Addiction chez l`adolescent

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Addiction chez l`adolescent
Journal de pédiatrie et de puériculture (2012) 25, 136—141
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
ARTICLE ORIGINAL
Addiction chez l’adolescent
Addiction in teenagers
E. Le Berre , J. Kerjean ∗
Service d’addictologie, CHBS Lorient (centre hospitalier Bretagne Sud),
rue du Dr-Lettry, BP 2233, 56322 Lorient, France
Reçu le 21 janvier 2012 ; accepté le 17 février 2012
MOTS CLÉS
Ivresses ;
Adolescents ;
Alcool ;
Conduites addictives
KEYWORDS
Inebriety;
Teenagers;
Alcohol;
Addiction behaviour
∗
Résumé Les conduites addictives apparaissent le plus souvent lors de l’adolescence et les
médecins sont de plus en plus confrontés à des demandes de la part des parents et des éducateurs sur ces problématiques. Nous avons voulu par cet article reprendre les différentes
conduites addictives chez les jeunes en nous appuyant sur les nouvelles consommations festives en particulier avec le produit alcool. En effet ce produit est le plus délétère en termes
de santé publique et cependant le plus banalisé par les jeunes et par les adultes. Les conduites
aiguës si elles n’entraînent pas systématiquement de mésusage ou de dépendance demeurent
en elles-mêmes sources de dommages parfois graves et pas seulement en termes de sécurité
routière. Nous tenterons au travers de notre expérience en Bretagne où ces conduites sont très
présentes, de mieux cerner les origines de ces conduites et d’éclairer le praticien somaticien
sur la conduite à tenir. Cette approche au travers du produit alcool sera extrapolée aux autres
produits consommés par les jeunes.
© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Addiction behaviours most frequently appear during the adolescence and doctors
are increasingly faced with questions from parents and educators on these subjects. Through
this article, we aim to review the various addiction behaviours in teenagers on the basis of the
new festive consumptions, namely of the alcohol product. Actually, this product is the most
deleterious in terms of public health but also the most trivialized by teenagers and adults.
Occasional behaviours, although not systematically leading to misuse nor dependency, remain
Auteur correspondant.
Adresses e-mail : [email protected] (E. Le Berre), [email protected], [email protected](J. Kerjean).
0987-7983/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.jpp.2012.02.002
Addiction chez l’adolescent
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intrinsically a source of potentially serious damages, however not only in the field of road safety.
We will intend, through our experience in Brittany where this type of behaviour occurs a lot,
to better identify the origins of these behaviours and to provide the somatologist practitioner
with some information on actions to be taken. This method, based on the alcohol consumption,
will be extended to the other products that are consumed by teenagers.
© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction
L’adolescence est une période à risque pour les conduites
addictives. Cette période est marquée par la recherche
d’expériences nouvelles et fortes à tendance ordalique.
Les substances psychoactives font naturellement partie des
champs d’expérimentation des jeunes.
L’adolescent expérimente différents produits à la
recherche de sensations qui lui permettent de se sentir exister, de tester ses limites. L’utilisation de ces substances est
aussi pour lui une façon d’entrer dans le monde des adultes
et un outil d’intégration au groupe de pairs.
On note donc l’émergence chez les jeunes de pratiques et
d’activités visant la recherche d’états de conscience modifiée et il n’est pas rare qu’ils consomment plusieurs produits
psychoactifs à la fois. Les polyconsommations sont de plus
en plus fréquentes. Onze pour cent des 18—25 ans déclarent
consommer de façon régulière au moins deux produits parmi
l’alcool, le tabac et le cannabis tandis que 2 % cumulent un
usage régulier des trois substances [1].
Pour parler des addictions chez les jeunes, nous avons
choisi de partager notre expérience en Bretagne, une région
où l’expérimentation et la consommation de substances psychoactives reste plus élevée que dans le reste de la France
et notamment pour l’alcool. La Bretagne est une région
où l’ivresse est davantage banalisée que dans le reste du
pays. La France a une culture permissive inconditionnelle
à l’alcool contrairement aux cultures modérément permissives ou aux cultures abstinentes. Dans notre région, ce ne
sont pas seulement les jeunes mais aussi les adultes qui sont
sujets à de tels débordements.
