Consolidation au sein du transport aérien européen : le

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Consolidation au sein du transport aérien européen : le
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Consolidation au sein du transport aérien européen :
le marché unique dix ans après
l'université de Columbia, New York
le 16 novembre 2004
Mesdames et Messieurs les Étudiants,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très honoré d'être invité aujourd'hui ici à l'Université de Columbia, qui compte
parmi les plus prestigieuses "Business schools" du monde.
Depuis les 250 dernières années, de grands noms de la littérature, de la poésie, du
monde universitaire, scientifique ou politique, et aujourd’hui de grands chefs
d'entreprise sont issus de votre Université. Actuellement étudiants, vous êtes promis
à devenir les leaders du monde des affaires de demain, à la tête de sociétés du
monde entier, et pourquoi pas, intégrer un jour une compagnie aérienne comme AirFrance-KLM. Du moins, je l'espère.
Aujourd'hui, je vais vous parler de l'environnement du transport aérien en Europe, de
son évolution au cours des deux dernières décennies pour aboutir à un nouveau type
de fusion entre deux compagnies européennes : Air France et KLM.
Peut-être n'avez-vous pas encore pris conscience qu'une révolution majeure s'est
produite le 1er mai 2004, avec des conséquences politiques et économiques mais
également des répercussions émotionnelles et psychologiques majeures.
Ce jour-là, l'Europe se transformait en un vaste marché de 500 millions de
consommateurs, accueillant des pays qui rêvaient de l’intégrer depuis des
générations. Les anciens membres du bloc de l'Est ont désormais rejoint ce qui
semblait être un club des nations occidentales industrialisées. Le terme "Europe"
revêt désormais une nouvelle signification. Le nouveau marché unique s'étend des
falaises irlandaises aux portes de la Russie et du nord de la Finlande aux rives
méridionales de la Crète. Son centre de gravité s'est déplacé vers l'Est, se situant
quelque part dans les environs de Munich. Avec l'ouverture de ses frontières internes
à la libre circulation des peuples, des services et des biens de 25 nations, il s'agit
d'un marché intra-européen destiné à croître, et d'un marché d'exportation à l'attrait
indéniable pour le reste du monde.
Dans ce nouveau paysage, les échanges économiques et culturels entre l'Est et
l'Ouest vont se développer sensiblement. Dès lors, le transport (aérien, routier,
ferroviaire et fluvial) se développera et s'harmonisera, avec la monnaie unique
comme moteur commercial et touristique. Comme je l'évoquais il y a un instant, avec
la Russie aux portes de l'Europe, et la simplification du commerce et du tourisme
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Est-Ouest, ce marché unique de 25 pays a trouvé un nouveau partenaire naturel qui
dispose d'un énorme potentiel en termes de pouvoir d'achat. La voie est ainsi toute
tracée pour des alliances prometteuses et stimulantes qui ouvriront d'autres marchés
potentiels situés encore plus à l'Est.
Avant de nous pencher sur la situation actuelle et le nouveau modèle proposé par
AF-KLM en réponse aux enjeux d'aujourd'hui, j'aimerais revenir sur les processus de
libéralisation de la dernière décennie. Après quelque 50 années de bilatéralisme
strict encadrant les rapports entre compagnies aériennes internationales, la dernière
décennie a vu, particulièrement en Europe, l'avènement du multilatéralisme, qui allait
ébranler les fondements même du transport aérien et engager cette dernière dans
un processus irréversible.
Permettez-moi de vous présenter brièvement l'évolution et les conséquences du
processus de libéralisation.
Avant 1987, le transport aérien en Europe comptait un certain nombre de marchés
nationaux distincts liés entre eux par un réseau d'accords bilatéraux de trafic aérien.
Bien que certains de ces accords fussent relativement libéraux, tous contenaient des
restrictions de propriété et de contrôle et beaucoup limitaient l'accès aux marchés et
les capacités des compagnies aériennes. Il était fréquent qu'un seul transporteur par
pays soit autorisé à opérer et souvent sur un nombre limité de lignes bien définies.
Les tarifs internationaux étaient négociés dans le cadre de l'IATA et les tarifs tant
internationaux que nationaux étaient habituellement soumis aux réglementations
gouvernementales. Les horaires et les lignes étaient également plus ou moins
contrôlés par les autorités gouvernementales et les services aériens intérieurs de
chaque pays étaient régis par des lois nationales, dont le degré d'ouverture à la
concurrence variait considérablement.
