Document in FR - Avocat
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COMPETENCE . - Pension alimentaire rétroactive sur pied de l’article 301 du Code civil. - Demande reconventionnelle pendante devant le juge du divorce. Compétence du juge de paix. - PENSION ALIMENTAIRE (ART. 301, C. CIV). Absence de réclamation pendant quinze ans. - Occupation gratuite de la résidence conjugale par l’ex-époux demandeur. - Demande rétroactive d’une indemnité d’occupation par l’ex-épouse défenderesse. - Coïncidence et compensation de la pension et de l’indemnité. J.P. Bruxelles ( 4e canton), 19 janvier 2005 Siég. : Mme I. Brandon. Plaid. : MMes G. Archambeau et Ch. Vanrycke loco H. Wouters. (B.T. c. S. ) La circonstance qu’une demande reconventionnelle en divorce est encore pendante devant le tribunal de première instance ne fait pas échec à la compétence du juge de paix pour statuer, même à titre provisionnel, sur une demande tendant à l’obtention rétroactive d’une pension alimentaire sur pied de l’article 301 du Code civil. Dès lors que le demandeur n’a jamais formulé la moindre prétention alimentaire envers son exépouse, et qu’il a occupé gratuitement l’ancienne résidence conjugale, des présomptions graves, précises et concordantes indiquent que son niveau de vie égalait celui dont il jouissait durant la vie commune. A titre provisionnel, il y a lieu de considérer qu’en tolérant l’occupation gratuite de l’ancienne résidence conjugale par son ex-époux, la défenderesse s’est acquittée, en nature, de son obligation alimentaire. Dans la mesure où elle réclame une indemnité du chef de cette occupation, il y a lieu de considérer qu’elle est redevable d’une pension alimentaire pour la même période. 1. — Objet de l’action. Attendu que l’action tend à entendre condamner la défenderesse à payer au demandeur le tiers des revenus qu’elle perçoit de la Communauté européenne depuis le 15 juillet 1988, à entendre dire pour droit que le montant précité sera relié à l’indice des prix à la consommation du mois de juillet 1988 et augmenté automatiquement le 1er juillet de chaque année : Que l’action tend aussi à entendre ordonner à la Commission des Communautés européennes de produire un relevé des revenus et charges divers, professionnels ou non, perçus par Mme S. en sa qualité de fonctionnaire européen depuis le 1er janvier 1988 et de les faire déposer au greffe tout en les communiquant à l’avocat du demandeur et ce dans les huit jours de la présente décision en application des articles 877 et 878 du Code judiciaire; Que l’action tend enfin à entendre autoriser la délégation de sommes pour toutes les condamnations du chef de la présente action et ce sur pied des articles 221 et 301bis du Code civil, et à entendre condamner la défenderesse aux dépens; 2. — Discussion. A. — Les faits. Attendu que les parties ont été mariées; qu’en date du 15 juillet 1987 le tribunal de première instance de Nivelles a prononcé le divorce entre parties aux torts de la défenderesse sur pied de l’article 231 du Code civil; que ce divorce a été transcrit dans les registres de l’état civil de la ville de Bruxelles en date du 15 février 1989; Attendu que dans le cadre de cette procédure en divorce le demandeur avait saisi le président du tribunal de première instance de Nivelles siégeant en référé et avait obtenu, par ordonnance du 13 mai 1988, de pouvoir continuer à résider provisoirement et séparément durant l’instance de divorce dans la résidence conjugale, située à Wavre, [...], adresse à laquelle il réside toujours aujourd’hui; Attendu que dans le cadre de la procédure en divorce précitée, la défenderesse avait introduit une demande reconventionnelle tendant à obtenir le divorce aux torts de son époux sur la base également de l’article 231 du Code civil; que cette procédure n’a jamais été diligentée et est actuellement toujours pendante devant le tribunal de première instance de Nivelles; Attendu qu’une autre procédure est également toujours pendante entre les parties : la procédure en liquidation de leur régime matrimonial; Que dans le cadre de cette dernière procédure, la défenderesse actuelle a réclamé à son ex-époux une indemnité d’occupation pour l’immeuble ayant servi de résidence conjugale et ceci rétroactivement à la date de la séparation des parties; Que le demandeur réclame aujourd’hui, de la même manière, à son ex-épouse une pension alimentaire fondée sur l’article 301 du Code civil rétroactivement à la date de la séparation; B. — La recevabilité de l’action. Attendu que l’action, telle que libellée au dispositif des conclusions du demandeur ainsi qu’au dispositif de son acte introductif, est parfaitement recevable; Que dans ces dispositifs, le demandeur ne nous demande nullement de nous prononcer sur un éventuel désistement de l’action reconventionnelle en divorce, de sorte que le débat à ce sujet est tout à fait superflu; que nous ne sommes en effet saisie que d’une demande de pension alimentaire pour laquelle le juge de paix est