Nous avons donc choisi de parler plus particulièrement
de l’alcool et pour cela, nous nous sommes appuyés sur des
travaux personnels [2].
Ce que nous disent les chiffres
L’usage quotidien (> 1 cig/j) et l’usage intensif (> 10 cig/j) de
tabac dans la population jeune sont en baisse depuis 2001,
ils sont respectivement de 29 % et de 7,7 %.
L’expérimentation de cannabis chez les jeunes a elle
aussi diminué. Les chiffres sont passés de 47 % à 42,2 % de
2001 à 2008 pour la France (et de 59 % à 46 % pour la Bretagne). L’usage régulier (plus de dix fois par mois) et l’usage
quotidien (plus d’une fois par jour) ont diminué de façon
significative. Leur chiffre a pratiquement été divisé par deux
entre 2001 et 2008. Ils sont aujourd’hui de 7 % et 3 %.
On note une forte augmentation de l’expérimentation
des poppers, un niveau d’expérimentation peu élevé mais en
hausse pour la cocaïne, une baisse importante pour l’ecstasy
du fait d’une moins grande disponibilité du produit sur le
marché.
L‘expérimentation d’héroïne, de LSD et d’amphétamines
reste très marginale de l’ordre de 1 à 3 % [3].
Concernant l’alcool, les dernières enquêtes Baromètre
Santé, ESCAPAD et OFDT indiquent la baisse globale de
la fréquence et la diminution de la consommation régulière d’alcool qui ne concerne qu’un jeune sur dix. Mais
ces mêmes enquêtes montrent depuis 2001 une hausse des
ivresses chez les adolescents, même si les chiffres après un
pic atteint en 2005 ont tendance à redescendre en 2008 [4].
Et si les chiffres pour le tabac et le cannabis en Bretagne
ont pratiquement rejoint les chiffres de la France, ce n’est
pas le cas pour l’alcool puisqu’à tous les âges et quel que
soit le sexe, les niveaux d’ivresse et de consommation ponctuelle intensive sont plus élevés dans la région qu’au niveau
national et ce malgré une tendance régionale à la baisse
(chez les jeunes de 17 ans) contrairement à l’augmentation
observée en France pour les jeunes du même âge [4].
Les jeunes et l’alcool
L’alcool est un produit expérimenté précocement et largement.
Dès la primo-adolescence, les jeunes français entrent en
contact avec l’alcool, en général initiés par leurs parents.
Cette précocité d’expérimentation traduit une banalisation
de la consommation d’alcool chez les jeunes mais aussi chez
les adultes qui sont plutôt permissifs vis-à-vis de la consommation d’alcool de leurs enfants contrairement au tabac et
au cannabis [4].
Le binge drinking
Nous observons sur le terrain une augmentation du nombre
des hospitalisations aux urgences pour ivresse. Leur nombre
a doublé entre 2004 et 2007 pour les adolescents et les moins
de 24 ans [5].
Le phénomène d’ivresse chez les jeunes n’est pas nouveau puisqu’il rappelle certaines pratiques en vigueur au xixe
siècle [6]. L’augmentation des hospitalisations s’explique
sans doute aussi en partie par les nouvelles recommandations de l’HAS qui conseille d’hospitaliser les adolescents
en état d’ivresse, mais ces conduites d’alcoolisation sont à
risque et méritent qu’on y prête attention [7].
En effet, l’enivrement toxique encore appelé binge drinking, biture express ou défonce minute, est fréquemment
pratiqué. Les jeunes, qui le pratiquent, consomment un
maximum d’alcools le plus souvent forts dans un minimum
de temps pour atteindre rapidement un état d’ivresse.
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Si bien que sur une année, près d’un jeune sur deux
déclare avoir pris une cuite ponctuelle pouvant s’avérer
dangereuse pour sa santé [8].
