Addiction chez l`adolescent
Transcription
Addiction chez l`adolescent
Journal de pédiatrie et de puériculture (2012) 25, 136—141 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ARTICLE ORIGINAL Addiction chez l’adolescent Addiction in teenagers E. Le Berre , J. Kerjean ∗ Service d’addictologie, CHBS Lorient (centre hospitalier Bretagne Sud), rue du Dr-Lettry, BP 2233, 56322 Lorient, France Reçu le 21 janvier 2012 ; accepté le 17 février 2012 MOTS CLÉS Ivresses ; Adolescents ; Alcool ; Conduites addictives KEYWORDS Inebriety; Teenagers; Alcohol; Addiction behaviour ∗ Résumé Les conduites addictives apparaissent le plus souvent lors de l’adolescence et les médecins sont de plus en plus confrontés à des demandes de la part des parents et des éducateurs sur ces problématiques. Nous avons voulu par cet article reprendre les différentes conduites addictives chez les jeunes en nous appuyant sur les nouvelles consommations festives en particulier avec le produit alcool. En effet ce produit est le plus délétère en termes de santé publique et cependant le plus banalisé par les jeunes et par les adultes. Les conduites aiguës si elles n’entraînent pas systématiquement de mésusage ou de dépendance demeurent en elles-mêmes sources de dommages parfois graves et pas seulement en termes de sécurité routière. Nous tenterons au travers de notre expérience en Bretagne où ces conduites sont très présentes, de mieux cerner les origines de ces conduites et d’éclairer le praticien somaticien sur la conduite à tenir. Cette approche au travers du produit alcool sera extrapolée aux autres produits consommés par les jeunes. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Addiction behaviours most frequently appear during the adolescence and doctors are increasingly faced with questions from parents and educators on these subjects. Through this article, we aim to review the various addiction behaviours in teenagers on the basis of the new festive consumptions, namely of the alcohol product. Actually, this product is the most deleterious in terms of public health but also the most trivialized by teenagers and adults. Occasional behaviours, although not systematically leading to misuse nor dependency, remain Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (E. Le Berre), [email protected], [email protected](J. Kerjean). 0987-7983/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jpp.2012.02.002 Addiction chez l’adolescent 137 intrinsically a source of potentially serious damages, however not only in the field of road safety. We will intend, through our experience in Brittany where this type of behaviour occurs a lot, to better identify the origins of these behaviours and to provide the somatologist practitioner with some information on actions to be taken. This method, based on the alcohol consumption, will be extended to the other products that are consumed by teenagers. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction L’adolescence est une période à risque pour les conduites addictives. Cette période est marquée par la recherche d’expériences nouvelles et fortes à tendance ordalique. Les substances psychoactives font naturellement partie des champs d’expérimentation des jeunes. L’adolescent expérimente différents produits à la recherche de sensations qui lui permettent de se sentir exister, de tester ses limites. L’utilisation de ces substances est aussi pour lui une façon d’entrer dans le monde des adultes et un outil d’intégration au groupe de pairs. On note donc l’émergence chez les jeunes de pratiques et d’activités visant la recherche d’états de conscience modifiée et il n’est pas rare qu’ils consomment plusieurs produits psychoactifs à la fois. Les polyconsommations sont de plus en plus fréquentes. Onze pour cent des 18—25 ans déclarent consommer de façon régulière au moins deux produits parmi l’alcool, le tabac et le cannabis