Guide d`exposition - Zentrum Paul Klee

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Guide d`exposition - Zentrum Paul Klee
Satire – Ironie – Grotesque
Daumier
Ensor
Feininger
Klee
Kubin
Avec le soutien de la Fondation Paul Klee de la bourgoisie de Berne
Introduction
«Je sers la beauté en dessinant ses ennemis. (Caricature,
satire).» C’est ainsi que Paul Klee, en 1901, commente le
regard critique qu’il porte sur le monde. Dans ses œuvres de
jeunesse, les dessins satiriques et les caricatures constituent
les éléments marquants de sa création. L’exposition «Satire
– Grotesque – Ironie» thématise l’importance du commentaire satirique et de la charge grotesque dans l’œuvre de
Klee et de ses contemporains au tournant du 20ème siècle.
Des artistes liés avec Klee – tels que Lyonel Feininger et
Alfred Kubin – mais aussi des modèles comme Honoré
Daumier ou James Ensor ouvrent l’exposition. Ces derniers,
des références dans ce domaine, ont donné d’importantes
impulsions. Le Klee satirique et caricaturiste ne se comprend que si l’on tient compte de son «environnement
satirique»: les revues munichoises du tournant du siècle, et
en particulier le «Simplicissimus». Un espace de lecture, au
centre du parcours, offre aux visiteurs un aperçu de ce
monde. Au fil de l’exposition apparaissent les multiples
facettes de cette prédilection de Klee pour la satire et le
grotesque, ainsi que son sens de l’ironie. À partir des
dessins que Klee crée en marge de ses livres et cahiers
d’écolier, ainsi que de ses premières pièces grotesques,
satires et «Inventions», le regard critique et ironique que
l’artiste porte sur le monde est présenté à partir de six
directions thématiques. Celles-ci abordent des questions
très variées: les rapports entre les sexes, ceux du pouvoir et
de la politique, de la guerre et du militarisme, de la religion
et de la bigoterie, ou encore les sous-entendus liés à un
monde animal dans lequel se reflètent les comportements
humains.
Citations dans l'exposition
«La satire revêt des aspects positifs: par respect pour
l’humain, guerre à ceux qui le déshonorent.»
Paul Klee, Textes autobiographiques (en rapport avec l’année 1902)
«Je sers la beauté en dessinant ses ennemis. (Caricature,
satire).»
Paul Klee, Journal, N° 142, 1901
«Grand désarroi. C’est pourquoi je ne suis tout entier que
satire. Provisoirement elle forme mon seul article de foi.
Peut-être ne serai-je jamais positif?»
Paul Klee, Journal, N° 294, 1901
«C’en est assez du rire amer au sujet de ce qui es, et qui
n’est pas comme il faudrait ce que fût.»
Paul Klee, Journal, N° 611, 1905
«Nul n’a besoin d’ironiser à mes dépens, je m’en charge
moi-même.»
Paul Klee, Journal, N° 744/45, 1906
1 Honoré Daumier – Biographie
«J’entretiens aussi des liens plus étroits avec Daumier.»
Paul Klee, Textes autobiographiques, N° 798/799, (en rapport avec
l’année 1907)
Honoré Daumier naît à Marseille en 1808. Lorsqu’il a huit
ans, sa famille part s’installer à Paris. En 1822, après avoir
occupé différents emplois, Daumier rencontre l’artiste
Alexandre Lenoir et prend des cours de dessin. Il entre à
l’Académie Suisse et se rend souvent au Louvre pour y copier
les maîtres anciens. En 1825, Daumier devient l’assistant du
lithographe Zéphirin Belliard. Il travaille comme illustrateur
pour la revue «La Silhouette» à partir de 1830, époque à
laquelle commence également sa carrière de peintre. Cette
année-là, Charles Philipon fonde «La Caricature», une revue
satirique illustrée où Daumier obtient un emploi stable à
partir de 1832. L’une de ses caricatures lui vaut d’être
condamné à six mois de prison pour crime de lèse-majesté.
