Dossier - Pinsent Masons

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Dossier - Pinsent Masons
Dossier
Contrats d’affaires : impacts de la
réforme du droit des obligations
L
a réforme du droit des obligations dont on a tant parlé depuis de longues années a
surgi presque de manière inattendue par voie d’ordonnance le 10 février 2016 pour
entrer en vigueur le 1er octobre 2016 (Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016).
Beaucoup a déjà été écrit sur cette réforme. Du ton expositif au ton polémique, parfois
grincheux face à une réforme fruit de compromis qui ne pouvait satisfaire tout le monde,
nous n’avons pas souhaité à travers ce cahier spécial ajouter un commentaire systématique
de l’ensemble de la réforme, mais adopter un ton pratique.
En qualité de praticiens, nous nourrissons notre réflexion de la doctrine, mais avons pour
mission première de nous adresser aux utilisateurs du droit, et plus particulièrement au
cas présent du droit des contrats, de la manière la plus pratique et concrète possible.
Notre objectif a donc été de faire connaître cette réforme à travers ses aspects qui nous
paraissent avoir l’impact le plus immédiat sur la conduite de la vie des affaires.
Par ailleurs, le droit des contrats, matière transversale par excellence de la vie des
affaires, trouve des applications concrètes différentes selon les environnements
économiques que l’on considère.
C’est pourquoi nous avons souhaité donner ici un aperçu des implications concrètes de
certains aspects de la réforme du droit des contrats selon les secteurs d’activité suivants : les
opérations de fusions-acquisitions, la propriété industrielle, les nouvelles technologies, la
construction et les grands projets d’infrastructure et du domaine de l’énergie.
Pour chacun de ces secteurs, les thématiques de la réforme structurantes de chacun des
articles qui suivent s’organisent au tour de :
– la phase précontractuelle des négociations ;
– la formation du contrat et des rapports de force entre les parties contractantes ; et
– l’exécution des conventions et de la prise en compte des circonstances nouvelles.
Selon les cas, nous avons traité de quelques aspects spécifiques de la réforme qui nous
paraissaient, outre les thèmes déjà mentionnés, présenter un caractère de particulier
intérêt pour les secteurs concernés.
Guidé par ces jalons, le lecteur pourra à son choix se tourner vers le ou les secteurs dans
lesquels il intervient pour trouver dans ces lignes quelques réflexions et suggestions
pratiques utiles pour appréhender le potentiel de renouvellement des schémas habituels
de travail que cette réforme offre à certains égards.
L’équipe de rédaction Pinsent Masons
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Revue Lamy Droit des Affaires
SOMMAIRE
Réforme du droit des
contrats et opérations
M&A (1re partie) : du
NDA à la binding offer
P.39
Réforme du droit des
contrats et opérations
M&A (2e partie) : du
signing au closing ... P.44
Quelle incidence
l’ordonnance du
10 février 2016 va-t-elle
avoir sur les contrats
portant sur des droits
de propriété
industrielle ? .......... P.49
Les contrats
technologiques à
l’épreuve du nouveau
code civil ................. P.54
Les contrats de
construction : ce qu’il
faut retenir après la
réforme du droit des
obligations .............. P.60
Réforme du droit des
contrats et contrat de
consortium : un rendezvous manqué ? ........P.65
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Dossier
RLDA 6001
Réforme du droit des contrats
et opérations M&A (1re partie) :
du NDA à la binding offer
Par Pierre
Fany Lalanne
FRANÇOIS
La réforme du droit des contrats introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du
10 février 2016 codifie de nombreuses positions jurisprudentielles développées
à l’occasion de litiges relatifs à la conduite de la phase précontractuelle. Audelà cette codification à droit jurisprudentiel constant, la réforme apporte aussi
quelques nouveautés qui ne sont pas dénuées de portée pratique dans la conduite
des opérations de fusions-acquisitions.
participé sous l’égide de la Commission européenne à poser les premières pierres en
2001 d’un projet de code civil européen.
I. – Le devoir de
confidentialité : l’article
1112-2 du code civil
L’accord de confidentialité est l’un des premiers instruments contractuels négocié et
signé entre les parties dans le cadre d’une
opération de fusions-acquisitions. En substance, ce contrat engage l’une des deux
parties à tenir confidentielles certaines informations que l’autre partie pourra être
amenée à lui communiquer dans le cadre
notamment de la réalisation d’audits juridiques sur la cible de l’opération. Cet engagement peut être pris tant vis-à-vis de
la cible que des vendeurs. Cet accord peut
être unilatéral ou réciproque, c’est-à-dire
que dans ce cas, chacune des parties prend
l’engagement de ne pas diffuser certaines
informations échangées dans le cadre de la
négociation des termes de la transaction.
La jurisprudence de la Cour de cassation
avait déjà pu reconnaître un principe de
confidentialité à la charge des négociateurs
d’un contrat même en l’absence d’accord
exprès, sur le fondement notamment du
devoir de loyauté(1). Désormais, ce principe
a donc une valeur légale et figurait déjà au
nombre de ce que l’on désigne comme les
« Principes du droit européen du contrat »
élaborés par le groupe de travail dit « Commission Landö » (et son article 2.302) ayant
(1) Cass. com., 11 juill. 2000, Contrats, conc.,
consom. 2000, comm. 174 ; Cass. com., 12 mars
1996, n° 94-42.105.
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Rédactrice en chef
Associé
Pinsent Masons
pierre.francois@
pinsentmasons.com
L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016
(l’Ordonnance) consacre ce principe et introduit une obligation légale de confidentialité dans le cadre de toutes négociations de
contrats dans un nouvel article 1112-2.
Et Julien
ESPEILLAC
Avocat à la Cour
Article 1112-2. « Celui qui utilise sans
autorisation une information confidentielle
obtenue à l’occasion des négociations engage
sa responsabilité dans les conditions du droit
commun. »
Bien que ce principe devenu légal s’appliquera même si les personnes qui négocient n’ont
pas signé de clause ou d’accord de confidentialité, il faut souligner que l’utilité et l’usage
d’accord de confidentialité n’en demeure pas
moins toujours important et intéressant. Il
faut plutôt voir dans ce nouvel article 11122 du code civil la consécration de l’existence
d’un dommage pouvant résulter du non-respect de l’obligation de confidentialité.
L’obligation contractée dans le cadre d’un
accord de confidentialité étant juridiquement qualifiée d’obligation de ne pas faire,
la simple démonstration de l’existence de
la divulgation d’une information confidentielle pourra suffire à engager la responsabilité contractuelle de son auteur.
Ainsi, encadrer les négociations sous l’empire d’un accord de confidentialité permettra toujours de répondre et d’adresser des
points ne pouvant être traités de manière
générique dans un texte de loi, ce dernier se
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devant d’être général dans son application. L’accord passé
définira l’information considérée comme confidentielle,
la durée de l’obligation et aménagera le régime de l’obligation de confidentialité. La mise en œuvre de l’accord
devrait être facilitée par la création de cette obligation
générale dans le code civil.
Demeure toutefois une incertitude quant à la portée effective qui sera donnée au principe de protection des informations confidentielles échangées dans le cadre des
pourparlers devenu d’ordre public. En effet, une juridiction
pourra toujours considérer que la définition de l’information confidentielle dans un accord de confidentialité a
pour finalité de limiter la portée et la protection d’ordre
public et donc est contraire à celui-ci. Les premières décisions rendues sur cette question seront, à ce titre, très importantes pour comprendre l’orientation que souhaitera
donner la Cour de cassation au regard de cette question,
même si l’on peut souhaiter ou anticiper que l’introduction de ce principe n’a pas pour objectif de limiter des pratiques existantes déjà efficaces.
II. – Bonne foi - Information
précontractuelle : l’article 1104 et
l’article 1112- 1 du code civil
Alors que l’article 1134 ancien du code civil, alinéa 3, insiste sur la bonne foi dans l’exécution des conventions,
l’Ordonnance élargit considérablement le champ d’application de ce principe.
L’article 1104 : la bonne foi en général
Article 1104. « Les contrats doivent être négociés, formés et
exécutés de bonne foi.
Cette disposition est d’ordre public. »
L’article 1112 : la bonne foi dans les
négociations et les due diligence
Article 1112. « L’initiative, le déroulement et la rupture
des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent
impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
En cas de faute commise dans les négociations, la réparation
du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de
compenser la perte des avantages attendus du contrat non
conclu. »
Dans le cadre d’une opération d’acquisition, cette disposition ne semble pas revêtir une importance particulière
dans la mesure où (i) l’exigence de bonne foi dans la
conduite des pourparlers et des négociations précontractuelles a déjà été reconnue par la jurisprudence et (ii) la
négociation des termes d’un contrat d’acquisition, d’un
traité de fusion ou d’un pacte d’associés ne présente pas
de particularité au regard de l’exigence de bonne foi.
On pourra toutefois s’interroger sur la validité d’une pratique, parfois utilisée dans le cadre de constitution de data
room, consistant à disséminer de l’information dans des
sections parfois inattendues tant l’intitulé des sections
concernées figurant en index de data room est étranger à
la nature de l’information délivrée. Une telle pratique serait-elle constitutive d’un acte de mauvaise foi ? Appliqué
à des informations d’importances ayant une incidence
suffisamment significative sur la valorisation des titres, on
pourrait le penser.
De la même manière, les réponses par trop allusives ou
renvoyant à des éléments parcellaires figurant en data
room fournis dans le cadre des Q&A pourraient aussi passer pour de la mauvaise foi.
Ainsi, l’article 1104 nouveau du code civil disposet-il qu’outre l’exécution des conventions, les futurs
co-contractants doivent agir de bonne foi dès la négociation et la formation du contrat.
Que dire encore des systèmes de data room ne permettant pas de conserver l’historique de fourniture de l’information ou de tracer les informations nouvellement fournies ?
Certes, la jurisprudence avait déjà étendu le principe de
bonne foi dans la conduite des négociations, notamment
pour fonder la sanction de la rupture abusive de pourparlers.
À considérer l’exigence de bonne foi de manière trop large,
on risque toutefois de contraindre le vendeur à dévoiler
trop, trop vite et dans une forme et selon des moyens présentant trop de confort pour l’acquéreur. Si une conception large de la bonne foi peut se comprendre pour une
relation précontractuelle se développant dans le cadre
d’une relation d’exclusivité accordée par le vendeur, il
nous semble qu’elle devrait s’entendre d’une manière plus
restrictive dans le cadre d’un processus concurrentiel. En
effet, dans ce cadre, il est légitime d’attendre des candidats à l’acquisition qu’ils fassent preuve de sagacité, voire
se contentent d’une information parcellaire et parfois difficile à recouper, dans l’attente d’un approfondissement
En outre, le dol peut dès aujourd’hui permettre l’annulation d’un contrat, dès lors que la preuve aura pu être
rapportée qu’une des deux parties a délibérément induit
l’autre en erreur en dissimulant certaines informations ou,
a fortiori, en diffusant des informations incorrectes.
L’apport de la réforme n’est donc pas à chercher dans la
réécriture de l’article 1134, alinéa 3, ancien du code civil
mais plutôt dans l’obligation d’information renforcée qui
en découle.
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Ainsi, les articles 1112 et 1112-1 nouveaux du code civil,
consacrent-ils, dans une sous-section intitulée « les négociations » un cadre légal à la conduite de pourparlers.
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et de la validation de leurs hypothèses de travail avec un
concours accru du vendeur, une fois l’exclusivité accordée.
reurs déterminés au regard de leur qualité ou au cas par
cas ? La loi donne quelques réponses.
Un point à noter encore eu égard à l’indemnisation de la
faute dans la conduite de pourparlers : la perte de chance
de retirer les bénéfices attendus du contrat finalement
non conclu n’est pas indemnisable. Si ce point paraît justifié aux stades de négociations interrompues, même de
manière fautive, on verra que le même principe a été retenu en cas d’inexécution d’une offre ferme. Ce qui paraît
plus contestable.
Tout d’abord, l’article 1112-1 nouveau du code civil précise
que le devoir d’information ne porte pas sur « l’estimation de la valeur de la prestation ».
L’article 1112-1 : l’obligation de divulgation
Article 1112-1. « Celle des parties qui connaît une information
dont l’importance est déterminante pour le consentement
de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitiment, cette
dernière ignore cette information ou fait confiance à son
cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur
l’estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont
un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la
qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due
de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette
autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure, ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le
manquement à ce devoir d’information peut entraîner
l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux
articles 1130 et suivants. »
Les termes du nouvel article 1112-1 du code civil méritent
une particulière attention quant à leurs implications pratiques dans la conduite de la phase précontractuelle des
opérations de fusions-acquisitions.
Explicitant le principe général de bonne foi exposé aux articles 1104 et 1112 nouveaux du code civil, l’article 1112-1
du même code impose aux vendeurs une obligation d’information qui peut être lourde de conséquences, notamment dans le cadre de l’organisation des due diligence.
Ainsi l’article 1112-1, alinéa 1, nouveau du code civil dispose que « celle des parties qui connaît une information
dont l’importance est déterminante pour le consentement
de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement,
cette dernière ignore cette information ou fait confiance à
son cocontractant ».
En conséquence, le vendeur, partie nécessairement mieux
informée que l’acquéreur sur la cible, doit porter spontanément à la connaissance de ce dernier toute information
qu’il connaîtrait comme déterminante du consentement
éclairé de l’acquéreur.
De quelles informations parle-t-on ? Comment s’apprécie
le caractère déterminant d’une information pour un acquéreur : selon une norme générale applicable aux acqué-
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Il s’agit de prime d’abord d’une exception de taille. Toutefois, dans le cadre des opérations d’acquisitions ou de
fusions, deux observations devraient tempérer cette
impression. Premièrement, le texte vise la valeur d’une
« prestation ». Ce terme semble donc exclure l’application de cette exception à la vente ou à l’échange de titres.
Deuxièmement, même à supposer ce texte applicable,
comment l’absence de divulgation d’éléments juridiques,
financiers, fiscaux ou commerciaux suffisamment significatifs pour avoir un effet sur la valorisation des titres ne
constituerait-elle pas un manquement à la bonne foi dans
la conduite des pourparlers susceptibles soit d’une mise
en jeu de la responsabilité du vendeur, soit d’impliquer
l’annulation du contrat pour dol ?
En pratique, il est donc à craindre que cette exception
se révèle d’une portée assez limitée dès lors que, rappelons-le, le terme utilisé de « prestation » n’en exclurait
pas totalement l’application aux opérations de vente ou
d’échanges de titres.
Ensuite, l’article 1112-1 nouveau du code civil précise que
les informations d’importance déterminante ont « un lien
direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité
des parties ».
Ainsi la capacité du vendeur ou de l’acquéreur, l’existence
valable des titres ou le droit à disposer de ces derniers par
le vendeur constituent-elles à l’évidence des informations
déterminantes.
Le texte ne disposant pas que seules les informations directement et nécessairement liées ou contenu du contrat
ou à la qualité des parties sont d’importance déterminante, la liste des informations d’importance déterminante dépasse en nombre très largement celles qui sont
indispensables à la détermination de l’objet du contrat
ou à l’identification des parties et de leur qualité. Ainsi
quelle sera l’étendue de l’information d’importance déterminante dans le cadre d’un apport partiel d’actifs ou
d’une vente de fonds de commerce ? Toute d’information
juridique, financière, fiscale ou commerciale sera dans ce
cas une information liée de manière directe et nécessaire
au contenu du contrat qui porte directement sur les éléments du bilan de la cible.
Dans le cas d’un share deal, il pourra à l’inverse être soutenu que les informations juridiques, financières, fiscales ou
commerciales relatives à la cible ne sont qu’indirectement
liées au contenu du contrat qui ne porte que sur la cession
du capital et non des actifs de la cible.
Les interrogations que l’on peut nourrir sur le caractère nécessaire de l’information au regard du contenu du contrat
Revue Lamy Droit des Affaires
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laissent tout de même ouverte la porte à une argumentation contraire. Ainsi les informations portant sur l’activité
et l’organisation de cible peuvent-elles être considérées
comme d’importance déterminante et soumises à divulgation volontaire par le vendeur en ce qu’elles sont nécessaires à la définition de l’objet du contrat (l’acquisition
des titres) ou du moins à son intérêt économique (la valorisation des titres et le niveau de garantie) pour les parties.
Afin de tempérer le risque d’appréhension de la notion
d’importance déterminante de manière trop large, l’article 1112-1 nouveau du code civil impose que la partie
qui se prévaut de ce texte, l’acquéreur dans notre cas,
rapporte la preuve que l’information lui était due au regard de ce texte. Cela revient à adopter une conception
in concreto de l’information d’importance déterminante.
Ainsi, bien que l’information non divulguée soit directement et nécessairement liée au contenu du contrat de
cession de titres, l’acquéreur devra encore, pour se prévaloir des dispositions de l’article 1112-1 nouveau du code
civil, rapporter la preuve (i) qu’il ignorait légitimement
cette information et (ii) que l’importance de cette information était telle qu’elle déterminait son consentement
à l’acquisition des titres. Autant de preuve difficile à rapporter à moins que l’acquéreur ne prenne la précaution
de pré-constituer cette preuve en contractualisant la
liste des informations qu’il souhaitera voir traiter par le
vendeur comme des informations d’importance déterminante.
