revue lamy - Simon Associés

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revue lamy - Simon Associés
LAMY
affaires
REVUE
M A R S
2 0 1 2
Clause d’agrément et décision du conseil d’administration :
interdiction de l’agrément conditionnel
Par Irina PARACHKEVOVA
L’article L. 145-41 du Code de commerce peut recevoir
application à l’occasion d’une demande en résiliation du bail
fondée sur les dispositions de l’article L. 622-14 du même Code
Par Hubert VERCKEN
La notion de bonne information et de diffusion
de l’information privilégiée par la Cour de cassation
Par Anne-Dominique MERVILLE
Conformité et non-contestation des griefs : l’AdlC précise
les outils de gestion du risque concurrentiel par les entreprises
Par Michaël COUSIN et Christophe LEMAIRE
Des conditions de mise en œuvre des clauses de dédit-formation
en cas de prise d’acte du salarié ou de l’imputabilité de la rupture
Par Isabelle CORNESSE
PRATIQUE
Le groupement momentané d’entreprises libérales (GMEL) :
première structure d’exercice interprofessionnel ?
Par Jack DEMAISON
ÉTUDES
Estoppel : faut-il acclimater le Poison Tree ?
Par Fabien GIRARD
L’influence du droit américain de la faillite et les créanciers
en droit français : présent et futur
Par Sophie STANKIEWICZ MURPHY
Cession des créances d’un organisme de titrisation
selon les formalités de l’article 1690 du Code civil
Par Christophe GARCIA et Alex BEBE EPALE
D’une garde à vue l’autre :
commentaire de la décision n° 2011/194 du Conseil constitutionnel
Par Emmanuel DAOUD et César GHRÉNASSIA
69
Le droit de la consommation, entre protection du consommateur
et régulation du marché
Par Sabine BERNHEIM-DESVAUX
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sommaire
Actualités
10
Droit des sociétés commerciales
ÉCLAIRAGE
10 > Clause d’agrément et décision du conseil
d’administration : interdiction
de l’agrément conditionnel
Par Irina PARACHKEVOVA
ACTUALITÉS DU DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
15 > Dissolution de la société par arrivée du terme
en l’absence de prorogation
16 > Accès aux documents : précisions sur le droit
de communication de l’expert-comptable
mandaté par le comité d’entreprise
17 > Dissimulation d’une interdiction de gérer
17 > Précisions sur les modalités déclaratives
pour l’application du régime fiscal propre
aux dispositifs d’actionnariat salarié
19
ACTUALITÉS DU DROIT DU FINANCEMENT
36 > Obligation d’inscription en compte des valeurs
mobilières et QPC
37 > Précisions sur l’obligation de création d’un comité
des rémunérations
38 > Caution personne physique et minimum
de ressources
38 > Immatriculation des intermédiaires en opérations
de banque, des CIF et des agents liés
41
Droit économique
ÉCLAIRAGES
41 > Les lignes directrices concernant
les aides d’État à finalité régionale :
une première révision à l’épreuve
de la crise
Par Martin POULIOT et Timothée GIARD
Droit commercial
ÉCLAIRAGES
19 > L’article L. 145-41 du Code de commerce peut
recevoir application à l’occasion
d’unedemandeenrésiliationdubailfondéesurles
dispositions de l’article L. 622-14
du même Code
Par Hubert VERCKEN
21 > L’incompatibilitédumécanismed’extensionde
procédure collective pour cause
de confusion des patrimoines
avec le règlement n° 1346/2000
Par Eugénie AMRI et Sami JEBBOUR
45 > Conformité et non-contestation des griefs :
l’AdlC précise les outils de gestion du risque
concurrentiel par les entreprises
Par Michaël COUSIN et Christophe LEMAIRE
ACTUALITÉS DU DROIT ÉCONOMIQUE
50 > Affectation du commerce entre États membres
52 > Règlement n° 1/2003 : délimitation des compétences
de la Commission et des autorités nationales
de concurrence
53 > Prix du livre numérique : infractions et sanctions
54 > Pratique commerciale trompeuse : responsabilité
pénale des dirigeants et délégation de pouvoirs
54 > Défaillance de l’emprunteur
ACTUALITÉS DU DROIT COMMERCIAL
26 > Le régime de l’EIRL poursuit sa construction
26 > Preneur en difficulté : suspension des effets
de la clause résolutoire et délais de paiement
28 > Condamnation pour contrefaçon et annulation
rétroactive du brevet : pas de répétition de l’indu
29 > Omission volontaire d’un créancier :
le relevé de forclusion est de droit
29 > Inconstitutionnalité de la réunion à l’actif
des biens du conjoint in bonis
32
Droit du financement
ÉCLAIRAGE
32 > La notion de bonne information
et de diffusion de l’information
privilégiée par la Cour de cassation
Par Anne-Dominique MERVILLE
Repères
56
Droit du travail
56 > Des conditions de mise en œuvre des clauses de
dédit-formation en cas de prise d’acte
du salarié ou de l’imputabilité
de la rupture
Par Isabelle CORNESSE
58 > La démission abusive n’autorise pas l’abus
de l’employeur
59 > Représentant syndical au comité d’entreprise :
une exigence de légitimité
La Revue Lamy Droit des Affaires actualise, dans sa première partie « Actualités », les quatre ouvrages suivants :
le Lamy Sociétés commerciales, le Lamy Droit commercial, le Lamy Droit du financement et le Lamy Droit économique
4
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • MAR S 2 0 12 • N ° 6 9
62
Perspectives
PRATIQUE
LE GROUPEMENT MOMENTANÉ D’ENTREPRISES
LIBÉRALES (GMEL) : PREMIÈRE STRUCTURE
D’EXERCICE INTERPROFESSIONNEL ?
CONSEIL SCIENTIFIQUE
> Paul-Henri ANTONMATTÉI
> Guy CANIVET
Membre du Conseil constitutionnel
> Yannick CHALMÉ
Directeur Juridique du Groupe l’Oréal
> Christian CHARRIÈRE-BOURNAZEL
Président du Conseil national des Barreaux
> Jean-Marie CRÉVOULIN
Directeur juridique - Société Ricard
> Jack DEMAISON
Avocat associé - Spécialiste en droit
des sociétés - SIMON Associés
> Philippe DURAND
Notaire - Groupe Monassier
> Bertrand FAGES
65 > Formules de Convention de GMEL,
de Conditions particulières
et de Charte d’éthique
Professeur à l’Université Paris I
Panthéon-Sorbonne
> Marie-Anne FRISON-ROCHE
Par Jack DEMAISON
70
Professeur à la Faculté de Droit
de Montpellier - Doyen honoraire Directeur du Laboratoire de droit social
de la Faculté de Droit de Montpellier
(Université Montpellier I) - Avocat associé,
J. Barthélémy et associés
Professeur des Universités à Sciences Po
> Paul-Albert IWEINS
Ancien Président du Conseil national
des Barreaux
ÉTUDES
> Michel MENJUCQ
Professeur à l’Université Paris I
Panthéon-Sorbonne - Cabinet Lexia,
société d’avocats
> Cyril NOURISSAT
Professeur agrégé des Facultés de droit
> Alain PIÉTRANCOSTA
Professeur à l’Université Paris I
Panthéon-Sorbonne - Directeur du Master
Droit financier - Centre de Recherches
en droit financier
> Nicolas RONTCHEVSKY
Agrégé des Facultés de droit - Professeur
à l’Université de Strasbourg
> Georges TERRIER
Avocat associé, Davis Polk & Wardwell
> Daniel TRICOT
Agrégé des Facultés de droit Président honoraire de la chambre
commerciale, financière et économique
de la Cour de cassation
> Geneviève VINEY
Professeur émérite à l’Université Paris I
Panthéon-Sorbonne
> Thierry WICKERS
Ancien Président du Conseil national
des Barreaux
70 > Estoppel : faut-il acclimater le Poison Tree ?
Par Fabien GIRARD
Par Sophie STANKIEWICZ MURPHY
83 > Cession des créances d’un organisme
de titrisation selon les formalités de l’article 1690
du Code civil
Par Christophe GARCIA et Alex BEBE EPALE
85 > D’une garde à vue l’autre : commentaire
de la décision n° 2011/194 du Conseil
constitutionnel
Par Emmanuel DAOUD et César GHRÉNASSIA
91 > Le droit de la consommation, entre protection
du consommateur et régulation du marché
Par Sabine BERNHEIM-DESVAUX
> Jacques AZÉMA
COMITÉ RÉDACTIONNEL
76 > L’influence du droit américain de la faillite
et les créanciers en droit français :
présent et futur
Agrégé des Facultés de droit Directeur honoraire du Centre
Paul Roubier
> Roger BOUT
Agrégé des Facultés de droit Professeur émérite de l’Université
Paul Cézanne, Aix-Marseille III
> Marc BRUSCHI
Agrégé des Facultés de droit - Professeur à
l’Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III
> Alain COURET
Professeur à l’Université de Paris I
Panthéon-Sorbonne - Avocat au Barreau
des Hauts-de-Seine
> Jean DEVÈZE
Professeur à l’Université des Sciences
sociales, Toulouse I
> Pierre GARBIT
Magistrat honoraire - Ancien Président
du Tribunal de grande instance de Lyon
> Gérard HIRIGOYEN
Professeur des Universités, Directeur
de l’Équipe Entreprise Familiale
Éditeur : WOLTERS KLUWER FRANCE
SAS au capital de 300 000 000 euros
Siège social :
1, rue Eugène et Armand Peugeot
92856 Rueil-Malmaison cedex
RCS Nanterre 480 081 306
Associé unique :
Holding Wolters Kluwer France
Président directeur général
de Wolters Kluwer France,
Directeur de la publication :
Michael Koch
Directrice de la rédaction :
Bernadette Neyrolles
Rédactrice en chef : Julie Vasa
(01 76 73 42 53)
Rédacteurs en chef adjoints :
Delphine Chemin-Bomben, Actualités
du droit du financement (01 76 73 32 36),
Marina Filiol de Raimond, Actualités
du droit commercial (01 76 73 33 88),
et Financière, Directeur du Pôle
Universitaire de Sciences de gestion
de Bordeaux, Président Honoraire de
l’Université Montesquieu Bordeaux IV
> Aristide LÉVI
Ancien Directeur du Centre de recherche
sur le droit des affaires de la Chambre
de commerce et d’industrie de Paris
> Monique LUBY
Professeur à l’Université de Pau
> Jacques MESTRE
Professeur Agrégé des Facultés de droit Directeur du Centre de droit économique
d’Aix-Marseille
> Sylvaine POILLOT-PÉRUZZETTO
Agrégée des Facultés de droit Professeur à l’Université des Sciences
sociales de Toulouse I
> Jean-Luc VALLENS
Docteur en droit - Magistrat - Professeur
associé à l’Université de Strasbourg
> Dominique VELARDOCCHIO
Agrégée des Facultés de droit - Professeur
à la Faculté de droit d’Aix-Marseille
Chloé Mathonnière, Actualités
du droit économique (01 76 73 31 75),
Ildo D. Mpindi, Actualités du droit des
sociétés commerciales (01 76 73 34 69)
Ont participé à ce numéro : Victoria
Mauries, Astrid Lehmann et Paul Bayemi
Responsable PAO : Nord Compo
Imprimerie : Comelli
Avenue des Deux-Lacs – BP 389
91959 Courtaboeuf cedex
Nº Commission paritaire : 0115 T 87146
Dépôt légal : à parution
N° ISSN : 1279-840
Abonnement annuel : 405,33 € TTC
(TVA 2,10 %)
Prix au numéro :
38,79 € TTC (TVA 2,10 %).
Information et commande :
Tél. : 0 825 08 08 00
Fax : 01 76 73 48 09
Internet : http://www.wkf.fr
Cette revue peut être référencée de
la manière suivante : RLDA 2012/69, n° 3899
(année/n° de la revue, n° du commentaire)
Ce numéro est accompagné d’un encart.
N ° X X •N°M6O9I S• MAR
2 0 0 S9 2012
• R E V• UREVUE
E L A MLAMY
Y D R DROIT
O I T D EDES
S A AFFAIRES
FFAIRES
5
Index thématique des
sources commentées
DROIT DES SOCIÉTÉS
COMMERCIALES
BAUX COMMERCIAUX
RLDA
Éclairage
Cass. com., 6 déc. 2011, n° 10-25.689, P+B
CLAUSE D’AGRÉMENT – CONSEIL D’ADMINISTRATION –
DÉCISION – AGRÉMENT CONDITIONNEL – INTERDICTION
Cass. com., 17 janv. 2012, n° 09-17.212, P+B
3899
Cass. 3e civ., 18 janv. 2012, n° 11-10.072, P+B
MARQUES, BREVETS, DESSINS
ET MODÈLES
DISSOLUTION DE LA SOCIÉTÉ – ARRIVÉE DU TERME –
ABSENCE DE PROROGATION
CONTREFAÇON – BREVET – ANNULATION
RÉTROACTIVE – RÉPÉTITION DE L’INDU – AUTORITÉ
DE LA CHOSE JUGÉE
3900
REPRÉSENTATION DE LA SOCIÉTÉ – DÉLÉGATION
DE POUVOIRS – DURÉE
Cass. com., 17 janv. 2012, n° 10-24.811, P+B
3901
Cass. ass. plén., 17 févr. 2012, n° 10-24.282, P+B+R+I
3902
LISTE DES CRÉANCIERS – OMISSION VOLONTAIRE –
RELEVÉ DE FORCLUSION
COMITÉ D’ENTREPRISE – EXPERT-COMPTABLE –
ACCÈS AUX DOCUMENTS
Cass. com., 10 janv. 2012, n° 10-28.501, P+B
3903
Cass. com., 7 févr. 2012, n° 11-10.487, P+B
3904
VALEURS MOBILIÈRES
ACTIONNARIAT SALARIÉ – DISPOSITIFS – RÉGIME FISCAL –
APPLICATION – MODALITÉS DÉCLARATIVES
D. n° 2012-130, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
D. n° 2012-131, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
DROIT COMMERCIAL
3905
Cass. com., 7 févr. 2012, n° 10-26.164, P+B+I
3915
DROIT
DU FINANCEMENT
RLDA
INFORMATION PRIVILÉGIÉE – DIFFUSION –
BONNE INFORMATION – NOTION – COUR DE CASSATION
VALEURS MOBILIÈRES – INSCRIPTION EN COMPTE –
OBLIGATION – QPC
Cons. const., 27 janv. 2012, n° 2011-215, QPC ;
Communiqué Cons. const., 27 janv. 2012
3907
FONDS DE COMMERCE
3917
SOCIÉTÉS DE GESTION DE PORTEFEUILLE – CRITÈRES
EXTRA-FINANCIERS – SOUSCRIPTEURS – INFORMATION
D. n° 2012-132, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
ENTREPRENEUR INDIVIDUEL À RESPONSABILITÉ LIMITÉE –
EIRL – FISCALITÉ – COMPTABILITÉ
3918
COMITÉ DES RÉMUNÉRATIONS – CRÉATION –
OBLIGATION
3908
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • MAR S 2 0 12 • N ° 6 9
3916
MARCHÉS FINANCIERS
3906
JUGEMENT D’EXTENSION – UNICITÉ DE LA PROCÉDURE –
RÈGLEMENT INSOLVABILITÉ – SOCIÉTÉ ÉTRANGÈRE
D. n° 2012-122, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
3914
ORDONNANCES DU JUGE-COMMISSAIRE – VOIES
DE RECOURS
Cass. com., 13 déc. 2011, n° 10-28.337, P+B
BAIL COMMERCIAL – LIQUIDATION JUDICIAIRE –
CLAUSE RÉSOLUTOIRE – DÉLAIS DE PAIEMENT
CJUE, 15 déc. 2011, aff. C-191/10,
Rastelli Davide c/ Hidoux
3913
Éclairage
RLDA
Éclairages
Cass. com., 6 déc. 2011, n° 10-25.689, P+B
3912
QPC – ACTION EN RÉUNION D’ACTIF – ACTION
EN RAPPORT – INCONSTITUTIONNALITÉ
Cons. const., 19 janv. 2012, n° 2011-212, QPC
DIRIGEANT – INTERDICTION DE GÉRER – DISSIMULATION
3911
ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ
ACTEURS DE LA VIE SOCIÉTAIRE
Cass. soc., 10 janv. 2012, n° 10-21.270, P+B
3910
BREVET EUROPÉEN – ACTION EN NULLITÉ – NULLITÉ
RELATIVE – INTÉRÊT À AGIR – CONVENTION
DE MUNICH (CBE)
Cass. com., 14 févr. 2012, n° 11-14.288, P+B
INVESTISSEMENT SOCIALEMENT RESPONSABLE –
SOCIÉTÉ DE GESTION – NOUVELLES OBLIGATIONS
D. n° 2012-132, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
3909
LOYER RENOUVELÉ – DÉPLAFONNEMENT – EXTENSION
DE LA DESTINATION – MODIFICATION NOTABLE
SOCIÉTÉS
ET AUTRES GROUPEMENTS
Cass. com., 31 janv. 2012, n° 10-24.715, P+B
6
BAIL COMMERCIAL – LIQUIDATION JUDICIAIRE –
CLAUSE RÉSOLUTOIRE – DÉLAIS DE PAIEMENT
D. n° 2012-67, 20 janv. 2012, JO 22 janv.
3919
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
ACTUALITÉS INDEX
CRÉDITS ET GARANTIES
INTÉRÊT LÉGAL – TAUX – ANNÉE 2012
D. n° 2012-182, 7 févr. 2012, JO 8 févr.
3920
CAUTIONNEMENT – PERSONNE PHYSIQUE – MINIMUM
DE RESSOURCES
Cass. com., 31 janv. 2012, n° 10-28.236, P+B
3921
INSTRUMENTS DE PAIEMENT
ET DE CRÉDIT
3922
INTERMÉDIAIRES EN OPÉRATIONS DE BANQUE
ET EN SERVICES DE PAIEMENT – RÉGIME
D. n° 2012-101, 26 janv. 2012, JO 28 janv.
DROIT ÉCONOMIQUE
3923
RLDA
DISTRIBUTION
Cass. com., 31 janv. 2012, n° 11-11.071, P+B
PUBLICITÉ EXTÉRIEURE – RÉFORME
DE LA LOI GRENELLE II – DÉCRET D’APPLICATION
D. n° 2012-118, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
D. n° 2012-146, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
3924
3930
3931
CONSOMMATION
PRATIQUE COMMERCIALE TROMPEUSE –
DÉLÉGATION DE POUVOIRS – RESPONSABILITÉ PÉNALE –
EXONÉRATION – SOLDES – LOI PÉNALE PLUS DOUCE –
APPLICATION DANS LE TEMPS
NON-CONTESTATION DES GRIEFS – PROGRAMME
DE CONFORMITÉ – AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Cass. crim., 24 janv. 2012, n° 11-84.045, P+B
3925
CONCURRENCE
3926
NON-CONTESTATION DES GRIEFS – PROGRAMME
DE CONFORMITÉ – AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Aut. conc., 10 févr. 2012, Communiqué de procédure
relatif à la non-contestation des griefs ;
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
3932
DÉMARCHAGE À DOMICILE – DÉLAI DE RÉFLEXION –
INTERDICTION DE RECEVOIR UNE CONTREPARTIE –
INTERPRÉTATION
Cass. crim., 10 janv. 2012, n° 11-86.985, P+B
AFFECTATION DU COMMERCE ENTRE ÉTATS MEMBRES
– CARACTÈRE SENSIBLE – CRITÈRES D’APPLICATION
Cass. com., 31 janv. 2012,
nos 10-25.772, 10-25.775, 10-25.882, P
3929
LOI SUR LE PRIX DU LIVRE NUMÉRIQUE – INFRACTIONS –
SANCTIONS – DÉFINITION
AIDES D’ÉTAT – FINALITÉ RÉGIONALE – LIGNES
DIRECTRICES – RÉVISION
Aut. conc., 10 févr. 2012, Communiqué de procédure
relatif à la non-contestation des griefs ;
Aut. conc., 10 févr. 2012, Document-cadre sur les programmes
de conformité aux règles de concurrence
3928
CLAUSE DE NON-RÉAFFILIATION – LICÉITÉ –
CONDITIONS – CONTREPARTIE FINANCIÈRE
Éclairages
Comm. UE, Consultation publique sur la révision
des règles de l’Union européenne relatives aux aides
d’État à finalité régionale, 24 janv. 2012
3927
RÈGLEMENT N° 1/2003 – ADHÉSION D’UN ÉTAT MEMBRE
À L’UNION EUROPÉENNE – ENTENTE AYANT DÉBUTÉ
AVANT L’ADHÉSION DE CET ÉTAT MEMBRE –
LOI APPLICABLE – COMMISSION EUROPÉENNE –
AUTORITÉ NATIONALE DE CONCURRENCE –
DÉLIMITATION DES COMPÉTENCES
CJUE, 14 févr. 2012, aff. C-17/10,
Toshiba Corporation e.a. / Úřad pro ochranu
hospodářské soutěže
INTERMÉDIAIRES EN OPÉRATIONS DE BANQUE – CIF –
AGENTS LIÉS – IMMATRICULATION
D. n° 2012-100, 26 janv. 2012, JO 28 janv.
Aut. conc., 10 févr. 2012, Document-cadre
sur les programmes de conformité
aux règles de concurrence
3933
CRÉDIT À LA CONSOMMATION – DÉFAILLANCE
DE L’EMPRUNTEUR – CAPITALISATION
DES INTÉRÊTS – NON
Cass. 1re civ., 9 févr. 2012, n° 11-14.605, P+B+I
3934
ÉTIQUETAGE DES DENRÉES ALIMENTAIRES –
SANS OGM
D. n° 2012-128, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
3935
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
NOMENCLATURE DES ARRÊTS DE LA COUR DE CASSATION
D : arrêt diffusé ; P : arrêt publié au Bulletin mensuel de la Cour de cassation ; P+B : arrêt publié au Bulletin d’information de la Cour de cassation ;
R : arrêt mentionné dans le Rapport annuel de la Cour de cassation ; I : arrêt publié sur le site Internet de la Cour de cassation
N° 6 8 • MAR S 2012 • REVUE LAMY DROIT DES AFFAIRES
7
Tables des sources
commentées
Table alphabétique
RLDA
ACTION EN RÉUNION D’ACTIF
Inconstitutionnalité
3914
EIRL
Régime comptable et fiscal
3908
ACTIONNARIAT SALARIÉ
Régime fiscal
3905
ÉTIQUETAGE DES DENRÉES ALIMENTAIRES
Sans OGM
3935
AFFECTATION DU COMMERCE ENTRE ÉTATS MEMBRES
Critères d’application
3926
FAILLITE INTERNATIONALE
Extension de la procédure
3907
AIDES D’ÉTAT À FINALITÉ RÉGIONALE
Révision
INFORMATION PRIVILÉGIÉE
3916
3924
INTERDICTION DE GÉRER
Dissimulation
3904
INTÉRÊT LÉGAL
3920
INTERMÉDIAIRES EN OPÉRATIONS DE BANQUE
ET EN SERVICES DE PAIEMENT (IOBSP)
Immatriculation
Régime
3922
3923
JUGEMENT D’EXTENSION
Compétence du juge français
3907
LOI PÉNALE PLUS DOUCE
Application dans le temps
3932
BAIL COMMERCIAL
Extension de la destination
Procédure collective
3910
3906, 3909
BREVET
Action en nullité d’un brevet européen
Annulation des revendications
3912
3911
CAUTIONNEMENT
Minimum de ressources
Clause d’agrément
3921
3899
CLAUSE DE NON-RÉAFFILIATION
Licéité (conditions)
3929
LOYER
Déplafonnement
COMITÉ D’ENTREPRISE
Expert-comptable (Assistance)
3903
COMITÉ DES RÉMUNÉRATIONS
3919
CONCURRENCE
Aides d’État à finalité régionale
Affectation du commerce entre États membres
Délimitation des compétences UE / États membres
Détermination de la loi applicable
Non-contestation des griefs
Programmes de conformité
3924
3926
3928
3928
3925, 3927
3925, 3927
CONFUSION DES PATRIMOINES
Jugement d’extension
3907
CONSEILLERS EN INVESTISSEMENTS FINANCIERS (CIF)
Immatriculation
3922
CONTREFAÇON
Autorité de la chose jugée
CRÉDIT À LA CONSOMMATION
Défaillance de l’emprunteur
3910
NON-CONTESTATION DES GRIEFS
3925, 3927
PRATIQUE ANTICONCURRENTIELLE
Délimitation des compétences UE / États membres
Détermination de la loi applicable
3928
3928
PRATIQUE COMMERCIALE TROMPEUSE
Responsabilité pénale (exonération)
3932
PRIX DU LIVRE NUMÉRIQUE
Infractions et sanctions (définition)
3931
3911
PROCÉDURE COLLECTIVE
Action en réunion d’actif
Bail commercial
Extension de la procédure
Omission volontaire de créances
Règlement insolvabilité
Voies de recours
3914
3906, 3909
3907
3913
3907
3915
3934
PROGRAMME DE CONFORMITÉ
Droit de la concurrence
3925, 3927
DÉCLARATION DES CRÉANCES
Relevé de forclusion
3913
PUBLICITÉ EXTÉRIEURE
Loi Grenelle II
3930
DÉLÉGATION DE POUVOIRS
Durée
Responsabilité pénale (exonération)
3901
3932
QUESTION PRIORITAIRE
DE CONSTITUTIONNALITÉ (QPC)
Action en réunion d’actif
3914
RÈGLEMENT INSOLVABILITÉ
Extension de la procédure
3907
DÉMARCHAGE À DOMICILE
Interdiction de recevoir une contrepartie quelconque
3933
DÉTERMINATION DE LA LOI APPLICABLE
Droit de l’Union européenne / droit national de la concurrence
Loi pénale plus douce
3928
3932
DISSOLUTION DE LA SOCIÉTÉ
Arrivée du terme
3900
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
8
RLDA
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • MAR S 2 0 12 • N ° 6 9
SOCIÉTÉS DE GESTION DE PORTEFEUILLE
Critères ESG
3902, 3918
SOLDES
3932
VALEURS MOBILIÈRES
Obligation d’inscription en compte
3917
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
ACTUALITÉS TABLES
Tables chronologiques
Table chronologique
des textes
RLDA
Textes officiels
D. n° 2012-67, 20 janv. 2012, JO 22 janv.
D. n° 2012-100, 26 janv. 2012, JO 28 janv.
D. n° 2012-101, 26 janv. 2012, JO 28 janv.
D. n° 2012-118, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
D. n° 2012-122, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
D. n° 2012-128, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
D. n° 2012-130, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
D. n° 2012-131, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
D. n° 2012-132, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
D. n° 2012-146, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
D. n° 2012-182, 7 févr. 2012, JO 8 févr.
3919
3922
3923
3930
3908
3935
3905
3905
3902, 3918
3931
3920
Autres textes
Comm. UE, Consultation publique sur la révision
des règles de l’Union européenne relatives aux aides
d’État à finalité régionale, 24 janv. 2012
Communiqué Cons. const., 27 janv. 2012
Aut. conc., 10 févr. 2012, Communiqué de procédure
relatif à la non-contestation des griefs ;
Aut. conc., 10 févr. 2012, Document-cadre
sur les programmes de conformité
aux règles de concurrence
3924
3917
3925, 3927
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
Table chronologique
de jurisprudence
RLDA
Cass. com., 6 déc. 2011, n° 10-25.689, P+B
3906, 3909
Cass. com., 13 déc. 2011, n° 10-28.337, P+B
3916
CJUE, 15 déc. 2011, aff. C-191/10, Rastelli Davide c/ Hidoux
3907
Cass. soc., 10 janv. 2012, n° 10-21.270, P+B
3903
Cass. com., 10 janv. 2012, n° 10-28.501, P+B
3913
Cass. crim., 10 janv. 2012, n° 11-86.985, P+B
3933
Cass. com., 17 janv. 2012, n° 09-17.212, P+B
3899
Cass. com., 17 janv. 2012, n° 10-24.811, P+B
3901
Cass. 3e civ., 18 janv. 2012, n° 11-10.072, P+B
3910
Cons. const., 19 janv. 2012, n° 2011-212, QPC
3914
Cass. crim., 24 janv. 2012, n° 11-84.045, P+B
3932
Cons. const., 27 janv. 2012, n° 2011-215, QPC
3917
Cass. com., 31 janv. 2012, n° 10-24.715, P+B
3900
Cass. com., 31 janv. 2012, nos 10-25.772, 10-25.775, 10-25.882, P 3926
Cass. com., 31 janv. 2012, n° 10-28.236, P+B
3921
Cass. com., 31 janv. 2012, n° 11-11.071, P+B
3929
Cass. com., 7 févr. 2012, n° 10-26.164, P+B+I
3915
Cass. com., 7 févr. 2012, n° 11-10.487, P+B
3904
Cass. 1re civ., 9 févr. 2012, n° 11-14.605, P+B+I
3934
Cass. com., 14 févr. 2012, n° 11-14.288, P+B
3912
CJUE, 14 févr. 2012, aff. C-17/10,
3928
Toshiba Corporation e.a. / Úřad pro ochranu hospodářské soutěže
Cass. ass. plén., 17 févr. 2012, n° 10-24.282, P+B+R+I
3911
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
N° 6 9 • MAR S 2012 • REVUE LAMY DROIT DES AFFAIRES
9
DROIT DES SOCIÉTÉS
COMMERCIALES
Sous la direction scientifique de Jacques MESTRE, Professeur agrégé des Facultés de droit, Directeur du Centre de droit
économique d’Aix-Marseille, et Dominique VELARDOCCHIO, Agrégée des Facultés de droit, Professeur à la Faculté
de droit d’Aix- Marseille.
PPar IIrina
i
PARACHKÉVOVA
RLDA
Professeur
à l’Université Paris VIII
CREDECO-GREDEG,
CNRS UMR 6227
3899
Clause d’agrément et décision du
conseil d’administration : interdiction
de l’agrément conditionnel
Par cet arrêt du 17 janvier 2012, la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte
une précision utile sur les modalités d’octroi d’un agrément en cas de cession d’actions. Elle
énonce que si une clause d’agrément est stipulée, l’agrément donné doit être pur et simple,
de sorte que les conditions posées par l’organe social habilité à autoriser la cession sont
réputées non écrites.
Cass. com., 17 janv. 2012, n° 09-17.212, P+B
L
es spécialistes du droit des sociétés ne s’attendaient sûrement pas à apprendre encore
quelque chose quant au régime des clauses
d’agrément dans les sociétés anonymes. La
question est largement connue, tant par les
praticiens que par les universitaires, et fait l’objet de développements détaillés dans les ouvrages et les revues spécialisés. Voici pourtant un arrêt de la Cour de cassation publié
au Bulletin, qui viendra enrichir utilement les enseignements
relatifs à ce régime. Il y apporte, en effet, une précision importante : l’agrément donné par l’organe habilité doit être
pur et simple ; il ne saurait être conditionnel. À la croisée des
chemins du droit des sociétés et du droit des obligations, la
décision atteste ainsi des limites de la liberté contractuelle en
matière de procédure d’agrément.
Les faits étaient, pour le moins, complexes. Une promesse
d’achat d’actions fut stipulée par l’actionnaire majoritaire
d’une société au profit d’un actionnaire minoritaire. Toutefois,
ce dernier ne souhaita pas s’en prévaloir dans l’immédiat. Il
préféra au préalable apporter ses actions au capital d’une société tierce, qu’il avait lui-même créée et dont il était l’associé
unique et le gérant.
Par application d’une clause statutaire d’agrément, le conseil
d’administration de la société émettrice accorda son agrément
à l’opération d’apport. Néanmoins, il soumit l’agrément à une
double condition suspensive. La première était qu’un avenant
à la promesse d’achat d’actions fût signé afin d’opérer une
substitution de parties. La seconde condition était qu’un
protocole d’accord fût conclu entre l’apporteur, la société
émettrice et son actionnaire majoritaire, ayant pour objet le
changement du contrôle de la société créée par l’apporteur.
Quelque temps après, l’apporteur et sa société notifièrent au
promettant la levée de l’option d’achat. Or, celui-ci refusa
d’exécuter, au motif que n’étant plus actionnaire de la société
émettrice, le bénéficiaire primitif de la promesse d’achat ne
pouvait plus s’en prévaloir. De son côté, la société émettrice
tint un tout autre discours. Elle indiqua aux demandeurs qu’en
l’absence de régularisation des actes prévus à titre de condition
suspensive, l’agrément était « réputé ne pas être intervenu ».
10
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
C’était donc la société nouvelle qui, d’après elle, se trouvait
privée de la possibilité de se prévaloir de la promesse d’achat.
Ensemble, l’apporteur et sa société assignèrent alors le promettant et la société émettrice en exécution forcée de la cession
et en paiement du prix.
Par une décision du 17 septembre 2009, la cour d’appel de
Versailles les débouta de leurs demandes, au motif que faute
d’accomplissement des conditions suspensives imposées par
le conseil d’administration, l’apport des actions était nul. Pour
les magistrats versaillais, tout comme il ne pouvait être dérogé
au principe et aux modalités d’un agrément posés par une
clause statutaire, il était impossible d’écarter les conditions
posées par le conseil d’administration pour l’octroi et l’efficacité de l’agrément. Ils semblèrent en déduire ainsi, que seul
l’apporteur avait la qualité d’actionnaire et pouvait bénéficier
de la promesse d’achat d’actions.
Un pourvoi en cassation fut aussitôt formé par l’apporteur et
la société bénéficiaire de l’apport.
À vrai dire, la tâche de la Cour de cassation n’était pas facile. La
difficulté provenait de l’incohérence des comportements des
protagonistes. L’on peut comprendre que la société émettrice
ait été assignée en exécution de la vente en même temps que
le promettant, en raison du rôle qu’elle joue dans le transfert
de propriété des actions. Rien ne peut se faire, en effet, sans
qu’elle procède à l’inscription en compte des actions (C. com.,
art. L. 228-1, al. 9 et R. 228-10). Mais pourquoi l’apporteur avait-il agi
en exécution de la vente à la fois en son nom personnel et
au nom de la société bénéficiaire de l’apport ? C’est à croire
qu’un étrange amalgame était fait entre la personne morale
et son associé unique…
Puis, pourquoi le promettant et la société émettrice avaient-ils
utilisé des arguments contradictoires pour aboutir finalement
au même résultat, c’est-à-dire, neutraliser la promesse d’achat
d’actions ? Le promettant déniait la qualité d’actionnaire à
l’apporteur, alors que la société émettrice déniait cette même
qualité à la société créée par l’apporteur.
Enfin, en vertu de quoi l’apport au capital d’actions permet à
la société qui le reçoit de se prévaloir de la promesse d’achat
de ces actions faite au profit de l’apporteur ? Rien ne le justifie
clairement en l’occurrence. En somme, toutes ces questions
entre les dispositions impératives et supplétives de volonté
restent en suspens.
au sein de ces règles. Plus généralement, par son refus de la
Pourtant, les Hauts Magistrats ne se laissent pas déstabiliser
condition suspensive et par sa manière de la sanctionner, la
et focalisent leur attention sur la question centrale posée dans
Cour de cassation marque sa préférence pour la cohérence
cette affaire : l’agrément donné par le conseil d’administration
de la procédure d’agrément et pour l’efficacité économique
peut-il être conditionnel ? Peut-il être suspendu à une condide la cession.
tion ? Sans hésiter, ils répondent par la négative. La décision
Concrètement, deux enseignements importants se dégagent de
témoigne, d’ailleurs, de la capacité de la Cour de cassation
la décision. D’une part, l’agrément doit être pur est simple (I).
à rendre un arrêt de principe à partir de faits confus. Pour
D’autre part, l’agrément conditionnel est réputé non écrit (II).
elle, « si une clause d’agrément est stipulée, l’agrément d’un
actionnaire [il faut sans doute comprendre “cessionnaire”]
I. – L’EXIGENCE D’UN AGRÉMENT PUR ET SIMPLE
doit être pur et simple de sorte que les conditions posées par
l’organe social habilité à autoriser la cession sont réputées non
Par cet arrêt, la Cour de cassation refuse catégoriquement que
écrites ». L’arrêt de la cour d’appel encourt ainsi une cassation
l’agrément accordé par l’organe habilité à autoriser la cession
partielle pour violation de la loi, au visa des articles L. 228-23,
puisse être conditionnel. Même si elles demeurent intimement
alinéa 4 (depuis l’ordonnance n° 2009-80 du 22 janvier 2009, il s’agit de l’alinéa 5),
liées, deux séries de raisons permettent de justifier un tel refus.
Elles sont fondées respectivement sur le droit des sociétés (A)
et L. 228-24 du Code de commerce.
et le droit des obligations (B).
La solution est aussi claire qu’importante. En lui-même, le
contentieux autour de la clause d’agrément dans une société
A. – Les raisons fondées sur le droit des sociétés
anonyme paraît connu. Admise avec pragmatisme par le
législateur dans les sociétés anonymes
Sans aucun doute, la principale raison
non cotées et sanctionnée depuis 1998
de ce refus tient à la nature impérative
La question sous-jacente
(L. n° 98-546, 2 juill. 1998) par la nullité de
des articles L. 228-23, alinéa 4 (actuel 5) et
à l’arrêt est capitale.
la cession (C. com., art. L. 228-23, dernier al.),
L. 228-24 du Code de commerce (cf. égacette clause vient restreindre la libre
lement en ce sens, Mpindi I. D., obs. sous l’arrêt rapporté,
Il y va de l’efficacité de
cessibilité des actions, afin de stabiliActualité du droit 30 janv. 2012, <http://actualitesdudroit.
l’agrément et de la cession
ser l’actionnariat de contrôle. Au fur
lamy.fr>, également dans RLDA 2012/68, n° 3855, Lienenvisagée.
et à mesure des décisions de justice
hard A., obs. sous l’arrêt rapporté, D. 2012, p. 279). Le
et des retouches législatives (notamment,
principe n’est pas expressément énoncé
dans l’arrêt, mais il est sous-jacent à la solution. En atteste de
Ord. n° 2004-604, 24 juin 2004), son régime s’est considérablement
façon éloquente la cassation pour violation de la loi au visa
stabilisé. À cet égard, l’arrêt rapporté vient confirmer que le
des textes précités.
domaine d’application de la clause comprend bien l’apport
En soi, l’affirmation n’est pas nouvelle. Si le texte ne le prédes actions au capital d’une société tierce (cf. par ex., Cass. com., 21
cise pas, l’on s’accorde ainsi sur le caractère d’ordre public
janv. 1970, n° 68-11.085, Bull. civ. IV, n° 28, JCP G 1970, II, n° 16541, note Oppetit B.),
de l’article L. 223-24 prévoyant la procédure applicable en
au-delà de la cession au sens strict du terme. Mais l’originalité
présence d’une clause d’agrément (comp. C. com., art. L. 223-14 pour
incontestable de la décision est d’apporter un éclairage sur la
procédure d’agrément du point de vue du droit des obligations.
la SARL). D’ailleurs, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion
La question sous-jacente à l’arrêt est capitale. Il y va de l’effid’affirmer dans le passé que ce texte était impératif (Cass. com.,
cacité de l’agrément et de la cession envisagée. Un agrément
8 avr. 2008, n° 06-18.362, Bull. civ. IV, n° 85, D. 2008, p. 1207, obs. Lienhard A., JCP E
conditionnel menace, en effet, de remettre en cause la déci2008, n° 1950, obs. Schiller S., RJDA 2008/7, n° 809 : « Le caractère impératif des dispositions
sion d’agrément et la cession tout entière. Or, curieusement,
de l’article L. 228-24 du Code de commerce ne permet pas d’y déroger par convention, en
cette question n’est guère évoquée et la Cour de cassation
prévoyant un mode de prorogation du délai imparti pour la réalisation de la cession, après
ne l’a jamais traitée jusqu’ici, à notre connaissance. Sans
refus d’agrément, autre que la prorogation judiciaire prévue à l’alinéa 3 de cet article »).
doute, parce qu’elle a quelque chose d’incongru. L’on conçoit
Le dernier alinéa de l’article L. 228-23 porte, quant à lui, sur
difficilement qu’un agrément soit conditionnel en pratique.
la sanction de la clause d’agrément. Sa nature impérative est
Toutefois, la présente espèce révèle que la question est loin
sous-entendue dans la sanction-même qu’il renferme (cf. Besnard
d’être excentrique et la solution loin d’être évidente. En tout
Goudet R., Clauses statutaires d’agrément, de préemption et d’exclusion dans les sociétés
cas, l’on comprend que cet arrêt soit publié au Bulletin et
par actions, J-Cl. Sociétés Traité, Fasc. 1792, spéc. n° 34). Aucune cession ne
destiné ainsi à une large diffusion.
peut être faite en violation d’une clause d’agrément statutaire,
En théorie, la stipulation d’une condition suspensive (C. civ.,
sous peine de nullité de la cession.
Pareille approche pourrait surprendre s’agissant d’une obliart. 1181) dans une décision d’agrément ne peut être écartée d’ofgation d’agrément d’origine statutaire et non légale. Mais elle
fice. La condition suspensive est couramment utilisée en droit
traduit bien les objectifs contraires visés par le législateur à
des sociétés. Une telle stipulation est notamment fréquente
travers le régime de la clause d’agrément. Il s’agit tout à la fois
à l’occasion de la cession de droits sociaux (cf. Memento Lefebvre
d’assurer l’efficacité de la procédure et de l’encadrer ; de lui
Sociétés commerciales, 2012, nos 16000 et s.). En particulier, l’obtention
donner son plein effet et de sauvegarder, autant que faire se
de l’agrément de la société est souvent érigée en condition
peut, le principe de libre cessibilité des actions. Et précisément,
suspensive de la réalisation de la cession (cf. Couret A. et Perrier C.,
parce que ces dispositions impératives constituent une entrave
Les effets d’une clause d’agrément érigée en condition suspensive, Bull. Joly Sociétés 1999,
à la libre cessibilité des actions, elles doivent être interprétées
p. 523). Il n’était pas ainsi impossible d’imaginer une condition
restrictivement. La possibilité d’un agrément conditionnel
suspensive affectant la décision d’agrément elle-même.
n’étant pas légalement prévue, il en résulte pour la Cour de
Néanmoins, à juste titre, les Hauts Conseillers refusent de
cassation, que l’agrément donné par la société doit être pur
donner effet à un agrément conditionnel. Ils font en cela,
et simple. Soit elle doit le refuser, soit elle doit l’accorder. Le
une lecture fine et pertinente des règles régissant la clause
principe posé est général et implique l’interdiction de toute >
d’agrément. L’arrêt permet notamment de tracer une frontière
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
11
C L A U S E D ’ A G R É M E N T E T D É C I S I O N D U C O N S E I L D ’ A D M I N I S T R AT I O N : I N T E R D I C T I O N D E L’ A G R É M E N T C O N D I T I O N N E L
condition, suspensive ou résolutoire, quel que soit l’organe
habilité à décider l’agrément. L’exigence est alors à rapprocher
de celle d’un agrément global. En effet, les spécialistes estiment
pour les mêmes raisons, que l’agrément ne saurait être partiel
et doit concerner la totalité des actions dont le transfert est
envisagé (cf. en ce sens, Memento Lefebvre Sociétés commerciales, 2012, n° 68533).
Du reste, si la solution concerne la seule société anonyme,
sa logique fondée sur la nature impérative des textes la rend
transposable à toute procédure d’agrément légalement encadrée et dotée d’une valeur impérative. Elle a ainsi vocation à
s’appliquer à la procédure d’agrément prévue dans la SARL
(C. com., art. L. 223-14), voire dans les sociétés de personnes (C. com.,
art. L. 221-13 pour la SNC ; C. civ., art. 1861 pour la société civile). En revanche,
l’interdiction ne devrait pas s’appliquer en présence d’un
pacte extrastatutaire d’agrément, car ici la loi ne réglemente
en rien la procédure applicable.
Cependant, une question mérite d’être posée au sujet de
la clause statutaire d’agrément. La décision rapportée se
réfère à la décision d’agrément, « si une clause d’agrément
est stipulée ». Une lecture restrictive est alors envisageable,
laissant entendre que l’interdiction de poser des conditions
s’adresse au seul organe habilité à autoriser la cession. Mais
l’interdiction vaut-elle également pour la clause statutaire
elle-même ? Peut-on envisager que les statuts prévoient
directement la possibilité d’un agrément conditionnel ? La
question est d’autant plus légitime, que la solution se fonde,
entre autres, sur le dernier alinéa de l’article L. 228-23, relatif
à la sanction de la méconnaissance de la clause d’agrément.
S’interroger sur ce point revient à faire la part des dispositions
impératives et supplétives de volonté dans le régime de la
clause d’agrément.
Au fond, les articles L. 228-23 et L. 228-24 procèdent d’une
subtile répartition des règles édictées par la loi et par les
statuts. L’on sait notamment que les statuts peuvent étendre
l’application de la clause d’agrément à des opérations qui ne
sont pas normalement prévues par la loi. Tel est le cas des
fusions et généralement, du transfert de titres réalisé lors
d’une transmission universelle de patrimoine, ou encore, du
changement de contrôle d’un actionnaire-personne morale
(cf. en ce sens, Cozian M., Viandier A., Deboissy F., Droit des sociétés, LexisNexis, 2011,
24e éd., n° 750). En outre, ce sont les statuts qui déterminent
l’organe social compétent pour accorder l’agrément (cf. sur cette
question, Memento Lefebvre Sociétés commerciales, 2012, n° 68533 ; Jadaud B., Qui décide
de l’agrément à la cession d’actions ?, JCP E 2001, p. 1946 ; Schiller S., Pactes d’actionnaires,
Rép. Droit des sociétés Dalloz, spéc. n° 34). À titre d’exemple, le conseil
d’administration, le conseil de surveillance, le directoire, le
directeur général ou l’assemblée des actionnaires peuvent être
désignés pour se prononcer sur l’agrément. Or, même si elles
sont prévues par les statuts et non directement par la loi, de
telles dispositions n’en justifient pas moins la nullité d’une
cession qui ne les respecte pas. Pourquoi ne pas envisager
alors que la clause statutaire réserve également la possibilité
d’un agrément conditionnel ?
Pourtant, si séduisante qu’elle puisse paraître, cette analyse
ne saurait être admise. En effet, si certaines modalités de la
procédure d’agrément restent aménageables par la clause
statutaire, tel ne semble pas être le cas de la décision même
d’agrément. Témoigne en ce sens la lettre de l’article L. 22824 du Code de commerce. Son alinéa 2 prévoit notamment
les démarches à suivre « si la société n’agrée pas le cessionnaire… », ce qui ne laisse guère de place pour un agrément
conditionnel (cf. en ce sens, Lienhard A, obs. préc. sous l’arrêt rapporté). Si bien
que l’exigence d’un agrément pur et simple doit recevoir une
lecture large. Tant l’organe habilité à agréer la cession que la
12
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
clause statutaire elle-même doivent s’abstenir de poser une
quelconque condition à l’agrément.
À la suite du droit des sociétés, le droit des obligations conforte
cette lecture.
B. – Les raisons fondées sur le droit
des obligations
La seconde raison qui justifie l’exigence d’un agrément pur et
simple peut être recherchée sur le strict terrain du droit des
obligations. En théorie, tout acte juridique devrait pouvoir
être conditionnel. Stipuler une condition relève en soi de la
liberté contractuelle. Or, il est des situations dans lesquelles
le bon sens, l’intérêt général ou même l’intérêt des parties ou
des tiers demandent une issue nette (cf. en ce sens, Taisne J.-J., Contrats
et obligations – Obligations conditionnelles – Mécanisme de la condition, J.-Cl. Civil, Fasc.
Unique, spéc. nos 19 et s.). La condition est alors trop dangereuse.
D’ailleurs, de telles situations se rencontrent surtout lorsque
l’acte se situe en dehors d’une relation contractuelle ou du
moins, lorsqu’il relève d’un contrat particulier. Ainsi des actes
publics. Peut-on imaginer, par exemple, que la nomination
d’un fonctionnaire ou qu’un jugement soient conditionnels ?
De même, la condition n’est pas admise en matière d’adoption, de mariage ou d’option successorale. Même le droit des
sociétés connaît de telles situations. L’on songe ici à une jurisprudence ancienne interdisant la souscription conditionnelle
d’actions (T. com. Lyon, 28 févr. 1944, Journ. sociétés 1945, p. 115 ; CA Rouen, 21 juin
1957, D. 1957, p. 628, S. 1958, p. 53, Rev. sociétés 1957, p. 405). Le danger est trop
important pour la société elle-même et pour les tiers, car une
incertitude frappant le capital social peut les priver, l’une de
financement, les autres de leur « gage général » (cf. Ripert G. et
Roblot R., Traité de droit commercial, par Germain M., t. I, vol. 2, 18e éd., 2002, n° 1428).
L’arrêt commenté s’inscrit dans la lignée de ces interdictions
de l’acte conditionnel. La décision d’agrément se rapproche
d’abord de ces situations par sa singularité. À l’inverse de
la clause d’agrément qui est d’origine statutaire et donc,
contractuelle, l’octroi même de l’agrément n’est pas de nature
contractuelle. Il s’apparente ainsi à ces actes juridiques qui
tolèrent difficilement la condition.
Ensuite, un agrément conditionnel provoquerait un danger
bien trop important pour les parties à la cession. Le scénario
est aisé à imaginer. L’on tient de l’article 1181 du Code civil,
que la condition est un événement futur, incertain et aléatoire,
dont la réalisation ou la non-réalisation affecte l’existence
même de l’obligation (cf. par ex., Fabre-Magnan M., Droit des obligations, 1.
Contrat et engagement unilatéral, Thémis-PUF, 2008, spéc. n° 71). Dès lors, en cas
de défaillance de la condition, l’agrément deviendrait caduc
(cf. sur la caducité de l’obligation en tant que conséquence de la défaillance de la condition,
Cass. 3e civ., 14 oct. 2009, n° 08-20.152, Bull. civ. III, n° 223), comme le prétendait ici la société émettrice. Voilà qui risque de compromettre
tout à la fois la cession envisagée et la procédure d’agrément
que l’on croyait acquise. En outre, l’on peine à imaginer
l’articulation d’un agrément conditionnel avec le reste de
la procédure. Y aurait-il une équivalence entre l’agrément
devenu caduc et le refus d’agrément ? Puis, à supposer que
ce soit le cas, à partir de quelle date faudrait-il estimer que la
condition est défaillante et qu’il y a donc refus d’agrément ?
Les choses seraient particulièrement délicates à apprécier
lorsque comme en l’espèce, aucun délai n’a été fixé pour la
réalisation de l’évènement.
À l’évidence, de telles incertitudes seraient gravement préjudiciables à la sécurité juridique et menaceraient de façon
intolérable la liberté pour un actionnaire de céder ses actions
(cf. déjà, au sujet des inconvénients de la cession de droits sociaux soumise à la condition
suspensive d’un agrément, Couret A. et Perrier C., Les effets d’une clause d’agrément érigée en
condition suspensive, art. préc.). Et en filigrane, le principe de l’estoppel
n’est pas loin (cf. récemment, Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-22.888, D. 2011, p. 2345,
obs. Delpech X.). En stipulant une condition, l’organe qui accorde
l’agrément risque de se contredire au détriment des intérêts
des parties. Il s’agit donc d’une solution pertinente au plan du
droit des obligations, indépendamment de la nature impérative
des textes relatifs à la clause d’agrément. À tel point que l’on
aimerait la voir consacrée pour toute procédure d’agrément,
même prévue par acte extrastatutaire.
Il reste à préciser la sanction de l’agrément conditionnel,
chose que la Cour de cassation fait également avec beaucoup
de bon sens.
permet à la fois de sanctionner l’agrément conditionnel et de
rétablir la cohérence de la décision. En effet, le réputé non
écrit est un mode extra-judiciaire de sauvetage du contrat,
qui constitue une alternative judicieuse à la nullité, même
partielle. Cette sanction permet de priver une clause irrégulière
de sa force obligatoire, mais en même temps, de laisser le reste
de l’acte intact (Gaudemet S., La clause réputée non écrite, op. cit., spéc. nos 3 et s.).
La sanction marque ainsi une nette faveur pour l’efficacité de
l’opération. Elle se démarque aussi, par l’originalité de ses fondements. Il a été démontré qu’en droit des contrats, la clause
réputée non écrite avait une double fonction. Sa principale
fonction est d’assurer une police de cohérence des obligations
contractuelles. Mais elle a aussi une fonction latente de police
des valeurs de l’ordre social, c’est-à-dire, des valeurs que la
II. – LA SANCTION DE L’AGRÉMENT CONDITIONNEL
loi ou le juge tiennent pour essentielles (Gaudemet S., La clause réputée
Non sans audace, la Cour de cassation énonce dans cet arrêt
non écrite, op. cit., spéc. nos 488 et s. et 549 et s.).
que les conditions posées dans la décision d’agrément sont
Voilà qui concorde parfaitement avec l’hypothèse d’un
réputées non écrites. Elle opte en cela pour une sanction
agrément conditionnel. En sauvant la décision d’agrément
pertinente et originale (A), mais dont il convient d’apprécier
et en réputant non écrites les conditions posées par le
les conséquences en l’espèce (B).
conseil d’administration, la Cour de cassation ne fait que
rétablir la cohérence de la procédure
A. – La pertinence de la
d’agrément et de l’opération envisaLa Cour de cassation
sanction du réputé non écrit
gée. Au-delà, elle se fait ici gardienne
se fait ici gardienne
du principe de la libre cessibilité des
Le « réputé non écrit » est une sancactions, qui en ressort conforté. Le
tion originale dont l’emploi ne cesse
du principe de la libre
résultat est alors des plus efficaces :
de croître, en législation comme en
cessibilité des actions,
l’agrément est accordé et la cession est
jurisprudence (cf. Préface Lequette Y. in Gaudequi en ressort conforté.
irréversible sans que rien ne puisse la
met S., La clause réputée non écrite, Economica, 2006).
remettre en cause.
Bien souvent ces dernières années, le
L’on ne peut qu’approuver cette préférence des Hauts
juge y fait recours en dehors des prévisions légales (cf. par ex.,
Magistrats pour la cohérence et l’efficacité de l’acte.
la jurisprudence « Chronopost », à commencer par Cass. com., 22 oct. 1996, n° 93-18.632,
La solution est, d’ailleurs, à rapprocher de celle que la
Bull. civ. IV, n° 261. Cf également, Mazeaud D., Les clauses limitatives de réparation :
jurisprudence a appliquée au sujet de la souscription
les quatre saisons, D. 2008, p. 1776). Le réputé non écrit est utilisé
conditionnelle du capital (CA Paris, 9 mai 1868, DP 1868, II, p. 173 ;
notamment dans le but de « sauver le contrat », lorsqu’une
seule de ses clauses est irrégulière. Le contrat de société luiT. com. Lyon, 28 févr. 1944, préc. ; CA Rouen, 21 juin 1957, préc.). Déjà à
même connaît cette sanction en matière de clauses léonines
l’époque, le pragmatisme des magistrats l’avait emporté
(C. civ., art. 1844-1, al. 2).
en choisissant de réputer la condition non écrite, plutôt
que d’annuler l’opération de souscription.