L’année suivante, il commence à dessiner pour la revue «Le
Charivari». En 1834, il réalise ses premières sculptures. «La
Caricature», suite aux lois de septembre, doit cesser de
paraître en 1835. Parallèlement à ses activités pour les
revues, il illustre certaines œuvres de Balzac et d’Eugène Sue,
entre autres. Il épouse Marie-Alexandrine Dassy en 1846. Le
personnage de «Ratapoil» fait sa première apparition chez
Daumier en 1850. Il s’installe à Valmondois en 1865. Il perd
peu à peu la vue, si bien qu’en 1873 il lui faut renoncer à son
travail artistique. Il meurt en 1879.
Daumier compte parmi les plus importants caricaturistes
de l’histoire de l’art. Il est encore jeune quand il commence
à travailler pour les journaux satiriques parisiens les plus
célèbres, comme «La Caricature» ou «Le Charivari». Il
dénonce avec force sarcasmes les dysfonctionnements
sociaux et politiques de son époque. C’est ce que montrent
les petits bustes en bronze des «Célébrités du juste milieu»,
des parlementaires et des personnages politiques dont
Daumier réalise des ébauches en terre cuite. Ces personnalités font également leur entrée dans les lithographies
satiriques de «La Caricature». Il s’agit là de célébrités
issues du gouvernement de Louis-Philippe après la révolution de juillet de 1830. Daumier crée des personnages
comme «Robert Macaire» ou «Ratapoil», un fonctionnaire
douteux de Louis Napoléon Bonaparte (en 1848, le princeprésident avait été élu pour quatre ans à la tête de la IIe
République). Il le représente dans une sculpture – le plâtre
original (vers 1850/51), exposé ici, en témoigne – mais aussi
dans des lithographies pour «Le Charivari». En confrontant
Daumier et Klee, nous montrons par ailleurs comment ce
dernier, dans des dessins satiriques et ironiques, exploite
certains motifs de son prédécesseur, tout en situant les
scènes autour de 1933, sur fond de prise de pouvoir des
nationaux-socialistes.
2 James Ensor – Biographie
«J’oscille entre la sobriété des dernières études tonales d’après nature et
le genre fantastique à la Ensor.»
Paul Klee, Journal, Nr. 798, octobre/novembre 1907
James Ensor naît à Ostende en 1860. Il prend ses premiers
cours de dessin à treize ans et fréquente l’Académie
d’Ostende à partir de 1876. L’année suivante, il s’inscrit à
l’Académie des Beaux-arts de Bruxelles et y poursuit ses
études jusqu’en 1880, avant de regagner la maison familiale à Ostende. En 1881, il devient membre du cercle
artistique «La Chrysalide» et a, pour la première fois,
quelques occasions d’exposer. Il fait aussi partie d’autres
groupes comme celui des «XX», «L’Essor» ou «Le Cercle
Artistique» et participe à leurs expositions. À partir du
milieu des années 1880, Ensor se détourne d’un mode de
représentation réaliste pour donner à sa création un tour
fantastique et grotesque. En 1886, il tombe gravement
malade. Il se consacre, dès 1888, à son œuvre maîtresse, une
toile de grand format, «L’Entrée du Christ à Bruxelles». Ses
œuvres se heurtent à l’incompréhension du public, mais la
situation changera rapidement après 1900. C’est en 1917
qu’il s’installe dans la maison de son oncle et y aménage
une sorte de musée privé – l’actuelle Maison Ensor. L’artiste
revient alors à des thèmes et des motifs antérieurs. Il
développe un large éventail de styles. En 1926, ses œuvres
sont exposées à la Biennale de Venise. Il meurt à Ostende en
1949, après une brève maladie.