À partir de 1987, un processus de libéralisation progressive a permis d'ouvrir
l'espace aérien en Europe. Après les premiers accords bilatéraux entre pays qui
avaient aboli le contrôle de l'accès aux marchés et des tarifs, une première série de
mesures a été lancée. Il s'agissait d'un accord international qui conférait à la
Commission européenne le pouvoir d'appliquer les règles de concurrence
européennes aux services de transport aérien à l'intérieur de l'Union européenne.
Au 1 er janvier 1993, le processus de démantèlement des restrictions bilatérales était
achevé. Pour la première fois, les dispositions d u Traité de Rome sur le "droit
d'établissement" étaient appliquées au secteur du transport aérien. Les restrictions
nationales de propriété et de contrôle ont été remplacées par le concept de
"transporteur communautaire".
Toute compagnie aérienne possédant une licence émise par un État-membre de
l'Union européenne pouvait obtenir des droits de trafic sur quasiment toutes les
lignes de l'Union européenne. En outre, les transporteurs étaient autorisés, en
principe, à établir librement leurs tarifs. Tout traitement préférentiel en matière
d'attribution de créneaux horaires, de lignes et d'affichage des vols dans les
systèmes de réservation centralisés a été interdit. Dans le même temps les
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exigences techniques et les procédures administratives dans le domaine de l'aviation
civile ont été harmonisées.
Depuis avril 1997, les États-membres de l'UE sont dans l'obligation d'ouvrir leurs
marchés domestiques à la libre concurrence de tous les transporteurs immatriculés
au sein de l'UE, complétant ainsi la libéralisation du transport aérien en Europe. De
nos jours, toute compagnie aérienne techniquement qualifiée issue de l'Union
européenne (plus celles d'Islande et de Norvège) est autorisée à opérer partout dans
l'Union sans restriction en matière de tarifs ou de capacité.
Quels ont été les effets de ce processus de libéralisation au cours de cette période ?
Pour le consommateur, d'une manière générale, cela s'est traduit par un choix de
lignes et de transporteurs plus important. Le nombre de lignes régulières à l'intérieur
de l'UE a bondi de quelque 75 % pendant cette période, offrant davantage de choix
et de flexibilité. La capacité, mesurée en siège-kilomètre offert (SKO), a progressé de
138 % sur les lignes internationales. Globalement, les tarifs promotionnels moyens
ont diminué de 15 % dans l'Union européenne entre 1992 et 2000, et de 30 % si l'on
tient compte de l'inflation. Cette chute des tarifs promotionnels illustre la
"démocratisation" du transport aérien en Europe.
Pour les compagnies aériennes, cela s'est traduit par la possibilité d'opérer dans un
environnement libéralisé sans contrainte réglementaire, et de devenir performantes.
Loin d'être une menace, la déréglementation est, à mon avis, une opportunité. Elle
nous oblige à nous transformer et nous incite à aller de l'avant, à prévoir l'avenir.
La concurrence entre les compagnies aériennes européennes s'est également
accélérée, sonnant le glas de nombreux transporteurs ne pouvant faire face à la
concurrence. Cette situation ressemble à celle que vous a vez connue ici aux Étatsunis après la déréglementation de 1978.
Elle s’est traduite par un renforcement des compagnies majeures européennes,
notamment, Air France, British Airways et Lufthansa entraînant le développement de
leurs hubs respectifs de Paris-CDG, Londres Heathrow et Francfort.
Mais après cette première expérience de la libéralisation, quelle est la situation des
compagnies aériennes aujourd'hui ?
Je ne voudrais pas vous dissuader d'investir dans le transport aérien un jour - bien
au contraire - mais il est vrai que, même en situation prospère, les marges restent
faibles, et le résultat net moyen de notre secteur ne s'élève généralement qu’ à 2 %
du chiffre d'affaires.
C'est une activité volatile, vulnérable aux tendances économiques et aux
évènements politiques comme les attentats terroristes et les épidémies. Cette année
les pertes des compagnies aériennes s'élèveront au total à 6 milliards de dollars.
Notre secteur est également fortement capitalistique, principalement en raison des
coûts très élevés des appareils et des infrastructures. Comme tout prestataire de
services, elle exige aussi une main d'oeuvre importante ; Air France, par exemple,
compte à elle seule 70.000 employés et les coûts salariaux représentent 30 % de
l'ensemble de nos coûts.