tandis que 2 % cumulent un usage régulier des trois substances [1]. Pour parler des addictions chez les jeunes, nous avons choisi de partager notre expérience en Bretagne, une région où l’expérimentation et la consommation de substances psychoactives reste plus élevée que dans le reste de la France et notamment pour l’alcool. La Bretagne est une région où l’ivresse est davantage banalisée que dans le reste du pays. La France a une culture permissive inconditionnelle à l’alcool contrairement aux cultures modérément permissives ou aux cultures abstinentes. Dans notre région, ce ne sont pas seulement les jeunes mais aussi les adultes qui sont sujets à de tels débordements. Nous avons donc choisi de parler plus particulièrement de l’alcool et pour cela, nous nous sommes appuyés sur des travaux personnels [2]. Ce que nous disent les chiffres L’usage quotidien (> 1 cig/j) et l’usage intensif (> 10 cig/j) de tabac dans la population jeune sont en baisse depuis 2001, ils sont respectivement de 29 % et de 7,7 %. L’expérimentation de cannabis chez les jeunes a elle aussi diminué. Les chiffres sont passés de 47 % à 42,2 % de 2001 à 2008 pour la France (et de 59 % à 46 % pour la Bretagne). L’usage régulier (plus de dix fois par mois) et l’usage quotidien (plus d’une fois par jour) ont diminué de façon significative. Leur chiffre a pratiquement été divisé par deux entre 2001 et 2008. Ils sont aujourd’hui de 7 % et 3 %. On note une forte augmentation de l’expérimentation des poppers, un niveau d’expérimentation peu élevé mais en hausse pour la cocaïne, une baisse importante pour l’ecstasy du fait d’une moins grande disponibilité du produit sur le marché. L‘expérimentation d’héroïne, de LSD et d’amphétamines reste très marginale de l’ordre de 1 à 3 % [3]. Concernant l’alcool, les dernières enquêtes Baromètre Santé, ESCAPAD et OFDT indiquent la baisse globale de la fréquence et la diminution de la consommation régulière d’alcool qui ne concerne qu’un jeune sur dix. Mais ces mêmes enquêtes montrent depuis 2001 une hausse des ivresses chez les adolescents, même si les chiffres après un pic atteint en 2005 ont tendance à redescendre en 2008 [4]. Et si les chiffres pour le tabac et le cannabis en Bretagne ont pratiquement rejoint les chiffres de la France, ce n’est pas le cas pour l’alcool puisqu’à tous les âges et quel que soit le sexe, les niveaux d’ivresse et de consommation ponctuelle intensive sont plus élevés dans la région qu’au niveau national et ce malgré une tendance régionale à la baisse (chez les jeunes de 17 ans) contrairement à l’augmentation observée en France pour les jeunes du même âge [4]. Les jeunes et l’alcool L’alcool est un produit expérimenté précocement et largement. Dès la primo-adolescence, les jeunes français entrent en contact avec l’alcool, en général initiés par leurs parents. Cette précocité d’expérimentation traduit une banalisation de la consommation d’alcool chez les jeunes mais aussi chez les adultes qui sont plutôt permissifs vis-à-vis de la consommation d’alcool de leurs enfants contrairement au tabac et au cannabis [4]. Le binge drinking Nous observons sur le terrain une augmentation du nombre des hospitalisations aux urgences pour ivresse. Leur nombre a doublé entre 2004 et 2007 pour les adolescents et les moins de 24 ans [5]. Le phénomène d’ivresse chez les jeunes n’est pas nouveau puisqu’il rappelle certaines pratiques en vigueur au xixe siècle [6]. L’augmentation des hospitalisations s’explique sans doute aussi en partie par les nouvelles recommandations de l’HAS qui conseille d’hospitaliser les adolescents en état d’ivresse, mais ces conduites d’alcoolisation sont à risque et méritent qu’on y prête attention [7]. En effet, l’enivrement toxique encore appelé binge drinking, biture express ou défonce minute, est fréquemment pratiqué. Les jeunes, qui le pratiquent, consomment un maximum d’alcools le plus souvent forts dans un minimum de temps pour atteindre rapidement un état d’ivresse. 