de l`évaluation - Gestion et Finances Publiques

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de l`évaluation - Gestion et Finances Publiques
lolf et modernisation
Des politiques publiques
à la performance de l’Etat :
la nouvelle ambition
de l’évaluation
Le vote discret de la loi organique relative aux lois de finances
(LOLF) le 1er août 2001 (1) ne laissait pas imaginer la richesse de
ses incidences sur l’organisation des pouvoirs publics (2). En réalité, au-delà d’une réforme budgétaire essentielle, l’application
complète du texte depuis le 1er janvier 2006 aura abouti à une
refonte majeure des structures (3) étatiques déjà concernées par
un ambitieux programme de modernisation (4).
Christophe SINNASSAMY
Si l’entrelacement des deux problématiques était prévisible,
leurs interactions sont aujourd’hui telles que l’on ne parvient plus
vraiment à distinguer ce qui relève de la réforme budgétaire, et
ce qui se rattache à la réforme de l’Etat. Ce dernier connaît
d’importants soubresauts, partagé entre des modes traditionnels
ancestraux de fonctionnement et d’autres modes opératoires
plus innovants qui laissent une place croissante aux techniques
d’évaluation des politiques publiques.
Membre du Centre d’études et de recherches
en finances publiques et fiscalité
(CERFF - université Lyon-III)
Chercheur à l’Institut du droit de la paix
et du développement
(université de Nice - Sophia-Antipolis)
La notion de politique publique apparaît au début des
années 1980. A cette période, l’action de l’Administration initialement apparentée au service public (5) se transforme tandis que
les pratiques d’externalisation imposent progressivement de
dissocier les tâches régaliennes de celles pouvant être sous-traitées. Les politiques publiques portent en elles ce caractère restrictivement étatique, à l’origine d’une forme de puissance
publique et sont insusceptibles à ce titre d’être concédées ou
déléguées à des partenaires privés. Leurs modalités d’évaluation
se concrétisent par des outils diversifiés d’aide à la décision pour
mieux cerner le champ d’intervention de l’Etat : tels sont les cas
d’évaluations ex ante (faisabilité et pertinence d’un programme
envisagé), d’examens à mi-parcours (réorientation, recadrage
éventuel) ou d’analyses ex post (études d’impact).
de performance et des valeurs cibles pour les années à venir.
Présentés comme un instrument de lisibilité et de pilotage de la
dépense publique, même sans véritable « pluriannualité budgétaire », les objectifs sont autant d’instruments de mesure d’efficacité socio-économique pour le citoyen, de qualité de service
pour l’usager et d’efficience de gestion pour le contribuable : trois
rôles indissociables qui, depuis de nombreuses années, étaient
pourtant relégués à l’arrière-plan du débat financier public.
La LOLF bouleverse l’édifice administratif en remodelant la physionomie classique du droit budgétaire. Depuis le 1er janvier 2006,
son impact est majeur, qu’il s’agisse de l’évolution des principes
d’évaluation (13) ou de l’élargissement du référentiel qui les
Au cœur de la mise en place de la LOLF, la transformation des
règles du droit budgétaire en véritables principes de gestion
publique stimule la pratique de l’évaluation des politiques publiques (6). Celles-ci sont d’ailleurs assujetties à un corpus de
contraintes macroéconomiques dans une période où l’action de
l’Etat est altérée par l’aggravation du déficit budgétaire. L’efficience des dépenses publiques (7) prend indéniablement une
nouvelle dimension. Le passage d’une culture de moyens à une
culture de résultats (faire autant – voire plus – avec moins de
ressources) devient un but incessant (8), érigeant l’évaluation en
nouveau mécanisme d’optimisation économique.
(1) Loi organique nº 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (JO du
2 août 2001, p. 12480), modifiée par la loi organique nº 2005-779 du 12 juillet 2005 (JO
du 13 juillet 2005, p. 11443).
(2) V. Chanut, « L’évaluation : affaire d’Etat ou question d’organisation ? », Politiques
et management public, nº 4, vol. 20, décembre 2002, p. 1.
