ABORIGeNES

Transcription

ABORIGeNES
Aborigènes
d’Australie
Description
D’après
la
définition
du
gouvernement
australien,
le
terme
«
aborigène
»
désigne
une
personne
qui
a
des
ancêtres
aborigènes,
qui
s’identifie
elle‐même
comme
étant
aborigène
et
qui
est
reconnue
en
tant
que
telle
par
la
communauté
aborigène.
Aujourd’hui,
on
compterait
plus
de
500
peuples
distincts
en
Australie,
généralement
divisés
en
clans,
se
distinguant
par
un
nom
spécifique,
possédant
leur
propre
langue
ou
dialecte.
A
noter
que
d’après
les
recherches
archéologiques,
ces
peuples
auraient
la
plus
ancienne
culture
survivante
sur
terre.
Organisation
sociétale
Au
niveau
de
leur
organisation
sociale,
celle‐ci
se
révèle
assez
complexe
et
évoluant
au
fil
du
temps.
En
effet,
avant
l’arrivée
des
colons,
les
aborigènes
se
déplaçaient
essentiellement
à
l’intérieur
d’un
espace
délimité
géographiquement,
basant
leur
mode
de
vie
sur
la
chasse
et
la
cueillette.
La
plupart
d’entre
eux
s’installaient
ainsi
le
long
des
côtes
et
avaient
un
mode
semi‐sédentaire,
vivant
essentiellement
de
l’agriculture,
de
la
pêche
et
de
l’élevage.
Ceux
établis
à
l’intérieur
des
terres,
dans
le
bush
et
le
désert,
menaient
une
vie
basée
sur
la
chasse
et
la
cueillette,
pratiquant
les
techniques
de
brûlis.
Aujourd’hui,
confrontés
à
des
problèmes
territoriaux
notamment,
de
plus
en
plus
d’aborigènes
deviennent
sédentaires
(comme
nous
le
verrons
plus
tard).
Quoiqu’il
en
soit,
il
semblerait
qu’à
l’époque,
«
la
dynamique
sociale
y
était
réglée
par
des
systèmes
parentaux
et
totémiques
très
élaborés,
ainsi
que
par
un
principe
de
réciprocité
et
d’échange1
».
En
effet,
les
aborigènes
étaient
en
grande
partie
organisés
en
tribu,
c’est‐
à‐dire
en
un
ensemble
d’individus
partageant
des
règles
communes
ou
normes
coutumières,
vivant
sur
un
même
territoire
et
parlant
une
même
langue.
La
taille
de
ces
groupes
variait
d’une
région
à
l’autre
allant
d’une
centaine
de
membres
(comme
ceux
du
Désert
de
l’Ouest),
à
plusieurs
milliers
de
personnes
(les
Warlpiri
ou
les
Aranda
par
exemple).
Ces
«
tribus
»
étaient
également
divisées
en
clans
qui
regroupaient
les
membres
descendants
d’un
même
ancêtre
(réel
ou
mythique).
En
général,
les
hommes
d’un
clan
épousaient
une
femme
d’un
autre
clan
suivant
un
schéma
d’alliance
exogamique
sociale
et
locale
;
ainsi,
les
groupes
dans
lesquels
le
père
et
le
fils
cherchaient
une
épouse
n’étaient
pas
les
mêmes.
Le
Dreamtime
Comme
beaucoup
de
communautés
nomades,
la
terre
est
un
élément
central
dans
la
culture
des
aborigènes,
elle
est
au
centre
de
leur
vie
matérielle
et
spirituelle.
Pour
autant,
malgré
cet
élément
central,
l’ensemble
des
croyances
et
des
pratiques
semblent
varier
d’une
région
à
l’autre
et
peuvent
être
caractérisées
comme
«
faites
à
la
fois
des
fragments
d’un
catéchisme,
d’un
fascicule
liturgique,
d’une
histoire
de
la
1
H.
Oldmeadow,
Mélodies
de
l’Au‐Delà
:
Perspective
schuonienne
sur
la
religion
des
aborigènes
d’Australie
1
civilisation,
d’un
manuel
de
géographie
et,
dans
une
moindre
mesure,
d’un
fascicule
de
cosmographie2
».
En
effet,
le
système
de
croyances
et
les
mythes
qui
s’y
raccrochent
sont
très
denses,
variant
d’un
groupe
à
l’autre.
