Guide d`exposition - Zentrum Paul Klee
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Guide d`exposition - Zentrum Paul Klee
Satire – Ironie – Grotesque Daumier Ensor Feininger Klee Kubin Avec le soutien de la Fondation Paul Klee de la bourgoisie de Berne Introduction «Je sers la beauté en dessinant ses ennemis. (Caricature, satire).» C’est ainsi que Paul Klee, en 1901, commente le regard critique qu’il porte sur le monde. Dans ses œuvres de jeunesse, les dessins satiriques et les caricatures constituent les éléments marquants de sa création. L’exposition «Satire – Grotesque – Ironie» thématise l’importance du commentaire satirique et de la charge grotesque dans l’œuvre de Klee et de ses contemporains au tournant du 20ème siècle. Des artistes liés avec Klee – tels que Lyonel Feininger et Alfred Kubin – mais aussi des modèles comme Honoré Daumier ou James Ensor ouvrent l’exposition. Ces derniers, des références dans ce domaine, ont donné d’importantes impulsions. Le Klee satirique et caricaturiste ne se comprend que si l’on tient compte de son «environnement satirique»: les revues munichoises du tournant du siècle, et en particulier le «Simplicissimus». Un espace de lecture, au centre du parcours, offre aux visiteurs un aperçu de ce monde. Au fil de l’exposition apparaissent les multiples facettes de cette prédilection de Klee pour la satire et le grotesque, ainsi que son sens de l’ironie. À partir des dessins que Klee crée en marge de ses livres et cahiers d’écolier, ainsi que de ses premières pièces grotesques, satires et «Inventions», le regard critique et ironique que l’artiste porte sur le monde est présenté à partir de six directions thématiques. Celles-ci abordent des questions très variées: les rapports entre les sexes, ceux du pouvoir et de la politique, de la guerre et du militarisme, de la religion et de la bigoterie, ou encore les sous-entendus liés à un monde animal dans lequel se reflètent les comportements humains. Citations dans l'exposition «La satire revêt des aspects positifs: par respect pour l’humain, guerre à ceux qui le déshonorent.» Paul Klee, Textes autobiographiques (en rapport avec l’année 1902) «Je sers la beauté en dessinant ses ennemis. (Caricature, satire).» Paul Klee, Journal, N° 142, 1901 «Grand désarroi. C’est pourquoi je ne suis tout entier que satire. Provisoirement elle forme mon seul article de foi. Peut-être ne serai-je jamais positif?» Paul Klee, Journal, N° 294, 1901 «C’en est assez du rire amer au sujet de ce qui es, et qui n’est pas comme il faudrait ce que fût.» Paul Klee, Journal, N° 611, 1905 «Nul n’a besoin d’ironiser à mes dépens, je m’en charge moi-même.» Paul Klee, Journal, N° 744/45, 1906 1 Honoré Daumier – Biographie «J’entretiens aussi des liens plus étroits avec Daumier.» Paul Klee, Textes autobiographiques, N° 798/799, (en rapport avec l’année 1907) Honoré Daumier naît à Marseille en 1808. Lorsqu’il a huit ans, sa famille part s’installer à Paris. En 1822, après avoir occupé différents emplois, Daumier rencontre l’artiste Alexandre Lenoir et prend des cours de dessin. Il entre à l’Académie Suisse et se rend souvent au Louvre pour y copier les maîtres anciens. En 1825, Daumier devient l’assistant du lithographe Zéphirin Belliard. Il travaille comme illustrateur pour la revue «La Silhouette» à partir de 1830, époque à laquelle commence également sa carrière de peintre. Cette année-là, Charles Philipon fonde «La Caricature», une revue satirique illustrée où Daumier obtient un emploi stable à partir de 1832. L’une de ses caricatures lui vaut d’être condamné à six mois de prison pour crime de lèse-majesté. L’année suivante, il commence à dessiner pour la revue «Le Charivari». En 1834, il réalise ses premières sculptures. «La Caricature», suite aux lois de septembre, doit cesser de paraître en 1835. Parallèlement à ses activités pour les revues, il illustre certaines œuvres de Balzac et d’Eugène Sue, entre autres. Il épouse Marie-Alexandrine Dassy en 1846. Le personnage de «Ratapoil» fait sa première apparition chez Daumier en 1850. Il s’installe à Valmondois en 1865. Il perd peu à peu la vue, si bien qu’en 1873 il lui faut renoncer à son travail artistique. Il meurt en 1879. Daumier compte parmi les plus importants