(3) S. Jacob, « La volonté des acteurs et le poids des structures dans l’institutionnalisation de l’évaluation des politiques publiques », Revue française de science politique,
nº 5-6, vol. 55, octobre-décembre 2005, p. 835.
(4) L. Rouban et J. Ziller, « De la modernisation de l’administration à la réforme de
l’Etat », Revue française d’administration publique, nº 75, juillet-septembre 1995, p. 345.
(5) Sur la conception française du service public, voir M. Guenaire, « Le service public
au cœur du modèle de développement français », Le Débat, nº 134, mars-avril 2005,
p. 52.
(6) Voir sur cette question le rapport d’information nº 392 de J. Bourdin, P. André
et J.-P. Plancade sur l’évaluation des politiques publiques en France adopté par la délégation du Sénat pour la planification le 29 juin 2004.
(7) Se référer au rapport d’information de l’Assemblée nationale nº 765 de P. Méhaignerie et G. Carrez, relatif au contrôle des dépenses publiques et à l’amélioration des
performances de l’Etat et publié le 2 avril 2003.
(8) « Dans le contexte actuel de rigueur budgétaire et de maîtrise du niveau des
dépenses publiques posé par la construction communautaire, l’action publique ne peut
plus être investie d’une excellence de principe comme elle l’a jusqu’à présent été. Il est
en effet nécessaire que la dépense soit utilisée de manière efficace. La puissance
publique doit apporter la démonstration tangible de la pertinence de son action par
l’analyse concrète de ses effets. Dès lors, on comprend l’intérêt que représente l’adoption d’une démarche évaluative dont l’objet est précisément de mesurer les effets d’une
politique publique et d’évaluer l’efficacité qui a été faite de la dépense », in A. MaucourIsabelle, La rénovation des pouvoirs budgétaires du Parlement sous la Ve République,
Dalloz, 2005, p. 207.
(9) P. Hassenteufel et A. Smith, « Essoufflement ou second souffle ? L’analyse des
politiques publiques "à la française" », Revue française de science politique, nº 1, vol. 52,
février 2002, p. 53.
(10) C. Dorival, « Souriez, vous êtes évalués », Alternatives économiques, nº 216,
juillet-août 2003, p. 79.
(11) J. Bourgault, « La mise en œuvre de la gestion axée sur les résultats : leçons
tirées de l’expérience québécoise », Revue française d’administration publique, nº 109,
2004, p. 127.
(12) J.-J. François, « Des services publics performants c’est possible », La Revue du
Trésor, nº 2, février 2005, p. 93.
(13) M. Baslé, « L’économie de la loi organique du 1er août 2001 et l’évaluation. La
théorie, les premières pratiques, l’approfondissement nécessaire du lien entre évaluation et procédure budgétaire », Constitution et finances publiques, Economica, 2005,
p. 265.
Le contexte international aura aussi justifié la réorientation des
politiques publiques : la mondialisation a décloisonné, estompé
les frontières et ouvert de nouvelles sources de rivalités entre
Etats. Or elle n’a pas eu que des effets négatifs sur la définition
du périmètre étatique car l’apparition de prestataires privés étrangers, reliée à une recomposition de la concurrence, aura en
définitive permis de circonscrire le périmètre régalien au juste
nécessaire.
Enfin, d’autres exigences sociales peuvent expliquer cette
volonté de rentabiliser les deniers publics en présentant l’évaluation comme un moyen de légitimation de l’action publique. En
France (9), l’Administration demeure un bien public aux reflets
multiples, différemment perçus par la Nation successivement assimilée aux usagers, aux citoyens et aux contribuables (10). C’est ce
qui explique que l’orientation de la dépense budgétaire vers des
résultats (11) et l’implication sans précédent du Parlement dans
le débat budgétaire conduisent à initier une démarche de performance inédite (12) pour justifier le bien-fondé de toute forme
d’action administrative.
