Troubles alimentaires complexes à l`adolescence
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Troubles alimentaires complexes à l`adolescence
Jean-François Bélair, MD, psychiatre Caroline Drolet, B.Sc., Infirmière clinicienne Marie-Josée Ouellet, Ph.D., psychologue Mise en situation: cliente A Cliente de 17 ans ½ souffrant d’anorexie restrictive sévère depuis l’âge de 15 ans TDAH traité pharmacologiquement de 9 à 13 ans, troubles d’apprentissages associés Référée par Ste-Justine suite à 11 hospitalisations et à une perte de poids de 10kg en 1 mois suite au dernier congé Parents séparés, deux frères adultes, contexte familial orageux Harcèlement par les pairs au secondaire Mise en situation: cliente A À l’admission: Pharmacologie: Fluoxétine et Olanzapine 12 kg en-dessous de son PSS ‘Volontaire’ car ne veut pas la DPJ dans sa vie Seules choses qui l’allument: animaux et nursing Mise en situation: cliente B Cliente de 16 ans ½ souffrant d’anorexie restrictive sévère depuis l’âge de 15 ans, végétarienne depuis l’âge de 11 ans Fluctuations de l’humeur de longue date Référée par HME suite à 3 hospitalisations et à une perte de poids de 7 kg à chaque congé; perte initiale de 19kg en 3 mois au début du TA (léger surpoids prémorbide) Famille intacte, une sœur cadette, contexte familial très conflictuel et sans cadre Mise en situation: cliente B À l’admission: Pharmacologie: Aucune et refuse de considérer l’option 7 kg en-dessous de son PSS ‘Volontaire’ car ne veut pas la DPJ dans sa vie, mais très révoltée contre tout (famille, système de soins, etc) Très artistique et articulée, un peu théâtrale TA à l’adolescence Les TA apparaissent typiquement à l’enfance et au début de l’adolescence Incidence: Anorexie nerveuse: 1% de la population Boulimie nerveuse: 2-3% de la population Mortalité anorexie nerveuse: De 8 à 12% des patients Le plus fréquemment par arrêt cardiaque ou suicide TA à l’adolescence Problèmes physiques associés: Perte de densité osseuse Aménorrhée et autres problèmes endocriniens Hypokalémie Ostéopénie Dérèglements électrolytiques Problèmes du système cardiovasculaire (i.e. hypotension, arythmie cardiaque, bradycardie) Problèmes capillaires, de peau, de dentition Etc TA à l’adolescence Problèmes psychologiques associés: Anxiété/obsessions-compulsions Irritabilité Dépression, sautes d’humeur Perte d’intérêt et d’investissement dans activités appréciées auparavant Pensées et/ou actes d’auto-mutilation Problèmes cognitifs: concentration, mémoire, etc Etc TA à l’adolescence Problèmes relationnels Avec pairs: Retrait social Comparaison, compétition, etc Avec famille: Tensions et incompréhension Hypercontrôle Dépassement parental/conflits Diminution des interactions positives (repas) Avec milieu scolaire: Hyper ou hypoperformance Évitement par peur du jugement et d’être dévoilées TA à l’adolescence Coûts physiques et psychologiques associés aux TA importants et parfois irréversibles Coûts financiers très élevés en raison des hospitalisations de longue durée, fréquentes et répétées (psychiatrie et pédiatrie) Utilisation des antidépresseurs dans le trouble boulimique Évidence de niveau A avec les antidépresseurs tricycliques, mais ratio risques-bénéfices modéré Évidence de niveau A pour la fluoxétine avec un bon ratio risques-bénéfices World Federation of Societies of Biological Psychiatry (WFSBP) guidelines for the pharmacological treatment of eating disorders 2011 Utilisation du Topiramate Pour la boulimie: recommandation de type 2 Pour les troubles de l’hyperphagie boulimique (BED) évidence de niveau A WFSBP 2011 Utilisation des anti-psychotiques dans l’anorexie nerveuse • Pas d’efficacité démontrée dans traitement standard des troubles AR (étude double insu: Kafantaris et al., 2011) • Augmentation plus importante et plus rapide de l’IMC, diminution des dimensions d’anxiété et pensées obsédantes/ruminatives(deux études double-insu: Bissada et al, 2008, Attia et al, 2011) • Évidence de niveau B pour gain de poids avec l’olanzapine, et niveau C