En 1886, James Ensor découvre à Bruxelles des œuvres
d’Odilon Redon qui l’impressionnent profondément et vont
favoriser un tournant dans sa création. Ceci le conduit à
une approche subjective de la réalité, dans laquelle la
littérature – les récits fantastiques d’Edgar Allan Poe ou de
E.T.A. Hoffmann, ainsi que les classiques – joue un rôle très
important. En dehors de Redon, il s’intéresse à des artistes
comme Goya, Bosch et Bruegel l’Ancien dont les œuvres aux
motifs étranges ou satiriques le fascinent. Dans ses
souvenirs d’enfance, Ensor évoque déjà des événements peu
habituels. Dans sa boutique, sa mère proposait des curiosités, des chinoiseries, des masques et des articles de carnaval. Ses œuvres sont empreintes d’un humour grotesque,
parfois amer; ses sarcasmes, ses railleries irrespectueuses,
parfois triviales, visent les piliers de la société de façon
provocante. Des motifs tel que le squelette, les démons et les
masques font, de plus en plus, leur entrée dans son œuvre
aux côtés de thèmes macabres ou de références à la vie du
Christ. Dans de nombreux portraits, Ensor se représente
sous l’apparence d’un squelette ou d’un christ en croix; ses
autoportraits sont l’occasion de s’interroger sur lui-même.
Klee découvre l’œuvre d’Ensor en 1907, grâce à son ami
Ernst Sonderegger, illustrateur et dessinateur suisse. Klee
n’estime pas seulement la subjectivité d’Ensor, il apprécie
beaucoup aussi les moyens graphiques qu’il utilise.
3 Alfred Kubin – Biographie
«Kubin. Non seulement son esprit est extrêmement agile, mais il recèle
aussi des richesses spécifiques. Chez lui, j’admire la profusion; et lui
admire mon style économe.»
Paul Klee, Lettre à Ernst Sonderegger, le 18.6.1912
Kubin naît en 1877 à Leitmeritz, dans le nord de la Bohème.
Il fréquente le lycée de Salzbourg, mais le quitte avant la fin
de sa scolarité. Il obtient un diplôme d’apprenti photographe à Klagenfurt. Après différents conflits avec des
collègues et des supérieurs, il fait une tentative de suicide.
Par la suite, il ne cessera d’être tourmenté par des crises et
des dépressions. En 1898, la même année que Klee, il
commence à étudier les beaux-arts à Munich. Sa première
exposition a lieu en 1902 à Berlin. Deux ans plus tard, il
épouse Hedwig Gründler; ils font l’acquisition du petit
château de Zwickledt, en Haute-Autriche. En 1908 Kubin
écrit son roman «Die andere Seite» (L’autre côté), une
œuvre majeure pour la littérature expressionniste. En 1909,
il fait partie des membres fondateurs de la «Nouvelle
Association des artistes de Munich». À partir de 1910 et
jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, il échange
constamment avec Klee. Il se joint au groupe du «Cavalier
Bleu» et travaille pour la revue satirique «Simplicissimus».
En 1913, Klee accroche pour Kubin une exposition à la
Galerie Thannhäuser à Munich. Les illustrations de livres
(de Dostoïevski à Poe) constituent jusque dans les années
1940 une part importante de sa création. Pendant la
Seconde Guerre mondiale, Kubin vit retiré à Zwickledt. En
1950, on peut voir ses œuvres à la Biennale de Venise.
L’artiste meurt à Zwickledt en 1959.
C’est surtout à sa première période (1899–1904) que Kubin
doit sa notoriété. Il s’intéresse de près à des artistes comme
Ensor, Goya, Max Klinger ou Redon. Il puise par ailleurs son
inspiration dans des scènes et des figures issues de rêves et
de souvenirs d’enfance ou de jeunesse, comme la mort de sa
mère. Il crée un monde d’images fantastiques et grotesques
où dominent les pulsions, les peurs, l’abîme et le bizarre.
Des scènes de Kubin, situées dans des paysages déserts, se
dégage une atmosphère sombre et angoissante. Ses visions
sombres, il les transpose en images avec une grande
précision, au crayon ou à la plume, mais aussi à l’aquarelle
– par vaporisation. Après 1905, période de crise sur le plan
créatif, Kubin travaille en 1908 à son roman, «L’autre
côté». Il y décrit l’empire du rêve: un monde qui s’effondre
et dans lequel on reconnaît la monarchie austro-hongroise.