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Enfin, c’est surtout un secteur très fragmentée. Il existe 160 compagnies aériennes
régulières aujourd'hui en Europe. Cette prolifération a érodé encore davantage les
marges déjà très faibles entre les différents acteurs, empêchant la plupart des
compagnies de générer un retour sur investissement suffisant pour les actionnaires.
Si vous comparez l'industrie du transport aérien à une autre grande industrie comme
l'automobile, par exemple, vous verrez que dans ce dernier secteur , les cinq
principaux acteurs détiennent plus de la moitié du marché mondial, alors que les cinq
premières compagnies aériennes n'en couvrent que 25 %.
Le cadre concurrentiel a également beaucoup évolué au cours des dernières années
. Il existe deux types de compagnies tant aux Etats-Unis qu’en Europe :
les compagnies constituées autour d’un réseau et les compagnies qui font du point à
point comme par exemple les compagnies low cost. Le fait de comparer ces deux
modèles n’apporte pas grand chose car tous deux présentent des avantages
économiques. J’ai toujours pensé que les compagnies majeures n’ont pas à
chercher à lutter contre les low costs. Ce ne sont ni les organismes de
réglementation ni nous qui décidons mais le client . Il est évident que les clients sont
sensibles aux avantages des compagnies point à point qui leur proposent des tarifs
attractifs même si le service est réduit. C’est un phénomène sain et stimulant pour
tout le monde. Par ailleurs, il faut bien savoir qu’un modèle de transport aérien
français, européen ou mondial constitué uniquement de compagnies point à point
serait un véritable désastre pour l’économie mondiale. Ces deux modèles sont
complémentaires et le transport aérien a besoin des deux, aucun ne doit remplacer
l’autre . Certes, le modèle de compagnies constituées autour d’un réseau restera le
modèle principal car il dispose de nombreux atouts tant d’un point de vue
économique que social et politique.
Si l’on considère les compagnies aériennes constituées en réseau, des compagnies
comme British Airways et Lufthansa s'efforcent constamment de minimiser leurs
coûts, de rationaliser leurs opérations, de pénétrer de nouveaux marchés et de
développer leurs hubs respectifs. En termes de coûts, il faut reconnaître que les
compagnies européennes ont mieux géré leurs coûts, notamment les frais salariaux,
que les compagnies européennes ce qui explique pourquoi elles ont pu afficher des
résultats positifs.
Parmi les compagnies constituées en réseau, vous trouvez des compagnies
aériennes comme Emirates, qui suivent le modèle de Singapore Airlines essayant
d'attirer la clientèle européenne effectuant des trajets intercontinentaux via son hub
de Dubai. C’est une véritable menace pour les compagnies européennes.
Si l’on considère maintenant la situation des low costs en Europe, les deux plus
importantes compagnies sont Easyjet et Ryanair. Elles représentent deux modèles
économiques très différents parmi les low costs. Ryanair, qui ressemble à
SouthWest, dessert des aéroports secondaires et propose un service simplifié. Sur la
plupart des lignes, elle a séduit une nouvelle clientèle qui n'aurait sans doute pas
volé avec une compagnie majeure en raison du prix. Elle n'empiète donc pas
forcément sur notre marché. Easyjet opère à partir d'aéroports phares comme Paris-
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Orly ou Paris-CDG, et s'efforce de conquérir une clientèle d'affaires. Elle rivalise ainsi
directement avec les compagnies aériennes en réseau.
Ces transporteurs à bas coûts sont aujourd’hui confrontées à la concurrence
d’autres compagnies low costs, notamment d’Europe de l’est et elles doivent adopter
les mesures prises par les compagnies en réseau pour être plus compétitives.
Elles sont obligées de croître très rapidement afin de générer des bénéfices
substantiels et répondre a ux exigences des investisseurs qui veulent une rentabilité
rapide. Et il leur est difficile de répercuter la hausse du prix du pétrole sur leurs
clients, car ces derniers les choisissent justement en raison de leurs tarifs attractifs.
En France, nous devo ns également tenir compte du train à grande vitesse , le
fameux TGV. C'est certainement notre concurrent le plus redoutable. Aujourd'hui
vous pouvez voyager du centre de Paris au centre de Lyon en 2 heures seulement.
