Droit pénal : Le contradictoire dans le procès pénal

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Droit pénal : Le contradictoire dans le procès pénal
Droit pénal : Le contradictoire dans le procès pénal
Corrigé élaboré par Jérémie Dilmi © ISP 2016
Introduction :
Accroche : Pour que la vérité puisse être dite (issu du latin, veredictum, véritablement dit), elle
nécessite d’être véritablement contredite car c’est à la croisée des arguments des parties qu’elle
trouvera à s’exprimer. S’il est d’abord l’affaire des parties, le contradictoire n’en rejoint pas moins
l’office du juge tant il trouvera encore à s’exprimer dans le verdict (ou la « vérité-dite »).
Fondements juridiques : Principe directeur du procès pénal, expressément consacré par le Code de
Procédure pénale en son article préliminaire disposant que : « La procédure pénale doit être
équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties » ; le contradictoire est un
principe général du droit (CE Ass., 13 décembre 1968, Association Syndicale des propriétaires de
Champigny-sur-Marne), à valeur constitutionnelle (C. Const., déc. 76-70 DC du 2 décembre 1976, loi
relative au développement de la prévention des accidents du travail). Participant au concept plus
large de procès équitable (article 6§1 CESDH) et irriguant ipso facto toute la procédure pénale, il
apparait moins comme l’expression d’un droit que comme la traduction d’autres notamment ceux
issus des droit de la défense.
Délimitation et définition des termes du sujet : Le principe du contradictoire demeure
traditionnellement associé à la phase du jugement et notamment à ses débats. Défini à ce stade, le
contradictoire se comprend en tant que possibilité de connaître et de discuter toutes les pièces et
observations présentées devant le tribunal, d’une part, et à la faculté pour chaque partie d’avancer
les éléments qui lui semblent nécessaires au succès de ses prétentions, d’autre part. Pourtant, ce
serait entendre de façon restrictive le sujet dont le terme « procès pénal » invite à s’interroger à la
fois la phase de jugement mais aussi la phase préalable. Dans cette dernière phase, ce principe
précise – ici plus qu’ailleurs – les relations entre les parties lesquelles s’engagent davantage sous
l’angle du débat contradictoire avec le Juge d’instruction là où elles s’apprécient plutôt sous l’angle
de l’égalité des armes avec le Ministère public. A priori, le déséquilibre semble manifeste si l’on
songe au moyens dont dispose ce dernier à l’aune de ceux des autres parties (gardé à vue, mis en
examen, prévenu, accusé, etc.). Monsieur le Professeur Philippe Conte évoquait à cet égard la lutte
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du « pot de fer » (l’accusation portée par l’émanation de la société) contre le « pot de terre » (la
défense sous le visage d’un simple particulier) comme pour traduire, par métaphore, le déséquilibre
inhérent entre les parties en présence.
Si tous s’entendent pour renforcer le contradictoire dans la phase préalable (enquête de police),
d’aucuns s’opposent, en revanche, sur les modalités (rapport Nadal Jean-Louis Nadal du 28
novembre 2013 à comp. avec le rapport Jacques Beaume du 10 juillet 2014 1) pour y parvenir de sorte
que, faute de consensus, les avancées législatives demeuraient des vœux pieux. Toutefois, la loi
n°2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen
et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures
pénales est venue apporter des avancées significatives même si l’accès au dossier pendant la mesure
de garde-à-vue demeure, à ce jour, un point d’achoppement de la réforme.
Mise en perspective du sujet : Ces incursions de plus en plus prégnantes du contradictoire au stade
de la phase préalable questionne le modèle traditionnellement mixte de la procédure pénale
française où la phase de l’enquête policière et celle de l’information judiciaire sont, par principe,
marquées du sceau inquisitorial, là où la phase de jugement emprunte à l’accusatoire.
Problématique : Aussi convient-il de se demander si l’ambivalence du modèle procédural français est
en passe d’être remise en cause par la percée du principe du contradictoire dans le procès pénal.
Annonce de plan : Force est de constater que le contradictoire innerve de plus en plus la procédure
inquisitoire (I) renforçant, de fait, la nature accusatoire de la procédure pénale dont le contradictoire
est la première expression (II).
I – Le contradictoire innervant la procédure inquisitoire
A/ La résistance des enquêtes de police au contradictoire
1°) Une résistance traditionnelle
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Cette dernière commission indique qu’elle n’est pas favorable à une mise en état finale de l’enquête par la
généralisation d’un débat contradictoire (contrairement à ce qui était proposé dans le rapport de la commission
Nadal) qui interviendrait au moment où l’orientation de l’action publique (en temps réel) doit être décidée par le
parquet.
