SYNTHESE DOCUMENTAIRE Jeunes et conduites à risques
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SYNTHESE DOCUMENTAIRE Jeunes et conduites à risques Focus sur les consommations de substances psychoactives Fédération Addiction / Ombeline Souhait / Février 2014 Page 1 Sommaire 1. L’adolescence : une classe d’âge particulière ............................................................................ 3 2. Des usages de substances psychoactives diversifiés ................................................................ 3 3. Les conduites à risques comme test de sa propre existence ? ................................................ 6 4. Le rôle d’une société « addictogène » ........................................................................................ 8 5. Des pistes d’intervention pour un public spécifique ................................................................ 8 Bibliographie ................................................................................................................................... 10 Fédération Addiction / Ombeline Souhait / Février 2014 Page 2 1. L’adolescence : une classe d’âge particulière Le Guide Consultations Jeunes Consommateurs de la Fédération Addiction1 souligne que l’adolescence est une période marquée par des changements d’ordres physique et psychique pouvant entraîner un déséquilibre. Durant la puberté, les liens avec les objets externes et internes se sexualisent, bouleversant la structuration psychique. Si les liens et attachements construits pendant l’enfance sont solides et éprouvés, le jeune finira par trouver un équilibre entre autonomie et dépendance avec son environnement. En revanche, si l’adolescent est fragile narcissiquement, autonomie et dépendance deviennent antagonistes : la dépendance affective est perçue comme une menace et l’usage addictif permet à l’adolescent de déplacer le conflit sur la question des produits. Par ailleurs, la métamorphose physique provoque un inconfort et le besoin de se rassurer sur la façon dont le corps est perçu par les autres. Elle s’accompagne de l’acquisition de nouvelles capacités cognitives et du développement de la subjectivité et de l’esprit critique. Cette découverte de soi-même est une période propice aux expérimentations corporelles, émotionnelles, intellectuelles, sociales… La consommation de substances psychoactives peut alors permettre de dépasser ses inhibitions, d’accroître ses capacités physiques, de se valoriser auprès des pairs, d’apprendre ses propres limites. 2. Des usages de substances psychoactives diversifiés 2.1 Etat des lieux des consommations de substances psychoactives chez les jeunes Alcool et tabac Selon l’OFDT, en France, la consommation d’alcool des jeunes se caractérise par le rôle tenu par le cannabis durant ces consommations et la place des épisodes d’Alcoolisations Ponctuelles Importantes (API : cinq verres en une seule occasion pour les jeunes, six pour les adultes). Les API sont plus fréquentes chez les jeunes : 53 % déclarent au moins un épisode dans le mois, contre 36 % d’adultes ayant eu un épisode dans l’année. La consommation quotidienne diminue mais les comportements d’API se développent depuis 2005 chez les adolescents de 17 ans et les jeunes adultes. L’augmentation a été particulièrement forte chez les femmes de 18 à 25 ans, bien que cette pratique reste très masculine. La catégorie de « buveurs à risques chroniques » est définie par une consommation journalière comprise entre trois et sept verres par jour : en 2010, les 18-25 ans étaient les plus touchés (14 %). La proportion de cette catégorie de consommateurs a augmenté par rapport à 2005 (+ 7,6 %). Le tabac est le produit le plus souvent consommé quelle que soit la classe d’âge, mais surtout avant 45 ans. Chez les jeunes (à 17 ans), les écarts entre les sexes sont plus importants que chez les adultes pour l’alcool et les médicaments psychotropes, et moins importants pour le cannabis et le tabac. Chez les jeunes de 17 ans, le pourcentage de consommateurs quotidiens de tabac a légèrement progressé à la fin des années 2000, mais reste en 2011 très nettement inférieur à celui du début des années 2000. La proportion d’expérimentateurs de tabac a 1 Fédération Addiction, Pratiques professionnelles dans les Consultations jeunes consommateurs, collection Pratique(s, avril 2012 – Disponible sur www.federationaddiction.fr Fédération Addiction / Ombeline Souhait / Février 2014 Page 3 baissé entre 2002 et 2010 chez les collégiens, que ce soit à 11 ans, 13 ans ou à 15 ans. L’âge d’initiation