LE PROCESSUS DE VIEILLISSEMENT CHEZ LES PERSONNES
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LE PROCESSUS DE VIEILLISSEMENT CHEZ LES PERSONNES
LE PROCESSUS DE VIEILLISSEMENT CHEZ LES PERSONNES MENTALEMENT HANDICAPÉES Conférence donnée lors de l’Assemblée des délégués d’insieme du 04.11.2006 Dr. Sinikka Gusset-Bährer, Psychologue / Diplom-Gerontologin 1) Introduction Dans l'article sur la vieillesse paru dans l’édition de septembre de la revue «insieme» (3/06), il est écrit que l’espérance de vie des personnes mentalement handicapées est nettement plus élevée qu’il y a quelques décennies; la durée moyenne de vie des personnes légèrement ou moyennement handicapées est de plus de 70 ans, celle des personnes profondément ou polyhandicapées d’environ 50 ans. On peut partir du fait que le processus de vieillissement des personnes mentalement handicapées est en général similaire à celui de la population non handicapée et que d'autre part, il n’est pas possible de déterminer l’âge auquel démarre ce processus. Celui-ci est en effet très variable d’une personne à l’autre. Cette variabilité est encore plus grande chez les personnes mentalement handicapées en fonction du genre et de la cause de leur handicap (Thomae, 1985). Chez les personnes atteintes du syndrome de Down par exemple, ce processus peut déjà commencer à 40 ans, alors que chez les personnes atteintes d’une autre forme de handicap mental, il débute nettement plus tard (Day & Jancar, 1994). 2) Modifications physiques accompagnant habituellement le vieillissement Comment se manifeste le processus de vieillissement? Le plus souvent, ce sont les modifications physiques qui nous viennent à l’esprit; celles-ci apparaissent chez chacun d’entre nous à n’importe quel moment et avec plus ou moins d’intensité. En voici quelques exemples: au niveau de l’apparence extérieure: cheveux gris, perte de dents, altérations cutanées typiques, etc.; au niveau du squelette, des muscles et de l’ossature : tassement du haut du corps, sclérose articulaire, diminution de la force musculaire et de la densité osseuse, etc.; au niveau des organes sensoriels: baisse de la vue et de l’ouïe, diminution de la performance des organes du toucher, du goût et de l’odorat, etc.; au niveau des organes internes: diminution lente, mais constante de l’activité des poumons, du cœur, du foie et des reins, etc.; dans la proportion d’eau et de graisse à l’intérieur du corps: par rapport à une personne de 30 ans, une personne de 75 ans a env. 15% d’eau en moins et 20% de masse graisseuse en plus. Le vieillissement peut également s’accompagner d’un transfert plus lent des stimulations, ainsi que d’un ralentissement accru de la pensée et de la motricité, entraînant une diminution des réflexes. C’est la raison pour laquelle les personnes âgées sont beaucoup plus sujettes aux accidents et aux chutes et qu'elles peuvent ressentir un sentiment d’insécurité. A l’époque fébrile dans laquelle nous vivons, les personnes âgées peuvent se sentir d’abord dépassées par les événements avant de pouvoir les assimiler. Par la suite, on relève des difficultés croissantes dans les activités pratiques de tous les jours (soins corporels, habillage, repas, aller aux toilettes, …). Chez la plupart des personnes mentalement handicapées, ces difficultés apparaissent seulement après 60 ans, alors que chez les personnes atteintes du syndrome de Down, elles s’observent déjà à 40 ans et s’accentuent avec l’âge. 3) Problèmes de santé liés à la vieillesse Même si la probabilité est plus grande que les problèmes de santé apparaissent avec l’âge, le processus de vieillissement n’est pas forcément lié au fait d’«être malade». Néanmoins, si des problèmes de santé apparaissent chez les personnes mentalement handicapées elles se manifestent généralement après 50 ans. Ceux-ci peuvent également apparaître bien avant chez les personnes atteintes du syndrome de Down. Si les personnes âgées mentalement handicapées tombent malades elles souffrent alors des mêmes maladies que les personnes âgées non handicapées. L’évolution de ces maladies est plus ou moins similaire (voir Van Schrojenstein Lantman et al., 1997). Il semblerait toutefois que les personnes âgées atteintes du syndrome de Down soient plus vulnérables à certaines maladies. Exemples: L’ostéoporose Selon une étude de Tyler et coll. (2000), env. 60% des personnes mentalement handicapées de 50 ans et plus qui ont été examinées souffrent d’une ostéoporose. Les personnes atteintes du syndrome de Down sont plus fréquemment sujettes à cette maladie. Les facteurs favorisant le développement de l’ostéoporose peuvent être une baisse de la production d’oestrogènes chez les femmes suite à la ménopause, des antécédents familiaux, un manque