Il pourra donc être envisagé, à côté des conventions relatives à la définition de fair disclosure, de dresser la liste
de ces informations d’importance déterminante. Si l’acquéreur devrait avoir tendance à allonger la liste, au-delà
même de ce qui est directement et nécessairement lié au
contenu du contrat ou à la qualité des parties, le vendeur,
à l’inverse devrait tendre à limiter cette liste.
L’article 1112-1 nouveau pose toutefois une limite en précisant que les parties ne peuvent contractuellement ni limiter, ni exclure le devoir de divulgation des informations
d’importance déterminante.
Quelques règles de prudence de la part du vendeur devront donc être observées afin de ne pas priver cette pratique de toute portée.
Tout d’abord, la liste contractualisée, pour être valable, ne
pourra pas éliminer des informations directement liées au
contenu du contrat ou à la qualité des parties qui doivent
en toute hypothèse être considérées comme d’importance déterminante.
En outre, il conviendra de ne pas trop réduire la liste de
telle sorte qu’elle ne puisse pas être considérée comme
relevant contractuellement le vendeur de son devoir de
divulgation de l’information d’importance significative.
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Le point d’équilibre sera autant plus difficile à trouver que
l’appréciation du caractère d’importance significative de
l’information semble devoir se faire au cas par cas.
Néanmoins, cette discussion recoupera celle de la négociation des déclarations et garanties et de la définition de
fair disclosure à laquelle les opérateurs du marché sont
habitués mais à laquelle ils devront à l’avenir apporter une
attention accrue.
III. – L’offre d’acquisition : les
articles 1114 à 1116 du code civil
L’article 1114 : les éléments de l’offre
Article 1114. « L’offre, faite à personne déterminée ou
indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat
envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas
d’acceptation. À défaut, il y a seulement invitation à entrer en
négociation. »
Le régime juridique de l’offre de contrat est fixé par l’Ordonnance aux articles 1114 à 1116 nouveaux du code civil.
Ils précisent en substance que pour être valable, l’offre
doit satisfaire un certain nombre de conditions : stipuler expressément la volonté de contracter et exposer les
termes essentiels de cette volonté. À défaut de stipuler
ces éléments, et plus particulièrement lorsque les éléments essentiels des termes de l’offre sont trop généraux
et mal définis, on ne saurait parler d’offre.
On serait alors dans ce cas en présence d’une offre indicative ou une demande d’entrer en négociation. L’offre de
contrat, d’acquisition au cas présent, entendue au sens du
code civil s’identifie donc à ce qui est usuellement désigné dans les opérations de fusions-acquisitions comme
une offre ferme ou binding offer, quand bien même cette
offre ferme serait conditionnelle, dès que les conditions
de l’offre sont précises et limitativement énoncées.
L’article 1116, alinéa 1 : durée de l’offre
Article 1116, al. 1. « Elle ne peut être rétractée avant
l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue
d’un délai raisonnable. »
L’article 1116, alinéa 1, nouveau du code civil précise que
l’offre doit subsister pendant une durée raisonnable sans
que pendant cette période l’offrant ne puisse la rétracter.
À cet égard, on peut noter que l’article 1115 nouveau du
code civil mentionne que l’offre peut être rétractée tant
qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire. Ce texte
consacre la théorie dite de la réception qui veut qu’un
acte juridique, une correspondance ne prenne de valeur
juridique qu’à compter de sa réception par le destinataire
de l’acte ou de la correspondance. Quand les offres sont
transmises à des intermédiaires agissant comme conseil
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Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Dossier
des vendeurs, ces offres peuvent-elles être valablement
retirées tant qu’elles n’ont pas été transmises aux vendeurs ? La question peut paraître théorique, mais si
une difficulté se présentait à ce titre, il conviendrait de
vérifier si l’intermédiaire agit comme mandataire des
vendeurs pour la réception des offres, ce qui est généralement le cas.
L’article 1116, alinéa 1, nouveau du code civil ne précise
pas à partir de quelle durée, un délai devient raisonnable.
Par conséquent, l’idée parfois soutenue selon laquelle,
mieux vaudrait ne pas stipuler de durée à l’offre de manière à pouvoir la retirer valablement à tout moment, paraît hasardeuse. Il convient de préciser la durée de l’offre
et vraisemblablement de fixer cette durée au regard des
capacités et moyens d’analyse dont disposent le destinataire pour en analyser les termes.
L’article 1116, alinéa 2 et alinéa 3 : retrait de
l’offre et indemnisation
Article 1116, al. 2. et al. 3. « La rétractation de l’offre en
violation de cette interdiction empêche la conclusion du
contrat.
Elle engage la responsabilité extracontractuelle de son
auteur dans les conditions du droit commun sans l’obliger à
compenser la perte des avantages attendus du contrat. »
À l’instar des dispositions de l’article 1112 nouveau du
code civil relatif à la responsabilité d’une partie fautive
dans la conduite des négociations, l’indemnisation du
préjudice résultant de l’inexécution d’une offre ne peut
pas couvrir la perte de chance de retirer les bénéfices du
contrat finalement non conclu. Ce point nous paraît critiquable, compte tenu du fait qu’au stade de la réception
d’une offre ferme, la partie lésée aura pu légitimement
faire une anticipation des bénéfices attendus du contrat,
voire poser quelques jalons dans l’organisation de la cible
dans la perspective de la conclusion du contrat.
L’indemnisation sera donc limitée, en droit commun, principalement aux coûts engagés pour la conduite des né-
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
gociations et l’éventuelle discussion des termes de l’offre.
Rien n’interdit évidemment aux parties en négociation de
prévoir une indemnisation contractuelle allant au-delà de
la couverture offerte par le droit commun. Dans ce cas,
il ne s’agira donc plus d’une responsabilité extracontractuelle comme le précise l’article 1116, alinéa 3, nouveau
du code civil, mais d’une responsabilité contractuelle issue du cadre contractuel régissant la phase précontractuelle des négociations.
Par ailleurs, certains ont pu critiquer la différence de
traitement entre la promesse unilatérale, dont le défaut
d’exécution peut se résoudre en exécution forcée (articles 1221 et 1222 nouveaux du code civil), et le retrait
d’une offre qui ne peut se résoudre qu’en dommages et
intérêts. Mais ces deux circonstances sont différentes
dans leur nature : la promesse est un contrat, l’offre n’en
est pas un, du moins tant qu’elle n’a pas été valablement
acceptée.
L’article 1118 nouveau du code civil régit l’acceptation de
l’offre en précisant que si l’acceptation n’est pas conforme
aux termes de l’offre, cette acceptation est dépourvue
d’effet, sauf à constituer une contre-offre. Par ailleurs,
l’article 1121 nouveau du code civil dispose que le contrat
est conclu dès que l’acceptation parvient à l’auteur de
l’offre.
Si le retrait de l’offre visé à l’article 1116, alinéa 3, nouveau
du code civil intervient postérieurement à l’acceptation,
la responsabilité de l’auteur de l’offre est celle d’un cocontractant, et sa responsabilité ne devrait donc plus être
extracontractuelle mais contractuelle. Cela devrait ainsi
permettre de couvrir l’indemnisation de la perte d’une
chance ainsi que le prévoit l’article 1231-2 nouveau du
code civil qui fait référence à la privation du gain du créancier (à l’instar de l’article 1149 ancien du code civil), voire
l’exécution forcée du contrat ainsi formé. Bien que l’article 1116, alinéa 3, ne le vise pas expressément, le retrait
visé par ce texte semble donc bien concerner le retrait de
l’offre avant son acceptation valable. „
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RLDA 6002
Réforme du droit des contrats
et opérations M&A (2e partie) :
du signing au closing
La réforme du droit des contrats introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du
10 février 2016, sans révolutionner la négociation et l’exécution des opérations de
fusions-acquisitions, a le mérite de leur donner un socle juridique plus sécurisé,
par la consécration de certaines pratiques, mais aussi par quelques nouveautés.
Comme souvent, cette réforme s’accompagne de son lot d’interrogations.
I. – Au signing : des contrats
de cession conclus dans la
violence ?
dommages et intérêts. Deux conditions cumulatives devront cependant être réunies :
Aux termes des nouveaux articles 1130(1)
et 1131(2) du code civil, le dol, l’erreur ou la
violence constituent des vices du consentement entraînant la nullité relative du
contrat.
• d’autre part l’abus, par l’autre cocontractant, de cet état de dépendance.
Il convient donc de caractériser un avantage manifestement excessif obtenu par
l’auteur de la violence.
Au rang des nouveautés de la réforme du
droit des contrats, le nouvel article 1143 du
code civil innove en assimilant à la violence
l’abus par une partie de l’état de dépendance dans lequel se trouve l’autre partie.
La Cour de cassation avait déjà admis
la violence économique comme vice du
consentement(3). Or ce nouveau texte, tout
en donnant une assise légale à cette jurisprudence, élargit son champ d’application
à toutes les situations de dépendance.
Pour autant, cet élargissement ne devrait
pas avoir un impact significatif sur les opérations d’acquisition. La violence économique devrait rester le cas le plus courant,
la contrainte physique ou psychologique
paraissant des cas d’école.
Counsel
Pinsent Masons
philippe.malikian@
pinsentmasons.com
• d’une part, la caractérisation de l’état de
dépendance d’un cocontractant ; et
Article 1143. « Il y a également violence
lorsqu’une partie, abusant de l’état de
dépendance dans lequel se trouve son
cocontractant, obtient de lui un engagement
qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une
telle contrainte et en tire un avantage
manifestement excessif. »
Par l’introduction de ces dispositions, la
violence n’est plus seulement un vice du
consentement, elle devient un manquement civil pouvant entraîner l’allocation de
(1) C. civ., art. 1130 nouveau : « L’erreur, le dol et la
violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de
telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait
pas contracté ou aurait contracté à des conditions
substantiellement différentes.
Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard
aux personnes et aux circonstances dans lesquelles
le consentement a été donné ».
(2) C. civ., art. 1131 nouveau : « Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du
contrat ».
44
Par Philippe
MALIKIAN
Et Catherine
MANDON
Avocat à la Cour
Il convient cependant de ne pas confondre
inégalité de moyens et dépendance. En effet, il est tentant de chercher la caractérisation d’une situation de violence économique dans toute opération d’acquisition
(3) Cass. 1re civ., 30 mai 2000, n° 98-15.242, Bull.
civ. IV, n° 169 : depuis cet arrêt, la Cour de cassation admet le principe de la violence économique en tant que vice du consentement. Selon
la jurisprudence, la réunion de deux conditions
est nécessaire, afin que la violence économique
puisse être caractérisée : la partie qui s’estime
victime doit rapporter l’existence d’une situation
de contrainte économique et celle d’un abus de
cette situation par le contractant dominant pour
en retirer un avantage excessif.
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Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Dossier
impliquant un cédant personne physique ou une PME
face à un acquéreur coté ou une multinationale. Or, l’état
de dépendance s’inscrit dans un contexte et suppose
l’existence d’un lien (contractuel ou non) entre les deux
parties. Par exemple, en dehors de tout lien contractuel,
ces mêmes parties (cédant faible et acquéreur fort) pourraient se trouver dans cet état de dépendance du faible
vis-à-vis du fort, si le cédant se trouve dans un contexte
l’obligeant à céder ses titres rapidement (pour régler un
impôt ou faire face à des dépenses inattendues pour une
personne physique, ou éviter une situation d’insolvabilité pour une PME). Lorsqu’il existe des relations commerciales préexistantes entre deux opérateurs (par exemple,
un distributeur se faisant racheter par son principal fournisseur), l’état de dépendance pourrait être facilement
caractérisé sur la base de simples données économiques.
L’état de dépendance est une condition nécessaire à la
qualification de la violence, mais n’est pas une condition
suffisante. Heureusement, le texte prévoit qu’il faudra en
plus démontrer l’abus de cet état de dépendance, c’està-dire un comportement actif de l’auteur présumé de la
violence. L’article 1143 nouveau du code civil détermine
les critères de l’abus. En effet, la partie dépendante devra
démontrer (i) qu’elle n’a contracté que parce que son cocontractant a usé d’une contrainte en abusant de l’état de
dépendance et (ii) que celui-ci en a tiré un avantage manifestement excessif. Le contrôle de la proportionnalité se
fera par les juges.
Dans les opérations d’acquisition, les parties s’engagent
dans des négociations afin de déterminer un juste équilibre entre le prix de cession des actions et la répartition
des risques révélés soit par le cédant, soit à l’issue des opérations de due diligence menées par l’acquéreur. Ainsi, ces
risques sont traités classiquement dans le prix lui-même,
par le biais d’une garantie spécifique ou par le biais d’une
garantie d’actif et de passif. La mesure de la proportionnalité dans ces opérations ne sera pas une charge facile pour
le juge qui devra se montrer prudent dans l’appréciation
de l’abus de l’état de dépendance.
On pourrait imaginer que les parties à un contrat de cession pourraient faire une déclaration par laquelle elles
confirment ne faire l’objet d’aucune dépendance économique l’une envers l’autre et que le contrat reflète leur
entier accord qu’elles estiment équilibré. Cependant, il
est fort probable qu’un juge diligent ne se contente pas
de cette déclaration pour écarter la violence. Pour autant,
une telle déclaration aurait le mérite de rendre la démonstration de la contrainte plus difficile.
C’est donc une définition imprécise de la violence que
nous apporte cette réforme, faisant porter un risque supplémentaire sur les opérations d’acquisition et qui sera
peut-être précisée par les juges. Au vu de la jurisprudence
et de sa double condition, la violence consacrée ne devrait cependant pas révolutionner la pratique de ces opérations.
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
II. – Entre le signing et le closing :
des MAC clauses plus ou moins
efficaces ?
Article 1195. « Si un changement de circonstances
imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution
excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas
accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander
une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle
continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties
peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux
conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun
accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut
d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande
d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux
conditions qu’il fixe. »
Cet article se trouve dans le chapitre IV « les effets du
contrat », section 1 « les effets du contrat entre les parties », sous-section 1 « force obligatoire » du code civil
modifié.
Un principe constant dans la vie des affaires, depuis le célèbre arrêt de la Cour de cassation en date du 6 mars 1876
« Canal de Craponne »(4), était que les parties ne pouvaient
invoquer l’imprévision pour échapper à leurs obligations
contractuelles. Désormais, c’est le contraire qui est consacré dans le code civil.
La première conséquence, à défaut de convention
contraire, est de soumettre toutes les opérations d’acquisition conclues sous réserve de la réalisation de certaines
conditions suspensives à une « MAC clause »» (material
adverse change clause) ou clause d’imprévision.
Ces MAC clauses, développées par la pratique, visent à
permettre à l’acquéreur de se prémunir contre tout événement imprévisible qui interviendrait entre le signing et
le closing et qui entraînerait un tel effet sur le prix qu’il
deviendrait particulièrement difficile pour l’acquéreur
d’exécuter le contrat. Si un tel événement imprévisible intervient, l’acquéreur peut se libérer du contrat de cession
dans les conditions prévues au contrat.
Le nouvel article 1195 du code civil généralise la possibilité pour le juge de réviser le contrat, que les parties aient
prévu ou non une clause de révision, en cas de survenance
d’un événement imprévisible. Un nouveau champ de liberté est donc offert à la plume des praticiens qui voudront être particulièrement vigilants dans la rédaction des
clauses d’imprévision, afin de dépendre le moins possible
de l’appréciation du juge.
Quelles tendances verrons-nous émerger ?
(4) Cass. civ., 6 mars 1876, D. 1876, I, 193, note Giboulot.
Revue Lamy Droit des Affaires
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Côté cédant. Face à l’imprécision du texte (l’article 1195
nouveau du code civil vise « un changement de circonstances imprévisible » qui rend « l’exécution excessivement
onéreuse pour une partie » et cette partie n’« avait pas accepté d’en assumer le risque » sans les définir clairement),
les conseils voudront être particulièrement détaillés dans
la rédaction de la MAC clause.
Nous avons pu voir les dérives du recours à un tiers sur
le terrain de la détermination du prix dans le cadre de la
jurisprudence sur l’article 1843-4 ancien du code civil(5). Il
est, par conséquent, conseillé que les parties excluent expressément le recours au juge visé à l’article 1195 nouveau
du code civil, ce qui semble possible au regard du caractère supplétif de ce texte.
Tout d’abord, ils pourront chercher à prévoir précisément
les biens sur lesquels l’événement imprévisible peut jouer
(par exemple, dans le cadre de la cession du capital d’une
société dont le bien indispensable à l’exercice de son activité est une unité de production : la destruction de l’outil
spécifique de production) ou encore la liste des contrats
considérés comme importants pour le potentiel acquéreur (par exemple, les contrats avec les dix principaux
clients et fournisseurs).
En somme, mieux vaut une bonne résolution prévue
contractuellement qu’une renégociation menée par le
juge et dont l’issue peut échapper aux parties.
Par ailleurs, ils devront chercher à quantifier l’effet que la
survenance de l’événement imprévisible devra avoir sur le
prix global des actions (par exemple, une influence de plus
de dix pour cent sur le prix) toujours afin d’objectiver au
maximum l’exécution excessivement onéreuse.