Cela
s’explique
notamment
par
le
fait
que
ces
mythes
sont
racontés,
développés,
élaborés
et
vécus
différemment
par
les
membres
de
chaque
groupe.
Pour
autant,
même
si
les
systèmes
religieux
divergent
d’un
groupe
à
l’autre,
ces
croyances
semblent
former
un
système
polythéiste
et
animiste.
Comme
souvent
dans
ce
type
de
système
religieux,
nous
pouvons
remarquer
que
les
croyances
et
les
pratiques
se
sont
développées
à
partir
de
traditions
elles‐mêmes
basées
sur
un
ensemble
de
mythologies.
En
effet,
au
centre
de
la
culture
aborigène,
nous
trouvons
la
notion
de
«
Dreamtime
»
ou
Tjukurrpa
en
langue
anangu
qui
semble
rassembler
les
différentes
populations
aborigènes
autour
d’un
même
élément,
«
mélange
entre
la
diversité
et
la
similitude
des
mythes
sur
l’ensemble
du
continent3
».
Le
Dreamtime
se
présente
ainsi
comme
un
ensemble
de
récits
mythiques
présent
chez
les
sociétés
aborigènes
qui
explique
notamment
les
origines
de
l’Australie
et
de
ses
habitants,
mais
aussi
les
rituels
nécessaires,
la
cosmologie
et
les
origines
des
manières
de
faire
et
de
penser.
Les
récits
du
Dreamtime
narrent
le
processus
par
lequel
le
Monde
vit
le
jour,
au
temps
où
les
ancêtres
traversèrent
le
pays
et
y
créèrent
la
vie,
la
géographie
du
territoire,
les
animaux,
les
plantes,
les
roches
et
toutes
formes
de
vie
:
ces
mythes
«
décrivent
généralement
les
voyages
d’ancêtres,
souvent
des
personnes
ou
des
animaux
géants,
sur
ce
qui
était
alors
un
monde
dépourvu
de
tout.
Les
montagnes,
les
rivières,
les
points
d’eau,
les
espèces
animales
et
végétales
et
d’autres
ressources
naturelles
et
culturelles
ont
vu
le
jour
à
la
suite
d’événements
qui
ont
eu
lieu
au
cours
du
‘temps
du
rêve’.
Leur
présence
dans
le
paysage
d’aujourd’hui
est
considérée
par
de
nombreux
peuples
autochtones
comme
étant
une
confirmation
de
leurs
croyances
sur
la
Création4
».
Parmi
ces
ancêtres,
on
trouve
la
présence
notamment
d’un
pouvoir
transcendant
qui
aurait
créé
le
monde.
Cette
déité
immuable
est
connue
sous
différents
noms
(Balame,
Bunfil,
Daramulan,
Nurelli,
Mangela).
Elle
est
présentée
sous
une
forme
anthropomorphique
masculine
et
serait
présente
dans
l’ensemble
de
la
création
(elle
est
ainsi
reliée
à
l’humanité
toute
entière).
D’autres
êtres
«
totémiques
»
sont
présents
et
occupent
une
place
non
négligeable
dans
la
mythologie
aborigène.
Nous
trouvons
ainsi
la
présence
du
Serpent
arc‐en‐ciel5,
qui
représente
la
force
génératrice.
Dans
ce
récit,
le
Serpent
arc‐en‐ciel
serait
descendu
sur
Terre
depuis
la
Voie
lactée
sous
la
forme
d’un
arc‐en‐ciel
lorsqu’il
aurait
pénétré
dans
l’eau
ou
la
pluie.
Ce
serait
lui
qui
aurait
notamment
façonné
les
paysages.
Ainsi,
la
topographie
de
l’Australie
y
est
interprétée
à
travers
des
subtilités
culturelles,
des
interprétations
issues
de
la
sagesse
et
de
la
connaissance
des
«
anciens
»
;
les
chemins
empruntés
par
les
ancêtres,
les
lieux
(comme
par
exemple
Ubirr)
sont
ainsi
2
A.
Van
Gennep,
Rites
of
Passage,
1960
C.