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Il appert que le contradictoire ne trouve guère à s’exprimer tant les enquêtes de police répondent
d’un modèle inquisitoire strict.
Il a fallu attendre la loi n°93-2 du 4 janvier 1993 pour voir une première immixtion du contradictoire
avec la possibilité donnée, pour la première fois, à un avocat d’intervenir dès le début de la garde à
vue dans le cadre d’un entretien d’une demi-heure avec son client. Première consécration hésitante
puisque quelques mois plus tard la loi n°93-1013 du 24 août 1993, revient sur la possibilité d’un
entretien immédiat pour le fixer au terme de 20 heures de garde à vue. Valse hésitation que l’on
retrouve encore avec la notification du droit de garder le silence, introduite par la loi n°2000-516 du
15 juin 2000, supprimée par la loi n°2003-239 du 18 mars 2003 avant d’être réaffirmée par la loi
n°2011-392 du 14 avril 2011 à la suite d’une condamnation de la France par les juges de Strasbourg
(CEDH, 14 octobre 2010, Brusco c/ France, n°1466/07). Car le contradictoire, c’est la faculté de dire,
de contredire comme de ne rien dire.
Aussitôt entendait-on renforcer le principe du contradictoire que d’autres pratiques permettaient de
s’en affranchir. Il en allait ainsi de l’audition libre, ignorée du législateur jusqu’à une évolution
récente, qui permettait de contourner les dispositions protectrices de la garde à vue en opposition
de laquelle elle s’est construite. Pratique contestable s’il en est puisque les enquêteurs pouvaient
ainsi entendre une personne suspectée, en dehors du cadre de la garde à vue, comme un simple
témoin sans qu’elle ne bénéficie d’aucun droit. Lorsqu’elle était à l’initiative des policiers, cette
pratique était d’autant plus contestable qu’elle échappait alors au contrôle du Parquet qui n’avait
plus à être immédiatement informé à l’instar de la garde à vue.
Passés les avant-projets de texte (art. 327-6 et 327-7 du futur Code de procédure pénale) et les
projets de loi n°2855 du 13 octobre 2010, l’audition libre prospérait de facto jusqu’à ce que le Conseil
constitutionnel en soit saisi et se prononce, au terme de deux décisions en date du 18 novembre
2011 (C. const., 18 novembre 2011, n°2011-191/194/195/196/197 QPC) et du 18 juin 2012 (C. const.,
18 juin 2012, n°2012-257 QPC), tant sur l’article 62 que 78 du Code de procédure pénale
respectivement applicables dans le cadre de l’enquête de flagrance et de l’enquête préliminaire.
Sous la double réserve imposant aux policiers de notifier à la personne suspectée d’une part, la
nature et la date de l’infraction qu’elle est soupçonnée avoir commise et d’autre part, son droit de
quitter les locaux de police ou de gendarmerie à tout moment, les décisions du Conseil
constitutionnel pouvaient être perçues comme une avancée pour le principe du contradictoire. La
faculté de dire comme de contredire présuppose la connaissance des faits reprochés.
Il s’avère toutefois que ces avancées sont réservées et en retrait au regard du principe du
contradictoire. Le temps a fait son œuvre pour déterminer, sous l’influence du droit européen et de
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l’Union européenne, les esprits encore rétifs à l’évolution contemporaine du principe du
contradictoire.
2°) Une évolution contemporaine
Le renforcement du principe du contradictoire s’est fait sous l’influence de la Cour européenne qui a
donné à l’article 6 de la Convention toute sa dimension en veillant à ce que le droit à un procès
équitable soit applicable non seulement à la phase du jugement mais aussi dès la phase d’enquête
partant du constat que cette première a nécessairement une incidence sur cette dernière (voir
encore dernièrement : CEDH, 12 novembre 2015, Zahidov c/ Azerbaïdjan, §49).
C’est ainsi que la Cour européenne a pu rappeler que l’accès à un avocat doit être consenti « dès le
premier interrogatoire (N.D.L.R. : on parle plutôt d’« audition » à ce stade en droit interne) d’un
suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il
existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit » (CEDH, 27 novembre 2008, Saldüz c/ Turquie,
n°36391/02). Si ce n’était suffisant pour se convaincre que le contradictoire devait être renforcés
dans le cadre d’une garde à vue notamment, la Cour européenne précisait qu’un accusé doit, dès
qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de la vaste gamme d’interventions qui sont propres aux
avocats, à savoir la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves
favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé et le contrôle des
conditions de détention (CEDH, 13 octobre 2009, Dayanan c/ Turquie, n°7377/03)
Condamnée par la Cour européenne (CEDH, 14 octobre 2010, Brusco c/ France, supra et CEDH, 27
novembre 2010, Moulin c/ France, n°37104/06), avec effet immédiat (Ass. Plén., 15 avril 2011, Bull.