Les conséquences des ivresses chez les jeunes
Si les risques de passage vers la consommation excessive
et la dépendance existent, les prises d’alcool regroupées
en fin de semaine exposent plus fortement les jeunes aux
accidents de toute nature (circulation mais aussi de la vie
courante), à la violence, à certains actes délictueux, etc.)
[9].
L’on peut s’inquiéter aussi des violences agies ou subies,
rapports sexuels non voulus et/ou non protégés, du coma
éthylique dont l’issue faute de soins peut être fatale. Sans
oublier les complications différées de la consommation
d’alcool pendant l’adolescence. L’alcool a un effet délétère
sur le développement de certaines régions cérébrales ne
terminant leur maturation qu’en fin d’adolescence ; plus la
consommation d’alcool commence à un âge précoce, plus les
dommages sont importants. Enfin, une initiation précoce à
l’alcool et une consommation excessive à l’adolescence sont
des facteurs de risque d’usages problématiques ultérieurs.
Quelques pistes pour comprendre ces
comportements
Le rôle de la famille
L’attitude des adultes reste ambiguë vis-à-vis de la consommation d’alcool des jeunes. Les parents jouent un rôle
majeur dans l’initiation aux comportements d’alcoolisation
de leurs enfants et ne voient aucun mal à leur « apprendre »
à boire dès leur plus jeune âge [10]. D’après l’enquête HBSC
à 11 ans, 59 % des élèves déclarent avoir déjà bu de l’alcool
au cours de leur vie ; ils sont 72 % à l’âge de 13 ans et 84 % à
15 ans.
L’initiation arrive souvent à l’occasion d’une fête familiale quelconque où l’enfant est invité à goûter sa première
coupe de champagne [11]. L’alcool fait partie des choses
valorisées par les adultes et l’enfant intègre les valeurs
sociales prêtées à l’alcool comme la force, la virilité, la
convivialité.
Puis, il existe en fonction de l’âge des paliers
d’alcoolisation progressive qui vont de l’initiation à
l’intégration des habitudes de consommations.
L’influence du milieu parental est prépondérante sur la
banalisation du risque de consommer de manière abusive de
l’alcool [10].
Mais les parents s’inquiètent aussi pour la sécurité de
leurs enfants remise en question par les polyconsommations et l’alcoolisation du samedi soir quand leurs enfants
grandissent et leur échappent. Ils acceptent très mal « les
consommations qui se réalisent hors de leur présence et de
leur contrôle » [11]. Ils sont d’accord pour que leurs adolescents consomment des boissons alcoolisées mais sous leur
autorité.
Les jeunes, de leur côté recherchent ces alcoolisations
excessives pour se distancer du discours et du pouvoir des
adultes. Ainsi, l’alcool peut être un moyen pour mettre en
échec l’autorité de l’adulte.
E. Le Berre, J. Kerjean
Influence des pairs, recherche de sensations,
prises de risque et conduites ordaliques
L’alcool facilite l’intégration au groupe de pairs. Les jeunes
se regroupent entre eux, s’imitent et s’impressionnent [10].
« Le mimétisme social » permet l’adaptation sociale [11].
L’alcool convivial est aussi utilisé pour lever les inhibitions
et profiter pleinement de la fête. Ce que les adolescents et
les jeunes majeurs recherchent en consommant de l’alcool,
c’est se lâcher, vivre une expérience, se mettre à l’envers
pour faire la fête avec du cannabis pour atteindre une bonne
défonce. . . [12].
Loin des discours des autorités de santé publique et
des parents, ces jeunes consommateurs ne raisonnent pas
« risque » mais prix mineur à payer pour connaître une sensation de soi exacerbée et nécessaire à leur équilibre.
Boire permet de se défier et faire l’épreuve de ses limites.
L’individu ne pense plus mais s’immerge dans l’action, soutenu par l’illusion que lui donne l’alcool d’être invulnérable,
léger. . .
Le risque de perdre la face en repoussant une proposition
est perçue comme plus dangereux que la prise du produit.
Mieux vaut un risque pour la santé qu’un accroc à sa réputation. Dans certaines situations, le risque est de ne pas
prendre de risque [13].