caricaturistes de l’histoire de l’art. Il est encore jeune quand il commence à travailler pour les journaux satiriques parisiens les plus célèbres, comme «La Caricature» ou «Le Charivari». Il dénonce avec force sarcasmes les dysfonctionnements sociaux et politiques de son époque. C’est ce que montrent les petits bustes en bronze des «Célébrités du juste milieu», des parlementaires et des personnages politiques dont Daumier réalise des ébauches en terre cuite. Ces personnalités font également leur entrée dans les lithographies satiriques de «La Caricature». Il s’agit là de célébrités issues du gouvernement de Louis-Philippe après la révolution de juillet de 1830. Daumier crée des personnages comme «Robert Macaire» ou «Ratapoil», un fonctionnaire douteux de Louis Napoléon Bonaparte (en 1848, le princeprésident avait été élu pour quatre ans à la tête de la IIe République). Il le représente dans une sculpture – le plâtre original (vers 1850/51), exposé ici, en témoigne – mais aussi dans des lithographies pour «Le Charivari». En confrontant Daumier et Klee, nous montrons par ailleurs comment ce dernier, dans des dessins satiriques et ironiques, exploite certains motifs de son prédécesseur, tout en situant les scènes autour de 1933, sur fond de prise de pouvoir des nationaux-socialistes. 2 James Ensor – Biographie «J’oscille entre la sobriété des dernières études tonales d’après nature et le genre fantastique à la Ensor.» Paul Klee, Journal, Nr. 798, octobre/novembre 1907 James Ensor naît à Ostende en 1860. Il prend ses premiers cours de dessin à treize ans et fréquente l’Académie d’Ostende à partir de 1876. L’année suivante, il s’inscrit à l’Académie des Beaux-arts de Bruxelles et y poursuit ses études jusqu’en 1880, avant de regagner la maison familiale à Ostende. En 1881, il devient membre du cercle artistique «La Chrysalide» et a, pour la première fois, quelques occasions d’exposer. Il fait aussi partie d’autres groupes comme celui des «XX», «L’Essor» ou «Le Cercle Artistique» et participe à leurs expositions. À partir du milieu des années 1880, Ensor se détourne d’un mode de représentation réaliste pour donner à sa création un tour fantastique et grotesque. En 1886, il tombe gravement malade. Il se consacre, dès 1888, à son œuvre maîtresse, une toile de grand format, «L’Entrée du Christ à Bruxelles». Ses œuvres se heurtent à l’incompréhension du public, mais la situation changera rapidement après 1900. C’est en 1917 qu’il s’installe dans la maison de son oncle et y aménage une sorte de musée privé – l’actuelle Maison Ensor. L’artiste revient alors à des thèmes et des motifs antérieurs. Il développe un large éventail de styles. En 1926, ses œuvres sont exposées à la Biennale de Venise. Il meurt à Ostende en 1949, après une brève maladie. En 1886, James Ensor découvre à Bruxelles des œuvres d’Odilon Redon qui l’impressionnent profondément et vont favoriser un tournant dans sa création. Ceci le conduit à une approche subjective de la réalité, dans laquelle la littérature – les récits fantastiques d’Edgar Allan Poe ou de E.T.A. Hoffmann, ainsi que les classiques – joue un rôle très important. En dehors de Redon, il s’intéresse à des artistes comme Goya, Bosch et Bruegel l’Ancien dont les œuvres aux motifs étranges ou satiriques le fascinent. Dans ses souvenirs d’enfance, Ensor évoque déjà des événements peu habituels. Dans sa boutique, sa mère proposait des curiosités, des chinoiseries, des masques et des articles de carnaval. Ses œuvres sont empreintes d’un humour grotesque, parfois amer; ses sarcasmes, ses railleries irrespectueuses, parfois triviales, visent les piliers de la société de façon provocante. Des motifs tel que le squelette, les démons et les masques font, de plus en plus, leur entrée dans son œuvre aux côtés de thèmes macabres ou de références à la vie du Christ. Dans de nombreux portraits, Ensor se représente sous l’apparence d’un squelette ou d’un christ en croix; ses autoportraits sont l’occasion de s’interroger sur lui-même. Klee découvre l’œuvre d’Ensor en 1907, grâce à son ami Ernst Sonderegger, illustrateur et dessinateur suisse. Klee n’estime pas seulement la subjectivité d’Ensor, il apprécie beaucoup aussi les moyens graphiques qu’il utilise. 