138 Si bien que sur une année, près d’un jeune sur deux déclare avoir pris une cuite ponctuelle pouvant s’avérer dangereuse pour sa santé [8]. Les conséquences des ivresses chez les jeunes Si les risques de passage vers la consommation excessive et la dépendance existent, les prises d’alcool regroupées en fin de semaine exposent plus fortement les jeunes aux accidents de toute nature (circulation mais aussi de la vie courante), à la violence, à certains actes délictueux, etc.) [9]. L’on peut s’inquiéter aussi des violences agies ou subies, rapports sexuels non voulus et/ou non protégés, du coma éthylique dont l’issue faute de soins peut être fatale. Sans oublier les complications différées de la consommation d’alcool pendant l’adolescence. L’alcool a un effet délétère sur le développement de certaines régions cérébrales ne terminant leur maturation qu’en fin d’adolescence ; plus la consommation d’alcool commence à un âge précoce, plus les dommages sont importants. Enfin, une initiation précoce à l’alcool et une consommation excessive à l’adolescence sont des facteurs de risque d’usages problématiques ultérieurs. Quelques pistes pour comprendre ces comportements Le rôle de la famille L’attitude des adultes reste ambiguë vis-à-vis de la consommation d’alcool des jeunes. Les parents jouent un rôle majeur dans l’initiation aux comportements d’alcoolisation de leurs enfants et ne voient aucun mal à leur « apprendre » à boire dès leur plus jeune âge [10]. D’après l’enquête HBSC à 11 ans, 59 % des élèves déclarent avoir déjà bu de l’alcool au cours de leur vie ; ils sont 72 % à l’âge de 13 ans et 84 % à 15 ans. L’initiation arrive souvent à l’occasion d’une fête familiale quelconque où l’enfant est invité à goûter sa première coupe de champagne [11]. L’alcool fait partie des choses valorisées par les adultes et l’enfant intègre les valeurs sociales prêtées à l’alcool comme la force, la virilité, la convivialité. Puis, il existe en fonction de l’âge des paliers d’alcoolisation progressive qui vont de l’initiation à l’intégration des habitudes de consommations. L’influence du milieu parental est prépondérante sur la banalisation du risque de consommer de manière abusive de l’alcool [10]. Mais les parents s’inquiètent aussi pour la sécurité de leurs enfants remise en question par les polyconsommations et l’alcoolisation du samedi soir quand leurs enfants grandissent et leur échappent. Ils acceptent très mal « les consommations qui se réalisent hors de leur présence et de leur contrôle » [11]. Ils sont d’accord pour que leurs adolescents consomment des boissons alcoolisées mais sous leur autorité. Les jeunes, de leur côté recherchent ces alcoolisations excessives pour se distancer du discours et du pouvoir des adultes. Ainsi, l’alcool peut être un moyen pour mettre en échec l’autorité de l’adulte. E. Le Berre, J. Kerjean Influence des pairs, recherche de sensations, prises de risque et conduites ordaliques L’alcool facilite l’intégration au groupe de pairs. Les jeunes se regroupent entre eux, s’imitent et s’impressionnent [10]. « Le mimétisme social » permet l’adaptation sociale [11]. L’alcool convivial est aussi utilisé pour lever les inhibitions et profiter pleinement de la fête. Ce que les adolescents et les jeunes majeurs recherchent en consommant de l’alcool, c’est se lâcher, vivre une expérience, se mettre à l’envers pour faire la fête avec du cannabis pour atteindre une bonne défonce. . . [12]. Loin des discours des autorités de santé publique et des parents, ces jeunes consommateurs ne raisonnent pas « risque » mais prix mineur à payer pour connaître une sensation de soi exacerbée et nécessaire à leur équilibre. Boire permet de se défier et faire l’épreuve de ses limites. L’individu ne pense plus mais s’immerge dans l’action, soutenu par l’illusion