que se “constitue la voix des femmes”, que les femmes identifient et expriment leurs intérêts et promeuvent un ordre du jour des femmes47 face à l’état et les représentants politiques. C’est dans cet espace que beaucoup de futures femmes élues s’initient et acquièrent les capacités et discours pour leur action politique. Quand on parle d’un agenda des femmes, il faut garder quelques réserves au sujet des "intérêts des femmes”. Les femmes ne partagent pas des nécessités sociales (nécessités pratiques) ni des intérêts politiques (nécessités stratégiques) homogènes. Depuis le milieu des années 80 des voix surgissent au sein du mouvement des femmes et du mouvement féministe nous avertissant qu’il existe des différences entre les femmes. Ainsi, des femmes 45 Il est fondamental d’examiner premièrement la notion même d’ “impact” et ce qu’elle constitue, car il existe des points de vue divergents à ce sujet. Certains affirment qu’il suffit d’être une masse critique qui exerce une influence sur les problèmes, débats et perceptions, pour produire un impact. D’autres prétendent qu’il est nécessaire de générer un changement pour causer un impact. Il faudrait peut-être déplacer le point de vue de la discussion vers le degré de manifestation du changement, si changement il y a. (INSTRAW. “La femme et l’exercice du pouvoir et la prise de décisions : Nouveaux défis” dans Beijing 10 ans après : de la politique à la pratique. 2005. p.21: http://www.uninstraw.org/es/images/stories/revision_beijing/womeninpoweranddecisionmakingsp.pdf) 46 Kabir, F. Participation politique des femmes en Asie du sud, DAWN, 2003.p.1: http://www.dawn.org.fj/publications/docs/prstkabir2003.doc 47 Il faut préciser qu’en tant que groupe subalterne, les femmes peuvent avoir des intérêts communs, mais, comme les hommes, elles ont de nombreuses facettes dans leurs identités qui peuvent les amener à différents agendas politiques. Dans de nombreux cas, des identités autres que celle du genre sont les centres de la mobilisation politique. Voir dans ce sens : Craske, N. Les femmes et les politiques en Amérique latine. New Yersey: Rutgers University Press, 1999. 9 de différentes classes sociales, âges, milieux culturels, religions et orientations sexuelles rejettent le modèle unique de référence des courants féministes classiques, celui de la femme occidentale, blanche et de classe moyenne. Mais au-delà de la reconnaissance et de la revalorisation des différences, l’accent se place sur la visibilité des multiples discriminations, exclusions et oppressions auxquelles les femmes se voient exposées du fait de leurs multiples identités (en fonction de l’âge, la classe, le groupe culturel ou religieux, l’origine nationale, l’orientation sexuelle…). L’approche GED permettra de visualiser les diversités des femmes, mais surtout, les inégalités existantes entre elles et les confronter pour les surmonter48. Reconnaître ceci suppose de commencer à confronter les différences et inégalités qui existent entre les femmes elles-mêmes, et à partir de là, obtenir des pactes entre elles, nécessaires à l’intégration équitable et égalitaire des femmes au pouvoir. B. Bonne gouvernance et perspective de genre Les définitions actuelles de bonne gouvernance, avec leurs différentes approches, reconnaissent dans celle-ci différents secteurs (secteur public, société civile et secteur privé), niveaux (niveau local, national et international) et sphères (économique, politique et social, entre autres)49. Une perspective sexospécifique dans la bonne gouvernance doit les aborder tous, pour visionner les multiples formes dans lesquelles s’expriment les relations inégales de pouvoir dans chacun d’eux et prendre des mesures appropriées. Cette pluralité d’approches que l’on observe dans l’agenda de la gouvernance se reproduit à l’échelle locale où les initiatives répondent aussi à des focalisations et visions différentes et toutes d’elles n’incorporent pas la perspective de genre dans leur vision et action. Dans ce sens, comme l’indique Niraja Gomal Jayal, il devient nécessaire d’œuvrer dans plusieurs directions50: 1. Redéfinir le concept de gouvernance pour le rendre sensible à la dimension de genre et qu’il inclut le milieu privé, domestique (de la famille) : Les approches traditionnelles de la gouvernance continuent à perpétuer la séparation historique entre la sphère publique et la sphère privée qui a maintenu les femmes recluses dans l’espace domestique de la reproduction et les hommes dehors, dans l’espace de l’activité publique. Cette séparation a perpétué l’exclusion des femmes des secteurs traditionnels de la gouvernance en sus de ne pas reconnaître la sphère privée ou ménagère comme un espace qui doit être régulé par l’action publique où prennent place des relations inégales de pouvoir51. Une nouvelle conception de la gouvernance qui soit sensible à la dimension genre doit reformuler ses supposées bases afin d’englober des sphères et des questions jusqu’à présent faites invisibles ou ignorées. Dans ce sens, des thèmes qui sont restés hors de l’agenda de la gouvernance parce qu’ils étaient considérés privés, doivent y entrer et faire partie de la discussion politique. Ceci est le cas du travail reproductif affirment la majorité des femmes ; la violence contre les femmes ; les droits sexuels et les droits reproductifs ; 48 Le processus d’autonomisation doit être conceptualisé à tout moment, car les femmes expérimentent de façon différente leur subordination par rapport aux hommes. Par conséquent, il n’existe pas un modèle unique et universel pour accéder à l’autonomisation des femmes, sauf si bien sûr elle implique la transformation des relations inégales du pouvoir. 