En outre, les cédants pourront chercher à faire expressément accepter les risques par l’acquéreur, comme le permet l’article 1195 nouveau du code civil, afin de réduire au
maximum les possibilités de révision du contrat de cession en cas d’imprévision.
Côté acquéreur. Les conseils tenteront de conserver la
rédaction la plus large possible de la notion d’événement
imprévisible et ne pas définir de montant.
Que ce soit du côté du cédant ou du côté de l’acquéreur,
les conséquences de l’événement imprévisible devront
être expressément limitées à la résolution pure et simple
du contrat et ainsi écarter les mécanismes de sortie juridique du blocage prévus à l’article 1195 nouveau du code
civil qui permettraient au juge de réviser le contrat sans
pour autant y mettre fin. Sans cette précaution rédactionnelle, les parties pourraient se retrouver face à un transfert de propriété des actions à un prix qu’elles n’auraient
pas librement négocié entre elles.
En effet, à défaut de stipulation contractuelle précise
définissant les risques acceptés par chacune des parties
entre le signing et le closing, les parties devront tenter de
renégocier le contrat (plus vraisemblablement le prix) et,
en cas d’échec des négociations, une partie sera en droit
de saisir un tribunal afin qu’il décide d’adapter le contrat à
la nouvelle situation résultant de la survenance de l’événement. Ce recours potentiel au juge nous paraît risqué.
Quels éléments seront concernés ? Vraisemblablement le
prix, mais sur la base de quels critères ? De surcroît, s’il
est demandé au juge de résoudre le contrat, la question
pourra se poser de l’indemnisation éventuelle de la partie
ayant réalisé des investissements importants dans l’opération envisagée.
46
À titre subsidiaire, l’impact de ce nouvel article 1195 du
code civil sur les garanties de passif et d’actif nous semble
limité.
L’imprévision étant un événement surgissant entre le
signing et le closing, l’acceptation des risques ne nous
semble pas pouvoir ressortir des déclarations du cédant
au signing, qui portent sur le passé, ni aux déclarations
du cédant réitérées au closing, car cette réitération suppose que le closing ait eu lieu, sans application d’une MAC
clause donc.
Tout au plus, les garanties de passif pourraient avoir un
rôle à jouer sur la mise en œuvre de cas d’imprévision
lorsqu’elles contiennent des garanties spécifiques sur des
risques déterminés et que ces risques sont acceptés par
l’une ou l’autre des parties.
III. – Entre le signing et le closing : de
nouveaux remèdes à l’inexécution
du contrat ?
La réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016(6) a choisi une approche globale
et ordonnée de l’inexécution des contrats en regroupant
les différents remèdes à celle-ci. Cette nouvelle approche
est cependant essentiellement une codification de la jurisprudence existante en la matière. Ainsi, face à l’inexécution d’un contrat, le créancier d’obligations dans un
contrat de cession ne pourra plus simplement demander
en théorie le paiement de dommages et intérêts, mais
aura en principe le choix entre l’exécution en nature, la
réduction de prix ou la résiliation unilatérale.
(5) Not., Cass. com., 4 déc. 2007, n° 06-13.912, Bull. civ. IV, n° 258 ; infirmé par Cass. com., 11 mars 2014, n° 11-26.915, Bull. civ. IV, n° 48,
dit « Crocus Technology ».
(6) Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016.
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Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Dossier
important, tandis que l’intérêt pour l’acquéreur d’acquérir ne sera pas toujours aisé à démontrer.
L’exécution en nature
Article 1221. « Le créancier d’une obligation peut, après
mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si
cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion
manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour
le créancier. »
Par cet article, le code civil nouveau consacre l’exécution
en nature des contrats synallagmatiques plutôt que de
résoudre l’inexécution en l’allocation de dommages et
intérêts. Le principe de la force obligatoire des contrats
est ainsi réaffirmé et le refus d’accorder au débiteur de
l’obligation le choix entre l’exécution du contrat ou une
rétractation possible par le paiement des dommages intérêts est consacré.
Quel impact cette nouveauté a-t-elle sur les opérations
de fusions-acquisitions ?
Dans les contrats de cession d’actions à exécution instantanée, la pratique veut que le cédant ait au moins reçu
un ordre de virement irrévocable du prix de cession avant
de remettre l’ordre de mouvement permettant d’inscrire
la vente sur les registres de la société cible. Les risques
d’inexécution de la cession sont ainsi limités.
Dans les contrats de cession sous conditions suspensives,
il est possible que le cédant refuse de remettre l’ordre de
mouvement ou que l’acquéreur refuse de payer le prix des
actions alors que les conditions suspensives sont levées,
ou du moins sont levées selon l’avis d’une des parties mais
par l’autre. Dans ce cas, les parties étaient déjà fondées à
solliciter du juge la cession forcée des actions(7).
Seuls deux cas échappent désormais à cette exécution en
nature des contrats : (i) en cas d’impossibilité d’exécuter
ou (ii) lorsque le coût pour le débiteur et l’intérêt pour
le créancier sont manifestement disproportionnés. La
première exception paraît naturelle, voire inévitable, et la
seconde laisse au juge l’appréciation du caractère disproportionné.
L’utilisation de cette seconde exception sera-t-elle généralisée dans les contrats de cession d’actions par la partie
défaillante ? Elle nécessitera une analyse au cas par cas,
mais il est possible que :
• lorsque la partie défaillante est l’acquéreur, le coût représenté par le prix d’acquisition sera souvent important, tandis que l’intérêt pour le cédant de céder ne
sera pas toujours aisé à démontrer (par exemple, lors
d’opérations de LBO secondaires, sauf à ce que l’intérêt
financier du fonds cédant soit admis) ;
• lorsque la partie défaillante est le cédant, le coût représenté par la privation de sa participation pourra être
(7) Cass. com., 10 juin 1976, n° 74-14.595, Bull. civ. IV n° 190 ; CA Paris,
3e ch., sect. A., 1er déc. 1992, n° 91-00.9033.
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
L’intérêt de la portée générale du nouvel article 1221 du
code civil se retrouve plutôt du côté des pactes d’actionnaires dont il permet de verrouiller l’exécution. Dans le
cadre des pactes stipulant des promesses unilatérales de
cession de titres et des clauses de sortie conjointe ou
de sortie forcée, la sanction de principe pour l’inexécution de ces clauses devient le transfert des titres en faveur du cessionnaire.
Ainsi, le refus d’exécution ne se traduirait plus nécessairement par l’octroi de dommages et intérêts payés par le
débiteur de l’engagement de céder ou d’acquérir.
La réduction du prix
Article 1223. « Le créancier peut, après mise en demeure,
accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter
une réduction proportionnelle du prix. S’il n’a pas encore
payé, le créancier notifie sa décision de réduire le prix dans les
meilleurs délais. »
Cette disposition offre au créancier dans tout contrat (et
non plus seulement dans certains contrats spécifiquement(8)) la possibilité d’accepter une exécution partielle
du contrat en sollicitant une réduction du prix de façon
unilatérale, sans passer par le juge.
Auparavant, si le débiteur d’une obligation exécutait cette
obligation partiellement, le créancier pouvait demander
des dommages et intérêts par voie judiciaire, qui s’analysaient alors en une réduction du prix. Désormais, la partie
ayant subi une exécution imparfaite du contrat peut décider de manière unilatérale d’en réduire le prix, proportionnellement à l’inexécution. On peut déjà imaginer les
contentieux relatifs à la réduction de prix « à due proportion » dans les contrats qui n’attribuent pas un prix, directement ou par une formule, aux obligations stipulées.
En effet, sauf le cas clair d’une inexécution consistant
dans le défaut de livraison d’une quantité spécifique de
produits pour un prix déterminé, il est possible d’imaginer
que la réduction du prix pour inexécution dans un contrat
de cession (par exemple, pour violation d’un engagement
de non-concurrence stipulé dans un contrat de cession ou
d’un engagement visant à renégocier un contrat (de bail,
commercial, etc.) à l’issue de la réalisation de la cession)
entraînera inévitablement un recours au juge.
Cet article qui généralise un principe à l’ensemble des
contrats semble plus adapté aux contrats à exécution
successive qu’aux contrats de cession d’actions. Cette
(8) Par exemple, en matière de vente, l’action estimatoire sanctionnant
un vice caché (C. civ., art. 1644, nouveau) ou en droit de la consommation, la garantie légale de conformité (C. consom., art. L. 217-4
à L. 217-14 nouveaux).
Revue Lamy Droit des Affaires
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nouvelle disposition ne devrait donc pas avoir d’impact
significatif sur les cessions d’actions.
La résolution
Article 1224. « La résolution résulte soit de l’application
d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution
suffisamment grave, d’une notification du créancier au
débiteur ou d’une décision de justice. »
L’article 1224 nouveau du code civil consacre la résolution
unilatérale du créancier, à ses risques et périls, par voie de
notification, en cas de manquement suffisamment grave
de son cocontractant ou d’une décision de justice. Cette
solution représente une alternative intéressante à l’exécution forcée lorsqu’il n’est pas souhaitable de maintenir le
lien contractuel. Ce mécanisme n’est cependant pas nouveau, puisqu’il existait déjà d’autres domaines comme par
exemple dans le droit spécial de la vente aux articles 1610,
1654 et 1657(9) nouveaux du code civil et était admis par
la jurisprudence depuis le bien connu arrêt « Tocqueville »
rendu par la Cour de cassation le 13 octobre 1998(10).
La nouveauté vient, d’une part, de ce que la clause résolutoire n’est plus une exception mais le principe alors
qu’actuellement la résolution d’un contrat implique l’intervention d’un juge et, d’autre part, de ce que le législateur introduit la possibilité d’une résolution unilatérale.
Dans les contrats de cession d’actions, les rédacteurs
d’actes devront être particulièrement vigilants à la rédaction de la clause de résolution et préciser de manière détaillée les engagements qui entraîneront la résolution de
la vente. Ces clauses sont d’ores et déjà pratiquées dans
les contrats de cession, par exemple pour sanctionner la
non-réalisation d’un engagement pris postérieurement à
la réalisation de la cession. Il faut néanmoins être particulièrement attentif à la stipulation de telles clauses dans
ce type de contrat, car le retour des titres au cédant peut
avoir des conséquences importantes sur l’activité et l’emploi de la société cible.
Comme avec l’article 1223 nouveau du code civil, par cet
article 1224 nouveau, le législateur, en voulant éviter le
recours systématique au juge n’a probablement fait que le
repousser. Ces articles nouveaux viennent fragiliser la position de l’acquéreur dans les contrats d’acquisition. Il ne
reste qu’à espérer que les tribunaux fassent une application raisonnable de ces textes ne remettant pas en cause
l’équilibre économique des opérations. „
(9) C. civ., art. 1610 : « Si le vendeur manque à faire la délivrance dans le
temps convenu entre les parties, l’acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente, ou sa mise en possession, si le retard
ne vient que du fait du vendeur ».
C. civ., art. 1654 : « Si l’acheteur ne paye pas le prix, le vendeur peut
demander la résolution de la vente ».
C. civ., art. 1657 : « En matière de vente de denrées et effets mobiliers,
la résolution de la vente aura lieu de plein droit et sans sommation, au
profit du vendeur, après l’expiration du terme convenu pour le retirement ».
(10) Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, n° 96-21.485, Bull. civ. IV, n° 300.
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Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Dossier
RLDA 6003
Quelle incidence l’ordonnance
du 10 février 2016 va-t-elle avoir
sur les contrats portant sur des
droits de propriété industrielle ?
La valorisation des droits de propriété industrielle implique la contractualisation
des rapports entre le titulaire du droit et les tiers. Le régime de la vente régi par le
code civil s’applique notamment aux contrats de cession et le régime du louage
d’ouvrages aux contrats de licence. S’il est vrai que la majorité des principes
consacrés dans l’ordonnance du 10 février 2016 existaient déjà en jurisprudence,
leur codification est de nature à influencer la pratique des juristes sur certains
aspects relatifs aux contrats portant sur des droits de propriété industrielle.
La réforme(1) codifie certaines bonnes pratiques au stade des négociations en consacrant la bonne foi et le devoir d’information
précontractuel, en protégeant l’échange
d’informations confidentielles, et, lors de
la formation du contrat, en consacrant le
principe de violence économique. S’agissant des contrats à exécution successive
tels que les contrats de licence ou contrats
de collaboration ou de recherche, il est important de relever les apports de la réforme
quant à la clause résolutoire, la révision
pour imprévision et la cession de contrats.
Néanmoins, ce devoir d’information ne
porte pas sur l’estimation de la valeur de la
prestation.
Associé
Pinsent Masons
emmanuel.gouge@
pinsentmasons.com
Et Virginia
DE FREITAS
Avocat à la Cour
Ont une importance déterminante les
informations qui ont un lien direct et
nécessaire avec le contenu du contrat ou la
qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu’une
information lui était due de prouver que
l’autre partie la lui devait, à charge pour cette
autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.
I. – Consécration de
la bonne foi et du
devoir d’information
précontractuelle lors des
négociations
Les parties ne peuvent limiter, ni exclure ce
devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en
était tenu, le manquement à ce devoir
d’information peut entraîner l’annulation
du contrat dans les conditions prévues aux
articles 1130 et suivants. »
Article 1112. « L’initiative, le déroulement et
la rupture des négociations précontractuelles
sont libres. Ils doivent impérativement
satisfaire aux exigences de la bonne foi.
En cas de faute commise dans les
négociations, la réparation du préjudice
qui en résulte ne peut avoir pour objet de
compenser la perte des avantages attendus
du contrat non conclu ».
(1) Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme
du droit des contrats, du régime général et de la
preuve des obligations.
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Article 1112-1. « Celle des parties qui
connaît une information dont l’importance
est déterminante pour le consentement
de l’autre doit l’en informer dès lors que,
légitimement, cette dernière ignore
cette information ou fait confiance à son
cocontractant.
Par Emmanuel
GOUGÉ
Le nouvel article 1112 du code civil portant
sur la liberté de contracter et la rupture fautive des pourparlers, constitue une transposition de la jurisprudence développée au
visa des articles 1134 et 1382 anciens du
code civil. Ce texte prévoit, en effet, que
les négociations, qui doivent se dérouler
de bonne foi, sont libres, ce qui implique
qu’une partie puisse librement entrer en
pourparlers, les poursuivre mais également
y mettre un terme.
Revue Lamy Droit des Affaires
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La liberté de ne pas contracter et de mettre fin aux
pourparlers ne sera fautive qu’en cas d’abus dans l’exercice de cette liberté. Le texte précise que toute rupture
fautive des pourparlers ne donnera pas lieu à une indemnisation de nature à compenser la perte des avantages
attendus du contrat non conclu. Tel était déjà la position
adoptée par la Cour de cassation qui refuse d’indemniser la simple perte de chance de conclure le contrat(2). En
conséquence, seul un préjudice direct et certain est donc
susceptible d’être indemnisé.
Ainsi, la pratique ne devrait pas être modifiée par cette
codification de l’encadrement jurisprudentiel déjà existant autour de la liberté de conclure ou non un contrat,
si ce n’est qu’une vigilance toute particulière devra être
observée concernant les conditions de la rupture des
pourparlers, en évitant tout comportement contraire aux
exigences de bonne foi.
Dans la lignée de l’obligation de bonne foi, l’article 1112-1
du code civil issu de la réforme prévoit l’obligation pour
toute partie, lors des négociations, de communiquer à
l’autre partie toute information déterminante pour le
consentement de cette dernière, sans pouvoir limiter ou
exclure cette obligation.
La question se pose alors de déterminer quelles informations doivent être communiquées. Le texte prévoit qu’une
information est déterminante lorsqu’elle a un lien direct
et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des
parties, tout en excluant expressément les informations
portant sur la valeur de la prestation. Cette précision est
la bienvenue, car elle évitera ainsi une éventuelle remise
en cause de la jurisprudence Baldus désormais établie(3).
Se pose toutefois toujours la question du type d’informations qui devraient être communiquées. Sans doute
pourrait être considérée comme dolosive ou comme négligence constitutive de faute l’omission d’informations
telles que l’appartenance du licencié ou cessionnaire à un
groupe concurrent du titulaire du titre, la faiblesse du titre
en raison de droits de tiers antérieurs, l’existence d’une
contestation sur le titre(4), etc.
En pratique, les parties devront faire preuve d’une bonne
foi renforcée et, dès lors que l’information apparaît déterminante pour le consentement de l’autre partie, devancer
les attentes du cocontractant. La charge de la preuve est
également précisée dans le nouveau texte : « Il incombe à
celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre
(2) Cass. com., 26 nov. 2003, n° 00-10.243, Bull. civ. IV, n° 186, JCP G
2004, I, n° 163, n° 18, obs. G. Viney.
(3) Cass. 1re civ., 3 mai 2000, n° 98-11.381, Bull. civ. I, no 131, Contrats,
conc., consom. 2000, comm. 140, note L. Leveneur ; Cass. 3e civ.,
17 janv. 2007, n° 06-10.442, Bull. civ. III, n° 5, D. 2007, p. 1051, note
D. Mazeaud, JCP N 2007, n° 1168, note Ch. Jamin.
(4) TGI Paris, 22 mai 2015, n° 13/06265.