Lorsque ce service fut lancé, il a immédiatement conquis 90% du marché. Lorsque
la liaison TGV Bruxelles - Paris en 1 heure et 20 minutes a été lancée, Air France a
interrompu la sienne. Le TGV est un concurrent à "bas tarifs" mais sûrement pas à
bas coûts, toutes les infrastructures sont en effet financées par le gouvernement et
les régions c’est à dire par le contribuable français.
Enfin, le cadre réglementaire et son évolution au sein de l'UE constitue un autre
facteur déterminant les réactions et la structure de l'industrie. Des contradictions
subsistent entre la législation en vigueur dans l'Union européenne et la législation
internationale. Comme vous le savez, il est nécessaire d’avoir des droits de trafic
pour assurer une liaison internationale quelle qu’elle soit. Ces droits de trafic sont
accordés par les gouvernements. Ainsi, si vous souhaitez ouvrir une ligne entre les
Etats-Unis et la Chine, les gouvernements chinois et américain mènent les premières
négociations. Les droits de trafic sont accordés à une compagnie du pays qui a
négocié ces droits. Ces principes sur les droits de trafic relèvent du droit international
et expliquent pourquoi les fusions trans-frontalières étaient impossibles dans notre
secteur. La législation européenne ne fait par ailleurs pas de distinction entre
transporteurs européens en fonction de leur nationalité. Par conséquent, chacun est
habilité à profiter de l'attribution de droits de trafic. Il était par conséquent urgent de
redéfinir de nouvelles règles afin de réconcilier les deux positions.
Deux facteurs nous permettront de définir de nouvelles règles du jeu, pour
approfondir encore le processus de libéralisation :
• Premièrement, en novembre 2002, la Cour européenne de justice a interdit
l'octroi exclusif de droits de trafic à un transporteur national par un Étatmembre.
• Et, deuxièmement, en juin 2003, la Commission européenne a reçu
l'autorisation de négocier les droits de trafic avec les États-Unis.
Dans ce contexte international en pleine mutation, quelle était la situation de KLM et
d'Air France ?
KLM était la quatrième compagnie aérienne en Europe avec une part du marché
européen de 10 %. Créée en 1919, elle fut la première compagnie aérienne régulière
en Europe. KLM a ensuite été la première compagnie européenne à mettre en place
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un réseau en étoile constitué autour d’un hub . Elle a été la première à comprendre
l'importance d'un partenariat avec les États-Unis, comme le prouve la réussite de son
alliance avec Northwest. En outre, elle s'est rendu compte avant les autres de
l'importance des accords d'open sky. KLM s'est engagée aux côtés du
gouvernement néerlandais pour entamer des pourparlers avec le gouvernement
américain, en vue de l'immunité anti-trust pour KLM et Northwest. Vous pouvez donc
constater que l'une des caractéristiques principales de KLM est sa capacité à
anticiper les changements au sein de notre industrie.
KLM est également le seul transporteur européen à n’avoir jamais eu recours à l'aide
de l'État. Son flux de trésorerie d’exploitation a toujours été élevé. Elle bénéficie d'un
hub solide à Schiphol-Amsterdam, qui dispose de six pistes et qui peut traiter 100
millions de passagers par an.
Quant à Air France, il s'agit de la troisième compagnie aérienne mondiale, en termes
de trafic international passagers, au coude à coude avec British Airways et
Lufthansa en Europe avec une part de marché de plus de 17 %. Notre hub de
Paris-Charles de Gaulle est le troisième en Europe en termes de passagers, mais le
premier pour les correspondances. Nous disposons d'un réseau bien équilibré qui
nous protège, autant que faire se peut, des conséquences de catastrophes, comme
les attentats terroristes du 11 septembre. Nous profitons également de notre alliance
mondiale : SkyTeam, qui nous a permis de gagner des parts de marché, notamment
sur l’Atlantique Nord.
Comme vous pouvez le constater, il n'y avait donc aucune urgence économique
contraignant Air France ou KLM à chercher un partenaire. Nous étions deux
compagnies aériennes efficaces et plutôt prospères, mais nous courions des risques.
