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Le titre des décrets, zone de non droit —
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22/10/2015 by Pierre Guillot
Date de fraîcheur: Octobre 2015
Alors que le titre d’un décret constitue son premier point de contact avec le lecteur du journal officiel,
il est paradoxalement hors du droit. C’est ce qui résulte de l’arrêt commenté, qui confirme que le titre
d’un acte règlementaire est sans incidence sur sa légalité.
En l’espèce, les requérants contestaient un décret « relatif à l’organisation d’instances pédagogiques
dans les écoles et les collèges » (D. n°2014-1231). Ils lui reprochaient notamment de comprendre,
outre des dispositions relatives aux écoles et aux collèges, comme l’indique son titre, des
dispositions relatives aux lycées. Sans succès, donc, puisque le Conseil d’Etat juge le moyen
inopérant.
Le Conseil d’Etat avait déjà jugé que le titre d’un décret pouvait, sans illégalité, ne rendre
qu’incomplètement compte de son contenu (CE 23 octobre 1985, Cne d’Allos, n°65948). Dans le
même ordre d’idée, il avait jugé que le pouvoir règlementaire pouvait intégrer dans le « décret pris
pour l’application de l’ordonnance n°2011-1539 » des mesures ne visant pas à l’application de cette
ordonnance (CE 20 déc. 2013, Féd. française des artisans coopérateurs du bâtiment, n°357198,
§7). Mais dans un cas comme dans l’autre, la question du titre du texte avait été posée sous l’angle
de la légalité externe, et non de la légalité interne.
Or en l’espèce les requérants se plaçaient sur le terrain du fond du droit, puisqu’ils se prévalaient du
principe de clarté et d’intelligibilité de la norme. On sait que le principe d’intelligibilité de la loi est un
objectif de valeur constitutionnelle (CC, 16 déc. 1999, n°99-421 DC, cons. 13), et qu’il a
progressivement absorbé le principe de clarté de la loi (CC, 27 juill. 2006, n°2006-540 DC, cons. 9),
qui en était initialement distinct (CC, 7 déc. 2000, n°2000-435 DC, cons. 53). Le Conseil d’Etat
l’applique, lui, à toute « norme juridique » (CE 18 fév. 2004, Cne Savigny-le-temple, n°251016 ; CE 8
juill. 2005, SGEN-CFDT, n°266900), et donc aux décrets.
Mais l’argument n’en restait pas moins hasardeux. En effet, le titre d’un texte est en lui-même sans
incidence sur la clarté et l’intelligibilité de son contenu. Un décret qui s’applique explicitement à des
lycées peut être clair et intelligible quand bien même son titre ne vise que des écoles et des
collèges. Et le titre en tant que tel peut également être clair et intelligible quand bien même il ne
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reflèterait pas totalement le contenu du texte. Il est certes imprécis, mais le Conseil constitutionnel
considère que l’on ne peut pas reprocher son imprécision à une disposition dénuée de portée
normative (CC, 7 juill. 2005, n°2005-516 DC, cons. 7). Le Conseil d’Etat écarte donc l’argument en
Suspendre ou ne pas suspendre l’« état d’urgence
jugeant que le titre d’un décret est dépourvu de valeur normative.
», telle est la question…
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Si la solution n’est pas surprenante, l’articulation du raisonnement suivi pour y parvenir l’est un peu
plus. En effet, le Conseil d’Etat ne s’est pas borné à poser pour principe que l’intitulé d’un décret ne
Prescription des demandes d’indemnisation formées
…
ntelligibilité de ses dispositions. Il juge de manière beaucoup plus
ut pas affecter la légalité d’un décret au motif qu’il est dépourvu de
devant l’ONIAM
Souveraineté et liberté – Douzième leçon
La genèse: Pourquoi parler de guerre des juges?
La victoire du juge administratif: le nouvel équilibre
de l’emprise et de la voie de fait
Cette idée que les titres sont sans portée normative n’est pas nouvelle : on la trouve par exemple
dans le guide de légistique publié sur Legifrance. Mais fallait-il nécessairement en déduire que le
Avocat au barreau de Paris
choix du titre d’un décret est toujours dépourvu d’incidence sur sa légalité ? Cela semble plus
discutable.
En effet, la solution retenue par le Conseil d’Etat laisse l’administration
entièrement
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du choix du titre d’un décret. Poussée jusqu’à l’absurde, elle permettrait de règlementer le droit des
marchés publics dans un décret intitulé « décret relatif à la loterie nationale », ou de modifier le délai
»
de recours contre les décisions administratives dans l’un des innombrables décrets « autorisant la
«
cession à l’euro symbolique d’un ensemble immobilier ».
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N’y aurait-il pas là une atteinte à l’accessibilité du droit ou au principe de sécurité juridique ? La
question mérite d’être posée. Dès la consécration du principe d’accessibilité de la loi, le Conseil
constitutionnel a jugé que les citoyens doivent pouvoir avoir une connaissance suffisante des
normes qui leur sont applicables, tant pour assurer l’égalité devant la loi que la garantie des droits et
l’exercice des droits et libertés garantis par la Constitution (CC, 16 déc. 1999, n°99-421 DC, cons.
…
13). Et le Conseil d’Etat n’est lui-même pas très loin de cette idée lorsqu’il évoque, dans son étude
consacrée aux rescrits, un « besoin de sécurité juridique, entendue comme la possibilité pour
l’opérateur économique de savoir, sans difficultés excessives, si son projet respecte les
réglementations » (CE, Le rescrit: sécuriser les initiatives et les projets, Doc. française 2014, p. 7).
Comment s’assurer du respect de ces exigences si l’administration est libre de publier les décrets
BIJUS Revue de droit franco-allemand
sous des titres insusceptibles d’éveiller l’attention des intéressés, voire sous des titres délibérément
trompeurs ? Il semble que l’on devra se contenter, pour l’heure, du « droit souple » : le guide de
légistique mentionne que l’intitulé « doit indiquer, de manière aussi claire, précise et concise que
possible, l’objet essentiel du texte». Un rempart bien maigre contre d’éventuels abus à l’heure où
l’idée de loyauté de l’action administrative fait lentement mais sûrement son chemin.
Avocat au barreau de Paris
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