que lui donne l’alcool d’être invulnérable, léger. . . Le risque de perdre la face en repoussant une proposition est perçue comme plus dangereux que la prise du produit. Mieux vaut un risque pour la santé qu’un accroc à sa réputation. Dans certaines situations, le risque est de ne pas prendre de risque [13]. L’alcool est aussi un moyen pour les adolescents de préserver leur dignité personnelle, de se garder une porte de sortie lorsqu’ils ont échoué lors d’un acte incertain, voire dangereux. D’où son usage courant lors des premières relations sexuelles, où la crainte de l’échec incite à chercher une explication pour ne pas perdre la face si les choses se passent mal. L’alcool devient alors le prétexte au fait de n’avoir pas été soi-même : « je ne me souviens même plus de ce que j’ai fait » [13]. La société de performance À l’heure actuelle, il existe une recrudescence de personnes ayant un quotidien difficile : instabilité du marché du travail, conjugalité vacillante, inquiétude pour l’avenir économique et écologique de la planète, contraintes du système social et mondial perçu comme cynique et fermé. La société qui a connu de grands bouleversements dans les années 1950, n’a pas cessé jusqu’à aujourd’hui d’en demander toujours plus aux individus. L’alcoolisation excessive ne serait-elle pas une réponse des jeunes à l’injonction sociétale de faire toujours plus en termes de performance et de réussite qui valorisent l’hyper individualisme et mettent du même coup l’estime de soi sans cesse à l’épreuve ? [14] La pression sociale croissante pousse les gens à forger leur réussite, leur excellence personnelle et à développer sans cesse leurs performances. Soumis à des pressions de plus en plus grandes sur le plan scolaire et sur celui de l’avenir professionnel, les jeunes ne tenteraient-ils pas simplement de décompresser, de s’échapper. . . jusqu’à l’oubli ? [14]. Attention à « la pression scolaire » que certains parents exercent sur leurs enfants car ils craignent pour leur avenir. Plus tard, ce sera la pression de la sélection universitaire et de la compétition sociale. Face aux exigences de performances, de sérieux et de conformisme et aux épreuves et déceptions, les jeunes se Addiction chez l’adolescent retrouvent pour partager le même vécu, les mêmes inquiétudes en s’amusant et en buvant. Du côté des jeunes majeurs, arrivant sur un marché du travail, le diplôme n’est plus le sésame des contrats à durée indéterminée, les premiers salaires sont faibles et les perspectives d’évolution incertaines. Consommer de l’alcool leur permet de décompresser, s’amuser, s’évader pour alléger le fardeau de cette morosité et de profiter de l’instant présent en oubliant les incertitudes de l’avenir jusqu’à l’oubli de soi. . . [15]. Et comment ignorer le contexte de pression à la consommation qui peut lui aussi favoriser largement de tels comportements. On consomme alors des produits alcoolisés ou autres, non pas pour se faire du mal mais pour accéder à une sensation de mieux être. Ce qui explique aujourd’hui la banalité du recours à la chimie pour tenir le coup sans avoir à transformer son existence. . . Cela traduit la toute puissance investie dans les molécules. Psychotropes, tranquillisants contribuent de manière grandissante à la maintenance du normal ou à une accélération de son rythme ou de ses performances. Leur visée n’est plus la santé, qui n’est pas forcément menacée, elle est dans une surenchère sur la santé, c’est-à-dire une accentuation des capacités de réaction ou de résistance de fonctions organiques [16]. Pour apaiser leur mal-être, certains individus sont en quête d’une solution immédiate et prévisible dans ses effets, les comprimés ou les gélules sont là. On dénoncera une société addictogène qui ne cesse de pousser à la consommation par l’innovation technique et la pression publicitaire, en exaltant la nouveauté, l’intensité, la