au tabac a augmenté chez les jeunes : ils fument leur première cigarette plus tardivement à la fin des années 2000 qu’au début de celles-ci. Concernant les mesures de lutte contre les consommations de substances, les français approuvent largement (90 %) l’interdiction de la vente de tabac et d’alcool aux mineurs. Cannabis Chez les jeunes, d’après l’OFDT, la consommation de cannabis est orientée à la baisse depuis le début des années 2000. C’est le cas pour l’usage au cours des 12 derniers mois des 18-25 ans et pour l’expérimentation ou l’usage régulier (10 fois dans le mois) chez les jeunes de 17 ans. La prévalence pour ce dernier indicateur a été divisée par deux (de 12 % à 6 %) entre 2002 et 2011. Même si ce mouvement a été moins prononcé entre 2008 et 2011 qu’auparavant, l’évolution au cours des années 2000 est incontestablement orientée à la baisse chez les jeunes. La France n’en demeure pas moins en 2011 le pays avec la plus forte proportion de jeunes consommateurs de cannabis parmi les 36 pays ayant participé à la même enquête sur les consommations des jeunes lycéens en 2011. Des données sur la prévalence de l’usage problématique de cannabis sont disponibles uniquement pour les jeunes. En 2011, au vu des réponses au test de dépistage CAST, 18 % des jeunes de 17 ans ayant consommé du cannabis au cours de l’année présentent un risque élevé d’usage problématique, voire de dépendance (23 % pour les garçons et 13 % pour les filles), ce qui correspond à 5 % de l’ensemble des adolescents de cet âge (7 % pour les garçons et 3 % pour les filles). Au milieu des années 2000, un effort particulier a été fourni en termes de prise en charge, pour renforcer l’accueil des jeunes consommateurs, souvent de cannabis, dans le cadre des CJC (Consultations Jeunes Consommateurs), gérées pour la plupart par des CSAPA. Le nombre de jeunes accueillis dans ce dispositif n’est pas connu avec précision, mais pourrait se situer entre 23 000 et 25 000 personnes en 2010. Drogues illicites autres que le cannabis Selon l’OFDT, l’expérimentation des drogues illicites autres que le cannabis est un phénomène assez rare : celle-ci ne dépasse pas 3 % des jeunes âgés de 17 ans pour des produits tels que les poppers, les solvants, les champignons hallucinogènes ou la cocaïne. Chez les jeunes de 17 ans, la part des expérimentateurs de cocaïne est passée entre 2000 et 2011 de 0,9 % à 3 %. Parmi les 15-35 ans, la part des consommateurs d’héroïne dans l’année a quasiment doublé entre 2005 et 2010, passant de 0,5 % à 0,9 %. Le pourcentage d’expérimentateurs d’héroïne à 17 ans est en revanche resté stable sur la période. En revanche, chez les usagers injecteurs de moins de 25 ans, la prévalence déclarée du VHC est passée de 23 % en 2006 à 8 % en 2010. Les jeunes en errance, très poly consommateurs, susceptibles d’alterner ou de mélanger les consommations de stimulants, d’hallucinogènes ou d’opiacés, représentent un sous-groupe d’usagers au sein du noyau des consommateurs réguliers de substances illicites autres que le cannabis2. 2 OFDT, Drogues et addictions, données essentielles, OFDT, 2013, Saint-Denis, 399 p. Fédération Addiction / Ombeline Souhait / Février 2014 Page 4 2.2 Pratiques à risques chez les jeunes De quels risques parle-t-on dans l’expression « conduites à risques des jeunes » ? On peut s’attacher aux risques immédiats d’un comportement ou d’une consommation (risque d’infection lors d’un rapport sexuel non protégé, risque d’accident en cas de conduite en état d’ivresse, risque de bad trip lors d’une ingestion de produit…) ou aux risques à plus long terme (altération progressive de la santé comme dans l’anorexie ou une dépendance à un produit, fragilisation de l’équilibre psychique, etc.). Il peut également s’agir de risques de sanction lorsqu’il y a non-respect de la loi. Les usages de substances psychoactives chez les adolescents sont diversifiés3 : beaucoup de conduites sont festives, conviviales et n’ont pas de conséquences particulières. Occasionnelles parce qu’elles n’ont lieu qu’en « soirées », ou parce qu’elles sont circonscrites à un temps particulier de la vie (séjour à l’étranger, études…), ces consommations ont tendance à diminuer avec l’entrée dans une vie active et affective stable. En revanche, lorsque l’adolescent est particulièrement fragile, certaines conduites deviennent nocives : l’abus de produits devient une tentative d’apaisement d’un sentiment de menace psychique. Défonce ponctuelle, manifestation passagère de la crise adolescente, d’une période difficile, réaction à un