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partie de prouver qu’elle l’a fournie ». Afin de se munir de
preuves concernant les informations communiquées ou
considérées comme déterminantes, il est à craindre que
les parties multiplient les listes d’informations précontractuelles divulguées et celles considérées comme déterminantes, qui seront par la suite annexées au contrat,
alourdissant ce faisant les négociations.
Tout manquement à ce devoir d’information entraînera
l’engagement de la responsabilité de la partie fautive, et
sa condamnation à des dommages et intérêts ainsi que,
possiblement, la nullité du contrat dans les conditions
prévues aux articles relatifs à la nullité des contrats pour
vice de consentement(5).
II. – L’utilisation ou la divulgation
d’informations confidentielles
Article 1112-2. « Celui qui utilise ou divulgue sans
autorisation une information confidentielle obtenue à
l’occasion des négociations engage sa responsabilité dans les
conditions du droit commun »
En matière de propriété industrielle, le respect de la confidentialité des informations confidentielles échangées
lors des négociations est particulièrement important
afin d’éviter tout risque d’usurpation de sa technologie,
en ce compris son brevet ou son savoir-faire, puisqu’il est
fréquent de conclure des contrats de licence, de collaboration ou de recherche avec des concurrents d’un même
domaine d’activité.
L’ordonnance érige un principe de confidentialité. Ce principe n’est néanmoins pas nouveau en pratique puisque
la jurisprudence considère depuis longtemps déjà que
la reprise du savoir-faire divulgué lors des pourparlers
caractérise une captation fautive et est constitutive de
concurrence déloyale(6). De plus, les pourparlers donnent
fréquemment lieu à des accords de confidentialité aux
termes desquels la partie réceptrice s’engage à ne pas utiliser ou divulguer les informations confidentielles divulguées par l’autre partie pour les besoins de la négociation.
Cependant, si cet article entraîne les mêmes conséquences
qu’un accord de confidentialité, à savoir la non-utilisation
des informations confidentielles par la partie réceptrice –
même sans divulgation à des tiers – et la non-divulgation
à des tiers d’une information identifiée comme confidentielle, la nature de la responsabilité diffère désormais. Lors
d’un accord de confidentialité, si une partie ne respecte
pas les termes de ce dernier, son cocontractant pourra
engager sa responsabilité contractuelle. En revanche, le
(5) C. civ., art 1130 et s. nouveau
(6) Cass. com., 3 oct. 1978, n° 77-10.915, Bull. civ. IV, n° 208, D. 1980,
jur., p. 55, note J. Schmidt-Szalewski.
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Dossier
manquement à cette obligation fixée à l’article 1112-2 du
code civil issu de la réforme conduira à une responsabilité
extracontractuelle.
Ainsi, en pratique, un devoir de confidentialité sur les informations considérées comme sensibles et communiquées durant la négociation pèse désormais sur la partie
réceptrice de cette information, quand bien même aucun
accord de confidentialité n’aurait été signé. De plus, des informations n’ayant pas été désignées comme étant particulièrement sensibles par une des parties, pourraient-elles
être considérées comme telles par le juge ? L’application
jurisprudentielle de cette nouvelle disposition donnera
des réponses concrètes quant à ce qui peut, ou non, être
considéré comme étant couvert par la confidentialité. Ce
nouveau texte cherche à responsabiliser de plus en plus
les parties qui entrent en négociations. La difficulté de
l’application de ces outils reste toutefois la même : prouver le caractère confidentiel de cette information au moment de sa divulgation. Il est en effet souvent difficile de
caractériser la faute(7). Il est donc conseillé de continuer à
établir des accords de confidentialité permettant d’identifier clairement la nature confidentielle de l’information
lors de sa divulgation, même si, bien entendu, la partie
réceptrice pourra contester cette nature en démontrant
par exemple son appartenance au domaine public.
La consécration de ce principe s’inscrit d’ailleurs dans
la démarche de protection des technologies internes à
l’entreprise souhaitée par l’Union européenne à travers
l’adoption de la Directive sur la protection des secrets
d’affaires(8).
Un licencié peut subir une violence économique en cas
de contrat de licence portant sur un brevet nécessaire à
l’exploitation d’une technologie relevant de l’activité du
licencié, dans le cadre duquel le donneur de licence impose ses termes financiers. L’article 1143 du code civil issu
de la réforme permettra de protéger le licencié dans une
telle situation en lui ouvrant droit à un recours en nullité
du contrat conclu sous contrainte. Toutefois, le bénéfice
de cette disposition pourrait s’avérer limité, dès lors que
la partie faible devra démontrer un abus de sa dépendance
économique et le bénéfice d’un avantage manifestement
excessif au profit du titulaire du droit.
Un parallèle peut être fait entre cette tendance à protéger les parties en état de dépendance économique et
l’obligation pour les titulaires de brevets essentiels à la
mise en œuvre de normes de conclure des licences dans
des conditions FRAND (fair, reasonable and non discriminatory). En effet, lorsque le titulaire d’un brevet essentiel
a donné son accord pour la conclusion de telles licences,
il doit négocier avec le potentiel licencié, partie faible au
contrat, sans abuser de l’état de dépendance économique
de ce dernier, mais au contraire en concédant une licence
dans des conditions objectives et raisonnables pour tous
les potentiels licenciés.
IV. – La clause résolutoire
III. – La violence économique
Article 1143. « Il y a également violence lorsqu’une partie,
abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son
cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait
pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un
avantage manifestement excessif. »
Si la jurisprudence a pu reconnaître la contrainte économique comme étant rattachée à la violence dans certains
cas(9), aucune disposition du code civil ne faisait explicitement référence à « l’abus d’état de dépendance ».
Avec la réforme, indépendamment de l’article L. 420-2 du
code de commerce, la formation du contrat devra se faire
dans le respect des positions économiques de chaque
partie. Cette disposition pose alors la question de son ar-
(7) TGI Paris, 30 mai 2014, n° 12/07606.
(8) Dir. PE et Cons. UE 2016/943, 15 juin 2016, sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets
d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites.
(9) Cass. 1re civ., 30 mai 2000, n° 98-15.242, Bull. civ. I, n° 169, D. 2000,
jur., p. 879, note J.-P. Chazal.
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
ticulation avec les contrats d’adhésion qui, par essence
même, prévoient qu’une partie imposera unilatéralement
les termes d’un contrat à une autre partie, généralement
en position d’infériorité.
Article 1224. « La résolution résulte soit de l’application
d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution
suffisamment grave, d’une notification du créancier au
débiteur ou d’une décision de justice. »
Article 1225. « La clause résolutoire précise les engagements
dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat.
La résolution est subordonnée à une mise en demeure
infructueuse, s’il n’a pas été convenu que celle-ci résulterait
du seul fait de l’inexécution. La mise en demeure ne
produit effet que si elle mentionne expressément la clause
résolutoire. »
La résolution du contrat est organisée autour des trois
modes déjà existants que sont la clause résolutoire, la résolution unilatérale et la résolution judiciaire. Elle est présentée désormais comme un remède à une inexécution
contractuelle.
La clause résolutoire est automatique dès lors que les conditions contractuelles sont réunies et elle n’est pas soumise à
une condition de gravité comme le sont la résolution judiciaire et la résolution unilatérale. En pratique, cela permet
à une partie de se défaire de ses engagements facilement.
Revue Lamy Droit des Affaires
51
La nouveauté de l’article 1225 du code civil issu de la réforme
tient au fait que les parties devront désigner en amont les
engagements dont la violation pourra donner lieu à résolution. Cet article sera probablement lu ensemble avec les
articles 1112-1 sur la non-communication d’informations
déterminantes(10) et 1112-2 sur l’atteinte à des informations
confidentielles communiquées lors des négociations pour
donner lieu à une résolution automatique.
La résolution a fait l’objet d’une nouvelle définition au sein
de l’article 1229 du code civil. Alors qu’auparavant elle désignait la disparition rétroactive du contrat, ses effets varient désormais. En effet, la résolution pourra maintenant
prendre effet selon les cas, soit à la date prévue par les parties au contrat, soit à la date de réception par le débiteur
de la notification faite par le créancier, ou encore à la date
fixée par le juge ou enfin à la date de l’assignation en justice.
Les effets de la rétroactivité de la résolution, en particulier les restitutions, ont elles aussi été modifiées par l’article 1229. Il est en effet prévu que « lorsque les prestations
échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution
pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant
pas reçu sa contrepartie, dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation ». Un tel raisonnement est connu en
propriété industrielle et avait été consacré par la Cour de
cassation qui, de manière prétorienne, a jugé qu’en cas
de nullité ou de résolution d’un contrat de licence d’un
droit de propriété industrielle, par exemple pour cause
de nullité dudit droit, les redevances perçues ne sont pas
restituables malgré le caractère rétroactif de la nullité ou
de la résolution(11). Cette solution s’explique par le fait que
la jouissance paisible du titre ne disparaît pas rétroactivement et doit ainsi être compensée par le maintien des
redevances antérieures.
V. – La révision pour imprévision
Article 1195. « Si un changement de circonstances
imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution
excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas
accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une
renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à
exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties
peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux
conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun
accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut
d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande
d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux
conditions qu’il fixe. »
(10) Bien que la sanction soit l’annulation du contrat en application de
l’article 1112-1 du code civil issu de la réforme.
(11) Cass. com., 28 janv. 2003, n° 00-12.149, Bull. civ. IV, n° 11.
52
Le nouvel article 1195 du code civil constitue une des mesures phares de la réforme en ce qu’il vient consacrer le
droit, pour les parties, de renégocier le contrat, voire de le
résoudre en cas de bouleversement des conditions financières. De telles clauses sont utilisées de manière régulière
en Common law sous le nom de clause de hardship.
La question de la révision du contrat pourra se poser dans
les contrats de licence qui sont des contrats à exécution
successive pour lesquels le montant de la redevance peut
être forfaitaire ou faire référence à un chiffre d’affaires. Or,
la marge sur la fabrication et commercialisation d’un produit mettant en œuvre un brevet sous licence peut fortement diminuer en raison d’une augmentation conséquente
du prix des matières premières rendant onéreux le coût de
la licence. En pratique, il est déjà fréquent d’anticiper de tels
bouleversements en rédigeant des clauses d’imprévision.
Cet article ne fait donc que consacrer une pratique déjà
établie et donne aux parties une possibilité légale de sortir
d’un contrat devenu difficilement exécutable.
L’apport nouveau de cet article réside, en revanche, dans
la possibilité qui est désormais offerte au juge de réviser ou bien de mettre fin à un contrat, dès lors qu’il lui
semble qu’un « changement de circonstances imprévisible
lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie ». Auparavant, la jurisprudence se risquait tout au plus à admettre la caducité d’un
contrat pour de telles raisons uniquement en se fondant
sur le terrain de la disparition de la cause(12). La Cour de cassation était toutefois généralement réticente à constater
la caducité d’un contrat au seul motif que la disparition de
la cause résiderait dans une modification importante des
circonstances économiques du contrat(13).
Les parties peuvent donc désormais saisir le juge pour que
celui-ci adapte le contrat à leur place. Une telle saisine
du juge doit provenir d’une volonté commune des parties.
À défaut d’accord « dans un délai raisonnable », une des
parties peut saisir le juge, afin que celui-ci révise le contrat
ou bien le résolve. Le législateur a ainsi tenu à donner à
l’imprévision un rôle préventif. En effet, les parties souhaitant éviter une révision du contrat ou un anéantissement
de celui-ci par le juge seront incitées à négocier entre
elles. Dans tous les cas, de par sa rédaction, l’article 1195
du code civil est d’application supplétive. Ainsi, les parties
pourront, au moment de la rédaction du contrat, prévoir
de se soustraire à l’application de l’article 1195 précité et
d’assumer le risque de ces changements imprévisibles.
(12) Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-67.369, D. 2010, p. 2481, note
D. Mazeaud.
(13) Cass. com., 18 mars 2014, n° 12-29.453, JCP G 2014, 1116, note
J. Ghestin.
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Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Dossier
VI. – La cession de contrat
Article 1216. « Un contractant, le cédant, peut céder sa
qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec
l’accord de son cocontractant, le cédé.
Cet accord peut être donné par avance, notamment dans le
contrat conclu entre les futurs cédant et cédé, auquel cas
la cession produit effet à l’égard du cédé lorsque le contrat
conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié ou
lorsqu’il en prend acte.
La cession doit être constatée par écrit, à peine de nullité. »
Article 1216-1. « Si le cédé y a expressément consenti, la
cession de contrat libère le cédant pour l’avenir. À défaut,
et sauf clause contraire, le cédant est tenu solidairement à
l’exécution du contrat. »
Les rédacteurs ont précisé, au sujet de la cession de
contrat, qu’elle « n’est pas une simple adjonction d’une
cession de dette et d’une cession de créance mais a pour
objet de permettre le remplacement d’une des parties au
contrat par un tiers »(14).
La cession de contrat n’était jusqu’alors pas codifiée dans
le code civil en tant que principe général mais faisait l’objet de quelques dispositions spécifiques pour certains
contrats spéciaux.
Elle sera située dans le livre III, titre III intitulé « des
sources des obligations » dans un sous-titre I, chapitre IV
« les effets du contrat ». Elle a volontairement été séparée
de la cession de dettes et de la cession de créances qui
sont considérées comme des modifications du rapport
d’obligations. Si l’emplacement et la logique choisis pour
les intitulés restent discutables, les dispositions sur la cession du contrat sont assez claires.
Désormais, que le contrat soit ou non intuitu personae, il
ne peut être cédé qu’avec l’accord du débiteur cédé. Par
ailleurs, cet accord s’opère en deux temps puisqu’il suppose un accord sur le principe même de la cession dans le
cadre du contrat entre le cédant et le cédé ou au jour de la
cession envisagée, et un accord sur les effets libératoires
de celle-ci. Aussi, l’un pourrait fonctionner sans l’autre.
Actuellement, le caractère intuitu personae des contrats
portant sur des droits de propriété industrielle rend leur
cession peu fréquente et suppose systématiquement
d’obtenir l’accord du débiteur cédé.
La nouvelle codification n’aura dès lors pas de conséquence pratique importante en matière de propriété
industrielle. Néanmoins, elle supposera de porter une
attention particulière à la rédaction des clauses de cession afin de préciser si les effets seront libératoires pour
le cédant. „
(14) Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance
n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des
contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Revue Lamy Droit des Affaires
53
RLDA 6004
Les contrats technologiques
à l’épreuve du nouveau code civil
Formidable levier de croissance, les nouvelles technologies catalysent bien souvent
la modification des normes juridiques. L’économie numérique et les innovations
constantes conduisent nécessairement les législateurs à considérer la potentielle
obsolescence des règles en vigueur, leur décalage avec la pratique. À de nombreuses
reprises, la jurisprudence a pu prendre un pas d’avance et adapter le droit commun
à la pratique commerciale ou même aux technologies. Ainsi, plusieurs nouvelles
dispositions de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 sont inspirées d’arrêts
de la Cour de cassation rendus dans le contexte des contrats technologiques. Parmi
l’ensemble des thèmes portés par cette réforme, les cinq suivants ont été choisis
pour l’importance qu’ils présentent pour le domaine technologique.
I. – L’information
précontractuelle :
l’article 1112-1 du code civil
Article 1112-1. « Celle des parties qui
connaît une information dont l’importance
est déterminante pour le consentement
de l’autre doit l’en informer dès lors que,
légitimement, cette dernière ignore
cette information ou fait confiance à son
cocontractant. (... )
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce
devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en
était tenu, le manquement à ce devoir
d’information peut entraîner l’annulation
du contrat dans les conditions prévues aux
articles 1130 et suivants. »
Corollaire de l’obligation de négocier de
bonne foi, autre principe consacré par
l’ordonnance à l’article 1112 du code civil,
l’obligation d’information avait déjà été retenue par la jurisprudence, rendant la partie techniquement compétente débitrice
d’une obligation d’information précontractuelle(1) pouvant être sanctionnée sur le
terrain des vices du consentement et de la
réticence dolosive(2).
(1) Cass. 1re civ., 13 oct. 1993, n° 91-16.344, Bull. civ. I,
n° 287, JCP G 1993, IV, p. 323.
(2) Cass. 3e civ., 15 janv. 1971, n° 69-12.180, Bull. civ. III,
n° 38, RTD civ. 1971, p. 839, obs. Y. Loussouarn.
54
Cependant, dans le cadre des contrats
technologiques, la jurisprudence reconnaît
bien volontiers une mue de cette obligation d’information en devoir de conseil
et de mise en garde du client, obligation
à dimension variable dont l’étendue est
proportionnelle à la complexité du projet.
En vertu de cette obligation de conseil, le
prestataire technique doit plus qu’informer
mais bien guider le client, afin de l’aider à
déterminer la solution la plus appropriée
à ses besoins, allant parfois même jusqu’à
s’interroger sur l’opportunité du contrat(3).
Cette obligation se retrouvait particulièrement renforcée dans le cas de contrats
clefs en main, de contrats d’intégration
ou de réalisation de logiciels spécifiques.