Chacun des 132 programmes du budget général se trouve
associé à une stratégie, un ensemble d’objectifs, des indicateurs
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encadre. Mais au cœur d’une reconfiguration des axes d’administration publique, à l’occasion de la mise en œuvre effective de
l’évaluation des politiques publiques (14), certains autres effets
novateurs pourraient parvenir à se diffuser dans les modes de
fonctionnement de l’Etat (15).
« finances publiques » prévues à l’article 57 serait singulièrement
réductrice. L’esprit de la LOLF, différent, ne souhaite pas réduire
le domaine d’évaluation aux seules lois de finances. La LOLF prend
en considération le caractère transverse des finances publiques,
c’est-à-dire l’ensemble des aspects relatifs aux finances (25) de
l’Etat pour parvenir à mesurer l’efficacité de toutes les politiques
publiques (26). La notion de « finances publiques », domaine de
l’évaluation, recouvre donc non seulement les lois de finances
mais aussi les politiques budgétaires et fiscales. C’est une rupture
évidente dans les principes jusqu’à présent suivis au terme desquels le contrôle de l’exécution des lois de finances ne se fondait
que sur les sommes dépensées dans le cadre d’un budget voté
annuellement.
Le principe d’évaluation
des politiques publiques :
une démarche extensive
d é m a r c h e
En se fondant sur la LOLF qui transforme les finances publiques
en gestion publique, la question budgétaire pourrait aussi passer
d’une approche procédurale à une approche managériale (27).
Le principe d’une évaluation plus ambitieuse s’insère dans la
reconnaissance formelle de la gestion publique en tant que politique publique. Cette situation était prévisible puisqu’au cours des
vingt dernières années, les techniques budgétaires qui avaient
conduit à marginaliser le rôle du Parlement n’étaient pas fondées
sur le principe de « bonne dépense ». En effet, les services votés
– ou budgets de reconduction – ne témoignaient-ils pas du
manque d’égard manifesté aux contribuables et citoyens (28) ?
Un référentiel progressivement adapté
La doctrine d’évaluation des politiques publiques s’est affinée
depuis son apparition dans le rapport Deleau en 1985 (16) : à
l’époque, elle se limitait à une mesure des effets. Le rapport
Viveret (17) [1989] fait évoluer le concept en y associant l’estimation de leur valeur qui n’est, à l’époque, pas encore qualifiée de
« valeur ajoutée ».
Complétant ces aspects doctrinaux, l’ordonnancement juridique est aussi venu préciser le principe d’évaluation. D’un point
de vue réglementaire d’abord, avec l’important décret du 22 janvier 1990 (18). Le texte énonce ainsi qu’évaluer une politique,
« c’est rechercher si les moyens juridiques, administratifs ou financiers mis en œuvre permettent de produire les effets attendus
de cette politique et d’atteindre les objectifs qui lui sont fixés ».
Quelque temps après, le décret du 18 novembre 1998 (19), à l’origine de la création du Conseil national de l’évaluation, aura forgé
une autre définition en abrogeant le premier texte : « l’évaluation
d’une politique publique (...) a pour objet d’apprécier, dans un
cadre interministériel, l’efficacité de cette politique en comparant
ses résultats aux objectifs assignés et aux moyens mis en œuvre »
(art. 1er). Il faut bien reconnaître la qualité de cette définition qui
présente l’avantage de reprendre l’ensemble des paramètres
d’une bonne appréciation : objectifs, effets constatés (20) et efficacité mesurée compte tenu des moyens mis en œuvre (21). Il
s’agit sans doute ici d’une première approche d’un bilan coûtavantage (bilan économique) de l’action des pouvoirs publics (22).
L’exigence de bonne gestion des finances publiques, dans un
environnement de ressources plafonnées et dans un cadre supranational communautaire contraint, a donc appelé à la promotion
de nouvelles techniques. Venues du secteur privé, ces dernières
ont progressivement pris toute leur place en gestion
publique (29), qu’il s’agisse du contrôle de gestion, du management par objectifs ou de la généralisation de systèmes d’analyse
des coûts.