Au premier abord cependant, la démarche pourrait surprendre
Une seule chose interpelle dans la présente décision. C’est la
les spécialistes du droit des sociétés, s’agissant d’une décision
portée de cette sanction en l’espèce.
d’agrément. Et il est vrai qu’en l’espèce, la sanction aurait
pu être différente. Rien n’empêchait la Cour de cassation de
B. – Les conséquences de la sanction en l’espèce
considérer que l’agrément conditionnel équivalait plutôt à un
refus d’agrément (cf. en ce sens, Lienhard A., obs. préc. sous l’arrêt commenté).
Dans la présente affaire, le fait de réputer non écrites les
conditions posées par le conseil d’administration, revenait
Pire encore, l’on peut légitimement avancer qu’un agrément
à rendre le transfert d’actions effectif, et donc, à reconnaître
conditionnel devrait être sanctionné par la nullité de la déla qualité d’actionnaire de la société ayant reçu l’apport.
cision d’agrément. La nullité n’est-elle pas, dans les sociétés
Mais au-delà, l’enjeu était de savoir si cette société pouvait
commerciales, la sanction naturelle des actes et délibérations
bénéficier d’une promesse d’achat d’actions faite au profit de
non modificatifs des statuts qui méconnaissent une règle impél’apporteur. Or, un tel résultat ne va pas de soi. La difficulté
rative du droit des sociétés (C. com., art. L. 235-1, al. 2) ? Si l’agrément
provient de l’effet relatif des conventions (C. civ., art. 1165), qui
conditionnel heurte les règles impératives régissant la clause
d’agrément, la décision du conseil d’administration devrait,
empêche la transmission automatique du contrat aux ayants
ainsi, encourir la nullité.
cause à titre particulier. L’affirmation est vraie même pour
Le problème provient des effets néfastes d’une telle aples contrats conclus intuitu rei, c’est-à-dire, en considération
proche. Admettre qu’un agrément conditionnel équivaut
de la chose (cf. Fabre-Magnan M., Droit des obligations, 1. Contrat et engagement
à un refus d’agrément ou constitue une cause de nullité de
unilatéral, op. cit., n° 200).
la décision d’agrément, reviendrait à interdire le transfert
La jurisprudence est constante en ce sens. Certes, une cour
des titres et valider ainsi le résultat voulu à travers la stid’appel a pu se prévaloir récemment de l’article 1692 du
pulation d’une condition. De la simple cession d’actions à
Code civil, pour affirmer qu’un pacte d’actionnaires était
la fusion (cf. par ex., sur la possible application de la clause d’agrément en cas de
l’accessoire des actions et se transmettait en même temps
qu’elles (CA Versailles, 14e ch., 27 juill. 2010, nos RG : 10/00559, 10/02776,
fusion, Cass. com., 6 mai 2003, n° 01-12.567, Bull civ. IV, n° 70, JCP E 2003, n° 1327,
note Cohen D.), l’opération économique soumise à l’agrément
10/02777, Sté Esterra c/ SA Sita France, Rev. sociétés 2011, p. 90, note Couret A.).
se trouverait alors ruinée.
Néanmoins, le raisonnement a été implicitement censuré
Si bien qu’à la réflexion, la sanction du réputé non écrit est ici
par la Cour de cassation (Cass. com., 24 mai 2011, n° 10-24.869, D. 2011,
celle qui convient le mieux. Elle a ceci de particulier, qu’elle
p. 2315 : « [la cour d’appel] (…) a souverainement estimé, abstraction faite du motif >
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
13
C L A U S E D ’ A G R É M E N T E T D É C I S I O N D U C O N S E I L D ’ A D M I N I S T R AT I O N : I N T E R D I C T I O N D E L’ A G R É M E N T C O N D I T I O N N E L
erroné mais surabondant critiqué par la première branche, que [la société cessionnaire]
(…) justifiait d’un intérêt à agir »).
D’ailleurs, cette censure rappelle la position de la Haute
Cour quant à la circulation des clauses de garantie de passif,
ou du moins, des clauses de révision de prix. Pour elle,
de telles clauses ont une nature strictement personnelle et
ne profitent pas, sauf stipulation pour autrui ou clause de
substitution, à la société elle-même ou au sous-acquéreur
(Cass. com., 11 mars 2008, n° 06-20.738, Lecuyer H. et Poracchia D., La circulation
de la garantie de passif et la clause compromissoire, Dr. & patr. janv. 2008, p. 67).
Ainsi également, du solde d’un compte-courant d’associé,
qui n’est pas automatiquement transmis au cessionnaire
(Cass. com., 7 janv. 1997, n° 94-21.876, RTD com. 1997, p. 273, obs. Champaud C.
et Danet D.).
La transmission de la promesse d’achat d’actions rappelle
toutes ces hypothèses, et se conçoit difficilement en l’absence
d’aménagement contractuel. En l’occurrence, rien n’indique
qu’une clause de substitution ou autre aménagement aient été
stipulés. Au contraire, la substitution des parties était l’une
des conditions suspensives posées par la décision d’agrément
du conseil d’administration.
Au demeurant, la cassation n’est que partielle et porte uniquement sur l’agrément conditionnel. C’est dire que rien ne
garantit que la cour d’appel de renvoi donnera gain de cause
à la société bénéficiaire de l’apport quant à l’exécution forcée
de la vente.
Il va de soi que cela n’enlève rien à l’importance de la décision,
qui constitue un arrêt de principe et fera date. ◆
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14
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Par Ildo D. MPINDI
Secrétaire général de la Rédaction
Lamy sociétés commerciales
RLDA
SOCIÉTÉS ET AUTRES
GROUPEMENTS
3900
Dissolution de la société
par arrivée du terme en
l’absence de prorogation
La chambre commerciale réaffirme la possibilité
d’une prorogation tacite du terme extinctif
pour une société en nom collectif.
Cass. com., 31 janv. 2012, n° 10-24.715, P+B
Cet arrêt, destiné à publication au Bulletin, est relativement
important en ce qu’il confirme une jurisprudence ayant donné
matière à hésitation en acceptant qu’une société puisse voir son
terme implicitement prorogé. La chambre commerciale rappelle
ainsi « qu’en l’absence de toute prorogation expresse ou tacite
de sa durée, la [société est] dissoute par l’arrivée de son terme »
(cf. également, Cass. com., 23 oct. 2007, n° 05-19.092, Bull. civ. IV, n° 224). Ce faisant,
elle censure le raisonnement d’une cour d’appel, qui avait cru
pouvoir interpréter l’article 1844-6 du Code civil (sur les modalités
de la prorogation expresse) en ce sens que « si dans le principe, une
société prend fin à l’expiration du temps pour lequel elle a été
constituée, elle n’est effectivement dissoute que si les associés ont
été convoqués, au moins un an avant le terme convenu et ont
décidé expressément la dissolution ; (…) dans le cas contraire,
la société conserve sa personnalité juridique, ses organes et sa
capacité à ester en justice ». Cette analyse des juges du fond est
invalidée par la Haute Juridiction sous le visa des articles 1134
et 1844-7 du Code civil ; la dissolution de la société ne saurait
être subordonnée à la condition que ses associés aient pris la
décision de la dissoudre. Partant, la Cour écarte la possibilité
pour la société, parvenue à l’échéance de son terme, d’interjeter
appel contre un jugement rendu en sa défaveur. Elle doit, pour
ce faire, « être représentée par un liquidateur ».
L’intérêt majeur de cet arrêt provient de ce qu’il admet la possibilité d’une prorogation tacite pour une société en nom collectif,
laquelle jouit de la personnalité morale. Il convient en effet de
rappeler que cette position jurisprudentielle, adoptée en 2007
par la chambre commerciale, l’avait été à propos d’une société
en participation, dénuée de personnalité morale. Grande était
alors la tentation de restreindre le domaine de la solution aux
sociétés « non personnifiées » (cf. Saintourens B., Bull. Joly Sociétés 2008, p. 110 ;
pour une interprétation encore plus restrictive, cf. Dondero B., Rev. sociétés 2008, p. 384). Or,
cet arrêt semble témoigner en faveur d’un principe de portée
générale, d’autant que la solution est réaffirmée sous le visa
d’une disposition du droit commun des contrats (l’article 1134 du
Code civil) et du droit commun des sociétés (l’article 1844-7 du Code civil).
La solution ainsi confirmée n’en demeure pas moins source
d’interrogations, en l’absence de précision sur ce qui serait
susceptible de constituer une prorogation tacite. Quelle attitude
des associés serait révélatrice de leur volonté tacite de continuer la société ? Sur ce point, les Hauts Magistrats demeurent
silencieux. En outre, cette jurisprudence continue de poser un
problème de cohérence avec la position de la première chambre
civile, qui accepte de considérer que, lorsque les associés, après
terme, persistent à se comporter comme associés, on se trouve
en présence d’une société « devenue de fait » (Cass. 1re civ., 13 déc. 2005,
02-16.605, Bull. civ. I, n° 287). Or, comme le relève un auteur, « la reconnaissance d’une société devenue de fait postule la disparition de
la société existant avant son terme, tandis que l’admission d’une
prorogation tacite postule la survie de la société » et, donc, le
maintien de sa personnalité morale (Lecuyer H., Dr. sociétés 2007, n° 210).
Ainsi, la possibilité d’une prorogation tacite est-elle réaffirmée,
sans que l’on puisse encore en mesurer toutes les implications.
• OBSERVATIONS • Pour de plus amples développements sur cet arrêt,
cf. RLDA 2012/70, à paraître.
➤ Lamy sociétés commerciales 2011, nos 545 et 1569
RLDA
DROIT
DES SOCIÉTÉS
COMMERCIALES
ACTUALITÉS
DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
3901
Représentation
de la société : durée
de la délégation de pouvoirs
Doit être cassé pour violation de la loi l’arrêt retenant,
pour contester la validité d’une délégation de pouvoirs,
que celle-ci n’était pas limitée dans le temps.
Cass. com., 17 janv. 2012, n° 10-24.811, P+B
Dans un attendu peu développé mais particulièrement net, la
chambre commerciale vient rappeler que la délégation de pouvoirs, en l’occurrence celui d’agir en justice, peut être consentie sans limitation de durée. Elle énonce en effet « qu’aucune
disposition n’exige que la délégation du pouvoir de représenter
une société en justice soit donnée pour une durée déterminée ».
Il était pour le moins difficile de suivre le raisonnement
contraire soutenu par les juges du fond. Ces derniers avaient
déclaré nulle l’opposition à l’ordonnance d’injonction de
payer formée par le directeur administratif et financier d’une
société anonyme au profit d’une autre société, contestant la
validité de la délégation de pouvoirs dont il était investi. De
fait, ils estimaient que si le représentant légal pouvait « accorder des délégations de pouvoirs au personnel d’encadrement,
ces délégations [devaient] être limitées dans le temps et que,
tel n’étant pas le cas de la délégation de pouvoirs produite au
débat, celle-ci n’[était] pas valide ».
La chambre commerciale ne suit pas cette analyse et confirme
l’argument de la requérante, selon lequel la délégation de
pouvoirs peut être permanente du moment qu’elle n’est pas irrévocable (cf. en ce sens : Cass. com., 15 mars 2005, n° 03-13.032, Bull. civ. IV, n° 64).
Cette solution, donnée sous le visa des articles 1984 et 2003
du Code civil relatifs au mandat, et de l’article 117 du Code de
procédure civile, sur les irrégularités de fond affectant la validité
des actes, a manifestement une portée générale et vaut donc
pour l’ensemble des sociétés et autres groupements voisins.
• OBSERVATIONS • Sur cette question en général, cf. le numéro à paraître
de la RLDA 2012/72, publiant les actes du colloque « La délégation de
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
>
15
RLDA
➤ Lamy sociétés commerciales 2011, n° 664
3902
Investissement socialement
responsable : nouvelles
obligations en matière
de développement durable
pour les sociétés de gestion
3903
Accès aux documents :
précisions sur le droit
de communication
de l’expert-comptable
mandaté par le comité
d’entreprise
Un décret précise les modalités d’information et de
publication de la prise en compte des critères sociaux,
environnementaux et de qualité de gouvernance dans
la politique d’investissement des sociétés de gestion.
La chambre sociale accepte d’inclure l’étude
de la structure des rémunérations du personnel
dans la mission de l’expert-comptable et confirme
l’arrêt d’appel ayant ordonné à l’employeur de lui
communiquer la déclaration annuelle de données
sociales sous format électronique.
D. n° 2012-132, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
Cass. soc., 10 janv. 2012, n° 10-21.270, P+B
Visant à encourager le développement de l’investissement
socialement responsable (ISR), ce nouveau dispositif réglementaire introduit un cadre de présentation obligatoire et
normalisé de la politique d’ISR des sociétés de gestion.
Ce texte est pris pour application de l’article L. 533-22-1 du Code
monétaire et financier, qui prévoit que « les sociétés de gestion mettent à la disposition des souscripteurs de chacun des organismes de
placement collectif en valeurs mobilières [OPCVM] qu’elles gèrent
une information sur les modalités de prise en compte dans leur
politique d’investissement des critères relatifs au respect d’objectifs
sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance ».
Aussi, le présent décret vient-il préciser la manière dont les sociétés de gestion de portefeuille doivent présenter l’information
relative à la prise en compte de ces critères extra-financiers
dans leur choix d’investissement, ainsi que les supports sur
lesquels cette information doit figurer.
D’après le nouvel article D. 533-16-1 du Code monétaire et
financier, la société de gestion doit présenter sa démarche
générale en matière d’ISR, eu égard au contenu, à la fréquence
et aux moyens utilisés aux fins de l’information des investisseurs sur la prise en compte du développement durable dans
ses choix d’investissement.
Elle doit également fournir la liste des OPCVM qu’elle gère
qui prennent simultanément en compte ces critères, ainsi
que leur quote-part par rapport à l’ensemble du portefeuille
d’OPCVM (C. mon. fin., art. D. 533-16-1, I, 1°).
En outre, le décret précise le contenu de l’information, propre
aux OPCVM, devant être diffusée, comme leur adhésion éventuelle à une charte, un code, ou l’obtention d’un label sur la
prise en compte de critères de développement durable. Si ces
critères ne sont pas pris en compte simultanément dans un
OPCVM géré, la société de gestion a l’obligation de l’indiquer
expressément (C. mon. fin., art. D. 533-16-1, I, 2° et 3°).
Ces précisions seront apportées par la société de gestion
dans les rapports annuels de chacun de ses OPCVM pour les
exercices ouverts à compter du 1er janvier 2012 et sur son site
internet, avant le 1er juillet 2012, par OPCVM ou catégorie
d’OPCVM (C. mon. fin., art. D. 533-16-1, II).
16
ACTEURS DE LA VIE SOCIÉTAIRE
RLDA
pouvoirs dans l'entreprise : nécessité et dangers » qui s'est tenu le 16 mars
2012 à la faculté de droit de Dijon.
La solution posée par la Cour de cassation est du plus grand
intérêt pour les comités d’entreprise eu égard au droit d’information dont ils disposent sur les questions relatives à la
gestion de l’entreprise.
Comme le prévoit l’article L. 2325-35 du Code du travail, « le
comité d’entreprise peut se faire assister d’un expert-comptable
de son choix » en vue de l’examen annuel des comptes. Sa
mission « porte sur tous les éléments d’ordre économique, financier ou social nécessaires à la compréhension des comptes et à
l’appréciation de la situation de l’entreprise » (C. trav., art. L. 2325-36).
Elle n’est donc pas exclusivement comptable, ce qui garantit à
l’expert désigné une large sphère de pouvoir d’investigation,
au sein de laquelle il peut obtenir la communication de tous
documents qu’il juge utiles (cf. Cass. soc., 18 nov. 2009, n° 08-16.260, Bull.
civ. V, n° 259 ; Cass. soc., 21 févr. 1996, n° 93-16.474, Bull. civ. V, n° 62 ; Cass. soc., 8 nov.
1994, n° 92-11.443, Bull. civ. V, n° 298). À cet égard, l’arrêt commenté
• OBSERVATIONS • Pour un autre commentaire, voir dans cette Revue,
RLDA 2012/69, n° 3918.
apporte deux séries de précisions.
D’abord, s’agissant du périmètre d’action ouvert à l’expertcomptable, la chambre sociale considère que « l’étude de
la structure des rémunérations destinée à fournir au comité
des explications cohérentes sur la situation de l’entreprise »,
entre pleinement dans l’exercice de sa mission. Elle rejette
l’argument avancé par l’employeur qui soutenait qu’une telle
analyse n’était pas nécessaire à l’intelligence des comptes ni
à l’appréciation de la situation de l’entreprise et juge que la
cour d’appel a décidé à bon droit que « l’étude des charges du
personnel et du système de rémunération permettait au comité
d’appréhender les éléments d’ordre social nécessaires à l’examen
de la masse salariale et à son évolution » (souligné par nos soins). Du
reste, il importe peu que le comité ait cherché par ce moyen à
remettre en cause la politique salariale de l’entreprise.
Cette précision sur les pouvoirs de l’expert-comptable s’accompagne néanmoins d’une restriction. En effet, si l’expert désigné
peut se voir confier l’analyse de la structure des rémunérations
du personnel, il ne lui est pas admis le droit d’établir un rapport
sur la situation comparée des hommes et des femmes dans
l’entreprise. La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel
pour avoir décidé qu’une telle analyse « n’entrait pas dans
les prévisions des articles L. 2325-35 et L. 2325-36 » du Code
du travail (sur le rapport de situation comparée présenté au comité d’entreprise par
➤ Lamy sociétés commerciales 2011, nos 118 et 5440
l’employeur, cf. les articles L. 2323-47 et L. 2323-57 du Code du travail ; cf. également Lamy
sociétés commerciales 2011, n° 1434).
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
RLDA
➤ Lamy sociétés commerciales 2011, n° 1445
3904
Dissimulation d’une
interdiction de gérer
Justifie légalement sa décision la cour d’appel
qui relève par une appréciation souveraine que
la dissimulation par un dirigeant de fait
de son interdiction de gérer constitue vis-à-vis
de son cocontractant une réticence dolosive.
Cass. com., 7 févr. 2012, n° 11-10.487, P+B
Comme le précise cet arrêt de la chambre commerciale, le
salarié d’une entreprise se comportant, dans les faits, en tant
que dirigeant est tenu de révéler aux partenaires de la société
avec qui il traite une interdiction de gérer. Le dissimuler, tout
en exerçant des fonctions de responsabilité et en ayant un
rôle essentiel vis-à-vis des tiers, est se rendre coupable de
réticence dolosive.
En l’espèce, un consultant financier avait conclu avec une
société d’ingénierie un accord de service relatif à une augmentation de capital, aux termes duquel il s’engageait à assister
ladite société dans la recherche de partenaires financiers, en
contrepartie du versement d’une commission calculée sur
toute somme investie par les candidats présentés par son
entremise. Le consultant reprochait à la société de l’avoir
trompé sur la situation de l’un de ses salariés, ce qui a conduit
au retrait de l’un des investisseurs, et l’a ainsi amené à rechercher la responsabilité de cette société sur le fondement
de l’article 1116 du Code civil.
Le contentieux engagé pour réticence dolosive s’est soldé devant la cour d’appel par la reconnaissance de la responsabilité
de la société et sa condamnation au paiement d’une certaine
somme au consultant, au titre du préjudice résultant de la
perte de chance et de son préjudice d’image. Les juges du
fond ont considéré que la dissimulation par le salarié de sa
condamnation à une interdiction de gérer, alors qu’il définissait la politique de la société, était « l’interlocuteur privilégié »
du consultant « dans l’exécution du contrat » et intervenait
« auprès des clients présentés par ce dernier », était « déloyale ».
De fait, la découverte de cette condamnation, rendant illusoire l’acceptation d’une participation dans la société de
la part de partenaires financiers, constituait « une perte de
chance pour [le consultant] de réaliser l’objectif prévu et de
percevoir une commission ». Au surplus, vis-à-vis de ses
clients, la découverte des antécédents de ce salarié, « en
totale contradiction avec la présentation qui leur en avait été
faite » par le consultant, ne pouvait « qu’altérer leur confiance
et crée pour celui-ci un déficit d’image », justifiant l’octroi de
dommages et intérêts.
Saisi d’un pourvoi, la Cour de cassation a confirmé cette analyse, considérant que la cour d’appel avait par une appréciation souveraine « fait ressortir que [le salarié en cause] n’était
pas seulement un technicien mais l’un des deux dirigeants
de la société ce dont résultait le caractère déterminant de la
dissimulation reprochée à la société » (nous soulignons). Au reste,
c’est à bon droit qu’elle a relevé que la dissimulation par ce
dernier « de ses antécédents extrêmement graves cependant
qu’il exerçait des fonctions de responsabilité au sein de la
société (…) et qu’il avait un rôle essentiel vis-à-vis des tiers,
était déloyale et constituait une réticence dolosive, ce dont il
résultait que cette dissimulation était intentionnelle » (souligné
par nos soins).
➤ Lamy sociétés commerciales 2011, nos 2624 et s.
VALEURS MOBILIÈRES
RLDA
Par ailleurs, la chambre sociale se prononce sur les modalités
de communication des documents à l’expert-comptable. À
la question soulevée en l’espèce de savoir si la déclaration
annuelle des données sociales pouvait lui être communiquée
par voie électronique, il convient de répondre par l’affirmative.
Pourtant, le doute était légitime si l’on se réfère à l’article
L. 2325-37 du Code du travail qui dispose que « l’expertcomptable a accès aux mêmes documents que le commissaire
aux comptes ». Or, sur ce point, le Code de commerce précise
que les commissaires aux comptes « peuvent se faire communiquer sur place toutes les pièces qu’ils estiment utiles à
l’exercice de leur mission » (C. com., art. L. 823-13 ; souligné par nos soins).
On pouvait alors concevoir par analogie que cette disposition
s’applique à l’expert-comptable et que ce dernier ne pourrait
exiger de l’employeur qu’il les lui envoie.
Pour la Cour de cassation, l’hésitation n’est pas permise. Elle
approuve les juges du fond d’avoir relevé que « les dispositions
de l’article L. 2325-37 du Code du travail ne font pas obstacle
à la communication à l’expert-comptable de la déclaration
annuelle des données sociales sous forme électronique ».
ACTUALITÉS
DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
3905
Précisions sur
les modalités déclaratives
pour l’application du régime
fiscal propre aux dispositifs
d’actionnariat salarié
Deux décrets aménagent les obligations déclaratives
en matière d’options sur titres, d’attributions d’actions
gratuites et de bons de souscription de parts
de créateur d’entreprise.
D. n° 2012-130, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
D. n° 2012-131, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
Le décret n° 2012-130, relatif aux obligations déclaratives
en matière d’options de souscription ou d’achat d’actions
(options sur titres ou « stock options »), s’applique aux déclarations souscrites à compter du 1er janvier 2013 concernant les levées d’options sur titres réalisées à partir du
1er janvier 2012. Il apporte des modifications ponctuelles à
l’article 91 bis de l’annexe II au Code général des impôts sur
les obligations déclaratives à la charge des entreprises et des
bénéficiaires d’options, s’agissant notamment du contenu de
l’état joint aux déclarations de revenus souscrites au titre de
l’année de levée des options (CGI, ann. II, art. 91 bis, mod.). En outre,
il précise que l’information de l’Administration fiscale par
l’entreprise sera désormais assurée, sauf exceptions, par l’intermédiaire de la déclaration annuelle des salaires (DADS),
ce qui « permettra une dématérialisation des échanges et
facilitera le suivi du dispositif », selon les termes de la notice d’introduction du décret. Enfin, s’agissant des options
levées avant le 1er janvier 2012, les obligations déclaratives
existantes ne sont pas modifiées.
>
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
17
Le second décret susvisé détermine quant à lui les nouvelles informations relatives aux options sur titres qui seront déclarées
sur la DADS (cf. CGI, ann. III, art. 39, 2°, I), j) et k), insérés par D. n° 2012-131,
30 janv. 2012, art. 2).
En outre, aux fins d’harmonisation, il fixe des obligations
déclaratives similaires pour les actions gratuites (cf. CGI, ann. III,
art. 38-0 septdecies, créé par D. n° 2012-131, 30 janv. 2012, art. 1er) et les bons de
souscription de parts de créateur d’entreprise (cf. CGI, art. 41
V bis, modifié par D. n° 2012-131, 30 janv. 2012, art. 3).
À l’instar du premier décret, ce texte est entré en vigueur le
1er février 2012. Il s’applique aux déclarations souscrites à
compter du 1er janvier 2013 relatives aux options sur titres
En bref…
Précisions sur les dommages et intérêts
alloués en réparation du préjudice
résultant de la faute d’un époux
dans la gestion des biens communs
La première chambre civile précise que les agissements fautifs d’un époux, exploitant seul un fonds de
commerce, ayant causé un dommage au patrimoine
commun impliquent une responsabilité à l’égard de
la communauté et non à l’égard du conjoint, en vertu
de l’article 1421 du Code civil, selon lequel « [c]hacun
des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens
communs et d’en disposer, sauf à répondre des fautes
qu’il aurait commises dans sa gestion (…) ».
En l’espèce, une ex-épouse avait assigné son ex-mari en
paiement, soutenant qu’il avait commis une faute dans
la gestion des biens communs en ayant trop tardé à
déclarer l’état de cessation des paiements, laissant ainsi
s’accroitre la dette solidairement souscrite pour financer
l’acquisition d’un fonds de commerce.
La Cour de cassation ne fait pas droit à sa demande,
décidant que « la responsabilité d’un époux en raison
de ses fautes de gestion ayant causé un dommage au
18
levées, aux actions gratuites définitivement acquises et aux
bons de souscription de parts de créateur d’entreprise exercés
à compter du 1er janvier 2012.
Toutefois, pour les actions gratuites acquises au cours de
l’année 2011, une procédure de régularisation est prévue.
En effet, les bénéficiaires doivent joindre à leur déclaration
de revenus souscrite au titre de l’année 2011 l’état individuel
qui leur a été transmis, avant le 30 avril 2012. La société
émettrice adresse, avant cette même échéance, une copie
de cet état individuel au service des impôts dont elle relève
(D. n° 2012-131, 30 janv. 2012, art. 4).
➤ Lamy sociétés commerciales 2011, nos 349, 4872 et 4891
patrimoine commun est engagée, sur le fondement de
l’article 1421 du Code civil, envers la communauté et
non envers son conjoint, de sorte que les dommagesintérêts alloués en réparation du préjudice constituent
une créance commune et non une créance personnelle
de ce conjoint ». Partant, « à les supposer fondées, les
fautes de gestion alléguées par l’épouse ne pouvaient
donner lieu à paiement de dommages-intérêts à son
profit » (souligné par nos soins).
Cass. 1re civ., 1er févr. 2012, n° 11-17.050, P+B+I
Livre vert de la Commission
sur les restructurations des entreprises
et l’anticipation du changement
en cette période de crise
Dans le but d’identifier les pratiques et les politiques
efficaces en matière de restructuration et d’adaptation
au changement, la Commission a lancé le 17 janvier
2012 une consultation publique sur ce sujet.
La réflexion qu’elle entend susciter sur les restructurations, qui sont pour elle « un facteur essentiel pour
l’emploi et la compétitivité de l’économie européenne »,
sera utile, à ses yeux, « pour renforcer la capacité des
entreprises et la main d’œuvre à s’adapter à un environnement économique qui évolue rapidement ». De
fait, elle souhaite « renouveler les termes du débat à
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
la lumière des leçons de la crise économique, des profonds changements intervenus dans l’environnement
économique et compétitif mondial, et des réformes
structurelles actuellement en cours dans l’UE » (cf. notamment, la Communication « Examen annuel de la croissance
2012 », n° 815 final, 23 nov. 2011).
La Commission invite les parties concernées (représentants des travailleurs, entreprises, autorités publiques
et institutions de l’UE) à participer à ce processus de
consultation et de débat, dont les résultats seront utilisés
dans le futur « paquet emploi » et dans un nouveau
débat au niveau européen sur un éventuel cadre pour
les restructurations.
Le Livre vert s’articule autour de plusieurs thèmes portant sur les enseignements de la crise, l’ajustement
économique et industriel, l’adaptabilité des entreprises
et l’employabilité des travailleurs, la création de synergies
dans le processus de mutation industrielle et le rôle des
autorités régionales et locales. Il est accompagné et étayé
par le document de travail des services de la Commission, « Les restructurations en Europe 2011 » (n° 59 final,
17 janv. 2011), qui décrit l’impact de la crise économique
et financière sur les marchés du travail et les réponses
apportées par les diverses parties prenantes.
Livre vert, n° 7 final, 17 janv. 2011
Communiqué Agenda/12/2, 17 janv. 2011
Sous la direction scientifique d’Aristide LÉVI, Ancien directeur du Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre
de commerce et d’industrie de Paris, Pierre GARBIT, Magistrat honoraire, ancien président du Tribunal de grande
instance de Lyon, Jacques AZÉMA, Agrégé des Facultés de droit, Directeur honoraire du Centre Paul Roubier
et Jean-Luc VALLENS, Docteur en droit, Magistrat, Professeur associé à l’Université de Strasbourg.
Par Hubert
b
VERCKEN
RLDA
Avocat à la Cour
3906
L’article L. 145-41 du Code de commerce peut
recevoir application à l’occasion d’une demande
en résiliation du bail fondée sur les dispositions
de l’article L. 622-14 du même Code
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT COMMERCIAL
L’arrêt commenté s’inscrit dans une évolution jurisprudentielle de la Cour de cassation tendant
à faire bénéficier le preneur en procédures collectives de la législation protectrice des baux
commerciaux.
Cass. com., 6 déc. 2011, n° 10-25.689, P+B
L
es faits étaient les suivants : une société commerciale en liquidation judiciaire ne payant
plus ses loyers depuis plus de trois mois
après l’ouverture de la procédure collective, le
bailleur fait délivrer au liquidateur judiciaire un
commandement visant la clause résolutoire, puis l’assigne
en référé pour faire constater la résiliation du bail, en application de l’article L. 622-14, 2°, du Code de commerce.
La cour d’appel ordonne la suspension des effets de la clause
résolutoire, par application de l’article L. 145-41 du Code de
commerce, pendant une durée de quatre mois à compter de
la notification de l’arrêt, pour permettre au liquidateur de
céder les éléments du fonds de commerce et notamment le
bail. Le bailleur forme un pourvoi en considérant que l’article L. 145-41 du Code de commerce ne peut s’appliquer,
les dispositions de l’article L. 622-14, alinéa 2, du Code de
commerce dérogeant selon lui à l’article L. 145-41 du même
Code, obligeant la juridiction saisie à constater la résiliation
du bail, lorsque le délai de trois mois est écoulé.
La Cour de cassation décide que les textes spécifiques applicables au bail commercial d’un preneur en procédure
collective n’excluent pas le jeu de l’article L. 145-41 du Code
de commerce : « Attendu (…) que l’article L. 622-14 du Code
de commerce n’interdit pas au liquidateur de se prévaloir des
dispositions de l’article L. 145- 41 du même Code et de solliciter
des délais de paiement ainsi que la suspension des effets de
la clause résolutoire tant que la résiliation du bail n’est pas
constatée par une décision passée en force de chose jugée ».
I. – LA CONSTATATION DE LA RÉSILIATION
DU BAIL EN PROCÉDURE COLLECTIVE
À L’INITIATIVE DU BAILLEUR
Les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du Code de
commerce, complétées par les articles R. 622-13 et R. 641-21,
prévoient que le juge-commissaire constate, à la demande
de tout intéressé, la résiliation de plein droit des immeubles
affectés à l’activité de l’entreprise pour défaut de paiement des
loyers et charges postérieurs au jugement d’ouverture, étant
précisé que le bailleur ne peut mettre en œuvre cette procédure
qu’au terme d’un délai de trois mois à compter du jugement
d’ouverture. Cette demande est formée par simple requête
du bailleur déposée au greffe du tribunal, lequel convoque
le débiteur, le bailleur, ainsi que l’administrateur judiciaire,
le mandataire ou le liquidateur pour une date d’audience.
Le texte de l’article précise bien que le juge commissaire
« constate », à la demande de tout intéressé, la résiliation du
bail, ce qui signifie qu’il ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation même s’il a l’obligation d’organiser une audience
contradictoire en présence des intéressés.
Cependant, la chambre commerciale de la Cour de cassation,
par un arrêt du 14 janvier 2004 (Cass. com., 14 janv. 2004, n° 02-15.939,
Rev. loyers 2004/846, p. 216, note Gallet Ch.-H.) avait estimé que cette compétence du juge-commissaire n’excluait pas la compétence du
juge des référés du tribunal de grande instance du lieu où se
situe l’immeuble, pour faire constater la résiliation du bail.
II. – LES QUESTIONS POSÉES ET LA SOLUTION
ADOPTÉE PAR LA COUR DE CASSATION
S’est posée alors la question de savoir si, devant le jugecommissaire ou devant le président du tribunal de grande
instance statuant en référé, le bailleur devait se contenter de
faire constater la résiliation du bail pour non paiement des
loyers depuis trois mois ou, si le liquidateur pouvait se prévaloir des dispositions protectrices de l’article L. 145-41 du Code
de commerce applicables aux baux commerciaux. En effet,
les articles R. 622-13 et R. 641-12 ne font pas référence à cet
article puisqu’il s’agit d’une résiliation de plein droit.
Par un arrêt du 28 juin 2011, la chambre commerciale de la
Cour de cassation (Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-19.331, Gaz. Pal. 7 et 8 oct.
2011, éd. spéc. Droit des entreprises en difficulté, p. 26, obs. Kenderian F.) a déjà
amorcé sa jurisprudence protectrice des intérêts du preneur
en procédure collective, en décidant que les dispositions de
l’article L. 622-14 du Code de commerce ne dérogent pas aux
dispositions de l’article L.145-41 du même Code prévoyant, en
cas de clause résolutoire, la délivrance préalable et obligatoire
d’un commandement de payer. Autrement dit, en application
de cette jurisprudence, le bailleur, avant de faire constater la
résiliation du bail pour non paiement des loyers et charges >
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
19
L’ A R T I C L E L . 14 5 - 41 D U C O D E D E C O M M E R C E P E U T R E C E V O I R A P P L I C AT I O N À L’ O C C A S I O N D ’ U N E D E M A N D E
E N R É S I L I AT I O N D U B A I L F O N D É E S U R L E S D I S P O S I T I O N S D E L’ A R T I C L E L . 6 2 2 - 14 D U M Ê M E C O D E
depuis trois mois à compter de l’ouverture de la procédure,
doit, avant de saisir par voie de requête le juge-commissaire
ou par voie d’assignation le président du tribunal de grande
instance en référé, délivrer un commandement de payer puis
attendre le délai d’un mois prévu par l’article L. 145-41 du
Code de commerce.
L’arrêt rendu le 6 décembre 2011 va encore plus loin dans
la protection des intérêts du preneur puisque, malgré les
dispositions de l’article 512 du Code de procédure civile qui
prévoient que des délais de grâce ne peuvent être accordés
à un débiteur en procédure collective, la Cour de cassation
considère que le liquidateur judiciaire peut invoquer les dispositions de l’article L. 145-41 du Code de commerce et solliciter
des délais de paiement en même temps que la suspension des
effets de la clause résolutoire.
poursuite et de résiliation du bail affecté à l’activité du preneur
en procédure collective.
Restait à définir, ce que ne fait pas l’ordonnance du 18 décembre 2008, les conditions procédurales de la mise en œuvre
de cette procédure.
Cet arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation,
comme le précédent, en date du 28 juin 2011, amènera les
praticiens à considérer qu’ils doivent, dans cette matière,
respecter dans son intégralité la procédure de constatation
de l’acquisition de la clause résolutoire d’un bail (délivrance
d’un commandement, notification aux créanciers inscrits)
avant de mettre en œuvre cette procédure, et qu’ils s’exposent
cependant à une demande de délai formulée par les organes
de la procédure pour pouvoir céder les éléments du fonds de
commerce, dont le droit au bail.
Cette solution qui ajoute encore à la
Ainsi, au vu de cette jurisprudence, les
Sauvegarder encore
protection du preneur en difficulté, peut
droits du preneur se trouvent encore
davantage le potentiel
laisser supposer que la Cour de cassation
renforcés au détriment des droits du
qui, par cet arrêt, a rendu compatibles et
bailleur parfois qualifié de « paria des
économique de l’entreprise
complémentaires les dispositions de la
faillites ».
en difficulté, et plus
loi sur la procédure de sauvegarde et les
Sauvegarder encore davantage le poparticulièrement le bail
dispositions législatives concernant les
tentiel économique de l’entreprise en
commercial, essentiel
baux commerciaux, obligera le bailleur
difficulté, et plus particulièrement le
à sa survie et à la
à dénoncer sa procédure aux créanciers
bail commercial, essentiel à sa survie
inscrits qui bénéficient d’un délai d’un
et à la préservation de ses actifs, s’expréservation de ses actifs,
mois pour se substituer au preneur déprime à travers cette jurisprudence de
s’exprime à travers cette
faillant. Il convient, à cet égard, d’attirer
la chambre commerciale de la Cour de
jurisprudence.
l’attention des praticiens sur le fait que
cassation qui accorde au preneur en
ce n’est pas le commandement visant la
procédure collective, non seulement
clause résolutoire qui doit être dénoncé aux créanciers inscrits
le bénéfice de la protection issue de la loi du 26 juillet 2005
mais l’assignation en référé.
(L. n° 2005-845, 26 juill. 2005) et de l’ordonnance du 18 décembre
2008, mais aussi celle issue de l’article L. 145-41 du Code de
Cet arrêt est également particulièrement significatif de la procommerce qui s’applique désormais que le preneur soit ou
tection du preneur en procédure collective ; la Cour Suprême
non « in bonis ».
était saisie d’un moyen subsidiaire lié à la motivation retenue
par la Cour d’appel d’Orléans pour suspendre les effets de la
Au minimum, cette jurisprudence impliquant la délivrance d’un
clause résolutoire.
commandement préalable visant la clause résolutoire (arrêt du
Le bailleur, pour échapper à l’application de l’article L.145-41
28 juin 2011) et donnant aux organes de la procédure collective
du Code de commerce, prétendait, non sans raison, que ce
le droit d’obtenir des délais et la suspension des effets de la
texte est prévu pour permettre le paiement des loyers arriérés
clause résolutoire, (arrêt du 6 décembre 2011) retarde encore
et non pour céder le fonds de commerce.
toute possibilité pour le bailleur de récupérer son bien.
La Cour de cassation rejette ce moyen subsidiaire en faisant
observer que si l’obtention de délai de grâce permet au liquiEn agissant avec célérité, il faut en effet respecter le délai
dateur de céder le fonds, cette cession devrait avoir pour effet
de trois mois de l’article L. 622-14, puis le délai d’un mois
de désintéresser le bailleur.
prévu par l’article L. 145-1 du Code de commerce, au titre du
commandement, enfin dénoncer son assignation aux créanIl s’agit là d’une vision très optimiste de la Cour de cassation
ciers inscrits qui, eux aussi, bénéficient d’un délai d’un mois
car le privilège du bailleur passe après d’autres privilèges…
pour s’acquitter de la dette locative. Ainsi le bailleur devra,
C’est une nouvelle illustration du sort peu enviable du bailleur
au minimum, patienter six mois avant d’espérer récupérer
en cas de procédure collective.
son bien, sauf si les organes de la procédure, constatant que
la cession est impossible et qu’une aggravation de la dette
locative pourrait mettre en cause leur propre responsabilité
III. – CONCLUSION
ne décident de faire application de l’article L. 622-14 du Code
de commerce en notifiant au bailleur qu’ils n’entendent pas
L’ordonnance du 18 décembre 2008 (Ord. n° 2008-1345, 18 déc. 2008)
continuer le bail. ◆
avait apporté des clarifications au sujet des conditions de
20
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
Par Eugénie
i
AMRI
Magistère juriste
d’affaires / DJCE
– Université
Panthéon-Assas
Master 2 Entreprises en
difficulté – Université
Panthéon-Sorbonne
Et SSamii
JEBBOUR
L’incompatibilité du mécanisme
d’extension de procédure collective
pour cause de confusion des patrimoines
avec le règlement n° 1346/2000
La Cour de justice de l’Union européenne acte dans un arrêt Rastelli, rendu en réponse aux
questions préjudicielles posées par la Cour de cassation, l’incompatibilité du mécanisme français
d’extension de procédure collective pour cause de confusion des patrimoines avec le règlement
n° 1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, silencieux sur ce point.
L’extension de procédure collective doit aux termes de cette décision être assimilée à l’ouverture
d’une procédure principale d’insolvabilité, et ne peut en conséquence être prononcée que
par une juridiction de l’État du lieu du centre des intérêts principaux de la société cible, par
présomption fixé en son siège statutaire.
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT COMMERCIAL
CJUE, 15 déc. 2011, aff. C-191/10, Rastelli Davide c/ Hidoux
RLDA
Magistère juriste
d’affaires / DJCE
– Université
Panthéon-Assas
LLM – University
of Cambridge
3907
L
e juge communautaire répond, dans cette décision promise à une large diffusion, aux interrogations de la Cour de cassation relatives à la
compatibilité avec le règlement n° 1346/2000
(Règl. Cons. CE n° 1346/2000, 29 mai 2000) de l’extension
par le juge français d’une procédure collective ouverte en
France à une société dont le siège statutaire est situé dans un
autre État membre (Cass. com., 13 avr. 2010, n° 09-12.642, Bull. civ. IV, n° 81,
Rev. proc. coll. 2010, repère 4, obs. Menjucq M., Act. proc. coll. 2010, n° 139, D. 2010,
p. 1115, obs. Orsini I., D. 2010, p. 1450, note Henry L.-C., Rev. sociétés 2010, p. 404, obs.
Roussel Galle P., Rev. sociétés 2010, p. 592, note Mastrullo T., JCP E 2010, p. 1742, obs.
Pétel P., JCP E 2010, p. 1833, obs. Menjucq M., Dict. perm. diff. entr., Bull. 315, p. 1, obs.
Rémery J.-P., LEDEN juin 2010, p. 7, obs. Mélin F., Bull. Joly Sociétés 2010, p. 571, note
Vallens J.-L., RJDA 2010, n° 9920). La question préjudicielle posée par
la Haute Juridiction était double : (i) lorsque le juge d’un État
membre a ouvert une procédure principale d’insolvabilité, le
règlement s’oppose-il à l’application d’une règle de son droit
national lui donnant compétence pour étendre cette procédure
à une société dont le siège statutaire est fixé dans un autre État
membre, et ce sur le seul fondement de la constatation de la
confusion des patrimoines du débiteur et de cette société ; (ii)
la Cour de cassation, anticipant une assimilation possible par
le juge communautaire de l’action aux fins d’extension à l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, lui demandait ensuite
si la démonstration que le centre des intérêts principaux de la
société visée par l’action en extension est fixé dans l’État de la
juridiction ayant ouvert la procédure initiale peut découler du
seul constat de la confusion des patrimoines.
Simples, d’« apparence banale » (Henry L.-C., préc.), les faits
ayant donné lieu à cette question préjudicielle n’en ont
pas moins abouti à une décision à la portée majeure du
juge communautaire : le Tribunal de commerce de Marseille avait ouvert une procédure de liquidation judiciaire
à l’encontre de la société Médiasucre. Le liquidateur avait
alors assigné la société de droit italien Rastelli aux fins de
lui voir étendre cette procédure pour cause de confusion
des patrimoines. Le Tribunal s’était déclaré incompétent,
sur le fondement de l’article 3 du règlement n° 1346/2000,
et au motif que le siège statutaire de la société Rastelli était
fixé en Italie et qu’elle ne disposait d’aucun établissement
en France. La juridiction d’appel avait infirmé cette décision, estimant que la demande litigieuse ne tendait pas à
l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la
société Rastelli, mais à l’extension à celle-ci de la liquidation
judiciaire de la société Médiasucre, extension qui relevait
de l’article L. 621-2 du Code de commerce reconnaissant
la compétence de la juridiction ayant ouvert la procédure
initiale (CA Aix-en-Provence, 8e ch., sect. C, 12 févr. 2009, n° RG : 08/09883, Rev.
crit. DIP 2009, p. 766, note Bureau D.). La société Rastelli s’était alors
pourvue en cassation, arguant que l’extension de la procédure collective emportait à son égard les mêmes effets
que l’ouverture d’une telle procédure, et ne pouvait en
conséquence être prononcée, par application de l’article 3
du règlement, que par une juridiction de l’État où était fixé
le centre de ses intérêts principaux, à savoir l’Italie.
Les doutes existant sur la compatibilité avec le règlement
n° 1346/2000 du mécanisme d’extension de procédure
collective pour cause de confusion des patrimoines avaient
alors amené la Haute Juridiction à solliciter l’avis du juge
communautaire. La réponse apportée par ce dernier aboutit >
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21
L’ I N C O M PAT I B I L I T É D U M É C A N I S M E D ’ E X T E N S I O N D E P R O C É D U R E C O L L E C T I V E P O U R C A U S E D E C O N F U S I O N
D E S PAT R I M O I N E S A V E C L E R È G L E M E N T N ° 13 4 6 / 2 0 0 0
au constat de l’incompatibilité du mécanisme d’extension
avec le règlement. Cette dernière résulte de la combinaison
des deux solutions retenues par la décision commentée :
l’assimilation de l’action en extension de procédure collective
à l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité (I), associée
au maintien de la présomption de localisation du centre des
intérêts principaux de la société cible au lieu de son siège
statutaire (II).
préc. et Henry L.-C., préc.) avait rappelé que la loi française – qui
régit la procédure collective initiale par application de
cette disposition – prévoit que la compétence d’étendre
une procédure collective appartient à la juridiction ayant
procédé à son ouverture (C. com., art. L. 621-2, al. 2, applicable par renvoi
I. – ASSIMILATION DE L’ACTION AUX FINS
D’EXTENSION À L’OUVERTURE D’UNE PROCÉDURE
D’INSOLVABILITÉ
Cette compétence pouvait également s’inscrire dans le cadre
de la jurisprudence Seagon de la Cour de justice des Communautés européennes dans laquelle cette dernière affirme que
l’article 3 du règlement « attribue également une compétence
internationale à l’État membre sur le territoire duquel a été
ouverte la procédure d’insolvabilité pour connaître des actions
qui dérivent directement de cette procédure et qui s’y insèrent
étroitement » (CJUE, 12 févr. 2009, aff. C-339/07, Seagon, pt. 21). L’action en
extension de procédure collective pour cause de confusion
des patrimoines pouvait en effet s’analyser comme dérivant
directement de la procédure initiale et ressortir en conséquence
de la compétence du juge français.
Devant le silence du règlement sur la question de l’action en
extension de procédure collective, le juge communautaire a
dû se prononcer en faveur de l’une des deux thèses relatives
à sa nature (A), et a décidé de l’assimiler à l’ouverture d’une
nouvelle procédure d’insolvabilité (B).
A. – Alternative offerte au juge communautaire
1. – Silence du règlement n° 1346/2000
L’action en extension de procédure collective pour cause
de confusion des patrimoines, création prétorienne, a fait
l’objet d’une jurisprudence abondante depuis sa création
au début du XXe siècle. Le juge français a ainsi eu l’occasion d’identifier deux causes possibles de confusion des
patrimoines : l’imbrication des patrimoines manifestée par
une confusion des comptes (Tricot D., La confusion des patrimoines et
les procédures collectives, Rapp. C. cass. 1997, p. 167) et les relations financières anormales – c’est-à-dire sans contrepartie (Cass. com.,
5 févr. 2002, n° 98-20.369) –.
Ce mécanisme n’a pourtant été consacré que tardivement
par le législateur français (sur sa consécration en deux temps : Jacquemont A.,
Mais l’argument le plus original avancé au soutien de cette
thèse était sans doute celui suivant lequel l’action en extension
de procédure collective n’étant pas fondée sur l’insolvabilité
du débiteur qui en fait l’objet – ce dernier pouvant indifféremment être in bonis ou insolvable (Cass. com., 3 nov. 1980, n° 79-11.968,
Bull. civ. IV, n° 358) – mais sur la confusion de son patrimoine avec
une société elle-même en procédure collective, elle échappait
au champ d’application du règlement n° 1346/2000, limité
aux termes de son article premier aux « procédures collectives
fondées sur l’insolvabilité », et ne pouvait en conséquence lui
être incompatible (Vallens J.-L., préc.).
2. – Action en extension : action dérivée ou ouverture de
procédure d’insolvabilité
La Cour de cassation avait clairement posé les termes du
débat : « l’action aux fins d’extension pourrait, d’un côté,
s’analyser comme une action en ouverture d’une procédure
d’insolvabilité ou de l’autre, appartenir à la catégorie des
actions qui dérivent directement de la procédure initiale et qui
s’y insèrent étroitement » (Cass. com., 13 avr. 2010, préc.).
La position soutenue par la société Rastelli était, à l’inverse,
défavorable à l’efficacité du mécanisme français d’extension
de procédure collective pour cause de confusion des patrimoines dans un cadre communautaire. Elle rappelait d’abord
à raison que l’extension aurait à son égard les mêmes effets
que l’ouverture d’une procédure collective et en concluait
qu’elle ne pouvait être décidée, par application de l’article 3
du règlement, que par une juridiction du lieu du centre de
ses intérêts principaux. Il est vrai que le droit français attache
des effets très proches de ceux d’une ouverture de procédure
collective à l’extension de procédure : soumission du débiteur
à la procédure qui lui est étendue, fixation de sa cessation
des paiements à la même date que celle du débiteur initial,
et mise en commun de l’actif et du passif des deux entités
(Pérochon F. et Bonhomme R., Entreprises en difficulté – Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 8e éd., 2009, p. 130).
Deux thèses s’affrontaient ainsi, chacune d’entre elles s’appuyant tant sur le règlement que sur la jurisprudence rendue
par le juge communautaire sur son fondement (pour une synthèse
des arguments en présence : Orsini I., préc.).
Le premier argument avancé en faveur de la compétence
du juge de l’État d’ouverture d’une procédure initiale à
l’étendre à une société dont le siège statutaire est sis au
sein d’un autre État membre était le suivant : l’article 4
du règlement insolvabilité précise que « sauf disposition
contraire (…), la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’État membre sur le
territoire duquel la procédure est ouverte ». La Cour de
cassation, rejointe en cela par plusieurs auteurs (Mastrullo T.,
La rigueur de ces effets à l’égard de la société cible plaidait
pour l’assimilation de l’extension avec l’ouverture d’une
procédure collective. Cette assimilation admise, l’extension/
ouverture devait se conformer aux règles régissant l’ouverture des procédures d’insolvabilité au sein du règlement
n° 1346/2000, c’est-à-dire la compétence des juridictions
de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre
des intérêts principaux du débiteur à ouvrir une procédure
principale d’insolvabilité, le juge communautaire ayant dans
l’arrêt Eurofood précisé que « dans le système de détermination de la compétence des juridictions des États membres mis
en place par le règlement, il existe une compétence juridictionnelle propre pour chaque débiteur constituant une entité
Sauvegarde, Redressement et Liquidation judiciaires – Exploitation en commun et confusion
des patrimoines, J.-Cl. Procédures collectives, Fasc. 2165, mai 2006, n° 2). Il n’est dès
lors pas étonnant que cette « action d’exception » (Henry L.-C.,
préc.) n’ait pas été envisagée par le législateur communautaire
au sein du règlement insolvabilité. Ce silence, souligné par la
Cour (pt. 14), explique l’importance de sa réponse aux questions
préjudicielles de la Haute Juridiction.
22
des articles L. 631-7 et L. 641-1 du même Code aux procédures de redressement et de
liquidation judiciaires), et ce, que la société cible soit française
ou étrangère (sur ce point : RJDA 2010, préc.).
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
juridiquement distincte » (CJUE, 2 mai 2006, aff. C-341/04, Eurofood, pt. 30).
Le droit français de la confusion des patrimoines n’ayant
pas pour effet de faire disparaître la personnalité morale de
la société cible (Cass. com., 30 juin 2009, n° 08-15.715), l’assimilation
de l’extension à une ouverture de procédure d’insolvabilité
aboutissait inévitablement à l’existence d’une compétence
juridictionnelle différente pour la société objet de la procédure initiale et la société visée par l’extension.
B. – Extension et ouverture de procédures
collectives : effets similaires, régime identique
p. 1510, obs. Legros J.-P.). Si l’extension s’assimile à une ouverture
de procédure collective, cette ouverture entraîne l’application
de l’article 3 tel que précisé par la jurisprudence Eurofood
aux termes de laquelle « il existe une compétence juridictionnelle propre pour chaque débiteur constituant une entité
juridiquement distincte ». Il nous apparaît en conséquence
qu’il devrait exister dans cette hypothèse une compétence
juridictionnelle unique permettant – sous réserve évidemment
que le centre des intérêts principaux de l’entité composée du
maître de l’affaire et de la société fictive se trouve bien en
France (voir infra., une telle démonstration ne semble possible que dans l’hypothèse
où le maître de l’affaire se situe en France) –, aux juridictions françaises
d’étendre une procédure collective à une société située dans
un autre État membre (cf. cependant, dans le sens de l’incompétence du juge
1. – Invalidation du modèle français
La Cour tranche cette question en assimilant l’action aux fins
d’extension à une action en ouverture de procédure d’insolvabilité, et tire les conséquences d’une telle assimilation : il
français à prononcer cette fictivité : CJUE, 15 décembre 2011, aff. C-191/10, Rastelli, Act.
existe une compétence juridictionnelle différente pour chacune
proc. coll. 2012, n° 17, obs. Vallansan J.).
des deux sociétés.
Le juge se fonde d’une part sur les effets
Bien qu’il s’agisse d’une question délide l’extension (pt. 23), et d’autre part sur
cate, susceptible de faire l’objet d’une
C’est parce que l’extension
analyse inverse, le risque d’incompatibila nécessité en cas d’ouverture de proproduit les mêmes effets à
lité du mécanisme français d’extension
cédure collective à l’égard de débiteurs
nous semble donc circonscrit à la seule
juridiquement distincts de déterminer
l’égard du débiteur qu’une
hypothèse d’extension pour cause de
une compétence juridictionnelle pour
ouverture de procédure
confusion des patrimoines, laquelle ne
chacun d’entre eux (pt. 25). Comme nous
collective qu’elle y est
sera possible qu’à la condition que le
avons tenté de le mettre en lumière – et
assimilée, assimilation qui
centre des intérêts principaux du débibien que la formulation de la décision
entraîne l’application de
teur cible de l’extension se situe égalen’en rende pas pleinement compte – le
l’article 3 du règlement
ment en France. C’est sur ce point que
premier de ces deux arguments semble
le juge communautaire est amené à
être la condition du second : c’est parce
tel que précisé par la
se prononcer en réponse à la seconde
que l’extension produit les mêmes effets
jurisprudence Eurofood.
question préjudicielle de la Cour de
à l’égard du débiteur qu’une ouverture
cassation.
de procédure collective qu’elle y est
assimilée, assimilation qui entraîne l’application de l’article 3
du règlement tel que précisé par la jurisprudence Eurofood.
Cette assimilation invalide le modèle français qui retient la
nature originale de l’action en extension (Jacquemont A., préc., n° 45).