3 Alfred Kubin – Biographie «Kubin. Non seulement son esprit est extrêmement agile, mais il recèle aussi des richesses spécifiques. Chez lui, j’admire la profusion; et lui admire mon style économe.» Paul Klee, Lettre à Ernst Sonderegger, le 18.6.1912 Kubin naît en 1877 à Leitmeritz, dans le nord de la Bohème. Il fréquente le lycée de Salzbourg, mais le quitte avant la fin de sa scolarité. Il obtient un diplôme d’apprenti photographe à Klagenfurt. Après différents conflits avec des collègues et des supérieurs, il fait une tentative de suicide. Par la suite, il ne cessera d’être tourmenté par des crises et des dépressions. En 1898, la même année que Klee, il commence à étudier les beaux-arts à Munich. Sa première exposition a lieu en 1902 à Berlin. Deux ans plus tard, il épouse Hedwig Gründler; ils font l’acquisition du petit château de Zwickledt, en Haute-Autriche. En 1908 Kubin écrit son roman «Die andere Seite» (L’autre côté), une œuvre majeure pour la littérature expressionniste. En 1909, il fait partie des membres fondateurs de la «Nouvelle Association des artistes de Munich». À partir de 1910 et jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, il échange constamment avec Klee. Il se joint au groupe du «Cavalier Bleu» et travaille pour la revue satirique «Simplicissimus». En 1913, Klee accroche pour Kubin une exposition à la Galerie Thannhäuser à Munich. Les illustrations de livres (de Dostoïevski à Poe) constituent jusque dans les années 1940 une part importante de sa création. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Kubin vit retiré à Zwickledt. En 1950, on peut voir ses œuvres à la Biennale de Venise. L’artiste meurt à Zwickledt en 1959. C’est surtout à sa première période (1899–1904) que Kubin doit sa notoriété. Il s’intéresse de près à des artistes comme Ensor, Goya, Max Klinger ou Redon. Il puise par ailleurs son inspiration dans des scènes et des figures issues de rêves et de souvenirs d’enfance ou de jeunesse, comme la mort de sa mère. Il crée un monde d’images fantastiques et grotesques où dominent les pulsions, les peurs, l’abîme et le bizarre. Des scènes de Kubin, situées dans des paysages déserts, se dégage une atmosphère sombre et angoissante. Ses visions sombres, il les transpose en images avec une grande précision, au crayon ou à la plume, mais aussi à l’aquarelle – par vaporisation. Après 1905, période de crise sur le plan créatif, Kubin travaille en 1908 à son roman, «L’autre côté». Il y décrit l’empire du rêve: un monde qui s’effondre et dans lequel on reconnaît la monarchie austro-hongroise. Par la suite, il développe un nouveau style, extrêmement linéaire et très proche des illustrations que Klee réalise pour «Candide». Mais dans le choix de ses motifs, Kubin reste indépendant; il continue à créer un monde d’images fantastiques en reprenant, souvent, des thèmes de son roman. 4 Paul Klee – Biographie Klee naît en 1879 à Münchenbuchsee près de Berne. Après avoir longtemps hésité entre la musique et la peinture, en 1898, il se décide à étudier les beaux-arts à Munich. En 1901, il part pour plusieurs mois en Italie avec le sculpteur Hermann Haller; c’est une période de crise sur le plan créatif. L’artiste passe les années qui suivent à Berne, dans la maison de ses parents. Il épouse Lily Stumpf en 1906 et part s’installer avec elle à Munich. Un an plus tard naîtra leur fils unique, Felix. En 1910, il fait la connaissance de Kubin. Dès 1911, il noue des liens d’amitié avec les artistes du «Cavalier Bleu» et participe à l’une de leurs expositions. En 1914, il fait un voyage en Tunisie avec August Macke et Louis Moilliet. Klee est astreint au service militaire en 1916, mais il n’est pas envoyé au front. Il commence à enseigner au Bauhaus en 1921. Feininger et lui font partie des «Quatre Bleu » avec Vassily Kandinsky et Alexej von Jawlensky, artistes regroupés pour exposer ensemble. En 1931, Klee quitte le Bauhaus et accepte un poste de professeur à l’Académie des Beaux-arts de Düsseldorf. Après la prise de pouvoir des nationaux-socialistes, il est immédiatement révoqué de son emploi de professeur et émigre à Berne fin décembre 1933. En 1935 se manifestent les premiers symptômes d’une grave maladie qui se révèle être une sclérodermie. Klee meurt à Locarno-Muralto