La modernisation de la gestion publique est donc lancée, reposant sur « l’utilisation d’outils d’aide à la décision, l’informatisation
de certaines tâches ou procédures administratives ou encore le
recours à la publicité pour communiquer avec le public (30) ». Mais
c’est sans doute parce que l’infortunée RCB s’était fondée sur les
mêmes socles qu’il a paru prudent de consolider l’édifice par une
norme organique. Voilà une garantie opportune qui devrait
(14) J.-C. Thoenig, « L’évaluation, source de connaissances applicables aux réformes
de la gestion publique », Revue française d’administration publique, nº 92, octobredécembre 1999, p. 681.
(15) J. Leca, « L’évaluation dans la modernisation de l’Etat », Politiques et management public, nº 2, vol. 11, juin 1993, p. 165.
(16) J.-P. Nioche (dir.), M. Deleau, P. Penz et R. Poinsard, Evaluer les politiques
publiques : méthodes, déontologie, organisations, rapport du groupe de travail
« Méthodes d’évaluation des politiques publiques », Commissariat général du Plan, La
Documentation française, 1986.
(17) P. Viveret, L’évaluation des politiques et des actions publiques. Propositions en
vue de l’évaluation du revenu minimum d’insertion, rapport au Premier ministre, La
Documentation française, 1989.
(18) Décret nº 90-82 du 22 janvier 1990 relatif à l’évaluation des politiques publiques
(JO du 24 janvier 1990, p. 952) modifié par le décret nº 90-470 du 7 juin 1990 (JO du
10 juin 1990, p. 6813).
(19) Décret nº 98-1048 du 18 novembre 1998 relatif à l’évaluation des politiques
publiques (JO du 20 novembre 1998, p. 17531).
(20) En particulier, voir B. Perret, L’évaluation des politiques publiques, collection
« Repères », La Découverte, 2001, p. 4.
(21) Sur la relations entre les moyens (matériels et humains) mis en œuvre et le coût
final « de production » des politiques publiques, voir J. Chevallier, L’Etat postmoderne,
LGDJ, 2003, p. 67 : « le management public visera à améliorer la "performance publique"
en permettant à l’Administration d’atteindre les objectifs qui lui sont assignés à un coût
minimal ».
(22) E. Monnier, Evaluations de l’action des pouvoirs publics, Economica, 1992,
p. 106.
(23) « Les lois de finances déterminent, pour un exercice, la nature, le montant et
l’affectation des ressources et des charges de l’Etat, ainsi que l’équilibre budgétaire et
financier qui en résulte. Elles tiennent compte d’un équilibre économique défini, ainsi
que des objectifs et des résultats des programmes qu’elles déterminent ».
(24) « Le processus d’évaluation ne sera pleinement achevé que le jour où il pourra
alimenter le débat démocratique. Et il faudra, alors, qu’il débouche sur le contrôle du
Parlement », in J.-L. Quermonne, L’appareil administratif de l’Etat, Seuil, 1991, p. 291.
(25) P. Avril, « Le contrôle des finances de l’Etat : le rôle et l’avenir de l’Office
d’évaluation des politiques publiques », L’exercice du pouvoir financier du Parlement,
Economica, 1996, p. 101.
(26) Dans ce sens, voir J.-P. Duprat, « Le Parlement évaluateur », Revue internationale
de droit comparé, nº 2, 1998, p. 567.
(27) M.-L. Djelic, « L’arrivée du management en France : un retour historique sur les
liens entre managérialisme et Etat », Politiques et management public, nº 2, vol. 22, juin
2004, p. 1.
(28) M. Bouvier, « La grande transformation des finances publiques : une nouvelle
alliance du citoyen et de l’Etat », Revue française de finances publiques, nº 90, mai 2005,
p. 3.
(29) C. Sinnassamy, « Gestion publique – gestion privée : un rapprochement d’utilité
publique ? », La Revue du Trésor, nº 6, juin 2004, p. 360.