jouissance [14]. L’ennui, le stress, les traumatismes et les problèmes psychorelationnels Si la plupart des jeunes consomment dans un contexte initiatique (49,2 % des cas) ou festif (28 %), certains utilisent l’alcool sur un mode réactionnel (24 %) ou habituel (8 %) et/ou suicidaire (8 %) [17]. Il apparaît que la consommation est liée aussi à l’ennui et représente une aide pour faire passer le temps. Les jeunes boivent parce qu’ils s’ennuient ou qu’ils sont déprimés. La dépression et les problèmes psychorelationnels touchent surtout les filles. Avoir déjà une envie de se suicider multiplie le risque par 3,8 de consommer de l’alcool, de même que d’avoir une communication plus difficile au sein de la famille (risque multiplié par 3,7) et ne pas se plaire à l’école (risque multiplié par 2,2) [18]. L’union nationale des mutuelles (USEM) évoque une plus grande sensibilité aux addictions des étudiants éprouvant des souffrances psychiques significativement plus nombreux à consommer du tabac, de l’alcool de façon importante ou excessive et du cannabis et bien plus encore à recourir aux médicaments pour les nerfs et à connaître des problèmes de sommeil et d’appétit » [19]. Selon le Baromètre santé de l’INPES, les épisodes dépressifs et les pensées suicidaires durant les 12 derniers mois apparaissent nettement liés aux usages d’alcool et de tabac ou de produits illicites (cannabis et autres substances) [20]. 139 La gestion du stress est aussi mise en cause dans les consommations d’alcool. Les jeunes (15—25 ans) sont en proportion deux fois plus nombreux que les plus âgés à déclarer fréquemment consommer davantage de drogues lorsqu’ils sont stressés (6,6 % des 15—25 ans versus 2,6 % des 26—64 ans), tandis que les plus âgés sont en proportion plus nombreux à déclarer fréquemment consommer davantage d’alcool pour faire face à ce stress (7,4 % des 15—25 ans versus 9,9 % des plus âgés) [8]. La consommation des substances psychoactives dont l’alcool constitue un moyen de faire face à des situations de tension : 33 % des étudiantes et 38 % des étudiants en consommeraient pour « se dé-stresser » et dans une moindre proportion pour être dans un état second ou pour s’endormir [19]. Un parcours de vie difficile, des traumatismes de l’enfance comme les violences et les abus sexuels sont aussi des facteurs de risque majeurs pouvant entraîner des mésusages avec dépendance [8]. Parmi ce type d’usagers, 10,8 % des filles déclarent avoir subi des rapports sexuels forcés au cours de leur vie (soit trois fois plus que les autres jeunes). Les jeunes générations utilisent aussi ces substances pour atténuer des souffrances relevant de carences affectives, de tensions à l’intérieur de la famille, de cassures de transmissions qui les laissent démunis. Leurs parents eux-mêmes, et notamment leurs mères, sont consommatrices d’anxiolytiques. Dans ces familles, la résolution d’une tension vient d’une prothèse chimique et non d’une modification de la relation au monde [13]. La séparation, l’angoisse du manque (de l’autre) et la néantisation sont aussi des causes des conduites addictives dans lesquelles tous les risques sont pris pour avoir l’illusion de maîtrise, de toute puissance et d’autocomblement. Comment réagir face à un jeune qui consomme des substances psychoactives ? Un adolescent qui a pris une cuite ou fumé un joint n’est pas forcément alcoolodépendant ou drogué mais une alcoolisation aiguë ou la consommation d’une autre substance psychoactive doit toujours être prise en compte sans la dramatiser mais sans la banaliser non plus. La priorité est de faire du lien avec le jeune et avec sa famille. Face à un adolescent consommateur, il faut être à son écoute, être attentif et sensible à sa réalité, sans porter de jugement. Il est nécessaire d’ouvrir le dialogue avec lui et ses parents pour évaluer le mode de consommation (usage simple, à risque ou dépendance) et