Ass. Plén. n°1 à 4) et censurée par le Conseil constitutionnel, avec effet différé (Cons. const., 30 juillet
2010, déc. n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010), la « garde à vue à la française » n’eut d’autres
choix que d’évoluer vers un renforcement des droits de la personne suspectée.
Désormais, en même temps qu’elle se les voit notifier, la personne gardée à vue dispose-t-elle
notamment en sus du droit de garder le silence (étant précisé que ce droit préexistait : voir CEDH, 25
février 1993, Fünke c/ France, n° 10828/84), du droit à l’assistance d’un avocat pendant les auditions
et/ou confrontations, du droit pour celui-ci de consulter certaines pièces du dossier (procès-verbaux
d’auditions si celles-ci ont débuté avant que l’avocat n’arrive dans les locaux, après un délai de
carence de 2 heures, certificat médical si un médecin a été sollicité pour s’assurer de la compatibilité
de la mesure et procès-verbaux de notification des droits).
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Timides avancées du principe du contradictoire en retrait de ce que d’aucuns escomptaient
notamment quant à l’accès au dossier, cette loi ne concernait que le suspect privé de liberté si bien
qu’elle laissait persister la différence de traitement avec le suspect libre.
Le droit de l’Union européenne a ensuite pris le relai du droit européen au soutien du renforcement
des droits de la personne suspectée car, au moment de la transposition de la directive 2012/13/UE
du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre
des procédures pénales, la loi n°2014-535 du 27 mai 2014 a anticipé, par une application ventilée
dans le temps, la transposition de la directive 2013/48/UE du 22 octobre 2013 relative au droit
d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales. Les dispositions issues de cette loi
prévoient désormais un alignement des droits du suspect auditionné librement sur ceux du suspect
gardé à vue, les seuls droits supplémentaires dont est titulaire le gardé à vue sont inhérents à la
situation de contrainte et non de suspicion (ex : information immédiate du procureur de la
République). Alors qu’il s’agit, dans le même temps, de renforcer le droit à l’information de la
personne suspectée (notification des droits, notamment celui de garder le silence ou de l’assistance
d’un avocat, de la qualification de l’infraction, de la date et du lieu présumés de l’infraction, du droit
à l’assistance d’un interprète, etc.), il ne lui est pourtant pas donné accès à l’entier dossier y compris
aux pièces limitativement énumérées dans le cadre de l’audition libre ce qui n’est du reste guère
opérant en la matière si l’on songe à la nature des pièces.
C’est précisément sur ce point que se cristallisent les critiques tenant à l’inconventionnalité
persistante des dispositions relatives à la garde à vue et, mutatis mutandis, à l’audition libre là où la
Cour de cassation considère, au terme d’une jurisprudence constante, que « l’absence de
communication de l’ensemble des pièces du dossier, à ce stade de la procédure, n’est pas de nature à
priver la personne d’un droit effectif et concret à un procès équitable, dès lors que ces pièces peuvent
ensuite être communiquées devant les juridictions d’instruction ou de jugement » (V. par exemple
Crim., 11 juill. 2012, Bull. crim. n° 167).
C’est dire qu’est ici reconnue la dissymétrie dans la portée du principe du contradictoire entre les
enquêtes de police et l’instruction tant il est constaté que celle-ci permet de pallier les carences de
celle-là afin de veiller au respect du droit à un procès équitable. C’est pourquoi, partant du constat
que l’absence de contradictoire c’est-à-dire d’accès au dossier et de possibilité de produire des
observations n’est pas satisfaisante dans les affaires complexes où les faits sont difficilement connus,
le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et
améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale présenté par le Garde des Sceaux, le
1er mars 2016 devant l’Assemblée Nationale prévoit que l’accès au dossier sera possible pour le
justiciable mis en cause ou par son avocat, dans les enquêtes dirigées par le procureur et ce, avant
l’engagement des poursuites. Il s’agit de veiller dès le stade de l’enquête de police à renforcer le
principe du contradictoire à l’instar de l’instruction.
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B/ La soumission de l’information judiciaire à la contradiction
1°) Une soumission traditionnelle
Alors qu’elle se pose traditionnellement comme l’archétype du modèle inquisitoire, l’instruction est
celle qui va se montrer pourtant la plus réceptive au contradictoire. La porosité de ses frontières
permettra ainsi une immixtion du contradictoire à la faveur de la personne suspectée. La première
des manifestations est symboliquement marquée par la loi Constans du 8 décembre 1897 qui a
ouvert les portes du cabinet du juge d’instruction à l’avocat. Depuis, le contradictoire n’a cessé d’être
renforcé au gré des interventions législatives participant ainsi d’une évolution d’un modèle
inquisitorial à un modèle procédural mixte.