(30) P. Hussenot, La gestion publique par objectifs, Editions d’organisation, 1983,
p. 24.
La LOLF témoigne, quant à elle, du dépassement d’un objectif
initial qui n’a pas été seulement de remplacer l’ordonnance de
1959 par une redéfinition des règles du droit budgétaire en
termes de préparation, de vote, d’exécution et de contrôle du
budget de l’Etat. Comme le prévoit son premier article (23), l’esprit
du texte est plus ambitieux, souhaitant autant traduire la volonté
d’inscrire l’action publique dans une perspective de performance
économique que de chercher à étendre le rôle du Parlement (24)
à de nouveaux domaines. Le principe de l’évaluation reprend donc
toute sa place comme en témoigne l’article 7 énonçant que le
contenu des programmes au sein d’une même mission doit être
associé à des objectifs précis, définis en fonction de finalités
d’intérêt général, ainsi qu’à des « résultats attendus et faisant
l’objet d’une évaluation ». Cette disposition qui conduit à une
promotion de l’évaluation au niveau constitutionnel (celui des lois
organiques) emporte en définitive une autre extension manifeste : celle du domaine de l’évaluation.
Un domaine récemment développé
Le texte organique, en particulier par son article 57, élargit
considérablement le domaine de l’évaluation, grâce à des commissions parlementaires qui « suivent et contrôlent l’exécution
des lois de finances et procèdent à l’évaluation de toute question
relative aux finances publiques ». Associé au traditionnel
« contrôle » des finances publiques (titre V, chapitre II), le principe
d’évaluation connaît donc une nouvelle dimension à travers la
consécration formelle de la jonction des deux fonctions.
Mais il serait inexact d’imaginer que le cadre général de l’évaluation des politiques publiques ne se limite qu’aux crédits inscrits
en lois de finances : dans cette hypothèse, l’image donnée aux
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permettre de combattre l’immobilisme des structures et des
esprits et grâce à laquelle la mise en œuvre concrète de l’évaluation des politiques publiques pourrait sans doute plus facilement
évoluer.
ambitieux à moyen terme, dans le contexte d’une plus grande
maturité de l’exercice du fait de l’appropriation des principes par
de nouveaux acteurs.
Tel est d’abord le cas de la loi de règlement promise à une
« nouvelle destinée » par l’article 54 (al. 4) de la LOLF. A partir des
résultats obtenus par chaque programme ministériel, le texte dispose que les rapports annuels de performance devront identifier
les écarts avec les prévisions initiales mentionnées dans les PAP.
Il s’agit d’une innovation majeure. Par le passé, le vote de la loi de
règlement n’avait jamais retenu l’attention des parlementaires ni
celle du Gouvernement. Ainsi, dans le cadre de l’entrée en vigueur
de la LOLF, l’instrument juridique qu’est la loi de règlement promettra donc de se renforcer considérablement. N’est-ce pas en
effet à ce stade que la performance des politiques publiques sera
constatée et, le cas échéant, que les axes d’évolution pour les
exercices suivants seront définis ?
La pratique d’appréciation
de la performance publique :
une approche progressive
a p p r o c h e
La démarche de performance
La LOLF donne une forte impulsion à la gestion budgétaire qui
devient soumise à des critères de performances prenant la forme
d’indicateurs mentionnés à de nombreuses reprises (art. 48, 51,
54). Le constat est simple : la logique de dépense systématique,
ruineuse pour la France, a trop longtemps conduit à considérer
qu’un bon budget était toujours un budget qui augmentait. Cette
approche est aujourd’hui révolue. L’un des enjeux de la LOLF est
de faire passer l’Etat d’une culture de moyens à une culture de
résultats (31) ; ces derniers doivent être mesurables – et mesurés –
afin d’évaluer la performance des politiques publiques mises en
œuvre par l’Administration.
