Clarifications et reculs du droit des personnes et de la famille

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Clarifications et reculs du droit des personnes et de la famille
LA SEMAINE DU DROIT L’APERÇU RAPIDE
DROIT DES PERSONNES
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Clarifications et reculs du droit
des personnes et de la famille
À propos de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015
POINTS-CLÉS ➜ La loi n° 2015-177 du 16 février 2015 comporte plusieurs dispositions
d’habilitation et de modification directe du droit des personnes et de la famille ➜ Si elle
annonce une clarification attendue de l’après-divorce et réalise pour l’essentiel des modifications opportunes du droit des successions, la loi nouvelle laisse en revanche entrevoir
un recul du contrôle judiciaire de l’administrateur légal et de plusieurs dispositifs clés de
la protection des majeurs
Nathalie Peterka,
professeur à la faculté de droit
Paris-Est (UPEC), directeur du
DU de mandataire judiciaire
à la protection des majeurs,
directeur du M2 droit privé des
personnes et des patrimoines
«
V
isant à faciliter la vie des particuliers et des entreprises, ainsi
que le travail des services dont
les tâches peuvent être allégées et recentrées sur leurs missions essentielles », la loi
n° 2015-177 du 16 février 2015 habilite le
Gouvernement à réformer des pans entiers
du Code civil, au premier rang desquels
figure le droit des contrats (Sénat, projet
de loi n° 175, exposé des motifs, session ord.
2013-2014, p. 3. – V. JCP G 2015, doctr. 199,
Étude N. Molfessis). Si ce dernier y occupe
une place centrale, le texte comporte aussi
plusieurs dispositions d’habilitation et de
modification directe du droit des personnes
et de la famille. S’agissant des premières,
des piliers de notre droit, tels que l’administration légale ou la préservation du logement du majeur protégé, sont touchés.
La simplification en patchwork se traduit
souvent ici par l’éviction du juge (encore
que la déjudiciarisation du changement de
régime matrimonial en présence d’enfants
mineurs ait été finalement abandonnée)
et, plus généralement, par l’allégement des
mécanismes protecteurs de la personne vulnérable. Porté par une philosophie, souvent
jugée idéaliste, lors de l’adoption de la loi
n° 2007-308 du 5 mars 2007 (JCP G 2007,
I, 118, Étude Th. Fossier), le législateur est
revenu à une conception moins ambitieuse
et, ce qui est plus grave, non dépourvue
de dangers, de la protection. S’agissant de
la seconde, la loi retouche divers aspects
du droit patrimonial de la famille, dont
les imperfections avaient été dénoncées. Si
bien que si elle entrouvre une clarification
en ce domaine (1), la loi laisse redouter, en
revanche, un recul de la protection de la
personne vulnérable (2).
1. La clarification du droit
patrimonial de la famille
Articulation de la compétence du JAF en
matière de divorce et d’après-divorce.
- La loi d’habilitation comporte plusieurs
dispositions intéressant le droit patrimonial
de la famille.
Elle revient, d’abord, sur l’article 267, alinéa 1er, du Code civil lequel prévoit, qu’ « à
défaut d’un règlement conventionnel par
les époux, le juge, en prononçant le divorce,
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ordonne la liquidation et le partage de leurs
intérêts patrimoniaux ». Abondamment
controversée, l’interprétation de cette disposition soulevait de très nombreuses
difficultés, surtout après que la Cour de
cassation en avait censuré l’analyse de la
Chancellerie, en reconnaissant au juge le
pouvoir de désigner un notaire au moment
du prononcé du divorce. Le débat s’agrégeait autour de la question suivante. En
prononçant le divorce, le juge aux affaires
familiales épuise-t-il sa compétence ou
peut-il statuer sans assignation nouvelle
sur les opérations de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des anciens
époux ? La loi clarifie la situation en autorisant le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour « articuler, en cas de
divorce, l’intervention du juge aux affaires
familiales et la procédure de liquidation et de
partage des intérêts patrimoniaux des époux,
en renforçant les pouvoirs liquidatifs du juge
saisi d’une demande en divorce pour lui permettre, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la liquidation et au partage
de leurs intérêts patrimoniaux » (L. n° 2015177, art. 3, I, 1er).
Alors que la demande d’habilitation du
Gouvernement visait à l’origine à briser
la jurisprudence (Rapp. Sénat n° 288, M.
