Mistral texte G Decroocq - Médiathèque Marcel Pagnol d`Aubagne

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Mistral texte G Decroocq - Médiathèque Marcel Pagnol d`Aubagne
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[3 Décembre 2014 : ouverture des « 15 jours en Provence » de la Médiathèque
et de l’exposition « Fréderic Mistral un écrivain de notre temps », dans le cadre de la
commémoration du 100e anniversaire de sa mort]. – G. Decroocq
Mistral toujours d’actualité
Pour Frédéric Mistral, une année en 4 est une année riche en commémoration : 2014
est à la fois l’anniversaire du centième anniversaire de sa disparition, le 110° anniversaire de
l’attribution du Prix Nobel pour l’ensemble de ses œuvres et des 160 ans de la création du
Félibrige. Aussi l’avons-nous choisie pour vous parler de ce Mistral que, nous, tous les
Provençaux, avons reçu en héritage, pour le faire découvrir par certains, le faire mieux
connaître et aimer par tant d’autres.
Nous ne dresserons ici qu’un portrait succinct de l’homme simple né au Mas du Juge à
Maillane au Nord des Alpilles en 1830 où il vécut toute sa vie jusqu’à sa mort à la veille de la
Grande Guerre, ayant suivi des études de droit à Aix-en-Provence, avant « d’entrer en
littérature » comme on entre dans les Ordres pour y faire une carrière éblouissante. Il revint
au mas du Juge en1831.
Ses parents étaient des « ménagers » de ces familles qui vivent sur leur bien, au labeur
de la terre, d’une génération à l’autre.
Parler de la vie d’un homme est, en somme, assez facile mais parler de son œuvre est
cent fois plus complexe car le regard que l’on peut porter sur une œuvre est différent d’une
personne à l’autre, d’une génération à une autre et puis il est des dimensions de la pensée
auxquelles on est, à titre personnel, plus sensible que d’autres.
L’on peut dire sans aucun conteste possible que sans Mistral il n’y aurait pas eu de
littérature provençale ou de littérature d’oc. A la base, on peut affirmer qu’il a été un
révélateur de poètes, mais bien plus encore, le révélateur d’une langue et d’une culture qui
sont venues se réincarner dans son œuvre.
La langue étant la base fondamentale d’une œuvre littéraire l’on peut se poser la
question : pourquoi avoir choisi le provençal, idiome de la langue d’oc, parlée dans ses
nombreuses variétés : « despièi Aubagno, jusqu’au Velai, fin qu’au Medò » ?
A cette question l’on peut répondre avec l’écrivain Gaston Paris dans son
ouvrage : « Penseurs et Poètes » : « Mistral n’aurait pas été, en français, le grand poète qu’il
est, parce que toute sa façon de sentir la nature et de comprendre la vie était foncièrement
provençale et ne pouvait, par conséquent, trouver qu’en provençal sa pleine expression » et
Lamartine de surenchérir : « un poète qui crée une langue d’un idiome… un poète qui, d’un
patois vulgaire fait un classique d’images et d’harmonie ravissant l’imagination et
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l’oreille ! » Il ne faut pas oublier que cette langue, parlée dans quasiment toutes les cours
européennes, détrônée jadis de sa royauté littéraire, reniée des puissants, bafouée, méprisée on
avait fini par ne plus savoir l’écrire mais on l’avait toujours parlée. Elle s’était réfugiée
comme le dit Mistral « encò di pastre e di marin ». Elle avait suivi les lois naturelles de son
évolution. Au cours du temps, elle s’était vivifiée, rajeunie dans la diversité toujours
croissante des parlers locaux, elle en avait sucé la sève fougueuse.
Mistral et la langue provençale ne font qu’un et il ressent la douleur indignée de voir
les Provençaux renier leur langue provençale, c’est pourquoi il écrit en parlant de Mireille son
héroïne : « je veux qu’en gloire elle soit haussée comme une reine caressée par notre langue
méprisée… »
Il écrira aussi : « une langue est un monceau, une antique fondation où chaque passant
a jeté sa pièce d’or, d’argent ou de cuivre et c’est un monument où chaque famille a charrié
sa pierre, où chaque cité a bâti son pilier, où une race entière a travaillé de corps et d’âme,
pendant des cent et des mille ans.