C’est ensuite la mise en place d’un système d’information plus
complet. L’article 27 de la loi mentionne que l’Etat doit « mettre
en œuvre une comptabilité destinée à analyser le coût des différentes actions engagées dans le cadre des programmes ». Cette
analyse du coût des actions (en tant que sous-ensembles des
programmes ministériels) ne doit pas pour autant être confondue
avec la comptabilité analytique, plus classique et beaucoup plus
ambitieuse (directement dérivée du secteur privé). L’exigence
prescrite par la LOLF consiste, dans un premier temps, à identifier
les actions dites « de soutien » qui reposent sur des fonctions
transverses (tâches de support). Vient ensuite l’étude complète
de leurs modalités respectives de déversement sur des actions
« soutenues » pour s’approcher d’un coût complet (même
approximatif) de chaque politique publique.
Les nouveaux échelons budgétaires deviennent les leviers de
cette démarche, qu’il s’agisse des missions (entendues en tant
que politiques publiques) ou des programmes ministériels qui servent de cadre à l’établissement les projets annuels de performance (PAP). Les PAP, joints à la loi de finances initiale, retracent
la performance de l’exercice précédent et présentent les objectifs
de l’année à venir lors de la mise en œuvre de chaque programme.
Ils sont accompagnés d’objectifs généraux, d’indicateurs et de
valeurs cibles afin de rendre les mesures plus objectives. Les rapports annuels de performance (RAP) joints à la loi de règlement
mesurent les écarts entre les prévisions (PAP) et les réalisations.
La comparaison des données sur les mêmes bases permet in fine
d’analyser les résultats pour tenter de redresser les écarts. Cette
approche « prévision-réalisation », qui s’inspire des techniques de
contrôle de gestion, favorise l’identification des dérives de gestion
et la mise en place d’actions correctives pour les exercices ultérieurs.
Enfin, en termes d’évaluation, il ne faudrait pas oublier le rôle
de nouveaux acteurs (33) à l’image du Comité interministériel
d’audit des programmes (CIAP). Créé en 2002, présidé par un inspecteur général des finances nommé par le ministre de l’Economie, le CIAP est un organisme interne à l’Administration composé d’inspecteurs généraux désignés par chaque ministère. En
amont des projets de lois de finances (soit avant le dépôt du projet
de loi de finances au Parlement), le CIAP contrôle la qualité des
programmes proposés par les ministres. L’année suivant l’exécution budgétaire, avant le dépôt au Parlement de la loi de règlement, le CIAP procède à l’audit des rapports annuels de performance remis par les ministères en garantissant ainsi la fiabilité des
résultats et l’objectivité des commentaires qui les accompagnent.
Le CIAP se présente donc comme un élément important du dispositif d’évaluation de toutes les politiques publiques. Toutefois,
seule une analyse rétrospective à moyen terme de son activité de
« revue de programmes » permettra de mesurer la portée effective de son action.
Ce nouveau système séduit tant par son caractère prometteur
que ses perspectives de « modernisme administratif ». Malheureusement, l’inertie inhérente à l’ancien régime de fonctionnement
des administrations transparaît encore souvent lors de la mise en
place des crédits, ce qui confirme la difficulté de transformer
rapidement l’intégralité des processus. La définition des indicateurs (32) de performance en témoigne. Devant les exigences de
Bercy, les responsables de programme ont produit de nombreux
indicateurs à l’appui de l’élaboration de leurs PAP respectifs. Avec
un certain recul, bon nombre d’entre eux reflètent davantage
l’exercice d’une activité exercée – et sont donc des indicateurs
d’activité – plutôt qu’un véritable engagement de performance.