d’activité physique et d’ensoleillement, des difficultés à se déplacer, une alimentation pauvre en calcium et en vitamine D, etc. Certains médicaments peuvent également aggraver le risque d’ostéoporose: les anti-épileptiques, les hormones thyroïdiennes et les stéroïdes pris en grandes quantités (ces médicaments sont très souvent prescrits aux personnes mentalement handicapées). Les personnes atteintes du syndrome de Down étant plus fortement prédisposées à l’ostéoporose, il faudrait être attentif à ce qu’elles fassent, dès leur jeune âge, beaucoup d’exercices physiques à l’air libre: l’activité physique a un effet positif sur le système cardio-vasculaire (Kash, Boyer, Van Camp, Verny & Wallace, 1993) et sur le métabolisme (Schulz-Aellen, 1997), freine la perte de masse musculaire et stimule favorablement l’esprit (Byrne & Byrne, 1993). Il en résulte une forte diminution de stress (Long, 1985) et une meilleure oxygénation du cerveau qui peuvent améliorer les performances intellectuelles (Tomporowski & Ellis, 1986). Baisse de la vue et de l’ouïe Chez les personnes de plus de 60 ans atteintes du syndrome de Down, on observe très souvent une détérioration de la vue (bien souvent sous forme de cataracte) - 82% contre 19,2% chez les personnes du même âge ayant une autre forme de handicap mental - et une diminution de la fonction visuelle, de naissance ou s’accentuant avec l’âge (cf. Evenhuis, 2002). Ces personnes ont également plus souvent des problèmes d’audition. La surdité bilatérale progressive est fréquente et peut déjà être observée dès l’âge de 20 ans (à 60 ans et plus, 22% d’entre elles sont malentendantes et 22% sourdes) (cf. Evenhuis, 2002). Chez les personnes mentalement handicapées, de nombreuses détériorations de la vue et de l’ouïe ne sont pas décelées, ne sont donc pas diagnostiquées ou le sont trop tard et deviennent chroniques. Il arrive même que les personnes concernées ne s’aperçoivent pas que le contact avec leur environnement est différent ou ne se fait plus suite à des troubles visuels et auditifs graves. Elles s’y habituent et n’en parlent pas à leurs proches ou aux personnes d’encadrement. Ces derniers ne perçoivent souvent pas les signes de détérioration des facultés visuelles et auditives ou interprètent mal les comportements qui en résultent (inactivité, mutisme, inflexibilité, tendance autistique, refus de mar- cher, automutilation, …). Il est donc important d’effectuer un examen régulier des facultés auditives et visuelles des personnes atteintes du syndrome de Down (si possible dès 20 ans environ). L’insuffisance thyroïdienne Une insuffisance thyroïdienne (hypothyroïdie) se produit chez 20 à 30% des personnes atteintes du syndrome de Down. En voici quelques symptômes: manque d’énergie, diminution des fonctions physiques, état confusionnel, constipation, peau sèche et dépression. S’ils ne sont pas traités, ces symptômes peuvent mener à des états hallucinatoires et au coma (cf. Haveman & Stöppler, 2004). Le risque est grand que les personnes concernées soient considérées comme atteintes de démence. Il convient donc d’effectuer un dépistage annuel. La démence d’Alzheimer Les personnes atteintes du syndrome de Down ont non seulement nettement plus de risque de contracter la démence d’Alzheimer, mais peuvent en être atteintes plus tôt (entre 30 et 50 ans) (cf. Hock & Nitsch, 2000); chez les personnes de plus de 40 ans, le taux d’émergence de la maladie est de 25% et, à 60 ans et plus, 65% (cf. Alzheimer’s Disease International, 2004). D’autres tableaux cliniques peuvent fréquemment se manifester chez les personnes âgées atteintes du syndrome de Down: l’épilepsie tardive, les dysphagies ou l’apnée du sommeil (cf. Haveman & Stöppler, 2004). Les effets secondaires des médicaments constituent également un facteur de risque qu’il ne faudrait pas sous-estimer. De nombreuses personnes âgées prennent plusieurs médicaments et le font sur une période prolongée. Les médicaments sont métabolisés ou décomposés dans le corps par divers mécanismes. La diminution de la fonction rénale, les altérations de la performance du foie et la diminution de la masse musculaire liées à une augmentation de la masse graisseuse du corps favorisent l’apparition d’un nombre nettement plus important d’effets secondaires si les dosages des médicaments restent les mêmes (cf. Haveman & Stöppler, 2004). Il ne faudrait pas considérer l’apparition soudaine de comportements étranges et inhabituels chez des personnes âgées handicapées comme quelque chose de «normal» pour leur âge ou comme étant un signe de démence, mais prendre d’abord en considération les effets secondaires des médicaments. Il est recommandé de réduire le dosage des médicaments que prennent les personnes âgées. Je pense