Loin des manifestations sporadiques au stade de l’enquête de police, le contradictoire trouve
pleinement à s’exprimer pendant l’instruction dès lors qu’est reconnue à la partie civile, au ministère
public et à la personne mise en examen la qualité de partie à la procédure ; l’intérêt étant
notamment de pouvoir disposer du juge d’instruction aux fins d’effectuer tout acte utile à la
manifestation de la vérité (ex : expertise, reconstitution, etc.). La doctrine à l’instar de Monsieur le
professeur Conte présente ainsi le juge d’instruction comme un enquêteur public à la disposition des
parties dès lors que celles-ci peuvent lui demander d’effectuer des actes d’investigation. Cette
qualité de « partie à la procédure » est toutefois déniée au témoin assisté si bien qu’il sera, par
principe, privé d’expression au stade de l’instruction. L’ambivalence entre le statut de témoin assisté
et celui de mis en examen est telle que, par exception, le contradictoire pourra trouver à s’exprimer
(ex : bien qu’il ne soit pas partie à la procédure, le témoin assisté peut présenter des requêtes en
annulation devant la Chambre de l’instruction et en contester la décision en formant un pourvoi en
cassation, recevoir un « avis à partie » dans le cadre de la déclaration de fin d’information, etc.).
Aussi, le témoin assisté bénéficie-t-il du droit à l’assistance d’un avocat ainsi que de la possibilité
d’accéder au dossier d’instruction. Il ne peut toutefois, par principe, contester les décisions du juge
d’instruction ; cette faculté étant réservée aux « parties à la procédure » même si la voie de la nullité
est plus largement ouverte au témoin assisté. Seuls les « actes ou pièces de la procédure », au sens
de l’article 170 du Code de procédure pénale, sont susceptibles d’annulation si bien que les moyens
de preuve tels qu’administrés par les personnes privées ne peuvent être frappés de nullité ce qui
n’est pas sans poser de difficultés dès lors qu’ils ne pourront pas davantage l’être au stade du
jugement en raison de la purge des nullités lors de la clôture de l’instruction. A ce stade, est toutefois
réservé un délai pour que le contradictoire soit respecté (avis à partie prévu par l’article 175 du Code
de procédure pénale), lequel doit trouver encore à se manifester dans l’ordonnance de clôture qui
doit comporter les « éléments à charge et à décharge » (art. 184 CPP) sous peine de nullité.
Cette protection statutaire reste précaire puisqu’elle est laissée à la discrétion de l’autorité publique.
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2°) Une discrétion judiciaire
Les droits de la personne suspectée au stade de l’instruction sont conditionnés d’une part, par le
choix de cette voie procédurale par le Ministère public (ou la partie civile), d’autre part par le choix
du statut qui en découlera pour la personne suspectée par le juge d’instruction.
a) Une discrétion dans le choix de l’ouverture d’une instruction
La dissymétrie dans la portée du principe du contradictoire au stade de la phase préalable, entre
d’une part l’enquête de police et d’autre part l’information judiciaire, n’est plus à démontrer. Les
juges du fond n’ont toutefois pas manqué de sanctionner les conséquences du choix procédural du
Parquet à l’aune de ce principe directeur en rappelant qu'il ne saurait y avoir pour une même
personne dans une même situation délictuelle, ni dissymétrie de traitement ni application à
géométrie variable du principe du contradictoire selon que l'on se trouve dans tel ou tel cadre
procédural (TGI Draguignan, ch. corr., 16 janvier 2014, n°86/2014). L’enquête préliminaire n’est pas
le cadre procédural naturel pour mener des investigations respectueuses des droits de la personne
suspectée dans des affaires correctionnelles complexes (TGI Nanterre, 14ème Ch. corr., 15 novembre
2012, n°360).
Reste que la Cour de cassation a refusé de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité
portant sur les droits de la défense pendant l’enquête préliminaire. Elle considère ainsi que les
articles du Code de procédure pénale permettant au procureur de la République de décider en
matière délictuelle - que la poursuite se fera après enquête préliminaire, par voie de citation directe
devant le Tribunal, sans ouverture d’information -ne modifient pas le déroulement du procès pénal
et ne privent pas la personne d’un procès juste et équitable. En effet, eu égard au droits de la
défense, cette dernière possède devant la juridiction, des garanties équivalentes à celles dont elle
aurait bénéficié si l’affaire avait fait l’objet d’une information (Crim., 6 mars 2013, n°12-90.078).