Par la suite, il développe un nouveau style, extrêmement
linéaire et très proche des illustrations que Klee réalise pour
«Candide». Mais dans le choix de ses motifs, Kubin reste
indépendant; il continue à créer un monde d’images
fantastiques en reprenant, souvent, des thèmes de son
roman.
4 Paul Klee – Biographie
Klee naît en 1879 à Münchenbuchsee près de Berne. Après
avoir longtemps hésité entre la musique et la peinture, en
1898, il se décide à étudier les beaux-arts à Munich. En
1901, il part pour plusieurs mois en Italie avec le sculpteur
Hermann Haller; c’est une période de crise sur le plan
créatif. L’artiste passe les années qui suivent à Berne, dans
la maison de ses parents. Il épouse Lily Stumpf en 1906 et
part s’installer avec elle à Munich. Un an plus tard naîtra
leur fils unique, Felix. En 1910, il fait la connaissance de
Kubin. Dès 1911, il noue des liens d’amitié avec les artistes
du «Cavalier Bleu» et participe à l’une de leurs expositions.
En 1914, il fait un voyage en Tunisie avec August Macke et
Louis Moilliet. Klee est astreint au service militaire en
1916, mais il n’est pas envoyé au front. Il commence à
enseigner au Bauhaus en 1921. Feininger et lui font partie
des «Quatre Bleu » avec Vassily Kandinsky et Alexej von
Jawlensky, artistes regroupés pour exposer ensemble. En
1931, Klee quitte le Bauhaus et accepte un poste de professeur à l’Académie des Beaux-arts de Düsseldorf. Après la
prise de pouvoir des nationaux-socialistes, il est immédiatement révoqué de son emploi de professeur et émigre à Berne
fin décembre 1933. En 1935 se manifestent les premiers
symptômes d’une grave maladie qui se révèle être une
sclérodermie. Klee meurt à Locarno-Muralto en 1940.
Son «penchant pour le bizarre» apparaît déjà dans les
manuels scolaires de Paul Klee dont les marges sont souvent
ornées de dessins. En 1898, Klee rédige avec ses camarades
de classe Hans Bloesch et René Thiessing un journal intitulé
«Die Wanze» (La punaise), contenant des textes satiriques.
Bloesch et Klee préparent également deux projets de livre,
«Das Buch» (Le livre, 1902–05) et «Die Musterbürger» (Les
citoyens modèles, 1908), pour lesquels Klee fournit des
illustrations et Bloesch les textes. Les œuvres de jeunesse de
Klee sont marquées par la satire et la caricature qui font
l’objet de ses préoccupations à des titres divers. Quand il
part étudier les beaux-arts à Munich en 1898, il espère y
susciter l’intérêt de la scène artistique pour les dessins
caustiques de sa jeunesse. Des journaux satiriques comme
«Die Jugend» (La jeunesse) et surtout le «Simplicissimus»
connaissent une grande vogue. Klee propose – mais en vain
– ses propres dessins au «Simplicissimus». Cet environnement marquera sa création jusque dans les années 1910.
Les dessins et les lithographies de Daumier, ainsi que
l’œuvre graphique d’Ensor inspirent Klee (tout comme
Alfred Kubin, avec qui il est lié) et auront une influence sur
la façon dont évolue le style de son dessin et dont se façonne
sa vision satirique du monde.
5 Klee et Daumier
Grâce à son ami Ernst Sonderegger, Klee découvre l’œuvre
de Daumier et celle d’Ensor. Dès 1907, il mentionne les deux
artistes dans son Journal. En 1939, il dit admirer Daumier
sans pour autant que ce dernier ait eu sur lui une influence
directe; quelques-uns de ses dessins parodiques de 1933
indiquent cependant qu’il s’est intéressé de près aux thèmes
et aux motifs des lithographies de Daumier. Ils renvoient à
la «révolution national-socialiste» et contiennent une
critique larvée de la barbarie de son époque.