par définition compétent; Attendu que le fait qu’une action reconventionnelle en divorce soit toujours pendante ne change rien ni à notre compétence, ni à la recevabilité de l’action; Que les parties sont en effet divorcées depuis la transcription du jugement de divorce le 15 février 1989 et que la compétence du juge de paix est dès lors consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation, même lorsqu’une demande reconventionnelle, ou une demande de renversement de la présomption de l’article 232 du Code civil, est toujours pendante devant le tribunal de première instance; Que le juge de paix reste compétent même à titre provisionnel en attendant la décision sur la demande reconventionnelle, et que rien n’empêche qu’il statue rétroactivement dans ce cadre-là aussi (voy. notamment Cass., 23 mai 1985, Pas., 1985, I, p. 1200; voy. aussi l’abondante doctrine et jurisprudence citées par le juge de paix du premier canton de Tournai dans une affaire similaire dans un jugement du 8 janvier 2003, J.L.M.B., 2003, pp. 1155 et s.); Que comme le signale très justement notre collègue du premier canton de Tournai dans le jugement précité, la partie défenderesse à l’action reconventionnelle en divorce encore pendante n’a pas l’obligation de démontrer que cette action n’a que peu de chances de succès, ce que le juge d’un autre tribunal n’a d’ailleurs pas compétence pour apprécier; Que l’action est dès lors tout à fait recevable, y compris en ce qu’elle demande la rétroactivité; C. — Le fond. Attendu qu’il est de jurisprudence et de doctrine constantes que la pension alimentaire après divorce a à la fois un caractère indemnitaire et alimentaire, et qu’elle a pour but de maintenir au profit de l’époux qui a obtenu le divorce aux torts de l’autre un niveau de vie équivalent à celui qu’il avait durant la vie commune; Que le tiers des revenus de l’époux contre lequel le divorce a été obtenu ne constitue pas la base de cette pension alimentaire, mais uniquement sa limite supérieure et qu’il appartient au demandeur d’établir par toutes voies de droit en ce compris les témoignages et présomptions, qu’il a eu depuis la séparation des parties, un niveau de vie inférieur à celui qu’il avait durant la vie commune; que la défenderesse peut évidemment prouver le contraire par les mêmes voies; Attendu que ce qui compte dès lors avant tout est la preuve du niveau de vie que les parties menaient ensemble durant la vie commune et du niveau de vie que le demandeur a mené depuis lors, en comparant les deux; que la preuve des revenus actuels de la défenderesse n’a d’intérêt que dans la mesure où il serait préalablement établi que le niveau de vie du demandeur aurait baissé depuis la séparation, et ceci afin d’évaluer les capacités contributives de la demanderesse; Attendu qu’il nous apparaît d’emblée que s’agissant du passé, il y a lieu de considérer que le demandeur n’ayant jamais rien réclamé à la demanderesse, il existe des présomptions graves, précises et concordantes de ce que le niveau de vie du demandeur était sensiblement équivalent à celui qu’il était durant la vie commune, dans la mesure où il bénéficiait de l’occupation gratuite de la résidence conjugale; Qu’à titre tout à fait provisionnel il y a lieu de considérer, qu’en laissant pendant quinze ans son ex-époux gratuitement dans la résidence conjugale, sans jamais lui réclamer d’indemnité d’occupation, la défenderesse a exécuté en nature son obligation alimentaire; que dans la mesure où elle réclame aujourd’hui une indemnité d’occupation pour ces quinze années à son exépoux, il y a lieu de considérer à titre provisionnel qu’elle est redevable à son ex-conjoint d’une pension alimentaire équivalente pour la même période; Que s’agissant du présent et de l’avenir (à partir de la requête) il y a lieu pour les parties de mettre l’affaire en état en rapportant les preuves suivantes; • quel était le niveau de vie des parties durant la vie commune; • quel est le montant actualisé des revenus des deux parties durant la vie commune, et quels étaient les biens dont ils disposaient à cette époque; • quel est le niveau de vie actuel de chacune des deux parties et quelles sont leurs prévisions à court et moyen terme (eu égard notamment à l’arrivée de l’âge de la retraite); Attendu qu’il y a lieu pour chacune des deux parties de produire tous les documents et pièces fiscales, sociales, comptables et administratives de nature à apporter la preuve actuelle de leurs revenus et de la consistance de leur patrimoine; qu’il y a lieu d’ordonner la réouverture des débats sur ces questions; Par ces motifs : Nous, ... statuant contradictoirement et en premier ressort; Déclarons l’action recevable; Statuant à titre provisionnel pour la période du 15 juillet 1988 à la date du dépôt de la requête du 16 décembre 2003, condamnons la défenderesse à payer au demandeur une pension alimentaire égale au montant de l’indemnité d’occupation de l’immeuble ayant constitué la résidence conjugale des parties.