Les dérives non éthiques de l `Adoption Internationale

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Les dérives non éthiques de l `Adoption Internationale
Les dérives non éthiques de l'adoption internationale
Choulot JJ, Carbonnier H, Guérin B
Consultation de Conseil et d'Orientation en Adoption
Centre Hospitalier de Pau, boulevard de Hauterive 64000 Pau
Depuis environ 30 ans l'adoption internationale s'est considérablement développée en France.
Ainsi en 2005 il y a eu environ 8000 couples ou célibataires ayant bénéficié d'un agrément,
pour environ 4500 adoptions. Il existe plus de 25 000 couples ou célibataires titulaires d'un
agrément. Il y a donc beaucoup plus de candidats à l'adoption que d'enfants adoptables (1).
Pourquoi des dérives ?
L'adoption devrait permettre de trouver une famille pour un enfant. Dans la majorité des cas la
démarche est inverse et des parents potentiels sont en recherche d'enfant. Si des textes
internationaux, concernant les droits de l'enfant (Convention internationale relative aux droits
de l'enfant du 20 novembre 1989) et l'adoption (Convention de La Haye du 29 mai 1993)
rappellent le droit pour un enfant d'avoir une famille, aucun texte ne retient le droit pour un
couple d'avoir un enfant. Dans le monde il y a beaucoup plus de parents en recherche d'enfant
que d'enfants adoptables. Les chiffres cités plus haut portent en eux le risque de dérives, car
les parents candidats sont plus nombreux que les enfants adoptables. Même si l'on ne peut pas
être indifférents à la détresse de parents en désir d'enfant cela n'autorise personne à faire
adopter des enfants non adoptables. Il est une réalité incontournable: on estime à environ 15
000 par an le nombre d'enfants adoptables dans le monde, c'est à dire beaucoup moins que de
candidats à l'adoption dans les pays riches. De nombreux pays émergents développent de plus
en plus l'adoption nationale (Chine, Russie, Brésil) et ceci est parfaitement conforme à la
Convention de La Haye.
Quelles dérives ?
Dans certains pays, non signataires de la convention de La Haye, les parents ne sont pas
consentant ou n'ont pas compris les conséquences de la signature d'un consentement. Des
intermédiaires financièrement intéressés ont un grand intérêt à développer un trafic d'enfants
(1,2). Parfois, un racket financier des parents adoptifs est organisé. Ces exigences financières
ne doivent pas être confondues avec des demandes d'argent qui peuvent avoir une certaine
légitimité. Il n'est pas choquant que des parents adoptifs participent aux frais d'entretien de
leur enfant dans l'orphelinat, si l'on est certain que l'argent confié est bien utilisé au bien être
des enfants. Il est normal qu'un intermédiaire soit rémunéré, à condition que cela corresponde
à un juste salaire d'un travail effectivement réalisé. Mais le risque de dérives est très présent ,
particulièrement si une autorité centrale ( Exigé par la Convention de La Haye), n'existe pas
dans le pays. Ainsi il est illégal de négocier une adoption avec une mère avant la naissance de
l'enfant qui devrait toujours être remis, en cas d'abandon, à une autorité centrale. Il est ainsi
inacceptable que des parents adoptifs soient invités à se rendre dans le pays pour que la mère
assiste à l'accouchement. De nombreuses dérives sont décrites: intermédiaires sillonnant les
campagnes pauvres pour prêter de l'argent à des femmes qui devront plus tard s'acquitter de
leur dette en donnant l'enfant, absence d'accord de la mère ou tromperie sur l'effet définitif du
consentement à l'adoption. Des disparitions d'enfants à l'accouchement, l'enfant étant
présumé mort, ont été rapportées (1,3). Dans un pays d'Amérique centrale, des trafics étaient
organisés, la femme consentant à l'adoption n'était pas la mère, seule l'exigence pas le
gouvernement du Québec d'un test génétique a permis de confondre ces pratiques
délictueuses. Dans certains pays il est profitable pour des prostituées de fabriquer un enfant
pour le vendre sur le marché de l'adoption internationale (3). Dans certains cas une tromperie
est réalisée concernant l'état de santé de l'enfant, pathologies non révélées ou insuffisamment
expliquées aux parents. Nous avons constaté de très nombreuses tricheries sur l'âge. En
marge de l'adoption nous avons rencontré des accouchements frauduleux avec de faux
certificats médicaux de naissance. Certains pays d'accueil et d'origine pratiquent l'adoption à
l'essai, cette pratique illégale en France est masquée par l'invitation d'enfants à de prétendus
séjours de vacances.