49 Il faut signaler, comme l’on déjà fait de nombreuses féministes, que ces définitions de gouvernance laissent dehors la sphère domestique maintenant la dichotomie public-privé qui a exclu les femmes de l’action publique et a rendu invisible leurs apports d’autres milieux. 50 Jayal, N.G., “Retrouver le genre dans le discours de la gouvernance” dans Essais sur le genre et la gouvernance : Une introduction. New Delhi: Centre de ressource de développement humain, UNDP, 2003: http://hdrc.undp.org.in/pub/books/bookassets/Essays%20on%20Gender%20and%20Governance.pdf 51 “Cette distinction s’est maintenue sur la base d’un système complexe de prohibitions qui jusqu’à récemment faisaient partie du droit positif. Le libéralisme défendit et reproduisit dans des lois la séparation de ces deux milieux et considéra que le pouvoir de l’état devait finir aux portes des foyers, où “régnait” le pater familias” (Bareiro, L., López, O., Soto, C. y Soto, L. Systèmes électoraux et représentation féminine en Amérique latine. Paraguay: CEPAL, 2004. p.16: http://www.eclac.cl/publicaciones/UnidadMujer/7/LCL2077/lcl2077e.pdf) 10 2. Incorporer la perspective de genre aux propositions et stratégies de l’agenda de la bonne gouvernance pour qu’elle rende visible les nécessités et intérêts des femmes et y réponde. Ceci suppose, entre autres choses, de travailler pour assurer l’égalité entre hommes et femmes dans la prise de décisions, l’accès et le contrôle des ressources et dans la jouissance des bénéfices du développement ; le respect des droits humains des femmes et des hommes par l’établissement de mécanismes, structures et politiques ; l’autonomisation des femmes à travers l’élargissement de leurs options et capacités ; la reconnaissance des femmes en tant qu’acteurs politiques légitimes et citoyennes de plein droit ; la responsabilité envers les droits des femmes, particulièrement les plus exclues, etc. 3. Encourager l’accès des femmes au pouvoir et à la prise de décisions et leur permanence dans ces fonctions. Comme le démontrent les données sur la participation politique des femmes, celles-ci sont encore sous-représentées à tous les niveaux et dans tous les secteurs, mais en outre leur permanence dans les postes de pouvoir ou décisionnels est beaucoup plus éphémère que celle des hommes. Néanmoins, au-delà des numéros, il est fondamental d’analyser la présence des femmes dans les différents secteurs et niveaux en termes de qualité et l’impact de cette présence sur les postes et processus de prise de décisions. Cependant, Il n’existe pas de nos jours de critères uniformes au moment de valoriser et analyser cet aspect. Il est essentiel de redéfinir le concept de participation politique pour mettre en évidence d’autres formes et d’autres espaces à partir desquels s’exerce l’action politique des hommes et des femmes. En même temps, il est indispensable que les femmes s’organisent et se mobilisent pour exiger leurs droits et élargir leur citoyenneté et la rende effective ; et que la bonne gouvernance, avec tous ses secteurs et à tous les niveaux, génère un développement où la reconnaissance de l’intégralité des droits humains des femmes et l’exercice de leur citoyenneté élargie soient assurés. Et tout cela doit se faire à partir d’une vision élargie du projet d’intégrer la perspective de genre dans la gouvernance pour qu’elle attaque les différentes façons dont les femmes sont inégales, désavantagées, opprimées et exploitées dans divers milieux et sphères (publiques et privées), et renforcer leur pouvoir d’action dans toutes ces sphères. C. La proposition de la politique transformatrice : lien entre la participation des femmes dans les postes de prise de décisions et la gouvernance sensible au genre La proposition de beaucoup de femmes, particulièrement du Sud52, dans le cadre de l’agenda de la bonne gouvernance, est celle de la politique transformatrice. Celle-ci se centre et met l’accent sur l’inégalité de genre et l’autonomisation des femmes, mais va plus loin en proposant la transformation des institutions, des processus et des valeurs politiques actuelles. Elle prétend redéfinir la démocratie, l’état, la politique, la citoyenneté, ses principes et valeurs afin qu’ils facilitent le plein exercice de la citoyenneté des hommes et des femmes et de toutes les collectivités traditionnellement exclues. Pour ce faire, on propose53: 52 Voir le site internet du Centre pour les femmes en politique d’Asie et du Pacifique où se trouvent divers documents sur le sujet : http://www.capwip.org/aboutcapwip/about.html Rounaq Vahan. La pratique de politiques transformatrices. CAPWIP 2003: http://www.capwip.org/resources/rounaq/rounaq.htm 53 11 1. Transformer les institutions représentatives avec l’accès et la consolidation des femmes aux postes décisionnels assurant un impact réel dans les inégalités de genre. 