Clarifications et reculs du droit des personnes et de la famille
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Clarifications et reculs du droit des personnes et de la famille
LA SEMAINE DU DROIT L’APERÇU RAPIDE DROIT DES PERSONNES 243 Clarifications et reculs du droit des personnes et de la famille À propos de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 POINTS-CLÉS ➜ La loi n° 2015-177 du 16 février 2015 comporte plusieurs dispositions d’habilitation et de modification directe du droit des personnes et de la famille ➜ Si elle annonce une clarification attendue de l’après-divorce et réalise pour l’essentiel des modifications opportunes du droit des successions, la loi nouvelle laisse en revanche entrevoir un recul du contrôle judiciaire de l’administrateur légal et de plusieurs dispositifs clés de la protection des majeurs Nathalie Peterka, professeur à la faculté de droit Paris-Est (UPEC), directeur du DU de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, directeur du M2 droit privé des personnes et des patrimoines « V isant à faciliter la vie des particuliers et des entreprises, ainsi que le travail des services dont les tâches peuvent être allégées et recentrées sur leurs missions essentielles », la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 habilite le Gouvernement à réformer des pans entiers du Code civil, au premier rang desquels figure le droit des contrats (Sénat, projet de loi n° 175, exposé des motifs, session ord. 2013-2014, p. 3. – V. JCP G 2015, doctr. 199, Étude N. Molfessis). Si ce dernier y occupe une place centrale, le texte comporte aussi plusieurs dispositions d’habilitation et de modification directe du droit des personnes et de la famille. S’agissant des premières, des piliers de notre droit, tels que l’administration légale ou la préservation du logement du majeur protégé, sont touchés. La simplification en patchwork se traduit souvent ici par l’éviction du juge (encore que la déjudiciarisation du changement de régime matrimonial en présence d’enfants mineurs ait été finalement abandonnée) et, plus généralement, par l’allégement des mécanismes protecteurs de la personne vulnérable. Porté par une philosophie, souvent jugée idéaliste, lors de l’adoption de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 (JCP G 2007, I, 118, Étude Th. Fossier), le législateur est revenu à une conception moins ambitieuse et, ce qui est plus grave, non dépourvue de dangers, de la protection. S’agissant de la seconde, la loi retouche divers aspects du droit patrimonial de la famille, dont les imperfections avaient été dénoncées. Si bien que si elle entrouvre une clarification en ce domaine (1), la loi laisse redouter, en revanche, un recul de la protection de la personne vulnérable (2). 1. La clarification du droit patrimonial de la famille Articulation de la compétence du JAF en matière de divorce et d’après-divorce. - La loi d’habilitation comporte plusieurs dispositions intéressant le droit patrimonial de la famille. Elle revient, d’abord, sur l’article 267, alinéa 1er, du Code civil lequel prévoit, qu’ « à défaut d’un règlement conventionnel par les époux, le juge, en prononçant le divorce, LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 9 - 2 MARS 2015 ordonne la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux ». Abondamment controversée, l’interprétation de cette disposition soulevait de très nombreuses difficultés, surtout après que la Cour de cassation en avait censuré l’analyse de la Chancellerie, en reconnaissant au juge le pouvoir de désigner un notaire au moment du prononcé du divorce. Le débat s’agrégeait autour de la question suivante. En prononçant le divorce, le juge aux affaires familiales épuise-t-il sa compétence ou peut-il statuer sans assignation nouvelle sur les opérations de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des anciens époux ? La loi clarifie la situation en autorisant le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour « articuler, en cas de divorce, l’intervention du juge aux affaires familiales et la procédure de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux, en renforçant les pouvoirs liquidatifs du juge saisi d’une demande en divorce pour lui