accident de vie, lutte antidépressive, moyen de supporter le quotidien ou de gérer un mal-être... autant d’usages diversifiés qui disent quelque chose de la personne consommatrice. Toutefois, lors des 18èmes rencontres professionnelles du RESPADD, des études ont montré que le fait d’entrer tôt dans un usage de produit reste un critère de mauvais pronostic sur la façon dont va se développer l’usage : le taux de régularisation augmente avec la précocité4. Selon Jean-Pierre Couteron et Alain Morel, chez les jeunes, les consommations d’alcool sont les plus fréquentes, elles sont également intenses. Depuis le début des années 2000, le binge drinking se développe, qui consiste à boire un maximum durant un temps très court. Ce type de consommation reste minoritaire chez les jeunes mais il pose question : Quel est le sens de cette consommation ? Est-ce la manifestation concrète du mépris des jeunes pour le danger ? Quelle réaction adopter face à ce phénomène ? Les usages de drogues licites ou illicites chez les jeunes se sont diversifiés ; pour autant, ils font suite à des modes de consommation qui existaient déjà auparavant ; ils peuvent être nouveaux ou se renouveler5. L’usage de substances psychoactives en milieu festif est particulièrement important chez les jeunes. La fête est un moment, une parenthèse, durant laquelle l’individu échappe au poids des contraintes ou souligne symboliquement un événement spécifique6. C’est aussi un moment fort de partage, comme l’explique Ahmed Nordine Touil : « dans une société devenue, il est convenu de le dire, individualiste, égocentriste, c’est bien dans le « faire corps » avec l’autre, avec les autres, par le partage des sentiments, des sensations, des expériences, du plaisir ou de la douleur que l’individu renoue avec quelque chose d’originel, 3 Fédération Addiction, Pratiques professionnelles dans les Consultations jeunes consommateurs, collection Pratique(s, avril 2012 – Disponible sur www.federationaddiction.fr 4 18èmes rencontres professionnelles du RESPADD, Consommations à risques à l’adolescence, RESPADD, 20 juin 2013, RESPADD, 20 p. 5 MOREL Alain, COUTERON Jean-Pierre, Drogues : faut-il interdire ?, Tendances Psy, 2011, Belgique, 272 p. 6 TOUIL Ahmed Nordine, « Esquisse anthropo-sociologique de la fête », Actal n°11, juillet 2012 Fédération Addiction / Ombeline Souhait / Février 2014 Page 5 d’essentiel : se dissoudre quelques instants, se réinventer par l’autre et avec lui. » Le sociologue précise que le risque est très souvent associé, voire inhérent, à la fête : risque « de se dévoiler, de se révéler, de se perdre peut-être. » La fête est un lieu de violence symbolique, de spectacle et de mise en scène : « elle est de toute manière du côté de l’excès contenu ou contenant ». Rare forme de rite collectif ayant survécu, elle rebat les cartes des normes sociales. La fête induit des pratiques7… usages de substances licites ou illicites rapports sexuels plus ou moins consentis et protégés écoute du son à proximité des enceintes, volumes élevés danses vente de produits illicites piercing, tatouages, cracheurs de feu… … qui favorisent des risques : overdoses, comas éthyliques, bad trips, risques infectieux, dépendances maladies et infections sexuellement transmissibles non alimentation, déshydratation, troubles du sommeil, coups, chutes fragilisation et perturbation de l’équilibre mental violences, accidents sorties du cadre de la loi 3. Les conduites à risques comme test de sa propre existence ? David Le Breton propose la définition suivante de ces conduites à risques dans la revue Agora8 : « appliqué aux jeunes générations, [ce terme] désigne une série de conduites disparates dont le trait commun consiste dans l’exposition de soi à une probabilité non négligeable de se blesser ou de mourir, de léser son avenir personnel, ou de mettre sa santé en péril. ». Ces conduites peuvent constituer des appels aux proches : malgré leurs conséquences négatives, elles s’avèrent parfois positives car elles fabriquent du sens, des valeurs et elles forgent donc l’identité. Selon l’auteur, les jeunes impliqués dans des conduites à risques sont minoritaires, mais ils témoignent d’un test de leur propre existence. En questions sous-jacentes : la vie vaut-elle la peine d’être vécue ? Suis-je reconnu ? Suis-je aimé (notamment par la famille et les amis) ? Les conduites à risques peuvent trouver leur origine dans l’indifférence ou la surprotection familiale. Elles caractérisent une tentative ordalique, c’est-à-dire un défi par rapport à la mort, pour justifier son