Cette invalidation n’aboutit pas en soi à l’incompatibilité du
droit français avec le droit communautaire mais à l’exigence
de la démonstration que le centre des intérêts principaux du
débiteur cible de l’action est situé en France. C’est cependant
la combinaison des deux solutions de la décision commentée, l’assimilation et la détermination de centres des intérêts
principaux distincts, qui conduit à cette incompatibilité. L’importance de la première réponse de la Cour nous amène en
conséquence à nous interroger sur sa transposition à l’action
en extension de procédure collective pour cause de fictivité.
2. – Solution non transposable en cas d’extension sur le
fondement de la fictivité
L’extension de procédure collective pour cause de fictivité
– contrairement à celle fondée sur la confusion des patrimoines – ne laisse subsister qu’une seule personnalité juridique : elle aboutit à ce que « la vérité [soit] rétablie : la
société fictive est inexistante, “transparente” » (Legros J.-P., Nullité
des sociétés – Présentation générale, J.-Cl. Sociétés Traité, Fasc. 32-10, nov. 2004, n° 124 ;
cf. également en ce sens : Le Corre P.-M., Droit et pratique des procédures collectives,
Dalloz, 6e éd., 2011, n° 213.11 : la société fictive « n’a pas de personnalité distincte de celle
de son animateur »). La jurisprudence aux termes de laquelle « une
société fictive est une société nulle et non inexistante » (Cass.
com., 16 juin 1992, n° 90-17.237, Bull. civ. IV, n° 243) nous semble en effet
ne pas devoir trouver application dans le cadre de l’action
en extension de procédure collective pour cause de fictivité
(en ce sens : Cass. com., 19 févr. 2002, n° 98-20.578, Bull. civ. IV, n° 33, JCP E 2002,
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT COMMERCIAL
II. – DÉTERMINATION DU CENTRE DES INTÉRÊTS
PRINCIPAUX DE LA SOCIÉTÉ CIBLE
Le juge communautaire apporte une réponse une nouvelle fois
défavorable au droit français en refusant de considérer que
la confusion des patrimoines entre deux débiteurs témoigne
nécessairement d’un centre des intérêts principaux unique.
Cette décision, conforme au droit communautaire (A) aboutit
à l’incompatibilité – aux conséquences préoccupantes – du
mécanisme d’extension de procédure collective pour cause
de confusion des patrimoines (B).
A. – Un patrimoine unique,
deux centres des intérêts principaux distincts
1. – Alternative offerte au juge communautaire
La difficulté tient ici aux conditions de l’extension de procédure collective pour cause de confusion des patrimoines : le
juge français, une fois la confusion des patrimoines constatée,
décide, sur ce seul critère, de l’extension de la procédure collective, et ce sans se prononcer sur la localisation du centre
des intérêts principaux du débiteur auquel la procédure est
étendue (en ce sens : Mastrullo T., préc.). Une fois la confusion des patrimoines constatée, le juge se trouve même dans l’obligation
de procéder à l’extension de la procédure collective (Cass. com.,
26 mars 1985, n° 82-16.002, Bull. civ. IV, n° 108 ; cf. cependant, sur l’incertitude née de la
rédaction du nouvel article L. 621-2 du Code de commerce : Jacquemont A., préc., n° 55).
Pour racheter un tel silence, et permettre la compatibilité du
mécanisme français avec le droit communautaire, la Cour de
cassation semblait inciter le juge communautaire à considérer
qu’à patrimoine unique, centre des intérêts principaux unique
(le juge français, en ouvrant une procédure principale d’insolvabilité à l’égard d’une société, >
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considère, conformément à l’article 3 du règlement, que le centre de ses intérêts principaux se
situe en France. Si le débiteur auquel la procédure est étendue a un centre des intérêts principaux
identique à la première société, le juge français a compétence pour lui étendre la procédure
collective). L’alternative offerte au juge communautaire, à savoir
difficile pour les tiers, voire même impossible, de mettre à
jour les montages financiers en cause (pour des exemples de schémas
constitutifs de relations financières anormales : Jacquemont A., préc., n° 16).
le refus d’une telle unité des centres des intérêts principaux
d’entités aux patrimoines pourtant confondus, aboutit de facto à
l’incompatibilité du droit français avec le droit communautaire
en ce qu’il tend à conférer au juge français le droit d’étendre une
procédure collective à un débiteur dont le centre des intérêts
principaux se situe potentiellement dans un autre État membre.
Il nous apparaît ensuite que, quand bien même le juge communautaire aurait estimé que la confusion des comptes ou les
relations financières anormales sont des éléments vérifiables
par les tiers, de tels éléments sont impropres à permettre le renversement de la présomption du siège statutaire, et ce dans la
mesure où ils se situent à un niveau « radicalement différent »
de la détermination du lieu d’administration de la société cible
(Vallens J.-L., préc. ; cf. cependant pour une opinion contraire : Mastrullo T., préc. et Menjucq
M., préc.). La notion de confusion des patrimoines, ainsi que ses
deux causes possibles, ont en effet une dimension financière,
et sont indifférentes aux lieux et modes d’administration des
sociétés en cause. La Cour de cassation a ainsi eu l’occasion
de rappeler que l’action en extension pour cause de confusion
des patrimoines est indépendante de l’exercice par l’un des
deux débiteurs « des pouvoirs de décision et de gestion » (Cass.
com., 8 janv. 2008, n° 07-10.468).
La Cour de justice de l’Union européenne consacre en conséquence une opposition entre patrimoine – unique – et administration – potentiellement distincte – et retient qu’« une
confusion des patrimoines n’implique pas nécessairement un
centre des intérêts unique. Il ne saurait être exclu qu’une telle
confusion soit organisée à partir de deux centres de direction
et de contrôle situés dans deux États membres différents ».
2. – Rejet d’un centre des intérêts principaux unique
Le choix effectué par le juge communautaire au profit de la
seconde de ces deux options est essentiellement justifié par la
définition de la notion de centre des intérêts principaux (sur cette
notion : Monsèrié-Bon M.-H., Sauvegarde, Redressement et Liquidation judiciaires – Droit
communautaire – Règlement (CE) n° 1346/2000 – Compétence et effets des jugements,
J.-Cl. Commercial, Fasc. 3125, avr. 2010, n° 21). La Cour de justice des Com-
munautés européennes a eu l’occasion de préciser qu’elle est
« propre au règlement » et revêt en conséquence « une signification autonome et doit donc être interprétée de manière uniforme
et indépendante des législations nationales » (CJUE, 2 mai 2006, préc., pt.
31). Cette notion ne fait pas l’objet d’une véritable définition par
le règlement n° 1346/2000 qui se contente d’indiquer dans son
considérant 13 que « le centre des intérêts principaux devrait correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts
et qui est donc vérifiable par les tiers ». S’agissant des sociétés,
l’article 3 de ce même règlement pose une présomption simple
de localisation de leur centre des intérêts principaux au lieu
de leur siège statutaire. La Cour a, dans une décision récente
reprise dans l’arrêt commenté, inféré de cette présomption,
ainsi que de la mention faite par le considérant 13 du lieu de
gestion par le débiteur de ses intérêts, la volonté du législateur
communautaire de « privilégier le lieu de l’administration centrale de la société en tant que critère de compétence » (CJUE, 20 oct.
2011, aff. C-396/09, Interedil, pt. 48).
Partant, la seconde question préjudicielle posée par la Haute
Juridiction pouvait se résumer de la manière suivante : le fait
qu’une société se trouve dans une situation de confusion des
patrimoines avec une autre société est-il un élément vérifiable
par les tiers de nature à démontrer que l’administration centrale
de ces deux sociétés est située en un lieu identique ?
La Cour refuse, nous semble-t-il à raison, d’aller dans le sens
d’une telle affirmation. Elle fonde ce refus sur deux arguments,
qui tiennent chacun à l’une des caractéristiques de la notion
de centre des intérêts principaux.
Le premier argument est relatif à l’exigence, afin de renverser
la présomption dite du siège statutaire, d’éléments vérifiables
par les tiers. Or, la Cour considère que les deux critères alternatifs de la confusion des patrimoines, à savoir la confusion
des comptes et les relations financières anormales, constituent
des « éléments (…) en général difficilement vérifiables par les
tiers ». Le juge communautaire réfute ainsi l’idée avancée
par certains auteurs selon laquelle ces éléments sont normalement vérifiables par les tiers au vu de la comptabilité
des sociétés en cause (en ce sens : Mastrullo T., préc.). Cette solution
ne peut qu’emporter notre adhésion dans la mesure où, en
particulier dans les hypothèses de relations financières anormales – qui constituent l’immense majorité des cas d’action
en extension de procédure collective pour cause de confusion
des patrimoines (Jacquemont A., préc., n° 13) –, il peut s’avérer très
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Une telle solution ne peut qu’être approuvée tant elle apparaît conforme à la notion de centre des intérêts principaux.
Elle aboutit cependant à une situation pour le moins préoccupante.
B. – Incompatibilité du mécanisme d’extension
avec le règlement et perspectives de solutions
1. – Incompatibilité du mécanisme d’extension
Le mécanisme d’extension de procédure collective pour cause
de confusion des patrimoines apparaît en l’état, et à la lumière
de la jurisprudence commentée, non conforme au droit communautaire. Cette incompatibilité pourrait a priori être neutralisée par l’adoption par le juge français d’un nouveau réflexe :
celui d’apporter la démonstration quasi-systématique que la société cible a en France le centre de ses intérêts principaux. Une
telle décision serait par application de l’article 16 du règlement
n° 1346/2000 reconnue dans tous les autres États membres, y
compris l’État au sein duquel le siège statutaire de la société
cible est situé, et ce « sans que [celui-ci ne] puisse contrôler la
compétence de la juridiction de l’État [français] » (CJUE, 2 mai 2006,
préc.). Une telle politique serait cependant très probablement
jugée également incompatible avec le droit communautaire.
La Cour de justice de l’Union européenne ne s’est en effet
pas contentée d’affirmer que la constatation d’une confusion
des comptes ou de relations financières anormales entre une
société dont le centre des intérêts principaux est français et une
société européenne ne suffisait pas à démontrer que le centre
des intérêts principaux de cette dernière se situait également
en France – et d’ainsi inviter le juge français à la démonstration lors de chaque espèce d’une telle localisation – : le juge
communautaire a également indiqué que de tels éléments
sont « en général difficilement vérifiables par les tiers », et que
quand bien même ils le seraient, la confusion des patrimoines
« n’implique pas nécessairement un centre des intérêts unique ».
Les hypothèses de renversement possible de la présomption du
siège statutaire semblent donc apparaître à ses yeux comme
extrêmement minoritaires, aboutissant à rendre en pratique
très compliquée, pour ne pas dire impossible, l’extension de
procédure collective pour cause de confusion des patrimoines
à une société dont le siège statutaire est situé dans un autre
État membre.
d’extension pour cause de confusion des patrimoines avec le
droit communautaire.
Cette incompatibilité permet par ailleurs au débiteur auquel la
procédure collective française aurait dû être étendue d’échapper à un mécanisme qui porte en lui une part de sanction
qu’on ne saurait occulter (Vallens J.-L., préc.).
Or, rappelons-le, « c’est (…) l’impossibilité de démêler les liens
entre des sociétés dont les patrimoines sont confondus qui fonde
2. – Intervention nécessaire du législateur communautaire
l’extension de procédure et impose l’unicité de procédure et,
La décision commentée, pour être conforme au droit compartant, l’unicité de compétence » (Orsini I., préc.). L’impossibilité
munautaire, apparaît donc susceptible d’avoir des conséd’étendre la procédure initiale pour cause de confusion des
quences regrettables. Le mécanisme
patrimoines ne pourra aboutir, selon
d’extension de procédure, tant sur le
que la société cible est ou non in bonis,
fondement de la confusion des patriqu’à deux absurdités différentes : soit à
L’impossibilité d’étendre
moines que sur la fictivité, devrait en
l’existence d’une procédure collective
la procédure initiale pour
conséquence trouver sa place dans l’arn’affectant qu’une partie du patrimoine
cause de confusion des
chitecture du règlement n° 1346/2000.
du débiteur, soit au cumul pour un seul
patrimoines ne pourra
Une telle intervention est au demeurant
patrimoine de deux procédures collecaboutir, selon que la
facilitée par l’existence au sein d’autres
tives différentes ouvertes dans deux
société cible est ou non
États membres de « mécanismes voiÉtats membres différents et régies en
sins » (Vallens J.-L., préc.). Elle nous semble
conséquence par deux droits différents
in bonis, qu’à deux
(conformément à l’article 4 du règlement n° 1346/2000).
devoir
passer par la consécration de la
absurdités différentes.
compétence de la juridiction de l’État
ayant ouvert la procédure initiale à
Une telle situation est évidemment de
procéder à son extension à un autre débiteur, y compris si
nature à porter atteinte aux intérêts de créanciers qui verront
le siège statutaire de ce dernier se situe au sein d’un autre
le patrimoine de leur débiteur – et donc leur gage commun –
État membre.
séparé artificiellement entre deux sociétés dont le patrimoine
La clause de rendez-vous de l’article 46 du règlement, qui
est pourtant par hypothèse unique. Il suffit de songer au cas
devrait amener la Commission à faire une proposition de
où les relations financières anormales entretenues par deux
révision de ce dernier dans le courant de l’année 2013 sera,
sociétés auraient abouti à l’appauvrissement d’une société
espérons-le, l’occasion de pallier cette carence (sur le calendrier
française au profit d’une société dont le siège statutaire est
situé dans un autre État membre pour comprendre l’injustice
de cette révision : Fasquelle D., Raisons et contours d’une refonte nécessaire, Bull. Joly
qu’est susceptible de receler l’incompatibilité du mécanisme
Entreprises en difficulté 2012, p. 51). ◆
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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT COMMERCIAL
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DROIT
COMMERCIAL
Par Marina FILIOL DE RAIMOND
Secrétaire générale de la Rédaction
Lamy droit commercial
Il impose une information des tiers, du lieu de dépôt de la déclaration d’affectation du patrimoine en cas d’immatriculation
à un nouveau registre, notamment à l’occasion d’un transfert
de siège (C. com., art. R. 123-48, mod. par D. n° 2012-122, art. 1er). Cette dernière
mesure est également intégrée à l’article 10 bis, IV, du décret
n° 98-247 du 2 avril 1998 relatif à la qualification artisanale
et au répertoire des métiers.
Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er février 2012.
➤ Lamy droit commercial 2011, no 187
BAUX COMMERCIAUX
3908
Le régime de l’EIRL
poursuit sa construction
RLDA
RLDA
FONDS DE COMMERCE
Preneur en difficulté :
suspension des effets
de la clause résolutoire
et délais de paiement
Un décret du 30 janvier 2012 apporte différentes
précisions sur le régime comptable et fiscal du
patrimoine affecté des EIRL.
D. n° 2012-122, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
Ce texte réglementaire garantit à l’entrepreneur individuel la
neutralité fiscale du passage du régime d’imposition réel et
sur le revenu au régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), en évitant que l’affectation d’éléments
constitutifs du patrimoine ne génère des plus-values soumises
à taxation.
Il précise à cette fin que la valeur indiquée par l’entrepreneur
individuel dans l’état descriptif accompagnant sa déclaration
d’affectation de patrimoine est celle qui doit être retenue
dans les comptes annuels de l’EIRL (C. com., art. R. 526-3, 7°, mod.
par D. n° 2012-122, art. 2).
Cette valeur sera également retenue pour les besoins des
obligations comptables de l’EIRL (C. com., art. L. 526-13 et L. 526-14 ;
C. com., art. R. 526-10-2, créé par D. n° 2012-122, art. 4).
Il définit également la notion de « biens nécessaires à l’activité ». Il s’agit des biens, droits, obligations et sûretés qui,
par nature, ne peuvent être utilisés que dans le cadre de cette
activité (C. com., art. R. 526-3-1, créé par D. n° 2012-122, art. 3).
En bref…
Taux d’intérêt légal pour 2012
Le taux de l’intérêt légal est fixé à 0,71 % pour l’année
2012 (contre 0,38 % en 2011). Ce taux est notamment
utilisé dans le calcul des intérêts moratoires dus par un
débiteur après mise en demeure.
D. n° 2012-182, 7 févr. 2012,
NOR : EFIT1200426D, JO 8 févr.
TVA transfrontalière : guichet unique
Les entreprises qui exercent des activités dans plus d’un État
membre doivent souvent traiter avec plusieurs administrations fiscales dans des langues différentes. La Commission
européenne a adopté, le 13 janvier 2012, une proposition
qui est un premier pas vers un guichet unique pour tous les
26
3909
Tant que la résiliation du bail n’est pas constatée
par une décision passée en force de chose jugée,
le liquidateur peut se prévaloir du cumul des
dispositions des articles L. 622-14 et L. 145-41
du Code de commerce pour solliciter des délais
de paiement ainsi que la suspension
des effets de la clause résolutoire.
Cass. com., 6 déc. 2011, n° 10-25.689, P+B
Lorsque le preneur d’un bail commercial est placé en liquidation judiciaire, le liquidateur judiciaire a trois mois
à compter du jugement d’ouverture pour régler les loyers
impayés sur le fondement de l’article L. 622-14, 2°, du Code
de commerce. Le bailleur peut, après l’expiration du délai,
faire constater la résiliation du bail pour défaut de paiement
des loyers et charges afférents à une occupation postérieure
à ce jugement.
services fournis par voie électronique, dont les entreprises
pourront bénéficier à partir du 1er janvier 2015.
Communiqué Comm. UE, 13 janv. 2012
Statistiques 2011 de l’EIRL
En 2011, on dénombre 6 040 entrepreneurs individuels
à responsabilité limitée (EIRL). Trois EIRL sur quatre, soit
4 520, sont de nouvelles entreprises et une sur quatre
existait déjà avant d’opter pour ce statut. Trois EIRL sur
dix ont par ailleurs choisi également le régime de l’autoentrepreneur, et cinq créateurs d’EIRL sont mineurs.
Plus de la moitié des EIRL appartiennent à cinq secteurs
d’activité : travaux de construction spécialisés pour 23 %
d’entre eux, commerce de détail hors automobile pour
13 %, services personnels, conseil pour les affaires et la
gestion, et restauration pour 5 % chacun.
Rapp. INSEE sur la création d’entreprises individuelles
en 2011, janv. 2012
<insee.fr>
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
Fusion des régimes de retraite obligatoire
des artisans et des commerçants
Actuellement les artisans et les commerçants cotisent
obligatoirement à l’assurance vieillesse complémentaire
selon des taux de cotisations et des assiettes différentes.
À compter du 1er janvier 2013, les régimes de retraite
complémentaire des artisans et des commerçants seront
fusionnés. Un décret précise les taux et les bases de
calcul de ce régime unique qui s’appliqueront à cette
date. Le taux de cotisation sera de 7 % pour la part de
revenu inférieur au plafond annuel de la sécurité sociale
et de 8 % sur la part de revenu supérieur à ce plafond
et inférieur à quatre fois ce plafond.
Il est également prévu une baisse des taux de cotisation
des régimes invalidité-décès des artisans de 1,8 % à
1,6 % et des commerçants de 1,3 % à 1,1 %.
D. n° 2012-139, 30 janv. 2012,
NOR : ETSS1200204D, JO 31 janv.
En parallèle, l’article L. 145-41 du même Code prévoit que des
délais de paiements peuvent être accordés par le juge lorsque
le bailleur tente de mettre en œuvre la clause résolutoire
prévue au contrat de bail.
L’articulation de ces deux articles posait question jusqu’à
l’arrêt du 6 décembre 2011, par lequel la Cour de cassation
énonce que le cumul des deux dispositions, protectrices pour
le preneur, est possible.
En l’espèce, une société locataire de locaux commerciaux avait
été mise en liquidation judiciaire. Le bailleur avait fait délivrer
au liquidateur un commandement de payer les loyers échus
après le jugement d’ouverture de la procédure collective, sous
peine de la mise œuvre de la clause résolutoire prévue au bail.
Le liquidateur s’est vu accorder par les juges du fond un délai de quatre mois pour s’acquitter des loyers et des charges
échus, les effets de la clause résolutoire étant suspendus
durant ce délai.
Le bailleur a contesté cette décision faisant valoir que l’article
L. 622-14, 2°, du Code de commerce est un texte spécial devant
déroger à la règle générale de l’article L. 145-41 du même
Code. Selon lui, dès lors que le premier article permettant de
suspendre la clause résolutoire pendant trois mois, est invoqué, il fait obstacle à une demande du liquidateur sollicitant
des délais de paiement.
Le pourvoi ainsi formé par le bailleur est rejeté par la Cour de
cassation qui arrête au contraire que « l’article L. 622-14 du
Code de commerce n’interdit pas au liquidateur de se prévaloir
des dispositions de l’article L. 145-41 du même code et de solliciter des délais de paiement ainsi que la suspension des effets
de la clause résolutoire tant que la résiliation du bail n’est pas
constatée par une décision passée en force de chose jugée ».
• OBSERVATIONS • Pour une analyse approfondie de cet arrêt, lire
dans cette même Revue l’Éclairage d’Hubert Vercken, L’article L. 145-41
du Code de commerce peut recevoir application à l’occasion d’une
demande en résiliation du bail fondée sur les dispositions de l’article
L. 622-14 du même Code, RLDA 2012/69, n° 3906.
RLDA
➤ Lamy droit commercial 2011, nos 1072, 1256, 1267, 1293 et 3203
3910
Déplafonnement : nécessité
d’une incidence favorable
au preneur ? Pas toujours…
L’extension de la destination du bail suppose
une modification notable, ce qui permet, en soi,
le déplafonnement du loyer. Le juge n’a donc pas
à rechercher si cette modification a une incidence
favorable sur l’activité exercée par le preneur.
Cass. 3e civ., 18 janv. 2012, n° 11-10.072, P+B
Depuis 2008, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a développé une doctrine protectrice du preneur en
matière de déplafonnement du loyer en introduisant une
nouvelle condition à la fixation du loyer hors plafonnement :
ACTUALITÉS
DROIT COMMERCIAL
que la modification notable des éléments qui entrent en
considération pour la recherche de la valeur locative soit, en
outre, favorable à l’activité du preneur.
Deux importants arrêts de 2008 et 2011 ont clairement affirmé
cette nouvelle exigence (cf. Cass. 3e civ., 9 juill. 2008, n° 07-16.605, Bull.
civ. III, n° 123, sur cet arrêt lire Martin-Imperatori E., Le déplafonnement du loyer de
renouvellement d’un bail commercial : de nouveaux obstacles pour le bailleur ?, RLDA
2008/31, n° 1853 ; Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-30.825, P+B+R+I, Déplafonnement : vers la généralisation de la prise en compte des seules modifications favorables au
preneur ?, RLDA 2011/65, n° 3696).
Cependant, la prudence voulait que l’on s’interroge sur l’application de cette nouvelle condition à toutes les hypothèses
visées par l’article L. 145-34 du Code de commerce (les caractéristiques du local considéré ; la destination des lieux ;
les obligations respectives des parties ; les facteurs locaux de
commercialité).
En effet, l’arrêt du 9 juillet 2008 nous a appris que les travaux
réalisés par le bailleur au cours du bail expiré ne peuvent
constituer un motif de déplafonnement du nouveau loyer
qu’autant qu’ils ont eu une incidence favorable sur l’activité
exercée par le preneur.
Quant à l’arrêt du 14 septembre 2011, il a posé le principe
qu’il ne peut y avoir de déplafonnement sans modification
des facteurs locaux de commercialité favorable pour l’activité du preneur.
Quid alors du cas de l’extension de la destination des locaux
loués ? L’affaire du 18 janvier 2012 nous donne une réponse
claire à cette question : nul besoin d’une incidence favorable
dans ce cas. Le caractère notable de la modification suffit à
permettre le déplafonnement.
Dans les faits, des propriétaires de locaux à usage commercial
avaient délivré au preneur un congé avec offre de renouvellement moyennant un nouveau loyer, étant précisé qu’un
avenant au contrat de bail étendait la destination des lieux
loués (il s’agissait initialement d’un bar. La destination a été
étendue à celle d’hôtel et de restaurant).
Le preneur a demandé le plafonnement du prix, ce qui lui a
été refusé en appel.
Formant un pourvoi contre cette décision, le locataire avance
l’argument selon lequel seule une modification notable ayant
une incidence favorable sur l’activité exercée par le preneur
peut justifier le déplafonnement des loyers dus par ce dernier.
Or, les bailleurs n’ayant pas prouvé que l’extension de la
destination présente un avantage financier réel pour le preneur, ils n’étaient pas en mesure, toujours selon le preneur,
de justifier le déplafonnement du loyer.
La Cour de cassation rejette le pourvoi : « ayant relevé que
l’extension de la destination du bail permettait d’adjoindre
deux autres activités et souverainement retenu que cette modification était notable, la cour d’appel, qui n’était pas tenue
de rechercher si elle avait une incidence favorable sur
l’activité exercée par le preneur, en a déduit à bon droit que
le loyer devait être fixé hors plafonnement ».
Cette solution paraît très juste lorsque l’on considère que le
changement de destination, nécessairement demandé par le
locataire, est présumé fait dans son intérêt pour parvenir à
une meilleure commercialité.
➤ Lamy droit commercial 2011, nos 1530, 1531, 1534 et 1536
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
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27
RLDA
3911
Condamnation pour
contrefaçon et annulation
rétroactive du brevet : pas
de répétition de l’indu
L’anéantissement rétroactif et absolu d’un brevet
prononcé par une décision postérieure n’est pas de
nature à fonder la restitution des sommes payées en
exécution d’une condamnation du chef de contrefaçon
prononcée par une décision devenue irrévocable.
Cass. ass. plén., 17 févr. 2012, n° 10-24.282, P+B+R+I
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu le
17 février 2012 un arrêt d’une grande portée qui ne se limite
pas au droit des brevets mais s’étend à l’ensemble des hypothèses de conflit entre l’autorité de la chose jugée et l’effet
rétroactif de l’annulation d’un acte juridique. L’affaire aura
donc les honneurs d’une publication au Rapport annuel de
la Haute Juridiction.
En l’espèce, M. X avait été condamné en 2001, par un arrêt
irrévocable, au paiement de diverses sommes pour contrefaçon par reproduction des revendications d’un brevet déposé
par M. Y qui en avait concédé l’exploitation exclusive à la
société Z.
Par un autre arrêt irrévocable intervenu ultérieurement en
2002, ces revendications ont été annulées, ce qui a amené M. X
à assigner M. Y et la société Z en restitution des 6 000 euros
versés en exécution de sa condamnation.
Le contrefacteur interprétait en effet l’article L. 613-27 du
Code de la propriété intellectuelle, couplé aux articles 1235
et 1376 du Code civil, de la manière suivante : la décision
d’annulation d’un brevet d’invention ayant un effet à la fois
rétroactif et absolu, prive de fondement juridique la condamnation précédemment prononcée, même à l’encontre d’un
tiers à l’instance en annulation, pour contrefaçon du brevet
annulé. Ainsi, l’annulation du brevet rendrait, selon lui, indu
le paiement fait en exécution d’une telle condamnation et
ouvrirait droit à la répétition des sommes versées.
L’action en répétition de l’indu fut rejetée en première instance, puis en appel.
L’argument de M. X ne trouvera pas non plus grâce aux yeux
de la Cour de cassation.
C’est par un rejet du pourvoi que la formation la plus solennelle de la Haute Juridiction conclut que l’annulation
postérieure des revendications du brevet détenu par M. Y
n’est pas de nature à fonder la restitution des sommes payées
en exécution de la condamnation du chef de contrefaçon,
puisqu’elle ne peut remettre en cause les effets qui s’attachent à l’autorité de la chose jugée.
La solution est conforme à l’avis du Premier avocat général,
Laurent Le Mesle, pour qui « celui qui a été condamné pour
contrefaçon l’a été au regard d’une situation qu’il connaissait
et d’un titre qu’il a délibérément choisi d’ignorer, alors qu’il
lui était loisible de l’attaquer ».
➤ Lamy droit commercial 2011, nos 1842 et 1843
28
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
RLDA
MARQUES, BREVETS, DESSINS
ET MODÈLES
3912
Nullité du brevet européen :
absence d’intérêt à agir,
irrecevabilité de l’action
Viole les articles L. 614-12 du Code de la propriété
intellectuelle et 138, paragraphe 1, e), de la convention
de Munich sur le brevet européen (CBE) le juge du
fond qui ouvre l’action en nullité contre un tel brevet
à toute personne intéressée.
Cass. com., 14 févr. 2012, n° 11-14.288, P+B
Dans cette affaire, le directeur général d’une société de droit
espagnol avait déposé pour son compte une demande de
brevet européen désignant la France résultant de l’invention
d’un salarié de son entreprise.
Une société française concurrente ayant usurpé le brevet
protégé fut assignée en contrefaçon par son titulaire espagnol.
En réplique, la défenderesse forma une demande reconventionnelle en nullité du brevet européen en cause, pour ce qui
concerne la France. Elle estimait que l’objet brevetable était
une invention de salarié, de sorte que le directeur général
ne pouvait pas en devenir le titulaire, comme le précise l’article 60, paragraphe 1, de la CBE, selon lequel « le droit au
brevet européen appartient à son inventeur ou à son ayant
cause. Si l’inventeur est un employé, le droit au brevet européen
est défini selon le droit de l’Etat dans lequel l’employé exerce
son activité principale (…) ».
Débouté en première instance puis en appel, le titulaire du
brevet, qui déniait toute légitimité d’action à son adversaire,
s’est pourvu en cassation.
Rappelons que selon l’article L. 614-12, alinéa 1, du Code
de la propriété intellectuelle, « la nullité du brevet européen
est prononcée en ce qui concerne la France par décision de
justice pour l’un quelconque des motifs visés à l’article 138,
paragraphe 1 de la Convention de Munich ». C’est le cas
notamment lorsque « le titulaire du brevet européen n’avait
pas le droit de l’obtenir aux termes de l’article 60, paragraphe 1 » précité.
Seulement, ces dispositions ne donnent aucune précision,
ni restriction quant aux titulaires de l’action en nullité, argument sur lequel se sont appuyés les juges du fond pour
accueillir la demande reconventionnelle de l’entreprise
française.
Mais la Cour de cassation n’a pas suivi ce raisonnement et a
considéré qu’en statuant ainsi, alors que les dispositions de
l’article 138, paragraphe 1, e), de la CBE visent à protéger les
intérêts privés du véritable titulaire du brevet ou de son ayant
cause, leur violation étant sanctionnée par une nullité relative
qui ne peut être invoquée que par les personnes lésées, la
cour d’appel a violé les textes susvisés.
En conclusion, seuls le salarié inventeur, ou bien la société
qui l’emploie, étaient recevables à agir en nullité.
Paul BAYEMI
Lamy droit commercial
➤ Lamy droit commercial 2011, nos 1862, 1877 et 2329
RLDA
3913
Omission volontaire
d’un créancier : le relevé
de forclusion est de droit
Si le caractère volontaire de l’omission d’une créance
est démontré, le créancier qui sollicite un relevé
de forclusion n’est pas tenu d’établir l’existence
d’un lien de causalité entre son omission de la liste
et la tardiveté de sa déclaration de créance.
Cass. com., 10 janv. 2012, n° 10-28.501, P+B
En l’espèce, à l’occasion de l’ouverture de sa procédure de
sauvegarde, un débiteur avait établi une liste des créanciers
incomplète puisque certaines institutions de retraite et de
prévoyance n’y figuraient pas. Ces dernières, n’ayant pas
reçu d’avertissement du mandataire judiciaire, ont malgré
tout déclaré leurs créances de cotisations, mais hors délai.
Les créancières ont donc sollicité un relevé de forclusion.
Les juges du fond ont répondu favorablement à cette demande
estimant que la société débitrice avait volontairement omis
d’inscrire les créances des institutions de retraite sur la liste
des créanciers.
C’est en vertu de l’article L. 622-26, alinéa 1, du Code de commerce que le juge- commissaire peut relever de leur forclusion
les créanciers tardifs s’ils établissent que leur défaillance n’est
pas due à leur fait ou qu’elle est due à une omission volontaire
du débiteur lors de l’établissement de la liste.
Le débiteur a alors formé un pourvoi réfutant toute volonté
délibérée de dissimuler sa dette étant donné que les créances
litigieuses étaient bien mentionnées dans la demande d’ouverture de la procédure de sauvegarde, ce qui révélait, selon
lui, que son omission était involontaire.
En outre, il indiquait que même si le caractère volontaire de
l’omission de la créance litigieuse est démontré, le créancier
qui sollicite un relevé de forclusion reste néanmoins tenu d’établir l’existence d’un lien de causalité entre son omission de la
liste dressée par son débiteur et la tardiveté de sa déclaration
de créance. En l’occurrence, le débiteur faisait remarquer que
les sociétés créancières étaient seules responsables de leur
défaillance, puisqu’elles avaient été informées de la situation
de leur débiteur à une date où il leur était encore possible de
déclarer leurs créances dans le délai utile.
La Cour de cassation rejette ce pourvoi au motif que, dès lors
que le caractère volontaire de l’omission des créances est
démontré, rien n’oblige les créanciers à prouver un lien
de causalité entre l’omission de la liste et la tardiveté de
leurs déclarations de créances.
Ce serait ajouter à la loi que d’exiger une telle preuve.
• OBSERVATIONS • La preuve du caractère volontaire de l’omission s’avère
difficile à rapporter. L’espèce commentée donne un exemple pratique utile. Ici,
le caractère volontaire est démontré par le fait que le débiteur avait bien visé
les créances de cotisations sociales dues pour le troisième trimestre 2008 dans
sa demande d’ouverture de la procédure de sauvegarde, ce qui, pour les juges,
établissait qu’il connaissait l’existence des créances en cause. Par conséquent,
leur omission de la liste des créanciers ne pouvait être que volontaire.
➤ Lamy droit commercial 2011, nos 3377, 3378, 3434, 3437 et 3453
RLDA
ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ
ACTUALITÉS
DROIT COMMERCIAL
3914
Inconstitutionnalité
de la réunion à l’actif des
biens du conjoint in bonis
L’article L. 624-6 n’a plus droit de cité dans le Code de
commerce, le Conseil constitutionnel l’ayant purement
et simplement déclaré contraire à la Constitution.
Cons. const., 19 janv. 2012, n° 2011-212, QPC
En vertu du désormais feu article L. 624-6 du Code de commerce, lorsqu’un débiteur faisait l’objet d’une procédure de
sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires,
il était permis à l’administrateur, au mandataire ou au liquidateur judiciaires de demander la réintégration dans le
patrimoine du débiteur des biens acquis par son conjoint
mais dont le débiteur avait participé au financement. Cette
disposition permettait de faciliter l’apurement du passif afin
de permettre la continuation de l’entreprise ou bien le désintéressement des créanciers.
Cette action, autrement appelée « action en rapport », permettant d’optimiser l’actif aux dépens des droits du conjoint
apparaissait dérogatoire aux règles du droit civil, d’autant
qu’elle n’était subordonnée qu’à une condition : la fourniture de deniers par le conjoint pour l’acquisition d’un bien
en cours de mariage. L’exercice de l’action n’était même pas
subordonné à la condition que le mariage soit en cours à la
date d’ouverture de la procédure collective… (Cass. com., 16 janv.
2007, n° 04-14.592, Bull. civ. IV, n° 3).
En l’espèce, une épouse estimait qu’en permettant de
réintégrer à l’actif de la procédure collective un bien
appartenant au conjoint du débiteur alors qu’il n’est pas
partie à cette procédure, l’action en réunion méconnaissait
la protection constitutionnelle du droit de propriété. Elle
faisait en outre valoir qu’en appliquant cette possibilité
au seul conjoint du débiteur, à l’exclusion de toute autre
personne, l’action entraînait une différence de traitement
contraire au principe d’égalité devant la loi. Pour ces
raisons, une question prioritaire de constitutionnalité
fut formée.
Saisi de cette QPC, le Conseil constitutionnel a considéré
que l’article L. 624-6 permettait la réunion à l’actif d’un bien
« quelle que soit la cause de cet apport, son ancienneté, l’origine des valeurs ou encore l’activité qu’exerçait le conjoint à
la date de l’apport ; [que l’article ne prend] pas davantage
en compte la proportion de cet apport dans le financement du
bien réuni à l’actif ».
Aussi, le Conseil a jugé qu’en l’absence de toute disposition retenue par le législateur pour assurer un
encadrement des conditions dans lesquelles la réunion à
l’actif est possible, l’article L. 624-6 du Code de commerce
permet qu’il soit porté au droit de propriété du conjoint
du débiteur une atteinte disproportionnée au regard du
but poursuivi.
L’article L. 624-6 est donc déclaré inconstitutionnel, et son
effacement du Code de commerce a pris effet dès la publication
de la décision du Conseil constitutionnel.
L’abrogation est applicable à toutes les instances non jugées
définitivement à cette date.
➤ Lamy droit commercial 2011, nos 3567 et 3568
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
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29
RLDA
3915
Voies de recours contre
le jugement statuant sur
l’ordonnance du jugecommissaire
Les jugements statuant sur les recours formés contre
les ordonnances rendues par le juge-commissaire
sont susceptibles de recours dans les termes du
droit commun, hormis ceux visés par les dispositions
spéciales de la loi de sauvegarde des entreprises
réglementant les voies de recours.
Cass. com., 7 févr. 2012, n° 10-26.164, P+B+I
Une société, mise en redressement judiciaire, avait formé un
pourvoi en cassation à l’encontre d’un jugement d’un tribunal
de commerce qui, statuant sur recours contre une ordonnance
du juge-commissaire, avait constaté la résiliation de plein droit
du bail consenti à la société débitrice.
L’occasion est alors donnée à la Cour de cassation de rappeler
que les jugements statuant sur les recours formés contre les
ordonnances rendues par le juge-commissaire, qui ne sont
pas visés par les dispositions spéciales de la loi du 26 juillet
2005 de sauvegarde des entreprises (L. n° 2005-845, 26 juill. 2005) réglementant les voies de recours, sont susceptibles de recours
dans les termes du droit commun.
Il s’ensuit donc que le jugement attaqué, qui, bien qu’inexactement qualifié en dernier ressort, était susceptible d’appel,
ne peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation.
La Cour se prononce au visa des articles 543 et 605 du Code de procédure civile, ainsi que de l’article R. 662-1 du Code de commerce.
En bref…
Taxe annuelle sur les locaux commerciaux
dans la région Île-de-France
L’article 231 ter du Code général des impôts prévoit
une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux,
les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les
surfaces de stationnement, perçue dans la région Îlede-France (qui comprend trois circonscriptions). Pour
l’année 2012, l’arrêté du 3 février 2012 fixe de nouveaux tarifs actualisés en fonction du dernier indice du
coût de la construction publié par l’INSEE.
Pour les locaux commerciaux, par exemple, les tarifs au
mètre carré sont fixés comme suit :
– 1re circonscription (Paris et le département des Hautsde-Seine) : 7,36 € ;
– 2e circonscription (certaines communes de l’unité
urbaine de Paris déterminées par arrêté) : 3,79 € ;
– 3e circonscription (les autres communes de la région
d’Île-de-France) : 1,90 €.
Arr. min., 3 févr. 2012, NOR : EFIE1133457A, JO 7 févr.
QPC : baux commerciaux et prescription
biennale
« L’article L. 145-60 du Code de commerce, en ce qu’il
interdit de contester un congé avec refus de renouvel-
30
Si, sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985, les jugements
sur lesquels le tribunal statuait sur le recours formé contre
les ordonnances rendues par le juge-commissaire n’étaient
susceptibles ni d’opposition, ni de tierce opposition, ni d’appel,
ni de recours en cassation (L. n° 85-98, 25 janv. 1985, art. 173, abrogé par
Ord. n° 2000-912, art. 4), la loi de sauvegarde a largement libéralisé
les voies de recours en supprimant cette règle d’irrecevabilité.
Désormais, le principe est celui de la recevabilité de l’appel des
jugements statuant sur recours à l’encontre des ordonnances
du juge-commissaire, ce qui avait déjà été affirmé par un arrêt
de 2008 (Cass. com., 14 oct. 2008, n° 07-17.824, D).
Il existe cependant une exception : la recevabilité peut être
écartée par un texte spécial du droit des entreprises en difficulté.
C’est le cas par exemple de l’article L. 661-6, I, 1°, du Code de
commerce qui réserve l’appel, contre des jugements relatifs
à la nomination des contrôleurs, au seul ministère public.
Il en va de même avec l’article L. 661-4 qui, lui, ferme totalement
les voies de recours contre les jugements ou ordonnances relatifs
à la nomination ou au remplacement du juge-commissaire.
Dans l’affaire du 7 février 2012, faute de se prévaloir d’un texte
spécial, c’est donc l’article R. 662-1 du Code de commerce
qui s’applique : « les règles du Code de procédure civile sont
applicables dans les matières régies par le livre VI de la partie
législative du présent Code ».
Et comme, selon l’article 543 du Code de procédure civile,
« la voie de l’appel est ouverte en toutes matières, même gracieuses, contre les jugements de première instance s’il n’en
est autrement disposé », c’est en toute logique que la Cour de
cassation déclare le pourvoi du débiteur irrecevable.
• OBSERVATIONS • Sur cet arrêt, un Éclairage sera apporté par Christine LEBEL
dans la Revue Lamy droit des affaires du mois d'avril (RLDA 2012/70).
➤ Lamy droit commercial 2011, nos 3834, 4721 et 4745
lement du bail plus de deux ans après sa délivrance,
est-il conforme aux articles 5 et 16 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? » Telle
était la question prioritaire de constitutionnalité transmise
à la Cour de cassation.
En réponse, la Cour rend une décision de non-lieu à
renvoi devant le Conseil constitutionnel pour les raisons
suivantes :
– le régime de prescription biennale des actions dérivant
du statut des baux commerciaux, justifié par un intérêt
général de sécurité juridique, n’introduit aucune
distinction injustifiée de nature à priver les
justiciables de garanties égales ;
– compte tenu des garanties procédurales établies, il ne
porte pas d’atteintes substantielles aux droits
de la défense et au droit au recours effectif
devant une juridiction.
Cass. 3e civ., 6 janv. 2012, n° 11-40.083, QPC
Propriété industrielle : l’année 2011 en
chiffres
Dans un contexte de crise économique, doublée d’une
concurrence internationale, les entreprises françaises
misent sur la protection de leur innovation. Leur compétitivité en dépend. Ainsi, en 2011 :
– 12 619 brevets ont été déposés par les entreprises
françaises, soit 1,7 % de plus qu’en 2010 ;
– 91 214 demandes d’enregistrement de marques,
soit 0,8 % de moins qu’en 2010 ;
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
– 80 977 dépôts de dessins et modèles, représentant
une hausse de 0,8 %.
L’augmentation de ces chiffres se justifie tout d’abord
par la sensibilisation entreprise par l’INPI auprès des
personnes morales, à la protection de l’innovation,
mais aussi par la procédure dématérialisée instituée
à cet effet. Résultat, 75 % des dépôts de brevets et
66 % de demandes de marques résultent de dépôts
électroniques.
Cette tendance prouve que la protection de la propriété
industrielle est bien intégrée dans la stratégie de développement des entreprises françaises.
Communiqué INPI, 15 févr. 2012
Droit des dessins et modèles – Actualité
jurisprudentielle
L’IRPI organise, le 3 avril 2012, une conférence consacrée aux récents développements jurisprudentiels et
réglementaires en Droit des dessins et modèles.
Patrice de CANDÉ et Charles de HAAS, Avocats, analyseront tour à tour les décisions les plus marquantes
rendues depuis un an par les juridictions françaises et
communautaires.
Date : mardi 3 avril 2012 (9h00-13h00) ; Lieu :
ESCP Europe, 79, avenue de la République, 75011
Paris (Amphi Gélis) ; Prix : 350 € (non assujettis
à la TVA). Heures validées au titre de la formation
des Avocats.
Contact : Sylvie Mostier (01.49.23.58.60)
Compte-rendu de la conférence « Actualité jurisprudentielle
Droit des marques » organisé par l’IRPI
La matinée proposée par l’IRPI
le 7 février 2012, sur le thème
de l’actualité jurisprudentielle des
marques, proposait de revenir sur
les décisions les plus marquantes
intervenues en la matière en 2011.
Pour analyser les morceaux choisis
de la jurisprudence française et
européenne, Marc Sabatier – avocat
à la Cour d’appel de Paris et docteur
en droit –, Bertrand Geoffray
– conseil en propriété industrielle
et Président de l’APRAM – et
Georges Bonet – Professeur
émérite de l’Université PanthéonAssas (Paris II) et Président
honoraire de l’IRPI –, se sont
proposé d’évoquer respectivement
les marques françaises, les
marques européennes et enfin
l’harmonisation des législations.
L’année 2011 a fourni un nombre
important d’arrêts parmi lesquels
Marc Sabatier a choisi de revenir
notamment sur certaines relatives
à la date d’appréciation du caractère
distinctif d’une marque lorsque celleci est invoquée en justice (Cass.
com., 13 déc. 2011, n° 11-10.390,
marque Troussepinette ;
Cass. com., 2 nov. 2011,
n° 10-24.725, marque Buckfast).
Ont également été évoqués
l’arrêt Puma (Cass. com. 13 déc.
2011, n° 10-28.088, P+B) selon
lequel les dispositions de l’article
L. 716-7-1 du Code de la propriété
intellectuelle permettent au juge
de la mise en état d’ordonner les
mesures qu’il prévoit avant toute
décision sur la matérialité de la
contrefaçon ; ainsi que l’arrêt relatif
à la marque Webshipping (Cass.
com., 29 nov. 2011, n° 08-13.729,
P+B) sur l’étendue territoriale des
mesures coercitives (l’astreinte)
qui peuvent être prononcées
par les tribunaux français.
Concernant la marque
communautaire, Bertrand Geoffray
est revenu sur le caractère distinctif
de la marque au travers de l’affaire
Freixenet (CJUE, 20 oct. 2011,
aff. C-344/10P et C-345/11P),
mais aussi sur deux arrêts mettant
en cause le caractère contraire à
l’ordre public ou aux bonnes mœurs
de la marque : Couture Tech
Limited (marque représentant le
blason soviétique, Trib. UE, 20 sept.
2011, aff. T-232/10), et Paki
Logistics (marque utilisant le terme
Paki, insulte raciste au Royaume-Uni,
Trib. UE, 5 oct. 2011, T-526/09).
Fut également analysée l’affaire
ayant permis d’apporter des
précisions sur le territoire à prendre
en considération pour déterminer
l’usage de la marque dans la vie
des affaires (CJUE, 29 mars 2011,
aff. C-96/09P, Anheuser-Busch Inc.
/ Budejovický Budvar).
ACTUALITÉS
DROIT COMMERCIAL
Pour conclure la matinée, le
professeur Bonet avait choisi se
commenter l’affaire Bud (CJUE,
22 sept. 2011, aff. C-482/09)
mettant en exergue l’article 9
de la directive 89/104 relatif à
la forclusion par tolérance, ainsi
que l’affaire Interflora (CJUE,
22 sept. 2011, aff. C-323/09) par
laquelle la Cour rappelle que la
fonction d’indication d’origine de la
marque n’est pas la seule fonction
de celle-ci digne de protection
contre des atteintes par des tiers,
et qu’il convient aussi d’analyser
l’effet de l’usage de la marque
sur ses fonctions de publicité et
d’investissement.
N’ayant pas pu être présent, un
commentaire écrit et détaillé de ses
notes a été distribué.
L’ensemble des participants
présents à ce séminaire
pourront accéder aux décisions
commentées en plein texte ainsi
qu’aux slides projetés durant
la matinée sur le site de l’IRPI
(www.irpi.ccip.fr) au moyen
d’un mot de passe qui leur sera
communiqué.
Enfin, l’IRPI vous donne rendezvous pour ses prochaines matinées
« Actualité jurisprudentielle » qui
se tiendront les 3 avril (dessins
et modèles) et 14 juin (brevets)
prochain.
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
31
DROIT DU FINANCEMENT
Sous la direction scientifique de Jean DEVÈZE, Professeur à l’Université des Sciences sociales Toulouse I,
Alain COURET, Professeur à l’Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine
et Gérard HIRIGOYEN, Professeur des Universités, Directeur de l'Équipe Entreprise Familiale et Financière,
Directeur du Pôle Universitaire de Sciences de gestion de Bordeaux, Président Honoraire de l'Université
Montesquieu Bordeaux IV.
Par Anne-Dominique
i i
MERVILLE
Maître de Conférences HDR
Université
de Cergy-Pontoise
Directrice du Master 2
Droit pénal financier
La notion de bonne information
et de diffusion de l’information
privilégiée par la Cour de cassation
Dans la décision du 13 décembre 2011, la Cour de cassation estime que des subventions
promises mais pas encore versées à une entreprise ne peuvent figurer d’ores et déjà dans les
comptes sous peine de manquer à la bonne information du public. Une information concernant
un décalage significatif entre les attentes du marché à propos du taux de marge opérationnelle
et ce que savait la société est une information privilégiée. Ainsi, le fait de la donner à des
analystes avant de la diffuser au public est constitutif d’un manquement à la diffusion
d’information privilégiée.
RLDA
Cass. com., 13 déc. 2011, n° 10-28.337, P+B
3916
L
a Commission européenne a constaté que les
investisseurs qui négocient en utilisant des informations privilégiées et manipulent les marchés en diffusant des informations fausses ou
trompeuses peuvent échapper aux sanctions en
profitant des différences entre les législations des vingt-sept
États membres de l’Union européenne (la Commission européenne
a adopté le 20 octobre 2011 une proposition de règlement sur les opérations d’initiés et
les manipulations de marché ainsi qu’une proposition de directive relative aux sanctions
pénales applicables aux opérations d’initiés et aux manipulations de marché, Communiqué
Comm. UE, n° IP/11/1217, 20 oct. 2011, Communiqué Comm. UE, n° IP/11/1218, 20 oct.
2011 ; Lasserre Capdeville J., Proposition de directive relative aux sanctions pénales applicables aux opérations d’initiés et aux manipulations de marché, Bull. Joly Bourse 2012,
p. 9 ; de Saint Mars B., Abus de marché : Qui trop embrasse mal étreint ? Bull. Joly Bourse
2011, p. 221). En effet, dans certains pays, les autorités ne dis-
posent pas de pouvoirs de sanction effectifs, alors que dans
d’autres, elles ne disposent pas de sanctions pénales pour
certaines infractions d’opération d’initié et de manipulation
de marché. Or, des sanctions effectives peuvent avoir un
fort effet dissuasif et renforcer l’intégrité des marchés financiers de l’Union européenne. C’est pourquoi la Commission
européenne propose désormais des règles applicables dans
toute l’Union européenne, de façon à garantir des sanctions
pénales minimales pour les opérations d’initiés et les manipulations de marché. Pour la première fois, la Commission a
recours aux nouveaux pouvoirs conférés par le traité de Lisbonne pour assurer l’application d’une politique de l’Union
européenne par la voie de sanctions pénales. La proposition
de directive impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour que les infractions pénales d’opération d’initié et de manipulation de marché soient passibles
de sanctions pénales. Les États membres seront également
tenus de prévoir des sanctions pénales en cas d’incitation à
commettre des abus de marché, de complicité ou de tentative
32
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
en la matière. La proposition de directive en cours a pour but
de compléter les dispositions relatives aux abus de marché et
de renforcer les sanctions administratives.
Mais avant même tous ces projets, force est de constater que
le droit français dispose déjà d’un arsenal répressif aussi bien
judiciaire qu’administratif pour réprimer les auteurs de manquements. Cet arrêt en est une illustration et met en évidence
d’ailleurs la procédure à la fois judiciaire et administrative
française, et même l’interprétation des normes administratives
par le judiciaire.
Cet arrêt du 13 décembre 2011 vient clore un contentieux qui
avait débuté devant l’Autorité des marchés financiers (AMF)
pour des faits s’étant déroulés entre 2006 et 2007. Concrètement, un dirigeant d’une société expressément alerté par
les commissaires aux comptes, savait que les informations
relatives aux frais de recherche & développement (R & D)
communiquées au public n’étaient pas conformes à la réalité,
ce qui constitue un manquement à l’obligation d’information
du public. En l’espèce, la société a pris en compte, en l’absence d’« assurance raisonnable », au sens de la norme IAS
20 relative à la comptabilisation des subventions publiques
et informations à fournir sur l’aide publique, du versement
effectif des subventions. Il faut savoir en outre que les frais
de R & D dans la communication financière des sociétés de
ce secteur de l’industrie de pointe est particulièrement importante. C’est la raison pour laquelle, les comptes de la société
au 30 septembre 2006 et au 31 mars 2007 comportent, au
sens de l’article 632-1 du règlement général de l’AMF, une
information inexacte, imprécise et trompeuse concernant le
montant des dépenses de R & D de la société en ce que le
montant de celles-ci a été minoré du fait de la prise en compte
de subventions dont le versement effectif restait subordonné
à une décision de la Commission européenne admettant la
compatibilité de ces aides avec le droit communautaire. Par
ailleurs, en s’abstenant d’assurer la diffusion simultanée au
public d’une information privilégiée, relative à la marge opérationnelle de la société qui a été communiquée à des analystes
financiers sans être assortie d’un « embargo », le dirigeant et
la personne en charge de la communication financière de la
société ont méconnu l’obligation résultant de l’article 222-4 du
règlement général de l’AMF imposant la diffusion au public
d’une information privilégiée communiquée à des tiers. La
Commission des sanctions, le 10 décembre 2009, retient alors
pour ces deux manquements 50 000 euros à l’encontre de la
société et 30 000 euros à l’encontre du dirigeant. Quant à la
personne chargée de la communication financière, une sanction pécuniaire d’un montant de 5000 euros a été prononcée à
son encontre du chef d’un manquement unique. En revanche,
la Commission des sanctions ne retient pas la responsabilité
des commissaires aux comptes (Merle Ph., note sous Déc. Comm. sanctions
AMF, 10 déc. 2009, Société X et MM. A, B, C et D, Bull. CNCC 2010, p. 143)
Les mêmes faits sont ensuite soumis à la Cour d’appel de
Paris le 21 octobre 2010 puis à la Cour de cassation en date du
13 décembre 2011 qui rejette les pourvois (Simon F.-L., AMF : recours
contre les décisions de l’AMF, Joly Bourse, Etude : EA070). Les débats devant la
Cour de cassation sont relativement proches de ceux développés devant la Commission des sanctions et portent en réalité
sur l’interprétation des manquements au règlement général
de l’AMF, exercice auquel se livre ici la Cour de cassation.
Ainsi, en rejetant le pourvoi, la Cour de cassation estime que
la société et son dirigeant ont manqué aux obligations des
articles 222-2 et 222-4 du règlement général de l’AMF :
– en communiquant au public une information inexacte
imprécise et trompeuse concernant les dépenses de R & D ;
– en s’abstenant d’assurer la diffusion simultanée au public
d’une information privilégiée intentionnellement transmise
à des tiers.