permettre, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la liquidation et au partage de leurs intérêts patrimoniaux » (L. n° 2015177, art. 3, I, 1er). Alors que la demande d’habilitation du Gouvernement visait à l’origine à briser la jurisprudence (Rapp. Sénat n° 288, M. Soilihi, session ord. 2013-2014, p. 32), la loi lui fournit l’opportunité d’exploiter Page 405 243 243 les potentialités de la réforme de 2004, laquelle impose au juge d’ordonner, lors du prononcé du divorce, la liquidation et le partage du régime matrimonial, dès lors que ce dernier n’a pas fait l’objet d’un règlement conventionnel global. Il est donc à souhaiter que les dispositions futures prévoient clairement que le juge demeurera saisi de l’après-divorce, ce qui fournira l’économie d’une assignation en partage et, conformément au souci de célérité irriguant la matière, un précieux gain de temps. Restera, par ailleurs, à préciser l’étendue exacte des pouvoirs liquidatifs du juge ainsi que la procédure applicable (Sur les options envisagées, V. Étude d’impact, 26 nov. 2013, p. 63) et aux professionnels à puiser dans les ressources textuelles afin de favoriser les règlements amiables pendant l’instance en divorce. La loi poursuit, ensuite, son entreprise de clarification sur le terrain des prestations compensatoires sous la forme de rente viagère antérieures à l’entrée en vigueur de la loi n° 2000-596 du 30 juin 2000. L’ancienneté de ces rentes justifie qu’elles puissent être révisées, même en l’absence de changement important dans la situation pécuniaire de l’une ou l’autre des parties, dès lors que leur maintien en l’état procurerait un avantage manifestement excessif au créancier au regard des critères restrictifs de fixation de la prestation compensatoire sous cette forme (C. civ., art. 276). Consacrant la jurisprudence, la loi vient ajouter, de manière cohérente, qu’il doit être tenu compte, pour l’appréciation de cet excès, de la durée du versement de la rente et du montant déjà versé (L. n° 2004-439, 26 mai 2004, art. 33, VI, al. 1 mod. ; L. n° 2015-177, art. 7). La loi simplifie, par ailleurs, la preuve de la qualité d’héritier au sein des successions légales. Afin d’éviter le coût de l’acte de notoriété lequel peut conduire les héritiers à renoncer à la succession, en raison de sa modicité, et par suite aux objets personnels du défunt, la loi crée un mode particulier de preuve de la qualité d’héritier dans les seules relations des successibles et de sa banque. Le versement des sommes figurant en compte et, pourvu que la succession soit exclusivement mobilière et que la totalité des avoirs en compte n’excède pas un seuil fixé par décret, la clôture du compte, peuvent être demandés par un successible, dès lors qu’il produit une « attestation » signée par l’ensemble des héritiers, accompagnée de son acte de naissance et de celui des autres héritiers, de l’acte de naissance et de décès du de cujus, par laquelle ces derniers autorisent leur cohéritier à percevoir pour eux les sommes figurant sur les comptes du défunt et à les clôturer (C. monét. fin., art. L. 312-1-4 mod. ; L. n° 2015-177, art. 4). Ce qui suppose que l’entente règne au sein de l’hérédité. Mais c’est, avant tout, la dévolution légale qui est touchée. Le législateur supprime, à la faveur d’un remaniement rédactionnel en apparence anodin de l’article 745, le verrou du sixième degré dans l’ordre des collatéraux privilégiés (C. civ., art. 745 mod. ; L. n° 2015-177, art. 3, II, 1er). Renouant avec les dispositions antérieures à la loi du 3 décembre 2001, la modification relève, à bien y regarder, plus de l’idéologie que de la pratique, tant il est vrai qu’elle présuppose une configuration familiale peu ordinaire (M. Nicod, Succéder en ligne collatérale : Dr. famille 2015, Repère 2). Modernisation du droit des successions. - Le législateur modifie, enfin, directement, plusieurs secteurs du droit des successions, tels que l’attribution préférentielle dont le domaine est étendu au véhicule du de cujus et les actes conservatoires de l’article 784, lesquels incluent désormais ceux liés à la rupture du contrat de travail du salarié du particulier employeur décédé, le paiement des salaires et des indemnités lui étant dus ainsi