en 1940. Son «penchant pour le bizarre» apparaît déjà dans les manuels scolaires de Paul Klee dont les marges sont souvent ornées de dessins. En 1898, Klee rédige avec ses camarades de classe Hans Bloesch et René Thiessing un journal intitulé «Die Wanze» (La punaise), contenant des textes satiriques. Bloesch et Klee préparent également deux projets de livre, «Das Buch» (Le livre, 1902–05) et «Die Musterbürger» (Les citoyens modèles, 1908), pour lesquels Klee fournit des illustrations et Bloesch les textes. Les œuvres de jeunesse de Klee sont marquées par la satire et la caricature qui font l’objet de ses préoccupations à des titres divers. Quand il part étudier les beaux-arts à Munich en 1898, il espère y susciter l’intérêt de la scène artistique pour les dessins caustiques de sa jeunesse. Des journaux satiriques comme «Die Jugend» (La jeunesse) et surtout le «Simplicissimus» connaissent une grande vogue. Klee propose – mais en vain – ses propres dessins au «Simplicissimus». Cet environnement marquera sa création jusque dans les années 1910. Les dessins et les lithographies de Daumier, ainsi que l’œuvre graphique d’Ensor inspirent Klee (tout comme Alfred Kubin, avec qui il est lié) et auront une influence sur la façon dont évolue le style de son dessin et dont se façonne sa vision satirique du monde. 5 Klee et Daumier Grâce à son ami Ernst Sonderegger, Klee découvre l’œuvre de Daumier et celle d’Ensor. Dès 1907, il mentionne les deux artistes dans son Journal. En 1939, il dit admirer Daumier sans pour autant que ce dernier ait eu sur lui une influence directe; quelques-uns de ses dessins parodiques de 1933 indiquent cependant qu’il s’est intéressé de près aux thèmes et aux motifs des lithographies de Daumier. Ils renvoient à la «révolution national-socialiste» et contiennent une critique larvée de la barbarie de son époque. 6 Lyonel Feininger – Biographie «Fameux ce Klee! Quel piquant, quel agacement! L’expression est déconcertante, la forme d’un genre tout à fait nouveau. D’après ce que je ressens, sa force évoque celle qui s’exprime parfois de façon latente dans les dessins d’enfants.» Lyonel Feininger, Lettre à Alfred Kubin, le 23.12.1913 Lyonel Feininger naît à New York en 1871. À l’âge de seize ans, il va s’installer avec sa famille à Hambourg et prend des cours de dessin à l’école professionnelle. En 1888, il part pour Berlin où il fréquente l’Académie Royale. Peu après, il obtient ses premiers contrats comme caricaturiste pour une revue humoristique hebdomadaire («Humoristische Blätter»). En 1890, il est inscrit au Collège Saint Servais, à Liège, mais réintègre l’Académie berlinoise l’année suivante. Feininger part étudier à Paris en 1892 et s’inscrit à l’Académie Colarossi. Un an plus tard, il revient sur Berlin et travaille comme caricaturiste pour différents journaux. En 1901, il épouse Clara Fürst, mais la quitte quatre ans plus tard et se marie avec Julia Berg en 1908. À partir de 1906, Feininger – qui vit alors à Paris – réalise des bandes dessinées pour le Chicago Sunday Tribune. Feininger se lie d’amitié avec Kubin en 1911; très vite s’établissent entre eux d’intenses échanges épistolaires. Feininger entre en contact avec les artistes du «Cavalier Bleu», mais ne se joint pas à leur groupe. Il est le premier à être nommé professeur au Bauhaus où il fait la connaissance de Klee. En 1924, Emmy Scheyer fonde le groupe des «Quatre Bleus»: Feininger, Jawlensky, Kandinsky et Klee. En raison de la situation politique en Allemagne, Feininger émigre aux États-Unis en 1937; l’année précédente, il avait déjà donné des cours au Mills College à Oakland. L’artiste meurt à New York en 1956. La plupart du temps, Lyonel Feininger passe pour être un représentant du «cubisme allemand». Ce que l’on sait moins, c’est qu’il a travaillé à Berlin, durant ses premières années de création, pour des revues satiriques telles que «Die Lustigen Blätter», «Ulk» ou «Das Schnauferl, Blätter für Sporthumor»; il avait un véritable succès comme illustrateur et caricaturiste et était même considéré comme l’un des plus grands dans ce domaine. Entre 1890 et 1900 Feininger publie quelque 2'000 caricatures, commentaires satiriques ou simples dessins humoristiques, pour l’essentiel dans des journaux