I. – LE MANQUEMENT À LA BONNE INFORMATION
DU PUBLIC : LE NON-RESPECT DES OBLIGATIONS
FINANCIÈRES PRÉVUES PAR LES TEXTES
Les émetteurs sont tenus de respecter un certain nombre
d’obligations au titre de l’information périodique et permanente définies dans le Code de commerce et dans le Livre II
du règlement général de l’AMF. L’information périodique
recouvre les informations données à échéances régulières
par l’émetteur (sur une base annuelle, semestrielle et trimestrielle). L’information permanente comprend essentiellement l’obligation pour un émetteur de porter dès que
possible à la connaissance du public, sous la forme d’un
communiqué, toute information non publique le concernant,
susceptible d’avoir une influence sensible sur son cours de
bourse. Elle comprend aussi des obligations plus spécifiques
comme les obligations de déclaration de franchissement
de seuil et de déclaration d’intention, ou l’obligation de
déclaration du dirigeant des opérations réalisées sur les
titres de sa société. L’information donnée doit être exacte,
précise et sincère.
La Commission des sanctions de l’AMF peut sanctionner
l’émetteur s’il ne respecte pas ses obligations mais également
le dirigeant, à raison de sa qualité de représentant légal. Elle
peut également prononcer une sanction contre toute personne
ayant porté atteinte à la bonne information du public par la
communication d’une information inexacte, imprécise ou
trompeuse. L’information délivrée au public par les émetteurs
doit être exacte, précise et sincère. Ces exigences s’appliquent
tant aux informations dont la communication est obligatoire au
titre de la réglementation qu’aux informations communiquées
par l’émetteur sur une base purement volontaire.
L’information délivrée au public par l’émetteur doit être
exacte, c’est-à-dire être exempte d’erreurs. Elle doit également
être complète ; la diffusion d’une information en elle-même
exacte pourrait, en effet, être critiquable si l’émetteur a par
ailleurs omis de communiquer une autre information qui aurait
été susceptible de modifier l’appréciation de sa situation par le
marché. L’information délivrée au public par l’émetteur doit
être précise, c’est-à-dire que l’émetteur doit communiquer
au marché l’ensemble des éléments relatifs à l’événement
qui fait l’objet de la communication afin de permettre au
marché d’apprécier l’impact de cet événement sur la situation
et les perspectives de l’émetteur. L’information divulguée
par l’émetteur doit être sincère. La sincérité de l’information
délivrée par l’émetteur implique que soient communiqués
tant les éléments positifs que les éléments négatifs afférents
à l’information considérée. Ceci rejoint le principe d’homogénéité de l’information précédemment énoncé.
Les faits présentés ici devant la Cour de cassation avaient
déjà fait l’objet d’une condamnation par la Commission des
sanctions, qu’il est assez intéressant de reprendre ici tant le
raisonnement suivi est finalement le même. C’est ainsi que
dans la décision du 10 décembre 2009, la Commission des
sanctions retient le manquement à l’obligation d’information
du public du chef de la comptabilisation par une société de
subventions aléatoires (Déc. Comm. sanctions AMF, 10 déc. 2009, Société X et
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT DU FINANCEMENT
MM. A, B, C et D, Rontchevsky N., Manquement à l’obligation d’information du public du
chef de la comptabilisation par une société de subventions aléatoires de recherche et développement en méconnaissance de la norme IAS 20, Bull. Joly Bourse 2010, p. 248, Bull. CNCC
2010, p. 143, note Merle Ph.). Le premier point visait le caractère erroné
de la comptabilisation de subventions de R & D au regard de la
norme IAS 20. La société avait comptabilisé, dans les comptes
semestriels au 30 septembre 2006 puis dans les comptes
annuels au 31 mars 2007, des sommes de 1 000 000 euros
et de 2 000 000 euros correspondant à des subventions qui
devaient lui être allouées par des organismes publics au titre
de dépenses de recherche mais qui n’avaient pas encore été
autorisées par la Commission européenne. La Commission
des sanctions de l’AMF a estimé que, ce faisant, la société
et son dirigeant ont manqué à la norme IAS 20 relative à la
« comptabilisation des subventions publiques et informations
à fournir sur l’aide publique » dont le non-respect est susceptible de constituer le manquement de publication de fausses
informations, au sens de l’article 632-1 du règlement général
de l’AMF. Selon cette norme, les subventions attendues des
organismes publics ne doivent être comptabilisées dans les
comptes que lorsqu’il existe une « assurance raisonnable » que
« les subventions seront reçues ». Or, une telle assurance, qui
n’est certes pas une certitude, n’était pas établie en l’espèce
car le versement effectif de ces subventions restait subordonné
à une décision de la Commission européenne admettant leur
comptabilité avec l’article 87 du traité CE. Il est à noter que
l’autorité de marché relève deux éléments importants au
cas d’espèce tenant, d’une part, au caractère aléatoire de la
décision de la Commission européenne et, d’autre part, à
l’importance particulière dans ce secteur des frais de R & D
(qui étaient ainsi artificiellement minorés) : « Considérant
qu’alors surtout que la Commission européenne n’avait pas
eu précédemment l’occasion de se prononcer, s’agissant de
[la société], sur des aides comparables, un aléa subsistait sur
le principe de la déclaration de compatibilité et, plus encore,
sur la date à laquelle cette éventuelle déclaration pourrait intervenir ; considérant par suite qu’en l’absence d’“assurance >
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
33
L A N O T I O N D E B O N N E I N F O R M AT I O N E T D E D I F F U S I O N D E L’ I N F O R M AT I O N P R I V I L É G I É E PA R L A C O U R D E C A S S AT I O N
raisonnable” au sens de la norme IAS 20 du versement effectif
chaque décision vient préciser les attentes du marché. Enfin, la
des subventions et compte tenu de l’importance des frais de
Cour revient également sur l’aspect aléatoire de la subvention
R & D dans la communication financière des sociétés de ce
et du versement effectif avant la décision de la Commission
secteur de l’industrie de pointe, les comptes de [la société]
européenne. Là aussi la solution est très cohérente : afin
X aux 30 septembre 2006 et 31 mars 2007 comportent, au
de donner une information précise et non trompeuse, il ne
sens de l’article 632-1 du règlement général de l’AMF, une
peut être envisagé de faire figurer des sommes non encore
information inexacte, imprécise et trompeuse concernant le
attribuées. Cette majoration des comptes est en réalité souvent
montant des dépenses de R & D de [la société] X en ce que le
constatée lors des manquements (Dezeuze E. et Buge G., note sous Déc.
montant de celles-ci a été minoré du fait de la prise en compte
Comm. sanctions AMF, 5 juill. 2007, Marionnaud parfumeries, KPMG,…, Bull. Joly Bourse
de subventions dont le versement effectif restait subordonné
2008, p. 46). Dans le climat d’incertitude économique, une telle
à une décision de la Commission européenne admettant la
solution doit encore plus être approuvée.
compatibilité de ces aides avec le droit communautaire ».
Cette motivation pragmatique laisse entendre que la solution
II. – L’ABSENCE D’UNE DIFFUSION D’UNE
aurait pu être différente en présence de décisions antérieures
INFORMATION PRIVILÉGIÉE AU PUBLIC
de la Commission européenne, constituant en quelque sorte
des précédents, susceptibles de donner une « assurance raiL’information permanente relève des règles relatives aux abus
sonnable », voire une quasi-certitude,
de marché. Elle s’applique aux sociétés
quant au bénéfice des subventions.
dont les titres sont admis aux négoMais en présence d’un aléa quant à la
ciations non seulement sur un marché
La solution est importante
compatibilité des subventions avec le
réglementé mais aussi sur un système
dans la mesure où les
droit communautaire, la société et son
multilatéral de négociation organisé
aides publiques et les
dirigeant ne pouvaient pas transformer
(Règl. gén. AMF, art. 223-1 A). L’obligation d’insubventions mettent en
leurs rêves en une réalité comptable. La
formation permanente n’est pas prévue
solution est importante dans la mesure
par la loi mais par le règlement général
jeu le modèle économique
où les aides publiques et les subventions
de l’AMF. Tout émetteur doit, dès que
de bon nombre de sociétés,
mettent en jeu le modèle économique de
possible, porter à la connaissance du
et notamment de celles
bon nombre de sociétés, et notamment
public toute information privilégiée qui
exerçant leur activité dans
de celles exerçant leur activité dans des
le concerne directement (Règl. gén. AMF,
des secteurs de pointe.
secteurs de pointe.
art. 223-2, I et 621-1 et s.). En conséquence, les
Le pourvoi en cassation reprend exacteémetteurs dont les titres financiers sont
ment la même argumentation que celle
admis aux négociations sur un marché
développée devant l’AMF, ce qui d’ailleurs peut laisser très
réglementé ou sur un système multilatéral de négociation
pensif sur le thème du non bis in idem (Nord-Wagner M., La double
organisé ont l’obligation de porter à la connaissance du public
toute information précise, qui si elle était rendue publique,
sanction des infractions boursières à l’épreuve du principe non bis in idem, AJ pénal 2011,
serait susceptible d’avoir une incidence sensible sur le cours
p. 67). Mais au-delà de cette question récurrente en droit pénal
des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments
financier, cela est donc sans surprise que la Cour de cassation
financiers qui leur sont liés. L’information qui présente ces
rejette le pourvoi. Tout d’abord, la Cour en profite pour rapcaractéristiques est réputée être une « information privilégiée »
peler que la caractérisation d’un manquement à l’obligation
au sens de la réglementation boursière.
de bonne information du public n’est pas subordonnée à la
L’émetteur doit en principe procéder à la communication de
démonstration que la pratique en cause a eu pour effet de
cette information dès que possible par voie de presse (Déc. Comm.
porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon
fonctionnement du marché. Certes cela est sous-jacent à toute
sanctions AMF, 4 oct. 2007, M. Le Coadou, Mme Le Coadou et M. Sarrat, Torck S., Manquela réglementation édictée par l’AMF, toutefois cela n’est en
ments à la bonne information du public et manquement d’initié, Bull. Joly Bourse 2008,
rien une condition supplémentaire à tous les manquements.
p. 148). Toutefois, l’émetteur, peut, sous sa responsabilité et
C’est donc en toute logique que la Cour de cassation réfute cet
sous les trois conditions cumulatives suivantes, prendre la
argument. Concrètement, la Cour tout comme la Commission
décision de différer la communication d’une information :
des sanctions utilise ce critère d’atteinte ou d’incidences graves
– il existe un intérêt légitime pour l’émetteur lui permettant
sur le marché non pas comme condition mais afin d’évaluer
de différer la diffusion de l’information. À titre d’exemple,
le quantum de la peine (Bouthinon-Dumas H., commentaire sous Déc. Comm.
peut constituer un intérêt légitime qui justifie le fait de différer
la communication de l’information : les contraintes de confisanctions AMF, 5 mars 2009, Société Nortène, Bull. Joly Bourse 2009, p. 298 ; cf. égaledentialité liées à la concurrence ; la nécessité de coordonner
ment, TGI Paris, 11e ch. corr., 12 nov. 2010, RTDF 2011, n° 4, p. 256, note Dezeuze E.).
la diffusion des informations sur le marché national avec la
Ainsi, dans la décision de condamnation de la Commission
diffusion sur les marchés étrangers ; ou encore le risque qu’une
des sanctions, elle tempère et limite le montant du fait de
diffusion prématurée ferait courir à des négociations en cours ;
cette non-incidence à 50 000 euros à l’encontre de la société
– l’absence de communication ne doit pas avoir pour effet
et 30 000 euros à l’encontre du dirigeant. De surcroît, la Cour
d’induire le public en erreur ;
de cassation pour rejeter ce premier pourvoi ajoute que les
– l’émetteur doit être en mesure de préserver la confidentialité
qualités d’exactitude, de précision et de sincérité de l’informade l’information.
tion s’apprécient à la date à laquelle elle est donnée au public.
Ici, la discussion ne va pas porter sur les exceptions mais sur
Cet argument n’est en soi pas nouveau, il est en revanche
l’information elle-même. Le second moyen tente de prouver
intéressant de noter que pour la Cour « les frais de recherche
l’absence de diffusion simultanée au public d’une information
et de développement constituent des éléments essentiels de la
privilégiée communiquée à un tiers par la société, son dirigeant
communication financière dans ce secteur ». Il s’agit ici d’une
et la personne en charge de la communication financière
indication concrète d’une condition d’appréciation de la node la société. La Commission des sanctions de l’AMF avait
tion d’information. Cette notion étant purement prétorienne
34
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
considéré que le manquement était caractérisé : « Considérant
que les 5 et 6 octobre 2006, plusieurs analyses ont été publiées
informant le public de ce que le taux de marge opérationnelle
attendu pour [la société] X pour l’exercice 2006-2007 ne serait pas atteint ; qu’il n’est pas contesté que, dans les jours
précédents, M. B, en charge de la communication financière,
avait fait état auprès de ces analystes de ce que le consensus
relatif à la marge opérationnelle de 18 % leur paraissait trop
élevé ; que M. B n’avait pas assorti cette communication d’un
“embargo” ; qu’ainsi, l’information que M. B a donnée intentionnellement à certains analystes financiers dans les jours
précédant les 5 et 6 octobre 2006 n’était pas publique ; qu’elle
était par ailleurs précise et de nature à avoir un effet sensible
sur le cours du titre X ; qu’elle revêtait ainsi le caractère d’une
information privilégiée qu’en application de l’article 222-4
du règlement général de l’AMF, X ne pouvait communiquer
à des tiers sans la porter simultanément à la connaissance
du public ». Si le débat devant la Commission des sanctions
de l’AMF portait essentiellement sur les personnes mises en
cause, le pourvoi devant la Cour de cassation insiste davantage
sur les éléments constitutifs du manquement. Sans surprise,
la Cour de cassation estime qu’une information privilégiée est
notamment celle qui porte sur un décalage significatif entre les
attentes du marché à propos du taux de marge opérationnelle
et ce que savait la société. Il est compréhensible que cette
information est à la fois précise et si elle était publique aurait
une influence sensible sur le cours des titres. Il est possible
de comparer ce chiffre à celui de l’absence de réalisation du
chiffre d’affaires (Dezeuze E., note sous Déc. Comm. sanctions AMF, 9 juin 2009,
Société Parrot, Bull. Joly Bourse 2009, p. 487).
De même, elle précise que cette information avait été communiquée intentionnellement à certains analystes financiers
dans les jours précédant les 5 et 6 octobre 2006 mais qu’elle
n’a pas été diffusée simultanément au public. Le fait que
cette information ait été communiquée à des tiers en vue de
sa diffusion auprès du public n’emporte aucune conséquence
(Angel K. et Martin D., Réflexions sur la mise à disposition du public d’une information
privilégiée, Bull. Joly Bourse 2010, p. 274). Il est à noter que la révélation
par l’émetteur dans les plus brefs délais de toute information
privilégiée recouvre bien un délai de quelques jours. La
Commission sanctionne ce retard sans même relever si cette
annonce a eu un impact effectif et sensible sur le cours.
Enfin, le dernier moyen porte sur le fait qu’il n’y a qu’une
sanction pour deux manquements, ce à quoi répond la Cour
de cassation que la Commission des sanctions de l’AMF
n’est pas tenue de prononcer une sanction distincte pour
chacun des manquements commis. Cette solution avait déjà
été retenue auparavant dans d’autres espèces (CA Paris, pôle 5,
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT DU FINANCEMENT
ch. 5-7, 2 févr. 2010, n° RG : 09/02623, Société Maurel & Prom et a., JCP E 2010, 1253, Bull.
Joly Sociétés 2010, p. 346, § 73, note Schmidt D., RTD com. 2010, p. 395, obs. Rontchevsky N.). Une dernière remarque peut être faite sur les limites
de l’anonymisation des décisions de la Commission des
sanctions de l’AMF car si dans la décision du 10 décembre
2009 aucun nom n’apparaît, il est évident que devant la Cour
de cassation, les mêmes faits et la même procédure ne sont
plus anonymes, cela met en évidence l’aspect très relatif et
ponctuel de ce choix.
Ainsi, la Cour de cassation suit le raisonnement de l’AMF
tout en interprétant les normes réglementaires qui lui sont
soumises. Cela a le mérite d’une certaine unification des
normes applicables sur les marchés financiers mais cette
réglementation des Abus de marché va encore cette année
beaucoup évoluer amenant des incertitudes quant à l’interprétation des textes. ◆
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
35
Par Delphine CHEMIN-BOMBEN
Secrétaire générale de la Rédaction
Lamy droit du financement
RLDA
MARCHÉS FINANCIERS
3917
Obligation d’inscription
en compte des valeurs
mobilières et QPC
L’article L. 211-4, alinéa 5, du Code monétaire
et financier (dans sa rédaction issue de l’ordonnance
n° 2004-604 du 24 juin 2004) qui organise le régime
transitoire des valeurs mobilières émises avant
le 3 novembre 1984 est conforme à la Constitution.
Cons. const., 27 janv. 2012, n° 2011-215, QPC ;
Communiqué Cons. const., 27 janv. 2012
Le 15 novembre 2011, la Cour de cassation a saisi le Conseil
constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du cinquième alinéa de
l’article L. 211-4 du Code monétaire et financier, dans son
ancienne rédaction (cet alinéa a été abrogé par l’ordonnance
n° 2009-15 du 8 janvier 2009 relative aux instruments
financiers).
L’article L. 211-4 a mis fin à la possibilité d’émettre et de
détenir des titres anonymes au porteur (titres sur support
papier) de sociétés par actions. Le cinquième alinéa de cet
article a plus précisément pour objet d’organiser le régime
transitoire des valeurs mobilières émises avant le 3 novembre
1984. Ainsi, cet alinéa prévoit que l’exercice des droits
attachés à la détention de valeurs mobilières émises avant
le 3 novembre 1984 dépend de leur présentation, par leurs
détenteurs, à la société émettrice ou à un intermédiaire
agréé afin qu’il soit procédé à leur inscription en compte.
Ce même alinéa impose aux sociétés émettrices des valeurs
non présentées et qui, par l’effet même de la loi, ne confèrent
plus à leurs porteurs les droits antérieurement attachés, de
vendre celles-ci à compter du 3 mai 1988 et de consigner
le produit de la vente pour qu’il soit distribué aux anciens
détenteurs de ces titres.
Selon le requérant, en imposant aux sociétés émettrices
la vente des valeurs mobilières non présentées en vue de
leur inscription en compte, les dispositions du cinquième
alinéa de l’article L. 211-4 portaient atteinte au droit de
propriété.
Le Conseil constitutionnel, qui a rendu sa décision le 27 janvier
2012, a cependant déclaré cet alinéa conforme à la Constitution
et notamment au droit de propriété garanti par les articles 2
et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
de 1789.
Le Conseil a d’abord rappelé la distinction entre les atteintes au
droit de propriété qui consistent en une privation de propriété
au sens de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme
36
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
(la privation ne peut être justifiée que lorsque la nécessité
publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous
la condition d’une juste et préalable indemnité) et les autres
atteintes au droit de propriété qui relèvent de l’article 2 de
cette même Déclaration (les atteintes doivent être justifiées
par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif
poursuivi).
Puis, après avoir jugé que les dispositions du cinquième
alinéa de l’article L. 211-4 du Code monétaire et financier
ne conduisent pas à une privation de propriété au sens de
l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme, le Conseil
a opéré un contrôle de proportionnalité sur le fondement de
l’article 2 de la Déclaration.
Grâce à ce contrôle, le Conseil a pu relever que :
– la suspension des droits attachés aux titres non inscrits
en compte et la cession ultérieure de ces titres par la société
émettrice poursuivent un but d’intérêt général : lutter contre
la fraude fiscale et réduire le coût de la gestion des valeurs
mobilières ;
– la cession des titres est subordonnée à la carence de
leur détenteur qui, au cours de la période du 3 novembre
1984 au 3 mai 1988, ne les aurait pas présentés à la société
émettrice ou à un intermédiaire habilité afin qu’il soit
procédé à leur inscription en compte. En outre, le produit
de la vente réalisée est consigné jusqu’à sa restitution
éventuelle aux ayants droit. Ainsi, justifié par un motif
d’intérêt général, le cinquième alinéa de l’article L. 211-4
du Code monétaire et financier ne porte au droit de propriété des détenteurs de ces valeurs mobilières aucune
atteinte disproportionnée.
Le Conseil a pu en déduire que le cinquième alinéa de l’article L. 211-4 du Code monétaire et financier est conforme à
la Constitution.
Victoria MAURIES
Lamy droit du financement
➤ Lamy droit du financement 2012, no 893
RLDA
DROIT
DU FINANCEMENT
3918
Critères extra-financiers
pris en compte par les
sociétés de gestion de
portefeuille et information
des souscripteurs
Un décret du 30 janvier 2012 précise la manière
dont les sociétés de gestion de portefeuille doivent
présenter l’information relative à la prise en compte
des critères sociaux, environnementaux
et de qualité de gouvernance (critères dits « ESG »)
dans leur politique d’investissement ainsi
que les supports sur lesquels cette information
doit figurer.
D. n° 2012-132, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
L’article L. 533-22-1 du Code monétaire et financier, introduit par l’ordonnance n° 2011-915 du 1er août 2011 portant
transposition de la directive OPCVM IV, impose aux sociétés
de gestion de portefeuille de mettre à la disposition des
antérieurement prévue par l’article L. 214-12, alinéa 3, du Code monétaire et financier,
créé par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle II »).
Le décret n° 2012-132 du 30 janvier 2012 précise tout d’abord
la manière dont les sociétés de gestion doivent présenter cette
information. Sont ainsi distinguées et listées les informations
relatives à la société de gestion, les informations relatives aux
OPCVM qui prennent simultanément en compte des critères
ESG et les informations relatives aux autres OPCVM (C. mon.
fin., art. D. 533-16-1, I, nouveau).
Ce décret précise ensuite les supports sur lesquels l’information doit figurer. Les informations relatives à la société
de gestion de portefeuille sont présentées de façon aisément
identifiable sur le site Internet de la société de gestion. Les
informations concernant les OPCVM sont, quant à elles,
présentées sur le site Internet de la société de gestion par
OPCVM ou par catégories d’OPCVM et dans le rapport annuel
de chaque OPCVM géré.
Ces informations peuvent être présentées selon un code élaboré par une association professionnelle et, dans ce cas, la
société de gestion doit préciser en préambule le code retenu
(C. mon. fin., art. D. 533-16-1, II, nouveau).
Ce décret précise enfin que les informations devant figurer
sur le site Internet de la société de gestion de portefeuille
sont présentées sur le site au plus tard le 1er juillet 2012 et
que les informations devant figurer dans le rapport annuel
de l’OPCVM sont présentées dans les rapports annuels
relatifs aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2012
(D. n° 2012-132, 30 janv. 2012, art. 2).
• OBSERVATIONS • Sur ce décret, voir aussi dans cette revue,
RLDA 2012/69, n° 3902.
V.M.
➤ Lamy droit du financement 2012, nos 1718, 1856 et 1865
En bref…
Fusion interdite entre Deutsche Börse et
NYSE Euronext
Le 1er février 2012, la Commission européenne a rejeté
le projet de concentration entre Deutsche Börse et
NYSE Euronext car il aurait entraîné la création d’un
quasi-monopole pour les transactions en bourse, à
l’échelon international, sur produits financiers dérivés
européens. Actuellement, les deux plus grandes bourses
au monde pour les transactions sur ces produits financiers sont Eurex, la plate-forme de Deutsche Börse,
et Liffe, exploitée par NYSE Euronext. Elles sont en
concurrence directe et chacune est pour l’autre le principal concurrent. La Commission européenne explique
que ce projet de concentration aurait mis fin à cette
concurrence mondiale et créé un quasi-monopole sur
RLDA
souscripteurs de chacun des OPCVM qu’elles gèrent une
information sur les modalités de prise en compte dans leur
politique d’investissement des critères ESG (cette obligation était
ACTUALITÉS
DROIT DU FINANCEMENT
3919
Précisions sur l’obligation
de création d’un comité
des rémunérations
Un décret du 20 janvier 2012, publié au Journal officiel
du 22 janvier 2012, fixe les seuils imposant la création
d’un comité des rémunérations dans les établissements
de crédit, entreprises d’investissement et sociétés
de capital-risque.
D. n° 2012-67, 20 janv. 2012, JO 22 janv.
L’article L. 511-41-1 A du Code monétaire et financier, créé par
la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et
financière, prévoit l’obligation de constituer un comité spécialisé
en matière de rémunérations au sein des établissements de
crédit, entreprises d’investissement et sociétés de capital-risque
d’une taille supérieure à certains seuils. Ce comité des rémunérations, constitué par l’organe exécutif et comportant une
majorité de membres indépendants, a pour mission d’examiner
annuellement les principes de la politique de rémunération de
l’entreprise, ainsi que les rémunérations accordées aux salariés
dont les activités sont susceptibles d’avoir une incidence significative sur l’exposition aux risques de l’entreprise.
Le décret n° 2012-67 du 20 janvier 2012 fixe à dix milliards
d’euros le seuil de bilan, social ou consolidé, au-delà duquel
s’applique l’obligation de constituer un comité des rémunérations. Ce seuil est le même pour les établissements de crédit
(C. mon. fin., art. D. 511-15 nouveau), les entreprises d’investissement
(C. mon. fin., art. D. 533-1 A nouveau) et les sociétés de capital-risque
(D. n° 2012-67, 20 janv. 2012, art. 3).
Ce décret est entré en vigueur le lendemain de sa publication,
soit le 23 janvier 2012.
V.M.
➤ Lamy droit du financement 2012, n° 5168
plusieurs catégories d’actifs, ce qui aurait pu causer un
préjudice important aux utilisateurs de produits dérivés
ainsi qu’à l’économie européenne dans son ensemble.
Les clients ne pourraient plus profiter d’une concurrence
par les prix et il pourrait aussi y avoir des conséquences
négatives sur l’innovation.
Par ailleurs, les mesures correctives proposées par les
deux sociétés ont été considérées comme insuffisantes
par la Commission européenne.
Communiqué Comm. UE n° IP/12/94, 1er févr. 2012
Rapport du groupe de travail sur les
assemblées générales des sociétés
cotées
Constitué en mai 2011, le groupe de travail de l’AMF sur
les assemblées générales des sociétés cotées présidé
par Olivier Poupart-Lafarge, membre du collège, a publié
son rapport le 7 février 2012. D’une manière générale,
ce groupe de travail qui comprend des experts d’hori-
>
zons divers a relevé une opinion globalement positive
sur le fonctionnement des assemblées générales en
France mais a tout de même formulé des propositions
d’améliorations qui s’adressent directement aux acteurs
concernés, notamment aux sociétés cotées. Ces propositions s’articulent autour de quatre thèmes : le dialogue
entre actionnaires et émetteurs, l’expression du vote,
le bureau de l’assemblée et le vote des conventions
réglementées.
Le rapport est consultable sur le site Internet de l’AMF,
rubrique publications>rapports de groupes de travail.
À l’issue de la consultation publique organisée par
l’AMF, les propositions du groupe qui ne nécessitent
pas d’amendements de textes législatifs ou réglementaires auront vocation à être appliquées sur recommandation de l’AMF et au plus tard à l’occasion des
assemblées qui se tiendront à compter du 1er janvier
2013.
Communiqué AMF, 7 févr. 2012
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
37
3920
Taux de l’intérêt légal
pour 2012
Le décret n° 2012-182 du 7 février 2012 fixe
le taux de l’intérêt légal à 0,71 % pour l’année 2012.
D. n° 2012-182, 7 févr. 2012, JO 8 févr.
Ce décret, pris en application des articles L. 313-2 et L. 313-3
du Code monétaire et financier, fixe le taux d’intérêt officiel
de référence sur la base de la moyenne arithmétique des
douze dernières moyennes mensuelles des taux de rendement
actuariel des adjudications de bons du Trésor à taux fixe à
treize semaines. Alors qu’il était fixé à 0,38 % pour l’année
2011, le taux est remonté à 0,71 % pour l’année 2012.
Il est rappelé que ce taux de l’intérêt légal est utilisé en matière
fiscale pour le calcul d’intérêts moratoires et d’intérêts créditeurs. Il est également appliqué en l’absence de stipulations
conventionnelles pour le calcul des intérêts moratoires en cas
de retard dans le paiement d’une dette. En outre, il s’apprécie
avec une majoration de cinq points en cas de condamnation
par une décision de justice.
V.M.
En l’espèce, comme il s’agissait simplement de la condamnation en justice de la caution au paiement, celle-ci ne pouvait
demander l’application de l’alinéa en question.
V.M.
➤ Lamy droit du financement 2012, n° 3782
INSTRUMENTS DE PAIEMENT
ET DE CRÉDIT
RLDA
RLDA
CRÉDITS ET GARANTIES
3922
Immatriculation des
intermédiaires en opérations
de banque, des CIF
et des agents liés
Le décret n° 2012-100 du 26 janvier 2012, pris en
application de l’article 36 de la loi n° 2010-1249 du
22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière,
précise les règles d’immatriculation sur un registre
unique des intermédiaires en opérations de banque
et en services de paiement, des conseillers en
investissements financiers (CIF) et des agents liés.
D. n° 2012-100, 26 janv. 2012, JO 28 janv.
RLDA
➤ Lamy droit du financement 2012, nos 3267 et 3279
3921
Caution personne physique
et minimum de ressources
La chambre commerciale de la Cour de cassation
précise, dans un arrêt du 31 janvier 2012,
à quel moment une caution peut invoquer
les dispositions de l’article 2301, alinéa 2,
du Code civil.
Cass. com., 31 janv. 2012, n° 10-28.236, P+B
L’article 2301, alinéa 2, du Code civil prévoit qu’« en toute
hypothèse, le montant de la dette résultant du cautionnement, ne peut avoir pour effet de priver la personne physique
qui s’est portée caution, d’un minimum de ressources fixé à
l’article L. 331-2 du Code de la consommation ».
En l’espèce, une caution solidaire condamnée par les juges
du fond au paiement d’une certaine somme à la banque
créancière leur reproche, dans son pourvoi, d’avoir déclaré
inapplicable cet alinéa.
La Cour de cassation, pour rejeter le pourvoi de la caution,
explique que « la dernière phrase de l’article 2301 du Code civil,
qui ne distingue pas selon que le cautionnement est simple
ou solidaire, a pour seul objet de préciser les conditions dans
lesquelles s’effectue le recouvrement de la créance résultant du
cautionnement donné par une personne physique ». Autrement
dit, l'article 2301, alinéa 2, est applicable à toutes les cautions
personnes physiques mais il ne peut être invoqué par ces dernières pour leur défense que dans le cas où le créancier leur
demande l’exécution de la condamnation (mise en œuvre du
recouvrement) et non lors du prononcé de celle-ci par les juges.
38
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
Ce décret définit tout d’abord le rôle et les compétences de l’Organisme pour le registre des intermédiaires en assurance (ORIAS).
Cet organisme est chargé de l’établissement, de la tenue et de la
mise à jour du registre unique des intermédiaires. À cette fin, il
reçoit les dossiers de demandes d’immatriculation et statue sur
ces demandes. Le cas échéant, il procède à la radiation du registre
ou à la suppression de l’inscription. Il comprend en son sein une
commission chargée des immatriculations qui vérifie que sont
remplies les conditions d’accès à l’activité d’intermédiation et notamment des conditions d’honorabilité (C. mon. fin., art. R. 546-1 nouveau).
Afin de vérifier si ces conditions d’honorabilité sont remplies,
l’ORIAS doit demander communication du bulletin n° 2 du casier
judiciaire de la personne intéressée (C. mon. fin., art. R. 546-5 nouveau).
Ensuite, le décret précise les formalités à accomplir pour une
immatriculation sur le registre unique. Ainsi, afin de demander leur immatriculation sur le registre unique, les personnes
concernées doivent constituer un dossier justifiant de la réunion
des conditions d’accès aux activités en cause. Le contenu de
ce dossier est fixé par arrêté du ministre de l’Économie. Il est
précisé que cet arrêté doit tenir compte le cas échéant des procédures d’immatriculation équivalentes existant dans d’autres
États membres de l’Union européenne ou États parties à l’accord
sur l’Espace économique européen. L’immatriculation et l’inscription sont effectuées dans un délai maximum de deux mois
à compter de la date de la réception par l’ORIAS d’un dossier
complet. L’ORIAS doit notifier au demandeur une attestation
comportant son numéro d’immatriculation au registre et la date
de l’enregistrement. Cette immatriculation doit être renouvelée
chaque année selon des modalités fixées par arrêté du ministre
de l’Économie. Les personnes immatriculées doivent informer
l’ORIAS de toute modification des informations les concernant
et de tout événement pouvant avoir des conséquences sur leur
inscription. L’information doit être transmise dans le mois qui
précède l’événement ou, quand il ne peut être anticipé, dans
le mois qui suit (C. mon. fin., art. R. 546-2 et R. 546-3 nouveaux).
Le décret met aussi en place des procédures simplifiées pour
les personnes déjà inscrites sur des fichiers professionnels
(D. n° 2012-100, 26 janv. 2012, art. 2).
Enfin, il prévoit des mesures de coordination avec les dispositions du Code des assurances relatives à l’immatriculation
des intermédiaires d’assurance (D. n° 2012-100, 26 janv. 2012, art. 3).
Ce texte entrera en vigueur le jour de la mise en place du
registre unique des intermédiaires. Ce jour sera fixé par arrêté
du ministre de l’Économie. Toutefois, les dispositions relatives
aux intermédiaires en assurance et certaines dispositions
relatives au rôle des associations de conseillers en investissements financiers en matière de contrôle entrent en vigueur
le 1er avril 2012.
• OBSERVATIONS • Pour plus de détails sur ce décret, cf. l’éclairage
d’Étienne Gruner à paraître dans le prochain numéro de la Revue Lamy
Droit des affaires (RLDA 2012/70).
V.M.
RLDA
➤ Lamy droit du financement 2012, nos 1020, 1786, 1787 et 3151 et s.
3923
Régime des intermédiaires
en opérations de banque
et en services de paiement
Le décret n° 2012-101 du 26 janvier 2012, pris en
application de l’article 36 de la loi n° 2010-1249 du
22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière,
détaille le régime applicable aux intermédiaires en
opérations de banque et en services de paiement
(IOBSP).
D. n° 2012-101, 26 janv. 2012, JO 28 janv.
Ce décret définit tout d’abord le statut d’IOBSP (C. mon. fin.,
art. R. 519-1, nouveau) puis précise son champ d’application. Certaines exemptions sont prévues, notamment pour les personnes offrant des services d’intermédiation en opérations
de banque et en services de paiement qui constituent un
et aussi...
Accord européen sur la régulation
des produits dérivés
Le 9 février 2012, le Parlement européen, les 27 États
membres et la Commission européenne ont enfin trouvé
un accord sur les nouvelles règles relatives à la régulation
financière des produits dérivés. Rappelons que la Commission européenne avait présenté le 15 septembre
2010 son projet de règlement destiné à améliorer la
transparence et la sécurité du marché des produits dérivés
de gré à gré (Communiqué Comm. UE n° IP/10/1125, 15
sept. 2010). Il aura donc fallu attendre presque dix-huit
mois pour arriver à un accord sur le règlement proposé.
Ce texte impose que toute l’information relative aux
transactions sur les produits dérivés échangés en Europe
soit collectée par des registres centraux de données
complément aux produits ou services fournis dans le cadre
de leur activité professionnelle, lorsque le nombre total des
opérations de banque ou de services de paiement ou le montant total des crédits octroyés ou des services de paiement
fournis ou réalisés par leur intermédiaire chaque année civile
n’excèdent pas certains seuils fixés par arrêté du ministre de
l’Économie (C. mon. fin., art. R. 519-2, nouveau).
Le décret répartit ensuite les IOBSP en quatre catégories
en fonction de l’existence et de la nature des liens qu’ils
entretiennent avec les établissements de crédit ou de paiement
(C. mon. fin., art. R. 519-4, I, nouveau) :
– les courtiers en opérations de banque et en services de
paiement qui exercent l’intermédiation en vertu d’un mandat
du client, à l’exclusion de tout mandat d’un établissement de
crédit ou d’un établissement de paiement, et qui ne sont pas
soumis à une obligation contractuelle de travailler exclusivement avec un établissement de crédit ou un établissement
de paiement ;
– les mandataires exclusifs en opérations de banque et en services de paiement, qui exercent l’intermédiation en vertu d’un
mandat d’un établissement de crédit ou d’un établissement
de paiement et qui sont soumis à une obligation contractuelle
de travailler exclusivement avec l’un de ces établissements
pour une catégorie déterminée d’opérations de banque ou de
services de paiement ;
– les mandataires en opérations de banque et en services
de paiement qui exercent l’intermédiation en vertu d’un ou
plusieurs mandats non exclusifs délivrés par un ou plusieurs
établissements de crédit ou établissements de paiement ;
– les mandataires d’intermédiaires en opérations de banque
et en services de paiement, qui exercent l’intermédiation
en vertu de mandats des personnes mentionnées aux trois
catégories précitées.
Le décret soumet enfin tous les IOBSP à des obligations de
capacité professionnelle, d’assurance de responsabilité professionnelle ou de garantie financière ainsi qu’à des règles
de bonne conduite, modulées en fonction de la catégorie à
laquelle ils appartiennent (C. mon. fin., art. R. 519-6 à R. 519-26, nouveaux).
Des règles supplémentaires sont applicables aux courtiers en
opérations de banque et en services de paiement et à leurs
mandataires (C. mon. fin., art. R. 519-27 à R. 519-31, nouveaux).
>
(« référentiels centraux ») afin de les rendre accessible
à l’ensemble des autorités de supervision.
Le texte impose également que l’ensemble des produits
dérivés standardisés soient compensés par des contreparties centrales afin de réduire le risque de défaillance
de l’une des parties.
Le Parlement européen doit maintenant voter le règlement en session plénière puis le Conseil devra l’approuver formellement.
Communiqué Parl. UE, 10 févr. 2012
Du nouveau pour la lutte contre
le blanchiment de capitaux et
le financement du terrorisme
Le Groupe d’action financière (GAFI), en charge de
l’élaboration des normes internationales en matière de
lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement
du terrorisme, a révisé ses recommandations appliquées
dans plus de 180 pays pour combattre ces crimes.
ACTUALITÉS
DROIT DU FINANCEMENT
Les recommandations révisées vont permettre aux
autorités des différents pays de mener des actions
plus efficaces à tous les niveaux, de l’identification des
clients des banques, aux enquêtes, aux poursuites et à
la confiscation des biens.
Parmi les principaux changements, on peut relever
notamment que :
– le champ des infractions sous-jacentes au blanchiment de capitaux a été élargi aux infractions fiscales
pénales ;
– des mesures visent à rendre la coopération internationale plus efficace en particulier concernant l’échange
d’informations entre les autorités concernées ou la
conduite d’enquêtes conjointes ;
– des mesures concernent la lutte contre le financement
de la prolifération des armes de destruction massive ;
– des obligations plus exigeantes sont formulées vis-à-vis
des personnes politiquement exposées.
Communiqué GAFI, 16 févr. 2012
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
39
> Objet et structure de la
procédure QPC :
Le champ d’application de la
QPC • Les juges de la QPC
”
> Le procès de la question :
L’instruction de la question
• L’appréciation de la
transmission et du renvoi de la
question - Le filtrage
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> Le jugement de la loi :
Le déroulement de la
procédure devant le Conseil
constitutionnel • L’office du
Conseil constitutionnel
Auteur : Mathieu DISANT I
424 pages
48 €
www.lamyaxedroit.fr
Mme
Mlle
M.
002579 075
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Une analyse exhaustive
et détaillée du dispositif
Sous la direction scientifique de Roger BOUT, Agrégé des Facultés de droit, Professeur émérite de l’Université
Paul Cézanne, Aix-Marseille III, Marc BRUSCHI, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’Université Paul Cézanne,
Aix-Marseille III, Monique LUBY, Professeur à l’Université de Pau et Sylvaine POILLOT-PÉRUZZETTO,
Agrégée des Facultés de droit, Professeur à l’Université des Sciences sociales de Toulouse I.
Par Martin
i
POULIOT (1)
Enseignant
à Sciences-Po Paris
Les lignes directrices concernant
les aides d’État à finalité
régionale : une première
révision à l’épreuve de la crise
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT ÉCONOMIQUE
L’ouverture, le 24 janvier 2012, par la Commission européenne de sa consultation publique sur
la révision des règles applicables aux aides d’État à finalité régionale est l’occasion de revenir
sur les enjeux de cette révision et d’identifier les points les plus susceptibles de soulever des
difficultés dans les négociations avec les 27 États membres.
Et Timothée
i hé
GIARD
RLDA
Avocat aux barreaux de
Paris et Madrid
GATE AVOCATS
Comm. UE, Consultation publique sur la révision des règles de l’Union européenne
relatives aux aides d’État à finalité régionale, 24 janv. 2012
3924
Une importance majeure
Depuis la création des Communautés, le contrôle des aides
d’État demeure une compétence exclusive de la Commission européenne. C’est à elle qu’appartient véritablement
le droit d’initiative tout comme celui d’approuver ou de
déclarer incompatibles avec les règles européennes de
concurrence les subventions publiques aux entreprises
ayant fait l’objet d’une notification préalable par les États
membres concernés.
Parmi ces aides d’État soumises au contrôle de la Commission,
celles octroyées par les États membres au titre de la finalité
régionale occupent une place toute particulière et ce, pour
plusieurs raisons. Au vu, tout d’abord, des montants en jeu.
À l’échelle de l’Union européenne (UE), environ quatorze
milliards d’euros d’aides d’État sont octroyés annuellement
au titre de la finalité régionale, soit un quart du montant
total des aides d’État. Rien qu’en France, ces aides s’élèvent
à un peu plus de quatre milliards, dont 90 % sont destinées
à l’Outre-mer. Au vu également de leur importance structurante pour l’Union. Ces aides visent en effet à favoriser le
développement économique des régions désavantagées en
soutenant l’investissement et la création d’emplois et, partant,
à améliorer la cohésion économique, sociale et territoriale des
États membres et de l’UE. Ces aides comportent donc une
dimension politique forte.
Un contexte politique et économique sensible
Les règles régissant les aides d’État à finalité régionale arrivent
prochainement à expiration. À cette occasion, il appartient
à la Commission de procéder à un bilan de l’application de
ces règles et d’en tirer les conséquences pour l’adoption de
nouvelles lignes directrices. Or, cette révision se déroule dans
un contexte très particulier de double crise : crise économique
et crise des dettes publiques.
Certaines régions européennes sont en effet très sérieusement
affectées par la crise économique et l’écart les séparant des
régions les plus prospères se creuse. Selon les dernières
données publiées par Eurostat, le fossé est profond entre les
régions les plus touchées par le chômage – comme l’Andalousie (28 % de taux de chômage), les Canaries (28,7 %)
ou encore la Réunion (28,9 %) – et celles où règne le plein
emploi, comme Zeeland, aux Pays-Bas (taux de chômage de
2,7 %) ou les régions le long de l’arc alpin (Unemployment in the EU
27 in 2010, « Regional unemployment rates ranged from 2.7 % in Zeeland and Bolzano/
Bozen to 28.9 % in Réunion », Eurostat, 171/2011, 24 nov. 2011). La situation des
régions désavantagées rend ainsi plus que nécessaire une
intervention accrue des pouvoirs publics, notamment sous
la forme de soutiens financiers.
Or, face à ces besoins accrus, les ressources publiques à
disposition des États membres se font elles de plus en plus
rares. Le risque existe à cet égard que le marché intérieur ne >
(1) Les jugements et opinions exprimés dans cet article n'engagent que l'auteur et ne sauraient en aucune manière engager les institutions auxquelles il pourrait appartenir.
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
41
L E S L I G N E S D I R E C T R I C E S C O N C E R N A N T L E S A I D E S D ’ É TAT À F I N A L I T É R É G I O N A L E :
U N E P R E M I È R E R É V I S I O N À L’ É P R E U V E D E L A C R I S E
se fragmente ; il est donc essentiel que l’octroi d’aides soit
limité aux projets pour lesquels le soutien public est véritablement nécessaire.
La Commission devra donc dans ces conditions parvenir à
trouver un point d’équilibre permettant tout à la fois de soutenir les régions les plus défavorisées dans le contexte de crise
économique tout en limitant les distorsions de concurrence
au sein du marché intérieur et en veillant à ce que tous les
États membres soient en mesure de soutenir équitablement
leur économie.
Au-delà, la révision des Lignes directrices à finalité régionale
(JOUE 4 mars 2006, n° C 54) ne peut être traitée isolément et doit être
appréhendée dans le contexte de la révision d’autres règles
applicables au contrôle des aides d’État (telles que celle du
règlement général d’exemption par catégorie ou du règlement
de minimis). Elle s’inscrit dans une révision de plus large
amplitude et doit nécessairement anticiper les modifications à
venir. Ayant lieu légèrement plus tôt que les autres révisions,
elle est donc intéressante à ce titre également.
I.– LE RÉGIME ACTUEL DES AIDES D’ÉTAT À FINALITÉ
RÉGIONALE
Les aides d’État à finalité régionale sont celles dont l’évaluation de compatibilité avec les règles de concurrence repose
nécessairement sur :
– les articles 107 (3) (a) et (c) du TFUE,
– les lignes directrices concernant les aides d’État à finalité
régionale ou
– la section I du chapitre II du règlement général d’exemption
par catégorie (JOUE 9 août 2008, n° L 214).
Elles sont caractérisées par une dimension géographique les
distinguant des autres formes d’aides d’État. Les plafonds
d’aides autorisés sont proportionnels à la gravité des problèmes affectant le développement des régions concernées
et l’on discerne deux types de régions admissibles aux aides
régionales (régions peu élégamment désignées dans le jargon
communautaire comme régions « assistées ») :
– les régions où le PIB/habitant est inférieur à 75 % de la
moyenne de l’UE ou régions « a » (TFUE, art. 107 (3) (a)), et
– les régions défavorisées par comparaison à la situation
observée au niveau national ou régions « c » (TFUE, art. 107 (3) (c)).
Les cartes nationales des aides régionales qui délimitent ces
régions assistées et fixent les montants maximaux de l’intensité des aides (l’intensité étant le ratio « montant des aides /
coûts admissibles du projet d’investissement ») sont notifiées
par les États membres, puis approuvées par décision de la
Commission. Si la détermination des régions « a » est automatique – puisque s’appréciant au regard du seuil objectif de
75 % –, les États membres disposent d’une certaine marge
de manœuvre quant à la désignation des régions « c » dans le
respect des limites fixées en termes de couverture maximale
de population.
Les aides régionales n’étant pas sectorielles, tous les types d’activité économique peuvent en bénéficier, sauf ceux considérés
comme sensibles (les fibres synthétiques et la sidérurgie) ou
ceux régis par des règles spécifiques (l’agriculture, la pêche,
l’industrie charbonnière, les transports et la construction
navale).
Les grands projets d’investissement (ceux dont les dépenses
admissibles dépassent 50 millions d’euros) font l’objet de
notifications individuelles, si les aides proposées dépassent le
montant maximal auquel pourrait prétendre un investissement
de 100 millions d’euros après correction (le mécanisme de correction
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R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
prévoit que le montant maximum des aides = R x [50 + 0,50 x B + 0,34 x C], où R est le
plafond régional des aides non corrigé, B la tranche des dépenses admissibles comprise entre
50 et 100 millions d’euros, et C la tranche des dépenses admissibles dépassant 100 millions
d’euros). Les seuils de notification individuelle (exprimés en
millions d’euros) sont présentés ci-dessous pour les régions
avec les intensités d’aides les plus communes :
Plafonds des aides
(intensités maximales 10 % 15 % 20 % 30 % 40 % 50 %
suivant les régions)
Seuils de notification
individuelle
7,5
11,25
15
22,5
30
37,5
Si le bénéficiaire d’aides notifiées individuellement réalise
plus de 25 % des ventes du produit concerné par le projet
d’investissement sur le marché considéré ou, si la capacité
créée par le projet représente plus de 5 % du marché alors
que ce marché présente un taux de croissance annuel moyen
inférieur au taux de croissance annuel moyen du PIB de l’Espace économique européen, alors la Commission doit ouvrir
une procédure formelle d’examen.
Cette procédure vise à contrôler que les aides octroyées sont
bien nécessaires pour produire un effet incitatif et que les
bénéfices conférés par ces aides (notamment en termes de
développement régional) l’emportent sur les distorsions de
concurrence et les effets sur le commerce intra-communautaire
qu’elles entraînent. Il s’agit d’une démarche contrefactuelle
cherchant notamment à vérifier que les aides sont limitées
au minimum nécessaire (contrôle de proportionnalité) et
que l’investissement n’aurait pas eu lieu dans une région
comparable sans bénéficier d’aides ou qu’elles n’entraînent
pas une simple délocalisation d’une activité existante d’une
région vers une autre.
II.– LA RÉVISION À VENIR DES LIGNES DIRECTRICES
SUR LES AIDES D’ÉTAT À FINALITÉ RÉGIONALE
Un calendrier serré dans un contexte difficile
Les Lignes directrices actuelles arrivant à échéance le 31 décembre 2013, les nouvelles règles devront être adoptées par la
Commission avant le printemps 2013, afin que les cartes des
régions « assistées » notifiées par les États membres puissent être
approuvées à temps pour entrer en vigueur le 1er janvier 2014.
Durant ce processus, les États membres devraient encore être
consultés lors d’une réunion multilatérale à l’automne 2012.
Lorsque les Lignes directrices actuelles ont été adoptées en
2005, le principal défi était celui de la prise en considération
de l’élargissement de l’UE à 12 nouveaux États membres économiquement moins favorisés. Aujourd’hui, la révision des
Lignes directrices à finalité régionale se déroule cette fois dans
un contexte économique de crise dont la dimension régionale
ne peut être éludée. En effet, si, de manière générale, besoins
en financements publics et ressources disponibles connaissent
des croissances inversées, tous les États membres ne sont
pas affectés de la même manière et ce, aussi bien par la crise
économique que par la crise des dettes publiques.
On peut s’attendre à ce que les pays les plus sérieusement
touchés mettent en avant certaines revendications spécifiques
telles que des clauses de révision plus fréquentes (les Lignes directrices actuelles n’en prévoit qu’une à mi-parcours, cf. pt. 104), des dérogations
temporaires ou encore des ajustements techniques (tels que la
prise en compte de nouveaux indicateurs socio-économiques).
Les modalités d’application des aides régionales
Il est également peu vraisemblable que la notion de « projet
d’investissement initial » (création, extension, diversification
ou changement fondamental du processus de production d’un
établissement) soit modifiée ou que la nature des dépenses
admissibles (coûts d’investissement ou coûts salariaux liés
aux emplois créés par le projet) soit retouchée.
De même, les autres dispositions générales (maintien de
l’investissement dans la région considérée pour une période
minimum de cinq ans après son achèvement et contribution
financière d’au moins 25 % des coûts admissibles apportée
par le bénéficiaire) devraient demeurer en l’état. En effet, ces
points ne semblent pas soulever d’objections particulières de
la part des différents acteurs.
Quant au champ d’application sectorielle, les secteurs considérés comme sensibles (les fibres synthétiques et la sidérurgie)
pourraient faire l’objet d’une reconsidération, mais les activités
économiques régies par des règles spécifiques (l’agriculture,
la pêche, l’industrie charbonnière et les
transports) devraient rester exclues des
futures Lignes directrices.
En revanche, il ne serait pas surprenant
des Lignes
que les plafonds des aides (les intensidirectrices pourrait aboutir
Les principaux enjeux de la
tés maximales) ainsi que les seuils de
in fine à une baisse de la
révision des Lignes directrices
notification individuelle soient revus
population européenne
à la baisse. De même, le mécanisme
Les règles de détermination
couverte par les aides
de correction concernant les grands
des cartes
d’État à finalité régionale.
projets d’investissement pourrait être
La couverture de population des Lignes
rendu plus strict. En effet, la création
directrices (le ratio « population vivant
de surcapacités de production dans les
dans des régions assistées / population
régions assistées (notamment dans les
totale de l’UE ») ne doit pas excéder 50 % (il est actuellement
secteurs de la construction automobile, de l’industrie papetière
de 46.6 %). Une clé de distribution permet de répartir entre
et de la production de panneaux photovoltaïques) incite à
États membres la couverture de population restante une fois
aller dans cette direction. Par ailleurs, réduire les aides perles régions « a » identifiées. Précisons que ce quota national de
mettrait d’éviter que le marché intérieur ne se fragmente et
population sera d’autant plus grand que la situation socioécoque les États membres les plus affectés par la crise des dettes
nomique nationale sera mauvaise. Ce quota est ensuite utilisé
publiques (c’est-à-dire, dont la capacité à subventionner les
par les États membres pour délimiter leurs régions « c » sur la
projets d’investissements s’implantant sur leur territoire a été
base de critères objectifs, puis chaque État membre notifie sa
fortement réduite) demeurent en mesure de soutenir leur écocarte à la Commission.
nomie à des niveaux comparables aux autres États membres.
La révision des Lignes directrices pourrait aboutir in fine à
Enfin, on relèvera que dans son étude d’impact de la propoune baisse de la population européenne couverte par les aides
sition de règlement concernant les dispositions relatives au
d’État à finalité régionale. Plusieurs raisons à cela. On observe
Fonds européen de développement régional, au Fonds social
tout d’abord une baisse significative du nombre de régions
européen et au Fonds de cohésion (SEC (2011) 1139 final, <http://eur« a » en raison du développement économique significatif de
lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do ? uri=SEC : 2011 : 1139 : FIN : FR : PDF>), la
ces dernières. En pratique, les écarts de développement entre
Commission envisage de privilégier les petites et moyennes
régions européennes en valeur absolue ont eu tendance à se
entreprises (PME). La nécessité des aides est pour celles-ci
réduire au cours des dernières années, diminuant de ce fait les
généralement avérée, en raison notamment des difficultés
populations éligibles. En outre, plutôt qu’un saupoudrage sur un
d’accès au financement sur le marché de l’investissement
nombre étendu de régions, la Commission est en faveur de moins
qu’elles rencontrent. Par ailleurs, le ratio « emplois créés /
d’aides, mais mieux orientées, vers les régions les plus en diffiaides octroyées » y est supérieur que dans le cas des grandes
culté (cf. le plan d’action de la Commission dans le domaine des aides d’État, COM (2005)
entreprises. Enfin, les aides aux grandes entreprises sont plus
à même d’entraîner des distorsions de concurrence que les
107 final). On peut donc s’attendre à une baisse de la couverture
aides aux PME. Aussi, la Commission pourrait-elle envisager
de la population « c » existante. En effet, il serait difficilement
d’exclure les grandes entreprises du champ des bénéficiaires
envisageable que la population « c » existante augmente, alors
des futures Lignes directrices.
que la population « a » diminue et que c’est précisément cette
dernière qui a le plus besoin de soutien public. Un tel choix
Les critères d’évaluation des projets
serait en contradiction avec l’objectif affiché de la Commission
d’investissement faisant l’objet d’une obligation
d’« aides d’État moins nombreuses et mieux ciblées ».
de notification individuelle
En revanche, toucher à la clé de répartition des quotas de
Afin de mieux contrôler les aides faussant le plus la concurpopulation reviendrait à ouvrir une boite de Pandore. Chacun
rence, la Commission pourrait proposer de baisser les seuils
des 27 États membres saisirait alors l’occasion pour proposer
de notification individuelle, mais aussi les seuils déclenchant
une nouvelle formule maximisant son propre quota national
l’ouverture de la procédure formelle d’examen. Plus de cas >
de population « c ».