Elle était toutefois limitée aux situations
d’ignorance légitime du client, qui se traduisaient souvent par l’absence chez ce
client de personnes disposant de connaissances techniques suffisantes, générales
dans le domaine ou spécifiques au projet(4).
Par Annabelle
Fany Lalanne
RICHARD
Rédactrice en chef
Associée
Pinsent Masons
annabelle.richard@
pinsentmasons.com
Et Florent
LALLEMANT
Avocat à la Cour
Cristallisant cette position prétorienne,
l’ordonnance consacre le principe selon lequel celui des co-contractants qui
« connaît une information dont l’importance
est déterminante pour le consentement de
l’autre » se doit de fournir cette information. L’obligation d’information est cepen-
(3) Cass. 1re civ., 3 avr. 2002, n° 00-12.508.
(4) Cass. com., 6 mai 2003, n° 00-11.530 ; Cass. com.,
4 juin 2013, n° 12-13.002, Expertises 2013,
p. 310-312, note J. Heslaut (AIF c/ IBM).
Revue Lamy Droit des Affaires
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Dossier
dant conditionnée soit à l’ignorance légitime par l’autre
partie de cette information, soit au fait que cette dernière
fasse confiance au co-contractant.
Il convient de se demander si la référence à la confiance ne
vient pas vider de sa substance la condition de l’ignorance
légitime. En effet, le principe même des relations contractuelles réside dans la confiance accordée au cocontractant, matérialisée par la signature du contrat. Ainsi, cette
condition alternative risque d’ouvrir la possibilité pour les
parties de pouvoir systématiquement se prévaloir de l’article 1112-1 en faisant échec à la condition d’ignorance
légitime. Dès lors qu’un contrat repose toujours sur une
telle confiance, le client, qui par ses connaissances ou sa
compétence ne peut ignorer légitimement l’information,
pourrait néanmoins soulever un manquement à cette obligation, sous couvert de la confiance qu’il avait placée dans
le prestataire.
Dans les relations « B2B » dans le domaine des technologies, cet ajout crée en conséquence un risque de renforcement de l’obligation de conseil du prestataire technique,
qui devrait donc systématiquement faire abstraction des
connaissances du client professionnel et le traiter comme
un client profane. Dans un premier temps, dans l’attente
de l’appréciation de la notion de confiance par les tribunaux, il conviendra donc pour les prestataires techniques
d’appliquer la plus grande prudence lors de la phase de
négociation et de faire une présentation la plus exhaustive
possible de l’adéquation de l’offre technologique aux besoins exprimés par le client, aux besoins raisonnablement
anticipés, de l’adéquation à l’éventuel cadre réglementaire spécifique, etc.
Une autre des nouveautés de cet article tient au caractère d’ordre public qui lui est conféré, matérialisé par l’impossibilité catégorique d’écarter ou de limiter ce devoir
contractuellement. La conséquence directe sera l’impossibilité pour les prestataires de se reposer sur des clauses
dans lesquelles le client atteste avoir été parfaitement informé et conseillé par le prestataire sur la solution la plus
appropriée à ses besoins et avoir pu effectuer son choix
en parfaite connaissance de cause. Ces clauses à l’efficacité d’ores et déjà incertaine mais néanmoins largement
répandues dans les relations « B2B » devraient dorénavant se voir priver d’effet : quoique stipule le contrat, si
l’information n’a pas été fournie, le client pourra toujours
invoquer une violation de cet article.
Toujours conformément à la jurisprudence, le nouvel article 1112-1 du code civil dispose que le non-respect de
cette obligation d’information est sanctionné, outre par la
responsabilité du débiteur de l’obligation, par la nullité du
contrat au titre du dol (nouvel article 1137 du code civil) si
la dissimulation de l’information est intentionnelle, pour
tromper.
Cette codification du devoir d’information du prestataire
ne révolutionnera donc pas fondamentalement les négo-
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
ciations et les contrats liés aux technologies. Le respect
du nouvel l’article 1112-1 du code civil ne nécessitera pas
d’aménagements aux contrats, mais imposera, en revanche, aux parties une gestion très poussée de l’information du co-contractant pendant la phase précontractuelle. Le débiteur de l’obligation d’information devra par
ailleurs s’assurer qu’une trace des informations communiquées est conservée à des fins probatoires.
II. – Violence économique : l’article 1143
du code civil
Article 1143. « Il y a également violence lorsqu’une partie,
abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son
cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait
pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un
avantage manifestement excessif. »
Bien que non mentionnée dans le code civil, la jurisprudence avait déjà reconnu l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique comme constituant
une violence viciant le consentement de la victime(5). L’ordonnance pousse ce principe encore plus loin, en ne limitant pas cette nouvelle forme de violence à l’abus de dépendance économique, mais en visant plus généralement
l’abus de toute situation de dépendance.
Et quel terreau plus fertile que le milieu des nouvelles
technologies pour l’application de l’abus de dépendance ?
L’informatique et les technologies s’étant immiscées au
plus profond de la vie personnelle et professionnelle, les
juges français seront donc rapidement amenés à aborder
la question de la dépendance technologique en tant que
vice du consentement.
Bien que les contours de cette notion soient encore à définir, notamment la caractérisation de l’abus et la quantification de l’avantage manifestement excessif (formulation
qui n’est pas sans rappeler l’article L. 442-6, I, 1° et 2° du
code de commerce sur les avantages disproportionnés et
le déséquilibre significatif), il est possible d’anticiper des
situations dans lesquelles un co-contractant serait amené à réclamer la nullité pour violence par abus de dépendance technologique.
À l’évidence, on pense en premier lieu aux cas où une société dispose d’un outil technologique (logiciel, application, etc.) qui est installé depuis longtemps dans ses systèmes et tellement intégré à son activité que toute transition vers un nouvel outil serait particulièrement coûteuse,
chronophage et/ou hasardeuse.
(5) Cass. 1re civ., 30 mai 2000, n° 98-15.242, Bull. civ. I, n° 169, D. 2000,
jur., p. 879, note J.-P. Chazal, Dr. & patr. 2000, n° 86, p. 100,
obs. P. Chauvel ; Cass. 1re civ., 3 avr. 2002, n° 00-12.932, Bull. civ. I,
n° 108, RTD civ. 2002, p. 502, obs. J. Mestre et B. Fages.
Revue Lamy Droit des Affaires
55
L’abus de dépendance technologique pourrait aussi trouver à s’appliquer dans le cas d’une technologie qu’un acteur détient en monopole ou quasi-monopole en raison
de sa position dominante sur le marché.
On peut citer, par exemple, la situation de dépendance dans
laquelle sont actuellement les agences de voyage en ligne
par rapport aux Global Distribution Systems (GDS), sociétés
fournissant un système de réservation en temps réel faisant
le lien entre les agences de voyage et les fournisseurs de
prestations de tourisme. Le marché des GDS se réduisant
à trois acteurs principaux, ces derniers se trouvent en position d’abuser de la dépendance technologique des agences
de voyages en ligne et des autres acteurs du secteur.
Toutefois, l’opportunité d’une procédure judiciaire sur
le fondement de la violence resterait à prouver, puisque
la nullité partielle ou totale du contrat qui en résulterait
ne serait pas nécessairement la solution recherchée par
une victime d’abus de dépendance technologique. Notamment, dans le cadre des contrats d’adhésion, la protection concurrente du déséquilibre significatif réputant
non écrites les clauses causant le déséquilibre pourrait se
montrer plus attractive (nouvel article 1171 du code civil).
À défaut, l’existence de ce risque de nullité pourrait être
utilisée comme levier par la partie technologiquement
dépendante dans le cadre de la négociation d’accords
commerciaux ou de leur renouvellement.
III. – Imprévision : l’article 1195 du code
civil
Article 1195. « Si un changement de circonstances
imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution
excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas
accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une
renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à
exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties
peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux
conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun
accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut
d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande
d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux
conditions qu’il fixe. »
Autre évolution majeure de la réforme, l’ordonnance prévoit la révision des contrats dans le cadre de la théorie
de l’imprévision. Cette théorie développée au cours du
XXe siècle par le Conseil d’État permet au juge d’interpréter le contrat en équité lorsque l’économie de celui-ci se
trouve bouleversée(6) par un élément extérieur aux parties(7).
(6) CE, 4 mai 1988, n° 61130, SA Laurent Bouillet Entreprise c/ CHRU de
Clermont-Ferrand, RDP 1988, p. 1432.
(7) CE, 30 mars 1916, n° 59928, Rec. CE 1916, p. 125
56
Les juridictions civiles ont à l’inverse refusé l’application
de ce principe, considéré comme une violation de la force
obligatoire des contrats selon l’article 1134 du code civil(8),
reconnaissant seulement une obligation de renégocier de
bonne foi lors de la survenance de telles circonstances imprévues impactant l’économie du contrat(9).
Le nouvel article 1195 du code civil confirme l’obligation de
renégociation, et y ajoute la possibilité à défaut d’accord
de solliciter la révision ou résolution judiciaire du contrat.
À ce titre, la théorie de l’imprévision retenue s’apparente
à une clause de hardship inhérente au contrat, restreinte
cependant à un champ plus limité que celui des clauses
de hardship traditionnelles telles que définies par les principes UNIDROIT. En effet, l’article 6.2.2 des principes UNIDROIT vise à la fois comme conséquence de l’imprévision
l’augmentation du coût d’exécution de l’obligation ou la
diminution de la valeur de la prestation, là où le nouvel
article 1195 sanctionne seulement l’exécution d’une obligation devenue excessivement onéreuse.
Il conviendra donc d’adopter la plus grande prudence
dans l’attente d’interprétations jurisprudentielles des circonstances qui seront qualifiées « d’imprévisibles » et du
caractère « excessivement onéreux » de l’exécution de
l’obligation. Ce manque de visibilité sur l’application du
mécanisme légal relatif à l’imprévision obligera les parties
à l’encadrer avec soin dans le contrat, afin de se prémunir
autant que possible contre l’imprévu.
Nul doute que le nouvel article 1195 du code civil aura un
impact considérable sur les contrats technologiques, par
exemple dans le cadre de services technologiques fournis
à des entreprises de secteurs réglementés, comme les
banques, pour permettre la mise en conformité réglementaire du client. En ce cas, une réforme en profondeur du
cadre réglementaire pourrait constituer une circonstance
imprévisible et pourrait nécessiter un investissement
considérable du prestataire pour permettre la conformité
avec la nouvelle réglementation, rendant l’exécution particulièrement onéreuse.
L’imprévision pourrait aussi trouver à s’appliquer dans les
contrats de maintenance et de TMA (Tierce maintenance
applicative), spécialement lorsque la maintenance s’effectue sur un site à l’étranger, lorsque des raisons imprévisibles causent une augmentation drastique du coût de
la maintenance. Par ailleurs, dans le cas de contrats au
forfait, le dépassement du forfait pourrait être considéré
comme prévisible puisqu’il s’agit d’un aléa nécessairement
considéré par les parties. Pour autant, le dépassement du
forfait pourrait avoir des causes imprévisibles, auquel cas
l’imprévision serait alors applicable.
(8) Cass. civ., 6 mars 1876, Canal de Craponne.
(9) Cass. com., 3 nov. 1992, n° 90-18.547, Bull. civ. IV, n° 338, RTD civ.
1993, p. 124, obs. J. Mestre.
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Dossier
Autant de raisons pour lesquelles les parties devraient
encadrer contractuellement l’imprévision. Tout d’abord,
les parties devraient définir les situations permettant de
mettre en œuvre le mécanisme de l’imprévision : est-ce que
sa mise en œuvre n’est possible que dans les situations où
l’exécution est devenue excessivement onéreuse, ou dans
d’autres situations comme la perte de valeur de la prestation ? Les parties pourraient aussi définir un niveau, seuil,
à partir duquel l’exécution est considérée comme trop onéreuse. Enfin, il peut être envisagé de pré-qualifier des circonstances que les parties considèrent comme prévisibles.
IV. – Recours en cas d’inexécution :
l’exécution forcée – articles 1221
et 1222 du code civil
Article 1221. « Le créancier d’une obligation peut, après
mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si
cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion
manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour
le créancier. »
Article 1222. « Après mise en demeure, le créancier peut
aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter
lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du
juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il
peut demander au débiteur le remboursement des sommes
engagées à cette fin.
œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur. La rare
doctrine sur le sujet évoque seulement la possibilité d’un
remplacement de la prestation, mais pas celle d’une exécution forcée(10). En l’absence de toute jurisprudence sur le
sujet, il conviendrait d’opter pour la prudence et de considérer que l’exécution forcée est susceptible de s’appliquer.
Par ailleurs, les prestations techniques ne font habituellement pas l’objet d’une impossibilité d’exécution en
nature. Ainsi, l’exécution forcée a déjà pu être ordonnée
pour des services de maintenance(11). L’exécution forcée est
donc susceptible de s’appliquer à la plupart des services
technologiques.
Mais la réelle nouveauté de l’ordonnance au sujet de l’exécution forcée tient surtout à l’article 1222 du code civil :
l’exécution de la prestation par le créancier aux dépens du
débiteur n’est plus soumise à une autorisation judiciaire
comme auparavant, sous l’ancien article 1144(12). Elle est
maintenant susceptible d’être réalisée sur simple mise en
demeure, si la prestation est réalisée dans un délai et à
un coût raisonnables. Dans ce cas, le créancier avance les
frais mais peut solliciter le remboursement par le débiteur.
En ce qui concerne l’exécution forcée en nature, la jurisprudence antérieure tranchait avec la lettre de l’ancien article 1142
du code civil en vertu duquel l’inexécution d’une obligation de
faire ou de ne pas faire se résout par des dommages et intérêts.
La réforme intègre au code civil cette évolution jurisprudentielle : l’exécution forcée en nature est une voie d’exécution
explicitement disponible à tout créancier d’obligations inexécutées, sur simple mise en demeure restée infructueuse.
L’ouverture d’une telle voie de justice privée sans contrôle
judiciaire préalable s’annonce particulièrement problématique dans le domaine technologique. On peut prendre
pour exemple l’obligation de maintenance d’un service de
cloud ou SaaS, dont bénéficient plusieurs clients différents
via un unique portail en ligne. Dans ce cadre, l’exécution
forcée aux dépens du débiteur de l’obligation soulèverait
plusieurs difficultés. Tout d’abord, cela pourrait conduire
le client à vouloir faire intervenir un tiers, potentiellement
concurrent du prestataire, dans les locaux du prestataire
et sur la propriété intellectuelle du prestataire (le logiciel
ou le site web). Ensuite, la réalisation d’une telle opération par un client sur une solution cloud ou SaaS risquerait
d’impacter la fourniture du service par le prestataire à ses
autres clients qui utilisent la même plateforme cloud ou
SaaS.
Le gouvernement a aussi fait le choix d’inclure la solution jurisprudentielle tenant à l’exclusion de l’exécution forcée lorsque
celle-ci est impossible, et ajoute par ailleurs une autre exclusion dans les cas où il existerait une disproportion manifeste
entre le coût de l’exécution pour le débiteur et son intérêt pour
le créancier.
Quant à savoir si les parties peuvent renoncer par anticipation à l’exécution forcée, la jurisprudence reconnaissait
que l’ancien article 1184 du code civil, offrant la possibilité
de poursuivre l’exécution forcée ou la résolution judiciaire,
n’était pas d’ordre public et que les parties pouvaient renoncer à la résolution judiciaire ou à l’exécution forcée(13).
Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance
les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette
destruction. »
Habituellement, l’impossibilité d’exécution en nature bénéficie d’un champ d’application très limité, et trouve à s’appliquer
principalement à des obligations qui sont marquées par un fort
intuitu personae, tels les contrats portant sur des commandes
d’œuvres de l’esprit.
Si l’exclusion de l’exécution forcée a déjà été appliquée à
des contrats de commande de peinture, la jurisprudence
et la doctrine sont peu loquaces sur le sujet de la commande de logiciel spécifique ou de site internet, pourtant
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(10) A. Lebois, Les obligations de faire à caractère personnel, JCP G 2008,
n° 47, doctr. 210 ; J. Viet, La fourniture de logiciels spécifiques relèvet-elle de l’obligation de faire?, Gaz. Pal. 1987, doctr. p. 7.
(11) CA Nancy, 30 nov. 2004, JCP G 2005, IV, n° 1951 ; CA Dijon, 4 févr.
1999, JCP G 1999, II, n° 10100.
(12) Cass. 3e civ., 11 janv. 2006, n° 04-20.142, Bull. civ. III, no 9,
JCP N 2006, n° 24, 1219, note V. Zalewski.
(13) Cass. 1re civ., 11 janv. 1967, DH 1932, p. 114, Cass. 3e civ., 3 nov. 2011,
n° 10-26.203, Bull. civ. III, n° 178, JCP N 2012, n° 10, 1120, p. 36,
Revue Lamy Droit des Affaires
57
Cette renonciation était considérée valable tant que la
clause de renonciation était rédigée de manière claire,
précise et non ambiguë(14). Étant donné que la réforme ne
prévoit pas non plus que les articles 1217, 1221 et 1222 du
code civil sont d’ordre public, il est possible d’envisager
que les parties puissent renoncer par anticipation à l’exécution forcée.