La personne suspectée n’a donc guère d’emprise au stade de la phase préparatoire afin de veiller à
ce que le contradictoire soit respecté car, de manière singulière, elle ne peut déterminer le choix
procédural, contrairement au Parquet ou à la partie civile, qui aura de facto une emprise sur ce
principe directeur. Ce n’est que tardivement, au moment du défèrement (en ce sens, voir les
nouvelles dispositions de l’art. 393 3°) C.P.P. issues de la loi du 27 mai 2014) ou lors de la phase de
jugement dans le cadre d’un supplément d’information (en ce sens, voir encore les nouvelles
dispositions de l’art. 388-5 C.P.P. issues de la loi du 27 mai 2014), que la personne suspectée pourra
demander l’ouverture d’une information judiciaire.
L’ouverture d’une information judiciaire n’est pas pour autant une garantie de l’effectivité des droits
de la personne suspectée tant ils sont tributaires du statut choisi par le Juge d’instruction.
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b) Une discrétion dans le choix du statut de la personne suspectée
La mise en examen ou le placement sous le statut du témoin assisté relève de la compétence
réservée du juge d’instruction tout comme il est libre de ne conférer aucun statut protecteur à la
personne suspectée en ne l’entendant pas ou en la faisant entendre par voie de commission
rogatoire dans le cadre d’une audition libre ou d’une garde à vue, là où le contradictoire est
amoindri.
La limite tient toutefois à ce qu’il est tenu de conférer à la personne suspectée un statut protecteur
s’il souhaite l’interroger alors qu’elle est nommément visée (voir les art. 113-1 et 113-2 C.P.P.) et
notamment de la mettre en examen lorsqu’il existe des « indices graves et concordants » de
culpabilité (art. 105 a contrario du C.P.P.). C’est dire que le législateur veille à ce qu’il n’y ait pas de
mises en examen tardives partant du constat qu’il importe que la personne suspectée puisse
disposer d’un statut protecteur sur une période de temps lui permettant de faire valoir ses droits
utilement. C’est dire qu’il ne saurait y avoir de contradictoire utile s’il est trop tardif.
II – Le contradictoire, expression de la procédure accusatoire
Si l’expression du contradictoire est pleinement restituée au stade du jugement (A), elle demeure
plus nuancée s’agissant des procédures accélérées (B).
A/ Une expression restituée dans le cadre du jugement
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Citation directe
A l’aune du jugement, le contradictoire trouve sa première manifestation dans la citation directe.
Celle-ci peut être utilisée lorsque le dossier est en état d’être jugé, pour tous les délits et pour toutes
les contraventions. Elle doit être délivrée au moins dix jours avant la date de l’audience. Il convient
de préciser que la loi du 27 mai 2014 est venue renforcer l’exercice des droits de la défense à ce
stade en ce qu’elle impose que la citation informe le prévenu de son droit d’être assisté par un
avocat (art. 390 CPP).
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Accès au dossier
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De surcroît, la loi nouvelle introduit la possibilité de consulter le dossier tout en assurant l’effectivité
de l’accès à ce dernier. Ainsi, les avocats des parties peuvent consulter le dossier de la procédure en
se faisant délivrer gratuitement une copie des pièces dans le mois qui suit la demande. De plus, si le
délai entre la signification de la citation et l’audience est inférieur à deux mois et que le prévenu ou
son avocat n’ont pas pu obtenir copie du dossier avant l’audience, le tribunal est tenu d’ordonner le
renvoi de l’affaire à deux mois minimum à compter de la signification de la citation si le prévenu en
formule la demande. Il en va de même pour la convocation par officier de police judiciaire, chef
d’établissement pénitentiaire ou greffier.
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Nullité
Par ailleurs, le fait de pouvoir saisir de nullités, la juridiction de jugement in limine litis permet
d’arguer du défaut de l’irrégularité de certains actes, notamment au regard du principe du
contradictoire, dont il était impossible de se prévaloir pendant la phase d’enquête policière.