existence. Cette tentative ordalique fait sens pour le jeune car elle lui permet d’affirmer son droit à la vie, c’est « une manière de jouer son existence contre la mort pour donner sens et valeur à sa vie. ». Le jeu avec la mort est donc un défi pour exister. Ce droit à exister doit être conquis, puisqu’il faut être le plus fort, il faut se battre pour réussir. Les conduites à risques (épreuves) marquent l’accès possible à une signification, plus que le passage à l’âge adulte. Les conduites à risques sont solitaires puisqu’elles interviennent dans 7 8 Fédération Addiction, « Intervenir en milieu festif », avril 2013 – Disponible sur www.federationaddiction.fr LE BRETON David, « Les conduites à risques des jeunes », Agora, n° 27, octobre 2001, 12 p. Fédération Addiction / Ombeline Souhait / Février 2014 Page 6 un contexte de déliaison sociale objective ou subjective. Les épreuves produisent la propre survie de l’individu pour ressentir le sentiment de sa puissance personnelle. Le groupe de pairs est toutefois essentiel car il influence le jeune. Il permet : - d’une part, de se détacher de la tutelle parentale, - d’autre part, de se sentir une appartenance à un groupe et de construire une identité commune. Ainsi, si le groupe est indifférent à la prise de risques et à ses conséquences, le comportement du jeune en conduite s à risques peut s’aggraver, alors que si le groupe se mobilise, une base nouvelle se construit et les malentendus peuvent être dissipés. Selon David Le Breton, les pratiques et/ou consommations extrêmes constituent un équilibre fragile entre vertige et contrôle, car le jeune a la volonté de reprendre le contrôle de luimême. Par exemple, l’anorexie représente d’une part le vertige (la lutte contre la faim), d’autre part le contrôle (maitrise du corps qui évolue au moment de l’adolescence, domination des besoins biologiques auxquels sont « soumis » les autres individus, etc.). L’anorexie questionne donc les finalités de l’existence et de l’identité féminine en particulier ; elle ne manifeste pas une volonté de mourir. L’auteur remarque que les conséquences des conduites à risques touchent davantage les garçons que les filles (surmortalité, sur morbidité) car les garçons mettent en jeu de manière plus radicale leur intégrité physique (ivresses, jeux dangereux, délinquances…). De plus, les médias stigmatisent la prudence comme étant un manque de courage, ce qui amplifie les phénomènes de conduites à risques. De 7 à 11 ans, les accidents découlant des conduites à risques participent à la construction de soi : les garçons insistent sur leur courage, l’aspect positif de la désobéissance aux parents dans l’acte... L’identité masculine se construit donc en partie sur la transgression de l’autorité sociale. Pour autant, les filles aussi fument, recourent aux drogues et consomment excessivement de l’alcool, de plus en plus. A Toulouse, l’association Clémence Isaure s’est penchée sur la question de l’alcool au volant9 et a mis en lumière la corrélation entre difficultés sociales, usage de substance psychoactives et accidents. Cinq pistes de réflexion ont émergé de l’enquête : les messages et campagnes de prévention ne sont pas adaptés aux 15-24 ans et aux cibles résistantes, l’accident résulte souvent d’une construction et d’influences croisées de l’environnement social (influences familiales, amicales, milieux professionnels...), l’accident s’inscrit dans un contexte social, des pratiques et des représentations, comme l’évolution des pratiques festives et des prises de risques, par exemple, les jeunes ouvriers, peu diplômés, intérimaires, sans qualification, sont surreprésentés dans les accidents et les décès sur la route, qui opèrent comme un discriminant social, la conduite automobile participe à la construction identitaire. L’expérience du risque peut conduire, soit à la responsabilisation, soit au déni et à la répétition des accidents. 