qu’il est très important que les personnes mentalement handicapées connaissent, dans la mesure de leurs possibilités, le fonctionnement de leur corps, les changements qui peuvent intervenir avec l’âge, les éventuelles répercussions des maladies sur leur corps et la manière dont elles peuvent y faire face. Le projet de Goldbach et coll. (2006) a démontré que cela est possible: de jeunes diabétiques mentalement handicapés ont reçu des informations sur leur tableau clinique et ont pu apprendre avec succès à gérer correctement leur maladie. Non seulement les jeunes personnes mentalement handicapées, mais également les plus âgées peuvent apprendre et continuer à progresser (cf. par ex. Haveman, Michalek, Hölscher & Schulze, 2000; Cotter & Burgio, 1998). Cette capacité à apprendre constitue une ressource importante dans le processus d’adaptation nécessaire durant la phase de vieillissement. 4) Compétences des personnes âgées mentalement handicapées En plus des maladies décrites plus haut, la personne âgée doit faire face à bien d’autres défis. Par exemple, elle doit songer au passage à la retraite, à la réorganisation judicieuse de son quotidien ou encore à l’approche de la fin de sa vie (vgl. Gusset-Bährer, 2004). On pense souvent que les personnes âgées mentalement handicapées ne sont pas en mesure de gérer cette étape de leur vie. Il a pourtant été démontré, par le biais d’interviews de personnes âgées légèrement à moyennement handicapées mentales, qu’elles peuvent également anticiper une nouvelle situation, l’accepter et s’y adapter (Gusset-Bährer, 2004). Elles possèdent également les compétences nécessaires pour mener leur vie comme elles l’entendent, même si certaines d’entre elles ont besoin de plus de soutien que d’autres. Elles ont des compétences pratiques, autrement dit les dispositions et aptitudes nécessaires pour organiser leur quotidien et venir à bout des défis de tous les jours (cf. Bundesministerium für Familie, Senioren, Frauen und Jugend, 2001 [NdT= Ministère fédéral de la famille, des seniors, des femmes et de la jeunesse]). Elles ont aussi des compétences cognitives. Ainsi, les personnes interviewées pouvaient anticiper leur départ des ateliers protégés, aussi bien au niveau des pertes (par ex. perte du travail et des contacts sociaux, pertes financières) que des gains y relatifs (par ex. plus de temps pour leurs hobbys ou pour entretenir des contacts sociaux en dehors de l’atelier). Elles disposent également de compétences psychiques, c’est-à-dire des ressources qui leur permettent de relever les défis et d’assumer les contraintes (par ex. abandon de la vie professionnelle, réorganisation du quotidien pour la retraite). On a ainsi constaté durant l’étude que plusieurs personnes avaient activement collaboré lorsqu’il a fallu organiser leur départ de l’atelier ou leur quotidien en vue de la retraite (cf. Gusset-Bährer, 2004). Ces compétences sont fortement influencées par l’environnement dont nous faisons également partie. Les gens forgent leurs dispositions et aptitudes en se confrontant à leur environnement, les entretiennent et les développent, agissent dans ces environnements, y font leurs expériences et les modulent en conséquence (cf. Heuft, Kruse & Radebold, 2000). C’est la raison pour laquelle il est primordial que nous encouragions et maintenions au mieux l’activité et l’autonomie des personnes handicapées, de sorte qu’elles puissent développer les compétences dont elles ont besoin pour réussir à assumer l’étape de la vieillesse. Je pense que la journée d’aujourd’hui y contribuera grandement. 5) Bibliographie Bundesministerium für Familie, Senioren, Frauen und Jugend (2001). 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(2006) Zur Schulung geistig behinderter Erwachsener mit Diabetes. Theoretische und praktische Ansätze. Geistige Behinderung, 45(1), 61-75. Gusset-Bährer, S. (2004) „Dass man das weiterträgt, was älteren Menschen mit geistiger Behinderung wichtig ist.“ - Ältere Menschen mit geistiger Behinderung im Übergang in den Ruhestand. Dissertation an der Fakultät für Verhaltens- und Empirische Kulturwissenschaften der Ruprecht-Karls-Universität Heidelberg. Haveman, M. & Stöppler, R. (2004) Altern mit geistiger Behinderung. Grundlagen und Perspektiven für Begleitung, Bildung und Rehabilitation. Stuttgart: Kohlhammer. Haveman, M.J., Michalek, S., Hölscher, P. & Schulze, M. (2000). Selbstbestimmt älter werden. Ein Lehrgang für Menschen mit geistiger Behinderung zur Vorbereitung auf Alter und Ruhestand. Geistige Behinderung 39(1), 56-62. Heuft, G., Kruse, A. & Radebold, H. (2000). Lehrbuch der Gerontopsychosomatik und Alterspsychotherapie. München: Reinhardt. Hock, C. & Nitsch, R. 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