Cela peut sembler contradictoire, mais en réalité cela ne l'est pas. Nous courions des
risques car nous étions des compétiteurs "poids moyen" dans un championnat de
"poids lourds". Dans une industrie qui ne cesse de s'internationaliser, nous avions
besoin d'atteindre une taille suffisante. Vous êtes tous conscients, j'en suis sûr, que
le transport aérien mondial sera, un jour, organisé autour de trois alliances majeures
- Star, Oneworld et SkyTeam. Évidemment il faut faire partie de l'une de ces
alliances mais cela n'est pas suffisant. Nous devons également nous faire entendre
et influencer les décisions futures. À long terme, Air France seule n'y serait pas
arrivée. Air France-KLM, c'est la garantie qu'un transporteur européen jouera un rôle
de premier plan au sein de l’alliance SkyTeam. Cette ambition commune à Air
France et à KLM n'est pas née d'un désir de domination – ensemble Air France et
KLM représentent moins de 30 % du trafic global des transporteurs européens, ce
qui autorise une concurrence loyale. Mais la fusion améliore considérablement notre
rentabilité, offre à nos clients le meilleur service possible et garantit les emplois pour
notre personnel. Nous voulions aussi être parmi les premiers à nous engager dans
un processus de consolidation - à profiter de l'avantage de ceux qui tirent les
premiers.
Notre raisonnement part de l'hypothèse que, seuls les transporteurs capables de
s'adapter aux réalités d'aujourd'hui, seront suffisamment forts pour tenir la route.
Charles Darwin disait que les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus
fortes mais celles qui s'adaptent le mieux aux changements.
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Pour ces compagnies aériennes, l'intégration économique du monde d'aujourd'hui
créera un environnement favorable, malgré des fluctuations passagères, en
encourageant la libre circulation des personnes, des biens et des services.
Mais quel type de coopération cherchions -nous ? Une alliance commerciale ? Une
fusion capitalistique ? Une fusion complète ? Quelles étaient les limites des modèles
existants ?
L'intensité de toute stratégie de coopération dépend du degré de concurrence
potentielle entre les compagnies aériennes concernées. Lorsque la concurrence
potentielle est faible - comme dans le cas d'Air France et de Delta - une alliance
commerciale est suffisante, et la stratégie de coopération peut être partielle.
Mais considérons à présent l'Europe. Même avec un potentiel de 500 millions de
consommateurs, l'Europe occidentale demeure quand même limitée physiquement
par rapport aux États-Unis. Cela signifie que tous les principaux hubs, et
particulièrement Londres, Francfort, Paris et Amsterdam, se situent à proximité les
uns des autres. Par conséquent le potentiel de concurrence entre ces aéroports est
considérable. Afin d'éviter des stratégies contradictoires et contre-productives, et
des conflits à propos des synergies, une stratégie de coopération totale avec un
résultat commun sont absolument nécessaires.
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Il existe deux manières d’atteindre ces deux objectifs : une fusion complète ou une
fusion capitalistique.
Les fusions complètes entraînent automatiquement la disparition de l'une des deux
sociétés. Air France a par exemple récemment fusionné avec deux compagnies
aériennes qu’elle a absorbées : UTA, une compagnie aérienne privée opérant dans
la zone Asie-Paficique et en Afrique, et plus récemment Air Inter, une compagnie
intérieure française. Ces compagnies n'existent plus.
KLM a réussi à construire avec le temps une marque puissante, symbole de fiabilité
et de service de qualité. La même chose s'applique à Air France. Ce serait par
conséquent suicidaire d'éliminer deux marques qui représentent en vérité des atouts
très précieux. Comme notre objectif était de préserver l'identité spécifique et
particulièrement les marques Air France et KLM, l'unique structure d'organisation
possible était une fusion capitalistique.
AF et KLM ont choisi un concept très simple – Un Groupe Deux Compagnies.
C'était la seule façon d'atteindre deux objectifs :
- D'abord, comme je viens de le dire, respecter l'identité, la marque et la culture
de chacune des deux compagnies aériennes,
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Et ensuite mettre en place une stratégie de pleine coopération avec un
résultat commun.
Le groupe AF/KLM constitue la première compagnie pan-européenne à la taille du
nouveau marché unique européen et de ses 500
millions de consommateurs.
Ce serait une grossière erreur que de considérer qu’AF a absorbé KLM. Je vois les
choses complètement différemment. Deux grandes compagnies aériennes
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européennes ont décidé d’unir leurs forces pour devenir leader européen et mondial
.
Une société holding - Air-France-KLM - a été créée et est à présent cotée à la fois à
Paris, à Amsterdam et à New York, elle possède deux filiales à 100 % - Air France et
KLM.