L’alcool est aussi un moyen pour les adolescents de préserver leur dignité personnelle, de se garder une porte de
sortie lorsqu’ils ont échoué lors d’un acte incertain, voire
dangereux. D’où son usage courant lors des premières relations sexuelles, où la crainte de l’échec incite à chercher
une explication pour ne pas perdre la face si les choses se
passent mal. L’alcool devient alors le prétexte au fait de
n’avoir pas été soi-même : « je ne me souviens même plus
de ce que j’ai fait » [13].
La société de performance
À l’heure actuelle, il existe une recrudescence de personnes
ayant un quotidien difficile : instabilité du marché du travail,
conjugalité vacillante, inquiétude pour l’avenir économique
et écologique de la planète, contraintes du système social
et mondial perçu comme cynique et fermé.
La société qui a connu de grands bouleversements dans
les années 1950, n’a pas cessé jusqu’à aujourd’hui d’en
demander toujours plus aux individus.
L’alcoolisation excessive ne serait-elle pas une réponse
des jeunes à l’injonction sociétale de faire toujours plus en
termes de performance et de réussite qui valorisent l’hyper
individualisme et mettent du même coup l’estime de soi sans
cesse à l’épreuve ? [14]
La pression sociale croissante pousse les gens à forger
leur réussite, leur excellence personnelle et à développer
sans cesse leurs performances. Soumis à des pressions de
plus en plus grandes sur le plan scolaire et sur celui de
l’avenir professionnel, les jeunes ne tenteraient-ils pas simplement de décompresser, de s’échapper. . . jusqu’à l’oubli ?
[14].
Attention à « la pression scolaire » que certains parents
exercent sur leurs enfants car ils craignent pour leur avenir.
Plus tard, ce sera la pression de la sélection universitaire et
de la compétition sociale.
Face aux exigences de performances, de sérieux et de
conformisme et aux épreuves et déceptions, les jeunes se
Addiction chez l’adolescent
retrouvent pour partager le même vécu, les mêmes inquiétudes en s’amusant et en buvant.
Du côté des jeunes majeurs, arrivant sur un marché
du travail, le diplôme n’est plus le sésame des contrats
à durée indéterminée, les premiers salaires sont faibles
et les perspectives d’évolution incertaines. Consommer de
l’alcool leur permet de décompresser, s’amuser, s’évader
pour alléger le fardeau de cette morosité et de profiter
de l’instant présent en oubliant les incertitudes de l’avenir
jusqu’à l’oubli de soi. . . [15].
Et comment ignorer le contexte de pression à la consommation qui peut lui aussi favoriser largement de tels
comportements. On consomme alors des produits alcoolisés
ou autres, non pas pour se faire du mal mais pour accéder à
une sensation de mieux être.
Ce qui explique aujourd’hui la banalité du recours à
la chimie pour tenir le coup sans avoir à transformer son
existence. . . Cela traduit la toute puissance investie dans
les molécules. Psychotropes, tranquillisants contribuent de
manière grandissante à la maintenance du normal ou à une
accélération de son rythme ou de ses performances. Leur
visée n’est plus la santé, qui n’est pas forcément menacée,
elle est dans une surenchère sur la santé, c’est-à-dire une
accentuation des capacités de réaction ou de résistance de
fonctions organiques [16].
Pour apaiser leur mal-être, certains individus sont en
quête d’une solution immédiate et prévisible dans ses
effets, les comprimés ou les gélules sont là.
On dénoncera une société addictogène qui ne cesse de
pousser à la consommation par l’innovation technique et la
pression publicitaire, en exaltant la nouveauté, l’intensité,
la jouissance [14].
L’ennui, le stress, les traumatismes et les
problèmes psychorelationnels
Si la plupart des jeunes consomment dans un contexte initiatique (49,2 % des cas) ou festif (28 %), certains utilisent
l’alcool sur un mode réactionnel (24 %) ou habituel (8 %)
et/ou suicidaire (8 %) [17].