6 Lyonel Feininger – Biographie
«Fameux ce Klee! Quel piquant, quel agacement! L’expression est
déconcertante, la forme d’un genre tout à fait nouveau. D’après ce que
je ressens, sa force évoque celle qui s’exprime parfois de façon latente
dans les dessins d’enfants.»
Lyonel Feininger, Lettre à Alfred Kubin, le 23.12.1913
Lyonel Feininger naît à New York en 1871. À l’âge de seize
ans, il va s’installer avec sa famille à Hambourg et prend
des cours de dessin à l’école professionnelle. En 1888, il part
pour Berlin où il fréquente l’Académie Royale. Peu après, il
obtient ses premiers contrats comme caricaturiste pour une
revue humoristique hebdomadaire («Humoristische
Blätter»). En 1890, il est inscrit au Collège Saint Servais, à
Liège, mais réintègre l’Académie berlinoise l’année suivante.
Feininger part étudier à Paris en 1892 et s’inscrit à
l’Académie Colarossi. Un an plus tard, il revient sur Berlin
et travaille comme caricaturiste pour différents journaux.
En 1901, il épouse Clara Fürst, mais la quitte quatre ans
plus tard et se marie avec Julia Berg en 1908. À partir de
1906, Feininger – qui vit alors à Paris – réalise des bandes
dessinées pour le Chicago Sunday Tribune. Feininger se lie
d’amitié avec Kubin en 1911; très vite s’établissent entre
eux d’intenses échanges épistolaires. Feininger entre en
contact avec les artistes du «Cavalier Bleu», mais ne se joint
pas à leur groupe. Il est le premier à être nommé professeur
au Bauhaus où il fait la connaissance de Klee. En 1924,
Emmy Scheyer fonde le groupe des «Quatre Bleus»: Feininger, Jawlensky, Kandinsky et Klee. En raison de la situation
politique en Allemagne, Feininger émigre aux États-Unis en
1937; l’année précédente, il avait déjà donné des cours au
Mills College à Oakland. L’artiste meurt à New York en
1956.
La plupart du temps, Lyonel Feininger passe pour être un
représentant du «cubisme allemand». Ce que l’on sait
moins, c’est qu’il a travaillé à Berlin, durant ses premières
années de création, pour des revues satiriques telles que
«Die Lustigen Blätter», «Ulk» ou «Das Schnauferl, Blätter
für Sporthumor»; il avait un véritable succès comme
illustrateur et caricaturiste et était même considéré comme
l’un des plus grands dans ce domaine. Entre 1890 et 1900
Feininger publie quelque 2'000 caricatures, commentaires
satiriques ou simples dessins humoristiques, pour l’essentiel
dans des journaux berlinois. Mais il est toujours limité par
les contraintes que lui imposent les rédacteurs et la
technique d’impression; il ne peut que rarement faire
passer ses propres idées. À partir de 1906, il réalise deux
bandes dessinées pour le Chicago Sunday Tribune: «The
Kin-der-Kids» et «Wee Willie Winkie’s World». Dorénavant,
le dessinateur jouit d’une liberté pleine et entière, notamment quand il collabore au journal parisien «Le Témoin» (à
partir de 1906); il perfectionne son style en aplats et
recourt à des perspectives inhabituelles. En 1913, il conçoit
pour un fabriquant de jouets des trains en bois peints qui
ne seront cependant pas produits. Au même moment, il
fabrique des cadeaux de Noël pour ses enfants: des figurines
et des maisons en bois qu’il sculpte et peint de diverses
couleurs, un ensemble qui sera intitulé, après sa mort, «La
ville du bout du monde».