Il sera alors intéressant de voir quelles positions la Commission adoptera. D’aucuns plaident pour un assouplissement
des critères et des contrôles dans le contexte actuel de crise
économique. Le précédent des mesures de soutien au secteur
financier adoptées par les États membres au plus fort de la
tempête de 2009, au prix d’une certaine souplesse – temporaire
et malgré tout encadrée – dans l’application des règles par la
Commission, reste dans toutes les têtes.
Tous ces sujets devraient faire l’objet d’intenses discussions
entre les services de la Commission et les parties prenantes
concernées. Les groupements d’intérêts – beaucoup de régions
européennes disposent d’une représentation à Bruxelles – sauront se montrer imaginatifs sur ces points et les États membres
sauront relayer efficacement certaines de leurs revendications.
Outre ces discussions entre Commission et États membres, la
dimension politique de cette révision devrait également s’exprimer dans le cadre de discussions entre institutions européennes.
La révision des Lignes directrices à finalité régionale devrait ainsi
susciter l’intérêt de certains eurodéputés
dans le contexte de revalorisation du
rôle du Parlement européen ainsi que
du Comité des régions.
La révision
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT ÉCONOMIQUE
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L E S L I G N E S D I R E C T R I C E S C O N C E R N A N T L E S A I D E S D ’ É TAT À F I N A L I T É R É G I O N A L E :
U N E P R E M I È R E R É V I S I O N À L’ É P R E U V E D E L A C R I S E
Que peut-on espérer de la révision des Lignes
directrices ?
Les États membres semblent globalement satisfaits des Lignes
directrices actuelles qui leur laissent notamment une forte
latitude dans l’octroi des aides. Il s’agit d’un outil de première
importance pour soutenir leurs politiques de soutien aux régions assistées qui sont aussi souvent les plus affectées par la
crise actuelle. Il est donc peu probable qu’ils favorisent une
modification en profondeur de ce texte.
Cependant, la Commission pourrait saisir l’occasion de la
révision pour aller plus loin dans l’application de son objectif
« moins aides d’État mais mieux ciblées ». Elle pourrait aussi
chercher à concentrer son travail de contrôle sur les cas les
plus susceptibles de fausser le plus la concurrence au sein
du marché intérieur. Pour cela, la Commission pourrait
envisager plusieurs propositions : réduire les montants
maximaux de l’intensité des aides, limiter la couverture de
population (et donc, le nombre de régions admissibles) ou
encore baisser les seuils de notification individuelle, mais
aussi les seuils déclenchant l’ouverture de la procédure
formelle d’examen.
Statu quo contre volonté de réforme, les négociations bruxelloises ne font que commencer. ◆
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44
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
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feraient alors l’objet d’une décision de la Commission. La
vérification des trois aspects suivants en serait largement
renforcée, permettant ainsi de mieux s’assurer de l’effectivité
des aides régionales :
– Les aides sont-elles nécessaires pour produire un effet
incitatif ?
– Les aides sont-elles proportionnelles (en d’autres termes,
sont-elles limitées au minimum nécessaire pour modifier le
projet d’investissement du bénéficiaire, c’est-à-dire proportionnelles aux handicaps qu’elles visent à pallier afin que
l’investissement soit réalisé dans une région assistée donnée) ?
– Les aides sont-elles bénéfiques (les avantages conférés par les
aides l’emportent-ils sur les distorsions de concurrence et les effets sur le commerce intra-communautaire qu’elles entraînent) ?
Par Michaël
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COUSIN
Avocat à la Cour
Et Christophe
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LEMAIRE
RLDA
Avocat à la Cour
Maître de conférences
à l’Ecole de droit
de la Sorbonne
Conformité et non-contestation
des griefs : l’AdlC précise
les outils de gestion du risque
concurrentiel par les entreprises
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT ÉCONOMIQUE
L'Autorité de la Concurrence a publié le 10 février 2012 un communiqué de procédure
relatif à la non-contestation des griefs et un document-cadre sur les programmes
de conformité. Ces textes améliorent la transparence des outils de gestion du risque
concurrentiel, que ce soit à titre préventif, en amont de tout contentieux, ou à titre curatif,
après une notification des griefs. Sont-ils toutefois suffisamment incitatifs pour les entreprises ?
Aut. conc., 10 févr. 2012, Communiqué de procédure relatif à la non-contestation des griefs ;
Aut. conc., 10 févr. 2012, Document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence
3925
A
près la publication, le 16 mai 2011, de son
communiqué sur le calcul des sanctions
pécuniaires, l’Autorité de la concurrence
(« AdlC ») poursuit le développement des
outils de soft law qui précisent et encadrent sa politique de mise en œuvre du droit de la concurrence. À l’issue d’une consultation publique organisée entre
octobre et décembre 2011, elle a publié le 10 février 2012
deux textes venant détailler certains leviers permettant aux
entreprises d’anticiper et de maîtriser les risques de sanctions
pour infractions au droit de la concurrence.
Le premier de ces textes est un document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence. Il s’agit
d’un « recueil de bonnes pratiques » qui s’inscrit dans une
logique d’advocacy pédagogique et préventive. On verra toutefois qu’il n’est pas dénué d’effets sur certains aspects de la
mise en œuvre des règles de concurrence par l’AdlC. C’est
pourquoi cette dernière prend le soin de préciser qu’il lui est
opposable (pt. 6). Si cette publication vient après celle, par la
Commission européenne, d’un document ayant un objectif
similaire (Compliance matters – What companies can do better to respect EU competition rules, disponible sur le site Internet de la DG Comp, nov. 2011), elle trouve sa
source dans une démarche initiée il y a déjà plus de quatre
ans. On se souvient que l’AdlC avait lancé en 2008 une vaste
réflexion sur le thème de la conformité en commandant une
étude à un cabinet d’économistes. La remise de ces travaux
avait convaincu son président que la conformité était un « pari
gagnant » pour les entreprises (cf. les actes du colloque du 15 septembre 2008,
La culture de conformité, nouvel horizon du droit de la concurrence ? RLC 2009/19, n° 1384).
Le second document publié le 10 février est un communiqué de
procédure relatif à la non-contestation des griefs. Il vient préciser
les conditions dans lesquelles les entreprises peuvent bénéficier,
au stade de la notification des griefs, du mécanisme d’inspiration
transactionnelle prévu par l’article L. 464-2 III du Code de commerce. L’AdlC précise que ce document a valeur de directive au
sens du droit administratif et engage donc celle-ci (pt. 10).
Dans la logique de transparence qui avait présidé à l’adoption
de son communiqué sur la détermination des sanctions pécuniaires (cf. sur ce point Cousin M., Chère transparence… Réflexions sur le communiqué
de l’AdlC relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, RLDA 2011/62,
n° 3546), l’AdlC précise le « continuum » formé par l’ensemble des
outils alternatifs ou complémentaires à la sanction des pratiques
anticoncurrentielles (Lasserre B., La non contestation des griefs en droit français de
la concurrence : Bilan et perspectives d’un outil pionnier, Concurrences 2-2008, p. 93, pt. 27).
Ce faisant, elle entend aider les entreprises à prendre, en amont
de toute procédure, les mesures nécessaires pour éviter l’infraction (I.) et, lorsqu’elles sont destinataires de griefs, celles
qui peuvent les aider à atténuer la rigueur de la sanction (II.).
Comme nous le verrons, un constat similaire se dégage de ces
deux textes. Si l’AdlC attend beaucoup des entreprises, elle se
montre moins ambitieuse quant aux incitations qui leur sont faites
à s’engager dans une démarche de prévention ou de transaction.
I.– LA GESTION PRÉVENTIVE DU RISQUE :
UNE PÉDAGOGIE PLUS DIRECTIVE QU’INCITATIVE
Le document-cadre publié par l’AdlC est le fruit d’une synthèse
de la pratique décisionnelle de l’AdlC en matière de conformité,
développée dans le cadre de la négociation d’engagements en
matière de non-contestation des griefs. Elle reflète également
les « bonnes pratiques » relevées au niveau international ainsi
que la « réflexion plus générale à ce sujet » de l’AdlC (pt. 6). Dans
un souci pédagogique, l’AdlC a détaillé avec soin le contenu de
ce qu’elle estime être un programme de conformité efficace. La
voie ainsi tracée par l’AdlC est toutefois contraignante pour les
entreprises (A.), ce qui conduit à s’interroger sur les incitations
qui leur sont faites à s’y engager (B.).
A.– Des figures imposées plutôt qu’un
programme libre
Comme le souligne le document-cadre, les programmes de
conformité au droit de la concurrence s’inscrivent le plus
souvent dans un engagement global de respect des normes de
la part de l’entreprise, engagement qui dépasse bien souvent
le cadre strict du droit de la concurrence. Ils poursuivent en
substance un triple objectif : à la simple prévention des comportements non conformes s’ajoutent leur nécessaire détection
et leur traitement rapide.
>
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C O N F O R M I T É E T N O N - C O N T E S TAT I O N D E S G R I E F S : L’ A D L C P R É C I S E L E S O U T I L S D E G E S T I O N D U R I S Q U E C O N C U R R E N T I E L
PA R L E S E N T R E P R I S E S
Du point de vue de l’AdlC, la réunion de ces trois éléments est
programmes gagnant au contraire à être adaptés en fonction des
essentielle pour assurer l’efficacité des programmes de conforcaractéristiques individuelles de chaque entreprise. Elle souligne
mité (pt. 11). Si la découverte d’une infraction est un indicateur
qu’il est possible d’attendre des PME des adaptations substantielles des éléments constitutifs de leurs programmes, même si
ex post de leur efficacité, il n’est pas suffisant. Si l’on suit le
elle ne fournit aucune indication supplémentaire sur la marge
document-cadre, les suites que l’entreprise réserve à cette déde manœuvre dont pourrait disposer ce type d’entreprises.
couverte semblent être un indicateur plus déterminant encore.
Le document-cadre n’en est pas moins prescriptif à bien des
Ces suites, déclinées dans les cinq composantes-clés des proégards. L’AdlC considère que la conformité est un « devoir »
grammes de conformité listées par le document-cadre, traduipour les entreprises (pt. 13) et que les éléments décrits dans son
sent la conception exigeante de la conformité entretenue par
l’AdlC. Nous les synthétiserons ici pour mémoire en renvoyant
document-cadre sont « dans tous les cas » nécessaires (pt. 21).
au document-cadre (pt. 22) qui en fixe le détail :
Elle souligne l’inefficacité, voire le caractère artificiel, des mesures qui se limiteraient à l’information ou à la formation des
– Le programme de conformité doit reposer sur une prise de
salariés de l’entreprise (pt. 11). Quand bien même ces mesures
position claire, ferme et publique des organes de direction
et plus généralement de l’ensemble des dirigeants et mans’accompagneraient de mesures de surveillance, de contrôle et
dataires sociaux.
de sanction, l’AdlC estime qu’elles ne peuvent « vraisemblable– Il doit s’accompagner de l’engagement
ment pas empêcher complètement que
de désigner des « correspondants » au
soient commises des infractions » (pt. 16).
La feuille de route
sein de l’entreprise chargés de veiller
Elle invite en outre les opérateurs disremise aux entreprises
à la mise en œuvre effective du proposant d’ores et déjà d’un programme
se révèle ambitieuse. On
gramme de conformité.
de conformité à s’assurer qu’il inclut
ne peut que partager
– L’entreprise doit s’engager à mettre
un ensemble de mesures relatives au
en place des mesures effectives d’indroit de la concurrence (pt. 13) qu’elle
certaines préoccupations
formation, de formation et de sensirecommande de faire figurer dans une
exprimées à l’occasion de
bilisation, ces mesures pouvant aller
« documentation actualisée et facilement
la consultation publique,
jusqu’à devoir informer les principaux
accessible à tous, sous format papier ou
selon lesquelles le
partenaires réguliers de l’entreprise
numérique » (pt. 21).
programme décrit dans le
(fournisseurs, distributeurs, etc.).
Au total, la feuille de route remise aux
document-cadre risque de
– Des mécanismes effectifs de contrôle,
entreprises se révèle ambitieuse. On
d’audit et d’alerte doivent être mis
ne peut que partager certaines préocdevenir une norme dont il
en place, ceci dans trois directions.
cupations exprimées à l’occasion de la
pourrait à terme être fait
L’engagement de conformité doit tout
consultation publique, selon lesquelles
reproche aux entreprises
d’abord être traduit dans les relations
le programme décrit dans le documentde trop s’écarter.
juridiques entre l’entreprise et ses sacadre risque de devenir une norme dont
lariés (règlement intérieur, clauses du
il pourrait à terme être fait reproche aux
contrat de travail). Il s’agit ensuite de permettre aux salariés,
entreprises de trop s’écarter (cf. not. les observations de l’APDC disponibles
non seulement de s’informer au fil de l’eau sur la conduite à
sur le site Internet de l’AdlC, pt. 87).
tenir dans certains cas particuliers (par le biais, par exemple,
Une telle tendance apparaîtrait difficilement acceptable au
d’un système de « hotline ») mais également de dénoncer des
vu de l’investissement que nécessite ce programme et des
comportements grâce à des systèmes d’alerte professionnelle.
difficultés qu’il pose aux entreprises.
L’entreprise devra, enfin, procéder à des évaluations régulières
Il faut en effet insister sur l’importance des moyens humains
de son programme et à des audits juridiques ou commerciaux
et surtout financiers nécessaires pour mettre en œuvre les
pour actualiser son analyse des risques. Le recours à des prescinq éléments déclinés dans le document-cadre. Ceux-ci, et
tataires externes est recommandé afin de garantir l’objectivité
en particulier les mesures d’audit et de contrôle, sont en effet
de ces mesures.
particulièrement lourds en termes d’organisation. Ils ne sont
– Il convient enfin selon l’AdlC de mettre en place un dispopas non plus dénués de risques sur le terrain juridique, dès lors
sitif effectif de suivi comprenant, dans le respect du droit
qu’ils touchent aux relations sociales au sein de l’entreprise
du travail, une procédure de traitement des remontées
et au traitement des données personnelles.
provenant des salariés et un ensemble de sanctions, en
Une autre difficulté tient à l’absence de protection, vis-à-vis
particulier disciplinaires, en cas de violation de la politique
des autorités de contrôle, de la confidentialité des échanges
de l’entreprise en matière de conformité.
entre les responsables juridiques de l’entreprise et les salariés.
Il a été souligné à maintes reprises au cours de la consultation
Cette absence est problématique à deux égards. D’une part,
publique que cet ensemble de préconisations devait se concevoir,
elle nuit à l’efficacité des investigations menées en interne par
non pas comme un corset, mais plutôt comme une « boîte à idées »
l’entreprise. Les juristes internes le savent bien : les salariés
permettant aux entreprises d’adapter au mieux leur démarche
impliqués dans de possibles pratiques anticoncurrentielles héde conformité au contexte économique et juridique dans lequel
sitent en pratique à se confier à des personnes qui ne peuvent
elles évoluent. L’exemple du document-cadre adopté par l’Ofleur apporter la garantie du secret professionnel. D’autre part,
fice of Fair Trading britannique (Drivers of Compliance and Non-Compliance
elle fait peser une épée de Damoclès sur les entreprises engagées dans une mise à plat de leurs pratiques. En encourageant
with Competition Law, An OFT Report, mai 2010, disponible sur le site Internet de l’OFT) ou
celles-ci à faire toute la lumière, ceci de façon « documentée »
celui de la Commission européenne ont été régulièrement cités
(pt. 22, engagement 4 (c)), sur leurs pratiques, l’AdlC maximise de
comme modèles d’une telle approche.
Il faut reconnaître que la version finale du document-cadre de
fait ses chances de collecter des preuves de comportements
l’AdlC gagne sur ce point en souplesse par rapport au projet
illicites en cas d’enquête. Il n’est pas question ici d’affirmer
soumis à la consultation publique. L’AdlC y expose, au point 18,
que les infractions découvertes dans le cadre d’un programme
qu’il n’existe pas de « programme de conformité type », de tels
de conformité ont vocation à rester secrètes. On observera
46
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
seulement qu’entre leur découverte et leur analyse puis leur
traitement par l’entreprise, il peut s’écouler du temps. Il serait
injuste que ce temps nuise in fine à l’entreprise.
On aurait pu s’attendre à ce que l’AdlC, tenant compte de ces
difficultés et de ces risques, aille plus loin dans les incitations
faites aux entreprises à s’engager dans la voie de la conformité.
B.– Des incitations limitées
Il est constant que le document-cadre de l’AdlC constitue un
progrès indéniable qui tranche avec la frilosité dont font preuve
la majorité des autorités de concurrence et les juridictions de
contrôle à l’égard des programmes de conformité (cf. sur ce point
Lemaire C., Programmes de conformité : quels enseignements de la pratique des autorités
à travers le monde ? Concurrences, 1-2008, p. 64).
Les avancées de ce document sont toutefois plus contrastées
lorsqu’il aborde la question de la prise en compte des programmes de conformité dans le calcul de la sanction pécuniaire.
On ne peut bien sûr que partager l’avis de l’AdlC lorsqu’elle
expose que les raisons justifiant la mise en place de programmes
de conformité vont « bien au-delà du seul espoir d’obtenir une
réduction de la sanction pécuniaire (…) » (pt. 12). Il semble parfaitement évident que les entreprises ont tout intérêt à éviter
la sanction. Il est toutefois également vrai que l’espoir d’une
sanction moins importante représenterait une incitation supplémentaire et non négligeable à l’adoption de tels programmes.
S’il faut faire crédit à l’AdlC de reconnaître que l’existence
d’un programme de conformité n’est pas une circonstance
aggravante (pt. 26), on ne la rejoint pas dans son refus d’en
tenir compte au titre des circonstances atténuantes.
L’AdlC tente de justifier ce refus en soulignant que lorsqu’elle
sanctionne une entreprise ayant adopté un programme de
conformité, ce programme n’a par hypothèse « pas empêché
l’infraction d’advenir » (pt. 25). L’argument laisse perplexe dans
la mesure où une circonstance atténuante ne s’applique par
définition qu’à des infractions consommées. Il néglige surtout
le fait que le calcul des sanctions pécuniaires ne s’intéresse pas
qu’au passé, mais tient également compte de l’avenir. Il est en
effet guidé par la recherche d’un effet dissuasif à l’encontre de
l’entreprise. Or, la nécessité d’un tel effet est nécessairement
moins prégnante lorsque la sanction concerne une entreprise
qui démontre, par son engagement de conformité, une propension moindre à commettre de nouvelles infractions. L’AdlC
semble d’ailleurs elle-même le reconnaître lorsqu’elle affirme
qu’un programme de conformité efficace peut « jouer un rôle
clef » pour prévenir de possibles manquements aux règles de
concurrence (pt. 13). Certains auteurs ont souligné que la prise
en compte de cette réalité au stade de la sanction constituait
un principe général en matière répressive (Bouloc B., Pour une prise en
compte de la mise en conformité spontanée en droit de la concurrence, RLC 2010/23, n° 1599).
Le refus de principe de l’AdlC semble d’autant moins compréhensible qu’il ne s’applique qu’aux infractions éligibles à la clémence
(cartels). L’AdlC invite l’entreprise qui découvrirait l’existence
d’une telle infraction à s’engager aussi rapidement que possible
dans une démarche de clémence, cette procédure étant en définitive la seule permettant de convertir un engagement de conformité
en exonération, voire en immunité, de sanction pécuniaire.
Il n’est pas contestable qu’un programme de conformité, même
comprenant l’ensemble des éléments listés dans son documentcadre, ne doit pas apparaître comme une sorte de « joker » pour
quelques entreprises décidées à n’en faire qu’une mesure de
façade et à ne jamais dénoncer les infractions que ce programme
amènerait à découvrir. Ce souci justifiait-il le refus de toute prise
en compte, à leur égard, d’un programme de conformité au
titre de la sanction ? Il est possible d’en douter. D’abord, parce
que toutes les entreprises participant à un cartel ne sont pas
nécessairement éligibles à la clémence (par exemple, si elles ne
disposent pas d’informations suffisantes). Ensuite, la perspective de bénéficier d’une circonstance atténuante n’élimine en
rien les incitations à recourir à la clémence afin de bénéficier
d’une immunité ou d’une exonération. Au contraire, elle ne
peut qu’inciter les entreprises à coopérer avec le régulateur.
S’agissant des infractions autres que les cartels et donc non éligibles à la clémence (abus de position dominante, restrictions
verticales, etc.), l’AdlC a tenu compte des observations qui lui
ont été faites à l’occasion de la consultation publique. Elle admet désormais que pour celles-ci, l’existence d’un programme
de conformité peut constituer une circonstance atténuante, si
l’entreprise est en mesure de démontrer « au moyen d’éléments
de preuve objectifs et vérifiables, qu’elle a effectivement mis
fin à l’infraction et remédié à son comportement de sa propre
initiative, avant toute ouverture d’une enquête ou d’une procédure par une autorité de concurrence » (pt. 28).
Cette avancée mérite à l’évidence d’être saluée, bien qu’il
faille attendre de voir les conditions auxquelles l’AdlC entend soumettre en pratique cette réduction, dont le niveau
n’est d’ailleurs pas précisé. Rien ne s’opposait toutefois à ce
qu’elle soit étendue aux cas éligibles à la clémence. Le type
d’infraction commise ne justifie pas une différence d’approche
dans l’appréciation de la situation individuelle de l’entreprise
et de sa propension à réitérer l’infraction.
Quoiqu’il en soit, c’est principalement au travers de la procédure de non-contestation des griefs que les entreprises,
particulièrement dans les cas de cartels, trouveront le moyen
de valoriser l’adoption d’un programme de conformité. L’AdlC
expose en effet qu’un engagement de conformité pris dans ce
cadre procédural peut, en soi, donner lieu à une réduction de
sanction qu’elle fixe à 10 % maximum (pt. 31).
Deux observations doivent être faites sur ce point. D’une part,
si cette réduction se situe, dans son niveau, dans la ligne de la
pratique décisionnelle récente (elle a pu être supérieure par le
passé), il n’en va pas de même des conditions qui s’attachent
à son octroi. Seuls les programmes répondant aux critères
particulièrement rigoureux listés dans le document-cadre
permettent de l’envisager. D’autre part, le choix de l’AdlC
aboutit, de fait, à une situation paradoxale. En effet, une
entreprise engagée dans une démarche de conformité n’ayant
pas permis de détecter une infraction suffisamment tôt pour
pouvoir engager une demande de clémence, ne pourra espérer
obtenir, si elle ne conteste pas les griefs qui lui sont notifiés,
qu’une réduction d’amende de 10 % reflétant le gain procédural (sauf à pouvoir prendre un engagement d’amélioration de
son programme). En revanche, une même entreprise n’ayant
pas fait l’effort de développer en amont un tel programme de
conformité pourra prendre, dans le même cadre procédural,
un engagement en ce sens et bénéficier d’une réduction
d’amende supplémentaire pouvant aller jusqu’à 10 % (pt. 31).
Si la démarche de conformité doit aider à prévenir le risque,
elle ne le fait pas nécessairement disparaître totalement.
L’AdlC a aussi été amenée à préciser les conditions dans lesquelles les entreprises pouvaient alors « transiger » avec elle.
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT ÉCONOMIQUE
II.– LA GESTION CURATIVE DU RISQUE :
UNE NÉGOCIATION ENCADRÉE
Le souci de l’AdlC d’encadrer la négociation pour mieux
maximiser le gain procédural qui en découle (A.) se fait au
détriment des incitations faites aux entreprises de s’engager
dans cette voie procédurale (B.).
>
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
47
C O N F O R M I T É E T N O N - C O N T E S TAT I O N D E S G R I E F S : L’ A D L C P R É C I S E L E S O U T I L S D E G E S T I O N D U R I S Q U E C O N C U R R E N T I E L
PA R L E S E N T R E P R I S E S
A.– L’objectif de l’AdlC : sécuriser et maximiser
s’agit d’apprécier le dommage causé à l’économie. De même,
les gains procéduraux
la non-contestation des modalités de participation de l’intéressé pourrait empêcher l’entreprise de faire la démonstration
L’« esprit d’une transaction » auquel le communiqué fait réultérieure de son rôle passif en vue de minimiser la sanction.
férence ne doit pas faire oublier que la non-contestation des
D’autre part, l’entreprise doit s’abstenir de contester la comgriefs est tout sauf une négociation entre égaux. Ce n’est qu’au
pétence de l’AdlC et la procédure ayant mené à la notification
prix d’un renoncement suffisamment tangible aux droits de la
des griefs. Cette précision a soulevé de nombreuses critiques
défense, éventuellement complété par des engagements, que
lors de la consultation publique, dans la mesure où elle conduit
l’entreprise pourra espérer bénéficier d’une concession de la
l’entreprise à renoncer à une composante importante de ses
part du régulateur sur le montant de la sanction.
droits de la défense (cf. le point 87 des observations précitées de l’APDC).
Le communiqué souligne que c’est au défendeur que revient
l’initiative d’engager cette négociation (pt. 23). Le rapporteur
La non-contestation ainsi largement définie devra faire l’objet
d’une déclaration dans des termes « clairs, complets, dépourvus
général demeure toutefois seul juge de l’opportunité d’y donner
d’ambiguïté et inconditionnels » (pt. 15), celle-ci étant ensuite
suite (pt. 26), même à l’issue de contacts exploratoires auxquels il
peut mettre fin à tout moment (pt. 30). Le contrôle exercé par le
consignée dans un procès-verbal avec les éventuels engagements
(pt. 36). Elle suffira, comme le rappelle l’AdlC, à établir le constat
collège sur cette décision se limite à l’erreur manifeste d’appréciation, hypothèse dans laquelle il pourra soit renvoyer l’affaire
d’infraction à l’égard de l’entreprise sans toutefois lier le collège qui
à l’instruction, soit se prononcer lui-même sur les suite à donner
demeure libre de ne pas retenir un grief même non contesté (pt. 42).
(pt. 39 et Aut. conc., déc. n° 06-D-09, 11 avr. 2006, Secteur de la fabrication des portes).
En complément et à titre facultatif, la non-contestation des griefs
peut permettre, par le biais de la négociaL’évaluation, par le rapporteur général,
tion d’engagements, d’améliorer le foncde l’intérêt d’une solution transactionLe communiqué ne fait
tionnement concurrentiel des marchés.
nelle, se fait bien entendu au cas par cas.
pas que rappeler les
Sur ce point le texte reprend les principes
Elle dépend largement de la solidité du
composantes classiques
acquis par la pratique décisionnelle. Qu’ils
dossier sur le fond. La visibilité donnée
sur lesquelles doit porter la
soient comportementaux (comme ceux qui
aux entreprises par le communiqué sur
portent sur les programmes de conformité)
ce point est donc nécessairement liminon-contestation (réalité
ou structurels, les engagements doivent
tée. Elle concerne essentiellement le cas
de l’ensemble des pratiques
être substantiels, crédibles et vérifiables
dans lesquels il existe une pluralité de
en cause, qualification
compte tenu du contexte concurrentiel
défendeurs. Dans ces situations, l’AdlC
juridique et imputabilité).
dans lequel ils interviennent (pt. 20).
souligne que l’économie procédurale est
Il innove à deux égards.
la plus importante lorsque toutes les parComme le rappelle le communiqué,
ties mises en cause renoncent à contester
la non-contestation n’interdit pas aux
les griefs. Dans cette optique, le communiqué réserve au rapporentreprises de présenter des observations sur les critères de
teur général la possibilité d’informer les autres défendeurs de la
détermination de la sanction pécuniaire tels qu’ils sont listés
signature d’un procès-verbal avec l’une des parties. Toutefois,
par l’article L. 464-2 du Code de commerce (pt. 17).
compte tenu du délai qui se sera déjà écoulé depuis la notification
Qu’en est-il des entreprises n’ayant pas « transigé » ? L’AdlC
des griefs et de l’obligation d’y répondre dans les deux mois, le
précise qu’elle restera tenue d’établir leur participation à l’indélai de réflexion pour l’entreprise risque d’être extrêmement
fraction (pt. 43). Ce faisant, elle fait sienne la solution très contescourt. On aurait ainsi pu imaginer que les services d’instruction
table retenue par la Cour de cassation dans l’affaire du travail
prennent de telles initiatives informelles plus en amont, au stade
temporaire (Cass. com., 29 mars 2011, n° 10-12.913 ; point 40 du communiqué). On
de l’engagement du dialogue avec un ou plusieurs défendeurs.
se souvient en effet que dans cet arrêt, la Cour a estimé que le
Toujours est-il que l’échec de tels contacts n’empêchera pas
constat d’infraction était établi à suffisance de droit à l’encontre
l’entreprise qui a fait le choix de transiger de bénéficier d’une
des parties n’ayant pas transigé, dès lors que cette infraction
réduction de sanction. Les transactions « mixtes », dans lesquelles
n’avait pas été contestée par un défendeur ayant transigé, seule
certains défendeurs seulement renoncent à contester les griefs,
la participation de celles-ci devant être prouvée. Cette solution,
sont en effet admises conformément à la pratique décisionnelle.
qui aurait pu être limitée aux situations s’inscrivant dans le
Une fois que le rapporteur général a opté pour une nonmême contexte – très spécifique – que celui de cette affaire, ne
contestation des griefs, l’objectif de l’AdlC est de pousser à
tient aucun compte du fait que la non-contestation des griefs
son maximum la simplification et l’accélération de l’instruction
n’est ni un aveu ni une reconnaissance de culpabilité et marque
et de la séance qui en résultent (pt. 5).
un recul important des droits de la défense.
Cet objectif transparaît au premier chef dans la définition
B.– Quelles incitations pour les entreprises ?
particulièrement rigoureuse de la notion de non-contestation.
Pour que la procédure de non-contestation des griefs soit
Le communiqué ne fait pas que rappeler les composantes
véritablement source d’économie procédurale, encore faut-il
classiques sur lesquelles doit porter la non-contestation (réalité
que les entreprises soient incitées à y recourir.
de l’ensemble des pratiques en cause, qualification juridique
La première de ces incitations réside bien sûr dans la réduction
et imputabilité). Il innove à deux égards.
de la sanction pécuniaire dont peut bénéficier l’entreprise.
D’une part, il expose que « la renonciation à contester la réalité
Outre la division par deux du plafond de la sanction, prévue
des pratiques en cause doit porter à la fois sur les faits constitutifs
par l’article L. 464-2 III du Code de commerce, le communiqué
de ces pratiques, sur leur objet et leurs effets anticoncurrentiels,
valorise la réduction attachée aux seuls gains procéduraux de
sur leurs caractéristiques, sur leur durée et sur les modalités de
la non-contestation (accélération et simplification) à 10 %. Il
participation de l’intéressé aux pratiques ». La référence nouexpose que 15 % de réduction supplémentaires sont possibles
velle aux effets de la pratique augmente potentiellement le coût
par le biais des engagements (pt. 35), ce qui signifie qu’en préd’une transaction pour les entreprises. Elle pourrait influencer
leur capacité à argumenter sur la sanction pécuniaire, les effets
sence d’un engagement de conformité valorisé à 10 %, il ne
d’une pratique entrant à l’évidence en ligne de compte lorsqu’il
restera plus que 5 % pour rémunérer d’autres engagements.
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R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
Le bénéfice de la non-contestation des griefs est ainsi plafonné à 25 % de réduction, l’objectif étant d’éviter que cette
procédure puisse être plus attractive que la clémence (pt. 6).
Si l’on met de côté la question de la compatibilité de cette
approche avec l’arrêt Sidérurgie dans lequel la Cour d’appel
de Paris expose qu’un « accord de clémence » est inopposable
aux entreprises qui n’y sont pas parties (CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 19
janv. 2010, n° 2009/00334, AMD SUD-OUEST e.a.), il est permis de douter de
sa pertinence pour plusieurs raisons.
D’abord, elle n’a pas lieu d’être pour les pratiques qui ne sont
pas éligibles à la clémence. Or, rien ne permet de considérer
que dans ces affaires, la réduction liée à l’économie procédurale
attachée à une non-contestation des griefs doive être plafonnée
dans les mêmes proportions que dans les cas de cartels. Cela
conduit nécessairement l’AdlC à sous-estimer, par exemple,
l’utilité de la non-contestation d’un grief d’abus de position
dominante reposant sur une analyse bien plus complexe qu’en
matière de cartels, sans compter le caractère structurant des
engagements qui peuvent accompagner cette non-contestation.
En matière de cartels, ensuite, son efficacité est loin d’être
démontrée, dès lors que l’on s’intéresse à des demandeurs
de clémence de rangs inférieurs qui ne pourront bénéficier
que d’une réduction très proche, voire égale, de celle qui peut
être attendue d’une non-contestation (même si l’entreprise
sait rarement qu’elle aura le dernier rang).
Enfin, dès lors que le communiqué admet que clémence et
non-contestation des griefs peuvent se cumuler (pt. 6), la question d’éventuels comportements opportunistes de la part des
entreprises, qui attendraient de « voir » le contenu des griefs
pour décider de prêter leur concours à l’instruction, ne se pose
plus. Celles-ci auront toujours intérêt à maximiser leurs chances
de réduire la sanction en jouant sur les deux plans. Plutôt que
de tenter de doser les pourcentages de réduction à la marge,
le communiqué aurait pu aller au bout de cette logique en ne
conditionnant pas le cumul, comme il le fait dans son point 6,
à la seule existence de différences importantes entre le contenu
des griefs et l’entente décrite par l’intéressé(e) dans sa demande
de clémence. Plutôt que de se cantonner ainsi à l’existence
d’une économie procédurale, il aurait pu mettre l’accent sur les
engagements, notamment de compliance, pouvant être pris par
l’entreprise. Une telle approche paraissait d’autant plus justifiée
que la non-contestation des griefs est la seule voie procédurale
permettant de lier une réduction d’amende à l’adoption d’un
tel programme (sous réserve de la prise en compte prévue pour
les infractions autres que les cartels).
Une deuxième source d’attractivité de la procédure de noncontestation des griefs réside dans la possibilité donnée aux
entreprises de discuter du nombre, voire du contenu, des griefs
pouvant donner lieu à une condamnation. La version finale du
communiqué présente sur ce point un progrès indéniable par
rapport au texte soumis à la consultation publique. Elle donne
en effet la possibilité aux entreprises d’évoquer avec les services
d’instruction l’éventualité d’une non-contestation des griefs
avant même leur notification, ceci à l’occasion de « contacts
exploratoires ». Un tel dialogue pourrait permettre à l’entreprise
et aux services d’instruction de s’accorder sur le contenu des
griefs que l’entreprise serait disposée à ne pas contester, ce
qui pourrait conduire les services d’instruction à adapter en ce
sens leur notification (cf. en ce sens Ronzano A., Lettre du Creda, 10 févr. 2012).
Une autre question est celle de la divisibilité des griefs. Est-il
envisageable que l’entreprise renonce à contester certains
griefs et pas d’autres ? La pratique décisionnelle ne contient
pas d’exemples de ce type, bien que l’hypothèse ait pu être
admise par le président de l’AdlC (Actes du colloque Clémence et
transaction en matière de concurrence : premières expériences et interrogations de la
pratique, Gaz. Pal. 2005, p. 3323). Le texte semble malheureusement
s’écarter de cette approche (pt. 20 : « renoncer à contester les griefs »,
pt. 21 : « l’ensemble des pratiques »).
Une troisième façon de rendre la procédure plus attractive
consiste à diminuer l’incertitude sur la façon dont le collège
traitera le résultat de la négociation menée avec le rapporteur
général. On sait en effet que la discussion a lieu avec le rapporteur général dont le pouvoir se limite à faire une proposition
qui ne lie pas le collège. Cette difficulté peut entretenir une
certaine réticence des entreprises à s’engager dans cette voie,
même si les cas dans lesquels le collège accorde une réduction
inférieure à celle proposée sont très rares en pratique (cf. Aut.
conc., déc. n° 03-D-45, 25 sept. 2003, Secteur des calculatrices à usage scolaire).
Le communiqué précise sur ce point que dans les cas où le
collège n’accepte pas la proposition du rapporteur général,
l’affaire sera renvoyée à l’instruction. Si en théorie ce renvoi
permet à l’entreprise de réévaluer l’opportunité de recourir à
la non-contestation des griefs, on voit mal en pratique ce qui
pourrait la conduire à y renoncer dès lors que son choix initial
de ne pas contester sera connu du collège. Lorsque les doutes
du collège porteront sur les engagements proposés et que ces
doutes seront exprimés en séance, la possibilité sera donnée
à l’entreprise de s’engager à les améliorer, ce dont le collège
pourra tenir compte sans renvoyer l’affaire à l’instruction (pt. 49).
Le communiqué aurait pu aller plus loin dans l’attractivité
du dispositif en se laissant davantage guider par « l’esprit de
transaction » revendiqué par l’AdlC.
On regrettera ainsi que celle-ci n’ait pas saisi l’occasion qui lui
était donnée d’améliorer la visibilité pouvant être donnée au
défendeur sur son risque de sanction. Il est en effet pour le moins
paradoxal de négocier la réduction d’une somme qui n’est pas
connue. Sur ce point, la pratique décisionnelle avait pourtant
montré qu’il était possible de s’accorder avec le rapporteur
général sur un montant de sanction fixé en valeur absolue (Aut.
conc., déc. n° 07-D-33, 15 oct. 2007, n° 09-D-06, 5 févr. 2009 et n° 09-D-24, 28 juill. 2009).
Il s’agissait là d’un progrès considérable pour les entreprises
en termes de transparence. Le fait que le communiqué n’ait
pas repris cette pratique signe probablement son abandon pour
l’avenir, ce que l’on ne peut que regretter.
On aurait également pu imaginer que la négociation d’une
non-contestation des griefs fasse à tout le moins intervenir
un échange minimum, voire un accord, entre l’entreprise et
le rapporteur général, sous réserve du pouvoir d’appréciation détenu in fine par le collège, sur certains déterminants
du montant de la sanction (par exemple, la délimitation
du marché affecté par la pratique dont la valeur est prise
en compte pour le calcul du montant de base). Cette proposition faite à l’AdlC lors de la consultation publique n’a
toutefois, malheureusement, pas été retenue.
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT ÉCONOMIQUE
Conclusion
Les deux documents publiés par l’AdlC améliorent indéniablement la transparence des outils à disposition des entreprises
pour piloter le risque concurrentiel. Dans la logique du donnantdonnant qui avait présidé à l’adoption du communiqué sur les
sanctions, ces progrès s’accompagnent toutefois d’une responsabilisation accrue des entreprises. Il leur revient à présent d’en
mesurer la portée et de faire des choix, en particulier en matière
de conformité. À cet égard, on ne peut que souhaiter que l’initiative française, qui, bien que n’étant pas exempte de critiques
comme on l’a vu, marque un pas dans la bonne direction, ne
reste pas isolée et entraîne une nouvelle dynamique sur ces
questions au niveau européen et international. ◆
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
49
Par Chloé MATHONNIÈRE
Secrétaire générale de la Rédaction
Lamy droit économique
RLDA
CONCURRENCE
3926
Affectation du commerce
entre États membres
Précisions de la Cour de cassation sur les conditions
d’application du droit de la concurrence de l’Union
européenne, lorsque les pratiques en cause ne
concernent qu’une partie seulement du territoire
d’un État membre.
Cass. com., 31 janv. 2012, nos 10-25.772, 10-25.775, 10-25.882, P
Retour sur l’affaire France Télécom / Orange Caraïbe. On se
souvient que l’Autorité de la concurrence avait sanctionné les
sociétés France Télécom et Orange Caraïbe pour avoir mis en
œuvre des pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la
téléphonie mobile ou de la téléphonie fixe (vers les mobiles)
dans la zone Antilles-Guyane, et ce sur le fondement tant des
règles nationales que des règles communautaires de concurrence (Aut. conc, déc. n° 09-D-36, 9 déc. 2009, France Télécom / Orange Caraïbe).
Cette décision avait été censurée par la Cour d’appel de Paris,
laquelle avait considéré que faute d’affectation du commerce
intracommunautaire, la décision de l’Autorité, rendue au visa
des articles 101 et 102 TFUE, devait être annulée (CA Paris, pôle 5,
ch. 5-7, 23 sept. 2010, n° 2010/00163, cf. not. RLC 2011/26, n° 1725, obs. Robin C.). C’est
à présent au tour de la Cour d’appel de Paris d’être censurée.
Revenant sur les critères présidant à l’application du droit de
l’Union par les autorités nationales de concurrence, la Cour de
cassation reproche d’abord aux juges d’appel d’avoir considéré
que l’affectation du commerce intracommunautaire n’était
pas établie. Pour les Hauts Magistrats, en effet, « les termes
“susceptible d’affecter” énoncés par les articles 101 et 102 du
TFUE supposent que l’accord ou la pratique abusive en cause
permette, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de
droit ou de fait, d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte,
actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États
membres ». La constatation d’un effet réalisé sur le commerce
intracommunautaire n’est donc pas exigée, la potentialité
d’un tel effet pouvant suffire à caractériser une affectation du
commerce entre États membres (pour autant cependant que
les conditions ci-dessus rappelées [« un ensemble d’éléments
objectifs de droit ou de fait… »] soient réunies).
Elle reproche ensuite aux juges d’appel, s’agissant d’un cas
de pratiques cumulées d’entente et d’abus de position dominante sur une partie seulement d’un État membre, d’avoir
apprécié le caractère sensible de l’affectation du commerce
intracommunautaire, au regard du seul volume de ventes
global concerné par rapport au volume national. En effet, pour
les Hauts magistrats, dans une telle hypothèse, le caractère
50
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
sensible de l’affectation du commerce intracommunautaire
résulte d’un ensemble de critères, parmi lesquels la nature
des pratiques, la nature des produits concernés et la position
de marché des entreprises en cause. Le volume de ventes
global concerné par rapport au volume national n’est donc
qu’un élément parmi d’autres.
Enfin, la Cour d’appel de Paris avait annulé dans son intégralité
la décision de l’Autorité de la concurrence « en ce qu’elle [était]
fondée sur des violations tant des articles 101 et 102 du TFUE
que des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ». Elle
est de nouveau censurée : « les articles L. 420-1 et L. 420-2 du
Code de commerce sont, en l’absence d’affectation du commerce
intracommunautaire, applicables aux pratiques d’entente et
d’abus de position dominante anticoncurrentielles mises en
œuvre sur le territoire national ». Ainsi, « quand bien même
l’arrêt serait fondé en ce qu’il a annulé la décision pour avoir
appliqué le droit communautaire de la concurrence, celle-ci
demeurait valide en ce qu’elle avait appliqué les dispositions
du droit national ».
➤ Lamy droit économique 2012, nos 961 et s. et 1610
RLDA
DROIT
ÉCONOMIQUE
3927
Non-contestation
des griefs et programmes
de conformité aux règles
de concurrence
L’Autorité de la concurrence publie les deux textes
qu’elle avait soumis à consultation publique
en octobre 2011.
Aut. conc., 10 févr. 2012, Communiqué de procédure
relatif à la non-contestation des griefs ;
Aut. conc., 10 févr. 2012, Document-cadre
sur les programmes de conformité aux règles de concurrence
Sur la non-contestation des griefs : le communiqué, qui explique l’approche suivie en pratique par l’Autorité lorsqu’elle
met en œuvre la procédure de non-contestation des griefs, ne
diffère pas de manière substantielle du projet de communiqué
qui avait été soumis à consultation publique en octobre 2011.
Une avancée majeure, attendue par les praticiens et qui répond aux critiques émises lors de la consultation publique : le
cumul entre les procédures de clémence et de non-contestation
des griefs (Cf., également, sur ce point la décision de l’Autorité dite des « lessives »
du 8 décembre 2011 qui avait initié cette possibilité de cumul, RLDA 2012/67, n° 3834).
Ce cumul sera désormais possible, lorsque l’Autorité estimera
que les gains procéduraux à en attendre seront suffisants (pt. 6).
Tel sera en particulier le cas, lorsque le champ des griefs notifiés à l’entreprise en cause diffère sur un ou plusieurs point(s)
important(s) de l’entente telle que décrite par elle dans sa demande de clémence au vu de l’ensemble des informations et des
éléments de preuve dont elle disposait ou pouvait disposer (pt. 6).
Sur les programmes de conformité aux règles de concurrence : recueil de « bonnes pratiques », ce document-cadre
explique comment construire un programme de conformité
crédible et efficace. Rappelant que les programmes de conformité doivent permettre à la fois de prévenir les risques d’infraction et de donner les moyens de détecter et de traiter les cas
d’infraction qui n’ont pas pu être évités, l’Autorité reconnaît
qu’il n’existe pas de programme de conformité type. À cet
égard, elle précise que « le fait qu’une entreprise est une petite
ou moyenne entreprise (PME) peut justifier que les différents
éléments constitutifs de son programme de conformité soient
substantiellement adaptés » (pts. 19 et 20). Elle considère cependant qu’un certain nombre d’éléments devront, en tout état
de cause, être réunis (pts. 21 et 22) :
– un engagement ferme des dirigeants en faveur du strict
respect des règles de concurrence ;
– la désignation d’un référent au sein de l’entreprise chargé de
la bonne mise en œuvre du programme et plus globalement
de la politique de conformité ;
– la mise en place d’actions de sensibilisation, d’information
et de formation du personnel ;
– l’instauration de mécanismes de contrôle, d’audit et d’alerte ;
– la mise en place d’un dispositif de suivi en cas de découverte
d’infractions.
Les entreprises qui s’engagent à mettre en place un programme de
conformité répondant à ces bonnes pratiques ou à améliorer un
programme de conformité préexistant pourront se voir accorder
une réduction de la sanction encourue pouvant s’élever jusqu’à
10 % (pt. 31). Cette réduction s’ajoutera à celle de 10 % liée à la
renonciation à contester les griefs proprement dite et à celle de
5 % pouvant être accordée au titre d’autres engagements (pt. 31).
Une précision d’importance est apportée par l’Autorité quant à
la prise en compte de l’existence d’un programme de conformité en tant que circonstance atténuante dans le cadre de
En bref…
Cour de justice : statistiques judiciaires
2011
La Cour de justice de l’Union européenne a rendu
public le 17 février 2012 ses chiffres pour l’année 2011.
Le nombre d’affaires portées devant les trois juridictions de la Cour de justice de l’Union européenne
a continué d’augmenter en 2011 (1 569 affaires
introduites), ce qui témoigne de la confiance des
juridictions nationales et des justiciables envers les
juridictions de l’Union. Ceci s’est notamment traduit
par une augmentation du nombre d’affaires préjudicielles introduites au cours de cette année. Ce nombre
est pour la troisième année consécutive le plus élevé
jamais atteint et par rapport à l’année 2009 en augmentation de presque 41 %.
Cependant, cet accroissement du volume du contentieux n’est pas entièrement absorbé en dépit d’une
productivité record en 2011 (1 518 affaires clôturées).
La durée moyenne de traitement d’une affaire devant
la Cour et le Tribunal s’est ainsi allongée (16,4 mois
pour les renvois préjudiciels contre 16 mois en 2010 ;
20,2 mois et 15,4 mois pour les recours directs et les
pourvois contre 16,7 mois et 14,3 mois en 2010 ;
26,7 mois contre 24,7 mois en 2010 devant le Tribunal). Seul le Tribunal de la fonction publique a vu cette
durée sensiblement diminuer, passant de 18,1 mois
en 2010 à 14,2 mois en 2011.
Communiqué de presse, CJUE, 17 févr. 2012
ACTUALITÉS
DROIT ÉCONOMIQUE
la détermination de la sanction. En effet, si, à l’instar de
la Commission européenne, l’Autorité confirme dans son
document-cadre que l’existence d’un programme de conformité ne saurait, de manière générale, être prise en compte
en tant que circonstance atténuante ou aggravante (pts. 24 à
26), elle prévoit cependant un cas dans lequel l’existence
d’un tel programme pourrait jouer comme une circonstance
atténuante. Il s’agit du cas où une entreprise, qui se serait
dotée d’un programme répondant aux bonnes pratiques,
découvrirait l’existence d’une infraction non-éligible à la
procédure de clémence (c’est-à-dire, une infraction autre
qu’un cartel) et mettrait fin d’elle-même à cette pratique
avant toute ouverture d’une enquête ou d’une procédure
par une autorité de concurrence.
Enfin, dans la droite ligne de la politique de suivi des décisions annoncée par Bruno Lasserre (cf. RLDA 2011/63, n° 3597), la
mise en œuvre effective des programmes de conformité fera
l’objet d’une surveillance de la part de l’Autorité. En effet, « à
sa demande, l’entreprise ou l’organisme concerné doit donc
se tenir prêt à mettre à sa disposition un rapport complet et
précis lui permettant de s’assurer du respect de cet engagement,
ainsi qu’à répondre à toute demande ou question à cet égard »
(pt. 32). Les entreprises sont prévenues…
• OBSERVATIONS • Pour plus de détails sur ces deux textes, voir l’éclairage
de Cousin M. et Lemaire C., Conformité et non-contestation des griefs :
l’ADLC précise les outils de gestion du risque concurrentiel par les
entreprises, RLDA 2012/69, n° 3925.
➤ Lamy droit économique 2012, nos 1262 et 1279
DGCCRF : bilan de l’activité
pour l’année 2011
Le secrétaire d’État chargé de la Consommation, Frédéric
Lefebvre, a présenté lors d’une conférence de presse
le 14 février 2012 le bilan de l’activité de la DGCCRF
pour l’année 2011.
Quelques chiffres : près de 850 000 actions de
contrôle ont été réalisées dans 153 600 établissements et près de 9 600 sites d’e-commerce ont
été contrôlés. Le nombre de suites données aux
contrôles est en augmentation : 12 000 mesures de
police administrative (+ 10 % par rapport à 2010),
14 000 infractions constatées par procès-verbal avec
transmission au Parquet (+ 4 %) et 628 consignations
ou saisies (+ 18 %).
On retiendra surtout que l’année 2011 a été marquée
par le renforcement de la vigilance sur certains secteurs
définis comme prioritaires (immobilier, alimentaire,
télécommunications, services financiers et commerce
électronique).
Le secrétaire d’État a annoncé trois nouvelles priorités
d’action pour la DGCCRF pour le 1er semestre 2012 :
le contrôle des sites d’achat groupés, la surveillance du
commerce réalisé sur les téléphones portables et les
réseaux sociaux et la protection des mineurs dans le
domaine des télécommunications.
Il a en outre demandé à ce que soient accentués les
contrôles envers les allégations valorisantes, qu’elles
soient relatives à la nutrition et à la santé ou liées à
des questions environnementales, ainsi que ceux en
matière de délais de paiement, et plus particulièrement
>
entre petites et grandes entreprises et dans le secteur
du bâtiment.
<http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_
services/dgccrf/dgccrf/rapports_activite/2011/
ResultatDGCCRF_2011.pdf>
Prix excessifs
Le Comité de la concurrence de l’OCDE avait organisé
en octobre 2011 une table ronde sur les prix excessifs.
Les actes de cette table ronde viennent d’être publiés.
Ils sont disponibles à l’adresse suivante : <http://www.
oecd.org/dataoecd/5/3/49604207.pdf>.
Google condamné
pour une pratique de prix prédateurs
Le Tribunal de commerce de Paris a condamné
Google, le 31 janvier 2012, à verser 500 000 euros
de dommages et intérêts à la société Bottin Cartographes en réparation du préjudice subi du fait de
l’abus par celui-ci de sa position dominante sur le
marché de la cartographie en ligne. Google aurait
pratiqué des prix abusivement bas ne permettant pas
« de couvrir le coût de revient nécessairement exposé
pour l’élaboration et la distribution [de ses] produits »
et partant, ses coûts variables. Ce comportement aurait
ainsi abouti « à l’éviction de tout concurrent (exemple
MAPORAMA) » et s’inscrirait « à l’évidence dans le
cadre d’une stratégie générale d’élimination ». Google
a indiqué qu’il allait interjeter appel de cette décision.
Affaire à suivre…
T com. Paris, 15e ch., 31 janv. 2012, n° 2009061231,
Bottin Cartographes c/ Google France et Google Inc.
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
51
Règlement n° 1/2003 :
délimitation des
compétences de la
Commission et des autorités
nationales de concurrence
L’autorité tchèque de la concurrence peut sanctionner
les effets anticoncurrentiels d’une entente mondiale
qui se sont produits en République tchèque
avant son adhésion à l’Union européenne.
CJUE, 14 févr. 2012, aff. C-17/10, Toshiba Corporation e.a. /
Úřad pro ochranu hospodářské soutěže
À l’origine du renvoi préjudiciel à la Cour de justice : une entente
sur le marché des appareillages de commutation à isolation
gazeuse, à laquelle, à différentes périodes situées entre 1988
et 2004, ont participé plusieurs entreprises européennes et
japonaises appartenant au secteur de l’électrotechnique. Tant
la Commission européenne que l’autorité tchèque de la concurrence (Úřad pro ochranu hospodářské soutěže) se sont saisies de certains
aspects de cette affaire au cours des années 2006 et 2007 et ont
infligé des amendes aux entreprises concernées. Ces dernières
ont introduit un recours contre la décision de l’autorité tchèque
de la concurrence devant les juridictions tchèques. C’est dans
ce contexte que la Cour de justice a été saisie.
Sur la question de la loi applicable aux effets sur le territoire
tchèque de l’entente :
Était notamment contestée l’application par l’autorité de
concurrence tchèque de son droit national de la concurrence :
l’entente en question s’étant poursuivie jusqu’au 11 mai 2004,
soit après l’adhésion de la République tchèque à l’Union européenne et après l’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003,
elle aurait dû être examinée au regard des règles nouvellement
applicables, à savoir l’article 81 CE (devenu l’article 101 TFUE) et le
règlement n° 1/2003.
La Cour relève cependant que ni le libellé, ni la finalité, non
plus que l’économie de l’article 81 CE, de l’article 3, paragraphe 1 du règlement n° 1/2003 et de l’acte d’adhésion de
la République tchèque à l’Union européenne ne comportent
d’indications claires qui iraient dans le sens d’une application
rétroactive des règles de concurrence de l’Union aux effets
anticoncurrentiels produits dans ce pays avant son adhésion.
Et de conclure que les dispositions de l’article 81 CE et de
l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 doivent être
interprétées en ce sens que, dans le cadre d’une procédure
engagée après le 1er mai 2004, elles ne sont pas applicables à
une entente qui a produit des effets, sur le territoire d’un État
membre ayant adhéré à l’Union le 1er mai 2004, au cours de
périodes antérieures à cette date.
Sur la question de la délimitation des compétences de la Commission et des autorités nationales de concurrence (ANC) :
Était ici contestée la compétence de l’autorité tchèque de la
concurrence : selon les requérantes, il résulterait de l’article 11,
paragraphe 6 du règlement n° 1/2003 que cette autorité n’était
plus compétente pour mettre en œuvre une procédure au niveau national, dès lors que la Commission avait déjà engagé,
dans la même affaire, une procédure au niveau européen. Ce
faisant, la procédure ainsi engagée au niveau national violerait
le principe ne bis in idem prohibant le cumul de sanctions.