Une langue, en un mot, c’est la révélation de la vie réelle, une manifestation de la
pensée humaine, l’instrument entre tous sacré des civilisations et le testament parlant des
sociétés mortes ou vivantes. »
Revenu au Mas du Juge, Mistral y travaille Mireille. Il y travaille dans sa petite
chambre voisine de celle où il naquit mais il y travaille aussi à travers champs suivant son
rêve magnifique ou en aidant son père dans la direction des travaux agricoles se mêlant aux
hommes de la terre, intégrant, incorporant leur langue en y découvrant, chaque jour, avec un
ravissement toujours neuf, les secrètes beautés. Il y travaille encore allongé sous un saule. Il y
travaille enfin lorsqu’avec ses amis Roumanille, Aubanel, Anselme Mathieu, Paul Giera,
Alphonse Tavan, Jean Brunet, il entreprend l’œuvre de relèvement et de propagande du
Félibrige car on avait vu un premier Félibrige au XVI° siècle avec Pierre Garros natif de
Lectoure et Louis Belaud de la Belaudière de Grasse.
Ces poètes se réunissaient souvent à Font-Ségugne près de Gadagne et c’est dans l’une
de ces réunions que le 21 mai 1854, jour de Saint Estelle fut fondé le Félibrige. Ses
participants furent appelés « Félibres », nom proposé par Mistral qu’on trouve dans un vieux
cantique provençal sur les sept douleurs de la Vierge : « la quatrième douleur que je souffris
pour vous, c’est quand je vous perdis trois jours et trois nuits… vous étiez dans le temple où
vous disputiez avec les scribes de la loi, avec les sept félibres de la loi !… »
C’est aussi dans cette séance mémorable que se décida la publication, sous forme
d’almanach, d’un petit recueil annuel contenant légendes, poèmes, contes, chansons et même
recettes qui serait, selon Mistral : « le fanion de notre pensée, l’étendard de notre idée, le trait
d’union entre félibres, la communication du félibrige et du peuple. « L’Armana » était né ! Il
paraîtra plus de quarante ans. Le premier fascicule de novembre 1854 pour le bel an de Dieu
1855 débute par son Chant des Félibres :
« Sian tóuti d’ami, sian tóuti de fraire
Sian li cantaire dóu païs… »
C’est dans les quatre premières années de l’Armana que se distinguent les principales
leçons de Mistral que ses disciples appelleront plus tard Sa doctrine.
La première œuvre épique de Mistral, Mirèio à laquelle il travaille depuis tant
d’années est enfin imprimée et c’est Roumanille, dans l’Armana pour 1859, qui en fait
l’annonce. Cette œuvre est attendue en Provence mais aussi à Paris ; son histoire franchira les
frontières et aura un retentissement international.
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Après Mirèio, ce fut Calendau « un simple pescaire d’anchoio » de Cassis qui, par la
grâce et la volonté du pur amour conquit les joies (prix), l’empire et la splendeur, en 1867,
suivi en 1875 par Lis Isclo d’or qu’il qualifie de : « petit groupe d’îlots arides et rocheux que
le soleil dore sous la plage d’Hyères ! » On peut dire que c’est dans Lis Isclo d’or que Mistral
s’est le mieux révélé poète de France, de la haute lignée ronsardienne, malherbienne,
lamartinienne et hugolienne.
Non content de son rôle de poète, il va s’attaquer à une œuvre gigantesque qu’est le
Trésor du Félibrige, en deux volumes, ouvrage par excellence qui, même de nos jours est le
seul instrument valable pour l’enseignement du provençal aux plus hauts niveaux.
Sa publication posa bien des problèmes autant financiers que techniques que Mistral
résolut tout seul, ne disposant d’aucune subvention ni d’aucune expérience en la matière. Il
fut d’ailleurs son propre éditeur ce qui veut dire qu’il organisa lui-même et suivit de près aussi
bien l’impression de l’ouvrage que la prospection des acheteurs et de la vente.
Commencé en 1861 par la lettre A, toutes les lettres sont prêtes en 1874 mais il lui
faudra plus de trois ans pour terminer ses recherches car ce n’est que dans l’été 1877 que
Mistral commence à se préoccuper sérieusement de la publication. Il rédige alors un
prospectus destiné à faire connaître le nouveau dictionnaire. Il en assure lui-même la diffusion
auprès d’un certain nombre de ses correspondants, félibres, philologues, directeurs de revues
ou journaux régionaux, en y joignant des bulletins de souscription. En 1878 des souscripteurs
ayant dépassé le chiffre estimé minimal de 500, le feu vert est donné. L’impression
commence mais il faudra huit ans pour la mener à son terme. Le premier volume paraîtra en
en 1882 et le deuxième à la fin de 1886.