Berndt
(dir.),
Mythology,
The
Encyclopedia
of
Aboriginal
Australia
:
Aboriginal
and
Torres
Strait
Islander
History,
Society
and
Culture,
Canberra,
Aboriginal
Studies
Press,
1994
4
Dermot
Smyth,
Understanding
Country
:
The
Importance
of
Land
and
Sea
in
Aboriginal
and
Torres
Strait
Islander
History,
Society
and
Culture,
Canberra,
Aboriginal
Studies
Press,
1994
5
Terme
que
l’on
doit
à
l’anthropologue
britannique
Alfred
Radcliffe‐Brown
3
2
considérés
comme
sacrés.
Il
existe
d’ailleurs
des
chants
et
des
cérémonies
qui
décrivent
la
façon
de
les
parcourir
:
«
Les
routes
empruntées
par
le
Créateur
au
cours
du
‘temps
des
rêves’,
à
travers
les
terres
et
les
mers,
(…)
relient
entre
eux
de
nombreux
sites
sacrés
qui
forment
un
réseau
de
pistes
qui
sillonnent
le
pays.
Ces
‘pistes
du
rêve’
peuvent
s’étendre
sur
des
centaines,
voire
des
milliers
de
kilomètres
à
travers
le
désert
jusqu’à
la
côte
(et)
peuvent
être
partagées
par
les
peuples
dont
le
territoire
est
traversé6
».
Les
aborigènes
créent
de
ce
fait
une
relation
particulière
entre
les
individus,
les
animaux
mais
aussi
avec
la
terre
qui
constitue
un
élément
central
et
sacré
(puisque
l’esprit
des
ancêtres
serait
resté
dans
la
terre,
faisant
de
celle‐ci
un
lieu
sacré
pour
les
peuples
aborigènes).
La
terre,
les
hommes,
les
animaux,
les
plantes…
ne
sont
que
des
parties
d’un
grand
tout
sacré
(ce
qui
explique
également
les
conflits
entre
les
colons
et
les
aborigènes
car
les
notions
de
propriétés
ne
sont
pas
définies
de
la
même
manière
par
les
deux
camps
;
c’est
encore
le
cas
aujourd’hui).
Ainsi,
le
Dreamtime
marque
un
lien
entre
le
passé
et
le
présent,
les
aborigènes
et
leurs
territoires,
basant
leur
système
de
croyances
sur
la
Nature
:
les
humains
sont
associés
à
la
terre
et
à
des
sites
précis,
eux‐mêmes
en
lien
avec
des
ancêtres.
De
ce
fait,
préserver
ces
sites
est
un
devoir
pour
chaque
aborigène,
par
l’accomplissement
de
rituels
afin
de
maintenir
l’ordre
créé
par
les
ancêtres
puisque
chaque
site,
chaque
élément
du
paysage
mêle
le
passé
et
le
présent
:
«
ces
sociétés
sont
ethnocentriques,
non‐universelles,
non‐
prosélytes
;
elles
sont
engagées
dans
un
rapport
intime
avec
leur
habitat
naturel,
rapport
qui
est
vécu
comme
une
parenté
spirituelle7
».
Mythologie
et
fait
social
Ce
système
mythologique
comporte
également
un
important
ensemble
de
connaissances,
de
valeurs
culturelles
et
de
systèmes
de
croyances
qui
se
transmettent
de
génération
en
génération.
Ce
savoir
est
souvent
acquis
progressivement
lors
notamment
des
rites
d’initiation
qui
le
dévoilent
aux
néophytes.
Cela
constitue
une
part
importante
du
mode
de
vie
aborigène
basée
sur
des
pratiques
rituelles,
incluant
des
responsabilités
économiques
mais
aussi
écologiques
envers
leur
milieu
naturel.
Une
part
importante
de
ces
connaissances
est
détenue
et
préservée
par
différentes
personnes
nommées
«
karadjis
»
que
l’on
pourrait
traduire
par
«
sorciers
»
ou
«
chamans
».
Comme
bien
souvent,
leur
rôle
est
avant
tout
de
guérir
les
malades,
de
défendre
la
communauté
contre
la
magie
néfaste
de
ses
ennemis,
d’accomplir
les
rituels
nécessaires
au
bon
équilibre
de
la
communauté
(notamment
lors
des
rites
d’initiation)
mais
aussi
«
de
servir
d’exemples
culturels
et
spirituels
par
leur
accès
aux
pouvoirs
occultes
et
leur
conservation
de
l’héritage
mythologique
et
cérémonial8
».