52
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
Les ANC sont certes dessaisies de leur compétence pour appliquer tant le droit de l’Union que leur droit national lorsque
la Commission ouvre une procédure tendant à l’imposition
d’une amende. Elles ne sont cependant pas pour autant
dessaisies, selon la Cour, de façon permanente et définitive
de leur compétence pour appliquer leur droit national. Au
contraire, leur compétence est restaurée dès que la procédure engagée par la Commission est achevée. Et ce, précise
la Cour, a fortiori, dans une situation telle que celle soumise
à son appréciation, dans laquelle l’autorité de concurrence
d’un État membre sanctionne, par application de son droit
national de la concurrence, les effets anticoncurrentiels produits par une entente sur son territoire au cours de périodes
antérieures à l’adhésion de l’État membre à l’Union. Partant,
l’autorité tchèque de la concurrence pouvait statuer sur les
effets anticoncurrentiels produits par l’entente en République
tchèque avant son adhésion à l’Union.
Enfin, sur le principe ne bis in idem, la Cour répond que ce
principe ne fait pas obstacle à ce que des entreprises ayant
participé à une entente soient condamnées à des amendes par
une ANC, aux fins de sanctionner les effets produits par cette
entente sur le territoire de l’État membre concerné avant son
adhésion à l’Union, dès lors que les amendes infligées à ces
entreprises par une décision de la Commission prise avant
l’adoption de la décision de l’ANC n’avaient pas pour objet
de réprimer ces mêmes effets. En l’espèce, étant donné que
l’autorité de concurrence tchèque a uniquement sanctionné les
conséquences de l’entente qui se sont réalisées sur le territoire
tchèque avant le 1er mai 2004 et qu’elles n’ont pas été prises
en considération par la Commission dans sa décision, la Cour
constate qu’à défaut de cumul de sanctions, le principe ne bis
in idem n’a pas été violé.
• OBSERVATIONS • Pour une étude détaillée du principe
ne bis in idem et son interprétation par la Cour de justice, cf. Cassuto T.,
Le principe ne bis in idem, principe autonome du droit communautaire,
RLDA 2012/68, n° 3885.
➤ Lamy droit économique 2012, nos 1619, 1672 et 1781
DISTRIBUTION
RLDA
RLDA
3928
3929
Clause de non-réaffiliation :
pas de contrepartie
financière
La clause de non-réaffiliation, limitée dans le temps et
l’espace, justifiée et proportionnée aux intérêts de la
tête de réseau et qui n’a pas pour effet d’interdire toute
activité, est licite et n’a pas à être rémunérée.
Cass. com., 31 janv. 2012, n° 11-11.071, P+B
Était en cause la clause de non-rétablissement insérée dans
le règlement intérieur d’un réseau de franchise d’agences
immobilières et par laquelle il était fait interdiction à tout
adhérent quittant le réseau d’adhérer à un réseau concurrent
pendant une durée d’une année en exerçant son activité dans
les mêmes locaux.
Les juges d’appel avaient relevé que cette clause était limitée
dans le temps et l’espace, qu’elle était justifiée et proportionnée aux intérêts dudit réseau et qu’enfin, elle n’avait pas pour
effet d’interdire à l’ancien adhérent toute activité d’agence
immobilière, mais le contraignait à ne pas adhérer pendant un
an à un nouveau réseau ou à déplacer le siège de son activité
en cas d’adhésion immédiate à un autre réseau. Ils en avaient
déduit que cette clause était licite.
La requérante contestait la solution ainsi retenue par les juges
d’appel, arguant qu’« une clause de non-concurrence, tout
comme une clause de non-réaffiliation, [ne serait] licite que
si elle comporte l’obligation pour son bénéficiaire de verser au
débiteur de [ladite] obligation (…) une contrepartie financière »
– ce qui n’était manifestement pas le cas.
La chambre commerciale rend un arrêt de rejet et, validant
le raisonnement des juges d’appel, elle rappelle qu’une telle
clause n’avait pas, en outre, à être rémunérée.
➤ Lamy droit économique 2012, nos 2890 et s.
3930
Réforme de la publicité
extérieure
Le décret n° 2012-118 du 30 janvier 2012 précise
et encadre la réforme de la publicité extérieure issue
de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant
engagement national pour l’environnement,
dite « Grenelle II ».
D. n° 2012-118, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
Le décret du 30 janvier 2012 réduit les formats des dispositifs
publicitaires muraux, en fonction de la taille des agglomérations,
jusqu’à quatre mètres carrés dans les agglomérations de moins
de 10 000 habitants. Il institue une règle de densité pour les
dispositifs classiques scellés au sol et muraux le long des voies
ouvertes à la circulation publique, par une limitation à un dispositif publicitaire par linéaire de 80 mètres sur le domaine privé et
un autre sur le domaine public. Il précise les règles particulières
et dérogatoires applicables dans les aéroports et les gares, afin
de tenir compte de leur spécificité en termes de tailles et de
fonctionnement, en particulier pour les plus grands aéroports.
Ce texte institue par ailleurs une obligation d’extinction des
dispositifs lumineux : les publicités lumineuses devront être
éteintes la nuit, entre une heure et six heures du matin,
sauf pour les aéroports et les unités urbaines de plus de
800 000 habitants, pour lesquelles les maires édicteront les
En bref…
Déclaration préalable de soldes
complémentaires
L’arrêté du 8 janvier 2009 relatif à la déclaration préalable
des périodes complémentaires de soldes a été modifié
par un arrêté du 1er février 2012. La modification porte
sur l’introduction dans le formulaire de déclaration préalable d’une mention relative à la protection des données
personnelles (droit d’accès et de rectification pour les
personnes concernées à leurs informations à caractère
RLDA
RLDA
➤ Lamy droit économique 2012, nos 2461, 2522 et s. et 4624 et s.
règles applicables. Les enseignes lumineuses suivront les
mêmes règles.
Il contient en outre des dispositions spécifiques sur les publicités lumineuses, en particulier numériques, en ce qui concerne
leur surface, leur luminance, leur consommation énergétique
et leur dispositif anti-éblouissement. De même, s’agissant de
la publicité sur les bâches. Il opère à cet égard une distinction
entre les bâches de chantier et les bâches publicitaires.
Enfin, il précise que les règlements locaux de publicité, adaptations communales des règles nationales, ne pourront dorénavant qu’être plus restrictifs que la règle nationale, notamment
en matière de publicité lumineuse et d’enseignes lumineuses.
Ces nouvelles règles entreront en vigueur le 1er juillet 2012, à
l’exception de celles relatives aux préenseignes dérogatoires,
qui entreront en vigueur le 13 juillet 2015 (D. n° 2012-118 préc., art. 17).
Les règlements locaux de publicité en vigueur devront être mis
en conformité avant le 13 juillet 2020.
ACTUALITÉS
DROIT ÉCONOMIQUE
3931
Prix du livre numérique :
infractions et sanctions
Les peines d’amende contraventionnelle
applicables en cas d’infraction aux dispositions
de la loi sur le prix du livre numérique précisées
par un décret du 30 janvier 2012.
D. n° 2012-146, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
La loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 avait prévu que les peines
d’amendes contraventionnelles applicables en cas d’infraction
à ses dispositions seraient définies par décret (L. n° 2011-590,
26 mai 2011, art. 7). C’est maintenant chose faite avec le décret
n° 2012-146 du 30 janvier 2012 qui définit les cas d’infraction
à la loi précitée et le régime des sanctions pénales qui leur
est applicable.
Sont désormais punis de l’amende prévue pour les contraventions de la troisième classe, soit tout au plus 450 euros :
– Le fait, pour une personne établie en France qui édite un
livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en
France, de ne pas fixer un prix de vente au public pour chacune
des offres qu’elle propose conformément à l’article 2 de la loi
sur le prix du livre numérique.
>
personnel recueillies par l’Administration) conformément
aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978
relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Arr. 1er févr. 2012, NOR : EFII1202323A
E-commerce : les chiffres de l’année 2011
À l’occasion d’une conférence de presse le 30 janvier
2012, la Fédération du e-commerce et de la vente à
distance (FEVAD) a présenté au ministre de l’Industrie,
de l’Énergie et de l’Économie numérique le bilan du
e-commerce pour l’année 2011.
Les ventes en ligne ont poursuivi leur croissance en
2011 avec 37,7 milliards d’euros dépensés en ligne, ce
qui représente une hausse de 22 % par rapport à 2010
et une multiplication par 2,5 depuis 2007.
On retiendra également que plus de 30 millions de
Français achètent aujourd’hui sur Internet, soit une
progression de 11 % et près de 3 millions de nouveaux
cyber-acheteurs en un an.
Enfin, le nombre de sites marchands dépasse désormais
le seuil des 100 000 sites, avec une augmentation de
18 000 sites sur l’année 2011 (+ 23 % par rapport
à 2010).
Communiqué de presse, MINEFI, 30 janv. 2012 ;
Communiqué de presse, FEVAD, 30 janv. 2012
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
53
• OBSERVATIONS • Sur cette question en général, cf. le numéro à paraître
de la RLDA 2012/72, publiant les actes du colloque « La délégation
de pouvoirs dans l'entreprise : nécessité et dangers » qui s'est tenu le
16 mars 2012 à la Faculté de droit de Dijon.
RLDA
On rappellera ici que cet article oblige en effet « toute personne
établie en France qui édite un livre numérique dans le but de
sa diffusion commerciale en France [à] fixer un prix de vente
au public pour tout type d’offre à l’unité ou groupée », étant
précisé que ce prix, qui peut différer en fonction du contenu
de l’offre et de ses modalités d’accès ou d’usage, doit être porté
à la connaissance du public (cf. L. n° 2011-590 préc., art. 2).
Une exception est cependant prévue pour les livres numériques qui « sont intégrés dans des offres proposées sous forme
de licences d’utilisation associant à ces livres des contenus
d’une autre nature et des fonctionnalités » (cf. D. n° 2012-146 préc.,
art. 1er renvoyant à L. n° 2011-590 préc., art. 2, al. 3).
– Le fait de proposer une offre de livre numérique aux acheteurs situés en France sans respecter le prix fixé dans les
conditions ci-dessus.
Ce décret est entré en vigueur le 1er février 2012.
Démarchage à domicile :
interdiction de recevoir une
quelconque contrepartie
Le professionnel ne peut recevoir du client démarché
un ordre de virement avant l’expiration du délai de
réflexion de sept jours, quand bien même l’ordre
de virement n’aurait pas été mis à exécution avant
l’expiration de ce délai.
➤ Lamy droit économique 2012, n° 3194
Pratique commerciale
trompeuse : responsabilité
pénale des dirigeants
et délégation de pouvoirs
Dans un arrêt du 24 janvier 2012, la chambre
criminelle de la Cour de cassation revient sur les
conditions dans lesquelles une délégation de pouvoirs
peut permettre au directeur d’un magasin poursuivi
pour pratique commerciale trompeuse de s’exonérer
de sa responsabilité pénale.
Cass. crim., 24 janv. 2012, n° 11-84.045, P+B
La délégation de pouvoirs consentie à l’un de ses subordonnés par un directeur de magasin ne peut l’exonérer de sa
responsabilité pénale que si elle est effective en pratique. Tel
n’était manifestement pas le cas en l’espèce, les opérations
promotionnelles litigieuses n’ayant pas été décidées par le
délégataire, lequel contestait au surplus avoir disposé d’une
liberté suffisante dans le choix des produits soldés. Partant,
seule la responsabilité pénale du directeur du magasin pour
pratique commerciale trompeuse devait être retenue.
Cet arrêt est également l’occasion pour la chambre criminelle
de la Cour de cassation d’opérer un rappel à l’ordre quant
aux principes régissant l’application dans le temps d’une loi
pénale plus douce. Rappelant qu’« une loi nouvelle qui abroge
une incrimination s’applique aux faits commis antérieurement
à son entrée en vigueur et faisant l’objet de poursuites non
encore terminées par une décision passée en force de jugée »,
elle casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, en ce qu’il avait
déclaré le directeur du magasin ainsi que la société X coupables de soldes en dehors des périodes autorisées. En effet,
cette incrimination ayant été abrogée par la LME (L. n° 2008-776,
4 août 2008), des faits de ventes en soldes en dehors des périodes
autorisées commis antérieurement à son entrée en vigueur
ne pouvaient être poursuivis après cette date (cf. pour une solution
similaire, Cass. crim., 22 mars 2011, n° 10-80.203, RLDA 2011/60, n° 3443).
➤ Lamy droit économique 2012, nos 3144 et 5194
54
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
Cass. crim., 10 janv. 2012, n° 11-86.985, P+B
Le gérant d’une agence matrimoniale avait démarché à domicile un client pour la conclusion d’un contrat de courtage
matrimonial et avait reçu, le même jour (soit avant l’expiration du délai de réflexion), un ordre de virement permanent.
Poursuivi pour délit de demande ou d’obtention de paiement
ou d’accord avant la fin du délai de réflexion de sept jours
en matière de démarchage à domicile (cf. C. consom., art. L. 121-28),
il avait été relaxé par les juges d’appel.
Ces derniers avaient en effet estimé qu’en vertu de l’alinéa 3 de
l’article L. 121-26 du Code de la consommation, le professionnel
pouvait recevoir durant le délai de rétractation des engagements
ou des ordres de paiement, « sous réserve qu’il ne le mette pas
à exécution dans le délai de sept jours et qu’il les retourne au
consommateur dans les quinze jours suivant la fin du contrat ».
Cette interprétation est censurée : « l’alinéa 3 de l’article L. 121-26
du Code de la consommation doit [ en effet] être lu comme lié à
l’alinéa 2, tous deux ayant été insérés dans cet article par la loi du
1er février 1995 dans le but d’assouplir, pour la presse écrite, secteur
à protéger, le principe posé par l’alinéa 1er du même article ».
Ce faisant, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle
le caractère absolu de l’interdiction posée à l’alinéa 1er de l’article
L. 121-26 du Code de la consommation : peu importe que l’ordre
de virement obtenu du client démarché n’ait pas été exécuté avant
l’expiration du délai de réflexion, « il est interdit au professionnel
d’obtenir du client démarché à son domicile, avant l’expiration
[de ce délai], directement ou indirectement, à quelque titre que
ce soit, une contrepartie ou un engagement quelconque ».
➤ Lamy droit économique 2012, n° 5486
RLDA
RLDA
CONSOMMATION
3932
3933
3934
Défaillance de l’emprunteur
Si la défaillance de l’emprunteur permet au prêteur
d’exiger le remboursement du capital restant dû,
majoré des intérêts échus mais non payés, ce dernier
ne peut cependant exiger la capitalisation des intérêts.
Cass. 1re civ., 9 févr. 2012, n° 11-14.605, P+B+I
Aux termes de l’article L. 311-32 du Code de la consommation,
dans sa version antérieure à la loi Lagarde (devenu, l’article L. 311-23),
aucune indemnité ou aucun coût autres que ceux mentionnés
aux articles L. 311-29 à L. 311-31 (anciens) du Code de la
consommation ne peuvent être mis à la charge de l’emprunteur
dans les cas de remboursement par anticipation ou de défaillance
prévus par ces articles. Conséquence : la capitalisation des intérêts prévue par l’article 1154 du Code civil ne peut être appliquée.
Dès lors, encourt la cassation l’arrêt d’appel qui avait retenu, pour
ordonner la capitalisation des intérêts demandée par la banque
à l’encontre de l’emprunteur défaillant, que les dispositions de
l’article 1154 du Code civil n’étaient pas exclues par le Code de
la consommation. En effet, « en statuant ainsi, la cour d’appel a
violé les textes susvisés [l’article L. 311-23 du Code de la consommation, ex-article L. 311-32, et l’article 1154 du Code civil], le
premier par refus d’application, le second par fausse application ».
RLDA
➤ Lamy droit économique 2012, n° 5946
3935
Sans OGM !
De nouvelles règles d’étiquetage pour les denrées
alimentaires issues de filières « sans OGM ».
D. n° 2012-128, 30 janv. 2012, JO 31 janv.
Jusqu’à présent, la réglementation prévoyait l’étiquetage
obligatoire de la présence d’OGM en cas d’utilisation vo-
En bref…
lontaire, mais ne définissait pas les modalités d’information
du consommateur pour les filières « sans OGM ». Le décret
du 30 janvier 2012 ci-commenté, qui définit les règles (facultatives) d’étiquetage des produits pour les opérateurs
souhaitant valoriser une production sans OGM, vient pallier
à cette lacune.
Désormais, trois catégories d’ingrédients pourront faire l’objet
d’une mention du type « sans OGM » :
– les ingrédients d’origine végétale, s’ils sont issus de matières
premières contenant au maximum 0,1 % d’OGM ;
– les ingrédients d’origine animale, avec des mentions distinctes selon que les animaux sont nourris avec des aliments
contenant moins de 0,1 % ou moins de 0,9 % d’OGM
(« nourri sans OGM (< 0,1 %) » ou « nourri sans OGM
(< 0,9 %) » ;
– les ingrédients apicoles, lorsqu’ils sont issus de ruches
situées à plus de 3 km de cultures génétiquement modifiées
(« sans OGM dans un rayon de 3 km »).
Par ailleurs, il sera possible de reprendre « en face avant »
(c’est-à-dire dans le champ visuel principal de l’emballage),
en plus des indications figurant dans la liste des ingrédients,
une mention du type « sans OGM » pour tout ingrédient qui
représente plus de 95 % de la denrée alimentaire.
Ces nouvelles règles d’étiquetage entreront en vigueur le
1er juillet 2012.
➤ Lamy droit économique 2012, n° 6305
Appel à participation à l’attention
des doctorants ou jeunes docteurs
Dans le cadre des activités du Réseau universitaire
européen « droit de l’espace de liberté sécurité jus-
Free condamné pour pratique
commerciale trompeuse
Le 7 février 2012, le fournisseur d’accès à Internet,
Free, a été condamné par le Tribunal correctionnel de
Paris à 100 000 euros d’amendes pour des pratiques
commerciales trompeuses commises au détriment
de ses abonnés. L’opérateur avait mis en place un
ACTUALITÉS
DROIT ÉCONOMIQUE
tice », mis en place par différents centres et unités
de recherches spécialisés en droit européen au sein
des Universités d’Aix-Marseille, Lyon, Paris-Nanterre,
Pau-Bayonne et Toulouse, sont organisés tous les ans
les ateliers doctoraux européens, consacrés à l’étude
de cet espace.
La troisième édition de ces sessions doctorales in-
dispositif de limitation du débit au détriment de ses
ternationales se tiendra à l’Université Jean Moulin,
clients non dégroupés. Ces derniers, toujours abonnés
Lyon 3, les 14 et 15 juin 2012, en partenariat avec
à l’opérateur historique, bénéficiaient d’une bande
l’Équipe de droit international, européen et com-
passante inférieure aux clients qui avaient choisi le
paré (EDIEC, Université Jean Moulin, Lyon 3) et le
dégroupement total.
soutien de l’École doctorale de droit (EDD – Lyon –
Cette condamnation fait suite à une enquête menée par
St-Étienne). Le thème : la fragmentation de l’espace
la DGCCRF en 2007. UFC-Que Choisir, qui avait déposé
de liberté, sécurité et justice. Les dossiers doivent
plainte dans cette affaire, a obtenu 40 000 euros de
être envoyés avant le 30 avril 2012. Pour plus de
dommages et intérêts.
renseignements :
Communiqué de presse, MINEFI, 7 févr. 2012
<http://cee.univ-lyon3.fr/>.
Journées techniques d'actualité :
document-cadre sur les programmes
de conformité aux règles de concurrence
et les clés de mise en pratique
Sur encouragement de l'Autorité de la concurrence,
les entreprises doivent se doter d'un programme de
conformité aux règles de concurrence et y consacrer
les moyens nécessaires pour en assurer le succès. Au
cours de cette journée, Lamy formation vous propose
de découvrir avec des experts, et à la lumière d'un
atelier pratique concret, comment élaborer ce programme, qui en est responsable au sein de l'entreprise
et comment mettre en place les mesures effectives
d'information, de formation et de sensibilisation.
Avec les interventions de : Fabien Zivy, chef du service
juridique de l'Autorité de la concurrence ; Jean-Louis
Fourgoux et Leyla Djavadi, avocats, Fourgoux & Associés.
Date : mardi 24 avril 2012, de 9h00 à 17h00
Tarif : 800 euros HT
Lieu : Paris
Renseignements et inscriptions : <http://www.lamyformation.fr/71/pages/formation/49/1020/4774document-cadre-sur-les-programmes-de-conformite->
Contact : [email protected] / 0825080800
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55
DROIT DU TRAVAIL
Sous la direction scientifique de Paul-Henri ANTONMATTÉI, Professeur à la Faculté de Droit de Montpellier,
Doyen honoraire, Directeur du Laboratoire de Droit social de la Faculté de Droit de Montpellier (Université Montpellier I),
Avocat associé, J. Barthélémy et associés.
L
orsque l’employeur permet au salarié de bénéficier d’une formation au-delà de ses obligations légales,
la clause de dédit-formation est un moyen efficace de s’assurer qu’il en conservera le bénéfice. La
question se pose alors des conditions de validité d’une telle clause et plus encore de ses conditions
de mise en œuvre. La chambre sociale de la Cour de cassation vient à ce sujet de préciser qu’« une clause
de dédit-formation ne peut être mise en œuvre lorsque la rupture du contrat de travail est imputable à
l’employeur ». Ainsi en est-il en cas de prise d’acte de la rupture par le salarié qui, fondée par le comportement
de l’employeur, produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par ailleurs, les magistrats de la Cour de cassation poursuivent leur construction prétorienne du régime de ce
type de rupture. Ainsi, par un arrêt du 25 janvier 2012, ils viennent de préciser que lorsque la prise d’acte n’est
pas fondée par le comportement de l’employeur et produit les effets d’une démission, cela ne peut avoir aucune
influence sur les conditions de mises en œuvre de la clause de non concurrence et cela ne justifie pas la mise
à l’écart de la responsabilité de l’employeur qui a tardé à remettre au salarié les documents de fin de contrat.
Enfin, nous reviendrons sur un arrêt de la chambre sociale du 14 décembre 2011 qui précise les conditions
de désignation du représentant syndical au comité d’entreprise ou d’établissement depuis les nouvelles
dispositions de la loi du 20 août 2008 et la création du représentant de la section syndicale.
Isabelle CORNESSE
Par Isabelle
b ll
CORNESSE
Maître de conférences
Faculté de droit de
Montpellier
Des conditions de mise en œuvre
des clauses de dédit-formation en
cas de prise d’acte du salarié ou
de l’imputabilité de la rupture
RLDA
Une clause de dédit-formation ne peut être mise en œuvre lorsque la rupture
du contrat de travail est imputable à l’employeur.
Dès lors, en cas de prise d’acte de la rupture de la salariée produisant les effets d’un
licenciement sans cause réelle et sérieuse, celle-ci ne manque pas de son fait à son engagement
de rester pendant une certaine durée au service de son employeur en contrepartie
de la formation qui lui était dispensée.
3936
Cass. soc., 11 janv. 2012, n° 10-15.481, P+B
L
a clause de dédit-formation est la clause suivant laquelle, en contrepartie d’une formation
financée par l’employeur, le salarié s’engage
à ne pas quitter son emploi pendant un certain temps à l’issue de cette formation et à
verser, en cas de départ anticipé, une somme convenue à
l’avance, à titre de remboursement des frais. La validité de
ces clauses est reconnue depuis longtemps par les juges
qui les qualifient de clauses pénales (Cass. soc., 23 janv. 1985, n° 8242.992, Bull. civ. V, n° 58). Elles sont, en effet, un moyen efficace
de s’assurer que le bénéfice de la formation profitera bien
à l’employeur qui l’a financée et que le salarié ne pourra le
conserver sans contrepartie (Cass. soc., 17 juill. 1991, n° 88-40.201, Bull.
civ. V, n° 373, D. 1991, IR, p. 225, CSB 1991. 193, A. 44, RJS 1991, n° 1072). La jurisprudence impose toutefois le respect de quatre conditions.
56
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
La première tient à la finalité même de la clause et suppose
que celle-ci soit la contrepartie d’une formation réelle dont le
montant dépasse celui imposé en application des obligations
légales ou conventionnelles à la charge de l’employeur (Cass.
soc., 9 févr. 1994, n° 91-44.644 ; Cass. soc., 5 janv. 1995, n° 90-45.374). La seconde
tient à l’accord exprès du salarié qui doit être formalisé par
une convention particulière prévue ou annexée au contrat
avant le début de la formation (Cass. soc., 4 févr. 2004, n° 01-43.651, Bull.
civ. V, n° 40, Semaine sociale Lamy, n° 1159, p. 14). La troisième condition
concerne la durée de l’engagement qui doit être proportionnée à la formation suivie et notamment à son coût et à sa
durée (Cass. soc, 12 mars 1987, n° 84-41.056). La quatrième condition
impose plus largement aux juges de s’assurer que la clause
n’a pas pour objet de priver le salarié de démissionner (Cass.
soc., 4 juin 1987, n° 84-43.639 ; Cass. soc., 17 juill. 1991, préc.).
REPÈRES
DROIT DU TRAVAIL
Reste une question essentielle qui concerne les cas de rupture
et applicables en cas de démission, les versements réalisés au
permettant la mise en œuvre de ce type de clause et à laquelle
titre de ces clauses étant affectés par l’entreprise au financement
l’affaire commentée apporte une réponse. En l’espèce, une
d’actions dans le cadre du plan de formation. »
salariée est engagée le 7 janvier 2005 en qualité de psychoLa jurisprudence a déjà eu l’occasion de déplacer la question
logue. Son contrat de travail comportait une clause de déditplus largement sur le terrain de l’imputabilité de la rupture et
formation par laquelle elle s’engageait, en contrepartie de la
sur la distinction entre initiative et imputabilité. Il s’agit alors
formation assurée par son employeur, à rester à son service
de déterminer qui est à l’origine du non-respect de l’obligation
pendant cinq années et à lui verser, en cas de rupture anticipée,
du salarié de rester un certain temps au service de l’employeur
une indemnité au titre des frais de formation engagés. Deux
à l’issue de la formation. Ainsi, la clause ne s’applique pas
ans plus tard, la salariée prend acte de la rupture et saisit la
lorsque le salarié démissionne à la suite de l’attitude de
juridiction prud’homale afin de faire reconnaître que la prise
l’employeur, c’est-à-dire lorsque la démission intervient à
d’acte produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle
l’initiative du salarié mais que celle-ci est imputable à l’emet sérieuse. L’employeur fait alors une demande reconvenployeur (qui par exemple ne respecte pas son obligation de versement des salaires :
tionnelle en paiement d’une somme au titre de la clause de
Cass. soc., 4 juill. 1990, n° 87-43.787 ou son obligation de formation : Cass. soc., 28 mars
dédit-formation. La cour d’appel reconnaît, tout d’abord, que
1995, n° 91-45.088). C’est dans cette lignée que s’inscrit l’arrêt de la
la prise d’acte était justifiée par le comportement de l’emchambre sociale du 12 janvier 2012 et la résiliation judiciaire
ployeur et produisait les effets d’un licenciement sans cause
prononcée aux torts de l’employeur devrait suivre le même
réelle et sérieuse. Elle condamne, ensuite, la salariée au paiesort. En faisant référence à la seule imputabilité de la rupture,
ment d’une somme au titre de la clause
la solution nous conduit à nous interrode dédit-formation. Telle ne sera pas la
ger plus largement sur la mise en œuvre
position des magistrats de la Cour de casde la clause de dédit-formation lorsque
sation pour lesquels ces deux solutions
c’est l’employeur qui prend l’initiative
Le versement de la
apparaissent contradictoires. Au visa de
de la rupture. Cela suppose alors de discontrepartie financière
l’article 1134 du Code civil, ils posent
tinguer parmi les licenciements ceux que
n’est-elle exclue que
le principe suivant lequel « une clause
l’on peut considérer comme imputables
lorsque la rupture est
de dédit-formation ne peut être mise en
au salarié ou, au contraire, à l’employeur
directement imputable à
œuvre lorsque la rupture du contrat de
afin de s’assurer de l’application ou non
travail est imputable à l’employeur. » Ils
de la clause de dédit-formation. Nul
l’employeur ?
en déduisent alors que la cour d’appel
doute que celle-ci ne peut jouer lorsque
ne pouvait faire droit à la demande de
le licenciement est reconnu sans cause
l’employeur dès lors qu’elle avait admis
réelle et sérieuse (CA Paris, 7 janv. 1971, Sté Olivetti
« que la prise d’acte de la rupture de la salariée produisait les
c. Crouzet, Dr soc. 1979, p. 160). De même, un licenciement économique
effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce dont
ne semble pas permettre la mise en œuvre de la clause alors
il résultait que la salariée n’avait pas manqué de son fait à
que c’est le fonctionnement de l’entreprise qui est à l’origine
son engagement de rester pendant une certaine durée au serde la rupture (CA Montpellier, 26 févr. 1991, Favresse c. Fourtet, RJS 1991, n° 1073).
vice de son employeur en contrepartie de la formation qui lui
D’autres situations supposeraient quelques précisions de la
était dispensée. » Ainsi, conformément à la jurisprudence de
part de la chambre sociale de la Cour de cassation. Ainsi en
la chambre sociale de la Cour de cassation du 25 juin 2003
est-il des licenciements pour faute. Certaines cours d’appel
(Cass. soc., 25 juin 2003, nos 01-41.151 et 01-40.235, Bull. civ. V, n° 208, Dr soc. 2003,
ont admis que la clause de dédit-formation avait vocation à
jouer en cas de licenciement pour faute grave (CA Nancy, 25 avril
p. 817), soit la prise d’acte est justifiée par le comportement de
l’employeur, imputable à celui-ci, elle produit alors les effets
1983, Portolès c/Sothef, Dr soc.1989, p. 392). Cela suppose de préciser ce
d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la clause de
que l’on entend par imputabilité de la rupture. Le versement
dédit-formation ne peut trouver application. Soit la prise d’acte
de la contrepartie financière n’est-elle exclue que lorsque la
n’est pas fondée, elle produit ici les effets d’une démission et
rupture est directement imputable à l’employeur ? À l’inverse,
le salarié est dans l’obligation de payer la somme prévue en
suffit-il que le comportement du salarié soit à l’origine de la
remboursement de la formation reçue.
rupture pour justifier la mise en œuvre de la clause ? La faute
La référence à l’imputabilité de la rupture va au-delà de la
sérieuse permettrait en ce cas de considérer que c’est bien « de
seule mise en œuvre de la clause en cas de démission ainsi
son fait » que le salarié n’a pu respecter « son engagement de
qu’envisagée par l’article R. 2241-9 8° du Code du travail (seul
rester pendant une certaine durée au service de son employeur
en contrepartie de la formation qui lui était dispensée », pour
article envisageant la clause de dédit-formation hormis l’article L. 6325-15 du code du travail
reprendre les termes de la Cour de cassation. Si l’on pousse un
qui exclut le recours à ce type de clause dans les contrats de professionnalisation) selon
peu le raisonnement, ne pourrait-on pas dire que l’inaptitude
lequel « la négociation triennale en matière de formation prophysique non professionnelle pourrait être considérée comme
fessionnelle et d’apprentissage porte notamment sur : 8° Les
du fait du salarié ? On perçoit ici la limite du raisonnement et
conditions d’application, dans les entreprises qui consacrent à la
toutes les difficultés de cette référence à l’imputabilité.
formation de leurs salariés un montant au moins égal à l’obliC’est donc avec impatience que nous attendons les précisions
gation minimale légale ou celle fixée par convention ou accord
de la Cour de cassation. Fort heureusement, en pratique, de
collectif de branche relative à la participation des employeurs au
nombreuses clauses de dédit-formation sont expressément
financement de la formation professionnelle continue, d’évenlimitées aux seuls cas de démission ou de licenciement pour
tuelles clauses financières convenues entre l’employeur et le
faute grave. ◆
salarié avant l’engagement de certaines actions de formation
>
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
57
DROIT
DU TRAVAIL
RLDA
Par le Laboratoire de droit social de la Faculté
de droit de Montpellier (Université Montpellier I)
3937
La démission abusive
n’autorise pas l’abus
de l’employeur
Le salarié lié par une clause de non-concurrence
devant bénéficier d’une contrepartie financière,
les parties ne pouvaient dissocier les conditions
d’ouverture de l’obligation de non-concurrence
et celles de son indemnisation.
Par des motifs inopérants tirés de la condamnation
du salarié pour démission abusive et du comportement
de l’employeur, alors que la remise tardive à un salarié
des documents lui permettant de s’inscrire au chômage
et du certificat de travail entraîne nécessairement un
préjudice qui doit être réparé par les juges du fond,
la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Cass. soc., 25 janv. 2012, n° 10-41.590, P+B
La Cour de cassation poursuit régulièrement la construction
du régime prétorien de la prise d’acte. Les conséquences
de cette résiliation unilatérale du contrat de travail par le
salarié, sont en effet de mieux en mieux précisées, dans le
sens d’un courant jurisprudentiel cohérent. L’on a pu noter
dernièrement le rappel de ce que cette « démission forcée »
produisait les effets d’un licenciement dénué de cause réelle et
sérieuse, ce qui rendait applicables à cette absence d’initiative
de l’employeur, les articles L. 1235–1 et suivants du Code du
travail encadrant son indemnisation judiciaire (Cass. soc., 7 déc.
2011, n° 10-14.156) : l’on comprend ceux qui regrettent, dans ce
contexte, le retour de « l’auto-licenciement’».
L’arrêt ici éclairé synthétise de façon judicieuse l’articulation
qu’impose l’appréciation de la prise d’acte, entre les régimes
de la démission et du licenciement illégitime. L’on sait en
effet que de façon constante, lorsqu’un salarié prend acte de
la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il
reproche à son employeur, cette rupture produit les effets
soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les
faits invoqués sont justifiés, soit dans le cas contraire d’une
démission (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43.463).
Le Juge, fatalement saisi en pratique d’un contentieux portant
sur la formation ou l’exécution du contrat, devra donc statuer
sur les griefs ainsi invoqués par le salarié, afin de définitivement qualifier la rupture : le demandeur doit donc d’une
part établir objectivement la réalité des reproches opposés à
l’employeur, mais en outre leur caractère suffisamment grave
pour justifier la résiliation du lien contractuel (Cass. soc., 19 janv.
2005, n° 02-41.113, Bull. Civ. V, n° 11, JCP E 2005, n° 22, p. 929). Sur ce point,
hormis les cas où la charge de la preuve est partagée (durée
et horaires de travail, par exemple) ou renversée (harcèlement
ou discrimination abusive), le doute profitera au défendeur,
c’est-à-dire ici l’employeur, conformément au Droit commun :
58
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
la résiliation du contrat à l’initiative du salarié sera donc
qualifiée de démission (Cass. soc., 19 déc. 2007, n° 06-44.754, Bull. civ. V,
n° 219, JCP S 2008, n° 12).
Contrairement à la résiliation judiciaire, le Juge est contraint
de fixer la date de la rupture du contrat de travail, au moment où la prise d’acte a été notifiée à l’employeur (Cass.
soc., 17 fév. 2010, n° 08-42.490, Bull. civ. V, n° 45, RJS 5/2010, p. 337) : la prise
d’acte conduit donc à une rupture immédiate, sans préavis
dû par le salariée victime des manquements ayant conduit
à la rupture. En revanche, contrairement au licenciement
disciplinaire, le salarié ayant spontanément accompli, ou
offert d’accomplir, un préavis de démission à la suite de sa
prise d’acte, ne remet pas en cause l’appréciation judiciaire
de celle-ci, et donc sa requalification éventuelle en licenciement abusif (Cass. soc., 2 juin 2010, n° 09-40.215, Bull. civ. V, n° 128, Semaine
sociale Lamy, n° 1451, p. 13).
Dans cette dernière hypothèse d’ailleurs, si la rupture produit
les effets d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, le
Juge doit accorder au salarié les dommages-intérêts afférents,
mais en outre l’indemnité de licenciement (le cas échéant
conventionnelle), ainsi qu’une indemnité compensatrice de
préavis (Cass. soc., 20 janv. 2010, n° 08-43.471, Bull. civ. V, n° 17, LPA 2010, n° 207,
p. 7). Or naturellement, si la prise d’acte justifiée est qualifiée
de licenciement abusif, sera-t-elle qualifiée de démission
abusive si elle était injustifiée ?
Ce n’est bien entendu pas le sens que l’on retient a priori
de la solution jurisprudentielle susvisée, inaugurée au début
des années 2000 : pourtant la démission imputable à l’employeur, reste une résiliation du contrat de travail à l’initiative du salarié. Par conséquent ce dernier doit respecter
en principe les conditions de cette résiliation contractuelle,
dont il n’est exonéré que si cette résiliation constitue de
sa part une réaction, sanction à un manquement de son
cocontractant.
Aussi dans l’hypothèse où la prise d’acte ne reposerait pas,
en définitive, sur des fautes de l’employeur suffisamment
graves pour la légitimer, elle devrait non seulement être
qualifiée de démission, mais entraîner rétrospectivement à
la charge du salarié, la mise en œuvre de ses obligations en
la matière. Or sur ce point, selon l’article L. 1237-1 du Code
du travail, le salarié démissionnaire doit impérativement
un préavis à son cocontractant employeur, lequel préavis
reste en pratique souvent régi par la convention collective
applicable.
Par ailleurs on relève que le non-respect de ce délai de
préavis par le salarié démissionnaire, constitue une démission abusive, en tant que brusque rupture : il sera donc
condamné à verser une indemnité compensatrice de préavis
à son ancien employeur, indemnité dont le montant est souverainement évalué par le juge (Cass. soc., 26 mars 2002, n° 00-40.321).
Pour finir, si la démission sans préavis est qualifiée de
rupture abusive, les articles L. 1237-2 et L. 1237-3 du Code
du travail consacrent de façon générale la responsabilité du
salarié, conformément au Droit commun des contrats, dans
le cadre de l’abus du droit de résilier le contrat de travail à
durée indéterminée.
L’on sait pourtant que l’employeur assumant seul les risques
d’exploitation de l’entreprise, ce n’est qu’en cas de faute lourde
que le salarié engage sa responsabilité à son profit (Cass. soc.,
6 mai 2009, n° 07-44.485, Bull. civ. V, n° 126, Dr soc. 2009, p. 865). Or cette faute
lourde n’est retenue que si l’employeur démontre expressément l’intention de nuire du salarié dans la commission de
son manquement (Cass. soc., 29 avril 2009, n° 07-42.294) : rares sont les
expressément un préjudice dû à ce retard (Cass. soc., 26 oct. 2011,
n° 10-20.112, JCP S 2012, 5). A fortiori l’employeur ne peut soit exercer une rétention de ces documents, soit encore légitimer un
retard dans leur remise au salarié, en raison ou en réaction à
un abus de ce dernier, dont il serait victime.
Par voie de conséquence la prise d’acte injustifié ne peut
conduire à la condamnation du salarié qu’à indemniser
la brusque rupture, ou le cas échéant les conséquences
de la faute lourde qu’il aurait commise, à l’exclusion de
toute autre réclamation de l’employeur. Cette solution
simple en apparence, ne doit toutefois pas dissimuler la
complexité des contentieux déclenchés par la prise d’acte
du salarié : ainsi même si cette résiliation est justifiée et
produit les effets d’un licenciement abusif, l’employeur
étant condamné à verser les indemnités de rupture et les
dommages-intérêts afférents, cela ne l’empêche pas de
réclamer la condamnation reconventionnelle du salarié
qui a, à l’occasion de la prise d’acte, commis des actes de
déloyauté dommageables, constitutifs d’une faute lourde
distincte des manquements de l’employeur (Cass. soc., 28 sept.
2011, n° 09-67.510, JCP S 2011, 49).
Bruno SIAU
Maître de conférences à la Faculté de Droit de Montpellier
Avocat à la Cour
RLDA
hypothèses où cette intention de nuire peut être matériellement
établie, la jurisprudence retenant principalement les actes
de dénigrement ou de concurrence déloyale à l’encontre de
l’entreprise employeur.
Il apparaît donc que la démission abusive est le seul cas
dérogatoire à ce principe prétorien, limitant la responsabilité
contractuelle du salarié. C’est la raison pour laquelle est
admise la solution selon laquelle « (…) en l’absence d’abus
manifeste ou d’intention de nuire du salarié, celui-ci ne peut
être tenu au paiement d’une autre indemnité que celle correspondant au préavis conventionnel (…) » en cas de démission
abusive (Cass. soc., 16 novembre 2004, n° 02-42.934).
L’on va donc naturellement retrouver les mêmes solutions
s’agissant de la prise d’acte injustifiée ; toutefois en raison
de la réalité pratique de cette résiliation à l’initiative du
salarié, ces solutions conduisent globalement à engager
systématiquement la responsabilité du salarié. En effet, la
rupture du contrat intervenant immédiatement à la date de sa
notification, et hormis l’hypothèse où le salarié a effectué ou
offert d’effectuer le préavis, il sera condamné inévitablement
à verser une indemnité de préavis s’il ne démontre pas les
griefs qu’il oppose à l’employeur (Cass. soc., 8 juin 2011, n° 09-43.208,
JSL, n° 304, p. 11).
En revanche l’employeur ne pourra obtenir de dommagesintérêts complémentaires, que s’il justifie objectivement
de l’intention de nuire de son adversaire, dans le cadre de
la rupture du contrat, et ce au-delà de la simple brusque
rupture. En tout état de cause, il ne pourrait quant à lui en
aucune manière commettre une quelconque inexécution
contractuelle, en rétorsion à une prise d’acte injustifiée.
Pareillement, ses propres manquements ne pourraient être
compensés par ceux du salarié ayant abusivement pris acte
de la rupture.
Le cas d’espèce illustre donc ce raisonnement : une salariée
a pris acte de la rupture de son contrat de travail, avec prise
d’effet immédiat, et a saisi le conseil de prud’hommes en vue
de la voir requalifiée avec toutes conséquences de droit. Or
le Juge rejette ces demandes et applique donc à la résiliation
du contrat les conséquences de la rupture brusque : la salariée est ainsi condamnée à verser à son ancien l’employeur,
l’indemnité compensatrice de préavis.
Mais au-delà de cette décision principale, d’autres demandes
salariales accessoires sont rejetées : d’une part le Juge confirme
la validité d’une clause de non-concurrence minorant la contrepartie financière en cas de démission. D’autre part il légitime
le retard apporté par l’employeur à la remise des documents
sociaux, en raison de l’absence d’abus manifeste (démontré)
et de la condamnation susvisée de la salariée. Ces solutions
sont cassées à la suite du pourvoi de l’intéressée (cf. Cass. soc.,
25 janv. 2012, susvisé).
En effet en premier lieu la Cour de cassation rappelle que
la clause de non-concurrence ne peut être conditionnée
par les causes ou les modalités de la rupture du contrat
de travail (Cass. soc., 20 oct. 2010, n° 08-19.748, Bull. civ. V, n° 242, RJS
1/2011, p. 30). Il est vrai que le salarié ne peut valablement
renoncer, y compris par une clause expresse du contrat de
travail, à la liberté de prendre l’initiative de la résiliation
du contrat : toute entrave à cette liberté de démissionner
est nulle, et la clause du contrat de travail en l’espèce est
donc réputée non-écrite.
En second lieu la remise tardive des documents sociaux, et
notamment de l’attestation destinée à Pôle emploi, pour la
liquidation des droits à assurance-chômage, doit être sanctionnée par le juge, sans que le salarié n’ait à démontrer
REPÈRES
DROIT DU TRAVAIL
3938
Représentant syndical
au comité d’entreprise :
une exigence de légitimité
La désignation d’un représentant syndical au comité
d’entreprise est une prérogative que la loi réserve aux
syndicats qui ont obtenu une légitimité électorale, soit
en étant reconnus représentatifs dans les entreprises
de moins de 300 salariés, soit en ayant des élus au
comité d’entreprise dans les autres entreprises, de
sorte que le représentant de la section syndicale
n’est pas de droit représentant syndical au comité
d’entreprise.
Cass. soc., 14 déc. 2011, n° 11-14.642, P+B.
La désignation du représentant syndical au comité d’entreprise
est décidemment sujette à débat. L’on pouvait imaginer que la
loi n° 2008-789 du 20 août 2008 avait rompu avec l’exigence
posée antérieurement de justifier de la représentativité, pour
désigner un représentant syndical au comité d’entreprise. En
effet, dans les entreprises de plus de 300 salariés, un syndicat
non représentatif a la possibilité de désigner un représentant
au comité d’entreprise, dès lors qu’il dispose d’au moins
deux élus (Cass. soc., 8 juill. 2009, n° 09-60.015, Bull. civ. V, n° 179, admettant
l’absence d’exigence de la représentativité ; Cass. soc., 4 nov. 2009, n° 09-60.066, Bull.
civ. V, n° 260, interprétant l’exigence de plusieurs élus, comme signifiant au moins
deux). Il s’en déduit qu’un syndicat non représentatif, ayant
eu deux élus peut désigner un représentant syndical, alors
à l’inverse qu’un syndicat remplissant au premier tour des
élections professionnelles la condition de représentativité
mais qui, au terme du second tour, n’a pas eu d’élu, n’a pas
la possibilité de désigner un représentant. Cette situation,
potentiellement génératrice d’inégalité, a suscité plusieurs
questions prioritaires de constitutionalité, dont la dernière a
été transmise par la chambre sociale de la Cour de cassation >
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
59
au Conseil constitutionnel le 18 novembre 2011. Bien que la
question ait été posée sur le terrain de l’absence de dispositions
transitoires prévue par la loi de 2008, le Conseil constitutionnel
n’en a pas moins rendu une décision dont la portée dépassera
largement la question de l’inégalité de traitement pendant
la période transitoire, puisqu’il conclut en ces termes : « en
subordonnant la désignation d’un représentant syndical au
comité d’entreprise à la condition pour un syndicat d’y avoir
des élus, le législateur n’a méconnu ni le principe d’égalité
entre les organisations syndicales, ni la liberté syndicale, ni
15-REPERES-PARTIE-Auteur_Ligne
xxxxxxxx
aucune
autre exigence constitutionnelle » 1(Cons.
const., 3 févr. 2012,
15-REPERES-PARTIE-Auteur_Ligne 2
n° 2011216 QPC). L’absence de motivation2 explicite du Conseil
15-REPERES-PARTIE-Auteur_Ligne
constitutionnel qui procède plus par affirmation que par démonstration, fait à nouveau débat (cf. Semaine sociale Lamy, n° 1525,
p. 12 et s. et entretien avec Akandji-Kombé J-F.).
Dans l’arrêt du 14 décembre 2011 ici commenté, ce sont les
conditions de désignation du représentant syndical au comité
d’entreprise
dans les entreprises
de moins de 300 salariés qui
Domaine Auteur-Fonction
, 15-REPERES-PARTIE-Domaine-
RXXXX
XXXXXXX
XXXX
XXXXXX
DOMAINE LIGNE1XXXXX
LIGNE2
étaient en jeu. La difficulté ici résolue était de concilier les
dispositions de l’article L. 2143-22 du Code du travail, aux
termes desquels le délégué syndical est de droit représentant
syndical au comité d’entreprise dans les entreprises de moins
de 300 salariés, avec celles de l’article L. 2142-1-1 du Code
du travail, qui confèrent aux représentants de la section
syndicale, désignés par un syndicat non représentatif, les
« mêmes prérogatives que le délégué syndical, à l’exception
du pouvoir de négocier des accords collectifs ». N’était-il pas
possible d’en déduire que, dans les entreprises de moins de
300 salariés, le représentant de la section syndicale est de
droit le représentant syndical au comité d’entreprise, puisque
bénéficiant des mêmes prérogatives que le délégué syndical ?
Autrement dit, l’intention du législateur n’a-t-elle pas été de
rompre le lien entre toute exigence de représentativité et la
désignation du représentant syndical au CE, que ce soit dans
les entreprises de plus de 300 salariés dans lesquelles il est
exigé simplement 2 élus, et celles de moins de 300 salariés
RLDA
Auteur xxx xxxxxxxxxxxxx
xx
15-REPERES-PARTIE-Titre
Droit disciplinaire
xxxxxxxx
Ne constitue pas une sanction disciplinaire le change-
En bref…
d’affectation
15-REPERES-PARTIE-Chapo xxxxxxx xxx ment
xxxxxx
xxxxxx d’un salarié consécutif au retrait de
son habilitation à la conduite de certains véhicules dès
xxxxxx
xxxxxxxxxx
xxxxxxx
Cadre dirigeant
lors qu’il a pour seul objet, conformément au règlement
15-REPERES-PARTIE-Cass
xxxxxxxxxx
xxxxxx
Selon
l’article L. 3111-2 du Code
du travail,
sont conside sécurité de l’exploitation d’un système de transport
dérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont
public guidé, d’assurer la sécurité des usagers, du per00-Texte_Courant
xxxxxxxx xxxxxxxx
confiées des responsabilitésxxxxxxxxxxxxxx
dont l’importance implique
sonnel d’exploitation et des tiers.
xxxxxxxxxxxxxx
une grande indépendance dans l’organisation de leur Cass. ass. plén., 6 janv. 2012, n° 10-14.688, P+B+R+I
emploi du temps, qui sont habilités à15-REPERES-PARTIE-Signature
prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent Essai
• OBSERVATION • 15-REPERES-PARTIE-Observ_Texte
une rémunération se situant dans les niveaux les plus Est déraisonnable, au regard de la finalité de la période
élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans d’essai et de l’exclusion des règles du licenciement
leur entreprise ou établissement ; ces critères cumulatifs durant cette période, une période d’essai dont la durée,
impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les renouvellement inclus, atteint un an.
cadres participant à la direction de l’entreprise.
Cass. soc., 11 janv. 2012, n° 10-17.945, P+B+R
Cass. soc., 31 janv. 2012, no 10-24.412, P+B+R
CDD
En vertu de l’article L. 1214-12 du Code du travail,
le contrat de travail à durée déterminée ne peut être
conclu que pour le remplacement d’un seul salarié
en cas d’absence. Il ne peut donc être conclu pour le
remplacement de plusieurs salariés absents, que ce soit
simultanément ou successivement.
Cass. soc., 18 janv. 2012, n° 10-16.926, P+B
et aussi...
Discrimination
15-REPERES-PARTIE-Breve_Titre
Ayant rappelé qu’en vertu de l’article L. 1132-1 du Code
15-REPERES-PARTIE-Breve_Texte
xxxxxxxxx
du travail, aucun salarié ne peut être licencié
enxxxxxx
raison
xxxxxxxx
xxxxxxxxxx
de son xxx
sexexxou
de son apparence physique, la cour
15-REPERES-PARTIE-Breve_Ref_Vert
d’appel a relevé que le licenciement avait été prononcé
15-REPERES-PARTIE-Breve_Cass
au motif, énoncé dans la lettre de licenciement que
15-REPERES-PARTIE-Breve_Ref
« votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d’oreilles sur
l’homme que vous êtes », ce dont il résultait qu’il avait
pour cause l’apparence physique du salarié rapportée
à son sexe. Ayant constaté que l’employeur ne justifiait
pas sa décision de lui imposer d’enlever ses boucles
d’oreilles par des éléments objectifs étrangers à toute
discrimination, elle a pu en déduire que le licenciement
reposait sur un motif discriminatoire.
Cass. soc., 11 janv. 2012, n° 10-28.213, P+B
60
Plan de départs volontaires
Si l’employeur qui entend supprimer des emplois pour
des raisons économiques en concluant avec les salariés
des accords de rupture amiable, n’est pas tenu d’établir
un plan de reclassement interne lorsque le plan de
réduction des effectifs au moyen de départs volontaires
exclut tout licenciement pour atteindre des objectifs qui
lui sont assignés en terme de suppression d’emplois, il
en va autrement lorsque le projet de réduction d’effectifs
de l’employeur implique la suppression de l’emploi de
salariés qui ne veulent ou ne peuvent quitter l’entreprise
dans le cadre du plan de départs volontaires ; le maintien
de ces salariés dans l’entreprise supposant nécessairement en ce cas un reclassement dans un autre emploi,
un plan de reclassement interne doit alors être intégré
au plan de sauvegarde de l’emploi.
Cass. soc., 25 janv. 2012, n° 10-23-516, P+B+R+I
Prise d’acte
La prise d’acte de la rupture du contrat de travail par
un salarié concerné par une procédure de suppression
d’emplois pour raisons économiques, lorsqu’elle est
justifiée par l’absence ou l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi que l’employeur est tenu d’établir,
produit les effets d’un licenciement nul.
Cass. soc., 25 janv. 2012, n° 10-23.516, P+B+R+I
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
Surveillance des salariés
Si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller
l’activité de ses salariés pendant le temps de travail,
il ne peut être autorisé à utiliser comme mode de
preuve les enregistrements d’un système de vidéosurveillance installé sur le site d’une société cliente
permettant le contrôle de leur activité dont les intéressés n’ont pas été préalablement informés de
l’existence.
Cass. soc., 10 janv. 2012, n° 10-23.482, P+B
Syndicats
Ne caractérise pas une diffusion au sens de l’article L.
2142-6 du Code du travail, un message syndical arrivé
dans les seules boîtes électroniques de responsables
d’agence.
Cass. soc., 10 janv. 2012, n° 10-18.558, P+B
UES
Il ne résulte ni de l’article L. 2322 4 du Code du travail,
ni d’aucun autre texte que la décision judiciaire qui
tend à la reconnaissance d’une unité économique et
sociale est rendue en dernier ressort ; si, dans ses arrêts
antérieurs, la Cour de cassation jugeait qu’étaient en
dernier ressort les décisions rendues sur une demande
de reconnaissance d’une unité économique et sociale
formées à l’occasion d’un litige électoral, l’entrée en
vigueur de la loi du 20 août 2008 conduit à revenir
sur cette jurisprudence dès lors que la demande de
reconnaissance ne peut plus désormais être formulée
à l’occasion d’un contentieux en matière d’élection
professionnelle ou de désignation de représentants
syndicaux pour lesquels le tribunal d’instance a compétence en dernier ressort. Il s’en déduit que la demande
de reconnaissance d’une unité économique et sociale,
qu’elle ait pour objet ou pour conséquence la mise en
place d’institutions représentatives correspondantes,
est indéterminée et que le jugement est susceptible
d’appel conformément à l’article 40 du Code de procédure civile.
Cass. soc., 31 janv. 2012, nos 11-20.232 et 11-20.233, P
dans lesquelles le représentant de la section serait en même
temps le représentant syndical au CE ?
Un tel raisonnement occulterait l’esprit général de la loi du
20 août 2008, qui place la légitimité électorale au cœur du
système de représentation des salariés. Le délégué syndical
doit disposer de cette légitimité électorale, puisqu’il doit être
choisi parmi les candidats aux élections professionnelles qui
ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier
tour des élections au comité d’entreprise ou à la délégation
du personnel (C. trav., art. L. 2143-3 ; Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 11-10.601, et nos
observations in RLDA 2012/67, n° 3841). Les syndicats ayant obtenu « des »
élus lors des dernières élections, dans les entreprises de plus
de 300 salariés, justifient aussi de cette légitimité électorale.
Et c’est bien à elle que fait référence la Cour de cassation
dans son attendu principal, en relevant que « la désignation
d’un représentant syndical au comité d’entreprise est une
prérogative que la loi réserve aux syndicats qui ont obtenu une
légitimité électorale, soit en étant reconnus représentatifs dans
les entreprises de moins de trois cents salariés, soit en ayant
des élus au comité d’entreprise dans les autres entreprises ».