7 Klee et Kubin
Après avoir vu des dessins de Klee, Kubin s’adresse à Klee
durant l’hiver 1910 en le priant de bien vouloir lui envoyer
quelques dessins – pour examen. Kubin lui achète une
œuvre choisie dans ce lot. Klee rapporte à un ami: «Ces
derniers temps, j’ai réussi à susciter un peu d’intérêt, mais
seul celui de Kubin me remplit d’une joie sans mélange.» En
janvier 1911, Kubin rend visite à Klee, qui retient ceci:
«Kubin, mon bienfaiteur, est venu me voir. Il a réagi avec
un tel enthousiasme qu’il m’a communiqué son élan.»
Kubin conforte Klee dans son intention d’illustrer «Candide», le roman satirique de Voltaire. Les illustrations de
Klee pour «Candide» vont à leur tour inspirer Kubin qui
développe un nouveau style graphique, caractérisé par un
tracé nerveux et des figures longilignes. Kubin continuera à
enrichir sa collection: 19 œuvres de Klee jusqu’en 1920.
8 Paul Klee – L’homme et la femme
Vers 1901, Klee voit des aquarelles érotiques d’Auguste
Rodin, qu’il qualifie de «caricatures de nus». Elles font
beaucoup d’effet sur lui. C’est dans les «Inventions», une
série d’eaux-fortes, que l’intérêt de Klee pour les thèmes de
la sexualité, de l’érotisme et du sexe trouve sa première
expression puissante. Elles proposent une représentation
caricaturale des notions morales au tournant du siècle.
Dans le style et les motifs choisis, ces œuvres rappellent le
langage visuel de Kubin. Comme chez ce dernier, la femme
apparaît sous l’aspect d’une séductrice néfaste: nue, le
corps décharné, dans des poses sans ambiguïté. Elle
s’adresse aux instincts de l’homme, à son animalité. En
cela, certaines œuvres sous verre se révèlent très proches des
«Inventions». Dans une série de dessins à la plume des
années 1912 et 1913 aux longues figures hachurées, la
sexualité devient un thème central dont Klee élargit
régulièrement le spectre. Ce processus se poursuit jusque
dans sa dernière période créatrice. Klee ne réduit pas les
relations entre les sexes à la sexualité; il prend également
pour thèmes le racolage, la tentation et la fécondité, allant
même jusqu’à représenter le personnage de Don Juan.
9 Paul Klee – Dieu et le monde
Sa vie durant, Klee est resté étranger à toute religion et n’a
jamais adhéré aux sectes ou sociétés secrètes ni aux
doctrines ésotériques. Ce qui ne l’empêche pas de s’y
intéresser, l’ésotérisme rencontrant un immense succès au
début du 20ème siècle. Bon nombre des œuvres de Klee
présentent des motifs religieux ou font tout au moins
allusion à la religion. Il prend pour cible la bigoterie, la
fausse dévotion ou le sectarisme en recourant aux moyens
abstraits de la satire, de l’ironie et de l’humour. En même
temps, Klee commente son éloignement relatif du terrestre
en utilisant des formules telles que «Ici-bas, je ne suis guère
saisissable» ou en imaginant «un point reculé, plus proche
de la création». L’artiste s’intéresse de près aux forces
créatrices et à leur déploiement dynamique lors de la
naissance – de la genèse – de l’œuvre d’art. Dans sa création, il se réfère au tragique originel de l’existence humaine
qui réside pour lui dans une contradiction déchirante entre
le corps, lié à la terre, et l’esprit, totalement libre, de
l’homme.
10 Paul Klee – L’ordre et l’État
Du point de vue de la représentation de l’exercice et des
structures étatiques du pouvoir en général, les œuvres de
Klee restent équivoques – contrairement aux caricatures de
Daumier.