Ces
êtres
sont
également
les
passeurs
entre
le
monde
des
hommes
et
celui
des
ancêtres.
Ils
sont
d’autant
plus
importants
que
la
culture
aborigène
se
transmet
sans
réel
support
livresque
;
ils
sont
donc
les
seuls
à
en
connaître
les
«
doctrines
».
En
plus
d’offrir
une
explication
du
monde,
les
mythes
aborigènes
remplissent
également
une
importante
fonction
sociale
puisqu’ils
ordonnent
tous
les
aspects
de
la
vie,
en
justifiant
les
règles
de
vie
quotidienne,
ce
qui
est
bien
et
mal,
ce
qui
est
naturel
ou
ce
qui
6
Dermot
Smyth,
Understanding
Country
:
The
Importance
of
Land
and
Sea
in
Aboriginal
and
Torres
Strait
Islander
History,
Society
and
Culture,
Canberra,
Aboriginal
Studies
Press,
1994
7
H.
Oldmeadow,
Mélodies
de
l’Au‐Delà
:
Perspective
schuonienne
sur
la
religion
des
aborigènes
d’Australie
8
H.
Oldmeadow,
Mélodies
de
l’Au‐Delà
:
Perspective
schuonienne
sur
la
religion
des
aborigènes
d’Australie
3
est
vrai.
Ils
façonnent
également
le
système
de
pensée
aborigène,
en
incorporant
et
en
«
mythologisant
»
les
événements
historiques
;
les
aborigènes
y
puisent
alors
les
éléments
constitutifs
de
leur
mode
de
vie
:
«
les
peuples
aborigènes
apprennent
de
ces
histoires
qu’une
société
ne
doit
pas
être
centrée
sur
l’homme,
mais
plutôt
sur
un
territoire.
Dans
le
cas
contraire,
ils
oublient
leurs
origines
et
leur
raison
d’être
(…).
Les
hommes
ont
tendance
à
être
des
exploiteurs
si
on
ne
leur
rappelle
pas
constamment
qu’ils
sont
interconnectés
avec
le
reste
de
la
Création,
qu’ils
ne
sont
que
des
incarnations
temporelles,
et
qu’ils
doivent
inclure
les
générations
passées
et
futures
dans
la
perception
de
leur
raison
d’être
(…).
Il
y
a
une
profonde
compréhension
de
la
nature
humaine
et
de
son
environnement
(…).
C’est
une
réalité
intangible
de
ces
peuples9
».
→
En
résumé,
le
Dreamtime
ou
Rêve,
premièrement,
«
est
un
récit
mythique
de
la
fondation
et
de
la
création
du
monde
par
les
Ancêtres‐Héros,
qui
sont
eux‐mêmes
éternels
et
incréées.
En
second
lieu,
‘le
Rêve’
désigne
la
manifestation
du
pouvoir
spirituel
de
ces
êtres
en
certains
sites
particuliers
de
leur
terre,
ainsi
qu’à
l’intérieur
de
certains
animaux
ou
de
certaines
plantes,
de
telle
sorte
que
ce
pouvoir
reste
accessible,
aujourd’hui
encore,
aux
humains.
On
pourrait
dire,
en
effet,
que
pour
l’Aborigène
sa
terre
ancestrale
est
une
sorte
d’icône
religieuse,
puisque
non
seulement
elle
représente
le
pouvoir
des
êtres
du
Dreamtime,
mais
encore
le
manifeste
concrètement
et
le
transmet.
Troisièmement,
‘le
Rêve’
englobe
tout
le
mode
de
vie
ou
la
‘Loi’
–
les
préceptes
moraux
et
sociaux,
le
rituel,
les
cérémonies,
etc.
–
dont
ces
mythes
constituent
le
fondement.
Enfin,
‘le
Rêve’
peut
désigner
la
‘Voie’
ou
vocation
personnelle
d’un
individu,
en
fonction
de
son
appartenance
à
un
clan,
en
vertu
de
sa
spiritualité
propre,
qui
le
relie
à
des
sites
particuliers10
».
Musiques
et
arts
aborigènes
D’autres
éléments,
plus
«
artistiques
»,
revêtent
également
une
place
centrale
dans
la
spiritualité
aborigène.
C’est
le
cas
notamment
de
la
musique
et
des
arts.