0
Vecteur prééminent des principes de réforme de l’Etat, la nouvelle dimension de l’évaluation des politiques publiques conduit
ainsi, aujourd’hui, à s’interroger sur l’avenir réservé à l’ancien triptyque « politique-administration-gestion ». Depuis la fin des
années 1970, sans doute plus encore depuis l’échec constaté de
la RCB, chaque acteur avait un domaine réservé. Le monde politique définissait les grandes lignes de la politique budgétaire servie
par une succession de lois de finances (34) ; l’Administration les
mettait en œuvre dans un contexte de ressources financières et
La logique de fonctionnement de la LOLF n’est donc pas intégralement prise en compte au sein de ces sous-ensembles sans
pour autant qu’il faille s’en inquiéter. En réalité, il n’est pas facile
d’identifier des critères objectifs de mesure d’efficacité des structures alors que l’on n’en détient pas soi-même tous les leviers de
la démarche. La dépendance de contraintes externes (plafonnement de la masse salariale, régulation budgétaire, mise en réserve
de crédits) contribue en pratique à déposséder les administrations
d’une partie de leurs objectifs tout en perturbant la mise en
œuvre de leurs propres stratégies. La mesure de la performance
pourrait en être affectée.
(31) En particulier se référer à H. Guillaume, G. Dureau, F. Silvent, Gestion publique.
L’Etat et la performance, Presses de Sciences Po, Dalloz, collection « Amphi », 2002,
p. 83.
(32) R. Poli, « Les indicateurs de performance de la dépense publique », Revue
française de finances publiques, nº 82, juin 2003, p. 109.
(33) F. Mordacq, « Nouveaux acteurs de la gestion publique et responsabilité », Revue
française de finances publiques, nº 92, novembre 2005, p. 71.
(34) « L’analyse des politiques publiques permet de porter un nouveau regard sur
le politique. S’agissant de la France, elle conduit notamment à s’interroger sur la pérennité de ce que l’on peut appeler le modèle français de politiques publiques fondé sur
la concentration de l’expertise technique légitime au sein de l’Etat, le contrôle de
l’agenda politique par l’élite politico-administrative, le rôle moteur de l’Administration
dans le développement économique et la fragmentation des systèmes de représentation dans une logique sectorielle », in P. Muller, Les politiques publiques, Que sais-je ?
PUF, 5e édition, 2003, p. 121.
La mesure de la performance
Au cours de l’année 2006, la mise en œuvre de la démarche
de performance doit efficacement contribuer à une évaluation
rénovée des politiques publiques. Ses enjeux sont sans doute plus
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humaines mal maîtrisées ; enfin, de manière trop restrictive, la
culture de gestion n’était répandue qu’au sein de peu d’entités
aux pouvoirs contraints.
pourraient conduire à des transferts du niveau central au niveau
déconcentré, conduisant ainsi à l’élargissement de contrats
d’objectifs négociés. Enfin, l’évolution des règles de gestion des
ressources humaines pourrait aussi permettre d’infléchir les
modes classiques d’administration des personnels face aux nouvelles opportunités offertes aux responsables de programme par
la globalisation des crédits de masse salariale (titre II LOLF). L’enjeu
serait de privilégier – enfin – la véritable gestion des compétences.
La réforme de la gestion publique portée par la LOLF semble
mettre fin à cette séparation qu’aucune logique managériale ne
venait au fond objectivement justifier. En diffusant un esprit
moderne de management public, sous réserve du renoncement
aux anciennes pratiques, la LOLF devrait donc contribuer à rapprocher l’environnement politique (les parlementaires), le monde
administratif (les ministères) et la gestion (techniques de pilotage,
systèmes d’information). L’efficacité des politiques publiques est
à ce prix, puisqu’il faut aujourd’hui admettre qu’une scission
étanche de trois domaines n’a jamais réellement prédisposé à la
consolidation pérenne des modes de fonctionnement.
« L’Etat centralisé et historiquement administratif qui, à
certains égards, était une exception française, n’est plus
aujourd’hui en phase avec l’environnement sociologique de l’univers occidental (36) ». La complexité de l’action publique mêlée à
l’extrême diversité des attentes sociales rend donc le débat
complexe. Que ce soit au plan international ou au plan national,
l’Etat n’apparaît plus comme le producteur unique et historique
de la Nation. Il se trouve aujourd’hui en équilibre instable, oscillant
entre gouvernance publique (37) et secteur productif privé. L’évaluation (38) des politiques publiques dont on sait qu’elles incarnent le cœur régalien de l’Etat pourrait donc devenir le meilleur
– et le seul – moyen de mesurer sa performance. Et ce qui se
mesure s’améliore...