Elle en déduit donc que « le représentant de section syndicale
n’est pas de droit représentant syndical au comité d’entreprise
ou d’établissement ».
On a salué la logique imparable du raisonnement (cf. Petit F.,
Dr soc. 2012, p. 216). Pour autant, on ne peut qu’être mal à l’aise
dans ce qui apparaît bien comme une nouvelle inégalité entre
organisations syndicales, puisque pour désigner un représentant syndical au CE dans les entreprises de moins de trois
cents salariés, il faut être représentatif, et que cela n’est pas
nécessaire dans les entreprises de plus de trois cents salariés.
Le débat est sans doute loin d’être clos.
Alain CHEVILLARD
Maître de conférences à la Faculté de droit de Montpellier
Avocat à la Cour
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
REPÈRES
DROIT DU TRAVAIL
61
RLDA
3939
Le groupement momentané d’entreprises
libérales (GMEL) : première structure
d’exercice interprofessionnel ?
Par Jack DEMAISON (1)
Avocat au Barreau de Paris
Le Conseil aux entreprises faisant appel à des compétences
diverses, nécessite l’intervention de différents professionnels
libéraux, agissant ensemble ou séparément. L’idée d’une
intervention interprofessionnelle au sein d’une structure
n’est pas nouvelle et revient régulièrement sur le devant
de la scène.
C’est ainsi que dans le cadre de la mission d’étude confiée à
Madame Brigitte Longuet par le Ministre des PME et professions libérales, celle-ci m’avait demandé de réfléchir à une
structure interprofessionnelle permettant à des professionnels
libéraux d’exercer en commun. Ce fut l’ébauche du GMEL.
Madame Brigitte Longuet devenue par la suite Vice-Présidente
de la Commission nationale des Professions Libérales me
demandait alors d’approfondir ma réflexion sur le GMEL. Il
s’agissait de définir le cadre d’une véritable structure d’exercice interprofessionnel.
Sans nier l’intérêt de l’interprofessionnalité capitaliste entre
prestataires appartenant à des professions réglementées du
chiffre et du droit, apparue avec la loi n° 2011-331 du 28 mars
2011, celle-ci est cependant principalement destinée aux professionnels eux-mêmes et si elle peut faciliter les interventions
en commun, elle ne saurait être assimilée à l’interprofessionnalité d’exercice, plus délicate à organiser mais souhaitée par
les entreprises.
Il y a donc lieu de tenter de répondre à cette attente, par approches successives et dans un premier temps aux moyens
de structures éphémères, légères et évolutives qui pourraient,
à partir d’opérations ponctuelles, tester la faculté pour les
professionnels libéraux de collaborer de façon permanente
au sein d’une structure juridique durable.
Le Groupement Momentané d’entreprises Libérales (GMEL)
pourrait tenir se rôle.
I.– PRÉSENTATION DU GMEL
Le GMEL permet à différents professionnels libéraux, personnes physiques ou morales, appartenant à des professions
réglementées ou non de se regrouper en vue de réaliser,
pour un client, une opération nécessitant des compétences
diverses, par exemple, juridiques, comptables, informatiques,
stratégiques, recrutement, etc.
Ce groupement purement contractuel et sans personnalité morale, qui peut être un prélude à la société d’exercice interprofessionnelle, permet à ses membres d’intervenir sur des missions
auxquelles leur taille respective ne leur donnerait pas accès, en
prenant conscience des compétences complémentaires des autres
membres et dans le respect du domaine d’intervention de chacun.
Du fait que certains professionnels intervenant au sein du groupement peuvent appartenir à des professions réglementées,
la responsabilité des membres ne saurait qu’être conjointe
et non solidaire.
De plus, le groupement ne peut être représenté que par un
collectif constitué par un représentant de chaque membre,
même si dans les faits, un représentant aura un rôle prépondérant dans la coordination des travaux.
Enfin, le choix des intervenants et les conditions de leur intervention doivent, à notre avis, être expressément approuvés
par le client dont la satisfaction est l’objectif essentiel.
Sont exposés dans un premier document intitulé : GMEL :
PRINCIPES ET RÈGLES DE FONCTIONNEMENT, les différents aspects du GMEL, sur lesquels ont porté la réflexion.
Suivent, les formules pratiques constituant la convention de
groupement.
Cette CONVENTION DE GMEL se compose de trois documents :
– un CONTRAT de groupement ;
– une annexe contenant les conditions particulières à L’OPÉRATION concernée ;
– une CHARTE D’ÉTHIQUE également annexée au contrat.
Les formules ci-après sont destinées à guider les intervenants
pour la rédaction de leurs conventions. Elles pourront être
améliorées, complétées et adaptées pour chaque cas concret,
en fonction des impératifs fixés.
II.– PRINCIPES ET RÈGLES DE FONCTIONNEMENT
DU GMEL
L’objectif du GMEL
Le GMEL n’a d’autre but que de rendre au client un service
efficace et professionnel, au moindre coût et dans des conditions de sécurité maximales.
Le GMEL est une structure juridique d’exercice
interprofessionnel
Même s’il ne jouit pas de la personnalité morale, le GMEL n’en
constitue pas moins une structure juridique au sein de laquelle
(1) Jack DEMAISON est associé au Cabinet SIMON ASSOCIÉS. Il est ancien membre du Conseil National des Barreaux, Expert près la Commission du Statut professionnel de l’Avocat au Conseil
National des Barreaux, Co-directeur scientifique et co-auteur de l’ouvrage Profession avocat et auteur des Formulaires Sociétés commerciales parus aux Éditions LAMY.
62
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
PERSPECTIVES PRATIQUE
Une structure juridique au sein de laquelle exercent
des professionnels responsables
La définition précise du rôle de chacun permet de fixer
les limites de sa responsabilité qui sera de deux ordres :
responsabilité professionnelle et responsabilité envers les
autres membres que nous pourrions convenir d’appeler « responsabilité interne ».
– La responsabilité professionnelle : C’est la responsabilité
envers le client. Elle ne saurait être solidaire au sein d’une
structure où cohabitent des professionnels dont seules les
prestations propres sont couvertes par une assurance. Elle sera
donc conjointe mais le client, comme les autres membres du
groupement, pourront s’assurer que les garanties seront bien
Une structure juridique au sein de laquelle est défini
précisées et suffisantes pour la mission confiée et couvriront
le rôle de chaque intervenant
les préjudices éventuellement subis par les autres membres
du fait de la défaillance de l’un d’eux (erreur, retard, etc.).
Le GMEL permet de substituer la transparence à l’opacité,
– La responsabilité interne : même si la défaillance d’un
la relation professionnelle à la pure relation d’affaires, la
prestataire fait l’objet d’une indemnisation au profit du client
coordination à l’improvisation, le professionnalisme à l’amaet des autres membres en réparation du préjudice financier
teurisme.
subi par eux, cette défaillance aura un impact sur la réputation
Il permet de créer une relation professionnelle responsable
des intervenants au groupement. Chaque membre sera ainsi,
basée sur une éthique exigeante à laquelle se soumettront
parce qu’il est lié aux autres au sein d’une structure, déposicontractuellement les membres.
taire de l’image de chacun des autres
– La transparence : la nature et le
membres de la structure. Les membres
coût de l’intervention de chacun des
seront donc solidaires de leur réputation
membres sont connus, non seulement
En aucun cas, le fait
ce qui les incitera à une grande vigilance
du client mais aussi de chacun des inpour des professionnels
dans le respect de l’exécution de la mistervenants. Cette transparence permet
sion dévolue à chacun d’eux, cette vigid’éviter les double-emplois et de garantir
de collaborer au sein
lance leur permettant de détecter au plus
une intervention au juste coût.
d’une structure
tôt les risques de défaillance et ainsi d’y
– La relation professionnelle : les
interprofessionnelle, même
remédier.
membres du GMEL, liés par une strucéphémère, ne doit entraîner
ture contractuelle ayant pour objectif
le risque de porter atteinte
La relation du GMEL avec le client
l’exécution d’une mission commune
au secret professionnel.
Du fait de la diversité des membres du
dans les meilleures conditions possibles,
groupement qui appartiennent à des prorechercheront le professionnalisme chez
fessions différentes dont certaines seront
leurs partenaires dont la qualité du serréglementées mais dont les prestations sont complémentaires,
vice rendu par eux participera à forger la réputation et la
le GMEL ne saurait être représenté auprès du client par une
compétitivité du groupement. À la relation d’affaires ou de
seule personne.
« copinage » non responsable se substituera la conscience
Cette tâche de représentation pourra donc être assumée par
d’appartenir à une équipe dont le succès dépend du sérieux,
un Comité qui serait composé d’un représentant de chaque
de la compétence et du professionnalisme de chacun.
membre, seul interlocuteur du client pour sa propre prestation.
La réussite et la réputation d’une équipe constituée au sein
Ce comité aurait également, en interne, la tâche de coordonner
d’un GMEL peut permettre à ses membres de postuler à des
les interventions, gérer les difficultés, vérifier la conformité
appels d’offre et de se recomposer dans le cadre de nouveaux
des demandes d’honoraires avec les conditions de paiement
GMEL pour des opérations de même type.
prévues et s’assurer du paiement de ces honoraires. Il gérerait
– La coordination : le travail d’équipe nécessite une coordien outre, les difficultés de toutes sortes qui pourraient surgir,
nation rigoureuse entre les intervenants, dont les modalités
et en particulier les défaillances.
seront prédéfinies aux termes du contrat de GMEL, avant le
début de l’intervention et non au fur et à mesure que les difDéontologie et secret professionnel
ficultés se présenteront et qu’il faudra résoudre parfois dans
En aucun cas, le fait pour des professionnels de collaborer au
les plus mauvaises conditions.
sein d’une structure interprofessionnelle, même éphémère, ne
La fixation contractuelle des règles de coordination des équipes
doit entraîner le risque de porter atteinte au secret professionconstitue une garantie pour l’entreprise cliente que l’opération
nel. Ce principe doit être fermement rappelé en préambule de
sera réalisée dans les délais prévus, sans perte de temps et
tous contrats de GMEL.
permet, le cas échéant, de localiser les responsabilités en cas
Comment concilier cette exigence avec les nécessités d’une
de difficulté.
information réciproque rendue indispensable par la réalisation
Il appartiendra donc aux intervenants d’être très précis dans
d’une mission en commun ?
la définition de l’opération qu’ils vont réaliser ensemble (par
Rappelons que la collaboration entre professionnels libéraux
exemple le regroupement de deux entreprises dans le cadre
existe dans les faits, qu’elle est même une pratique courante
d’une fusion, ou la restructuration d’un groupe de sociétés)
et que la question du respect du secret professionnel se pose
ainsi que la tâche attribuée à chacun d’eux, en s’attachant
sans qu’une réponse y soit apportée ou même recherchée.
particulièrement à bien définir les rôles pour les parties frontaOn improvise. Le GMEL constituera donc un progrès par
lières de leurs interventions, afin d’éviter les conflits entre eux,
rapport à l’existant en ce qu’il entend fixer des règles déontoujours préjudiciables à l’ensemble et au bon déroulement
tologiques qui devront être observées par les membres. Ces
de l’opération entreprise.
divers professionnels libéraux participent à une opération
ponctuelle. Cette structure juridique permet de définir avec
précision, le rôle de chacun qui se situera exclusivement dans
son domaine de compétence en garantissant ainsi, la qualité
du service rendu.
Il se substituera à ces groupements informels inorganisés qui
se constituent lors d’opérations nécessitant l’intervention de
plusieurs professionnels dont certains cherchent parfois à
maximiser leur intervention au détriment des autres et au
mépris de l’objectif rappelé ci-dessus. Il s’agit donc d’une
structure attendue par les entreprises dont les besoins existent
et sont souvent mal satisfaits.
N ° 6 6 • D É C E M B R E 2 0 11 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
>
63
L E G R O U P E M E N T M O M E N TA N É D ’ E N T R E P R I S E S L I B É R A L E S ( G M E L ) : P R E M I È R E S T R U C T U R E D ’ E X E R C I C E I N T E R P R O F E S S I O N N E L ?
règles déontologiques viseront le secret professionnel, l’indépendance et la confidentialité.
– Le secret professionnel partagé : chaque membre du GMEL
appartenant à une profession réglementée, sera tenu au
secret professionnel et ne pourra ainsi divulguer aucune des
informations dont il aura eu connaissance dans le cadre de
l’accomplissement de la mission qui lui est dévolue. Toutefois,
d’autres professionnels auront pu avoir connaissance de ces
mêmes informations qui leur seront également nécessaires
pour réaliser leur prestation. Il s’agira donc d’un secret professionnel partagé par des professionnels qui seront tenus de
son respect à l’égard des tiers.
La question va prendre une autre dimension lorsque l’information sera accessible à des prestataires issus de professions
libérales non réglementées donc non tenus statutairement au
respect du secret professionnel. Deux réponses sont rendues
possibles par le GMEL : l’une consiste en une graduation
du secret professionnel, l’autre en l’adhésion à une charte
d’éthique spécifique.
– Le secret professionnel à différents niveaux : il n’est pas
obligatoirement nécessaire que tous les membres du GMEL
aient une connaissance complète de tous les aspects de l’opération réalisée en commun. Par exemple, en cas de fusion de
sociétés, le « coach » qui sera appelé à préparer les équipes
des entreprises concernées à travailler ensemble (ce qui n’est
pas une tâche de moindre importance) n’a pas besoin de
connaître les aspects fiscaux et financiers de l’opération et,
notamment, le calcul du rapport d’échange des droits sociaux
des sociétés concernées. Il devra cependant recueillir certaines
informations juridiques nécessaires à l’accomplissement de sa
prestation (régimes sociaux des personnels concernés, avantages sociaux, organigrammes etc.), qu’il partagera avec les
autres intervenants appartenant à des professions réglementées ou non, chargées d’harmoniser les régimes sociaux, de
traiter les questions relatives à la représentation sociale, celles
de l’organisation des services après fusion des entités, etc.
Dans ce cas, la réponse du GMEL sera de créer divers niveaux d’information auxquels le contrat précisera les noms
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R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • D É C E M B R E 2 0 11 • N ° 6 6
des personnes y ayant accès. Chaque membre se verra ainsi
habilité pour un niveau d’information, lequel devra être défini
dans les conditions particulières du contrat.
– Une charte d’éthique spécifique : un des grands intérêts du
GMEL consiste à permettre à des intervenants appartenant
à des professions non réglementées mais non dépourvues
d’éthique pour autant, d’adhérer à des principes déontologiques qui seront fixés aux termes du contrat constitutif ou
dans un document annexe, cette adhésion conditionnant la
participation du professionnel concerné au groupement.
Cette charte d’éthique, outre qu’elle aurait le mérite d’occuper le vide juridique actuel, garantirait le respect du secret
professionnel, de l’indépendance et de la confidentialité des
informations. Le non-respect par un intervenant de cette charte
pourrait entraîner son exclusion du groupement.
– Indépendance des membres : il va de soi que la collaboration
professionnelle entre les différents membres du groupement ne
peut et ne doit s’effectuer que dans le strict respect des règles
d’indépendance applicables à chacun des professionnels concernés. Corrélativement, il ne saurait exister un quelconque lien
hiérarchique entre les membres. En outre, il sera veillé à ce que
les règles d’incompatibilités professionnelles soient respectées.
– Confidentialité : les participants au GMEL doivent s’engager
dans le contrat à conférer un caractère confidentiel à toutes
les correspondances échangées entre eux.
Afin d’illustrer cette définition du GMEL, sont jointes une formule de groupement ainsi qu’une ébauche de charte d’éthique
constituant un engagement des participants.
Il est nécessaire d’avancer vers une réelle interprofessionnalité. Elle est gage de qualité des prestations, de respect
mutuel des prestataires et d’apaisement des tensions qui ont
pu exister entre certains professionnels du Chiffre et du Droit.
Mais il ne s’agit pas de réserver l’interprofessionnalité à un
club de professions réglementées. Elle doit, au contraire, être
l’occasion de souder la famille professionnelle libérale au sein
de laquelle co-habitent de nombreux professionnels de qualité,
réglementés ou non et dont l’objectif commun affiché est le
service du client. ◆
RLDA
PERSPECTIVES PRATIQUE
3940
Formules de Convention de groupement
momentané d’entreprises libérales,
de Conditions particulières
et de Charte d’éthique
Par Jack DEMAISON
Avocat au Barreau de Paris
CONVENTION DE GROUPEMENT MOMENTANÉ
D’ENTREPRISES LIBÉRALES
ENTRE LES SOUSSIGNÉS
<A> Société < > de <indiquer la profession> au capital
de < > euros.
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés
de < > sous le numéro < >
Représentée par < > en qualité de < >, spécialement habilité aux fins des présentes en vertu d’une décision de < >
en date du < >.
DE PREMIÈRE PART
< B > Société < > de <indiquer la profession> au capital
de < > euros.
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés
de < > sous le numéro < >
Représentée par < > en qualité de < >, spécialement habilité aux fins des présentes en vertu d’une décision de < >
en date du < >.
DE SECONDE PART
< C > Société < > de <indiquer la profession> au capital
de < > euros.
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés
de < > sous le numéro < >
Représentée par < > en qualité de < >, spécialement habilité aux fins des présentes en vertu d’une décision de < >
en date du < >.
DE TROISIÈME PART
IL A ÉTÉ PRÉALABLEMENT EXPOSÉ CE QUI SUIT :
Chacun des soussignés exerce une profession libérale.
< >, la profession de < > réglementée par la Loi < >
< >, la profession de < > réglementée par < >
< >, la profession de < >
N’ayant pas la capacité ou les compétences pour répondre
seuls aux besoins de < > (LE CLIENT), ils ont décidé de se
grouper en vue de l’opération ci-après déterminée, dans le but
d’apporter au CLIENT, pour ladite opération, l’ensemble des
compétences nécessaires à sa réalisation, dans les meilleures
conditions professionnelles et financières. <fournir plus de
détails si nécessaire>.
CECI EXPOSÉ IL A ÉTÉ ARRÊTÉ ET CONVENU CE QUI
SUIT :
Article 1 – Objet de la Convention
La présente convention a pour objet de définir l’opération
(ci-après dénommée « l’OPÉRATION ») demandée par le
CLIENT et décrite ci-après aux conditions particulières, la
tâche attribuée à chacun des intervenants soussignés, les
règles de coordination entre ces intervenants, leurs rapports
avec le CLIENT ainsi que la responsabilité leur incombant.
Article 2 – Nature du groupement – Dénomination
Le présent groupement momentané d’entreprises libérales
(GMEL) n’a pas de personnalité morale. Il est constitué pour
une période limitée en vue de la réalisation de « l’OPÉRATION ».
Il ne regroupe que des entreprises libérales, réglementées
ou non qui agissent dans le respect des règles et usages
professionnels et déontologiques qui leur sont propres, sans
solidarité entre eux.
Dans les rapports entre les membres et avec le CLIENT, le
groupement sera dénommé « < > ».
Article 3 – Répartition des tâches – Obligations des intervenants
Les tâches attribuées à chaque intervenant en vue de la
réalisation de « l’OPÉRATION » sont définies aux conditions
particulières ci-après fixées. Chacun des intervenants s’oblige
à exécuter la tâche qui lui est attribuée dans le respect des
autres. En particulier il s’engage à ne pas empiéter sur les
tâches des autres intervenants et à les tenir régulièrement
informés des difficultés qui pourraient surgir à ce sujet lors
de l’exécution de « l’OPÉRATION ».
Article 4 – Comité de coordination
Le groupement est doté d’un Comité de coordination qui en
constitue l’organe de gestion chargé de veiller à l’exécution
des prestations incombant aux membres dans le respect de la
« CHARTE D’ÉTHIQUE » visée à l’article 9 ci-après.
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
>
65
F O R M U L E S D E C O N V E N T I O N D E G R O U P E M E N T M O M E N TA N É D ’ E N T R E P R I S E S L I B É R A L E S , D E C O N D I T I O N S PA R T I C U L I È R E S
ET DE CHARTE D’ÉTHIQUE
Le Comité de coordination est composé d’un représentant désigné
par chacun des soussignés, membres du présent groupement.
Le Comité de coordination a pour mission générale d’être le
mandataire du Groupement et son intermédiaire auprès du
« CLIENT ». À ce titre il est habilité à signer avec le CLIENT la
convention de réalisation de « l’OPÉRATION ». Cette convention
n’est valable que si elle comporte la signature de chacun des
membres du Comité.
Le Comité de coordination assure la coordination des tâches
confiées à chacun des intervenants et veille au respect du
calendrier fixé d’un commun accord entre eux et le CLIENT
pour la réalisation de l’OPÉRATION.
Il est saisi par les intervenants de toutes difficultés qu’ils
pourraient rencontrer dans le cadre de la réalisation de
l’OPÉRATION et recherche les solutions à apporter aux
problèmes rencontrés. Il répercute aux membres les observations ou réserves formulées par le CLIENT dans l’exécution des tâches.
Le Comité de coordination présente au CLIENT les demandes
d’honoraires établies par les membres, conformément aux termes
de la convention, après s’être assuré de la réalisation des travaux
correspondant, et les avoir visées. Il veille à leur recouvrement.
Il assure un contrôle permanent du respect du calendrier fixé
d’un commun accord avec le CLIENT et peut pourvoir le cas
échéant au remplacement d’un membre défaillant.
Il peut également procéder, à la majorité de < > à l’exclusion
d’un membre dont il serait établi qu’il n’aurait pas respecté
les principes déontologiques contenus dans la « CHARTE
ÉTHIQUE », annexée aux présentes et, présentée à l’article 9
du présent contrat.
En règle générale, il effectue toutes interventions de coordination dans le respect des règles et usages professionnels et
déontologiques des membres du groupement.
Il constate enfin avec LE CLIENT, la réalisation de l’OPÉRATION et décide corrélativement la dissolution du groupement.
Article 5 – Personnel
Chaque membre du groupement est libre de choisir le personnel qu’il affecte à l’OPÉRATION, sauf demande expresse du
CLIENT. Il en assure la direction et la rémunération. Il en garantit la compétence et en assume la responsabilité professionnelle.
La liste du personnel est adressée au Comité de coordination
comme toutes modifications apportées à cette liste.
Chaque membre du groupement s’interdit toute démarche de
débauchage du personnel d’un autre membre pendant toute
la durée de l’OPÉRATION et dans le délai de < > suivant la
dissolution du groupement.
Article 6 – Rémunération des membres
Chaque membre établit, pour la tâche qui lui incombe, un
devis qui est adressé au Comité de coordination pour présentation et approbation par le CLIENT, ainsi qu’un projet
de calendrier de paiement, ce dernier n’étant définitivement
arrêté qu’après accord unanime des membres du Comité de
coordination et du client.
Les paiements sont effectués directement par le CLIENT
à l’ordre des membres, sur présentation par le Comité de
coordination des situations établies par chacun d’eux, pour
la quote-part qui leur revient.
Article 7 – Responsabilité des membres – Assurances
Chaque membre du groupement n’est responsable à l’égard
du CLIENT que de l’accomplissement de la tâche qui lui est
confiée dans le cadre de l’OPÉRATION, sans solidarité avec
les autres membres.
66
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
De ce fait, chaque membre est tenu de présenter au Comité
de coordination, avant tout début d’exécution de l’OPÉRATION, une attestation d’assurance pour la couverture des
risques encourus dans le cadre de l’exécution de la tâche qui
lui est confiée.
Article 8 – Défaillance
Dans le cas ou un membre n’exécuterait pas, dans les
délais fixés, la tâche qui lui est attribuée, après une mise
en demeure restée sans effet des représentants des autres
membres composant le Comité de coordination, ceux-ci
pourront, après accord du CLIENT, procéder à la désignation d’un nouveau membre qui poursuivra l’exécution de
la tâche confiée au membre défaillant, ce dernier ne pouvant prétendre à aucune rémunération au titre des travaux
restant à exécuter.
Article 9 – Déontologie
Chaque membre du groupement s’engage à respecter les
principes déontologiques décrits et énumérés dans le document intitulé « CHARTE ÉTHIQUE » annexé aux présentes,
en particulier le secret professionnel, l’indépendance des
membres et la confidentialité.
Le non-respect par un membre du groupement de l’un quelconque de ces principes, pourra entraîner son exclusion dans
les conditions de l’article 4, le membre concerné ayant été préalablement entendu par les membres du Comité de coordination.
Article 10 – Durée de la convention – Dissolution du groupement
La présente convention est conclue pour la durée de l’OPÉRATION décrite dans le document intitulé « Conditions particulières » annexé aux présentes. Elle prend fin après que
chaque membre s’est acquitté de ses obligations et a perçu
la rémunération demandée.
Le Comité de coordination dresse alors un procès-verbal de
dissolution du groupement.
Article 11 – Contestations
Tous différends nés de l’exécution de la présente convention
seront, préalablement à toutes instances judiciaires devant
le Tribunal de < >, soumis pour conciliation aux instances
professionnelles des membres mis en cause.
Article 12 – Annexes
Sont annexés au présent contrat, deux documents :
– les conditions particulières de L’OPÉRATION pour laquelle
le groupement est constitué.
– une CHARTE D’ÉTHIQUE constituant le socle déontologique
de la collaboration entre les membres du groupement.
Ces deux documents indissociables, sont parties intégrantes
du contrat de groupement avec lequel ils forment l’ensemble
des règles qui régiront les rapports entre les membres entre
eux ainsi qu’entre les membres, le groupement et le CLIENT.
Nul ne peut être membre du groupement s’il n’a pas signé
ces trois documents.
Article 13 – Élection de domicile
Pour l’exécution de la présente convention, les parties font
élection de domicile au siège social ou domicile de chacune
d’elles.
Fait à < >
Le < >
En < > exemplaires
PERSPECTIVES PRATIQUE
GROUPEMENT MOMENTANÉ D’ENTREPRISES LIBÉRALES
<>
CONDITIONS PARTICULIÈRES
ENTRE LES SOUSSIGNÉS
– < >
– < >
– < >
Les frais inhérents à l’OPÉRATION feront l’objet d’avances
régulières comme indiqué au devis.
Chaque paiement sera directement effectué par le CLIENT
entre les mains du membre concerné, avec information du
Comité de coordination.
IL A ÉTÉ ARRETÉ ET CONVENU CE QUI SUIT :
Article 1 – Description de l’OPÉRATION
En vue de la réalisation de l’OPÉRATION ci-après décrite,
les soussignés ont décidé de se regrouper afin d’apporter
au CLIENT l’ensemble des compétences nécessaires pour sa
réalisation.
< … décrire l’OPÉRATION avec précision… >
Article 2 – Fonctionnement du groupement
Le groupement est régi par les conditions générales de la
convention ainsi que par les conditions particulières ci-après
décrites.
<… décrire les rémunérations particulières… >
Article 3 – Comité de coordination
Le Comité de coordination tel que décrit aux termes des
conditions générales de la convention, est composé des personnes suivantes :
– < >
– < >
– < >
Toutes notifications lui sont valablement faites au siège
de < > membre du groupement.
Article 4 – Répartition de tâches et calendrier de réalisation
Les tâches constituant l’OPÉRATION sont réparties entre les
membres de la façon suivante :
< … décrire avec précision les tâches incombant à chaque
membre ainsi que le calendrier de réalisation… >
Article 5 – Rémunération des membres – Paiements
En rémunération de la tâche leur incombant, les membres
recevront la rémunération indiquée au devis, accepté par
le CLIENT et annexée aux présentes, selon les modalités de
paiement suivantes :
< indiquer les modalités : généralement en fonction des phases
de réalisation >.
Article 6 – Secret professionnel et niveau d’information
Les intervenants à l’OPERATION auront accès à l’information
concernant son élaboration et sa réalisation dans les conditions suivantes :
< > disposera des informations relatives à < décrire avec
précision >, à l’exclusion de toute autre (niveau 1),
< > disposera des informations relatives à < >, à l’exclusion
de toute autre (niveau 2),
< > participera à la définition de l’OPERATION avec
le CLIENT avec lequel il en arrêtera les grands principes
et les modalités de son intervention. Il disposera d’une
information totale pour toute l’OPÉRATION, et pourra
obtenir tous renseignements des autres participants sans
que ceux-ci puissent lui opposer le secret professionnel
(niveaux 1, 2 et 3).
Chacun des participants s’engage à respecter les présentes
dispositions, en application de la « CHARTE D’ÉTHIQUE »
annexée au contrat de groupement.
Article 7 – Accord du CLIENT
< > intervenant aux présentes, en qualité de représentant
de < > aussi dénommé « LE
CLIENT » lequel déclare donner son accord pour l’intervention conjointe des membres du groupement ci-dessus indiqués, dans le cadre de l’OPÉRATION ci-dessus décrite, aux
conditions de réalisation et de rémunération qui lui ont été
communiquées et qui sont annexées aux présentes.
Article 8 – Portée
Le présent document est annexé au contrat de groupement du
GMEL < > avec la CHARTE D’ÉTHIQUE. Ces trois documents
sont indissociables et constituent l’ensemble des accords du
groupement momentané d’entreprises libérales < >.
Fait à < >
Le < >
En < > exemplaires
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
>
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F O R M U L E S D E C O N V E N T I O N D E G R O U P E M E N T M O M E N TA N É D ’ E N T R E P R I S E S L I B É R A L E S , D E C O N D I T I O N S PA R T I C U L I È R E S
ET DE CHARTE D’ÉTHIQUE
GROUPEMENT MOMENTANÉ D’ENTREPRISES LIBÉRALES
CHARTE D’ETHIQUE
PRÉAMBULE
La présente CHARTE D’ÉTHIQUE contient les principes déontologiques qui régiront les rapports entre les membres du
groupement momentané d’entreprises < > constitué ce
jour entre :
<>
<>
<>
en vue de concevoir et de réaliser une opération de < >
(l’OPÉRATION) selon les modalités fixées aux termes du
contrat de groupement conclu ce jour entre les soussignés
et < >, CLIENT.
Cette CHARTE D’ÉTHIQUE constitue le socle déontologique
du groupement, indispensable à la collaboration entre les
soussignés qui exercent des professions libérales différentes
mais dont l’intervention conjointe est rendue nécessaire par
la complexité de l’OPERATION nécessitant l’intervention
de différents professionnels compétents chacun dans leur
domaine d’intervention.
DÉCLARATIONS
Chacun des soussignés déclare réunir les compétences nécessaires à la tâche qui lui est confiée, dans le cadre de l’OPERATION décrite dans le contrat de groupement et disposer
des équipes suffisantes pour la réaliser dans les conditions et
délais fixés audit contrat.
Il déclare expressément adhérer à la présente CHARTE
D’ÉTHIQUE et accepter toutes sanctions qu’il pourrait encourir
du fait d’un manquement aux dispositions de ladite charte.
Article 1 – Déontologie interprofessionnelle
Chacun des membres de groupement s’engage à se comporter
envers les autres membres en partenaire loyal et à respecter
les règles de courtoisie élémentaires qui doivent exister entre
professionnels libéraux.
En particulier, il s’interdit de formuler la moindre critique
auprès du CLIENT ou de tiers concernant la prestation rendue
par les autres membres, réservant les critiques justifiées par
un risque de dysfonctionnement du groupement, au Comité de
coordination en vue de solliciter son éventuelle intervention.
Il s’engage en outre à fournir aux autres membres du groupement toutes informations en sa possession nécessaires à
l’accomplissement de leur mission, dans les limites du niveau
de secret professionnel auquel ils ont accès.
Il s’engage également à ne rien faire qui puisse mettre en
défaut ou rendre difficile par un membre du groupement
l’application des règles déontologiques applicables à la profession de ce dernier.
Article 2 – Secret professionnel
Chacun des membres du groupement soussignés, s’engage
à tenir pour confidentiel toutes informations dont il aura eu
connaissance dans le cadre de son appartenance au groupement.
Cet engagement constitue une condition essentielle de l’admission des soussignés à participer au groupement.
Une information partagée par plusieurs d’entre eux pour les
nécessités de l’opération, n’en délie aucun du respect du
secret professionnel.
Dans le cas ou un membre du groupement se trouverait
confronté à une difficulté d’application du présent article
dans le cadre de l’accomplissement de la mission qui lui est
confiée, il en informera le CLIENT et le Comité de coordination qui décideront d’un commun accord après avoir entendu
le membre concerné de permettre à celui-ci de poursuivre
68
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
sa mission ou d’y mettre un terme. En cas de désaccord, la
décision du CLIENT primera.
Article 3 – Indépendance des membres – Incompatibilités
La participation à la réalisation de l’OPÉRATION ne peut
s’effectuer que dans le strict respect des règles d’indépendance applicables à chacun des membres du groupement,
qu’ils exercent une profession libérale réglementée ou non.
Ce principe auquel il ne saurait être dérogé exclut tous liens
hiérarchiques pouvant exister entre certains membres ainsi
que toute immixtion d’un membre dans la réalisation de la
tâche confiée à un autre membre.
Ces conditions d’indépendance devront être remplies préalablement au commencement de l’OPERATION jusqu’à son
achèvement, chaque membre du groupement s’obligeant
à informer le Comité de coordination de tout changement
intervenant dans sa situation qui pourrait avoir pour effet de
faire échec aux dispositions du présent article.
De même, chacun des membres s’engage à respecter les règles
d’incompatibilités spécifiques à sa profession.
Article 4 – Confidentialité
Toutes correspondances et documents échangés entre les
membres du groupement dans le cadre de l’accomplissement
de leur mission sont considérés comme confidentiels. Dès lors
ils ne peuvent être communiqués à quiconque, même à un
autre membre du groupement.
En outre, il ne saurait être fait allusion, dans un document
ou une correspondance non confidentiel, au contenu d’un
document ou d’une correspondance confidentiel.
Article 5 – Sanctions
Le Comité de coordination est garant du respect des principes
énoncés aux termes de la présente charte.
Il examinera toutes difficultés rencontrées par les membres
qui pourraient avoir pour effet une violation de ces principes
qu’elles lui aient été signalées par un membre ou qu’il en
ait eu connaissance dans le cadre des pouvoirs qui lui sont
conférés par le contrat de groupement.
Le ou les membres concernés seront appelés à fournir toutes
explications sur les manquements constatés. A l’issue, le
Comité de coordination décidera à la majorité de < > si la
présence de celui-ci ou de ceux-ci au sein du groupement reste
Article 6 – Portée de la CHARTE
La présente CHARTE D’ÉTHIQUE est annexée au contrat du
groupement dénommé < > avec les conditions particulières
de l’OPERATION visée. Elle forme avec ces documents, un
tout indissociable. Leur signature constitue un engagement
fort de chaque membre, non seulement de réaliser, en coordination avec les autres membres et dans les règles de l’art,
la prestation pour laquelle il a été choisi par le CLIENT,
mais également de placer cette réalisation dans un cadre
déontologique indispensable à la collaboration entre des
professionnels libéraux.
Fait à < >
Le < >
En < > exemplaires
dont un exemplaire pour le CLIENT
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
PERSPECTIVES PRATIQUE
compatible avec le respect des principes sus-énoncés et s’il
convient ou non de les exclure dudit groupement.
L’avis du Comité sera communiqué au CLIENT auquel appartiendra la décision d’exclusion.
En cas d’exclusion, la Comité de coordination recherchera un
remplaçant au membre défaillant à moins que le CLIENT ne
choisisse lui-même ce remplaçant lequel devra, dans tous les
cas, placer sa mission dans le cadre du groupement et adhérer
à la présente CHARTE D’ÉTHIQUE.
69
RLDA
3941
Si, dans un arrêt rendu en 2009, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation ne paraissait pas encore prête
à consacrer l’estoppel au-delà des procédures d’arbitrage international et d’arbitrage interne, la chambre
commerciale a récemment franchi le pas en visant le « principe selon lequel nul ne peut se contredire
au détriment d’autrui ». La formule est ample et préfigure sans doute un principe général de cohérence
dont le terrain d’élection pourrait être le droit des contrats. Mais l’arrêt, qui mettait en jeu un problème
d’ordre exclusivement procédural, invite surtout à s’interroger sur la signification, le régime juridique
et l’utilité de l’estoppel en procédure civile française.
Estoppel : faut-il acclimater
le Poison Tree ?
Par Fabien GIRARD
Maître de Conférences
Faculté de Droit Grenoble
(CRJ)
1. Par-delà les multiples visages (au-delà
du droit anglais, qui sera développé infra, cf., en droit
américain : E.R. Anderson, N.V. Holober, « Preventing Inconsistencies in Litigation with a Spotlight on Insurance
Coverage Litigation… », 4 Conn.Ins.L.J. 589 (1997-1998) ;
T. Leigh Anenson, « The Triumph of Equity : Equitable
Estoppel in Modern Litigation », 27 Rev. Litig. 377 (2008))
qu’il présente dans les droits de Common
Law (il existe plus d’une douzaine de formes d’estoppel ;
cf. E. Cooke, The Modern Law of Estoppel, OUP, Oxford,
2000), l’estoppel possède un trait commun
à toutes ses formes, dont rend compte le
mot du vieux français – estoupper – dont
il tire son origine : « (…) de même qu’on
utilise un tampon d’étoupe pour obstruer
une voie d’eau qui, malencontreusement
s’est produite dans une paroi, ainsi un
plaideur emploie-t-il le moyen de l’Estoppel au cours d’un procès judiciaire,
comme il mettrait un bâillon aux lèvres
de son adversaire, pour lui interdire péremptoirement d’alléguer telle prétention
qui serait en contradiction flagrante avec
certains faits auxquels s’attache un caractère de vérité incontrovertible : et ceci
a pour résultat de simplifier singulièrement les procédures » (Dargent J., La doctrine
70
plus précisément une « interdiction de
se contredire au détriment d’autrui ».
Estoppel ou interdiction de se contredire
au détriment d’autrui, deux expressions
devenues synonymes pour la doctrine
(Gaillard E., « L’interdiction de se contredire au détriment
d’autrui comme principe général du droit du commerce
international (principe de l’estoppel dans quelques sentences
arbitrales récentes) », Revue de l’arbitrage 1985, p. 241 et s.)
et la jurisprudence (cf. not. Cass. 1re civ., 6 mai
2009, n° 08-10.281, Bull. civ. I, n° 86, Revue de l’arbitrage
2010, p. 93) et qui ont reçu, après une pre-
mière période d’incertitude quant à leur
portée, une consécration générale dans
le présent arrêt rendu par la chambre
commerciale de la Cour de cassation,
le 20 septembre 2011 (Cass. com., 20 sept. 2011,
n° 10-22.888, D. 2012, p. 167).
2. En l’espèce, une société avait agi en
contrefaçon contre une autre. Déboutée
en première instance, la demanderesse
formait appel devant la cour d’appel
de Lyon qui, par un arrêt du 15 décembre 2005, accueillait partiellement
Extrait de l’arrêt
les demandes reconventionnelles de
l’intimée. À la suite d’un pourvoi de
cette dernière, il fut néanmoins censuré
et les parties furent renvoyées devant
la cour d’appel de Paris. Il apparaissait
alors que la société intimée avait été
dissoute à la suite d’une fusion-absorption, avant même le premier appel interjeté devant la Cour d’appel de Lyon
– c’était donc la société absorbée, et
non la société absorbante, qui avait été
attraite devant la juridiction du second
degré. L’intimée en tirait évidemment
argument devant la cour d’appel de renvoi, soutenant l’irrégularité de l’action
en justice contre une entité dépourvue
de personnalité juridique. La Cour d’appel de Paris devait accueillir le moyen
en déclarant irrecevables les demandes
de l’appelant. C’est cet aspect le plus
important de l’arrêt qui est censuré par
la Cour de cassation au visa du « principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui » : puisque
la société absorbante avait elle-même
« (…) sur le moyen unique du pourvoi
provoqué, pris en sa troisième branche :
Vu le principe selon lequel nul ne peut
se contredire au détriment d’autrui :
Attendu que pour déclarer irrecevables les demandes que les sociétés Nergeco ont présentées
contre la société Gewiss France, l’arrêt retient que la fraude de cette société n’est pas caractérisée
et qu’il est établi que l’irrégularité consistant à agir en justice contre une entité dépourvue de
de l’estoppel.- Une théorie originale du droit anglais en
matière de preuve, Thèse de Doctorat, Faculté de Droit de
Grenoble, Imprimerie Georges Frère, Tourcoing, 1943, p. 3).
la personnalité juridique trouve sa source dans un défaut de vigilance des sociétés Nergeco ;
L’estoppel est donc, par essence, depuis
sa première apparition en droit anglais,
au XIe siècle, au sein de la Curia Regis,
une interdiction de contredire, « une interdiction de souffler à la fois le chaud et
le froid (…) » (Cave v. Mills [1862], H.& N., p. 927),
ne pouvait, sans se contredire au détriment des sociétés Nergeco, se prévaloir devant la cour
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la société Gewiss France qui avait elle-même formé et instruit
le pourvoi contre l’arrêt du 15 décembre 2005 ayant abouti à la cassation partielle de cet arrêt,
de renvoi de la circonstance qu’elle aurait été dépourvue de personnalité juridique lors
des instances ayant conduit à ces décisions, la cour d’appel a violé le principe susvisé ;
(…) ».
Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-22.888, P+B
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
3. Etant donné l’ampleur du visa, qui
mobilise un principe général du droit,
on ne saurait prétendre que la solution n’est pas appelée à s’appliquer à
d’autres circonstances que des contradictions « processuelles » (sur la distinction
entre « contradictions processuelles » et « non processuelles »,
cf. l’article complet de Dupont N., L’interdiction de se
contredire au détriment d’autrui en procédure civile française, RTD civ. 2010, p. 459. Adde, Rapport du conseiller
rapporteur Boval, ss. Cass. ass. plén., 27 févr. 2009,
n° 07-19.841, Bull. civ. ass. plén., n° 1, spéc. pt. C.1.)
– les seules en jeu en l’occurrence –,
et qu’elle ne préfigure pas un principe
général de cohérence dont le terrain
d’élection privilégié serait le droit des
contrats (entre autres réf. : Houtcieff D., Le principe
de cohérence en matière contractuelle, préf. Muir-Watt H.,
PUAM, Aix-en-Provence, 2000 (2 vol.), Robin G., « The
principle of good faith in international contracts », I.B.L.J.
2005, 6, 695-727). L’arrêt éclaire, en effet,
sans conteste, les sanctions qui viennent frapper depuis quelque temps
déjà les contradictions entre clauses
d’un contrat ou les incohérences du
comportement des cocontractants, et
que la doctrine place désormais sous
le sceau d’un principe de cohérence ou
même de l’estoppel (puisque certaines formes
d’estoppel ne jouent, en Common Law, qu’en matière
contractuelle – voir infra). Le droit comparé
invite cependant à la nuance. Certes,
toute acculturation d’une institution
étrangère suppose un processus d’acclimatation long et complexe au cours duquel de profondes mutations s’opèrent
dans la terre de transplantation ; il faut
néanmoins admettre que si plusieurs
formes différentes et souvent inconciliables d’estoppel coexistent dans les
droits de Common Law, cela mérite
considération. Le Promissory Estoppel,
fût-ce celui du droit anglais ou du droit
américain, qui gouverne le droit des
contrats (le promissory estoppel dérive, il est vrai, de
l’estoppel by representation, mais il a été développé pour tenir compte des « representations » portant sur des conduites
futures et pour contourner les difficultés tenant à l’exigence
d’une « consideration » en droit anglais des contrats : Cartwright J., Contract Law.- An introduction to the English
Law of Contract for the Civil Lawyer, Hart Publishing, Oxford & Portland, 2007, p. 130), diffère de l’Estop-
pel by Representation du droit anglais
et de l’Equitable Estoppel du droit américain qui régissent ce qu’on pourrait
appeler les contradictions « semi processuelles ou mixtes », c’est-à-dire celles
qui « impliquent une incohérence entre
une prétention soumise au juge et un
comportement antérieur incompatible »
(Dupont N., art. préc., n° 1. Sur l’Equitable Estoppel, cf.
Aneson T. L., « From Theory to Practice : Analyzing Equitable Estoppel Under a Pluralistic Model of Law », LCB 11 3
Art. 3, 2007, p. 633-669 ; G. E. Maggs, « Report Concerning
the United States of America », in B. Fauvarque-Causson
(dir.), La confiance légitime et l’Estoppel, Société de Législation comparée, Paris, 2007, p. 415-443). Mieux, le
Judicial Estoppel du droit américain, qui
gouverne les contradictions « purement
processuelles » impliquant « une incohérence entre deux prétentions ou deux
moyens présentés au juge » (Dupont N., op.
cit., loc. cit.), est parfaitement irréductible au
Promissory Estoppel (sur le Judicial Estoppel, cf.
Davis K.A., « Judicial Estoppel and Inconsistent Positions
of Law Applied to Fact and Pure Law », 89 Cornell L. Rev.
191 (2003)).
4. Il convient donc d’aborder l’interdiction de se contredire au détriment
d’autrui dans sa dimension procédurale
en s’interrogeant sur sa signification en
droit français. Quel est le sens, en effet,
de ce principe, désormais largement
reconnu par la chambre commerciale,
selon lequel « nul ne peut se contredire
au détriment d’autrui » ? La réponse est
complexe, car, en dehors des faits de
l’espèce et du visa explicite, la Cour de
cassation a manifestement été soucieuse
de ne rien dire, consciente sans doute
de ce qu’une définition hâtive pourrait
avoir de regrettable.
5. La seule certitude pour l’heure est
celle d’une reconnaissance de l’estoppel
au-delà du périmètre de l’arbitrage. Le
présent arrêt méritera, bien entendu,
d’être confirmé par d’autres chambres,
mais le mouvement général dans lequel
il s’inscrit, marqué par une politique
processuelle dominée par le principe
de loyauté, laisse subsister peu d’incertitudes quant à sa destinée. Reste
que cette consécration « nue » – pour
compréhensible qu’elle puisse être sur
le plan de la politique de la Cour de
cassation – laisse le commentateur perplexe. L’importation d’un concept aussi
insaisissable et aux conséquences aussi
imprévisibles que l’estoppel appelle des
précisions. Il convient donc, après une
présentation de cette large consécration du principe d’interdiction de se
contredire au détriment d’autrui (I),
de rechercher la définition nécessaire
du principe (II).
PERSPECTIVES ÉTUDE
formé et instruit le pourvoi contre l’arrêt du 15 décembre 2005, ayant abouti
à la cassation partielle de cet arrêt,
elle ne pouvait, « sans se contredire au
détriment » de l’appelant, « se prévaloir
devant la cour de renvoi de la circonstance qu’elle aurait été dépourvue de
personnalité juridique lors des instances
ayant conduit à ces décisions ». Ayant
jugé le contraire, relève la chambre
commerciale, la cour d’appel avait violé
le principe susvisé.
I.– UNE LARGE CONSÉCRATION
DU PRINCIPE D’INTERDICTION
DE SE CONTREDIRE AU DÉTRIMENT
D’AUTRUI
6. L’apport principal de l’arrêt commenté
est de consacrer largement l’estoppel.
Si, dans un premier temps, l’estoppel a
paru cantonné à la matière arbitrale où il
a reçu une première reconnaissance explicite (A), le présent arrêt lui donne une
portée générale qui, au vu des derniers
développements de la jurisprudence,
était largement prévisible (B).
A.– Une première reconnaissance
explicite en matière arbitrale
7. C’est dans le domaine de l’arbitrage
international qu’on trouve les premières
manifestations de l’estoppel. C’est
d’ailleurs en cette matière qu’une première étude majeure a été publiée sur
l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui (Gaillard E., art. préc.). Il n’est
pas inutile de revenir sur les quelques
arrêts rendus par la première chambre civile, car ils ont contribué à donner corps
à la notion dans le domaine processuel et
offrent une grille de lecture intéressante
pour saisir la portée du présent arrêt.
C’est par l’arrêt dit « Golshani », en date
du 6 juillet 2005, que la Cour de cassation
a consacré le principe de l’estoppel, dans
le droit de l’arbitrage international, en
énonçant que « M. X…, qui a lui-même
formé la demande d’arbitrage devant le
Tribunal des différends irano-américains
et qui a participé sans aucune réserve
pendant plus de neuf ans à la procédure
arbitrale, est irrecevable, en vertu de la
règle de l’estoppel, à soutenir, par un
moyen contraire, que cette juridiction aurait statué sans convention d’arbitrage ou
sur convention nulle, faute de convention
qui lui soit applicable » (Cass. 1re civ., 6 juill.
2005, n° 01-15.912, Bull. civ. I, n° 302). Ainsi qu’on
le comprend, la règle impose aux parties
de dénoncer devant le tribunal arbitral
les griefs qui pourraient justifier l’annulation de la sentence. L’omettraient-elles
qu’elles seraient ensuite irrecevables à
les invoquer devant le juge de l’annulation de la sentence. Les deux attitudes
sont en quelque sorte contradictoires
et la première trompe surtout l’autre
partie qui pouvait croire légitimement
dans la validité de la procédure arbitrale.
Le principe, formulé en matière d’arbitrage international, a ensuite été étendu
à l’arbitrage interne. Aussi, le plaideur
qui conteste l’indépendance de l’un des
arbitres doit-il protester devant le tribunal arbitral à peine de voir la demande
d’annulation de la sentence fondée sur
le grief rejetée (CA Paris, ch.1, sect. C, 7 févr. 2008,
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
>
71
E S T O P P E L : FA U T - I L A C C L I M AT E R L E P O I S O N T R E E ?
n° RG : 06/01279, Sté Française de Rentes et de Financements Crédirentes c/ Sté Compagnie Générale de Garantie
SA, Revue de l’arbitrage 2008, p. 501, note Racine J.B.).
8. Dans un arrêt ultérieur, en date du
6 mai 2009, la Cour de cassation relevait
que les « domaines respectifs de la règle
de l’estoppel et du principe de la renonciation peuvent, dans certains cas, être
identiques et qu’il appartient au juge de
l’annulation de faire respecter la loyauté
procédurale des parties à l’arbitrage, c’est
sans violer le principe de la contradiction
que la cour d’appel a qualifié d’estoppel
l’attitude procédurale du liquidateur »
(Cass. 1re civ., 6 mai 2009, n° 08-10.281, Bull. civ. I, n° 86).
Ainsi qu’on peut en juger, la formule est
ample, puisqu’elle suggère un fondement possible à l’estoppel, celui de la
renonciation, et met surtout au jour le
principe qui a toujours paru sous-jacent
à la doctrine : celui de la loyauté procédurale. Cette référence à la loyauté ne
pouvait que laisser augurer une reconnaissance générale de l’estoppel, au-delà
de l’arbitrage.
B.– Une reconnaissance générale
prévisible
9. Avant même les arrêts précités rendus par la première chambre civile, le
Professeur Muir Watt, dans un article
intitulé « Pour l’accueil de l’Estoppel en
droit privé français » (Mélanges en l’honneur
de Yvon Loussouarn, Dalloz, Paris, 1994, p. 303 et s.),
remarquait que, en de nombreuses hypothèses, la Cour de cassation avait adopté
des solutions qui ne pouvaient s’expliquer sans une référence à la doctrine de
l’estoppel. Dans un arrêt de la chambre
commerciale, rendu en 1990, il était ainsi
interdit au cédant d’actions sociales, qui
s’était abstenu de notifier la cession,
alors qu’il lui appartenait de le faire,
de se prévaloir du défaut d’agrément
des cessionnaires (Cass. com., 27 mars 1990,
n° 88-19.566). Dans un autre arrêt, en date
de 1987, rendu par la troisième chambre
civile, la Haute Juridiction décidait que le
crédirentier qui s’était abstenu, pendant
plus de dix ans, de réclamer la rente
au débirentier avec lequel il entretenait
des liens affectifs, ne pouvait plus agir
en résolution dès lors qu’il avait suscité
chez le débirentier la conviction qu’elle
ne serait jamais demandée (Cass. 3e civ., 8 avr.
1987, n° 85-17.596, Bull. civ. III, n° 88, – pour la Cour de
cassation, la clause résolutoire « n’avait pas été invoquée
de bonne foi »). Pareillement, dans un arrêt
rendu par la première chambre civile,
en 1991, la Cour de cassation indiquait
que le bailleur, qui avait entrepris les
démarches ayant abouti à l’adoption
d’un tiers afin d’échapper à l’application
de la législation des baux, ne pouvait
72
plus, par la suite, critiquer cet acte qu’il
avait lui-même suscité (Cass. 1re civ., 19 nov.
1991, n° 85-17.596, Bull. civ. I, n° 316, – arrêts également
cités par Boval M., « Rapport du Conseiller rapporteur »,
op. cit., spéc. note 15). On a souvent cité, en-
fin, cet arrêt de la chambre criminelle,
rendu en 1996, où il était question d’une
ex-épouse qui, après avoir obtenu un
divorce en Thaïlande, se plaignait de
l’irrégularité de celui-ci devant les juridictions françaises afin de bénéficier
de l’immunité familiale dans le cadre
de poursuites pour vol au préjudice de
son ex-conjoint. Sa demande fut jugée
irrecevable (Cass. crim., 11 juin 1996, n° 95-82.778,
Bull. crim., n° 245, D. 1997, Jurispr., p. 576, note Agostini E.
– comme l’observait l’auteur de la note : « Voici donc la
percée, par le canal du droit pénal, d’une règle de bon sens
qu’on dit généralement issue du droit anglais mais qui, en
fait, trouve son origine en droit romain. En généralisant les
termes du motif décisoire qui vient d’être cité, on peut, de
fait, y voir l’affirmation d’un principe général interdisant de
se contredire au détriment d’autrui. Autrement dit, l’arrêt
rapporté marquerait l’accueil de l’Estoppel en droit privé
français »).
10. Sanctionnant tous des contradictions
non processuelles (les deux premiers
arrêts – la sanction intervient à chaque
fois sur le fond), semi processuelles (le
troisième) ou purement processuelles
(le dernier arrêt), aucun de ces arrêts
ne mentionnait néanmoins, ni l’estoppel, ni l’interdiction de se contredire au
détriment d’autrui. Le premier arrêt à le
faire est un arrêt d’Assemblée plénière
du 27 février 2009. Les faits de l’espèce
étaient d’une remarquable complexité.
En l’occurrence, la société Sédéa commercialisait des décodeurs pour la réception de la télévision par satellite. Et, pour
ce faire, elle se fournissait auprès de leur
fabricant, la société X-com multimédia.