En
effet,
le
Dreamtime
est
souvent
ritualisé
à
travers
des
danses
et
des
chants,
notamment
lors
du
«
Corroboree
»
qui
est
une
réunion
commémorative
des
aborigènes
d’Australie.
En
effet,
«
au
cœur
de
ces
cultures
se
trouve
la
croyance
en
un
ensemble
de
pouvoirs
surnaturels
auxquels
l’homme
peut
avoir
accès,
et
le
monde,
dans
leur
vision
spécifique,
et
tout
entier
infusé
de
force
spirituelle11
».
Ainsi,
lors
de
cet
événement,
les
aborigènes
interagissent
avec
le
Dreamtime
à
travers
la
danse,
la
musique,
le
costume…
Ce
type
de
cérémonie
sacrée
crée
un
lien
entre
les
temps
anciens
et
l’époque
contemporaine,
créant
un
riche
héritage
culturel.
Les
chants
sacrés
sont
donc
un
élément
clé
du
système
religieux
aborigène
qui
s’accompagne
également
de
danses
rituelles.
Ces
chants
sont
réservés
à
certaines
occasions
car
leurs
paroles
se
réfèrent
bien
souvent
à
des
récits
mythologiques.
9
C.
Morris
(dir.),
An
Approch
to
Ensure
Continuity
and
Transmission
of
the
Rainforest
Peoples’
Oral
Tradition,
An
Identification
of
Problems
and
Potential
for
Future
Rainforest
Aboriginal
Cultural
Survival
and
Self‐
Determination
in
the
Wet
Tropics,
Cairns,
Centre
fort
Aboriginal
and
Torres
Strait
Islander
Participation
Research
and
Development,
1995
10
H.
Oldmeadow,
Mélodies
de
l’Au‐Delà
:
Perspective
schuonienne
sur
la
religion
des
aborigènes
d’Australie
11
H.
Oldmeadow,
Mélodies
de
l’Au‐Delà
:
Perspective
schuonienne
sur
la
religion
des
aborigènes
d’Australie
4
Pour
autant,
il
existe
dans
des
chants
non
sacrés
mais
secrets
qui
sont
uniquement
dédiés
à
des
lieux
saint
et/ou
associés
à
un
rituel
interdit
au
profane
:
«
les
chants
nouveaux
sont
appris
en
rêve,
ou
lors
de
visions
inspirées
par
les
totems
ou
par
les
esprits
des
morts
;
les
anciens
chants
et
les
cérémonies
qui
leur
sont
associées,
font
l’objet
d’un
véritable
troc
entre
tribus
et
se
marchandent
le
long
des
routes
commerciales12
».
De
plus,
ces
chants
associés
à
des
rites
ont
des
buts
divers
et
variés
:
initiation,
amour,
magie,
sorcellerie,
guérison
de
malade…
Ils
peuvent
également
se
rapporter
à
des
activités
telles
que
la
chasse
ou
la
guerre.
De
ce
fait,
il
semble
qu’il
n’existe
pas
à
proprement
parler
de
distinction
entre
les
choses
spirituelles,
sacrées
et
celles
profanes
:
toute
vie
est
perçue
comme
sacrée
et
toute
action
a
une
implication
morale.
En
outre,
les
aborigènes
sont
également
de
remarquables
peintres.
L’art
aborigène
tend
ainsi
à
se
faire
connaître
d’un
point
de
vue
mondial.
Mais
surtout,
l’art
est
un
moyen
pour
ces
peuples
d’exprimer
des
réalités
spirituelles.
En
effet,
à
travers
cet
art,
les
vérités
métaphysiques
s’offrent
à
l’ensemble
de
la
collectivité
sociale
:
«
en
évitant
les
pièges
de
l’abstraction
et
du
raisonnement
trop
subtil,
il
demeurait
accessible
à
toutes
les
mentalités
et,
de
par
son
symbolisme,
s’adressait
à
la
personne
toute
entière
plutôt
qu’au
seul
esprit,
actualisant
ainsi
l’apprentissage
de
la
tradition13
».
Leurs
œuvres
peuvent
être
assimilées
à
une
forme
d’écriture
et
sont
essentiellement
tournées
vers
la
mythologie
du
rêve
:
ils
évoquent
souvent
le
Dreamtime
qui
relate
le
mythe
de
la
Création
selon
leur
culture.
A
l’exception
des
peintures
rupestres,
la
plupart
des
œuvres
aborigènes
étaient
éphémères.