9 LACOSTE Martine, MOURGUES David, « A Toulouse, le programme Axe Sud mobilise pour la sécurité routière », Actal n°11, juillet 2012 Fédération Addiction / Ombeline Souhait / Février 2014 Page 7 4. Le rôle d’une société « addictogène » En matière de conduites à risques liées à la consommation de substances psychoactives, le contexte social et culturel actuel influe fortement sur l’expérience subjective de l’individu : aujourd’hui, le lien social s’effrite, les rituels sociaux intégratifs disparaissent et laissent place à la liberté individuelle, qui peut générer de la peur chez un jeune qui ne possède pas forcément les moyens symboliques de son usage. Les valeurs individualistes et hédonistes prennent une place de plus en plus importante : la société de consommation impacte le phénomène d’addiction car elle fonctionne sur le même modèle – dépenser et consommer sans compter des choses et des situations, rechercher en permanence le plaisir maximal. Sur l’exemple de l’alcool, Julien Chambon explique dans la revue Actal10 que « notre représentation culturelle de l’alcool a toujours oscillé entre alcoolophilie et alcoolophobie : nous adorons cet alcool bienfaisant que nous investissons d’un fort pouvoir symbolique et qui agrémente la grande majorité de nos rites sociaux, et dans le même temps nous détestons ce produit néfaste qui conduit à des dépendances et/ou à des comportements d’usages nocifs ou déviants. Ainsi, en France, il est interdit de ne pas boire, mais il est aussi interdit de ne pas boire « comme il faut ». ». La consommation excessive d’alcool a toujours existé, mais le contexte a évolué : dans le cadre d’une société addictogène, caractérisée par l’intensité et l’immédiateté, la recherche d’états éthyliques intenses et plus rapides semble logique. Laurent Bègue, chercheur spécialiste à l’Université de Grenoble, explique dans la revue Actal11 que mêmes les effets comportementaux induits par l’ivresse sont inscrits dans des systèmes sociaux normatifs : ainsi, dans certaines sociétés, l’ivresse entraîne des violences fréquentes, alors que ce n’est pas les cas ailleurs. Ainsi en France, « les croyances selon lesquelles l’alcool rend agressif contribuent à moduler la relation entre les consommations et les violences auto-reportées. » 5. Des pistes d’intervention pour un public spécifique Intervenir auprès des jeunes nécessite une approche thérapeutique adaptée. « Si le travail sur le changement de comportement est approprié avec certains adolescents, ceux dont l’usage présente un risque addictif élevé nécessitent un accompagnement psychothérapeutique prenant en compte les processus intrapsychiques mis en perspective dans leur contexte parental ainsi que le repérage des ressources psychiques propres au sujet comme à son environnement »12. Nous avons choisi d’aborder ici deux formes d’intervention : l’intervention immédiate, au moment de la fête, qui a pour principal objectif de réduire les risques associés à cette dynamique spécifique, et l’intervention « à froid » via les consultations jeunes consommateurs. 10 CHAMBON Julien, « Ivresses adolescentes : l’apport de l’approche expérientielle », Actal n°11, juillet 2012 BEGUE Laurent, « L’alcool rend-il violent ? », Actal n°11, juillet 2012 12 Fédération Addiction, Pratiques professionnelles dans les Consultations jeunes consommateurs, collection Pratique(s, avril 2012 – Disponible sur www.federationaddiction.fr 11 Fédération Addiction / Ombeline Souhait / Février 2014 Page 8 5.1 Réduire les risques en espace festif La brochure « Intervenir en milieu festif » publiée par la Fédération Addiction en avril 2013 fait le point sur les actions qui peuvent être mises en place pour réduire les risques en milieu festif. Basée sur le non-jugement, le respect du choix de l’autre, « l’aller vers », la responsabilisation de l’usager et de son entourage, la confidentialité et l’anonymat, cette intervention a pour objectif de développer le « prendre soin » de soi et des autres. Des actions peuvent être mises en place avant, pendant et après la fête pour améliorer l’efficacité des interventions. La revue Actal de juillet 2012, consacrée aux jeunes et à l’alcool, propose également plusieurs articles sur le sujet. A Besançon, une série d’acteurs de prévention, de réduction des risques et de soin se sont coordonnés pour travailler autour de la fête et de sa gestion et ont mis en place des expérimentations pour réduire les risques en milieu festif. A Lille, l’association Spiritek pratique l’outreach (aller au-devant du public) et propose le label Quality Night aux établissements nocturnes. En Bretagne, un collectif associatif se coordonne pour intervenir sur les lieux de fête. Citons enfin un site de prévention à destination des jeunes, http://leplanb.info/, qui propose des informations aux étudiants sur les produits et les modes de consommation et des lieux ressources à Bordeaux. 