Cependant, bien qu’à l’origine d’une réingénierie de tous les
processus financiers de l’Etat, la réforme budgétaire ne doit pour
autant pas être surestimée. Si l’évolution répond vraisemblablement aux attentes de la collectivité, sa pratique peut néanmoins
faire redouter l’enlisement relatif des objectifs. Il s’agit en particulier du périmètre des programmes ministériels qui restent
encore soumis aux aléas politiques. Ils sont donc susceptibles
d’évoluer à la faveur d’un remodelage des portefeuilles ministériels (35). Voilà sans doute un paradoxe qui rappelle que le caractère politique, déterminant pour l’adoption de la LOLF, pourrait
aussi conduire à sa propre limitation.
쏋
(35) « Ne serait-il pas de bonne administration de profiter du futur remaniement
pour commencer l’adaptation de la structure du Gouvernement à cet élément fort de
la réforme de l’Etat qu’est la LOLF ? Petit à petit, une structure quasi permanente de
Gouvernement pourrait ainsi voir le jour et faciliter la lisibilité et l’efficacité des politiques
publiques », in M. Lascombe et X. Vandendriessche, « La réforme de l’Etat, réforme du
gouvernement », Actualité juridique – droit administratif, 29 mars 2004, p. 617.
(36) J.-P. Lassale, « De l’Etat-administratif à l’Etat-stratège », Revue française de
finances publiques, nº 73, janvier 2001, p. 88.
(37) B. Perret et S. Trosa, « Vers une nouvelle gouvernance publique ? La nouvelle
loi budgétaire, la culture administrative et les pratiques décisionnelles », Esprit, février
2005, p. 65.
(38) J.-P. Thoenig, « L’évaluation en acte : leçons et perspectives », Politiques et
management public, nº 4, vol. 20, décembre 2002, p. 33.
Des lignes d’approfondissement, des pistes de réflexion se
dessinent aussi en n’excluant d’ailleurs pas d’autres difficultés.
Dans le cadre de l’établissement des stratégies ministérielles de
réforme, le thème de l’externalisation ne manquera pas de
ressurgir encourageant chaque ministère à sortir du dilemme
« faire ou faire-faire ? ». Parallèlement, certains redéploiements
Bibliographie
Le financement de l’économie
Collection « Cahiers français » nº 331
sous la direction de Benoît FERRANDON et Olivia MONTEL
Avec le développement et l’internationalisation des marchés de capitaux, le financement de l’économie
connaît d’importantes mutations depuis deux décennies.
Ce numéro étudie le processus de la mondialisation financière, ses nouveaux acteurs et la régulation nécessaire pour faire face à de nouvelles menaces de crises financières.
Après un tour d’horizon des systèmes existants en matière de financement de l’économie, les différents articles de ce
numéro des « Cahiers français » montrent le rôle de premier plan que jouent aujourd’hui les marchés financiers dans la
mise en relation entre offreurs et demandeurs de liquidités. Ils montrent aussi les effets de l’ouverture des frontières,
notamment l’accroissement de la concurrence.
Ces transformations ont mis en avant de nouveaux acteurs : des organisations spécialisées dans l’intermédiation de
marché et la fourniture de nouveaux services – les investisseurs institutionnels –, ainsi que des métiers centrés sur la
production et le contrôle de l’information financière.
Malgré ses aspects positifs, le développement des flux de capitaux, parfois non maîtrisé, soumet les économies et leurs
agents à des menaces inédites et font naître un certain nombre d’inquiétudes. Les crises financières récurrentes depuis
deux décennies témoignent du caractère instable des systèmes actuels. La problématique de la régulation est donc plus
que jamais d’actualité.
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Tél. 01 40 15 70 00 - Fax 01 40 15 72 30
Site internet : www.ladocumentationfrancaise.fr - 96 pages - Prix : 9,50 c
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86e année - nº 7 - juillet 2006