Qu’en
est­il
aujourd’hui
?
Durant
les
siècles
passés,
les
aborigènes
ont
souffert
de
nombreuses
vagues
colonisatrices,
notamment
de
la
part
des
britanniques
qui
ont
décimé
une
partie
de
la
population
aborigène.
Chez
certains
de
ces
peuples,
un
mythe
narre
d’ailleurs
que
les
ancêtres
aborigènes
auraient
rencontré
un
personnage
mythique
(du
nom
de
«
capitaine
Cook
»)
arrivant
de
la
mer
et
qui
aurait
été
à
l’origine
du
colonialisme.
Bien
que
la
véracité
de
ce
personnage
soit
discutable,
il
est
certain
que
ces
vagues
de
colons
ont
particulièrement
marqué
l’histoire
des
aborigènes
et
que
le
colonialisme
occidental
a
profondément
transformé
l’ordre
social
originel
des
aborigènes
(et
ce
jusqu’à
aujourd’hui).
Même
si
les
aborigènes
furent
méprisés
dès
le
départ
par
les
occidentaux,
notamment
lors
de
la
colonisation,
cette
situation
semble
évoluer
depuis
plusieurs
années.
En
effet,
dès
1967,
une
plus
grande
place
fut
attribuée
aux
aborigènes
par
le
gouvernement
fédéral
qui
vota
notamment
des
lois
pour
les
protéger,
les
recenser.
Ces
lois
leur
permirent
d’accéder
à
la
citoyenneté,
à
la
libre
résidence
et
au
droit
de
vote
(même
s’ils
restent
exclus
des
listes
électorales
dans
le
Queensland
et
en
Autralie
de
l’Ouest).
Depuis
1976,
une
partie
des
terres
spoliées
par
les
colons,
a
été
rendue
aux
aborigènes
qui
ont
pu
retourner
vivre
sur
la
terre
de
leurs
ancêtres
ou
homeland,
terres
desquelles
ils
avaient
été
chassés
dès
le
début
de
l’invasion
britannique.
Ces
terres
sont
d’autant
12
E.
McLean,
Musicales
(traditions)
‐
Musiques
de
l'Océanie,
Encyclopédie
Universalis
H.
Oldmeadow,
Mélodies
de
l’Au‐Delà
:
Perspective
schuonienne
sur
la
religion
des
aborigènes
d’Australie
13
5
plus
importantes
pour
les
aborigènes
qu’elles
sont
intrinsèquement
liées
à
leur
identité
;
elles
sont
le
lieu
de
leurs
origines,
là
où
vivaient
leurs
ancêtres.
Pour
autant,
la
majorité
des
terres
doivent
encore
être
restituées
aux
aborigènes
pour
qui
leur
perte
a
eu
un
effet
dévastateur
sur
le
plan
social
et
démographique.
En
1992,
le
premier
ministre
australien,
Paul
Keating,
reconnut
publiquement
les
torts
faits
aux
aborigènes
dans
un
discours
devenu
célèbre,
celui
de
Redfern.
Ce
discours
devait
contribuer
à
l’amélioration
des
conditions
de
vie
des
aborigènes
:
«
nous
ne
pouvons
pas
imaginer
que
les
descendants
d’un
peuple,
dont
le
génie
et
la
résistance
ont
maintenu
une
culture
ici
depuis
plus
de
50
000
ans,
qui
survécut
à
200
ans
de
dépossessions
et
d’abus,
se
voit
niée
leur
place
dans
la
Nation
».
En
effet,
lors
de
l’arrivée
des
colons,
beaucoup
d’aborigènes
furent
massacrés
ou
moururent
d’épidémies.
Les
enfants
furent
vite
retirés
de
leurs
parents
et
placés
dans
des
familles
blanches
ou
dans
des
institutions
missionnaires,
le
but
étant
d’effacer
toute
trace
de
leur
culture
et
de
la
langue
aborigène.
Moins
d’un
siècle
après
la
première
invasion
de
l’Australie,
la
population
aborigène
était
tombée
à
60
000
alors
qu’à
la
base,
elle
était
de
près
d’un
million
d’individus.
Suite
à
ce
discours
de
Redfern,
un
Sorry
Day
ou
jour
du
pardon
fut
instauré
et
chaque
année,
un
grand
nombre
d’australiens
participent
à
une
marche
pour
célébrer
cette
journée.