Soilihi, session ord. 2013-2014, p. 32), la
loi lui fournit l’opportunité d’exploiter
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les potentialités de la réforme de 2004,
laquelle impose au juge d’ordonner, lors
du prononcé du divorce, la liquidation
et le partage du régime matrimonial, dès
lors que ce dernier n’a pas fait l’objet d’un
règlement conventionnel global. Il est
donc à souhaiter que les dispositions futures
prévoient clairement que le juge demeurera saisi de l’après-divorce, ce qui fournira
l’économie d’une assignation en partage et,
conformément au souci de célérité irriguant
la matière, un précieux gain de temps. Restera, par ailleurs, à préciser l’étendue exacte
des pouvoirs liquidatifs du juge ainsi que
la procédure applicable (Sur les options
envisagées, V. Étude d’impact, 26 nov. 2013,
p. 63) et aux professionnels à puiser dans
les ressources textuelles afin de favoriser les
règlements amiables pendant l’instance en
divorce.
La loi poursuit, ensuite, son entreprise de
clarification sur le terrain des prestations
compensatoires sous la forme de rente viagère antérieures à l’entrée en vigueur de la
loi n° 2000-596 du 30 juin 2000. L’ancienneté de ces rentes justifie qu’elles puissent
être révisées, même en l’absence de changement important dans la situation pécuniaire
de l’une ou l’autre des parties, dès lors que
leur maintien en l’état procurerait un avantage manifestement excessif au créancier
au regard des critères restrictifs de fixation
de la prestation compensatoire sous cette
forme (C. civ., art. 276). Consacrant la jurisprudence, la loi vient ajouter, de manière
cohérente, qu’il doit être tenu compte, pour
l’appréciation de cet excès, de la durée du
versement de la rente et du montant déjà
versé (L. n° 2004-439, 26 mai 2004, art. 33,
VI, al. 1 mod. ; L. n° 2015-177, art. 7).
La loi simplifie, par ailleurs, la preuve de
la qualité d’héritier au sein des successions
légales. Afin d’éviter le coût de l’acte de
notoriété lequel peut conduire les héritiers
à renoncer à la succession, en raison de sa
modicité, et par suite aux objets personnels
du défunt, la loi crée un mode particulier
de preuve de la qualité d’héritier dans les
seules relations des successibles et de sa
banque. Le versement des sommes figurant
en compte et, pourvu que la succession
soit exclusivement mobilière et que la totalité des avoirs en compte n’excède pas un
seuil fixé par décret, la clôture du compte,
peuvent être demandés par un successible,
dès lors qu’il produit une « attestation » signée par l’ensemble des héritiers, accompagnée de son acte de naissance et de celui des
autres héritiers, de l’acte de naissance et de
décès du de cujus, par laquelle ces derniers
autorisent leur cohéritier à percevoir pour
eux les sommes figurant sur les comptes
du défunt et à les clôturer (C. monét. fin.,
art. L. 312-1-4 mod. ; L. n° 2015-177, art. 4).
Ce qui suppose que l’entente règne au sein
de l’hérédité.
Mais c’est, avant tout, la dévolution légale
qui est touchée. Le législateur supprime, à
la faveur d’un remaniement rédactionnel
en apparence anodin de l’article 745, le verrou du sixième degré dans l’ordre des collatéraux privilégiés (C. civ., art. 745 mod. ;
L. n° 2015-177, art. 3, II, 1er). Renouant
avec les dispositions antérieures à la loi du
3 décembre 2001, la modification relève, à
bien y regarder, plus de l’idéologie que de la
pratique, tant il est vrai qu’elle présuppose
une configuration familiale peu ordinaire
(M. Nicod, Succéder en ligne collatérale : Dr.
famille 2015, Repère 2).