pour les autres antipsychotiques ( WFSBP 2011) Utilisation de la sertraline Dans les troubles d’hyperphagie boulimique (BED)évidence de niveau A Institut universitaire en santé mentale Douglas Programme adolescents Nos services pour troubles de l’alimentation 1. Unité d’hospitalisation psychiatrique (pavillon Stearns) 2. Hôpital de jour (pavillon Burland) 3. Clinique de transition en externe 1. Les jeunes suivis en externe ont obligatoirement d’abord reçu des soins à l’interne ou à l’hôpital de jour Continuité: psychiatre, nutritionniste, t.s., psychologue Spécifique au lieu: infirmier, éducateur spécialisé Protocole de soins pour troubles de l’alimentation Programme d’intervention intensive pour adolescents Unité d’hospitalisation psychiatrique (Pavillon Stearns) Transfert d’un milieu d’hospitalisation pédiatrique À l’étape « Stearns » du traitement, les jeunes sont encore incapables d’être en charge de leur alimentation et ont besoin d’un encadrement intensif: Personnel soignant sur l’unité Famille lors des sorties à la maison Implication de la DPJ au besoin Cliente A et cliente B ont débuté leur traitement au Stearns Lignes directrices générales pour l’application du PAI Semaine 1 Observation Supervision salle de bain Encourager la patiente PSS calculé par nutritionniste Automutilation/vomissement/comportements dangereux = Jaquette d’hôpital 24h + réévaluation par psychiatre traitant • PAI: Plan alimentaire individualisé • PSS: Poids santé statural Lignes directrices générales pour l’application du PAI Semaine 2 et plus… Doit s’alimenter selon PAI Gagner poids exigé Si poids atteint: Privilège de fds selon quelques modalités Introduction progressive d’activités supplémentaires Ex.: zoothérapie, yoga, gym, etc Si poids non atteint: Perte de privilège pour la fds Arrêt/Réflexion (A/R) ( 2 choix offerts) * La pesée 2 fois/semaine (lundi et jeudi matin) Au réveil, jaquette d’hôpital, sans «artifice» Urine du matin (quantité 200ml minimum et densité) non respect = A/R Vérification visuelle pour objet dissimulé ou automutilation (Fait par personnel féminin) Qu’est-ce que l’arrêt-réflexion ??? Aide intensive Moment pour reprendre contrôle 2 choix offerts à la pte: A/R complet (Repos au lit, 2 heures post-repas) ou 1 Boost à la fin de chaque repas + continue les activités permises * Feuille pré-rédigée pour permettre réflexion, sera regardée par inf. primaire et thérapeute individuel par la suite Exposition alimentaire familiale Partage d’un repas préparé par la famille 3 étapes: Rencontre des parents avec nutritionniste Famille/pte/nutritionniste/thérapeute familiale partagent le repas Discussion après repas *Réussite = pratique à la maison avec 1 repas* Interventions familiales Psychoéducation et interventions familiales hebdomadaires en lien avec les étapes du protocole alimentaire Outils en vue de gérer l’anxiété Améliorer les relations familiales Psychothérapie individuelle Psychologue assigné au pt Rencontre 2 fois/sem Prendre une distance face à son TA Stratégies d’exposition à ses peurs Stratégies émotionnelles et cognitives pour lutter contre l’envahissement du TA Améliorer image corporelle et estime de soi TCC, DBT, etc Cliente A Elle a commencé à reprendre le poids perdu avant son transfert Reprise de poids accompagnée de crises (coups dans les murs, etc) et d’une augmentation exponentielle d’automutilation Besoin d’aide pour porter des vêtements conformes à sa taille (voulait cacher son corps avec vêtements amples) Aucun projet de vie à part son TA Cliente A (suite) En thérapie individuelle: Difficulté à s’exprimer (émotions, motivations, pensées) et à mentaliser Difficulté à être ailleurs qu’au présent (se rappelle peu d’un état antérieur, anticipe peu conséquences) En thérapie familiale: Mère présente physiquement mais désengagée: a du mal à mettre un cadre à sa fille et à s’investir émotionnellement auprès d’elle Père impliqué à distance (ne veut pas sacrifier conjointe pour fille) Cliente B Elle a commencé à reprendre le poids perdu avant son