5.2 La Consultation jeunes consommateurs, un dispositif dédié Issues des « consultations cannabis » mises en place par le gouvernement en 2004 pour pallier la rareté de l’aide aux jeunes et à leur entourage, les Consultations jeunes consommateurs ont été rattachées aux CSAPA et aux consultations hospitalières en 2008. Elles pratiquent principalement l’intervention précoce, à l’interface entre la prévention et le soin, à destination d’un public qui ne se considère pas comme « addict », même s’il peut ressentir des difficultés avec la consommation, et qui ne se serait pas rendu en centre de soins. Un profil qui correspond particulièrement aux jeunes, même si les consultations peuvent accueillir des personnes plus âgées, « jeunes » dans leur consommation. Plus précisément, elles évaluent la situation des personnes consommatrices, les accompagnent et les orientent si besoin vers des dispositifs plus adéquats. Elles accueillent également l’entourage et développent des partenariats avec tous les acteurs non spécialisés concernés par le public ciblé. Le fonctionnement de ces consultations est détaillé dans le Guide Pratiques professionnelles dans les Consultations Jeunes Consommateurs de la Fédération Addiction. En matière de conduites addictives, l’approche thérapeutique dite « gestion expérientielle » se généralise dans les dispositifs spécifiques, en particulier pour évaluer l’usage en CJC. Julien Chambon, dans l’article d’Actal précité, alerte sur l’urgence de dépassionner le débat autour des conduites à risques addictives, notamment le binge drinking. Intervenir dans le sens d’une approche expérientielle, c’est réintroduire du sens à la conduite d’alcoolisation : se décentrer d’une approche basée sur l’exemplarité et le risque zéro, tenir compte de la réalité de l’expérience pour l’individu, des bénéfices qu’elle lui apporte. La gestion expérientielle « propose une démarche qui vise essentiellement à amener l’usager à réfléchir sur le niveau de satisfaction ressenti dans sa vie en tenant compte des risques de développer des Fédération Addiction / Ombeline Souhait / Février 2014 Page 9 problèmes avec sa consommation. »13. Le thérapeute interroge donc en entretien le niveau d’usage (usage simple, abus, dépendance) et l’expérience d’usage (effets recherchés, balance des effets négatifs et positifs de la consommation), dans une approche non jugeante. L’annexe 1 du guide sur les consultations jeunes consommateurs fait également le point sur les approches motivationnelle et cognitive, la thérapie psycho-dynamique, les thérapies corporelles et systémiques. 5.3 Autres exemples d’interventions La revue Actal de juillet 2012 présente différents dispositifs et actions pour agir auprès des jeunes sur leur consommation de substances psychoactives. Au CHU de Clermont-Ferrand, le responsable des urgences psychiatriques et addictologue Georges Brousse reçoit les jeunes après leur passage aux urgences pour détecter d’éventuelles problématiques psychiatriques sous-jacentes ou de dépendance. La Consultation jeunes consommateur Caan’Abus accueille les jeunes et leur entourage à Bordeaux. Le Zinc, un espace d’information et de conseils pour les jeunes et les parents, fait de la prévention (rencontrer, instaurer du lien, générer des questionnements, favoriser l’échange et la mise à distance des pratiques à risques…) et propose des évènements (expositions, ateliers…) à Montpellier. L’Ippsa (Institut de Promotion de la Prévention Secondaire en Addictologie) aide au repérage en milieu scolaire : soutien à la pratique d’intervention motivationnelle, renforcement des liens entre structures spécialisées et milieu scolaire, mise en place de moyens de repérage adaptés, création d’une communauté de pratiques… L’Anpaa (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie) a soutenu la création de l’œuvre Binge Drinking de Pierrick Sorin, exposée dans plusieurs universités. Bibliographie Fédération Addiction, Alcool et jeunes. Univers, usages, pratiques., Actal, n°11, 2012, 71 p. – Disponible sur www.federationaddiction.fr Fédération Addiction, Pratiques professionnelles dans les Consultations Jeunes Consommateurs, Collection Pratique(s, 2012, 71 p. Disponible sur www.federationaddiction.fr LE BRETON David, « Les conduites à risques des jeunes », Agora, octobre 2001, n° 27, 12 p. MOREL Alain, COUTERON Jean-Pierre, Drogues : faut-il interdire ?, Tendances Psy, 2011, Belgique, 272 p. OFDT, Drogues et addictions, données essentielles, 2013, 399 p. 18èmes rencontres professionnelles du RESPADD, Consommations à risques à l’adolescence, RESPADD, 20 juin 2013, RESPADD, 20 p. 13 Fédération Addiction, Pratiques professionnelles dans les Consultations jeunes consommateurs, collection Pratique(s, avril 2012 – Disponible sur www.federationaddiction.fr Fédération Addiction / Ombeline Souhait / Février 2014 Page 10