berlinois. Mais il est toujours limité par les contraintes que lui imposent les rédacteurs et la technique d’impression; il ne peut que rarement faire passer ses propres idées. À partir de 1906, il réalise deux bandes dessinées pour le Chicago Sunday Tribune: «The Kin-der-Kids» et «Wee Willie Winkie’s World». Dorénavant, le dessinateur jouit d’une liberté pleine et entière, notamment quand il collabore au journal parisien «Le Témoin» (à partir de 1906); il perfectionne son style en aplats et recourt à des perspectives inhabituelles. En 1913, il conçoit pour un fabriquant de jouets des trains en bois peints qui ne seront cependant pas produits. Au même moment, il fabrique des cadeaux de Noël pour ses enfants: des figurines et des maisons en bois qu’il sculpte et peint de diverses couleurs, un ensemble qui sera intitulé, après sa mort, «La ville du bout du monde». 7 Klee et Kubin Après avoir vu des dessins de Klee, Kubin s’adresse à Klee durant l’hiver 1910 en le priant de bien vouloir lui envoyer quelques dessins – pour examen. Kubin lui achète une œuvre choisie dans ce lot. Klee rapporte à un ami: «Ces derniers temps, j’ai réussi à susciter un peu d’intérêt, mais seul celui de Kubin me remplit d’une joie sans mélange.» En janvier 1911, Kubin rend visite à Klee, qui retient ceci: «Kubin, mon bienfaiteur, est venu me voir. Il a réagi avec un tel enthousiasme qu’il m’a communiqué son élan.» Kubin conforte Klee dans son intention d’illustrer «Candide», le roman satirique de Voltaire. Les illustrations de Klee pour «Candide» vont à leur tour inspirer Kubin qui développe un nouveau style graphique, caractérisé par un tracé nerveux et des figures longilignes. Kubin continuera à enrichir sa collection: 19 œuvres de Klee jusqu’en 1920. 8 Paul Klee – L’homme et la femme Vers 1901, Klee voit des aquarelles érotiques d’Auguste Rodin, qu’il qualifie de «caricatures de nus». Elles font beaucoup d’effet sur lui. C’est dans les «Inventions», une série d’eaux-fortes, que l’intérêt de Klee pour les thèmes de la sexualité, de l’érotisme et du sexe trouve sa première expression puissante. Elles proposent une représentation caricaturale des notions morales au tournant du siècle. Dans le style et les motifs choisis, ces œuvres rappellent le langage visuel de Kubin. Comme chez ce dernier, la femme apparaît sous l’aspect d’une séductrice néfaste: nue, le corps décharné, dans des poses sans ambiguïté. Elle s’adresse aux instincts de l’homme, à son animalité. En cela, certaines œuvres sous verre se révèlent très proches des «Inventions». Dans une série de dessins à la plume des années 1912 et 1913 aux longues figures hachurées, la sexualité devient un thème central dont Klee élargit régulièrement le spectre. Ce processus se poursuit jusque dans sa dernière période créatrice. Klee ne réduit pas les relations entre les sexes à la sexualité; il prend également pour thèmes le racolage, la tentation et la fécondité, allant même jusqu’à représenter le personnage de Don Juan. 9 Paul Klee – Dieu et le monde Sa vie durant, Klee est resté étranger à toute religion et n’a jamais adhéré aux sectes ou sociétés secrètes ni aux doctrines ésotériques. Ce qui ne l’empêche pas de s’y intéresser, l’ésotérisme rencontrant un immense succès au début du 20ème siècle. Bon nombre des œuvres de Klee présentent des motifs religieux ou font tout au moins allusion à la religion. Il prend pour cible la bigoterie, la fausse dévotion ou le sectarisme en recourant aux moyens abstraits de la satire, de l’ironie et de l’humour. En même temps, Klee commente son éloignement relatif du terrestre en utilisant des formules telles que «Ici-bas, je ne suis guère saisissable» ou en imaginant «un point reculé, plus proche de la création». L’artiste s’intéresse de près aux forces créatrices et à leur déploiement dynamique lors de la naissance – de la genèse – de l’œuvre d’art. Dans sa création, il se réfère au tragique originel de l’existence humaine qui réside pour lui dans une contradiction déchirante entre le corps, lié à la terre, et l’esprit, totalement libre, de l’homme. 