transfert Reprise de poids accompagnée de protestations en tous genres Accepte de manger de la viande uniquement pour avoir ses congés de fin de semaine Avale la nourriture le plus vite possible, sans y goûter Dit ne pas vouloir retourner à l’école et considérer un placement Collaboration de surface Cliente B (suite) En thérapie individuelle: Très articulée, capable d’analyse Surtout dans le blâme projeté vers l’extérieur (ex.: à cause de vous, je ne peux retourner à l’école) La colère est l’émotion prédominante En thérapie familiale: Père dans une autre ville pour un an (études) Mère en montagnes russes émotionnelles et incapable d’imposer un cadre tant à elle-même qu’à sa fille Se sent souvent dépassée par ses enfants S’investit dans le traitement Leur corps va mieux, mais vont-elles mieux ? Protocole de soins pour troubles de l’alimentation Programme d’intervention intensive pour adolescents Hôpital de jour Transfert d’un milieu d’hospitalisation À l’étape «hôpital de jour» du traitement, les jeunes commencent à se responsabiliser face à leur alimentation Milieu + normalisant (ex.: pas de plateaux ou de chambre) Les clientes se réapproprient l’alimentation : Réapprennent à préparer, à déterminer des portions et à consommer de leur propre chef la nourriture Réapprennent à composer une boîte à lunch à leur goût et non au goût de leur TA Critères d’admission Diagnostic prédominant de trouble de l’alimentation sévère Maximum de 4kg sous le PSS Signes vitaux stables Capacité minimale à éviter privations et à contrôler comportements compensatoires Jeune ayant besoin de thérapie de milieu car dysfonctionnement à l’école et/ou à la maison Scolarité niveau secondaire Pas de végétarisme ou d’aversions alimentaires pour causes non médicales Modalités de traitement PAI et thérapie nutritionnelle individualisée Thérapie de groupe Image corporelle Psychoéducation Nutrition Objectifs (autonomie, etc) Yoga/Aquathérapie Exposition alimentaire 4 jours: repas cuisinés sur place 1 jour: lunch de la maison Modalités de traitement Psychothérapie individuelle Aider la jeune à peaufiner ses objectifs de traitement et à apprivoiser ses peurs Approche interpersonnelle, CBT, motivationnelle, DBT Thérapie familiale Outiller la famille à soutenir leur jeune dans la normalisation de ses habitudes de vie en général et alimentaires en particulier Assure communication entre famille et équipe soignante Scolarisation Dans une classe située dans un autre pavillon L’enseignante s’arrime avec leur milieu scolaire d’origine pour ajuster leur programme académique Possibilité d’intégration progressive dans leur école d’origine Journée-type 8:45 Accueil 9:00 École 10:30 Groupe de thérapie 11:15 Exposition alimentaire: préparation, consommation et retour sur le repas 13:00 École 14:45 Collation/retour sur journée 15:00 Thérapie individuelle ou familiale ou libre Protocole de traitement Pesée et signes vitaux hebdomadaires Supervision à la toilette après consommation de nourriture ou au besoin Journal alimentaire hebdomadaire La cliente doit manger à l’intérieur du temps prescrit La cliente doit participer à toutes les composantes du traitement (groupe, individuel, familial, etc) Possibilités de ré-hospitalisation Soit au Stearns, soit en milieu pédiatrique Signes vitaux instables Perte d’un contrôle au moins minimal face aux comportements de restriction et/ou de compensation Contrat de maintien de poids non respecté (contrats individualisés) Cliente A Avait atteint son PSS Avait besoin de généraliser ses acquis et de confronter ses peurs face à nourriture et gain de poids dans d’autres contextes Encore fragile, besoin d’encadrement intensif sinon glisse DONC référée à l’HDJ même si encore peu de contrôle interne sur son TA reçoit suivi combiné hospitalisation – HDJ avec sorties à la maison Cliente A Cycles: Fds à la maison où elle ne suit pas son PAI Début de semaine difficile car doit manger + (retours fréquents à l’unité d’hospitalisation car grève de la faim et de la soif, chute de