2. Transformer l’agenda politique avec l’incorporation des nécessités, intérêts, visions et propositions des femmes. 3. Transformer les institutions, dans tous les secteurs et à tous les niveaux pour qu’elles deviennent des espaces participatifs, inclusifs et transparents. 4. Transformer les processus de gouvernance par le biais de forums ouverts, de processus transparents et participatifs, de l’incorporation d’une vision de haut en bas, de la reconnaissance de la diversité et la défense de l’inclusion, et leur concrétisation effective. Pour réussir ces transformations, l’INSTRAW considère que les différents acteurs de l’agenda de la gouvernance doivent faciliter le dialogue entre eux et établir des alliances à court, moyen et long terme. Cette proposition transformatrice doit conduire à une nouvelle façon de penser et agir de la théorie et la pratique. Pour y arriver, l’INSTRAW a l’intention de travailler à quatre niveaux : en approfondissant et élargissant la connaissance ; en facilitant l’échange d’idées et la coordination des acteurs ; en renforçant leurs capacités ; et en fomentant l’adoption de politiques publiques adéquates. III. Futures trajectoires de travail A. Investigation - Fomenter l’investigation qui facilite le lien entre la théorie et la pratique. - Développer des études sur les multiples exclusions des femmes en tant qu’agents politiques et les façons de les surmonter. - Développer des études dans des contextes socioculturels variés pour approfondir la connaissance de : o la participation politique et civique des femmes au niveau local : révision, documentation et analyses des expériences qui existent dans les pays o la participation politique des femmes appartenant à des groupes habituellement exclus ou marginalisés (femmes jeunes, migrantes, handicapées..) o l’impact réel de l’augmentation des femmes au pouvoir et dans les postes décisionnels o la participation des femmes dans le secteur privé et la société civile o mécanismes et politiques adéquats pour la promotion de la gouvernance avec une focalisation sur la dimension de genre et la participation et le leadership politique des femmes à tous les niveaux. o la participation et le leadership politique des femmes autochtones o l’accès et l’utilisation des TIC comme outils pour le renforcement du pouvoir d’action politique des femmes. - Développer des méthodologies, indicateurs et critères adéquats pour évaluer l’impact de la présence des femmes dans les postes de responsabilité et l’introduction d’une gouvernance sensible aux sexospéficités. B. Renforcement des capacités 12 - Développer des guides, matériels et processus de formation pour intégrer la perspective de genre dirigés au personnel des institutions du secteur public, privé et de la société civile (y compris la conception de politiques et budgets). - Développer des guides, matériels et processus de formation dirigés aux femmes leaders pour renforcer leur tâche dans les postes décisionnels. On mettra l’accent sur l’accès et le maniement des Technologies de l’information et des communications (TIC) et dans la formation des femmes jeunes et appartenant à des minorités. - Développer des guides, matériels et processus de formation pour renforcer l’activisme des femmes sur tout ce qui relève de l’action politique, la responsabilisation de la part de l’état et la défense des droits et intérêts des femmes. On mettra l’accent sur l’accès et le maniement des TIC et sur la formation des femmes jeunes et appartenant à des minorités. C. Diffusion de l’information - Collecter et diffuser les bonnes pratiques sur l’incorporation de l’approche de genre dans la gouvernance, en mettant l’accent sur les expériences des pays du Sud. - Collecter et diffuser l’information, les statistiques et analyses sur la participation des femmes dans différents secteurs et à différents niveaux de la gouvernance. En particulier sur les femmes dans le secteur privé, dans la société civile et dans le milieu local, en prêtant attention aux femmes de groupes traditionnellement exclus ou marginalisés (indigènes, jeunes, migrantes, minorités religieuses…). - Faciliter la création de forums d’échange d’idées et d’expériences et la consolidation d’alliances. D. Lobby et politiques publiques - Encourager l’insertion des résultats des investigations dans les politiques locales, régionales et globales. - Fomenter et faciliter la conception et l’adoption de politiques locales, régionales et globales qui promeuvent la participation politique des femmes et la gouvernance avec approche de genre. 13