Modernisation du droit des successions. - Le législateur modifie, enfin, directement, plusieurs secteurs du droit des successions, tels que l’attribution préférentielle
dont le domaine est étendu au véhicule du
de cujus et les actes conservatoires de l’article 784, lesquels incluent désormais ceux
liés à la rupture du contrat de travail du
salarié du particulier employeur décédé, le
paiement des salaires et des indemnités lui
étant dus ainsi que la remise des documents
de fin de contrat (C. civ., art. 784, 4° créé ;
L. n° 2015-177, art. 5).
Adaptation du formalisme du testament authentique au handicap. - Toute
autre est la refonte, en présence de certains
handicaps, du formalisme du testament
authentique. Ce dernier repose sur deux
piliers, la dictée par le testateur et la lecture par le notaire (C. civ., art. 972). Or,
cette double exigence conduisait à en interdire l’accès aux personnes atteintes de
mutité ou de surdi-mutité ainsi qu’à celles
ne maîtrisant pas la langue française. La
loi met un terme à cette discrimination.
Lorsque le testateur « ne peut s’exprimer en
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langue française », « la dictée et la lecture
peuvent être accomplies par un interprète
que le testateur choisit sur la liste nationale
des experts judiciaires dressée par la Cour
de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d’appel ».
La loi ajoute, non sans trahir une certaine
méfiance à l’égard de l’interprète, que ce
dernier « veille à l’exacte traduction des
propos tenus », et dispense le notaire d’y
« recourir (…) lorsque lui-même ainsi que,
selon le cas, l’autre notaire ou les témoins
comprennent la langue dans laquelle s’exprime le testateur » (C. civ., art. 972, mod. ;
L. n° 2015-177, art. 3, II, 2e). Lorsque le
testateur, muet, sait écrire, le testament
est rédigé par le notaire à partir des notes
écrites devant lui par le testateur. Si ce dernier peut entendre, le notaire lui en donne
lecture. Si le testateur est sourd, il en prend
connaissance en le lisant lui-même après
lecture faite par le notaire. C’est dire que
la personne muette ou sourde et muette
bénéficie désormais, pourvu qu’elle sache
lire et écrire, de la possibilité d’exprimer
ses dernières volontés par un testament authentique. L’aménagement du formalisme
préserve, en pareils cas, la relation directe
du testateur et du notaire laquelle constitue l’un des gages de la sécurité qu’offre
ce testament. Pour autant, le législateur
ouvre plus largement la possibilité d’y recourir en autorisant, lorsque la personne
sourde ou muette ne sait ni lire ou écrire,
la dictée ou la lecture du testament par un
interprète en langue des signes. L’on comprend sans difficulté le souci d’équilibre entre la nécessité d’éradiquer toute
discrimination liée au handicap et celle
de favoriser la sécurité juridique. Mais
cette dernière se trouve largement
émoussée, dès lors que la fidélité du testament aux volontés exprimées dépend,
non plus de la force probante de l’authenticité, mais de la loyauté de l’interprète (M. Grimaldi, Vive le formalisme du
testament authentique ! : Defrénois 2013, p.
245). C’est dire combien l’avenir de cette
disposition dépendra de sa réception par
la pratique, seule à même d’éviter que le
testament authentique du sourd-muet soit
relégué, avec celui du tutélaire, au rang des
avancées plus symboliques que réelles de
l’autonomie de la personne vulnérable.
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LA SEMAINE DU DROIT L’APERÇU RAPIDE
2. Le recul de la
protection de la
personne vulnérable
Recul du contrôle judiciaire de l’administrateur légal. - Le recul de la protection
s’illustre, au premier chef, sur le terrain de
l’administration légale sous contrôle judiciaire. Dans le souci évident de protéger les
intérêts du mineur, cette dernière est soumise à des règles plus coercitives que l’administration légale pure et simple. Dans celleci, « chacun des parents est réputé, à l’égard
des tiers, avoir reçu de l’autre le pouvoir de
faire seul » les actes conservatoires et les actes
d’administration. La cogestion n’est requise
que pour les actes de disposition, les actes
les plus graves impliquant en outre l’autorisation du juge des tutelles. Dans celle-là,
l’administrateur doit se pourvoir d’une autorisation judiciaire pour accomplir tous les
actes de disposition. C’est cette distorsion
entre la famille monoparentale et celle où les
parents exercent en commun l’autorité parentale qui a été dénoncée, aux motifs, d’une
part, que « le dispositif de l’administration
légale sous contrôle judiciaire apparaît aujourd’hui comme un dispositif contraignant
pour les parents et peu efficace » et que cette
« intrusion judiciaire » serait « souvent et
légitimement mal vécue par le parent survivant » et, d’autre part, qu’ « en l’absence
de recensement des familles relevant de ce
dispositif, le juge des tutelles ne [pourrait]
pas véritablement exercer son contrôle ».