poids, S.V. instables Automutilation/agression envers autrui Se stabilise à nouveau avant la fds Difficile d’avoir un projet de vie: Grands retards académiques Trop instable/immature pour obtenir et conserver emploi Très isolée socialement Cliente A: défis À l’aube de ses 18 ans, après maintenant 12 hospitalisations, elle est toujours en précontemplation Famille essoufflée et peu investie Pas/peu d’options d’hébergement spécialisé offrant support et encadrement pour adultes autre que: Déficience Troubles psychiatriques lourds (ex.: schizophrénie) Possibilité de scolarisation en continu difficile (santé physique fragile) Cliente A: questionnements Devrait-on commencer à la ‘traiter’ en adulte dès maintenant ? (i.e. suivi en externe à son rythme et réhospitalisations lorsque santé physique trop précaire) Processus de maturation Réalité des soins existants Devrait-on tenter une dérogation pour qu’elle ait accès aux services pour enfants plus longtemps ? Donc: viser autonomie ou encadrement externe prolongé ? Et la gestion de l’impulsivité dans tout ça ? Cliente B N’a pas accès à l’hôpital de jour car: Végétarienne A commencé le CEGEP Protocole de soins pour troubles de l’alimentation Programme d’intervention intensive pour adolescents Clinique de transition Transition vers un suivi en externe À cette étape, la jeune est suffisamment outillée pour se mettre à l’épreuve dans sa vie au quotidien Retour dans un milieu scolaire communautaire Réinsertion sociale (activités parascolaires, etc) La jeune et sa famille sont en mesure de gérer l’alimentation par eux-mêmes (avec soutien) Suivi de durée variable Transfert de suivi au référant ou dans la communauté si possible Suivi à l’externe Contrat individualisé visant le maintien de la santé Pesée et signes vitaux à toute les semaines Suivi nutrition/ thérapie individuelle/ thérapie familiale/ psychiatre Contact avec l’école si nécessaire Cliente B Suivi 1 fois/semaine avec pesée; signes vitaux; th. individuelle; th. familiale; th. nutritionnelle Au début de son suivi externe, fraude son poids et ses signes vitaux (ex.: thé noir avant examen physique), collaboration mitigée. Besoin de 4 courtes hospitalisations durant son suivi externe pour perte de poids ou idées suicidaires. Cliente B À l’avant-dernière hospitalisation: décision d’équipe de suivre cliente selon modèle type ‘adulte’: Même si sous son PSS tant que SV demeurent stables Poids minimum demandé. Prend la décision de ne plus voir son poids lors des pesées. Cliente collabore de plus en plus. Augmente progressivement ses portions par choix; s’ensuit une augmentation du poids en lien avec augmentation des « binges ». Cliente B Reste fragile mais de plus en plus honnête face à ses symptômes Accepte de débuter médication surtout pour humeur Suivi progressivement espacé À ses 18 ans, cliente va mieux; transférée à sa demande vers un service adulte Cliente B: réalisations À ses 18 ans, désire s’en sortir une fois pour toutes À son PSS, SV stables, ‘binges’ sporadiques Mère positivement investie auprès de sa fille, père + présent Désir initial de placement disparu A terminé son secondaire et débuté CEGEP dans programme qu’elle adore A un copain pour la première fois de sa vie Cliente B: questionnements Le végétarisme devrait-il être toléré auprès de la clientèle TA ? À partir de quand utilise-t-on un modèle de traitement plus ‘adulte’, i.e. moins encadrés avec attentes et objectifs précis, vs des soins plus pédiatriques, plus encadrés ? Défis futurs Protocole de recherche pour évaluer empiriquement notre protocole de soins Temps d’hospitalisation adéquat pour reprendre le contrôle physique/psychologique sur le TA tout en continuant d’investir une vie hors du milieu hospitalier Accessibilité de l’hôpital de jour ou de différentes modalités de traitement pour des jeunes végétariennes ou fréquentant le CEGEP Possibilité, pour des adolescentes plus âgées, d’avoir accès à hébergement spécialisé (ex.: soutien au plan des repas, travail vers l’autonomie, etc) Merci ! Questions ?