Il apparaît que la consommation est liée aussi à l’ennui et
représente une aide pour faire passer le temps. Les jeunes
boivent parce qu’ils s’ennuient ou qu’ils sont déprimés.
La dépression et les problèmes psychorelationnels
touchent surtout les filles. Avoir déjà une envie de se suicider multiplie le risque par 3,8 de consommer de l’alcool, de
même que d’avoir une communication plus difficile au sein
de la famille (risque multiplié par 3,7) et ne pas se plaire à
l’école (risque multiplié par 2,2) [18].
L’union nationale des mutuelles (USEM) évoque une plus
grande sensibilité aux addictions des étudiants éprouvant
des souffrances psychiques significativement plus nombreux
à consommer du tabac, de l’alcool de façon importante ou
excessive et du cannabis et bien plus encore à recourir aux
médicaments pour les nerfs et à connaître des problèmes
de sommeil et d’appétit » [19]. Selon le Baromètre santé
de l’INPES, les épisodes dépressifs et les pensées suicidaires
durant les 12 derniers mois apparaissent nettement liés aux
usages d’alcool et de tabac ou de produits illicites (cannabis
et autres substances) [20].
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La gestion du stress est aussi mise en cause dans les
consommations d’alcool. Les jeunes (15—25 ans) sont en
proportion deux fois plus nombreux que les plus âgés à
déclarer fréquemment consommer davantage de drogues
lorsqu’ils sont stressés (6,6 % des 15—25 ans versus 2,6 % des
26—64 ans), tandis que les plus âgés sont en proportion plus
nombreux à déclarer fréquemment consommer davantage
d’alcool pour faire face à ce stress (7,4 % des 15—25 ans
versus 9,9 % des plus âgés) [8].
La consommation des substances psychoactives dont
l’alcool constitue un moyen de faire face à des situations
de tension : 33 % des étudiantes et 38 % des étudiants en
consommeraient pour « se dé-stresser » et dans une moindre
proportion pour être dans un état second ou pour s’endormir
[19].
Un parcours de vie difficile, des traumatismes de
l’enfance comme les violences et les abus sexuels sont aussi
des facteurs de risque majeurs pouvant entraîner des mésusages avec dépendance [8].
Parmi ce type d’usagers, 10,8 % des filles déclarent avoir
subi des rapports sexuels forcés au cours de leur vie (soit
trois fois plus que les autres jeunes).
Les jeunes générations utilisent aussi ces substances
pour atténuer des souffrances relevant de carences affectives, de tensions à l’intérieur de la famille, de cassures
de transmissions qui les laissent démunis. Leurs parents
eux-mêmes, et notamment leurs mères, sont consommatrices d’anxiolytiques. Dans ces familles, la résolution d’une
tension vient d’une prothèse chimique et non d’une modification de la relation au monde [13].
La séparation, l’angoisse du manque (de l’autre) et la
néantisation sont aussi des causes des conduites addictives
dans lesquelles tous les risques sont pris pour avoir l’illusion
de maîtrise, de toute puissance et d’autocomblement.
Comment réagir face à un jeune qui
consomme des substances psychoactives ?
Un adolescent qui a pris une cuite ou fumé un joint n’est
pas forcément alcoolodépendant ou drogué mais une alcoolisation aiguë ou la consommation d’une autre substance
psychoactive doit toujours être prise en compte sans la dramatiser mais sans la banaliser non plus.
La priorité est de faire du lien avec le jeune et avec sa
famille.
Face à un adolescent consommateur, il faut être à son
écoute, être attentif et sensible à sa réalité, sans porter
de jugement. Il est nécessaire d’ouvrir le dialogue avec
lui et ses parents pour évaluer le mode de consommation
(usage simple, à risque ou dépendance) et pour déceler
d’éventuelles vulnérabilités ou problèmes psychologiques et
ou psychiatriques.
Il est de notre rôle d’informer les parents et les adolescents sur les risques sanitaires que peuvent induire
une consommation même ponctuelle de substance psychoactives, y compris l’alcool. Ils doivent connaître leur
dangerosité et leur nocivité.