Ainsi, les parties devraient envisager dans les contrats la
possibilité de l’exécution forcée en nature, qu’elle soit
faite par le débiteur de l’obligation ou un tiers aux dépens
du débiteur. Si le créancier de l’obligation n’y renonce pas,
les parties devraient aussi déterminer pour quelles obligations l’exécution forcée est susceptible d’être sollicitée.
V. – Interdépendance de contrats :
l’article 1186 du code civil
Article 1186. « Un contrat valablement formé devient caduc
si l’un de ses éléments essentiels disparaît.
Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire
à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux
disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est
rendue impossible par cette disparition et ceux pour
lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition
déterminante du consentement d’une partie.
La caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre
lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération
d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. »
Autre transposition de la jurisprudence dans le code civil, le nouvel article 1186 s’attaque à la caducité dans les
groupes de contrats. Ayant éliminé la cause du code civil,
ancien fondement de cette caducité, la réforme consacre
ainsi aux groupes de contrats une disposition à part entière. À ce titre, l’ordonnance adopte une appréciation
objective de l’interdépendance des contrats, faisant écho
aux arrêts de la chambre mixte de la Cour de cassation sur
le sujet(15) : sont interdépendants les contrats conclus dans
le but de réaliser une même opération.
Dans le domaine des technologies, la question de l’interdépendance des contrats se pose fréquemment et les
juges se sont bien souvent prononcés en sa faveur. Tel a
été le cas d’un contrat de vente et installation de matériel informatique et d’un contrat de logiciel(16), d’un contrat
d’intégration et d’un contrat de licence(17), ou encore d’un
contrat de licence avec un contrat de maintenance, un
contrat de formation et un contrat d’intégration(18).
Ce nouvel article 1186 vise large, et sanctionne de caducité dans les groupes de contrats non seulement le contrat
dont l’exécution est rendue impossible par la disparition
d’un autre contrat, mais aussi ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante
du consentement d’une partie.
En conséquence, l’interdépendance n’est pas seulement
possible dans les groupes de contrats entre les mêmes
parties, mais bien aussi dans les groupes de contrats qui
ne sont pas tous conclus entre les mêmes co-contractants, conformément à la solution jurisprudentielle(19).
De plus, en dépit de l’existence d’une interdépendance entre
plusieurs contrats, la caducité n’est pas toujours opposable
même si la disparition de l’un rend impossible l’exécution
de l’autre. Celle-ci ne peut être soulevée par une partie que
si le contractant à qui on l’oppose avait connaissance de
l’opération globale lors de la conclusion du contrat. Cette
exception trouvera particulièrement à s’appliquer dans les
groupes de contractants hétérogènes, situation récurrente
dans le domaine technologique, notamment dans le cadre
de prestations d’intégration de logiciel.
L’application de la caducité aux groupes hétérogènes de
contractants soulève aussi la question du sort des contrats
de sous-traitance. Dans de nombreux cas, le sous-traitant
a connaissance de l’opération globale à laquelle il participe et pourrait se voir opposer la caducité du fait de la
disparition du contrat principal entre le donneur d’ordre
et le maître d’ouvrage. Cependant, si la disparition du
contrat principal est causée par une défaillance du maître
d’ouvrage, le sous-traitant subirait alors les conséquences
de la mauvaise exécution par le maître d’ouvrage. À ce
titre, s’il est incertain qu’une clause de divisibilité soit effective, les contrats de sous-traitance pourraient toujours
prévoir une clause pénale pour indemniser le sous-traitant
lorsque la caducité du contrat de sous-traitance est due à
l’inexécution par le maître d’ouvrage du contrat principal.
obs. S. Piedelièvre ; Cass. com., 7 mars 1984, n° 82-13.041, Bull.
civ. IV, n° 93, JCP G 1985, II, n° 20407, note crit. Ph. Delebecque.
(14) Cass. 3e civ., 3 nov. 2011, n° 10-26.203, Bull. civ. III, n° 178, RTD civ.
2012, p. 114, obs. B. Fages (pour une clause de renonciation à la résolution judiciaire).
(17) Cass. com., 26 mars 2013, n° 12-11.688.
(15) Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.768, Bull. civ. ch. mixte, n° 1,
RLDI 2013/94, obs. L. Costes.
(19) Cass. com., 4 avr. 1995, n° 93-20.029, Bull. civ. IV, n° 115, D. 1996,
jur., p. 141, note S. Piquet ; Cass. com., 26 mars 2013, n° 1211.688 ; Cass. com., 5 nov. 2013, n° 12-13.349, CCE 2013, n° 12,
comm. n° 125, obs. G. Loiseau.
(16) Cass. com., 8 janv. 1991, n° 89-15.439, Bull. civ. IV, n° 20, RJDA 1991,
n° 373.
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(18) Cass. com., 13 févr. 2007, n° 05-17407, JCP G 2007, Actualités, p. 95,
obs. M. Roussille.
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Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Dossier
Pour faire échec à l’interdépendance, les parties avaient
parfois recours à des clauses de divisibilité. Néanmoins,
la consécration d’une appréciation objective de la situation d’interdépendance par le juge mènerait logiquement
à l’impossibilité pour les parties d’exclure contractuellement l’interdépendance des contrats. La position de la jurisprudence antérieure allait aussi en ce sens, la chambre
mixte concluant en 2013 que sont réputées non écrites
les clauses inconciliables avec l’interdépendance des
contrats(20). Toutefois, bien que l’ordonnance prévoie explicitement que certaines dispositions sont d’ordre public
(notamment le nouvel article 1112-1 du code civil), elle
ne se positionne pas sur le sort de l’article 1186. On peut
donc s’interroger sur la validité de telles clauses de divisibilité sous l’empire de la loi nouvelle.
En conclusion, si l’indivisibilité d’un groupe de contrats est
problématique pour une partie, celle-ci peut toujours tenter de l’exclure par une clause de divisibilité. Cependant,
il est fort possible que la Cour de cassation reste sur sa
position antérieure et que ces clauses soient réputées non
écrites. Nonobstant la validité des clauses de divisibilité,
les parties peuvent toujours encadrer contractuellement
les conditions de la mise en œuvre de la caducité tels que
les délais, les justifications à fournir, et éventuellement
une clause pénale si la caducité est due au comportement
d’une des parties. „
(20) Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.768, Bull. civ. ch. mixte, n° 1.
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Revue Lamy Droit des Affaires
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RLDA 6005
Les contrats de construction :
ce qu’il faut retenir après la
réforme du droit des obligations
Le secteur de la construction, marqué par sa multiplicité d’intervenants et sa
portée extraterritoriale, est largement fondé sur le droit des obligations. Ainsi la
réforme du droit des contrats sera-t-elle susceptible d’influencer ce domaine, au
sein duquel les contrats de forme standard (tels que les contrats FIDIC) laissent
une place importante à la négociation entre les parties.
L’industrie de la construction est un secteur
d’activité important en France. Les caractéristiques particulières de cette industrie
la distinguent des autres, notamment par
le fait qu’elle nécessite la contribution
de nombreux intervenants tels que architectes, ingénieurs, fournisseurs de matériaux, travailleurs et entrepreneurs, qui, ensemble, font équipe face à un maître d’ouvrage pour construire les infrastructures de
la vie quotidienne. La complexité inhérente
aux relations dans ce secteur est accrue
par son internationalisation. Les contrats
sont donc le noyau de l’infrastructure et
de la construction en ce qu’ils forgent et
aménagent les relations entre les différents acteurs d’un projet. En ce sens, l’industrie de la construction est susceptible
d’être affectée par la réforme du droit des
contrats, du régime général et de la preuve
des obligations, opérée avec l’ordonnance
n° 2016-131 du 10 février 2016 en ce qui
concerne tous les projets de construction
en France, ou les contrats de construction
que les parties ont choisi de soumettre au
droit français.
Ces développements se sont accompagnés
d’initiatives d’institutions privées qui se
sont employées à établir des contrats standards de construction, tels que les contrats
rédigés par la Fédération Internationale des
Ingénieurs-Conseils (FIDIC). Les contrats
FIDIC sont des modèles de contrat qui font
référence dans le domaine de la construction des grands projets internationaux. Ils
définissent les droits et obligations qui lient
le maître de l’ouvrage et l’entreprise de
construction. Ces modèles de contrats sont
très complets mais sont néanmoins sou-
60
vent aménagés par les parties et peuvent
donc aussi simplement servir de base à un
contrat ad hoc. Le fait que le contrat qui
organise un projet soit un contrat FIDIC ne
retire en rien l’importance de stipuler un
droit qui gouverne la relation contractuelle.
Dès lors, un contrat FIDIC peut très bien
être soumis au droit français. En France, on
ne parle pas de modèle de contrat standard
mais de normes, avec les normes d’application volontaire AFNOR pour les marchés
privés. Lorsqu’un contrat fait volontairement référence aux normes AFNOR, il les
inclut en bloc et les accepte telles qu’elles
sont édictées par l’institution.
Par Peter
Fany Lalanne
ROSHER
Rédactrice en chef
Associé
Pinsent Masons
peter.rosher@
pinsentmasons.com
Et Erwan
ROBERT
Avocat à la Cour
Parmi les mesures qui auront le plus de répercussions dans le secteur du droit de la
construction figurent la codification de le
force majeure, l’imprévision, l’insertion de
la violence économique et la généralisation
de la réfaction du prix.
I. – Le devoir d’information :
l’article 1112-1 du code civil
Article 1112-1. « Celle des parties qui
connaît une information dont l’importance
est déterminante pour le consentement
de l’autre doit l’en informer dès lors que,
légitimement, cette dernière ignore
cette information ou fait confiance à son
cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d’information ne
porte pas sur l’estimation de la valeur de la
prestation. Ont une importance déterminante
les informations qui ont un lien direct et
nécessaire avec le contenu du contrat ou la
qualité des parties.
Revue Lamy Droit des Affaires
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Dossier
Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due
de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette
autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le
manquement à ce devoir d’information peut entraîner
l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux
articles 1130 et suivants. »
L’obligation d’information découle de l’obligation de bonne
foi. Elle a été développée par la jurisprudence et traduit
l’exigence de confiance et de loyauté durant la phase
précontractuelle. Elle se distingue donc de l’obligation de
conseil qui s’impose tout au long de l’exécution du contrat.
Elle participe en particulier au développement d’une notion
de « professionnel » et de la mise à la charge du professionnel d’un devoir d’information à l’égard du profane.
L’obligation d’information devient désormais un des principes directeurs du droit des contrats. Toutefois, la jurisprudence obligeait déjà, à travers la reconnaissance d’une
obligation précontractuelle d’information(1), les constructeurs, en tant que professionnels, à mettre en garde le
maître de l’ouvrage des difficultés ou risques susceptibles
d’être rencontrés dans l’exécution des travaux prévus au
contrat. Cette obligation ne se limite pas au seul champ
d’intervention des constructeurs. Du côté du maître de
l’ouvrage, ce dernier était obligé de mettre à la disposition
du constructeur professionnel toutes les informations essentielles qu’il avait en sa possession(2).
La consécration de ce principe dans le nouveau code civil
participe à la divulgation d’informations essentielles et
donc au renforcement de la protection du consentement
dans la conclusion des contrats. D’autant plus que ce devoir général d’information est d’ordre public.
Toutefois, en pratique, l’impact de cette disposition reste
très limité. D’une part, car il s’agit de l’organisation légale
de créations de la pratique et de la jurisprudence, sans
modification notable. Elle semble en effet se calquer sur
la jurisprudence qui déterminait l’existence d’un devoir
d’information selon l’accessibilité de l’information pour
les parties. D’autre part, parce qu’elle est similaire au devoir d’information des vices du consentement, tel que le
dol à l’actuel article 1116 du code civil. D’ailleurs, la définition et la portée de ce « nouveau » devoir d’information
correspondent à celles du dol. En effet, le dol a déjà été retenu dans le cas du silence d’une partie dissimulant à son
cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait amené à ne pas contracter(3) (cas de réticence dolosive). Par ailleurs, la sanction prévue renvoie directement
aux sanctions applicables en matière de vice du consente-
(1) Cass. com., 16 juill. 1982, n° 79-16.617, Bull. civ. IV, n° 276.
(2) Cass. 3e civ., 16 juill. 1987, n° 86-11.273.
(3) Cass. 3e civ., 6 juill. 2005, n° 01-03.590, Bull. civ. III, n° 152.
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
ment. Cette disposition n’ajoute rien non plus aux textes
spéciaux qui font peser une obligation d’information sur
les professionnels et n’a pas non plus de portée didactique, puisqu’aucune référence à ces textes, même au niveau des sanctions applicables, n’est faite.
Il est à noter ici aussi la généralisation de la bonne foi.
Le principe de bonne foi est actuellement inscrit à l’article 1134 du code civil qui prévoit que les contrats doivent
être exécutés de bonne foi. Néanmoins, la jurisprudence a
étendu l’application de ce principe, au-delà de l’exécution
même, à la phase précontractuelle. La jurisprudence s’est
surtout fondée sur le principe de bonne foi au stade des
négociations précontractuelles pour sanctionner une rupture abusive des négociations(4).
La réforme consacre donc dans cet article une solution retenue depuis longtemps par la jurisprudence. Ainsi, la bonne
foi s’est propagée à la période des pourparlers avec son
cortège d’obligations. À ce stade, elle se manifeste de deux
façons : le devoir de loyauté et le devoir de confidentialité.
Son importance est réitérée par le nouvel article 1104 qui
en fait une exigence d’ordre public. En revanche, son impact est limité puisque, on l’a vu, ceci est une consécration pure et simple de la jurisprudence en la matière.
II. – La violence économique :
l’article 1143 du code civil
Article 1143. « Il y a également violence lorsqu’une partie,
abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son
cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait
pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un
avantage manifestement excessif. »
La jurisprudence avait déjà admis qu’il pouvait y avoir violence viciant le consentement si le cocontractant exploitait
de manière abusive une situation de dépendance économique menaçant directement les intérêts de la victime. La
dépendance économique peut se définir comme étant l’impossibilité pour une partie contractante de disposer d’une solution alternative, techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec
une autre partie(5). La jurisprudence semble avoir caractérisé
l’abus par un avantage excessif recueilli par le cocontractant
qui a profité de l’état de dépendance de l’autre.
Alors que la substance est la même que celle de la jurisprudence existante, on peut admettre que l’expression « état
de dépendance » est suffisante. L’Association Française des
Juristes d’Entreprise (AFJE) avait d’ailleurs émis des réserves
(4) Cass. com., 26 nov. 2003, n° 00-10.243 et n° 00-10.949, JCP G
2004, I, n° 163, n° 18, obs. G. Viney (arrêt Manoukian).
(5) Cass. com., 12 févr. 2013, n° 12-13.603, Bull. civ. IV, n° 23, RJDA
2013, n° 365.
Revue Lamy Droit des Affaires
61
quant à l’utilisation de l’expression « état de nécessité », à
forte connotation pénale(6). C’est ce qu’a retenu l’ordonnance
n° 2016-131 du 10 février 2016. Par ailleurs, le projet ne prévoyait pas de référence à la notion « d’avantage excessif », ce
que fait la rédaction finale de l’article. On pourrait croire que
cela durcit l’application de l’article. Or, même si référence n’y
était pas faite explicitement, il est fort probable que la jurisprudence, qui a elle-même introduit le vice de consentement
de violence économique, aurait inclus la notion dans l’interprétation de l’abus exigé par l’article.
L’intérêt pour les contrats de construction : la jurisprudence
française a admis que la violence économique ne vaut pas
que pour l’individu mais peut aussi avantager un opérateur
commercial(7). Étant un contrat d’entreprise, il y a d’un côté
un maître de l’ouvrage, ressource financière, de l’autre, un
constructeur détenant les connaissances techniques nécessaires à la réalisation des travaux dans les conditions requises. Tous deux peuvent être soumis, ou soumettre leur
cocontractant, à de la violence économique.
III. – La théorie de l’imprévision :
l’article 1195 du code civil
Article 1195. « Si un changement de circonstances
imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution
excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas
accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une
renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à
exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties
peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux
conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun
accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut
d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande
d’une partie réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux
conditions qu’il fixe. »
L’imprévision est la théorie selon laquelle la survenance
d’un évènement imprévisible lors de la conclusion du
contrat, qui entraîne des difficultés pour une partie dans
l’exécution de ses obligations, ouvre le droit, premièrement à la renégociation des termes du contrat, et ensuite
à sa résiliation en cas d’échec de la renégociation.
Longtemps rejetée par les juridictions judiciaires(8) mais
consacrée par les juridictions administratives(9), l’introduction
(6) Note de l’AFJE après examen du projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des
obligations publié le 17 février 2015 (article 8 de la loi n° 2015-177
du 16 février 2015 relative à la modernisation du droit dans les domaines de la justice et des affaires intérieures), p. 6.
de la théorie de l’imprévision dans le code civil est sans doute
la plus intéressante au regard des contrats de construction.