Dès 1898, la première édition était en voie d’être épuisée et une demande de
réimpression se manifestait mais il n’y eut pas de réédition du Trésor du vivant de Mistral. Il
faudra attendre l’année 1932 pour que paraisse la deuxième édition du Trésor dóu Félibrige.
Il obtint en 1890 le Grand Prix de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres
En 1884, c’est Nerto qui voit le jour, poème en VII chants suivi d’un épilogue qui est,
en fait une chronique du temps des papes, une légende fantastique du Moyen-âge tour à tour
idyllique et dramatique comme l’écrivit l’historien Paul Souchon. C’est une œuvre ravissante,
malheureusement les autres grands poèmes de Mistral lui ont porté tort mais elle suffirait à
elle seule à le mettre au premier rang.
Il y glorifie la Papauté avignonnaise en l’associant aux souvenirs laissés en Provence
par la Reine Jeanne. C’est d’ailleurs ce qu’il fit en publiant en 1890 La Rèino Jano.
La Reine Jeanne incarne pour les Provençaux les traditions et les rêves de la race.
Quand elle vint en 1348 de Naples en Provence sur sa galère fleurie, elle était dans tout l’éclat
de la jeunesse, de la beauté et le peuple la vit toujours sous cet aspect. Mistral a voulu
restituer à la fois le caractère historique et le caractère poétique de ce personnage qui, selon
ses propres expressions est « pour nous autres Provençaux, ce qu’est Marie Stuart pour les
Ecossais !… » Cette pièce en cinq actes peut être considérée comme une tragédie nationale.
Sept ans après, en 1897 Mistral publie une autre œuvre capitale en douze chants :
« Lou Poèmo dóu Rose » par lequel s’achève son grand tryptique des beautés de Provence. En
effet il a chanté les plaines de la Crau et de la Camargue dans Mireille, la mer et la montagne
dans Calendau, à présent c’est le fleuve qui vivifie et qui commande, « Le chemin humide qui
unit ».En toute originalité c’est le fleuve qui est le héros du poème.
Nouvel hymne au sol natal, le Poème du Rhône est aussi un regret donné aux temps
anciens de la batellerie fluviale :
« O temps des vieux, temps gai, temps de simplesse où sur le Rhône tourbillonnait la vie ! »
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Tout cela aujourd’hui est mort, muet et vaste !…
En 1906 paraîtront « Memòri e Raconte » au dire de Mistral lui-même : « biographie,
vrai roman et presque poème. » Dans toutes ses œuvres fussent-elles en prose, par-dessus tout
il a choisi de s’exprimer dans le langage de la poésie. Les Mémoires n’échappent pas à cette
règle et demeurent fidèles à une certaine conception de la création littéraire, d’où l’originalité
des grands poèmes résidant dans une faculté personnelle de transcender le réel sans jamais le
négliger. Il y évoque le domaine mystérieux et envoûtant de son enfance ne conservant du
passé que les éléments dont il a conservé toute l’émotion.
Tous les chapitres concourent à nous faire saisir dans quelles conditions a pu éclore et
se développer son génie poétique.
« Lis Oulivado » recueil de poésies provençales sera la dernière œuvre poétique de
Mistral publiée en 1912. Son temps s’achève, il le sent très bien et l’exprime avec pudeur et
objectivité :
« Le temps qui devient froid et la mer qui déferle,
Tout me dit que l’hiver est arrivé pour moi
Et qu’il faut, sans retard, amassant mes olives
En offrir l’huile vierge à l’autel du bon Dieu. »
N’oublions pas qu’il était fervent catholique et que, toute sa vie il eut le respect de ses
devanciers qu’il honore dans un de ses plus beaux poèmes : « La Cansoun dis Avi » :
Ounour à nòstis àvi
Tant sàvi, tant sàvi,
Ounour à nòstis àvi
Qu’avèn pas couneigu !
An viscu
An tengu
Nosto lengo vivo ;
An viscu
An tengu
Tant coume an pouscu.