pour déceler d’éventuelles vulnérabilités ou problèmes psychologiques et ou psychiatriques. Il est de notre rôle d’informer les parents et les adolescents sur les risques sanitaires que peuvent induire une consommation même ponctuelle de substance psychoactives, y compris l’alcool. Ils doivent connaître leur dangerosité et leur nocivité. Nous devons aussi parfois rappeler aux parents les repères éducatifs qu’ils n’arrivent pas à donner à leurs jeunes, ne s’autorisant plus à imposer leur autorité. Celle-ci 140 est souvent vécue comme un abus de pouvoir. Les adultes ne se sentent plus légitimes d’imposer une exigence éducative. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne l’usage des drogues dites licites comme l’alcool. Il nous faut donc aider les parents à assumer leurs responsabilités éducatives, à affirmer leur position vis-à-vis des différents produits psychoactifs, à apprendre à fixer des limites pour préparer leurs enfants à affronter les frustrations et les obstacles, qu’ils sachent dire non. Le « non » à bon escient constitue un garde-fou qui a pour fonction d’éviter les débordements et les prises de risques inconsidérées [21]. Les signes qui doivent alerter Il nous arrive de voir aux urgences les mêmes jeunes à plusieurs reprises, hospitalisés le week-end après une prise excessive d’alcool et des taux d’alcoolémie quelquefois importants. La répétition de ces consommations ponctuelles massives d’alcool doit faire réagir les soignants et les parents. Mais d’autres signes doivent aussi alerter : des clignotants scolaires (absentéisme, résultats en baisse ou au contraire surinvestissement scolaire. . .), des plaintes corporelles (douleurs abdominales, céphalées, fatigue. . .), des troubles du comportement (dépression, agitation, mutisme. . .), des troubles sociaux (un repli sur soi, une violence, un changement d’amis. . .). Les signes inquiétants sont la précocité de la consommation, les polyconsommations, la répétition de la consommation solitaire, les conduites d’excès (ivresses. . .), la répétition des accidents traumatiques et la consommation pour oublier un malaise. Dans les cas difficiles où une dépendance s’est installée ou bien où les conduites à risque sont répétées, il faudra orienter l’adolescent vers une structure adaptée, par exemple les adresser aux consultations jeunes consommateurs des CSAPA (centre de Soins ambulatoires et prévention en addictologie) ou consultations dans un service d’addictologie ou bien psychiatrique (si comorbidités). La maison des adolescents est aussi un recours intéressant. Conclusion Notre expérience nous montre donc la place importante qu’occupe l’alcool dans les addictions chez les jeunes. La famille est le creuset où se forge le rapport à l’alcool, son initiation, son accoutumance. Les boissons alcooliques sont omniprésentes dans notre culture et leur usage est licite et encouragée. Certaines habitudes culturelles comme la convivialité, la fête, le plaisir entretiennent une incitation à la consommation. L’offre est importante, l’accès est aisé et la consommation facile si bien que la rencontre avec le produit est inéluctable. L’ivresse occasionnelle reste elle aussi valorisée par la société et est banalisée [2]. La permissivité des adultes vis-à-vis de l’alcool peut favoriser chez leurs enfants l’émergence de conduites addictives. Heureusement, si la plupart des adolescents d’aujourd’hui expérimentent ou consomment de l’alcool et des drogues, très peu d’entre eux développeront un E. Le Berre, J. Kerjean abus ou une dépendance. Les facteurs qui influencent l’initiation et la consommation diffèrent sans aucun doute de ceux qui favorisent l’installation d’un mésusage. Ainsi, de nombreux travaux indiquent que l’expérimentation et l’initiation des substances psychoactives sont influencées par des facteurs plutôt socioculturels, situationnels et environnementaux alors que les facteurs psychologiques, biologiques et psychiatriques jouent un rôle prépondérant dans l’abus et la dépendance [22]. Mais comme nous l’avons déjà dit plus haut, les prises occasionnelles excessives représentent un danger. N’oublions pas que les jeunes qui représentent 13 % de la population sont encore 26 % à mourir chaque année sur la route et que l’alcool est devenu la première cause de mortalité routière devant la vitesse et le non-port de la ceinture [23]. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Beck F, Legleye S, Spilka S, Briffault X, Gautier A, Lamboy B, et al. Les niveaux d’usages des drogues en France en 2005. Exploitation des données du Baromètre Santé 2005 relatives aux pratiques d’usage de substances psychoactives en population adulte. Tendances no 48, OFDT, mai 2006: 6 p. [2] Mémoire de capacité d’addictologie du Dr Le Berre E. Représentations de l’alcoolisme en France de 2003 à 2010. Évolution de la perception de l’alcoolisme à travers une revue d’éducation sanitaire. Sante Homme 2010;49 p. [3] CIRDD, Copil, Mildt du Morbihan. Évolution des phénomènes liés aux drogues et dépendances en Bretagne et dans le Morbihan:1999—2009. Mars 2011, 14 pages. [4] Pennognon Léna, Chargée d’études, ORS Bretagne. La consommation d’alcool des jeunes de 16 ans et plus à travers les enquêtes en Bretagne et en France, février 2011, 8 pages. [5] Guillemont J, Rigaud A, David H. Jeunes et alcool : quelle prévention ? Sante Homme 2008;398:9. [6] Fillaut T. Les jeunes et le boire en Bretagne pendant le second xxe siècle : un défi pour l’historien. Cahiers de l’Ireb no 19, 2009, disponible sur le site http://www.ireb.com. [7] HAS : conduite à tenir devant une ivresse à l’urgence. Recommandations 2002. [8] Galand C. Drogues : derrière la consommation, une démarche d’aide des 15—25 ans. Sante Homme 2006;384:47—9. [9] Dawson AD. Alcohol and mortality from external causes. J Stud Alcohol 2001;62:790—7. [10] Picherot G. L’alcoolisation des adolescents : une précocité inquiétante ? Arch Pediatr 2010;17:583—7. [11] Huerre P, Marty F. Alcool et adolescence. Paris: Albin Michel; 2007 [p. 205—30]. [12] Rigaud A. Les jeunes et l’alcool. Sante Homme 2008;398:13—5. [13] Le Breton D. Conduites à risque. Des jeux de mort au jeu de vivre. Paris: Puf, coll. Quadrige; 2002 [224 p]. [14] Couteron JP, Fouilland P. Comme une déferlante, l’alcool défonce ! Saint-Denis : INPES. Alcool Act 2007;36:8. [15] Jouaux C. La cuite, c’est pas automatique. Sante Homme 2008;398:32—3. Addiction chez l’adolescent [16] Le Breton D. Conduites à risque ou passion du risque ? Sante Homme 2006;386:22—5. [17] Muzlack M. Intoxication alcoolique aiguë de l’adolescent aux urgences. Une enquête prospective multicentrique française. Alcool Addict 2005;27(1):5—12. [18] Choquet M, Com-Ruelle L, Lesrel J, Leymarie N, Legleye S. Les 13—20 ans et l’alcool en 2001-Comportements et contextes en France. Paris: Princeps éditions, Ireb; 2003 [120 p., Annexe]. [19] Usem. La santé des étudiants en 2007. 5e enquête ; union nationale des mutuelles étudiantes régionales, fédération nationale des observatoires régionaux de la santé, ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports 2007:109 p. 141 [20] Beck F, Guilbert P, Gautier A (sous la dir.). Baromètre santé 2005. Attitudes et comportements de santé. Saint-Denis: INPES, coll. Baromètres santé 2007:608 p. [21] Phare Enfants-parents. Difficile adolescence, signe et symptôme de mal-être. Édition Phare Enfants-Parents, 2002. 178 p. [22] Venisse J-L, Bailly D, Reynaud M. Conduites addictives, conduites à risques : quels liens, quelle prévention ? Masson. 2002. [23] Jeunes et sécurité routière Un nouveau programme de sensibilisation vers les jeunes, particulièrement exposés aux risques routiers. Dossier de presse, ministère des Transports, de l’Équipement, du Tourisme et de le Mer, Dossier de presse, mercredi 14 mars 2007.