L’AFJE avait émis beaucoup de réserves quant à l’introduction
de cet article et avait notamment demandé que ce dernier
ne soit pas considéré d’ordre public, les parties pouvant donc
y déroger par des clauses contractuelles spécifiquement prévues pour les changements de circonstances importants(10).
Comme l’implique la rédaction retenue, ce texte revêt un
caractère supplétif et les parties pourront convenir des circonstances qui bouleversent l’économie du contrat par le
biais d’une clause de hardship. L’apport de cet article est donc
que la théorie de l’imprévision pourra trouver à s’appliquer
même lorsque les parties négligentes auront omis d’inclure
dans leur contrat une clause de hardship.
Toutefois, l’impact de ce nouvel article sur les contrats de
construction doit être atténué. La théorie de l’imprévision est
loin d’être inconnue de l’industrie française de la construction, ses contrats, ou des juridictions judiciaires. Dans un premier temps, des décisions de juridictions civiles avaient fait
un pas vers la reconnaissance de l’imprévision, par le biais de
la bonne foi notamment, mais aussi par le fait que les parties
pouvaient déjà prévoir une clause sur l’imprévision dans leur
contrat. Mais les principes de la Chambre Commerciale Internationale, les principes UNIDROIT et les Principes Européens
des Contrats prévoyaient déjà qu’une partie qui fait état de circonstances imprévisibles rendant l’exécution du contrat plus
lourde pour elle, peut faire la demande d’une renégociation
des termes du contrat, et, lorsque les négociations échouent,
demander la résolution du contrat ou sa modification dans
des termes équitables(11). Ces principes, en particulier les principes UNIDROIT, ont été très bien reçus dans le secteur de la
construction par la manière dont ils distribuent le risque de
la transaction entre les parties aux opérations commerciales,
et ont gagné en importance, surtout dans des contrats à long
terme. De plus, son impact est d’autant plus réduit que l’article 1195 n’est pas d’ordre public. Les parties peuvent donc
introduire une clause qui exclut le jeu de la théorie de l’imprévision, ou encore qui aménage l’imprévision.
Toutefois, il est vrai que les parties n’ont peut-être pas le réflexe d’organiser l’imprévision dans leur contrat, auquel cas
l’article 1195, de caractère général, s’appliquera de manière
supplétive au contrat. Dans ce cadre, la disposition semble
être introduite surtout afin d’inciter les parties à la renégociation et, par-là, au maintien de leurs relations commerciales qui, dans le secteur de la construction, s’étendent
dans la durée. Dans ces contrats de construction, la résiliation n’est souvent pas opportune pour l’une ou l’autre
partie dans la perspective de l’achèvement du projet, au regard de la perte de temps et d’argent et de la réputation des
entrepreneurs dans le secteur. En revanche, l’article n’ex-
(7) Voir par exemple, Cass. 1re civ., 4 févr. 2015, n° 14-10.920.
62
(8) Cass. civ., 6 mars 1876, Canal de Craponne.
(10) Note AFJE, op. cit., p. 3.
(9) CE, 30 mars 1916, n° 59928, Compagnie générale d’éclairage de
Bordeaux, Rec. CE 1916, p. 125.
(11) Clause de force majeure ICC 2003 ; Article 6.2.3 des Principes UNIDROIT ; Article 6 :111 des Principes Européens des Contrats.
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plique pas ce qui constitue une circonstance imprévisible,
si ce n’est que la disposition circonscrit le changement de
circonstances au seul coût de la prestation, ce qui exclut le
cas où la contre prestation qu’un cocontractant reçoit perd
de la valeur en cours d’exécution. En tout état de cause,
les juridictions judiciaires devront donc surtout se tourner
vers la définition qu’en ont donnée les juridictions administratives. Si tel est le cas, il semblerait qu’une circonstance
imprévisible sera surtout retenue lorsqu’il s’agit d’une augmentation imprévisible et drastique du prix des matières
premières(12). Toutefois, il n’est pas certain que la fluctuation
des prix des marchés soit retenue comme une circonstance
imprévisible. C’est notamment la position des tribunaux arbitraux constitués sous l’égide de la CCI et qui estiment que
les parties se sont accordées pour porter à leur charge les
risques inhérents de leur marché respectif(13).
Les modèles de contrats FIDIC ne prévoient pas de
clause d’imprévision à proprement parler. En revanche, la
clause 13.8 des « Conditions générales des contrats FIDIC »
précise la possibilité d’inclure dans un contrat qui se base sur
le modèle FIDIC une clause d’ajustement des coûts lorsque
ces derniers s’avèrent être trop bas ou trop élevés, du fait
de la main d’œuvre, des marchandises et autres facteurs de
production relatifs aux travaux, par l’addition ou la déduction constatées par une formule prescrite dans la clause.
La clause permet donc de revoir le prix de la prestation mais
n’impose pas, contrairement au texte de la réforme, une
obligation de renégociation du contrat et la possibilité d’une
résiliation en cas d’échec de celle-ci. Qui plus est, les circonstances qui donnent droit à un ajustement des coûts ne
sont pas soumises à une condition d’imprévisibilité puisque
ces dernières sont expressément prévues au contrat et
semblent être plus larges que ce que permet actuellement
la jurisprudence française des juridictions administratives(14).
En outre, la clause s’applique à la hausse ainsi qu’à la baisse
des prix ; elle est donc stipulée à la faveur des deux parties
et non pas au seul bénéfice de l’entrepreneur. C’est en cela
qu’elle se rapproche également de la nouvelle disposition de
l’article 1223 du code civil concernant la généralisation de la
réfaction du prix, exposée ci-dessous. Nous verrons toutefois que la mise en œuvre de ces dispositions est très différente, l’ajustement des coûts des contrats FIDIC étant opéré
à travers une modification contractuelle.
(12) CE, 30 mars 1916, n° 59928, Compagnie Générale d’éclairage de
Bordeaux, précité ; Cass. com., 3 nov. 1992, n° 90-18.547 ; Cass.
com., 29 juin 2010, n° 09-67.369.
(13) ICC awards n° 8486 and n° 1996.
(14) La révision de contrats administratifs bouleversés par des circonstances imprévues a été admise en raison de la nécessité d’assurer la
continuité du service public (CE, 30 mars 1916, n° 59928, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, précité), et en cas de modification définitive de la situation (CE, 9 déc. 1932, n° 89655, Compagnie de Tramways de Cherbourg).
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
IV. – La réfaction du prix : l’article 1223
du code civil
Article 1223. « Le créancier peut, après mise en demeure,
accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une
réduction proportionnelle du prix.
S’il n’a pas encore payé, le créancier notifie sa décision de
réduire le prix dans les meilleurs délais. »
La réfaction du prix est un terme qui désigne une diminution, proportionnelle et unilatérale, du prix par le créancier de l’obligation principale, par rapport à ce qui a été
convenu au contrat en cas d’exécution imparfaite par le
débiteur de l’obligation. Actuellement absente du droit
commun des obligations, la réfaction du prix est un mécanisme connu du droit français des contrats spéciaux.
En introduisant cet article, le législateur propose de généraliser une sanction connue du droit civil : la réduction du
prix par le biais de l’action estimatoire, inspirée des projets d’harmonisation européens. En effet, si actuellement
le code civil ne prévoit pas de façon générale la possibilité
pour le créancier d’accepter une exécution non conforme
par le débiteur en contrepartie d’une réduction proportionnelle du prix, cette possibilité existe en droit positif à titre
spécial. L’action estimatoire est prévue à l’article 1644 du
code civil en matière de garantie des vices cachés et aux
articles 1617 et 1619 en matière immobilière. Le nouvel
article 1223 introduit un principe souvent rejeté par la jurisprudence, réticente à une intervention trop importante
du juge dans les relations contractuelles. Cette disposition
permettra au créancier d’une obligation émanant d’un
quelconque contrat et imparfaitement exécutée d’accepter
cette réduction, et, à la différence des textes spéciaux, sans
devoir saisir le juge en diminution du prix. Cette disposition
se distingue donc aussi de l’article 1231 du code civil qui
exige l’intervention du juge en cas d’exécution partielle du
contrat. Le créancier devra préalablement avoir mis en demeure le débiteur d’exécuter parfaitement son obligation,
il devra ensuite notifier à son débiteur, dans les meilleurs
délais, sa décision de réduire le prix, s’il n’a pas encore payé.
S’il a déjà payé le prix, il demandera le remboursement au
débiteur à hauteur de la réduction de prix opposée. Cette
réduction doit être proportionnelle à la gravité de l’inexécution. Il s’agit donc d’une sanction à mi-chemin entre l’exception d’inexécution et la résolution du contrat.
Puisque ce principe deviendra d’application générale, il n’y
a théoriquement aucune raison que les acteurs du secteur
de la construction ne puissent pas s’en prévaloir ou qu’ils
ne s’en prévalent pas. Dans ce cadre, il devra s’articuler
avec les dispositions légales et contractuelles qui ont pour
objet de déterminer la réception des travaux.
Revue Lamy Droit des Affaires
63
V. – La force majeure : l’article 1218
du code civil
Article 1218. « Il y a force majeure en matière contractuelle
lorsqu’un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui
ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion
du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des
mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation
par le débiteur.
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation
est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne
justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est
définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont
libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux
articles 1351 et 1351-1. »
La force majeure est la circonstance exceptionnelle, étrangère
à la personne de celui qui l’éprouve et irrésistible pour elle, qui
a pour résultat de l’empêcher d’exécuter les prestations qu’il
doit à son cocontractant. La survenance d’un évènement de
force majeure est une cause d’exonération de responsabilité
qui est devenue un principe général du droit français applicable
au domaine de la responsabilité contractuelle et délictuelle.
Bien connue du droit français des contrats, elle n’avait pour autant jamais été introduite en toutes lettres dans le code civil.
La réforme introduit donc la force majeure tout en excluant la
condition d’extériorité, pour la remplacer avec un évènement
qui « échappe au contrôle » du débiteur. La force majeure
étant une cause étrangère, elle doit être extérieure, suivant le
cas, soit à l’agent, soit à la chose dont il est le gardien, soit
aux personnes par l’intermédiaire desquelles il exécute son
obligation ou exerce la garde. Parce qu’il n’existe pas en jurisprudence d’appréciation homogène de l’extériorité de l’évènement, on estime aujourd’hui fréquemment que ce critère
n’est plus véritablement une condition de la force majeure.
L’article 1218 met donc fin à une incertitude jurisprudentielle.
64
majeure un évènement interne à l’agent mais extérieur à sa
volonté, elle permet également de comprendre pourquoi la
jurisprudence refuse parfois de considérer comme une force
majeure un évènement qui n’est pas extérieur à l’activité du
débiteur : lorsqu’il est directement lié à cette activité, l’évènement n’est pas étranger au débiteur(16).
L’évènement devra donc échapper à la sphère de contrôle
du débiteur, être imprévisible au moment de la conclusion
du contrat et irrésistible au moment de sa survenance. Il
en découle plus de certitude quant à ce qui pourra constituer un évènement de force majeure puisque l’extériorité
n’est plus mentionnée comme condition mais explicitée
par la nouvelle disposition. Il sera plus facile pour un entrepreneur de rapporter la preuve de l’existence d’un évènement de force majeure, même lorsqu’elle émane des
travaux en cours de construction, puisque c’est l’interprétation plus souple des juges qui a été retenue.
L’article opère également une distinction selon que l’empêchement d’exécuter a un caractère temporaire ou définitif.
Lorsqu’il est temporaire la force majeure permet de suspendre temporairement les obligations du débiteur, alors que
l’empêchement définitif commande la résolution du contrat.
Il conviendra à l’avenir de se tourner vers l’exigence selon
laquelle l’évènement doit échapper au contrôle du débiteur.
Il semblerait que c’est la définition moderne qui a prévalu
dans la rédaction du nouvel article. En effet, c’est celle qui
considère, par exemple, que la maladie constitue une cause
étrangère, quand bien même elle ne serait pas extérieure au
débiteur(15). La jurisprudence relative à la maladie du débiteur
confirme ainsi l’idée suivant laquelle l’extériorité n’est plus
aujourd’hui un critère pertinent en matière contractuelle
et qu’il importe plutôt de vérifier que l’évènement invoqué
n’est pas imputable au débiteur. Si l’exigence d’imputabilité de l’évènement explique que l’on puisse qualifier de force
En droit international, la possibilité d’invoquer la force
majeure comme cause d’exonération est définie par la
loi du contrat. Dans le secteur des grands projets d’infrastructure, les modèles de contrats FIDIC prévoient dans
une clause 19.1 des « Conditions de contrat FIDIC » que
la force majeure « désigne un évènement ou une circonstance exceptionnelle (a) qui échappe au contrôle d’une
des parties (b) que cette partie n’a pas pu raisonnablement
prévoir avant de conclure le Contrat (c) qui, étant survenue,
n’aurait raisonnablement pas pu être évitée ou surmontée
par cette partie (d) qui n’est pas substantiellement imputable à l’autre partie ». La suite de la clause prévoit une
liste non exhaustive d’évènements pouvant constituer
une force majeure. Il convient donc dans les contrats de
construction de prévoir de manière plus précise les évènements déclencheurs, afin qu’aucun domaine particulier au contrat en cause n’y échappe. C’est une solution à
mi-chemin entre le droit civil et le droit de Common law.
Si la force majeure n’a pas besoin d’être reprise dans une
clause pour être applicables aux relations contractuelles
en droit civil, ceci n’est pas le cas en Common law. Toutefois, la définition large qu’en font les contrats FIDIC la
rapproche du droit civil. „
(15) Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, n° 04-18.902, Bull. civ. ass. plén., n° 5
et n° 6, Bull. inf. C. cass. n° 643, rapp. B. Petit et avis R. de Gouttes,
D. 2006, p. 1933, obs. Ph. Brun.
(16) Cass. com., 30 mai 2012, n° 10-17.803.
Revue Lamy Droit des Affaires
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Dossier
RLDA 6006
Réforme du droit des contrats
et contrat de consortium :
un rendez-vous manqué ?
L’ordonnance du 10 février 2016, qui réforme le droit des contrats et des
obligations, ne fait aucune mention expresse au contrat de consortium. Pour
autant, ce dernier n’est pas « oublié ». Quelles sont les dispositions de la réforme
qui pourraient le plus impacter les contrats de consortium ? Bref état des lieux.
Le contrat de consortium, aussi connu
comme accord consortial ou contrat de
groupement momentané d’entreprises
(GME), est l’une des catégories fourre-tout
les plus commodes de la vie des affaires.
Particulièrement employé dans les secteurs
des infrastructures et de l’énergie, il permet à ses membres de se grouper en vue
de remporter et exécuter des contrats que
ceux-ci ne peuvent pas ou ne souhaitent
pas réaliser seuls.
Les raisons du recours au consortium sont
diverses : capacité technique ou surface financière insuffisante, absence de représentation locale, exigences spécifiques de l’appel d’offres ou souhait de limiter son exposition sur un projet, une contrepartie ou un
pays. Les prestations couvertes également :
contrat d’entreprise pour la réalisation de
travaux, prestations de services, fournitures
ou – le plus souvent – un mélange des trois.
La contrepartie peut être publique ou privée. Les appellations données au contrat
rappellent qu’il peut viser différents stades
du projet : avant la remise d’une offre seulement (pre-bid agreement) ou également
après, pour définir les règles du jeu entre
ses membres de manière simple (teaming
agreement) ou plus détaillée (consortium
agreement). Dans ses versions les plus sophistiquées, le consortium se rapproche
de la société en prévoyant une mise en
commun des moyens, et un partage des
risques et profits entre ses membres, mais
sans jamais impliquer la constitution d’une
personne morale indépendante (unincorporated joint venture ou société en participation).
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
En cela, par-delà la diversité des appellations, des contextes dans lesquels on
le trouve et de ses clauses, le contrat de
consortium demeure une création purement contractuelle. Non-immatriculé et
le plus souvent occulte (vis-à-vis des tiers,
voire du client), sans personnalité morale et
sans forme sociale, il repose exclusivement
sur le droit des obligations. Seul un projet
de loi, déposé devant le Parlement en 1976
et rapidement abandonné, a eu pour ambition de donner au groupement momentané
d’entreprises un réel statut juridique(1).
Par Stéphane
GASNE
Associé
Pinsent Masons
stephane.gasne@
pinsentmasons.com
Et Cyrielle
BARBIER
Avocat à la Cour
La singularité d’un tel contrat a été rappelée à plusieurs occasions par la doctrine, et
certains auteurs sont favorables à la création d’une catégorie de contrats spéciaux(2).
Moins ambitieuse, la nouvelle réforme du
droit des contrats(3) ne fait aucune mention expresse au contrat de consortium,
mais ses dispositions phares et certaines
dispositions relatives à la solidarité passive
pourraient impacter certains des principaux
sujets qui y sont généralement traités.
(1) Projet de la loi AN, n° 2432, 2e session ordinaire,
1975-1976, relative au groupement momentané
d’entreprises.
(2) C.-H. Chenut, Le contrat de consortium, LGDJ,
2003, p. 18.
(3) Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme
du droit des contrats, du régime général et de la
preuve des obligations.
Revue Lamy Droit des Affaires
65
Sur ce point, la France se rapproche de certains systèmes
européens qui ont déjà étendu l’exigence de bonne foi à la
phase précontractuelle(4).