« Enfin, le principe même d’un traitement
différencié » de la « famille monoparentale
paraît inadapté et stigmatisant pour celleci » (Exposé des motifs, préc., p. 5).
Aussi le législateur permet-il d’écarter le
recours systématique au juge en homogénéisant la situation juridique de tous les
parents. Si l’on comprend aisément ce souci de simplification, les raisons invoquées
à son appui et ses conséquences laissent
sceptiques. Trois options avaient été envisagées. La première consistait à « aligner
l’administration légale sous contrôle judiciaire sur l’administration légale pure et
simple en les soumettant au même contrôle
ponctuel du juge des tutelles », celui-ci
n’intervenant plus que pour les actes les
plus graves visés à l’article 389-5. La deu-
xième option tendait à rapprocher les deux
modèles tout en permettant au juge de
réserver le contrôle des actes de disposition
faits au nom du mineur. Enfin, la troisième
voie proposait de maintenir le principe de
l’autorisation du juge pour l’accomplissement de ces actes, tout en lui conférant le
pouvoir d’assouplir ce contrôle, sous certaines conditions tenant notamment à l’âge
et au patrimoine du mineur, en autorisant
une fois pour toute certains prélèvements
périodiques ou certaines opérations répétitives, voire en dispensant l’administrateur
légal de se munir d’une autorisation pour
certains actes (Étude d’impact préc., p. 19).
Cette dernière option présente l’avantage
de parvenir à un juste équilibre entre le
souci de fluidifier la gestion des biens et
la préservation des intérêts de la personne
protégée. C’est pourtant une autre solution
qui est retenue. Le législateur autorise le
Gouvernement à prendre des mesures pour
simplifier l’administration légale « en réservant l’autorisation systématique du juge des
tutelles aux seuls actes qui pourraient affecter
de manière grave, substantielle et définitive
le patrimoine du mineur » (L. n° 2015-177,
art. 1, I, 1°, a)). Pareille formulation laisse
perplexe car, à s’en tenir à sa lettre, le texte
n’entrouvre aucune modification. Les actes
visés par la loi recouvrent les actes de disposition définis à l’article 496 du Code civil et
par le décret n° 2008-1484 du 22 décembre
2008, lesquels sont applicables sous l’administration légale, si bien que l’habilitation
est sur ce point assez peu explicite. Si elle
n’exclut pas les autres options, il est fort
à craindre que la loi aboutisse à dispenser l’administrateur de l’autorisation du
juge pour l’accomplissement au nom du
mineur des actes de disposition autres
que ceux de l’article 389-5. L’on devine
sans difficultés les dangers qui accompagneraient pareille déjudiciarisation. Elle
abandonnerait au parent le pouvoir de
décider seul de l’opportunité d’accomplir
des actes, tels que l’acceptation pure et
simple d’une succession ou la constitution
d’un nantissement en garantie de la dette
d’autrui, et conduirait à éradiquer toute
prévention judiciaire des conflits d’intérêts
entre l’administrateur et son pupille. Pareil
sacrifice de la protection des mineurs serait
d’autant plus regrettable qu’il ne permet-
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trait pas d’atteindre le souci du législateur
« d’assurer un traitement égal de la gestion
[de leur] patrimoine […], quelle que soit la
configuration familiale » (Ibid.). Si elle était
consacrée, l’éviction du juge impliquerait
non seulement d’allonger la liste des actes
prévus à l’article 389-5, alinéa 3 – ce qui est
semble-t-il l’intention du Gouvernement
(J. Combret, N. Baillon-Wirtz, Qu’apporte
la loi du 16 février 2015 au droit des personnes et de la famille ? : JCP N 2015, 288)
– mais encore d’introduire un droit de surveillance ainsi qu’un droit à l’information
du parent évincé de l’administration légale.
Car, s’il lui est possible de dénoncer au juge
des tutelles ou au procureur de la République les dysfonctionnements constatés
dans la gestion des biens du mineur (C. civ.,
art. 388-3), encore faut-il qu’il soit en mesure d’en prendre connaissance et qu’il ne
soit pas décédé. L’on perçoit d’emblée que
pareille lissage des situations juridiques ne
peut pas faire l’économie d’un durcissement du contrôle a posteriori de la gestion.
