Le scandale des vins trop chers

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Le scandale des vins trop chers
Février 2009
Le scandale des vins trop chers
Caroline Frey, propriétaire et œnologue du Château La Lagune et des Domaines Paul
Jaboulet Aîné s’exprime sur les prix des vins pratiqués en restauration. (cf. article du
JDD du 23 novembre 2008 « Le Scandale du vin trop cher »)
Vous apparaissez très exigeante sur la qualité de la distribution de Château La Lagune et
des Domaines Paul Jaboulet Aîné, quelle est pour vous l’importance de la restauration?
Caroline: Les restaurateurs sont d’excellents et d’indispensables prescripteurs d’image. Ils
sont les seuls endroits où nos vins peuvent être dégustés et représentent donc un maillon
indispensable de la chaîne qui mène nos vins de nos propriétés à nos clients. A travers le
monde, ils sont la vitrine du travail qualitatif que nous effectuons en amont.
Que pensez-vous de la polémique actuelle autour des vins soit disant beaucoup trop chers
en restauration ?
Caroline : Beaucoup trop chers par rapport à quoi, à qui ? Il faut comparer ce qui est
comparable. Si l’on fait référence au réseau traditionnel, Il est normal qu’un restaurateur
affiche des prix plus élevés qu’un caviste sur les vins puisqu' il propose plus de services. La
différence de prix est donc tout à fait justifiée.
Je pense plutôt que nous avons tendance à inverser le problème, les prix des vins affichés sur la
carte d’un restaurant paraissent élevés quand ils sont comparés à des prix bradés sur des
catalogues d’opérations discount qui ne sont pas ceux pratiqués par les cavistes et qui ne sont
donc pas révélateurs d’un marché équilibré.
J’imagine que vous faites allusion à la grande distribution ?
Caroline : Pas seulement, effectivement je pense que les prix affichés lors des foires aux vins
organisées par la grande distribution sont une concurrence inégale par rapport au circuit
traditionnel de cavistes et de restaurateurs. Mais je fais également référence à certains sites
internet discount dont les prix trop bas font passer les cavistes et restaurateurs pour des
voleurs.
Il est évidemment facile d’entretenir la polémique en comparant le prix d’un grand vin sur un
catalogue de foires aux vins ou sur un site internet discount par rapport à celui affiché sur la
carte d’un étoilé, la différence est saisissante sauf que la comparaison n’a pas lieu d’être. Il n’y
a que l’étiquette que l’on peut comparer. Le contenu de la bouteille peut avoir été altéré par un
manque de soin et d’attention. Dans ce cas le prix peut certes paraître attractif mais le vin
risque de vous décevoir.
Comment ces intervenants parviennent-ils à des prix aussi bas ?
Caroline : Il n’y a pas de miracles, les prix cassés le sont forcément au détriment de quelque
chose : une provenance incertaine et une qualité du vin pouvant être altérée par des conditions
de transport et de stockage aléatoires, des services réduits…
Nous attachons beaucoup d’importance à l’origine et la traçabilité des bouteilles, ce qui n’est
pas toujours le cas de ces circuits de distribution discount. A l’heure de l’internet et de la
mondialisation, il n’est pas rare de voir des bouteilles « baladeuses » passer plusieurs fois d'un
continent à l’autre avant de finalement arriver jusqu’au consommateur, dans des conditions
parfois incertaines.
Nous savons que les restaurateurs sont à l’inverse extrêmement vigilants quant à l’origine des
bouteilles qu’ils achètent.
D’autre part, les sites internet tout comme la grande distribution, reposent sur un mode de
fonctionnement qui ne permet pas de proposer de services personnalisés aux clients. Un
exemple parmi d’autres, pensez-vous qu’un client puisse demander le remplacement d’une
bouteille bouchonnée achetée sur internet ou dans un hypermarché ?
Est-ce pour cela que vous avez décidé d’afficher clairement votre stratégie commerciale
« disponible exclusivement chez les cavistes et restaurateurs » ?
Caroline : Cette prise de position n’est pas récente, nous pensons depuis bien longtemps que
nos vins n’ont pas leur place dans les rayons d’un hypermarché ou sur les sites internet
discount pour les raisons évoquées ci dessus. Il y a aussi un problème évident d’image : je n’ai
rien de personnel contre la grande distribution où je fais moi même régulièrement mes courses,
mais avouez qu’entre les rayons de surgelés et de produits d’entretiens l'environnement n’est
pas idéal pour représenter un grand vin. Jugez par vous-même : poussez la porte d'un caviste
ou d'un restaurant et vous plongez inconsciemment dans un univers où le décor, les arômes et
les bruits rappellent ceux des plaisirs de la table.
Internet a révolutionné la distribution et vous prétendez pouvoir lutter contre ce nouveau
mode de consommation ?
Caroline : Pas du tout , il ne faut pas faire d’amalgame. Je parle seulement de certains sites
internet qui pratiquent des prix discount, qui manquent de professionnalisme et qui sont
« virtuels », ils ont d’ailleurs souvent pour seule adresse une boîte postale quelconque. En
revanche, de plus en plus de cavistes traditionnels qui ont pignon sur rue développent
aujourd’hui leur réseau sur internet, ce sont de vrais professionnels, compétents et surtout qui
ont un visage, une identité. En cas de problème ou de conseils à demander, le client sait où se
rendre, c’est un mix entre de la distribution sur le net et de la vente traditionnelle. Ces sites
internet sont d’excellents moyens d’acheter des vins en toute confiance sans bouger de chez
soi.
Votre position particulièrement tranchée doit être difficile à faire respecter, comment
envisagez-vous l’avenir ?
Caroline : Nous avons en effet choisi pour Château La Lagune et Paul Jaboulet Aîné de
travailler en partenariat exclusif avec les cavistes et les restaurateurs car nous défendons les
mêmes valeurs qualitatives.
Cette politique de distribution, certes contraignante, nous donne grande satisfaction et suscite
l'intérêt de beaucoup de nos confrères Bordelais ou de la vallée du Rhône qui commencent à
m'interroger sur le sujet. Je sens bien qu'une prise de conscience est en train de s'opérer. Les
modes de distribution qui tirent le marché vers le bas au détriment de la qualité des services
sont une menace pour l’avenir de nos métiers et un risque de supercherie pour le client. Plus
que des vins, nous vendons un savoir faire, une tradition, une culture que nous devons
préserver.

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