En outre, l’article 1112 du code civil vient consacrer un
principe jurisprudentiel, qui est celui de la seule indemnisation des pertes subies, en cas de faute lors des pourparlers(5). Les frais engagés par les partenaires, par exemple
pour la remise d’une offre, pourraient être couverts ; pas
le bénéfice attendu de l’exécution du contrat.
Schéma classique d’un consortium
I. – Principe de bonne foi et devoir
d’information
Article 1104. « Les contrats doivent être négociés, formés et
exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public. »
Article 1112. « L’initiative, le déroulement et la rupture
des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent
impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
En cas de faute commise dans les négociations, la réparation
du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de
compenser la perte des avantages attendus du contrat non
conclu. »
Article 1112-1. « Celle des parties qui connaît une
information dont l’importance est déterminante pour le
consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que,
légitimement, cette dernière ignore cette information ou
fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur
l’estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont
un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la
qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était
due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour
cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.
Les parties ne peuvent limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le
manquement à ce devoir d’information peut entraîner
l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux
articles 1130 et suivants. »
Le contrat de consortium est soumis au droit commun des
obligations, et donc aux obligations de bonne foi et ses
corollaires qui s’imposent dans les rapports individuels
entre les membres.
Les articles 1104 et 1112 du code civil précisent que cette
obligation de bonne foi s’impose aux parties dès les négociations précontractuelles. Dans le cadre d’un consortium, cela signifie que les futurs membres ont l’obligation
de fournir les informations nécessaires pour que chacun
d’entre eux puisse bâtir sa partie de l’offre globale, de
collaborer activement à la constitution de cette offre et
de ne pas se retirer abruptement et sans raison valable.
66
Enfin, la réforme vient également consolider un devoir de
collaboration et d’information. Le devoir d’information
s’impose en particulier au mandataire, qui communique
directement avec le client pour le compte des autres
membres du consortium et doit leur rendre compte, mais
il s’étend également aux autres membres dans la poursuite de l’exécution des prestations au jour le jour. Le degré d’implication de chacun dans un projet complexe doit
faire l’objet d’un suivi quotidien et d’une communication
régulière entre les membres, en toute transparence.
II. – Violence économique
Article 1143. « Il y a également violence lorsqu’une partie,
abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son
cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait
pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un
avantage manifestement excessif. »
L’ajout de la violence par abus de dépendance aux traditionnels vices du consentement (erreur, dol et violence)
ne produira pas nécessairement, à notre sens, de changement notable sur les obligations qui s’imposaient déjà aux
membres d’un consortium.
La rédaction de l’article 1143 est large et imprécise. La
définition de la violence désigne en effet un état de dépendance général, susceptible de viser une dépendance
économique, technologique ou encore financière. Aucune
précision n’est non plus donnée quant à la personne envers qui cette dépendance s’établit. Son application dans
les relations entre membres du consortium est en tout
état de cause moins probable que dans les relations entre
consortium et client.
(4) C. civ. italien, art. 1337 ; C. civ. portugais, art 227.
(5) Cass. com., 26 nov. 2003, n° 00-10.243, Bull. civ. IV, n° 186, JCP
G 2004, I, n° 163, spéc. n° 18, obs. G. Viney, RTD civ. 2004, p. 80,
obs. J. Mestre et B. Fages ; V. Le Lamy Droit du contrat, n° 117-48.
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Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Dossier
III. – Théorie de l’imprévision
Article 1195. « Si un changement de circonstances
imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution
excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas
accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une
renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue
à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties
peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et
aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un
commun accord au juge de procéder à son adaptation.
À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à
la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à
la date et aux conditions qu’il fixe. »
La survenue d’évènements imprévisibles au cours de l’exécution du contrat est un risque contre lequel les membres
d’un consortium n’étaient pas nécessairement prémunis
dans la mesure où, depuis de nombreuses années, la Cour
de cassation a systématiquement refusé de reconnaître
l’imprévision lorsque l’économie d’un contrat était bouleversée(6).
Tel n’est plus le cas. La réforme reconnaît désormais expressément la théorie de l’imprévision, à l’article 1195 du
code civil. Une telle reconnaissance est la bienvenue. En
effet, la vie d’un contrat de consortium est sujette à la
survenue de tels évènements, particulièrement difficiles à
gérer en raison du caractère multilatéral du contrat et des
intérêts parfois divergents des membres du consortium.
Dans la mesure où les contrats de groupement s’adossent
à des contrats de travaux, services et fournitures souvent
complexes, l’application de la théorie de l’imprévision
aux rapports entre les membres du consortium par ricochet est tout à fait envisageable. Dans l’hypothèse où, par
exemple, les nouvelles circonstances rendent l’exécution
excessivement onéreuse pour le consortium, il semblerait naturel qu’en découle un droit pour le mandataire
solidaire de demander à ses partenaires la renégociation
du contrat de consortium, en particulier afin que des garanties révisées pour tenir compte des nouvelles circonstances lui soient fournies par eux.
Il convient de noter que les partenaires auront la possibilité de déroger au deuxième alinéa de l’article 1195 précité
prévoyant la résolution du contrat, qui n’est pas d’ordre
public. Ces derniers pourront donc rédiger des clauses
aménageant les conséquences d’un refus ou échec de la
renégociation sans recourir à l’intervention du juge (par
exemple en introduisant une clause de règlement amiable,
ou le recours à un expert ou à un arbitre).
Dès l’entrée en vigueur de la réforme, les membres d’un
consortium auront tout intérêt à rédiger des clauses de
(6) Cass. civ., 6 mars 1876, Canal de Craponne.
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
hardship très précises dans leur contrat. En effet, la mise
en œuvre et les effets de la théorie de l’imprévision en
droit civil sont encore méconnus, à la différence de ce qui
existe déjà en droit administratif. La jurisprudence devra
ainsi préciser ce que couvre l’expression « changement de
circonstances imprévisible », mais également si l’acceptation des risques peut être tacite.
IV. – Clause résolutoire
Article 1224. « La résolution résulte soit de l’application
d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution
suffisamment grave, d’une notification du créancier au
débiteur ou d’une décision de justice. »
Article 1225. « La clause résolutoire précise les
engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du
contrat.
La résolution est subordonnée à une mise en demeure
infructueuse, s’il n’a pas été convenu que celle-ci résulterait
du seul fait de l’inexécution. La mise en demeure ne
produit effet que si elle mentionne expressément la clause
résolutoire. »
La clause résolutoire, toujours implicite dans les contrats synallagmatiques(7), est désormais expressément visée comme
mode de résolution du contrat, aux côtés de la résolution
unilatérale pour faute grave et de la résolution judiciaire.
Pour sa mise en œuvre, les parties devront prévoir les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du
contrat. Le nouvel article 1225 du code civil aura vraisemblablement un impact limité dans la mesure où, en pratique, les
membres d’un contrat de consortium prévoient déjà souvent
les circonstances qui permettent d’y mettre fin.
Les modalités d’application des nouvelles dispositions
devront en outre être précisées par le juge. La résolution
peut résulter d’une simple notification lorsque l’inexécution est « suffisamment grave », nous dit le code civil,
mais la notion doit encore être définie en jurisprudence.
V. – La responsabilité, conjointe ou
solidaire, des membres du consortium
Art. 1309. « L’obligation qui lie plusieurs créanciers ou
débiteurs se divise de plein droit entre eux. La division a lieu
également entre leurs successeurs, l’obligation fût-elle
solidaire. Si elle n’est pas réglée autrement par la loi ou par
le contrat, la division a lieu par parts égales.
Chacun des créanciers n’a droit qu’à sa part de la créance
commune ; chacun des débiteurs n’est tenu que de sa part de
la dette commune.
(7) C. civ., art. 1184.
Revue Lamy Droit des Affaires
67
Il n’en va autrement, dans les rapports entre les créanciers
et les débiteurs, que si l’obligation est solidaire ou si la
prestation due est indivisible. »
Article 1310. « La solidarité est légale ou conventionnelle ;
elle ne se présume pas. »
Article 1317. « Entre eux, les codébiteurs solidaires ne
contribuent à la dette que chacun pour sa part.
Celui qui a payé au-delà de sa part dispose d’un recours
contre les autres à proportion de leur propre part.
Si l’un d’eux est insolvable, sa part se répartit, par
contribution, entre les codébiteurs solvables, y compris celui
qui a fait le paiement et celui qui a bénéficié d’une remise de
solidarité. »
Article 1318. « Si la dette procède d’une affaire qui ne
concerne que l’un des codébiteurs solidaires, celui-ci est
seul tenu de la dette à l’égard des autres. S’il l’a payée, il ne
dispose d’aucun recours contre ses codébiteurs. Si ceux-ci
l’ont payée, ils disposent d’un recours contre lui. »
Article 1319. « Les codébiteurs solidaires répondent
solidairement de l’inexécution de l’obligation. La charge en
incombe à titre définitif à ceux auxquels l’inexécution est
imputable. »
Les dispositions actuellement applicables en matière de
solidarité n’ont pas été modifiées depuis la promulgation
du code civil : les articles 1200 à 1216 datent de 1804. La
réforme reprend pour l’essentiel le contenu de ces articles,
mais supprime certaines dispositions peu en phase avec
la pratique actuelle (articles se référant implicitement au
gage, à l’impact des règles de succession et à des modalités spécifiques de calcul des intérêts, notamment) et
ajoute des confirmations et précisions bienvenues sur la
solidarité passive : répartition par parts égales, recours subrogatoire contre les autres débiteurs pour ce qui excède
la part propre, débiteurs insolvables exclus de la division
et responsabilité in fine portée par le codébiteur fautif.
Ces nouvelles dispositions auront vocation à s’appliquer à
la relation entre les membres du consortium et leur client,
et aux relations entre les membres. De nature supplétive,
elles prendront leur pleine portée lorsque les parties n’auront pas souhaité, ou ne seront pas parvenues à un accord. Les conséquences potentielles de l’insolvabilité d’un
membre rappellent la nécessité de ne recourir à la formule
du groupement contractuel que dans des situations où
les risques sont maîtrisés et les capacités financières des
autres membres connues.
Responsabilité des membres du consortium
vis-à-vis du client
La responsabilité solidaire des membres d’un même
consortium ne se présume pas. Elle doit être expressément prévue par eux(8) ou résulter de textes spécifiques(9).
(8) C. civ., art. 1202, al. 1.
(9) C. civ., art. 1202, al. 2.
68
Sur ce point, la réforme n’apportera pas de changement
majeur : l’article 1310 du code civil reprend, presque mot
pour mot, les dispositions antérieures.
Cependant, dans de nombreuses opérations, ces règles
vont se heurter à une présomption de solidarité d’origine
jurisprudentielle : la Cour de cassation a prévu une présomption simple de responsabilité lorsque les obligations
en cause sont de nature commerciale(10). Par conséquent, à
défaut de l’écarter contractuellement, les membres d’un
consortium réalisant une opération commerciale seraient
tous solidaires vis-à-vis du maître d’ouvrage(11).
Pour éviter des incertitudes, les parties doivent donc prévoir contractuellement quelles règles de responsabilité
s’appliquent à l’égard du client :
• groupement conjoint, où les membres ne sont responsables à l’égard du client que de leur lot ;
• groupement conjoint avec mandataire solidaire, qui
permet au client de se retourner contre le mandataire
en cas de défaillance d’un autre membre du consortium. Le mandataire solidaire prend l’engagement de
suppléer la défaillance des autres membres en cours
de réalisation du marché, soit en exécutant lui-même
les travaux, soit en les sous-traitants à une autre entreprise. Il sera également responsable des dommages
subis par le client en lien avec l’exécution du contrat
(indemnisation des recours de tiers) ;
• groupement solidaire, où le client a la possibilité de
se retourner contre l’un ou plusieurs des membres.
Lorsque le groupement est solidaire, au-delà du mandataire, chacun des membres est solidairement responsable envers le client pour la totalité du contrat.
La solidarité a plusieurs vertus pour le client : elle accroît
la solvabilité, évite d’avoir à identifier l’origine du manquement et garantit ainsi une réparation efficace des
fautes contractuelles.
Répartition de la responsabilité entre les
membres du consortium
Les hypothèses de groupements purement conjoints sont
rares. Bien qu’elle ne se présume pas, la solidarité vis-àvis du client est le plus souvent retenue, soit que le client
exige la solidarité du mandataire, soit que la jurisprudence en matière commerciale s’applique. La question se
pose alors du dénouement des responsabilités entre les
membres : chacun doit-il être responsable à part égale, en
fonction d’une autre clef de répartition, seulement pour
(10) Cass. com., 16 janv. 1990, n° 88-16.265, Bull. Joly Sociétés 1990,
p. 272, note Streiff, Dr. sociétés 1990, n° 97, note Germain, JCP G
1991, II, n° 21748, note Hannoun.
(11) Cass. com., 5 juin 2012, n° 09-14.501, Cass. com., 5 juin 2012,
n° 09-14.501, Bull. civ. IV, n° 115, DMF 2012, n° 739, note Ph.
Delebecque, D. 2012, p. 1607, obs. X. Delpech, D. 2012, p. 2580,
note A. Hontebeyrie.
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Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Dossier
ce qui concerne son lot ou seulement pour les fautes qu’il
a commises ?
La définition des règles applicables est le terrain privilégié du contrat de consortium, mais les accords sur ces
points manquent parfois de clarté, peuvent être contradictoires, ou simplement occultés par les membres, alors
que ceux-ci concentraient leurs efforts sur la préparation
d’une offre technique et financière. Dans ces hypothèses,
assez fréquentes, les règles du code civil auront vocation
à s’appliquer.
Le nouvel article 1309 du code civil, qui précise que « si
elle n’est pas réglée autrement par la loi ou par le contrat,
la division a lieu par parts égales », devrait trouver application dans les hypothèses où le détail des lots n’est pas
prévu par le contrat. Dans ces situations, le mandataire du
groupement ayant indemnisé le client pour le tout bénéficierait d’une action récursoire contre chaque membre du
groupement à part égale. Pour éviter l’application d’une
telle règle, les membres du groupement devront se référer à une clef de répartition des risques et responsabilités
résultant de l’exécution du contrat.
Le nouveau code civil apportera cependant une limite à
cette répartition à parts égales (ou négociées), en visant
l’hypothèse d’une faute contractuelle. D’après le nouvel
article 1319, « les codébiteurs solidaires répondent solidairement de l’inexécution de l’obligation. La charge en
incombe à titre définitif à ceux auxquels l’inexécution est
imputable ». En admettant que le mandataire solidaire
(ou un autre membre non fautif d’un groupement solidaire) ait indemnisé le client, l’action récursoire se dirigera contre le membre ayant commis un manquement
contractuel.
Le jeu combiné du nouvel article 1309 et du nouvel article 1319 reprendra en cela une répartition classique des
risques entre les membres du consortium. Il est, en effet,
fréquent que la répartition de principe, selon une clef prédéterminée en fonction des moyens mis en œuvre et des
revenus escomptés par chacun, soit écartée lorsque le
dommage pour lequel le client est indemnisé (ou le manquement contractuel réparé) résulte de la faute contractuelle d’un membre du groupement. La pratique retient
cependant souvent des fautes qualifiées (faute lourde ou
grave, ou manquement manifeste aux règles applicables),
et non des fautes simples.
Un mécanisme contractuel nécessitant une
gestion du risque d’insolvabilité
D’après le nouvel article 1317 du code civil, si l’un des codébiteurs est insolvable, sa part se répartit entre les codébiteurs solvables par parts égales(12). Les risques liés à la
défaillance de l’un des membres du consortium sont nombreux et donc susceptibles d’avoir un impact considérable
sur les finances des codébiteurs.
Afin de se prémunir de la réalisation d’un tel risque, les
futurs membres d’un consortium sont fortement incités à
vérifier que leurs partenaires ont les capacités techniques
(expérience dans le domaine et effectifs suffisants) et financières (absence de procédure collective ou litige en
cours et principaux indicateurs financiers satisfaisants)
pour exécuter les travaux requis.
En outre, les futurs membres d’un consortium devront
obtenir de leurs partenaires la production de garanties
(garantie maison-mère, et parfois garantie bancaire à première demande) qui puissent couvrir le risque de défaillance de l’un d’eux.
En définitive, l’impact global de la nouvelle réforme sur le
contrat de consortium est limité, ce qui permet d’en préserver l’originalité.
Soumis seulement au droit général des contrats, ce dernier possède certaines spécificités qui le distinguent nettement des contrats nommés existants. On pourrait se
demander si la réforme est à la hauteur de son importance pratique dans la vie des affaires, mais nous sommes
plutôt favorables à ce que cet instrument reste employé
en dehors d’un cadre législatif dédié, en tant qu’outil
contractuel souple et non soumis aux aléas des réformes
législatives.
Praticiens, réjouissez-vous ! L’absence de cadre strict précisant le régime du contrat de consortium est un gage de
sa pérennité, et de liberté pour vos futurs projets. „
(12) C. civ., art. 1317, al. 3 nouveau.
Nº 118 SEPTEMBRE 2016
Revue Lamy Droit des Affaires
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