Si l’on peut concevoir que la célérité des
actes soit rétive à l’exigence systématique
d’une autorisation judiciaire, l’impératif
de protection du mineur implique que le
déficit de contrôle en amont de l’acte soit
compensé par un renforcement, en aval de
ce dernier, de la vérification de la gestion.
La loi préconise ici de clarifier les règles
applicables (L. n° 2015-177, art. 1, I, 1°, b),
lesquelles gouvernent tant la protection des
mineurs que celle des majeurs. Or, sur ce
point, le renforcement du rôle de la famille
ne règlera pas toutes les difficultés et un
simple renvoi à la tutelle s’avèrera insuffisant pour contrôler la gestion de l’administrateur légal.
Création d’un dispositif d’habilitation
judiciaire intrafamilial. - La loi revient,
ensuite, sur plusieurs textes phares de la
protection des majeurs. Passons sur le
transfert de l’arrêt du budget au tuteur,
lequel relève d’un bon pragmatisme. Bien
plus important est le renforcement du primat des mécanismes alternatifs de protection. Sur ce point, la loi autorise le Gouvernement à créer un dispositif d’habilitation
en justice de la famille « d’un majeur hors
d’état de manifester sa volonté » à le « représenter ou [à] passer certains actes en son nom
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sans qu’il soit besoin de prononcer une mesure
de protection judiciaire ». La compétence du
juge des tutelles incarnera ici le bras armé du
principe de subsidiarité. Sur un plan substantiel, le mandat judiciaire se restreindra
aux seuls « ascendants, descendants, frères et
sœurs, partenaire d’un pacte civil de solidarité ou concubin, au sens de l’article 515-8 du
code civil » (L. n° 2015-177, art. 1, I, 2°). La
solution contraste au regard du principe de
priorité familiale, lequel organise une dévolution bien plus large de la mesure de protection. Si l’on devine aisément, en l’absence de
contrôle judiciaire de la gestion, les raisons
qui président à la restriction des personnes
éligibles à l’habilitation, il n’en demeure
pas moins qu’une extension aux collatéraux
ordinaires, pourvu qu’ils soient suffisamment proches de la personne, aurait été souhaitable. L’organisation d’un contrôle de la
gestion, en cas d’habilitation générale, le serait pareillement. Il conviendra, par ailleurs,
de préciser si l’empêchement de la personne
se réduit à l’altération de ses facultés (C. civ.,
art. 425), ou s’il englobe d’autres situations,
telles que l’absence. À vrai dire, la communauté d’esprit de l’habilitation intrafamiliale
avec les sauvegardes conjugales commande
de lui transposer l’interprétation dégagée
en matière matrimoniale. Là n’est donc pas
l’essentiel. Plus délicate est l’articulation de
ce mécanisme avec le mandat de protection
future. Son adéquation aux intérêts de la
personne constituera-t-elle une cause de
révocation de ce mandat (C. civ., art. 483,
4°) ? La question, cruciale, de savoir si les
prévisions du mandant demeurent solubles
à l’aune du principe de subsidiarité du droit
tutélaire ne pourra pas continuer à être éludée.
Ouverture du certificat de non-retour au
médecin traitant. - La deuxième innovation revient sur l’auteur du certificat requis
toutes les fois que l’aliénation du cadre de vie
de la personne protégée est motivée par son
accueil dans un établissement. Jusqu’à présent, cet avis devait être dressé par un médecin inscrit sur la liste du parquet (C. civ., art.
426, al. 3). Or, cette exigence s’est heurtée à
plusieurs difficultés tenant, notamment, au
coût du certificat, aux contraintes de temps
qu’emporte l’obligation de passer par un
tel médecin et au caractère superficiel du
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contrôle opéré, lequel serait souvent basé
sur les éléments fournis par la famille ellemême. Aussi, la loi transfère-t-elle l’élaboration de ce certificat à « un médecin n’exerçant pas une fonction ou n’occupant pas un
emploi » dans l’établissement d’accueil de
l’intéressé (C. civ., art. 426, dern. al. mod. ; L.