que la remise des documents de fin de contrat (C. civ., art. 784, 4° créé ; L. n° 2015-177, art. 5). Adaptation du formalisme du testament authentique au handicap. - Toute autre est la refonte, en présence de certains handicaps, du formalisme du testament authentique. Ce dernier repose sur deux piliers, la dictée par le testateur et la lecture par le notaire (C. civ., art. 972). Or, cette double exigence conduisait à en interdire l’accès aux personnes atteintes de mutité ou de surdi-mutité ainsi qu’à celles ne maîtrisant pas la langue française. La loi met un terme à cette discrimination. Lorsque le testateur « ne peut s’exprimer en Page 406 langue française », « la dictée et la lecture peuvent être accomplies par un interprète que le testateur choisit sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d’appel ». La loi ajoute, non sans trahir une certaine méfiance à l’égard de l’interprète, que ce dernier « veille à l’exacte traduction des propos tenus », et dispense le notaire d’y « recourir (…) lorsque lui-même ainsi que, selon le cas, l’autre notaire ou les témoins comprennent la langue dans laquelle s’exprime le testateur » (C. civ., art. 972, mod. ; L. n° 2015-177, art. 3, II, 2e). Lorsque le testateur, muet, sait écrire, le testament est rédigé par le notaire à partir des notes écrites devant lui par le testateur. Si ce dernier peut entendre, le notaire lui en donne lecture. Si le testateur est sourd, il en prend connaissance en le lisant lui-même après lecture faite par le notaire. C’est dire que la personne muette ou sourde et muette bénéficie désormais, pourvu qu’elle sache lire et écrire, de la possibilité d’exprimer ses dernières volontés par un testament authentique. L’aménagement du formalisme préserve, en pareils cas, la relation directe du testateur et du notaire laquelle constitue l’un des gages de la sécurité qu’offre ce testament. Pour autant, le législateur ouvre plus largement la possibilité d’y recourir en autorisant, lorsque la personne sourde ou muette ne sait ni lire ou écrire, la dictée ou la lecture du testament par un interprète en langue des signes. L’on comprend sans difficulté le souci d’équilibre entre la nécessité d’éradiquer toute discrimination liée au handicap et celle de favoriser la sécurité juridique. Mais cette dernière se trouve largement émoussée, dès lors que la fidélité du testament aux volontés exprimées dépend, non plus de la force probante de l’authenticité, mais de la loyauté de l’interprète (M. Grimaldi, Vive le formalisme du testament authentique ! : Defrénois 2013, p. 245). C’est dire combien l’avenir de cette disposition dépendra de sa réception par la pratique, seule à même d’éviter que le testament authentique du sourd-muet soit relégué, avec celui du tutélaire, au rang des avancées plus symboliques que réelles de l’autonomie de la personne vulnérable. LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 9 - 2 MARS 2015 LA SEMAINE DU DROIT L’APERÇU RAPIDE 2. Le recul de la protection de la personne vulnérable Recul du contrôle judiciaire de l’administrateur légal. - Le recul de la protection s’illustre, au premier chef, sur le terrain de l’administration légale sous contrôle judiciaire. Dans le souci évident de protéger les intérêts du mineur, cette dernière est soumise à des règles plus coercitives que l’administration légale pure et simple. Dans celleci, « chacun des parents est réputé, à l’égard des tiers, avoir reçu de l’autre le pouvoir de faire seul » les actes conservatoires et les actes d’administration. La cogestion n’est requise que pour les actes de disposition, les actes les plus graves impliquant en outre l’autorisation du juge des tutelles. Dans celle-là, l’administrateur doit se pourvoir d’une autorisation judiciaire pour accomplir tous les actes de disposition. C’est cette distorsion entre la famille monoparentale et celle où les parents exercent en commun l’autorité parentale qui a été dénoncée, aux motifs, d’une part, que « le dispositif de l’administration légale sous contrôle judiciaire apparaît aujourd’hui comme un dispositif contraignant pour les parents et peu efficace » et que cette « intrusion judiciaire » serait « souvent et légitimement mal vécue par le parent survivant » et, d’autre part, qu’ « en l’absence de recensement des familles relevant de ce dispositif, le juge des tutelles ne [pourrait] pas véritablement exercer son contrôle ». « Enfin, le principe même d’un traitement différencié » de la « famille monoparentale paraît inadapté et stigmatisant pour celleci » (Exposé des motifs, préc., p. 5). Aussi le législateur permet-il d’écarter le recours systématique au juge en homogénéisant la situation juridique de tous les parents. Si l’on comprend aisément ce souci de simplification, les raisons invoquées à son appui et ses conséquences laissent sceptiques. Trois options avaient été envisagées. La première consistait à « aligner l’administration légale sous contrôle judiciaire sur l’administration légale pure et simple en les soumettant au même contrôle ponctuel du juge des tutelles », celui-ci n’intervenant plus que pour les actes les plus graves visés à l’article 389-5. La deu- xième option tendait à rapprocher les deux modèles tout en permettant au juge de réserver le contrôle des actes de disposition faits au nom du mineur. Enfin, la troisième voie proposait de maintenir le principe de l’autorisation du juge pour l’accomplissement de ces actes, tout en lui conférant le pouvoir d’assouplir ce contrôle, sous certaines conditions tenant notamment à l’âge et au patrimoine du mineur, en autorisant une fois pour toute certains prélèvements périodiques ou certaines opérations répétitives, voire en dispensant l’administrateur légal de se munir d’une autorisation pour certains actes (Étude d’impact préc., p. 19). Cette dernière option présente l’avantage de parvenir à un juste équilibre entre le souci de fluidifier la gestion des biens et la préservation des intérêts de la personne protégée. C’est pourtant une autre solution qui est retenue. Le législateur autorise le Gouvernement à prendre des mesures pour simplifier l’administration légale « en réservant l’autorisation systématique du juge des tutelles aux seuls actes qui pourraient affecter de manière grave, substantielle et définitive le patrimoine du mineur » (L. n° 2015-177, art. 1, I, 1°, a)). Pareille formulation laisse perplexe car, à s’en tenir à sa lettre, le texte n’entrouvre aucune modification. Les actes visés par la loi recouvrent les actes de disposition définis à l’article 496 du Code civil et par le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008, lesquels sont applicables sous l’administration légale, si bien que l’habilitation est sur ce point assez peu explicite. Si elle n’exclut pas les autres options, il est fort à craindre que la loi aboutisse à dispenser l’administrateur de l’autorisation du juge pour l’accomplissement au nom du mineur des actes de disposition autres que ceux de l’article 389-5. L’on devine sans difficultés les dangers qui accompagneraient pareille déjudiciarisation. Elle abandonnerait au parent le pouvoir de décider seul de l’opportunité d’accomplir des actes, tels que l’acceptation pure et simple d’une succession ou la constitution d’un nantissement en garantie de la dette d’autrui, et conduirait à éradiquer toute prévention judiciaire des conflits d’intérêts entre l’administrateur et son pupille. Pareil sacrifice de la protection des mineurs serait d’autant plus regrettable qu’il ne permet- LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 9 - 2 MARS 2015 243 trait pas d’atteindre le souci du législateur « d’assurer un traitement égal de la gestion [de leur] patrimoine […], quelle que soit la configuration familiale » (Ibid.). Si elle était consacrée, l’éviction du juge impliquerait non seulement d’allonger la liste des actes prévus à l’article 389-5, alinéa 3 – ce qui est semble-t-il l’intention du Gouvernement (J. Combret, N. Baillon-Wirtz, Qu’apporte la loi du 16 février 2015 au droit des personnes et de la famille ? : JCP N 2015, 288) – mais encore d’introduire un droit de surveillance ainsi qu’un droit à l’information du parent évincé de l’administration légale. Car, s’il lui est possible de dénoncer au juge des tutelles ou au procureur de la République les dysfonctionnements constatés dans la gestion des biens du mineur (C. civ., art. 388-3), encore faut-il qu’il soit en mesure d’en prendre connaissance et qu’il ne soit