Ainsi, au terme de l’article 385 alinéa 6 du Code de procédure pénale et à peine d’irrecevabilité, les
nullités doivent être soulevées in limine litis, c'est-à-dire avant toute défense au fond. Elles peuvent
être soulevées devant la juridiction à la condition que l’affaire n’ait pas donné lieu à instruction
préparatoire auquel cas, les nullités purgées ne pourraient plus être invoquées. Sont donc
concernées, les juridictions de jugement statuant en matière correctionnelle ou contraventionnelle,
lorsqu’elles n’ont pas été saisies sur renvoi du juge d’instruction. Ces nullités sont susceptibles
d’affecter l’enquête de police et la citation devant la juridiction de jugement. Si la procédure en
première instance a été pleinement contradictoire, la nullité ne peut être invoquée pour la première
fois en appel. Enfin, si les nullités ne peuvent jamais être soulevées pour la première fois devant la
Cour de cassation, celle-ci peut les relever d’office.
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Supplément d’information
Autrement, la possibilité d’ordonner un supplément d’information est une manifestation du
contradictoire au stade du jugement censée pallier d’éventuelles carences pendant l’enquête. Ainsi,
l’article 388-5 du Code de Procédure pénale introduit par la nouvelle loi du 27 mai 2014 légalise la
pratique selon laquelle les parties pourront solliciter un supplément d’information. A cet égard, dans
l’hypothèse d’une citation directe ou d’une citation par officier de police judiciaire, les parties
peuvent avant toute défense au fond ou à tout moment au cours des débats, demander, par
conclusions écrites, qu'il soit procédé à tout acte qu'ils estiment nécessaire à la manifestation de la
vérité. Ces demandes de supplément d’information prendront la forme de conclusions écrites (par
L.R.A.R. ou remise au greffe contre récépissé) adressées au Tribunal. Celui-ci devra statuer par
jugement motivé s’il refuse l’acte demandé et, dans le cas contraire, pourra en ordonner l’exécution
selon les règles de l’enquête préliminaire. Il confiera alors le supplément d’information à l’un de ses
membres à un juge d’instruction. Le respect de ce principe est notamment assuré par le Président de
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la juridiction. Les procès-verbaux faisant état du supplément de leur exécution sont alors joints au
dossier de la procédure et mis à la disposition des parties ou de leur avocat. Il convient de préciser
que la décision du tribunal relative à cette demande est susceptible d’appel en même temps que le
jugement sur le fond.
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Conduite des débats
S’agissant de la conduite des débats, la Cour de cassation réaffirme régulièrement que le juge doit
assurer que ceux-ci sont contradictoires en ordonnant la communication des pièces et des
documents (Crim. 23 janvier 2007 et Crim. 13 février 2008). Ainsi, le juge ne peut refuser d’examiner
les preuves qui lui sont apportées lors des débats au motif qu’elles n’auraient pas été présentées à la
partie adverse. Le juge doit assurer lui-même la communication des éléments en cause (Crim. 12
janvier 2005).
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Production de preuve illicite ou déloyale
S’agissant de la production de preuve illicite ou déloyale la haute Cour a affirmé dans un arrêt du 15
juin 1993, n°92-82.509 qu’ : « aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter des
moyens de preuve remis par un particulier aux services d’enquête, au seul motif qu’ils auraient été
obtenus de façon illicite ou déloyale ; il leur appartient seulement, en application de l’article 427 du
Code de procédure pénale d’en apprécier la valeur probante, après les avoir soumis à la discussion
contradictoire des parties ». Ce faisant, la cour de Cassation a exacerbé le principe du contradictoire
relatif à la production de la preuve au point de compromettre l’égalité des armes entre les parties. En
effet, le Ministère public, tenu d’observer strictement le principe de loyauté, pourra se saisir des
preuves déloyalement administrées par la partie civile. Cela est bien évidemment de nature à
favoriser la production de preuve par le Parquet au détriment du mis en cause et à heurter
conséquemment le contradictoire.
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Témoignage anonyme
Par ailleurs, il convient d’évoquer une mesure spécifique, le témoignage anonyme, qui comporte des
incidences sur le principe du contradictoire. A cet égard, la Cour de Strasbourg, dans son arrêt Delta
contre France du 19 décembre 1990, a jugé que l’utilisation de témoignages anonymes suppose que
soient respectées les exigences du procès équitable. A ce titre, le principe du contradictoire suppose
que le témoignage anonyme ne puisse constituer la preuve principale et déterminante fondant la
culpabilité et qu’il soit contestable par la défense. Le droit français observe ces exigences ainsi que
l’illustre l’art. 706-95 CPP qui précise que les témoignages d’agents infiltrés ne peuvent asseoir seuls
une condamnation à moins de déposer sous leur véritable identité. Cette analyse a été confirmée
récemment, à l’occasion d’un arrêt rendu par la Chambre criminelle le 15 avril 2015, où les
requérants faisaient valoir que les dispositions de l’article 706-57 du Code de Procédure pénale permettant au témoin déposant sous l’anonymat de « déclarer comme domicile l’adresse du
commissariat ou de la brigade de la gendarmerie »-, heurtaient l’article 16 de la Déclaration des
droits de l’Homme et du Citoyen fondant le principe du contradictoire via les droits de la défense. La
Haute Cour a refusé de porter cette question devant le Conseil Constitutionnel aux motifs que ladite
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procédure n’interdit nullement la mise en place d’une confrontation entre le témoin et la personne
mise en cause ; que le procès-verbal peut être contesté par la personne mise en examen auprès du
président de la chambre de l’instruction, lequel pourra l’annuler ou en ordonner la mainlevée et
enfin, qu’un tel témoignage ne peut fonder à lui seul une condamnation.