En premier chef, il leur est reconnaissant d’avoir continué à parler leur langue, sa
langue, contre vents et marées. Il se reconnaît donc en eux, lui que l’on pourrait à juste titre
qualifier de « Rédempteur de la Langue. »
Nous avons déjà évoqué l’Armana Prouvençau, il nous faut dire maintenant quelques
mots sur le journal «l’Aiòli » créé par lui en 1891 auquel participèrent les plus fines plumes de
l’époque et qui, en journal moderne, comportait une page de publicité non négligeable.
Ses Discours prononcés par le Poète dans les assemblées solennelles du Félibrige et
dont un fut prononcé en français à l’Académie de Marseille en 1887 exposent très clairement
sa doctrine avec beaucoup de précision et de maîtrise :
« Ço que voulèn »
fait aux félibres catalans le 9 septembre 1868 :
« Nous voulons que nos fils, au lieu d’être élevés dans le mépris de notre langue
continuent à parler la langue de la terre, la langue dans laquelle ils sont fiers, grâce à
laquelle ils sont forts, grâce à laquelle ils sont libres.
Nous voulons que nos filles demeurent simples dans les fermes où elles naquirent et
qu’elles portent à jamais le ruban d’Arles comme un diadème royal.
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Nous voulons que notre peuple au lieu de croupir dans l’ignorance de sa propre
histoire, de sa grandeur passée, apprenne enfin ses titres de noblesse… »
Dans « la langue du Midi » fait à la Sant Estelle d’Avignon en 1877, il souligne
l’importance de la langue sur la civilisation dont elle est le support car « elle est la révélation
de toute une vie, la manifestation de la pensée humaine, l’instrument sacro-saint des
civilisations et le testament parlant des sociétés mortes ou vivantes. »
Dans tous ses Discours le Félibrige tient une place très importante. Il y déplore aussi
« Le Dépeuplement des campagnes », fait appel à « La Fraternité des peuples », se penche sur
« Le Provençal à l’école », thèmes très chers à son cœur. Il fait l’éloge de ses confrères et
amis félibres auxquels ils s’adressent souvent : « Aux Félibres Béarnais ; » ainsi qu’« Aux
jeunes filles » dont il célèbre la grâce et la beauté, qui sont « l’orgueil de notre race ! »
De nombreuses correspondances dont celle avec Léon De Berluc-Pérussis entre 1860
et 1902 a attiré notre attention car elle est vraiment révélatrice de l’homme et du poète. Ces
lettres sont écrites soit en provençal, soit en français. Le provençal n’apparaîtra qu’en 1876,
sur 191 lettres, 79 le seront en français.
Que les premières soient écrites en français cela s’explique par le fait que les félibres
n’ont pris que peu à peu conscience de la valeur de leur langue mais à partir de 1876 au
moment où le Félibrige est constitué en une association s’étendant sur tout le territoire
méridional de la France avec son Consistoire de 52 Majoraux, cela peut paraître surprenant.
En les classant d’après leur contenu, on constatera que 40 d’entre elles ont un
caractère littéraire, 11 un caractère intime, 6 sont à la fois littéraires et intimes, 5 traitent de
sujets linguistiques, une seule a un caractère officiel.
Toutes les autres portent sur des problèmes qui intéressent la vie du Félibrige.
Un autre écueil surgit qui semble d’ailleurs toujours d’actualité c’est celui des
dialectes dont Mistral se présente comme le défenseur. « Le dialecte marseillais, écrit-il est
tellement avili par la plupart des versificateurs qui l’emploient, il me paraît urgent, pour
l’honneur du pays, qu’un homme de goût, de sens naturel et de race, le réhabilite en poésie. »
On ne saurait terminer cette étude sans évoquer le Musée Arlaten, musée d’art et de
traditions populaires que Mistral put réaliser avec l’argent du prix Nobel attribué pour
Mireille. Attaché à la langue, il l’était tout particulièrement à la tradition, aux coutumes
comme aux costumes.
Dans le numéro du 17 janvier 1896 Mistral développe longuement quels sont ses
projets immédiats pour ce dit musée : demander à la municipalité d’Arles un endroit pour
rassembler les collections qui comprendraient des poupées représentant des filles et des
garçons d’Arles dans leur costume, un tambourinaire, des bijoux, des meubles, les attributs
des gardians des manades de Camargue, les cloches et clochettes des troupeaux, les chevaux
de Saint Eloi, les ustensiles de cuisine en évoquant les plats représentatifs de la région, les
mesures de poids en circulation. Il prévoyait un catalogue de recettes. Vaste programme qu’il
réalisa aussi grâce à la générosité « des patriotes intelligents » comme il l’écrivit dans ce
même numéro.