Notre but était de trouver une structure efficace et simple à mettre en place. Il s'agit
d'une structure simple et claire, garantissant la gestion efficace des deux
compagnies. Elle laisse à chaque compagnie aérienne la responsabilité de la gestion
de ses propres opérations, la société holding assurant le contrôle stratégique.
Nous savons tous que notre activité relève non seulement du "rationnel" mais
également de l'"émotionnel" car elle concerne des individus. Nous savons que rien
n'est possible sans l'adhésion de l'opinion publique, des employés et des
gouvernements. Par conséquent, je suis pleinement convaincu que la seule manière
de réussir une consolidation transfrontalière repose sur un concept comme celui que
nous avons choisi : un groupe, deux compagnies.
Pour en revenir à notre choix de fusion - c'est-à-dire une fusion capitalistique - il
suppose trois conditions. Vous devez fusionner avec un partenaire complémentaire.
Complémentaire dans le sens où le résultat du rapprochement est supérieur à la
simple somme des parties de manière à générer des synergies. Deuxièmement, les
bases clientèles et les technologies doivent être similaires de manière à pouvoir
réaliser des économies d'échelle. Troisièmement, les deux partenaires doivent être
motivés.
En envisageant la fusion, Leo van Wijk - président de KLM - et moi-même avons
privilégié une croissance bénéficiaire. Dans le passé, beaucoup de fusions ont
échoué car elles s'attachaient trop à la réduction des coûts et pas assez à
l'augmentation des parts de marché et des recettes. Dès le départ, au risque de
décevoir les analystes du secteur, nous n'avons pas réduit les capacités ni les
effectifs. Nous avons une activité de services, et les personnels sont essentiels dans
la prestation de nos services communs . Si nous avions réduit nos e ffectifs, nous
nous serions privés de la collaboration et du soutien nécessaires à la mise en place
de la fusion. Et nous n'aurions pas enregistré de croissance.
Aujourd'hui, le nouveau groupe Air France-KLM se classe au premier rang mondial
en termes de recettes (avec un chiffre d'affaires combiné de plus de 24 milliards
d'euros). Il transporte plus de 66 millions de passagers par an, dispose d'un effectif
total de 100 000 employés, et d'une flotte de 556 appareils.
Les synergies potentielles ont été évaluées à 500 millions d'euros en cinq ans. Elles
se concrétiseront :
• au niveau commercial (par exemple avec une baisse des coûts de distribution,
des contrats grands comptes communs et un programme de fidélisation
commun ) ;
• au niveau industriel (avec des économies aux niveaux des
approvisionnements, des pièces et des assurances) ;
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•
au niveau stratégique (par exemple, pour la gestion des réseaux, et
l’harmonisation des systèmes informatiques).
Le dernier point que j'aimerais aborder à propos de cette fusion a trait aux
différences inter-culturelles.
D’aucuns ont exprimé leur scepticisme en raison des différences entre les cultures
hollandaise et française. A mon avis, le plus important est d’avoir une expertise
commune et de partager la même vision de l'avenir avec les mêmes objectifs et les
mêmes méthodes. Les cultures de nos deux entreprises ont été étudiées et évaluées
avec le plus grand soin, afin de prendre en compte nos spécificités et transformer
nos différences en atouts (par exemple, nous pouvons tirer des enseignements de
l'approche plus pragmatique et directe des Néerlandais, tandis que nous, Français,
avons tendance à voir la situation dans son ensemble et à prendre notre temps avant
de nous décider). Les Français et les Japonais ont mis en place avec succès le
groupe Renault-Nissan il n'y a donc aucune raison que le groupe Air France-KLM ne
connaisse pas le même succès. Des équipes communes ont déjà été créées et
collaborent en toute harmonie.
La fusion Air France-KLM a également entraîné la privatisation d’Air France. La part
du gouvernement français est passée de 54 à 44% et baissera encore certainement
en temps opportun.
Mettre en place la fusion, signer les accords, c'est finalement l'étape la plus simple.
Un an après, les résultats sont remarquables mais toute fusion est un territoire
vierge, une aventure unique, pour laquelle il n'y a pas de feuille de route toute prête.
À présent nous devons insuffler la vie à ce nouveau groupe et nous préparer aux
défis de demain. Et nous aurons besoin d'un engagement total.
Je pense que cette fusion préservera l'avenir de nos deux compagnies.
Louis Schweitzer, le président de Renault, avait déclaré "C'est un succès, mais cela
ne va pas de soi. La réussite se construit sans relâche, jour après jour."
Je vous remercie.
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