10 Paul Klee – L’ordre et l’État Du point de vue de la représentation de l’exercice et des structures étatiques du pouvoir en général, les œuvres de Klee restent équivoques – contrairement aux caricatures de Daumier. Il ne reproduit pas directement les événements historiques ni certains personnages spécifiques, mais condense dans des messages visuels d’ordre général l’idée qu’il se fait des structures du pouvoir et de ses détenteurs les plus typiques. Il prend par exemple la figure du policier ou celle du gendarme qui, selon les œuvres, peut devenir un personnage comique et burlesque ou, dans d’autres cas, offrir effectivement protection et assistance. Après la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes en 1933, des thèmes tels que l’exercice – légitime ou abusif – du pouvoir, l’éducation ou le dressage réapparaissent sous une forme elliptique et inédite dans ses dessins. Klee représente aussi les côtés sombres de la société: meurtres, agressions et abus de pouvoir trouvent leur expression dans un langage visuel souvent laconique. 11 Paul Klee – La guerre – où mène la politique Klee a vécu deux guerres mondiales. Pendant la première, il fut enrôlé comme soldat; des horreurs de la seconde, il ne vit que le commencement. Klee ne partage pas l’enthou- siasme de bon nombre de ses collègues au début du premier conflit mondial; il prend au contraire ses distances. Dans ses travaux, les commentaires directs sur la guerre et la politique sont rares. De ce fait, des œuvres comme «L'Allemand dans la mêlée» et «Lorsque j'étais une recrue», datant de la Première Guerre, ou «Heil!» de 1939, relèvent plutôt de l’exception. Mais Klee reprend des images de la propagande politique de son époque et les détourne de manière ironique. Il prend pour cible le militarisme en figurant des scènes de combat avec arc et flèche ou le représente par des machines de guerre fantastiques et des monstres aériens, qui évoquent les avancées de la technologie en matière d’armement. Ce sont en même temps des images de la violence et des menaces qui semblent faire partie de la vie humaine et sociale. 12 Paul Klee – Des animaux jouent la comédie Depuis sa prime enfance, Klee est fasciné par le monde animal; on le constate dans de nombreux dessins et tableaux, ainsi que dans ses cahiers d’écolier. À la maison, les chats lui tiennent compagnie; et au Bauhaus, il possède même un aquarium dans son atelier. Dans ses œuvres, on est frappé par l’exceptionnelle diversité de la faune. Il ne fait pas seulement le «portrait» d’animaux tels que le chat, le poisson et l’oiseau, mais invente de nouvelles espèces et des créatures fantaisistes. Ses animaux représentent souvent moins les bêtes elles-mêmes que des comportements, types ou caractères proprement humains – car l’artiste procède à un détournement ironique et satirique. Il présente le «Bâtard» comme un animal qui fait le fier et se donne des airs. Certains aspects reviennent au fil des décennies, comme celui des liens de la femelle à ses petits par exemple. Différents thèmes se font plus présents dans le cadre d’événements précis. Ainsi, au début du régime national-socialiste, le lion, allusion parodique aux nouveaux détenteurs du pouvoir, devient un thème de prédilection chez Klee. 13 Paul Klee – Naissance de tête L’intérêt de Klee pour la physionomie humaine est une composante centrale de son œuvre. Dans de nombreux travaux, il met ainsi en relief – de façon souvent caricaturale – les traits caractéristiques d’un individu. Klee n’est cependant pas un portraitiste à proprement parler et ne s’est que très rarement investi dans la restitution vivante, authentique et détaillée des visages. Klee se moquait volontiers des vanités de ses contemporains, il les croquait et les persiflait. Il s’amusait beaucoup chaque fois qu’il tombait sur une caricature réussie, que ce soit au théâtre ou dans la littérature. Klee réalisa pour son fils Felix une cinquantaine de marion- nettes. Trente d’entre elles sont encore conservées et figurent dans la collection du Zentrum Paul Klee. Les huit premières ont été réalisées en 1916 pour son fils, âgé alors de 8 ans. Les autres marionnettes furent réalisées entre 1919 et 1925. Informations complémentaires Visites guidées des expositions Allemand: Tous les Samedis à 15 h et tous les Dimanches à 13 h Français: Chaque 1er Dimanche du mois à 14 h Heures d’ouverture Mardi à dimanche 10 à 17h Fermé le lundi