Les conséquences de ces dérives
Elles sont avant tout dramatiques pour les familles biologiques et leurs enfants. Mais elles sont
aussi très graves pour les enfants adoptés et les familles adoptantes. En effet débuter une
filiation sur un fait délictueux aussi grave est dans notre expérience, un facteur de risque pour
l'avenir: sentiment de culpabilité du couple ou de l'un des deux rendant l'autre responsable de
la démarche, extrême difficulté et risque de mensonges pour raconter son histoire à l'enfant.
Nous avons observé des échecs graves, avec deuxième abandon de l'enfant, après certaines
adoptions douteuses (1). Il est fréquent de cumuler adoption non éthique et problèmes de
santé: maladies cachées et tricheries sur l'âge de l'enfant artificiellement rajeuni ne sont pas
rares. Ces incertitudes sur l'âge de l'enfant sont à l'origine de soi disant pubertés précoces.
Dans notre expérience ces adoptions d'enfant ne correspondant pas à l'enfant rêvé sont à
l'origine de graves difficultés ultérieures: l'enfant étant parfois rendu responsable par les
parents de ces manœuvres frauduleuses.
Comment lutter contre ces dérives ?
Une action d'information auprès des candidats à l'adoption internationale est indispensable.
Nous avons été confrontés à des parents cyniques qui pensaient que la réalisation de leur désir
excusait toutes les malversations. Mais le plus souvent, les parents ne sont pas conscients de
l'histoire de l'enfant avant l'adoption et de ce qui a été nécessaire pour rendre l'enfant
"adoptable". Il convient, avant l'adoption, de les aider en leur apportant des conseils: adopter
par l'intermédiaire d'un Organisme Autorisé pour l'Adoption (OAA) ou avec l'aide de l'Agence
Française de l'Adoption, privilégier les pays signataires de la Convention de La Haye. Il est
important aussi que les candidats, qui ne sont pas retenus par les OAA, car trop âgés, ayant
déjà plusieurs enfants ou appartenant à des couples atypiques renoncent à leur projet
d'adoption. Il est à craindre que l'autorisation à l'adoption pour des couples affichant leur
homosexualité ne les poussent vers des adoptions douteuses, dans la mesure ou les principaux
pays d'origine des enfants n'admettent pas ces parents. Il conviendrait que les responsables
politiques refusent la démagogie en tenant un discours clair et réaliste sur le nombre restreint
des enfants adoptables dans le monde. L'absence de limite d'âge supérieur des parents pour
un agrément en vue d' adoption devrait ainsi être revue. Faire croire au public que telle
réforme de l'adoption a pour objet de multiplier les adoptions est au minimum une tromperie
et au pire un encouragement à des adoptions douteuses. L'adoption ne peut pas résoudre
toute la misère des enfants pauvres, l'aide au développement, le parrainage, l'adoption dans le
pays d'origine doivent être au premier plan de l'aide dispensée aux enfants. L'adoption
internationale est vécue par certains comme un moyen pour des pays riches de piller les pays
pauvres (4). Cela peut effectivement être le cas si on laisse se développer différents trafics.
C'est en privilégiant les adoptions vers les pays signataires de la Convention de La Haye, que
l'on luttera au mieux contre les dérives de l'adoption internationale.
Auteur correspondant: e mail: [email protected]
Résumé
Le nombre important des candidats à l'adoption internationale, en comparaison avec le nombre
restreint des enfants adoptables dans le monde, conduit à des adoptions douteuses. Lors de
certaines pratiques, des intermédiaires financièrement intéressés sont à l'origine de trafics
d'enfants dont les parents n'ont pas consenti à l'adoption. Les pédiatres au coté des acteurs
sociaux et politiques ont un rôle important à jouer pour faire cesser ces trafics détestables.
Summary
The disproportion between the large number of applicants for international adoption and the
limited number of children available for adoption lead to unethical adoptions.
In certain situations, financially-motivated intermediaries are at the source of an illegal child
traffic of children whose parents have not given consent to their adoption. Paediatricians,
social workers and politicians have an important role to play in order to put an end to this
intolerable trade.
Mots clés: adoption, éthique.
Key words: adoption, ethics.
Bibliographie
1
Choulot JJ, Diribarne-Somers H. In: le Guide de l'adoption. Paris: O Jacob 2007
2 Chicoine JF, Germain P, Lemieux J. In: L'enfant adopté dans le monde. Montréal: Editions
de l'hôpital Sainte Justine 2003
3
Le Callenec S. In: L'adoption du projet à l'enfant. Paris: Vuibert 2006
4
de Monléon JV. Qui sont mes parents ? Filiation adoptive en fonction du temps et de
l'endroit. Arch Ped 2000, 7: 529-35