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Requalification
Ensuite, il importe d’analyser les incidences de la requalification juridique à l’aune des exigences du
contradictoire. A cet égard, l’article préliminaire au Code de Procédure pénale prévoit que « toute
personne suspectée ou poursuivie… a le droit d’être informée des charges retenues contre elle ».
Toujours en ce sens, l’art. 6§3 a) CESDH énonce que « tout accusé a droit… à être informé, dans le
plus court délai, dans une langue qu’il comprend et de manière détaillée, de la nature et de la cause
de l’action portée contre lui ». Aux termes de ces deux dispositions, il est reconnu à l'accusé le droit
d'être informé non seulement de la cause de l'accusation et de la nature de celle-ci, à savoir la
qualification juridique des faits matériels.
Ainsi, il a été jugé par la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme dans un arrêt
Pélissier & Sassi contre France du 25 mars 1999 que les juges du second degré qui font usage de leur
droit de requalification des faits viole le principe du s’ils n’offrent pas à l’accusé la possibilité
d'exercer ses droits de défense d'une manière concrète et effective sur la nouvelle qualification.
Dans cette même perspective, la CEDH a fait droit au pourvoi de la requérante en jugeant que la
requalification des faits de tentative d'extorsion de fonds en complicité de ce délit, effectuée au
moment du délibéré de la cour d'appel viole l’art. 6§3 a) et b). La Cour de Strasbourg admet une
atteinte aux droits de la défense en ces moyens auraient pu être différents. La loi du 27 mai 2014
relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales a considérablement renforcé
en droit positif cet aspect des droits de la défense. Ainsi, par exemple, l’article 61-1 CPP énonce au
sujet de l’audition des personnes soupçonnées et ne faisant pas l’objet d’une garde à vue qu’elle
peut « être entendue après avoir été informée de la qualification, de la date et du lieu présumés de
l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ».
-
Motivation des décisions de Justice
Enfin, la motivation des décisions de Justice donne lieu à une autre manifestation du principe du
contradictoire. Dépassant les exigences imposées par les juges européens (CEDH, 16 novembre 2010,
Taxquet contre Belgique) et celle les sages de la rue Montpensier, la loi du 10 août 2011 impose la
motivation des verdicts rendus par la Cour d’assises. En effet, indiquer les raisons concrètes pour
lesquelles le jury a été convaincu de la culpabilité de l’accusé permettra à celui-ci d’exercer de
manière pertinente des voies de recours ainsi que le permet la loi 15 juin 2000 à l’encontre des arrêts
de la cours d’assises. Plus largement, il convient de rappeler que l’exercice de la voie de recours
découle du droit à un tribunal (art. 6 § 1 CESDH), lequel participe éminemment du contradictoire.
Ceci étant précisé, le droit au recours effectif est spécifiquement garanti par l’art. 13 CESDH et peut
ainsi faire l’objet d’applications autonomes de la notion de procès équitable.
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B/ Une expression contrastée dans le cadre des procédures accélérées
La politique de célérité menée ces dernières décennies afin d’assurer une bonne administration de la
Justice (désengorgement des tribunaux) s’est souvent faite au détriment de l’exercice des droits de la
défense. Toutefois, la loi du 27 mai 2014 réintroduit le contradictoire au sein de ces procédures qui,
naguère, s’en s’affranchissaient peu ou prou.
1°) Comparution immédiate
Cette procédure appartient à ce que d’aucuns nommeraient « le TGV de la procédure pénale ».
La comparution immédiate permet de traduire le prévenu sur le champ devant le tribunal. Le
prévenu est alors retenu jusqu’à sa comparution qui doit avoir lieu le jour même. Quand la peine
encourue est supérieure à 7 ans, le prévenu peut demander à ce que l’affaire soit renvoyée à une
audience qui devra avoir lieu dans un délai qui ne peut être inférieur à deux mois sans être supérieur
à 4 mois Son domaine comprend les délits flagrants punis d’au moins 6 mois d’emprisonnement et
les délits non flagrants punis d’au moins 2 ans d’emprisonnement.