2015-177, art. 1, II, 1°) . Voilà une périphrase
bien alambiquée pour désigner le médecin
traitant puisque c’est lui qui, en pratique,
dressera ledit certificat (Rapp. préc., p. 41 et
s.) ! Pareil retour en arrière laisse songeur,
si l’on se souvient que ce médecin avait été
évincé en 2007 dans le souci d’éviter les
pressions de l’entourage. Une autre solution, plus ambitieuse, était concevable, celle
de la formation des médecins inscrits. Cette
dernière apparaît au demeurant inéluctable,
à l’aune de l’avancée que constitue le certificat médical circonstancié. L’étude d’impact
suggère d’accompagner la modification de
l’article 426 « de dispositions réglementaires
tendant à préciser le contenu de l’avis médical exigé », ce qui contribuerait à en accentuer le rapprochement avec le certificat
circonstancié et à dissiper les interrogations
légitimes des médecins en la matière (Étude
d’impact préc., p. 30 et s.).
Extension de la durée initiale de la tutelle. - La troisième innovation revient
sur la durée de la tutelle et de la curatelle.
Celles-ci ont été soumises, en 2007, à peine
de caducité, à un principe de révision tous
les cinq ans. Lors de leur renouvellement, le
juge pouvait les reconduire pour une durée
plus longue, par une décision spécialement
motivée rendue sur avis conforme d’un
médecin inscrit attestant de ce que l’état de
santé de la personne n’était pas susceptible
d’amélioration prévisible suivant les données acquises de la science et préconisant
le renouvellement de la mesure pour une
durée supérieure à cinq ans (Cass. 1re civ., 10
oct. 2012 , n° 11-14.441 : Bull. civ. 2012, I,
n° 197). La seule limite résidait dans l’interdiction de reconduire la mesure pour une
durée indéterminée. L’on sait les difficultés
suscitées par ce dispositif dues, pour l’essentiel, à la surcharge de travail engendrée pour
les juges des tutelles et à l’incompréhension
des familles dont le protégé souffre d’une
pathologie irréversible. Mais c’est, surtout,
l’incohérence de la loi qui était frappante.
Limitant la durée initiale de la mesure à
cinq ans, elle en permettait le renouvellement pour une durée plus longue affranchie
de plafond légal, de sorte qu’en pratique la
reconduction était prescrite pour une durée
supérieure à l’espérance de vie de l’intéressé.
Aussi, comprenait-on malaisément pourquoi la possibilité de prononcer la mesure
pour une durée supérieure à cinq ans ne
jouait pas aussi dès son ouverture, sous des
garanties identiques à celles prévues pour
son renouvellement. C’est cette option
que retient le législateur. Si, en principe, la
durée initiale de la protection reste limitée
à cinq ans, il la porte à dix ans pour la seule
tutelle, dès lors que se trouvent réunies les
conditions prévues pour son renouvellement au-delà du plafond initial. La disposition nouvelle fait figure de compromis. Elle
tient compte des contraintes dénoncées par
la pratique sans priver la personne du bénéfice des opportunités liées au « rendez-vous
obligatoire devant le juge » (Rapp. préc.,
p. 40). Pour autant, il convient de se garder
d’une vision par trop angélique. Nombreux
seront les majeurs qui ne profiteront jamais, en raison de leur âge ou de leur état
de santé, de ce rendez-vous ainsi qu’il
ressort très crument de l’étude d’impact
(Étude d’impact préc., p. 36). C’est peu
dire que l’esprit de la réforme de 2007 s’en
trouve ébranlé. Ce dernier est, en revanche,
davantage respecté sur le terrain de la reconduction de la protection. Lorsque celle-ci est
prononcée pour une durée supérieure à la
mesure initiale, elle se heurte désormais à
un butoir de vingt ans, lequel s’applique au
renouvellement des mesures prononcées à
compter du 18 février 2015. Il n’en demeure
pas moins que, parmi les personnes souffrant d’une altération incurable de leurs
facultés, seuls les jeunes majeurs dont l’état
de santé n’affecte pas l’espérance de vie, seront éligibles à sa révision systématique au
bout de dix ans puis tous les… vingt ans !
Quant aux mesures renouvelées pour une
durée supérieure à dix ans avant l’entrée en
vigueur de loi, elles cesseront automatiquement à l’expiration d’un délai de dix ans à
compter de cette entrée en vigueur à défaut
d’avoir été révisées avant la fin de ce délai.
Où l’on perçoit le délicat équilibre entre
l’impératif de protection et le respect des
libertés.
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 9 - 2 MARS 2015

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