En
2008,
le
premier
ministre
Kevin
Rudd
et
le
chef
de
l’opposition
Brendan
Nelson
se
sont
excusés
devant
le
Parlement
au
nom
du
peuple
australien
pour
les
crimes
commis
par
le
passé
envers
les
peuples
aborigènes.
Et
en
2010,
l’Australie
accueillit
même
le
premier
aborigène
élu
à
la
Chambre
des
Représentants
du
Parlement
fédéral,
Ken
Wyatt.
Toutefois,
malgré
ces
«
progrès
»,
la
plupart
des
aborigènes
vivent
aujourd’hui
en
ville,
en
périphéries,
dans
des
conditions
souvent
effroyables.
Beaucoup
travaillent
comme
ouvriers
agricoles
dans
des
ranchs,
installés
sur
les
terres
dont
ils
ont
été
spoliés
et
ils
y
sont
souvent
exploités,
mal
payés.
De
plus,
malgré
une
politique
d’assimilation
censée
les
intégrer,
les
aborigènes
restent
en
marge
de
la
société
et
les
indicateurs
socio‐économique
les
concernant
sont
toujours
au
plus
bas
:
ils
subissent
en
effet
les
fléaux
de
l’alcool,
du
racisme,
de
la
violence
et
de
l’acculturation.
Leur
espérance
de
vie
serait
de
17
ans
plus
faible
que
celle
des
autres
australiens,
le
revenu
moyen
d’un
foyer
aborigène
s’élèverait
environ
à
40%
de
celui
d’un
non‐aborigène.
22%
des
aborigènes
se
retrouvent
également
dans
la
population
carcérale.
Beaucoup
dépendent
aussi
de
l’Etat
d’un
point
de
vue
financier
et
présentent
les
pires
symptômes
de
pauvreté
:
alcoolisme,
drogue,
fort
taux
d’incarcération,
chômage,
faible
degré
d’instruction,
suicide…
Malgré
ces
éléments
alarmants,
certains
peuples
comme
les
Martu,
en
Australie
occidentale,
ont
réussi
à
obtenir
des
titres
de
propriété
sur
leurs
terres.
D’autres
encore
vivent
dans
des
réserves
appelées
«
communautés
»
;
il
en
existerait
70
dans
les
Territoires
du
Nord.
Et
même
si
on
ne
peut
parler
de
«
nation
aborigène
»
et
que
les
médias
associent
trop
souvent
les
aborigènes
à
l’alcoolisme
et
à
la
misère,
le
poids
politique
de
ces
populations
est
de
plus
en
plus
important.
Fiche rédigée par Aurélie Giovine,
6
Anthropologue spécialisé dans l’étude des systèmes mythologiques et du fait religieux.
Référence
- B. Antheaume, J. Boissière, B. Bosa, H.J. Frith, Y. Fuchs, A. Huetz de Lemps, I. Merle, X.
Pons, Australie, Encyclopédie Universalis
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Torres Strait Islander History, Society and Culture, Canberra, Aboriginal Studies Press, 1994
- L. Dousset, Ontogenèse d’un mythe événementiel en Australie (http://tc.revues.org/1128)
- B. Glowczewski, Aborigènes australiens, Encyclopédie Universalis
- J. Guiart, Kariera, Enclyclopédie Universalis
- C. Morris (dir.), An Approch to Ensure Continuity and Transmission of the Rainforest
Peoples’ Oral Tradition, An Identification of Problems and Potential for Future Rainforest
Aboriginal Cultural Survival and Self-Determination in the Wet Tropics, Cairns, Centre fort
Aboriginal and Torres Strait Islander Participation Research and Development, 1995
- E. McLean, Musicales (traditions) - Musiques de l'Océanie, Encyclopédie Universalis
- H. Oldmeadow, Mélodies de l’Au-Delà : Perspective schuonienne sur la religion des
aborigènes d’Australie
- D. Smyth, Understanding Country : The Importance of Land and Sea in Aboriginal and
Torres Strait Islander History, Society and Culture, Canberra, Aboriginal Studies Press, 1994
- A. Van Gennep, Rites of Passage, Editions A&J Picard, 2011
- Site du gouvernement australien (http://australia.gov.au/about-australia/australianstory/dreaming)
- Site de Survival (http://www.survivalfrance.org/)
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