L’on ne saurait passer sous silence l’un des plus célèbres poèmes de Mistral, celui de
« La Coupo » devenu depuis sa parution l’hymne de la Provence et non une chanson à boire
comme il nous a souvent été dit. Nous voulons ici vous en rappeler l’histoire. « Catalan de
liuen, ô Fraire !…
On a pu croire que Mistral n’était que le chantre d’une région mais son œuvre est une
doctrine d’humanisme méditerranéen. Sa pensée reconstruit un classicisme dépouillé qui nous
conduit vers la sagesse et vers l’esthétique.
Il est un poète provençal, un régionaliste provençal, certes, mais ce serait le diminuer
que de l’enfermer dans ses limites régionales. La Provence est son socle, sa terre d’envol, les
Provençaux ont le privilège de le compter comme un des leurs mais il dépasse ces limites.
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Il est traditionaliste mais il ne retient d’un passé que ce qui est vivant ; à la lueur de ce
passé il éclaire l’avenir dans la sagesse d’une philosophie robuste en conciliant progrès et
tradition ; pour lui « Jouvènço » rime avec « Prouvènço». Il apporte aux jeunes le secret
mystique.
L’œuvre de Mistral prend son souffle dans la Provence gallo-romane et forme une
doctrine d’humanisme où sont intégrés les éléments constructifs de la nature française. Poète
provençal il est aussi poète français puisqu’il emploie cette langue héritière directe de la
langue mère par l’intermédiaire des Gallo-Romans, des troubadours puis des Félibres.
La Provence crée le merveilleux, Mistral en est enveloppé dès son enfance car cette
patrie a ses dieux, ses légendes et ses morts qui dorment sous l’étoile des Baux. Il s’attache à
la légende dorée provençale, à Saint Gens de Monteux, le saint le plus populaire de Comtat, à
Saint Bénézet, le constructeur du Pont d’Avignon, à Saint Ser de Puyloubier qui guérit de la
surdité. Il s’attache aussi aux saints qui se nationalisèrent provençaux : les Saintes Maries,
Saint Trophime, Saint Jean le Moissonneur.
Dans cette œuvre plane le mystère, avec une mythologie locale, étrange, poétique : le
Val d’enfer, la Vieille Taven, les esprits des fées, le pilote fantôme, le drac, les sorcières, la
chèvre d’or, les matagots, l’esprit fantastique, les présages et la mystique du chiffre sept.
Mistral accordait une confiance absolue en la vertu de ce chiffre : les fondateurs du Félibrige
étaient sept, le journal l’Aiòli paraissait le 7, le 17 et le 27 de chaque mois, l’étoile de
Félibrige a sept branches comme celle des Mages.
Tout cela contribue un peu à ce que l’on a appelé le secret de Mistral que l’on sent
partout… en secret… dans son œuvre et ce secret aboutit à l’étoile ; c’est-à-dire au beau, à
l’esthétique et cette étoile Mistral l’a voulue sur son tombeau.
Mistral a fait un chemin de résurrection. Ce chemin longe des collines qui sont des
acropoles, des calanques qui sont des ports grecs. Sur les bords la sérénité d’âme olympienne
de Mistral, sa douceur virgilienne, sa tranquille conscience chrétienne ont ramené l’esprit à
son centre de gravité, dans sa limite. C’est là le secret de Mistral.
Nous croyons qu’après les doubles orages sanglants que, heureusement, le poète n’a
pas connus, 14-18 et 39-40, ses chants de sagesse et de beauté peuvent reconstruire demain
l’Europe et le monde dans la splendeur et dans l’humanité. L’humanité de Mistral, plus que
jamais, doit servir de guide et de phare à toute l’humanité.
Soyons patients, ne désespérons pas. Voilà l’essentiel tel que Mistral nous l’a marqué
en disant :
« Qu’importe ce qui adviendra ! L’essentiel est de croire et d’espérer. Chantons donc
nos espérances ! Si elles restent vertes, nous aurons toujours mûri nos chansons et
Ce qui est mûr porte semence ! »
G. Decroocq