Il ne reproduit pas directement les événements historiques
ni certains personnages spécifiques, mais condense dans des
messages visuels d’ordre général l’idée qu’il se fait des structures du pouvoir et de ses détenteurs les plus typiques. Il
prend par exemple la figure du policier ou celle du gendarme qui, selon les œuvres, peut devenir un personnage
comique et burlesque ou, dans d’autres cas, offrir effectivement protection et assistance. Après la prise du pouvoir par
les nationaux-socialistes en 1933, des thèmes tels que
l’exercice – légitime ou abusif – du pouvoir, l’éducation ou le
dressage réapparaissent sous une forme elliptique et inédite
dans ses dessins. Klee représente aussi les côtés sombres de
la société: meurtres, agressions et abus de pouvoir trouvent
leur expression dans un langage visuel souvent laconique.
11 Paul Klee – La guerre – où mène la
politique
Klee a vécu deux guerres mondiales. Pendant la première, il
fut enrôlé comme soldat; des horreurs de la seconde, il ne
vit que le commencement. Klee ne partage pas l’enthou-
siasme de bon nombre de ses collègues au début du premier
conflit mondial; il prend au contraire ses distances. Dans
ses travaux, les commentaires directs sur la guerre et la
politique sont rares. De ce fait, des œuvres comme «L'Allemand dans la mêlée» et «Lorsque j'étais une recrue»,
datant de la Première Guerre, ou «Heil!» de 1939, relèvent
plutôt de l’exception. Mais Klee reprend des images de la
propagande politique de son époque et les détourne de
manière ironique. Il prend pour cible le militarisme en
figurant des scènes de combat avec arc et flèche ou le
représente par des machines de guerre fantastiques et des
monstres aériens, qui évoquent les avancées de la technologie en matière d’armement. Ce sont en même temps des
images de la violence et des menaces qui semblent faire
partie de la vie humaine et sociale.
12 Paul Klee – Des animaux jouent la
comédie
Depuis sa prime enfance, Klee est fasciné par le monde
animal; on le constate dans de nombreux dessins et
tableaux, ainsi que dans ses cahiers d’écolier. À la maison,
les chats lui tiennent compagnie; et au Bauhaus, il possède
même un aquarium dans son atelier. Dans ses œuvres, on
est frappé par l’exceptionnelle diversité de la faune. Il ne
fait pas seulement le «portrait» d’animaux tels que le chat,
le poisson et l’oiseau, mais invente de nouvelles espèces et
des créatures fantaisistes. Ses animaux représentent
souvent moins les bêtes elles-mêmes que des comportements, types ou caractères proprement humains – car
l’artiste procède à un détournement ironique et satirique. Il
présente le «Bâtard» comme un animal qui fait le fier et se
donne des airs. Certains aspects reviennent au fil des
décennies, comme celui des liens de la femelle à ses petits
par exemple. Différents thèmes se font plus présents dans le
cadre d’événements précis. Ainsi, au début du régime
national-socialiste, le lion, allusion parodique aux nouveaux détenteurs du pouvoir, devient un thème de prédilection chez Klee.
13 Paul Klee – Naissance de tête
L’intérêt de Klee pour la physionomie humaine est une
composante centrale de son œuvre. Dans de nombreux
travaux, il met ainsi en relief – de façon souvent caricaturale – les traits caractéristiques d’un individu. Klee n’est
cependant pas un portraitiste à proprement parler et ne
s’est que très rarement investi dans la restitution vivante,
authentique et détaillée des visages. Klee se moquait
volontiers des vanités de ses contemporains, il les croquait
et les persiflait. Il s’amusait beaucoup chaque fois qu’il
tombait sur une caricature réussie, que ce soit au théâtre
ou dans la littérature.
Klee réalisa pour son fils Felix une cinquantaine de marion-
nettes. Trente d’entre elles sont encore conservées et
figurent dans la collection du Zentrum Paul Klee. Les huit
premières ont été réalisées en 1916 pour son fils, âgé alors
de 8 ans. Les autres marionnettes furent réalisées entre
1919 et 1925.
Informations complémentaires
Visites guidées des expositions
Allemand: Tous les Samedis à 15 h et tous les Dimanches à 13 h
Français: Chaque 1er Dimanche du mois à 14 h
Heures d’ouverture
Mardi à dimanche 10 à 17h
Fermé le lundi

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