pas décédé. L’on perçoit d’emblée que pareille lissage des situations juridiques ne peut pas faire l’économie d’un durcissement du contrôle a posteriori de la gestion. Si l’on peut concevoir que la célérité des actes soit rétive à l’exigence systématique d’une autorisation judiciaire, l’impératif de protection du mineur implique que le déficit de contrôle en amont de l’acte soit compensé par un renforcement, en aval de ce dernier, de la vérification de la gestion. La loi préconise ici de clarifier les règles applicables (L. n° 2015-177, art. 1, I, 1°, b), lesquelles gouvernent tant la protection des mineurs que celle des majeurs. Or, sur ce point, le renforcement du rôle de la famille ne règlera pas toutes les difficultés et un simple renvoi à la tutelle s’avèrera insuffisant pour contrôler la gestion de l’administrateur légal. Création d’un dispositif d’habilitation judiciaire intrafamilial. - La loi revient, ensuite, sur plusieurs textes phares de la protection des majeurs. Passons sur le transfert de l’arrêt du budget au tuteur, lequel relève d’un bon pragmatisme. Bien plus important est le renforcement du primat des mécanismes alternatifs de protection. Sur ce point, la loi autorise le Gouvernement à créer un dispositif d’habilitation en justice de la famille « d’un majeur hors d’état de manifester sa volonté » à le « représenter ou [à] passer certains actes en son nom Page 407 243 sans qu’il soit besoin de prononcer une mesure de protection judiciaire ». La compétence du juge des tutelles incarnera ici le bras armé du principe de subsidiarité. Sur un plan substantiel, le mandat judiciaire se restreindra aux seuls « ascendants, descendants, frères et sœurs, partenaire d’un pacte civil de solidarité ou concubin, au sens de l’article 515-8 du code civil » (L. n° 2015-177, art. 1, I, 2°). La solution contraste au regard du principe de priorité familiale, lequel organise une dévolution bien plus large de la mesure de protection. Si l’on devine aisément, en l’absence de contrôle judiciaire de la gestion, les raisons qui président à la restriction des personnes éligibles à l’habilitation, il n’en demeure pas moins qu’une extension aux collatéraux ordinaires, pourvu qu’ils soient suffisamment proches de la personne, aurait été souhaitable. L’organisation d’un contrôle de la gestion, en cas d’habilitation générale, le serait pareillement. Il conviendra, par ailleurs, de préciser si l’empêchement de la personne se réduit à l’altération de ses facultés (C. civ., art. 425), ou s’il englobe d’autres situations, telles que l’absence. À vrai dire, la communauté d’esprit de l’habilitation intrafamiliale avec les sauvegardes conjugales commande de lui transposer l’interprétation dégagée en matière matrimoniale. Là n’est donc pas l’essentiel. Plus délicate est l’articulation de ce mécanisme avec le mandat de protection future. Son adéquation aux intérêts de la personne constituera-t-elle une cause de révocation de ce mandat (C. civ., art. 483, 4°) ? La question, cruciale, de savoir si les prévisions du mandant demeurent solubles à l’aune du principe de subsidiarité du droit tutélaire ne pourra pas continuer à être éludée. Ouverture du certificat de non-retour au médecin traitant. - La deuxième innovation revient sur l’auteur du certificat requis toutes les fois que l’aliénation du cadre de vie de la personne protégée est motivée par son accueil dans un établissement. Jusqu’à présent, cet avis devait être dressé par un médecin inscrit sur la liste du parquet (C. civ., art. 426, al. 3). Or, cette exigence s’est heurtée à plusieurs difficultés tenant, notamment, au coût du certificat, aux contraintes de temps qu’emporte l’obligation de passer par un tel médecin et au caractère superficiel du Page 408 contrôle opéré, lequel serait souvent basé sur les éléments fournis par la famille ellemême. Aussi, la loi transfère-t-elle l’élaboration de ce certificat à « un médecin n’exerçant pas une fonction ou n’occupant pas un emploi » dans l’établissement d’accueil de l’intéressé (C. civ., art. 426, dern. al. mod. ; L. 2015-177, art. 1, II, 1°) . Voilà une périphrase bien alambiquée pour désigner le médecin traitant puisque c’est lui qui, en pratique, dressera ledit certificat (Rapp. préc., p. 41 et s.) ! Pareil retour en arrière laisse songeur, si l’on se souvient que ce médecin avait été évincé en 2007 dans le souci d’éviter les pressions de l’entourage. Une autre solution, plus ambitieuse, était concevable, celle de la formation des médecins inscrits. Cette dernière apparaît au demeurant inéluctable, à l’aune de l’avancée que constitue le certificat médical circonstancié. L’étude d’impact suggère d’accompagner la modification de l’article 426 « de dispositions réglementaires tendant à préciser le contenu de l’avis médical exigé », ce qui contribuerait à en accentuer le rapprochement avec le certificat circonstancié et à dissiper les interrogations légitimes des médecins en la matière (Étude d’impact préc., p. 30 et s.). Extension de la durée initiale de la tutelle. - La troisième innovation revient sur la durée de la tutelle et de la curatelle. Celles-ci ont été soumises, en 2007, à peine de caducité, à un principe de révision tous les cinq ans. Lors de leur renouvellement, le juge pouvait les reconduire pour une durée plus longue, par une décision spécialement motivée rendue sur avis conforme d’un médecin inscrit attestant de ce que l’état de santé de la personne n’était pas susceptible d’amélioration prévisible suivant les données acquises de la science et préconisant le renouvellement de la mesure pour une durée supérieure à cinq ans (Cass. 1re civ., 10 oct. 2012 , n° 11-14.441 : Bull. civ. 2012, I, n° 197). La seule limite résidait dans l’interdiction de reconduire la mesure pour une durée indéterminée. L’on sait les difficultés suscitées par ce dispositif dues, pour l’essentiel, à la surcharge de travail engendrée pour les juges des tutelles et à l’incompréhension des familles dont le protégé souffre d’une pathologie irréversible. Mais c’est, surtout, l’incohérence de la loi qui était frappante. Limitant la durée initiale de la mesure à cinq ans, elle en permettait le renouvellement pour une durée plus longue affranchie de plafond légal, de sorte qu’en pratique la reconduction était prescrite pour une durée supérieure à l’espérance de vie de l’intéressé. Aussi, comprenait-on malaisément pourquoi la possibilité de prononcer la mesure pour une durée supérieure à cinq ans ne jouait pas aussi dès son ouverture, sous des garanties identiques à celles prévues pour son renouvellement. C’est cette option que retient le législateur. Si, en principe, la durée initiale de la protection reste limitée à cinq ans, il la porte à dix ans pour la seule tutelle, dès lors que se trouvent réunies les conditions prévues pour son renouvellement au-delà du plafond initial. La disposition nouvelle fait figure de compromis. Elle tient compte des contraintes dénoncées par la pratique sans priver la personne du bénéfice des opportunités liées au « rendez-vous obligatoire devant le juge » (Rapp. préc., p. 40). Pour autant, il convient de se garder d’une vision par trop angélique. Nombreux seront les majeurs qui ne profiteront jamais, en raison de leur âge ou de leur état de santé, de ce rendez-vous ainsi qu’il ressort très crument de l’étude d’impact (Étude d’impact préc., p. 36). C’est peu dire que l’esprit de la réforme de 2007 s’en trouve ébranlé. Ce dernier est, en revanche, davantage respecté sur le terrain de la reconduction de la protection. Lorsque celle-ci est prononcée pour une durée supérieure à la mesure initiale, elle se heurte désormais à un butoir de vingt ans, lequel s’applique au renouvellement des mesures prononcées à compter du 18 février 2015. Il n’en demeure pas moins que, parmi les personnes souffrant d’une altération incurable de leurs facultés, seuls les jeunes majeurs dont l’état de santé n’affecte pas l’espérance de vie, seront éligibles à sa révision systématique au bout de dix ans puis tous les… vingt ans ! Quant aux mesures renouvelées pour une durée supérieure à dix ans avant l’entrée en vigueur de loi, elles cesseront automatiquement à l’expiration d’un délai de dix ans à compter de cette entrée en vigueur à défaut d’avoir été révisées avant la fin de ce délai. Où l’on perçoit le délicat équilibre entre l’impératif de protection et le respect des libertés. LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 9 - 2 MARS 2015