Nous devons aussi parfois rappeler aux parents les
repères éducatifs qu’ils n’arrivent pas à donner à leurs
jeunes, ne s’autorisant plus à imposer leur autorité. Celle-ci
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est souvent vécue comme un abus de pouvoir. Les adultes ne
se sentent plus légitimes d’imposer une exigence éducative.
C’est particulièrement le cas en ce qui concerne l’usage des
drogues dites licites comme l’alcool.
Il nous faut donc aider les parents à assumer leurs responsabilités éducatives, à affirmer leur position vis-à-vis des
différents produits psychoactifs, à apprendre à fixer des
limites pour préparer leurs enfants à affronter les frustrations et les obstacles, qu’ils sachent dire non. Le « non »
à bon escient constitue un garde-fou qui a pour fonction
d’éviter les débordements et les prises de risques inconsidérées [21].
Les signes qui doivent alerter
Il nous arrive de voir aux urgences les mêmes jeunes à plusieurs reprises, hospitalisés le week-end après une prise
excessive d’alcool et des taux d’alcoolémie quelquefois
importants.
La répétition de ces consommations ponctuelles massives
d’alcool doit faire réagir les soignants et les parents.
Mais d’autres signes doivent aussi alerter : des clignotants scolaires (absentéisme, résultats en baisse ou
au contraire surinvestissement scolaire. . .), des plaintes
corporelles (douleurs abdominales, céphalées, fatigue. . .),
des troubles du comportement (dépression, agitation,
mutisme. . .), des troubles sociaux (un repli sur soi, une violence, un changement d’amis. . .).
Les signes inquiétants sont la précocité de la consommation, les polyconsommations, la répétition de la
consommation solitaire, les conduites d’excès (ivresses. . .),
la répétition des accidents traumatiques et la consommation
pour oublier un malaise.
Dans les cas difficiles où une dépendance s’est installée ou bien où les conduites à risque sont répétées,
il faudra orienter l’adolescent vers une structure adaptée, par exemple les adresser aux consultations jeunes
consommateurs des CSAPA (centre de Soins ambulatoires et
prévention en addictologie) ou consultations dans un service d’addictologie ou bien psychiatrique (si comorbidités).
La maison des adolescents est aussi un recours intéressant.
Conclusion
Notre expérience nous montre donc la place importante
qu’occupe l’alcool dans les addictions chez les jeunes. La
famille est le creuset où se forge le rapport à l’alcool, son
initiation, son accoutumance. Les boissons alcooliques sont
omniprésentes dans notre culture et leur usage est licite
et encouragée. Certaines habitudes culturelles comme la
convivialité, la fête, le plaisir entretiennent une incitation à
la consommation. L’offre est importante, l’accès est aisé et
la consommation facile si bien que la rencontre avec le produit est inéluctable. L’ivresse occasionnelle reste elle aussi
valorisée par la société et est banalisée [2].
La permissivité des adultes vis-à-vis de l’alcool peut
favoriser chez leurs enfants l’émergence de conduites addictives.
Heureusement, si la plupart des adolescents
d’aujourd’hui expérimentent ou consomment de l’alcool
et des drogues, très peu d’entre eux développeront un
E. Le Berre, J. Kerjean
abus ou une dépendance. Les facteurs qui influencent
l’initiation et la consommation diffèrent sans aucun doute
de ceux qui favorisent l’installation d’un mésusage. Ainsi,
de nombreux travaux indiquent que l’expérimentation et
l’initiation des substances psychoactives sont influencées
par des facteurs plutôt socioculturels, situationnels et
environnementaux alors que les facteurs psychologiques,
biologiques et psychiatriques jouent un rôle prépondérant
dans l’abus et la dépendance [22].
Mais comme nous l’avons déjà dit plus haut, les
prises occasionnelles excessives représentent un danger.
N’oublions pas que les jeunes qui représentent 13 % de la
population sont encore 26 % à mourir chaque année sur la
route et que l’alcool est devenu la première cause de mortalité routière devant la vitesse et le non-port de la ceinture
[23].
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
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