Depuis la loi du 27 mai 2014, l’art. 393 CPP organise l'assistance effective de l'avocat lors du
déferrement devant le procureur de la République et participe ainsi d’un renforcement du
contradictoire. En effet, le représentant du Ministère public informe la personne de son droit d'être
assistée par un avocat et lui fait connaître les faits qui lui sont reprochés ainsi que leur qualification
juridique. L'avocat peut consulter sur-le-champ le dossier et s’entretenir librement avec le prévenu.
L’avocat peut faire des observations sur la régularité de la procédure, sur la qualification retenue, sur
le caractère éventuellement insuffisant de l'enquête et sur la nécessité de procéder à de nouveaux
actes.
Enfin, toujours dans le sens d’une accentuation patente du contradictoire, la nouvelle loi permet que,
lorsque le tribunal correctionnel a été saisi suivant la procédure de comparution immédiate, il peut, à
la demande des parties ou d'office, commettre par jugement l'un de ses membres ou l'un des juges
d'instruction du tribunal pour procéder à un supplément d'information. Le tribunal peut, dans les
mêmes conditions, s'il estime que la complexité de l'affaire nécessite des investigations
supplémentaires approfondies, renvoyer le dossier au procureur de la République afin que celui-ci
requière l'ouverture d'une information.
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2°) Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité
Inspirée de la procédure anglo-saxonne du « plea bargaining », la comparution sur reconnaissance
préalable de culpabilité est issue de la loi du 9 mars 2004. Le domaine d’application de cette
procédure s’est vu considérablement augmenté depuis la loi du 13 décembre 2011 (art. 495-7 et s.
CPP) à l’ensemble des délits, sous réserve d’exceptions. Aussi, l’article 180-1 CPP prévoit que : « Si le
juge d'instruction estime que les faits constituent un délit, que la personne mise en examen reconnaît
les faits et qu'elle accepte la qualification pénale retenue, il peut, à la demande ou avec l'accord du
procureur de la République, du mis en examen et de la partie civile, prononcer par ordonnance le
renvoi de l'affaire au procureur de la République aux fins de mise en œuvre d'une comparution sur
reconnaissance préalable de culpabilité… ».
Cette procédure a pu être critiquée en son temps comme procédant d’un contradictoire illusoire
sous la menace d’une aggravation de la sanction encourue par l’individu si celui-ci venait à refuser la
proposition ainsi faite par le Parquet. Prétexte pris de la présence de l’avocat, le Conseil
constitutionnel a ainsi considéré, dans sa décision du 2 mars 2004, que le droit au procès équitable
était respecté. Dans la droite ligne, la Cour de cassation a rappelé au soutien du contradictoire que :
« s’instaure un débat au fond devant le président du TC dès lors que celui-ci, après avoir vérifié la
réalité des faits et leur qualification juridique, s’il décide d’homologuer la proposition du procureur,
constate notamment que la personne, en présence de son avocat, reconnaît les faits reprochés et
accepte la ou les peines proposées » (Crim., 22 février 2012, n°11-82.786).
3°) Ordonnance pénale ou « procédure simplifiée »
Cette « procédure simplifiée » est issue de la loi 9 septembre 2002. Elle s’affranchit du contradictoire
en ce que le Procureur de la République peut solliciter sa mise en œuvre lorsque les faits sont
« simples et établis » que les charges et les renseignements nécessaires au prononcé de la peine sont
connus étant précisé que celle-ci ne peut excéder 5.000 € (art. 495 et s. CPP).
Initialement prévue pour les délits du Code de la route, la loi du 13 décembre 2011 a favorisé son
extension à de nombreux délits : vol simple, recel, filouterie, détournement de gage, destructions et
dégradations de biens, vente à la sauvette, délit de fuite à l’occasion de la conduite d’un véhicule,
délits en matière de chèques, contrefaçon commise par internet et pratiques anti-concurrentielles.
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Néanmoins, aux termes de l’art. 495-2 CPP : « S'il estime qu'un débat contradictoire est utile ou
qu'une peine d'emprisonnement devrait être prononcée, le juge renvoie le dossier au ministère
public ». Une fois que l’ordonnance pénale est rendue, le ministère public et le prévenu peuvent
former opposition à l'ordonnance. L’opposition permettra que l'affaire fasse l'objet d'un débat
contradictoire devant le tribunal correctionnel.
Conclusion et ouverture : l’évolution donnée au principe du contradictoire conduit à dépasser le
clivage traditionnel entre le modèle inquisitoire et accusatoire pour une procédure pénale
renouvelée.
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