Comme les produits n’étaient pas livrés,
elle décidait de se fournir auprès d’un
revendeur, la société Distratel, qui lui
livra effectivement les décodeurs qu’elle
achetait, en réalité, auprès du même
fabricant. Dans le même mouvement,
elle saisissait le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble, afin
de faire condamner sous astreintes le
producteur à lui livrer les récepteurs
numériques commandés. Grâce à un
autre intervenant, la société Viaccess,
la société Sédéa apprenait alors que les
récepteurs étaient inutilisables en raison
d’un défaut de licence. Une seconde action était alors introduite, cette fois-ci (et
après un règlement de compétence) devant le Tribunal de commerce de Tours,
et la société Sédéa assignait alors au fond
les sociétés Distratel, X-Com multimédia
et Viaccess. Elle demandait la nullité
de la vente du second lot de décodeurs
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
conclue avec la société Distratel ou, à
défaut, sa résolution. Elle réclamait par
ailleurs à la société X-com multimédia
le paiement de dommages intérêts. La
société Distratel devait soulever l’irrecevabilité de ces demandes, motif pris de
ce que les prétentions de la demanderesse caractériseraient une violation du
« principe d’interdiction de se contredire
au détriment d’autrui ». Le Tribunal de
Tours devait accueillir les demandes et
écarter cette fin de non-recevoir aux
motifs que le procès engagé devant lui
et celui entrepris devant la juridiction
consulaire grenobloise n’avaient pas le
« même objet». La Cour d’appel d’Orléans sanctionnait ce raisonnement et
déclarait irrecevables les demandes de
la société Sédéa en constatant sa mauvaise foi. Pour les juges du second degré, en effet, « cette société n’avait pas
cessé de se contredire au détriment de
ses adversaires en leur réclamant devant
deux juridictions différentes une chose
et son contraire ». Ils décidaient aussi
bien que ce comportement « devait être
sanctionné, en vertu du principe suivant
lequel une partie ne peut se contredire
au détriment d’autrui (théorie de l’estoppel) », par l’irrecevabilité de ses demandes actuelles. Réunie en Assemblée
plénière, la Cour de cassation cassait
cette décision sur pourvoi de la société
Sédéa. Elle estimait, en effet, qu’en statuant comme elle l’avait fait, alors que
« les actions engagées par la société Sédéa
n’étaient ni de même nature, ni fondées
sur les mêmes conventions et n’opposaient pas les mêmes parties », la cour
d’appel avait violé l’article 122 du Code
de procédure civile.
11. L’arrêt pourrait ne mériter aucune attention, puisque l’Assemblée plénière refuse l’application de l’estoppel. Il contenait néanmoins un attendu qui, bien que
négatif, pouvait être perçu comme une
reconnaissance implicite : « Attendu que
la seule circonstance qu’une partie se
contredise au détriment d’autrui n’emporte pas nécessairement fin de non-recevoir ». Insistant sur l’emploi d’une double
formule restrictive (« seule circonstance »
– « nécessairement fin de non-recevoir »),
les auteurs en ont généralement conclu
que ce qui était reproché à la cour d’appel était moins le recours à la doctrine de
l’estoppel que son application fort large
en l’espèce (cf. not., Callé P., JCP G 2009, II, n° 10073,
note ss. Cass. ass. plén., 27 févr. 2009, n° 07-19.841, Bull. civ.
ass. plén, n° 1). L’arrêt commenté confirme
cette interprétation et lève toute ambiguïté : il y aurait désormais, en droit
français, et au-delà de la procédure arbitrale, un principe général « selon lequel
12. La Cour de cassation reconnaît donc
être désormais en mesure de contrôler les
conditions d’application de l’estoppel et
d’éviter toute dérive qu’une application
trop large pourrait emporter. Reste que
l’on ignore toujours le régime juridique du
principe d’interdiction de se contredire au
détriment d’autrui. Un effort de définition
s’avère donc plus que jamais nécessaire.
II.– LA DÉFINITION NÉCESSAIRE
DU PRINCIPE D’INTERDICTION DE
SE CONTREDIRE AU DÉTRIMENT
D’AUTRUI
13. Désormais nettement consacrée, l’interdiction de se contredire au détriment
d’autrui est encore en suspension, ce qui
ne va pas sans difficultés eu égard aux
virtualités dangereuses que présente un
tel principe pour le droit français. C’est
à la recherche d’un régime juridique
qu’invite aussi bien l’arrêt (A). Il faut
déterminer, au-delà, si un tel principe
présente une réelle utilité, tant il paraît
largement concurrencé par d’autres mécanismes à la fois mieux définis et plus
protecteurs (B).
A.– À la recherche d’un régime
juridique
14. Il faut bien le reconnaître, on ne
dispose que de très peu d’indications,
qu’il s’agisse du présent arrêt ou, plus
généralement, de la jurisprudence disponible sur l’estoppel. Il n’est guère qu’une
certitude : toutes les décisions rendues
en matière d’interdiction de se contredire
au détriment d’autrui s’inspirent du principe de loyauté, aujourd’hui largement
consacré, et dont on a pu récemment
encore mesurer toutes les potentialités
au-delà de la preuve (Cass. 1re civ., 7 juin 2005,
n° 05-60.044, Bull. civ. I, n° 241, RTD civ. 2006, p. 151, obs.
Perrot R., D. 2005, p. 2570, note Boursier E., D. 2006, p. 545,
obs. Julien P. et Fricero N.). L’arrêt de la première
chambre civile, déjà cité, rendu en 2009,
fait d’ailleurs expressément le lien entre
l’estoppel et la loyauté procédurale que
les juges sont tenus de faire respecter. En
soi problématique (cf. Essai sur la preuve dans son
environnement culturel, Thèse, Grenoble, 2010, à paraître),
l’extension de ce principe au domaine
des contradictions processuelles serait
évidemment parfaitement inadmissible
(cf. Kleiman E., Stop ! Définition nécessaire de l’estoppel,
entre faveur à l’arbitrage et droit d’accès au juge, JCP G 2010,
303 ; Houtcieff D., Chronique de l’estoppel ordinaire en droit
positif français, JCP G 2010, 626), puisqu’il met en
jeu, au moins en partie, le droit d’action
(or, les obstacles de droit à l’action ne doivent pas atteindre
le droit d’action dans sa substance même (CEDH, 9 déc.
1994, Les Saints Monastères c/ Grèce, Série A, n° 30 A,
§ 83) – au-delà, ils ne sont conformes à la
Conv. EDH que s’ils sont justifiés par un
motif légitime et respectent un rapport
raisonnable de proportionnalité entre
les moyens employés et le but recherché
(CEDH, 28 mai 1985, Ashingdane c. R.-U., Série A, n° 93,
§ 53). Un fondement plus ferme mérite
donc d’être recherché et, avec lui, un
régime juridique précis susceptible de
ramener à des proportions raisonnables
l’insécurité juridique.
15. Les solutions adoptées en matière
arbitrale méritent d’être explorées, en
particulier le récent décret n° 2011-48
du 13 janvier 2011 qui a introduit, dans
le Code de procédure civile, un nouvel
article 1466 qui dispose que : « La partie,
qui, en connaissance de cause et sans
motif légitime, s’abstient d’invoquer en
temps utile une irrégularité devant le
tribunal arbitral est réputée avoir renoncé
à s’en prévaloir ». Cette disposition, qui
est parfois interprétée comme une consécration règlementaire de l’estoppel en
matière d’arbitrage (cf. not. Delpech X., D. 2011,
p. 2345, note ss. Cass. com., 20 sept. 2011 n° 10-22.888),
est en réalité bien plutôt le retour à une
jurisprudence développée en cette matière avant l’arrêt « Golshani » précité
(Cass. 2e civ., 10 juill. 2003 n°xxxxx ; Cass. 2e civ., 20 nov.
2003, n°xxxxx, Revue de l’arbitrage 2004, p. 283, note M.
Bandrac ; Paris, 27 mars 2003, Revue de l’arbitrage 2004,
p. 132). Cela ne prêterait cependant pas à
conséquence dès lors que renonciation
et estoppel répondraient à une seule et
même définition ou rempliraient, pour le
moins, la même fonction. Sous ce regard,
bien entendu, la renonciation offrirait
un fondement et un régime juridique
adéquats à l’estoppel.
16. Il n’est pourtant pas du tout certain
qu’on puisse tenir les deux notions pour
équivalentes. Ainsi qu’a pu l’indiquer la
Cour de cassation dans son arrêt rendu
en 2009 en matière d’arbitrage, « les domaines d’application respectifs de la règle
de l’estoppel et du principe de la renonciation peuvent, dans certains cas, être
identiques » (nous soulignons), ce qui
veut très certainement dire, à rebours,
qu’ils ne le sont pas toujours. D’ailleurs,
PERSPECTIVES ÉTUDE
nul ne peut se contredire au détriment
d’autrui ». La Cour de cassation a donc
franchi le pas qu’il lui semblait encore
trop hardi il y a deux ans comme en
témoigne le communiqué qui assortissait
l’arrêt d’Assemblée plénière : « Sans exclure l’application de la règle dite de l’interdiction de se contredire au détriment
d’autrui, ou estoppel, en matière procédurale, la Cour de cassation se réserve
ainsi le droit d’en contrôler les conditions
d’application » (cf. le communiqué de la Cour de
cassation sur le site Internet de la Haute Juridiction).
d’un point de vue technique, les deux
mécanismes restent très largement
étrangers l’un à l’autre. La renonciation
sanctionne le comportement « unilatéral
d’une partie sans préoccupation de la
prise en considération par l’autre partie
de ce comportement. En d’autres termes,
la renonciation se déduit de l’analyse
du comportement d’une partie, pris isolément, dont on tire des conséquences
juridiques » (Pinsolle Ph., note préc., n° 18, qui plaide
pour une application distributive des mécanismes selon
les hypothèses ; Rosher P., « L’estoppel à la française »,
Cahiers de l’arbitrage, 20 nov. 2011, n° 1, p. 119 et s., note
ss. Cass. 1re civ., 3 févr. 2010, n° 08-21.288 Bull. civ. I,
n° 25, Revue de l’aritrage 2010, p. 93). L’estoppel
vient protéger, au contraire, la confiance
légitime de l’autre partie, ce qui suppose
que soit tenu compte du comportement
des deux parties.
17. Faut-il alors admettre un principe
autonome dont le fondement serait de
protéger la confiance légitime ? C’est
ce que paraissent indiquer les deux
principaux arrêts rendus en la matière.
Dans son arrêt rendu le 3 février 2010,
la première chambre civile de la Cour de
cassation laissait entendre que l’estoppel
devait se définir comme le « comportement procédural constitutif d’un changement de position de nature à induire son
adversaire en erreur sur ses intentions »
(Cass. 1re civ., 3 févr. 2010, n° 08-21.288, Bull. civ. I, n° 25,
D. 2010. 448, obs. Delpech X., JCP G 2010. doct. 178, obs.
Ortscheidt J.). Dans l’arrêt commenté, la
Cour de cassation vise le « principe selon
lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui ». Tout réside donc dans
le comportement procédural qui porte la
contradiction. Mais au-delà les arrêts se
séparent. S’il est inutile de gloser sur les
différences possibles entre l’expression
de « changement de position » et celle de
« contradiction » – la première paraissant
cependant plus proche de la définition
anglo-américaine de l’estoppel –, il faut
en revanche insister sur les irréductibilités qui subsistent dans les conséquences
attribuées au comportement procédural
litigieux. Dans la première expression, le
changement de position est simplement
« de nature à » induire en erreur, ce qui
signifie, tout à la fois, une simple potentialité
et une possible indifférence aux conséquences concrètes (changement de position à
l’avantage de son auteur ou au détriment de l’adversaire
– définition très proche de celle qui est employée par la
Cour internationale de Justice, dans l’affaire du différend
entre le Salvador et le Honduras : pour que l’estoppel puisse
être appliqué, il faut, selon la Cour, « une déclaration qu’une
partie a faite à une autre partie ou une position qu’elle a prise
envers elle et le fait que cette autre partie s’appuie sur cette
déclaration ou position à son détriment ou à l’avantage de la
partie qu’il l’a faite ou prise », Affaire du différend frontalier
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
>
73
E S T O P P E L : FA U T - I L A C C L I M AT E R L E P O I S O N T R E E ?
terrestre, insulaire et maritime (El. Salvador c/ Honduras),
Requête du Nicaragua à fin d’intervention, arrêt, 13 sept.
1990, Rec. CIJ, 1990, spéc. § 63, p. 118, cité par Pinsolle Ph.,
note préc., n° 25), tandis que dans la seconde
la contradiction est immédiatement préjudiciable. Ce qui est possiblement virtuel dans un
cas, est donc déjà réalisé dans le second, exclusivement
au détriment de l’adversaire et sans égard pour le bénéfice
éventuellement retiré par la partie auteur de la contradiction
(cf. aussi Rosher P., « L’estoppel à la française », op. cit. ;
on a dit aussi, à propos du premier arrêt, que, à s’en tenir
à sa lettre, « le comportement de l’auteur de la contradiction
serait seul examiné, faisant de l’estoppel un mécanisme de
sanction de l’incohérence ou de la déloyauté procédurale
d’une partie plutôt qu’un mécanisme de protection de la
confiance légitime de son adversaire », Train F.-X., note ss.
Cass. 1re civ., 3 févr. 2010, n° 08-21.288, Bull. civ. I. n° 25,
Gaz. Pal. 29 mai 2010, n° 149, p. 39 et s.).
18. Admettons, toutefois, que la seconde
proposition soit la bonne et qu’elle soit
moins ample que la première. Est-elle
pour autant satisfaisante, alors que, selon toutes vraisemblances, la sanction
applicable est une fin de non-recevoir
qui emporte irrecevabilité pour défaut de
droit d’action ? Sanction vigoureuse s’il
en est qui ne saurait être prononcée sans
un minimum d’égard (pour le moins)
pour l’attitude du plaideur. Les exemples
que fournissent les droits de Common
Law montrent d’ailleurs tous la complexité de l’examen auquel doit se livrer
le juge, justement pour éviter les réactions par trop mécaniques. L’Estoppel by
Representation du droit anglais suppose
ainsi l’existence d’une Representation, la
communication de cette Representation
de l’Agens (« Representor », soit l’auteur de la représentation) au Recipiens
(« Representee », soit le destinataire de
la representation) et l’incitation à agir
dans la personne du Recipiens (effet
d’« inducement » : à démontrer, bien
entendu). Et, en elle-même, la notion de
représentation est complexe, puisqu’elle
recouvre « les actes, les attitudes d’une
personne qui, étant donné leur gravité
ou leur importance, sont susceptibles
de déterminer des actes chez une autre
personne : c’est donc l’utilisation par
un homme des moyens d’expression de
sa pensée, de telle façon que ce qui est
ainsi exprimé, ou “représenté” puisse
apparaître comme vrai aux yeux d’autrui
– tout au moins suffisamment vrai pour
déterminer chez autrui des actions, des
passations d’actes juridiques, des pertes,
etc. » (Dargent J., op. cit., p. 101). On retrouve
le même effort de définition aux EtatsUnis, avec le Judicial Estoppel. Il faut,
tout d’abord, que la position du plaideur soit nettement incompatible avec
la position qu’il a adoptée à l’occasion
d’une instance précédente ; ensuite, les
74
juridictions doivent s’assurer que le plaideur a convaincu le premier tribunal de
sa position première. Enfin, il doit être
établi que le plaideur a retiré de son
changement de position un avantage
injuste (unfair advantage) ou qu’il a
causé à l’adversaire un préjudice injuste
(unfair detriment ; Zedner v. U.S., 547 U.S. 489, 126 S. Ct.
1976, 164 L. Ed. 2d 749, 46 A.L.R. Fed. 2d 649 (2006) ; New
Hampshire v. Maine, 532 U.S. 742, 121 S. Ct. 1808, 149 L.
Ed. 2d 968 (2001) ; Arkison Ethan Allen v., Inc., 160 Wash.
2d 535, 160 P.3d 13 (2007), Romualdo P. et al., « Estoppel
and Waiver », American Jurisprudence, Second Edition 2011,
§ 78). La doctrine ne s’applique du reste
pas lorsque la première position est le
résultat d’une inadvertance ou d’une
erreur ou lorsque la contradiction est
vénielle (Seneca Nation of Indians v. State of N.Y., 26 F.
Supp. 2d 555 (W.D. N.Y. 1998), aff’d, 178 F3d 95 (2d Cir.
1999) ; Bankruptcy Estate of Lake Geneva Sugar Shack, Inc.
v. General Star Indem. Co., 32 F. Supp. 2d 1059 (E.D. Wis.
1999), 200 F.3d 479 (7th Cir. 2000) ; Chandler v. Samford
University, 35 F. Supp. 2d 861 (N.D. Ala. 1999) ; Farmers
High Line Canal and Reservoir Co. v. City of Golden, 975
P.2d 189 (Colo. 1999) ; Tranker v. Figgie Intern., Inc., 231
Mich. App. 115, 585 N.W.2d 337 (1998)). Voilà des
exemples dont il faudrait s’inspirer. En
exigeant la démonstration de l’intention de nuire (fraude), pour le moins, de
l’imprudence consciente (« L’“agens” doit, par
conséquent, connaître l’étendue de ses droits et savoir que son
attitude incitera le “recipiens” à faire quelque chose, à agir ou
à s’abstenir dans des conditions telles qu’il en résulte pour
l’“agens” l’impossibilité de faire valoir les droits en question »,
Dargent J., op. cit., p. 152), on éviterait ainsi que
des plaideurs soient sanctionnés pour
une imprudence simple, une simple erreur – un contrôle de la materiality de
la representation ne serait du reste pas
superflu, pour s’assurer qu’elle était bien
de nature à affecter le jugement d’une
personne raisonnable (comp., en droit anglais
des contrats : E. Mckendrick, Contract Law, Palgrave Macmillan, Londres, 2011, n° 13.5). Au-delà, d’autres
problèmes importants de compatibilité
se posent d’ailleurs encore, comme avec
l’objectif de vérité que doit poursuivre
le procès civil (Hillel O., Jobard-Bachellier M.-N., in
B. Fauvarque-Causson (dir.), op. cit., p. 64-65.- cf. aussi,
Vowers & Sons, Inc. v. Strasheim, 254 Neb. 506, 576 N.W.2d
817 (1998)) ou avec la protection de l’ordre
public (cf. Callé P., JCP G 2009, II, 10 073 ; comp. l’avis
du Conseil d’Etat en matière de contentieux fiscal : BelrhaliBernard H., Le Conseil d’État refuse d’adopter l’estoppel,
AJDA 2010, p. 1327).
19. Mais, disons-le, l’interdiction de se
contredire au détriment d’autrui pose
question jusque dans sa sanction. Si on
admet une fin de non-recevoir (cf. le visa de
l’article 122 du Code de procédure civile dans l’arrêt d’Ass.
plén., 27 févr. 2009, préc.), ce qui est possible
dès lors qu’il est acquis que la liste de
l’article 122 du Code de procédure civile
n’est pas limitative (Cass. ch. mixte, 14 févr.
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
2003, Procédures 2003, n° 96, note Croze H., RTD civ.
2003, p. 349, obs. Perrot R., LPA 2003, n° 51, p. 13, note
Bernheim L.), reste alors une difficulté tirée
de son possible régime juridique. Rappelons que, selon le Code de procédure
civile « [c]onstitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer
l’adversaire irrecevable en sa demande,
sans examen au fond, pour défaut de
droit d’agir, tel le défaut de qualité, le
défaut d’intérêt, la prescription, le délai
préfix, la chose jugée ». À supposer que
la jurisprudence en vienne à exiger la
démonstration de la mauvaise foi du
plaideur ou, pour le moins, son imprudence consciente, ainsi que la preuve
d’un préjudice, il faudrait alors renoncer
à tout régime uniforme de la fin de nonrecevoir. C’est, en effet, « sans examen
au fond » que le juge est normalement à
même de prononcer l’irrecevabilité ; or,
l’on voit mal comment le juge pourrait se
prononcer sur la bonne ou mauvaise foi,
l’imprudence consciente sans se livrer à
un examen de cette nature (il est vrai qu’existent de « fausses fin de non-recevoir » qui obligent le juge à
examiner au moins un élément du débat au fond : HéronJ.,
Le Bars Th., Droit judiciaire privé, 3e éd., Montchrestien,
Paris, 2006, spéc. n° 143, p. 117-118, ex. : C. civ., art. 244).
Pareillement, ainsi qu’on l’a finement
ajouté, l’exigence d’un préjudice contredit directement l’article 124 du Code
de procédure civile qui, pour sa part,
dispose que « les fins de non-recevoir
doivent être accueillies sans que celui
qui les invoque ait à justifier un grief »
(Dupont N., op. cit., n° 19). Mais ce qui est sans
doute plus grave, dans cette importation
de l’estoppel, c’est que, outre son danger ou les virtualités dangereuses qu’il
présente, notamment au regard de la
cohérence de certaines notions comme la
fin de non-recevoir, c’est qu’il n’est pas
du tout certain qu’il présente un intérêt
dans le domaine des contradictions purement processuelles. C’est tout l’enjeu
d’une recherche d’utilité.
B.– À la recherche d’une utilité
20. Deux mécanismes, en particulier,
paraissent pouvoir être exploités pour
combattre un certain nombre de contradictions, au moins celles qui apparaissent inter-instance et inter-procès ; et
elles relativisent très largement l’intérêt
d’un principe d’interdiction de se contredire au détriment d’autrui. Il s’agit, d’une
part, de l’exigence d’un intérêt sérieux,
légitime, né et actuel, de l’autre, de la
théorie de l’abus de droit. La notion
d’intérêt à agir est déjà utilisée par le
juge pour déclarer irrecevables les demandes reposant sur des prétentions
« illogiques ». Elle pourrait être utilisée
pour sanctionner les contradictions
mécanisme repose inévitablement sur la
démonstration d’une faute caractérisée
(cf. Cayrol N., op. cit., n° 169 ; Desdevises Y., Staes O.,
« Action en justice : Généralités », J.-Cl. Procédure civile, Fasc.
n° 125, n° 62 et s.). Mais l’on pourrait plaider
pour un resserrement de la notion autour
de l’intention de nuire (faute dolosive ou
erreur grossière, exclusivement), comme
le voulait Ripert, afin de réduire le
nombre des contradictions susceptibles
d’être sanctionnées – pour ne retenir
que les plus graves, celles guidées par la
seule malice, l’intention de nuire (la Cour
Paris, 15 déc. 1988, D. 1988. IR. 183, obs. P. Julien ; Cass.
com. 27 avr. 1981, n° 80-11.200, D. 1982. J. 51, note Le
Tourneau Ph., cf encore : une partie n’est pas recevable à
critiquer l’arrêt d’avoir accueilli une demande de révocation
de l’ordonnance de clôture qu’elle avait acceptée, Cass.
3e civ., 27 juin 2007, n° 05-20.173, Bull. civ. III. n° 116,
JCP G 2007, IV, 2589). Dans bien des cas, ce-
de cassation a ainsi pu juger que « l’exercice d’une action
en justice ne dégénère en faute susceptible d’entraîner une
condamnation à des dommages-intérêts que s’il constitue un
acte de malice ou de mauvaise foi, ou, s’il est, tout au moins,
le résultat d’une erreur grossière équipollente au dol » : Cass.
civ., 19 oct. 1943, S. 1944, 1, p. 43).
pendant, cette analyse serait artificielle
et reviendrait à tenir pour dépourvu de
droit d’agir en justice le plaideur qui se
contredit inter-instance ou inter-procès,
sans qu’un lien puisse être établi entre
la fin de non-recevoir et une condition
objective comme le délai, la qualité pour
agir ou encore l’intérêt. En réalité, celui
qui se contredit remplit souvent les conditions objectives posées par l’article 122
du Code de procédure civile et il n’y a
donc pas défaut de droit d’agir.
22. Enfin, n’oublions pas que le juge
dispose de bien des mécanismes qui lui
permettent de remédier aux éventuelles
contradictions ou de les sanctionner.
Tout d’abord, et grâce à ses pouvoirs
d’instruction, le juge peut obtenir toutes
explications de fait et de droit (CPC,
art. 8 & 13), ordonner la production des
pièces ou toutes mesures d’instruction
qui lui paraissent utiles. Le juge de la
mise en état, devant le tribunal de grande
instance, a pour mission de veiller au
déroulement « loyal » des débats, « spécialement à la ponctualité de l’échange
des conclusions et de la communication
des pièces » (CPC, art. 763, al. 2). Et, pour ce
faire, on sait qu’il peut « entendre les avocats et leur faire toutes communications
utiles », « leur adresser des injonctions »
(CPC, art. 763, al. 3). En cas de réticence irréductible, il peut enfin radier l’affaire
du rôle (CPC, art. 763, al. 4). Quelques fins
de non-recevoir permettent également
au juge de contraindre les plaideurs à
une attitude plus « cohérente », comme
l’acquiescement à la demande (CPC, art. 408 ;
21. La théorie de l’abus de droit paraît
plus satisfaisante sur le plan théorique.
Ce que l’on reproche alors au plaideur
n’est plus l’absence de droit d’action
(Kleiman E., art. préc., Houtcieff D., art. préc.), mais
un usage détourné de celui-ci. Le droit d’agir
en justice est alors détourné de sa fonction sociale, puisque le plaideur n’agit
plus pour demander justice, mais, par
exemple, pour faire pression sur son débiteur (Cass. com., 12 janv. 1976, n° 74-13.336, D. 1977,
p. 141, note Y. Chartier) ou pour assouvir un
besoin irrépressible (Cass. 3e civ., 12 févr. 1980,
JCP G 1980, IV, 168.- Exemples donnés par N. Cayrol, V°
Action en justice, Rép. Dalloz proc. civ., n° 167). On
peut sans doute s’inquiéter de la marge
de liberté dont jouit le juge, même si le
cf. Hillel O., Jobard-Bachellier M.-N., « Les applications du
principe en droit du contentieux interne et international »,
op. cit., p. 53-78, spéc. p. 58) ou l’acquiescement
au jugement (CPC, art. 409 ; cf. Hillel O., Jobard-
Bachellier M.-N., op. cit., loc. cit.) ; sous un certain
regard, la prescription vient formaliser
une forme d’acquiescement, l’individu
étant, en quelque sorte, présumé avoir
renoncé à son droit et ne pouvant plus,
contredire, par la suite, ce comportement supposé. Autre fin de non-recevoir
(cette fois-ci fondée), le défaut d’intérêt à
agir qui peut venir sanctionner celui qui
exerce une voie de recours alors qu’il a
obtenu une décision qui lui était favorable – et qui ne lui fait donc pas grief
(Hillel O., Jobard-Bachellier M.-N., op. cit., p. 59 & spéc.
PERSPECTIVES ÉTUDE
inter-instances. Ainsi qu’on a pu le dire
avec justesse, « [l]’intérêt à agir devant
être à la fois légitime et réel (c’est-à-dire
né, actuel et non hypothétique), on pourrait considérer que le demandeur qui
soumet au juge des prétentions incompatibles avec la thèse qu’il a développée
précédemment est dépourvu soit d’intérêt
légitime soit d’intérêt réel » (Dupont N., op. cit.,
n° 26). Il serait ainsi possible de généraliser la jurisprudence en vertu de laquelle
est déclarée irrecevable la prétention qui
dénote la mauvaise foi du plaideur (CA
p. 69-70 où les auteurs montrent que la Cour de cassation
a tendance à déclarer irrecevable le moyen présenté devant
elle qui est contraire aux thèses développées devant les
juges du fond ; les Hauts magistrats procèdent souvent sur
le fondement de l’article 619 du Code de procédure civile
d’après lequel sont irrecevables les moyens nouveaux, sauf
lorsqu’ils jugent mieux approprié d’utiliser un fondement
plus radical comme les irrecevabilités prononcées pour
non-succombance, pour renonciation ou acquiescement
indiscutable ; cf. aussi Boré J., Vo Pourvoi en cassation, Rép.
Dalloz proc. civ. n° 583 et s. et n° 180 et s. – sanction du défaut d’intérêt. Adde, Cass. com., 29 mai 1980, n° 78-14.283,
Bull. civ. IV, n° 216).
23. On a parfois mentionné l’autorité de
la chose jugée et la « présomption d’abandon des prétentions et moyens » non repris dans les dernières conclusions (CPC,
art. 753, al. 2, TGI : Cass. 1re civ., 20 mai 2003, n° 00-18.295,
Bull. civ. I, n° 117, RTD civ. 2004, p. 293, obs. Mestre J.,
Fages B., CPC, art. 954, al. 2 ; CA : Cass. 2e civ., 7 janv. 1998,
n° 95-17.775, Bull. civ. II, n° 1, JCP G 1998, IV, 1366, RTD
civ. 1998, p. 478, obs. Perrot R.). N’oublions pas,
enfin, la sanction, non écrite, mais néanmoins évidente et inévitable, qui résulte
de l’indisposition que provoquent, chez
le juge, les attitudes procédurales contradictoires (Hillel O., Jobard-Bachellier M.-N., op. cit., loc.
cit.). En somme, les moyens ne manquent
pas, en droit français, pour sanctionner les comportements malicieux ou les
simples contradictions inadmissibles (s’il
en est vraiment et s’il paraît nécessaire de
les combattre), sans qu’il soit besoin de
recourir à un principe qui, même précisé,
paraît comporter les conditions de sa
propre perte. ◆
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
75
RLDA
3942
À travers les diverses réformes du droit français des entreprises en difficulté, le législateur s’est inspiré
du droit américain de la faillite et notamment du Chapitre 11. Le sort des créanciers n’échappe pas
à cette influence. L’étude comparative des créanciers français et américains permet de mieux comprendre
les notions et peut-être d’envisager de nouvelles réformes.
L’influence du droit américain
de la faillite et les créanciers en
droit français : présent et futur
Par Sophie STANKIEWICZ MURPHY
LL. M et docteur en droit
L’influence américaine du droit de la
faillite sur le droit français des entreprises en difficulté est d’actualité depuis notamment la réforme de 2005
(L. n° 2005-845, 26 juill. 2005) ayant institué la
procédure de sauvegarde. Il ne fait nul
doute que la procédure américaine de
réorganisation prévue par le Chapitre 11
du Titre 11 du Code fédéral des ÉtatsUnis ait inspiré le législateur mais également la pratique (Procédure de sauvegarde
financière accélérée : L. n° 2010-1249, 22 oct. 2010, JO
23 oct. ; affaire Thomson : T. com. Nanterre, 17 févr. 2010
et affaire Autodistribution : T. com. Evry, 6 avr. 2009). La
situation du débiteur a évolué suivant
le modèle du « debtor in possession »
du droit américain lui conférant plus
de prérogatives et de liberté dans les
procédures de réorganisation de l’entreprise en difficulté (procédures de redressement judiciaire et de sauvegarde).
Mais la révolution du droit français des
entreprises en difficulté s’est opérée du
côté des créanciers en leur rendant une
place maîtresse au cœur des procédures
de réorganisation de l’entreprise. Ces
derniers sont devenus les partenaires du
sauvetage de l’entreprise en difficulté.
C’est de ces nouveaux acteurs que traite
cet article. L’influence américaine modifiant la situation des créanciers dans
notre droit semble se poursuivre. La
consécration législative de l’introduction
du « prepack » par la doctrine dans le
droit français en est un exemple concret.
À l’heure où la situation des créanciers a
connu une nouvelle modification suite à
la loi Warsmann (L. n° 2012-387, 22 mars 2012, JO
23 mars), il serait donc intéressant de revenir sur cette notion telle qu’elle existe en
droit américain. Cette étude comparative
76
permet d’envisager en droit français des
entreprises en difficulté une éventuelle
poursuite du mouvement d’évolution du
droit des entreprises en difficulté selon
le modèle américain. Commençons ainsi
par l’étude des comités des créanciers
tels qu’issus de l’influence américaine (I)
pour envisager les innovations inspirées
du droit américain que les créanciers
français pourraient connaître (II).
I. – LES COMITÉS DE CRÉANCIERS :
FRUIT DE L’INFLUENCE AMÉRICAINE
L’introduction des comités de créanciers
dans le droit français des entreprises en
difficulté est caractérisée comme l’un
des principaux apports de la réforme
du droit des entreprises en difficulté de
2005. Cette nouveauté est le fruit d’une
influence américaine soulignée par la
doctrine qui a qualifié les procédures
de réorganisation françaises de « Chapitre 11 à la française » (Dorléac T., La procédure
de sauvegarde : un chapitre 11 à la française ?, Lettre du
recouvrement, sept. 2005). Ainsi, le droit français
des entreprises en difficulté reprend des
principes du droit américain tels que la
répartition des créanciers en catégories
(A) et leur participation à l’élaboration
du plan (B).
A. – La répartition des créanciers
en catégories
Depuis la loi du 26 juillet 2005 complétée par une ordonnance de 2008 (Ord.
n° 2008-1345,18 déc. 2008), les procédures de
réorganisation entrainent la constitution de comités de créanciers. L’article
L. 626-30 du Code de commerce prévoit, pour les entreprises de taille importante, soit à partir de 150 salariés et
20 millions d’euros de chiffre d’affaires
(C. com., art. L. 626-29 et C. com., art. R. 626-52), la
constitution de comités de créanciers
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
en vue de l’adoption du plan de sauvegarde ou de redressement. Ces comités
sont au nombre de trois : le comité des
principaux fournisseurs, le comité des
établissements financiers, incluant les
créanciers assimilés (C. com., art. L. 626-30), et
une assemblée unique des obligataires.
Leur constitution est opérée par l’administrateur judiciaire.
Contrairement au droit français où le
nombre de comités est limité et leur
composition dictée par le Code de commerce, la constitution des assemblées
des créanciers américaines fait l’objet
d’un plus grand libéralisme.
Le débiteur soumis au droit américain
compose lui-même les différentes classes
de créances dans le respect de plusieurs
règles assurant le traitement égalitaire
des créanciers. Le plan doit déterminer
les différentes classes de créances et d’intérêts (« classes of claims » et « classes of interests », 11
U.S.C. 1123). Ces groupements correspondent à une classification des créances
et des intérêts à agir détenus par les
créanciers selon leur nature. Il s’agit,
par exemple, de la classe des créances
liées à la procédure, de la classe des
créances chirographaires, de la classe
des créances privilégiées ou encore de
la classe des obligataires. Il doit exister autant de classes que de créances
singulières (exemple de plan de réorganisation :
Tanger M., op. cit., p. 391, en droit français ; Bankruptcy
law, Black, 1898, en droit américain). La perte de
toute personnalisation des classes de
créanciers due à la répartition selon la
nature des créances et non celle des
créanciers marque un désir d’un traitement égalitaire plus objectif. Le champ
des créances à prendre en considération
dans le plan est volontairement large afin
que la procédure de réorganisation mette
à plat la situation du débiteur. Ainsi sont
considérées toutes les créances, qu’elles
accepter le plan tel qu’il est proposé.
En effet, le Code fédéral prévoit que les
créanciers participant au plan ne percevront pas moins que ce qu’ils auraient
obtenu dans le cas d’une liquidation. Il
s’agit du test dans le meilleur intérêt des
créanciers, le « best interest test ». Les
créanciers chirographaires ne recevant
rien dans 95 % des procédures de liquidation contre 20 % dans le cadre des
procédures de réorganisation, ils n’ont
rien à perdre en acceptant le plan. De
même, les actionnaires, les associés et
les propriétaires de l’entreprise appartiennent à une seule et unique classe,
leurs créances étant similaires : ils ont
donc, eux aussi, intérêt à accepter le
plan. En effet, la règle de l’« Absolute
Priority » prévoit que ces derniers ne
seront payés qu’une fois les créanciers
chirographaires désintéressés. Ainsi ils
doivent agir dans l’intérêt collectif des
créanciers, c’est-à-dire dans l’intérêt
de l’entreprise, et non dans leur intérêt personnel. Leur unique pouvoir
est l’abandon de leur créance individuelle. Les seuls créanciers ayant un
impact réel sur l’élaboration du plan
Le Code fédéral des
États-Unis ne prévoit
pas, dans le processus
d’élaboration du plan,
une consultation des
créanciers.
sont les créanciers privilégiés, soit, dans
la majorité des cas, les fournisseurs et
les établissements de crédit. La plupart des créanciers privilégiés seront
désintéressés que la procédure tende
à la réorganisation ou la liquidation.
Ainsi en octroyant un droit de vote
aux créanciers titulaires de sûretés, le
droit américain favorise également les
principaux acteurs économiques. Le
législateur français, contrairement au
législateur américain, a choisi la transparence en confiant les négociations
et le vote du plan aux établissements
de crédits et principaux fournisseurs à
travers les comités des créanciers, tout
en permettant aux autres créanciers
d’être consultés.
Les comités de créanciers français et les
classes de créances américaines diffèrent
donc dans leur composition, mais leur
vocation est la même : la participation
des principaux créanciers à l’élaboration
de la proposition du plan.
PERSPECTIVES ÉTUDE
« aient fait l’objet ou non d’un jugement,
liquide ou non-liquide, certaine ou conditionnelle, échue ou non échue, disputée
ou non-disputée, légale ou équitable,
garantie ou non » (11 U.S.C. section 101 (5)(A)).
Cette classification existe dans toutes
les procédures de réorganisation américaines, quelle que soit la taille de l’entreprise en difficulté. Le débiteur est libre de
déterminer la composition de ces classes,
tant que les créances comprises dans
une même classe sont substantiellement
similaires (11 U.S.C. 1122 (a)). Cette contrainte
est destinée à garantir aux créanciers
qu’ils seront traités de manière égale
et que la décision du débiteur aura les
mêmes effets sur chaque créance de la
classe concernée.
Le Code fédéral se veut libéral envers le
débiteur, en autorisant à celui-ci toutes
initiatives, à l’exception de la présence
obligatoire d’une classe au moins de
créances chirographaires (11 U.S.C. 1122 (b)).
En présence de cette liberté, le débiteur peut constituer les classes à son
avantage en regroupant, au sein d’une
même classe, des créanciers amicaux
avec d’autres moins coopératifs. Toutefois, le tribunal se fera juge du respect
du principe d’égalité existant au sein
de chaque classe et du bien-fondé de la
classification faite par le débiteur.
Outre le classement des différentes
créances, le plan doit également préciser si les créances des créanciers regroupés dans une classe subissent une
modification par le plan : dans ce cas les
classes sont dites « impaired », dans le
cas contraire, ces classes seront qualifiées de « unimpaired » (11 U.S.C. 1123 (a) (2)).
Cette distinction sera importante lors de
l’adoption du plan par les classes des
créanciers. En effet, seules les premières
pourront s’exprimer, les deuxièmes étant
considérées comme ayant accepté le
plan.
La constitution des classes de créances
américaines et des comités de créanciers français repose sur des fondements différents. Le droit américain
classe les créanciers selon la nature de
leur créance, alors que le droit français les distingue selon leur qualité,
favorisant ainsi les établissements de
crédit et les fournisseurs, soit les acteurs
économiques les plus importants. Le
droit français semble favoriser l’implication des acteurs économiques dans
le sauvetage de l’entreprise alors que
le droit américain favoriserait la participation de tous les créanciers. Or, la
composition des classes américaines a
un impact économique également important, même s’il est caché. Les créanciers chirographaires ont tout intérêt à
B. – La participation des créanciers
à l’élaboration de la proposition
de plan
Les créanciers participent à deux étapes
de l’élaboration de la proposition du
plan : la consultation (1) et le vote (2).
1. – La consultation des créanciers
Le Code fédéral des États-Unis ne prévoit
pas, dans le processus d’élaboration du
plan, une consultation des créanciers.
Les classes de créances ne sont amenées
à s’exprimer que par un vote positif ou
négatif de la proposition du plan émanant du débiteur. Il en va autrement
pour les créanciers chirographaires. La
loi impose aux « sept plus importantes
créances chirographaires » de composer
un comité, le comité des créanciers ou
« creditors’committee ». Ce comité qui
prend la forme d’une association soumise à l’obligation d’établir des statuts
et des règles internes de fonctionnement
a plusieurs objectifs. Il a pour mission
la surveillance de l’administration et la
gestion de la procédure, d’agir dans l’intérêt de ses membres et surtout d’être
consulté lors de l’élaboration du plan
(Tanger M., op. cit., p. 99). Le comité, en sa
qualité de mandataire des différentes
classes de créanciers et d’actionnaires,
joue un rôle important dans la conception du plan. Il est considéré comme un
collaborateur privilégié de l’organe de
gestion. Il joue le rôle de conseil auprès
des autres créanciers appelés à voter le
plan. Il est l’intermédiaire entre le débiteur, ou son représentant, le « trustee » si
il est désigné, et les classes des créances.
Les autres créanciers peuvent également
constituer des comités. Mais vu la lenteur occasionnée par des consultations
qui peuvent s’avérer lourdes, seul le
comité des créanciers chirographaires
est, dans la majorité des cas, constitué.
La consultation des créanciers en droit
américain est limitée dans un but de
rapidité. Seuls les créanciers chirographaires peuvent donner leur avis. Toutefois, dans certains cas si un « trustee »
est nommé, si le débiteur n’a pas proposé un plan dans les délais ou si la
proposition de ce dernier a été refusée
(11 U.S.C. 1121 (c)), les créanciers ont la possibilité de proposer leur propre plan. Or,
aucun délai ne limite le temps imparti
aux créanciers pour proposer un plan,
ce qui peut conduire à des procédures
interminables.
À l’image des « creditors’committee »,
le droit français favorise la consultation
des créanciers sur la proposition du
plan. Toutefois, contrairement au droit
américain, la plupart des créanciers sont
amenés à s’exprimer.
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77
L’ I N F L U E N C E D U D R O I T A M É R I C A I N D E L A FA I L L I T E E T L E S C R É A N C I E R S E N D R O I T F R A N Ç A I S : P R É S E N T E T F U T U R
Jusqu’à la loi française du 22 octobre
2010 sur la régulation bancaire et financière (L. n° 2010-1249, 22 oct. 2010) tous les
créanciers étaient consultés sur la proposition du plan, qu’ils soient membres
ou non d’un comité à l’exception des
créanciers détenteurs d’une fiducie-sûreté qui pouvaient s’exprimer que pour
la partie « de leur créance non assortie
d’une telle sûreté » (C. com., art. L. 826-30, al. 4).
Les membres des comités sont consultés sur la proposition du plan. Le vote
négatif de la proposition de plan par ces
derniers entraine l’adoption d’un plan
en l’absence des comités des créanciers.
Pour éviter un tel refus, leur consultation en amont s’avérait nécessaire. Ils
peuvent ainsi influencer plus ou moins
le contenu du plan (C. com., art. L. 626-34). À
l’issue de cette consultation, il revient
au débiteur de modifier sa proposition
de plan, nouvelle proposition qui sera
soumise aux autres créanciers.
Les créanciers qui ne sont pas membres
des comités de créanciers, ainsi que « les
créanciers bénéficiaires d’une fiducie
constituée à titre de garantie par le débiteur », sont de leur côté consultés selon
les articles L. 626-5 et L. 626-6 du Code
de commerce (Lebel Ch., Les plans de sauvegarde et
de redressement dans l’ordonnance du 18 décembre 2008,
Gaz. Pal. 6 mars 2009, p. 46) : le mandataire ju-
diciaire recueille collectivement ou individuellement l’accord des créanciers qui
ont déclaré leurs créances. Le caractère
individuel de la consultation demeure
même si la tonalité de la réaction collective est un paramètre important pour le
tribunal qui statue sur le plan (Jeantin M.
et Le Cannu P., Entreprises en difficulté, Dalloz, 7e éd.,
2007, n° 871).
Par la loi de 2010, le législateur généralise la situation juridique qui était celle
du créancier détenteur d’une fiduciesûreté à tous les créanciers. En effet,
le dernier alinéa de l’article L. 626-5
du Code de commerce dispose que :
« Le mandataire judiciaire n’est pas
tenu de consulter les créanciers pour
lesquels le projet de plan ne modifie pas
les modalités de paiement ou prévoir
un paiement intégral en numéraire dès
l’arrêté du plan ou dès l’admission de
leurs créances ». De même, en présence
de comités de créanciers, le dernier
alinéa de l’article L. 626-30-2 précise
que : « Ne prennent pas part au vote
les créanciers pour lesquels le projet de
plan ne prévoit pas de modification
des modalités de paiement ou prévoit
un paiement intégral en numéraire dès
l’arrêté du plan ou dès l’admission de
leurs créances ».
Cette disposition rappelle la distinction
existante en droit américain entre les
78
classes dites « unimpaired » supposées avoir accepté le plan sans être
consultés et les classes dites « impaired ». Cette solution semble en effet
tout à fait logique et permet un gain
de temps non négligeable dans une
procédure de sauvegarde. La consultation des créanciers constitue un laps
de temps important de la procédure.
Cependant, cette nouvelle disposition
semble empêcher qu’un créancier exclu de la consultation puisse accorder
un délai ou une remise que l’on ne lui
aurait pas réclamé. Il reviendrait donc
au débiteur de se rapprocher de ses
créanciers avant de proposer un plan
pour savoir si ces derniers accepteraient une remise ou un délai. Dans
l’affirmative, le débiteur joindrait à sa
proposition du plan l’avis du créancier. Cette possibilité aurait l’avantage
d’être plus rapide que de passer par le
mandataire judiciaire.
2. – Le vote des créanciers
Avant tout vote des créanciers, le
droit américain prévoit la remise d’informations relatives au débiteur afin
d’éclairer leur vote (11 U.S.C. 1125). Ainsi
les créanciers se voient informés sur
« la situation économique et financière
de l’entreprise en réorganisation, grâce
à un bilan rétrospectif, mais aussi aux
techniques prospectives contenues dans
le projet de plan » (Tanger M., op. cit., p. 402).
Avant toute communication, le débiteur
soumis au droit américain présente au
tribunal une déclaration de divulgation
ou « disclosure statement » regroupant
toutes les informations permettant à un
investisseur raisonnable de voter sur le
plan de manière la plus éclairée possible
(Affaire Metrocraft Publishing Services, Inc., 39 BR 567,
568 Bankr. N.D. Ga. 1983. Cette décision liste dix-neuf
facteurs permettant d’évaluer le caractère adéquat des informations divulguées). Une fois ce document
remis au tribunal, ce dernier tiendra une
audience après convocation du débiteur, des créanciers et des autres parties
intéressées au moins vingt-cinq jours
avant (Fed. R. Bankr. P. 3017).Le tribunal fixera
ensuite le délai pendant lequel les créanciers pourront voter soit en faveur, soit
contre le plan. Cette période est comprise
entre quarante-cinq et soixante jours. De
même, le droit français prévoit un bilan
économique, social et environnemental dressé par l’administrateur avec le
concours du débiteur et l’assistance d’un
ou plusieurs experts (C. com., art. L. 623-1). Ce
bilan comprend diverses informations
relatives à la situation financière du débiteur, aux perspectives d’emploi et aux
conditions sociales envisagées pour la
survie de l’entreprise. Le bilan est déposé
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
par la suite au greffe et est accessible à
tout créancier.
Au vu de ces multiples informations,
les créanciers sont amenés à se prononcer sur la proposition du plan par
un vote. Les créanciers américains ont
trente jours pour s’exprimer. Le droit
français avait repris ce délai en 2005,
pour le modifier en 2008. Comme le
souligne le rapport au président de la
République (JORF n° 0295, 19 déc. 2008, p. 19457,
texte n° 28) « le calendrier fixé pour conduire
les opérations, qui s’est parfois avéré
inadapté à la conduite des négociations
en raison de sa rigidité, a été supprimé.
Sous réserve du maintien d’un délai de
réflexion minimum entre la transmission
des propositions du débiteur et le vote,
il est désormais seulement prévu que les
comités de créanciers doivent adopter
un projet de plan dans les six mois de
l’ouverture de la procédure » (C. com., art.
L. 626-30 et L. 626-34).
En droit français comme en droit américain, seuls les créanciers affectés par
le plan sont désormais amenés à se
prononcer sur ce dernier (11 U.S.C 1126 et
C. com., art. L. 626-30-2) La distinction entre les
classes de créances dites « impaired » et
« unimpaired », en droit américain, est
d’autant plus importante à ce moment de
la procédure que le plan ne pourra faire
l’objet d’une homologation que si au
moins une classe composée de créances
« impaired » a accepté le plan.
Bien qu’en droit français, le vote du plan
s’applique à une catégorie de créanciers
beaucoup plus réduite, puisque seuls
les créanciers membres des comités de
créanciers et, le cas échéant, l’assemblée
des obligataires, sont amenés à voter le
plan proposé (C. com., art. L. 626-30-2 et L. 626-32),
les modalités de vote des créanciers en
droits américain et français sont très
similaires. En effet, la réforme de 2005
reprenait les modalités de vote du droit
américain en disposant que le plan est
considéré accepté par les comités des
créanciers si la majorité de ses membres,
représentant au moins les deux tiers du
montant des créances de l’ensemble du
comité avait voté en faveur du plan proposé. Le droit américain applique cette
double majorité (11 U.S.C. 1126 (c)). Toutefois,
le droit français, dans le but d’alléger le
processus, a modifié les conditions d’acceptation du plan. Désormais, depuis
2008, une simple majorité est requise
en droit français : la « majorité des deux
tiers du montant des créances détenues
par les membres » pour chaque comité
(C. com., art. L. 626-30-2, al. 4). De plus, cette
majorité ne s’apprécie plus par rapport
au montant des créances de l’ensemble
des membres du comité, mais par rap-
L’étude comparative de la situation des
créanciers au cours de la phase d’élaboration de la proposition du plan est
instructive quant à la compréhension
du système américain mais également
pour envisager en droit français des innovations inspirées du droit américain.
Revoir la classification des créanciers selon la nature de la créance a été souhaité
à plusieurs reprises (Montéran T., Pour améliorer
en droit américain pourront se retrouver
devant les tribunaux français. Ainsi le
juge devra vérifier que le débiteur ne
classe pas les créances de manière trop
large afin d’obtenir une majorité en leur
sein. En effet, plus le nombre de classes
est faible, plus les chances d’avoir un refus d’une classe sont limitées. De même,
le débiteur peut être amené à déterminer
un nombre important de classes dites
non affectées (unimpaired) afin que les
classes concernées par les modifications
apportées par le plan soient en minorité
et qu’un refus des créanciers concernés
ne soit pas un obstacle insurmontable
pour la confirmation du plan par le tribunal : dans le cadre d’une procédure régie
par le Chapitre 11, le juge a, en effet, la
possibilité d’imposer un plan rejeté par
une ou plusieurs classes de créances si
ce plan s’avère être viable. Cette modification aurait l’avantage de limiter les
refus d’un plan par un comité mais une
telle réforme « ferait “table rase” de la
pratique de la sauvegarde telle que mise
en œuvre depuis presque 6 ans » (Le Guer-
le droit des entreprises en difficulté, osons la réforme, Gaz.
Pal. 23 et 24 janv. 2008, p. 8), notamment lors de
nevé L. et Morelli N., Les nouveaux enjeux des comités de
créanciers, Cah. dr entr. 2011, Fasc. 4, p. 6).
II. – INNOVATIONS D’INSPIRATION
AMÉRICAINE ENVISAGEABLES
La situation des créanciers telle qu’existant en droit américain demeure une
source d’inspiration pour le législateur.
L’étude de nombreuses notions propres
au droit anglo-saxon ou américain mériterait d’être menée en vue d’une éventuelle adaptation en droit français. Cet
article se limitera à l’étude de quelques
unes d’entre elles.
A.– Une classification homogène
des créanciers
l’élaboration du projet de loi de 2010.
Des classes de créanciers homogènes
créées en fonction des spécificités du
dossier auraient pu voir le jour. Cette
idée, par manque de temps, a été rejetée
(Dammann R. et Podeur G., Sauvegarde financière : le
« prepack » à la française », D. 2010, p. 2504).
L’absence d’une classification homogène des créanciers en droit français peut
conduire les créanciers chirographaires
membres d’un comité à imposer à des
créanciers titulaires de sûretés des abandons ou des conversions de créances
affectant la valeur de leurs sûretés.
Le législateur, dans le cadre d’une future
réforme, pourrait envisager d’adapter la
classification américaine en prenant en
compte la distinction existant en droit
américain entre les classes « impaired »
et les classes « unimpaired ». L’adoption
d’une telle réforme emporterait nécessairement une responsabilité accrue pour le
tribunal qui, au moment de l’arrêté du
plan, devra être particulièrement attentif à ce qu’aucun créancier ne soit lésé
(Besse A. et Morelli N., Le prepackaged plan à la française :
pour une saine utilisation de la procédure de sauvegarde, JCP
E 2009, I, n° 25, p. 1628). Ainsi il existerait des
classes ou comités amenés à voter le plan
alors que d’autres seraient présumés
l’avoir accepté, sans être au préalable
consultés. De plus, il pourrait laisser au
débiteur la liberté de déterminer leur
composition, sachant que le juge aura un
devoir de contrôle lors de l’approbation
du plan sur cette dernière. En effet, les
mêmes difficultés que celles observées
PERSPECTIVES ÉTUDE
port au montant des créances détenues
par les membres ayant exprimé un vote.
Les créanciers les plus importants s’en
voient avantagés. Cette nouvelle règle
s’applique désormais aussi à l’assemblée
des obligataires.
Cette différence entre les modalités d’acceptation du vote se justifie. Selon le
droit américain, les classes des créanciers ne peuvent que refuser ou accepter le plan proposé. Elles ne sont pas
appelées à donner leur avis sur ce dernier. De plus, le refus d’un plan par les
créanciers ne les exclut pas pour l’avenir
de la procédure d’adoption d’un plan
de réorganisation. Ils ont, au contraire,
de nouvelles prérogatives puisqu’ils
peuvent proposer eux-mêmes un plan.
L’inconvénient d’une telle faculté est une
prolongation de la procédure. En droit
français, la conséquence du refus d’un
plan par l’un des comités de créanciers
ou l’assemblée des obligataires est tout
autre : les comités et assemblées seront
dissous et un nouveau plan sera proposé
sans leur intervention (C. com., art. L. 626-34).
Le vote positif des comités de créanciers
et de l’assemblée des obligataires est recherché de suite. Il est donc important de
faciliter l’acceptation du plan proposé.
Enfin, favoriser les « gros » créanciers
par un vote à la simple majorité revient
à encourager leur participation au sauvetage de l’entreprise. Un tel sauvetage
serait impossible sans l’implication de
ces derniers. L’objectif recherché par la
procédure américaine et par la procédure
française est donc le même : parvenir au
vote d’un plan par les créanciers. L’implication des créanciers dans la phase
d’élaboration du plan est un élément-clé
pour les législateurs. Le sauvetage de
l’entreprise doit être le fruit d’un accord
entre le débiteur et les créanciers.
Le mode de fonctionnement des comités de créanciers en France reflète
l’influence américaine de manière intéressante. Les comités de créanciers
français sont, en effet, une combinaison
des classes des créances par leur composition et leurs modalités de vote et des
comités des créanciers américains (Creditors’comittee) pour leur rôle de consultation lors de l’élaboration du plan. Les
créanciers sont désormais au cœur de la
procédure. En droit français, ce tournant
vers un plus grand libéralisme est à remarquer. Les créanciers, impliqués de la
sorte, sont responsables de l’avenir de
l’entreprise et surtout de l’avenir de leur
créance. Le droit français, tout comme le
droit américain, favorise désormais cet
aspect afin de rendre les procédures de
réorganisation françaises attractives tant
pour le débiteur que pour les créanciers.
B.– L’introduction
du « Best Interest Test »
Dans le cadre d’une procédure du Chapitre 11, la section 1129 (a) du Code
fédéral pose treize conditions à la confirmation du plan par le tribunal (Broude
R. F., Reorganizations under Chapter 11 of Bankruptcy
Code, ALM Properties inc. Law Journal Press, 2005, 12-19).
Parmi ces conditions, l’une prévoit que
les créanciers devront recevoir dans le
cadre de la procédure de réorganisation au moins l’équivalent de ce qu’ils
auraient reçu en cas d’ouverture d’une
procédure de liquidation du chapitre VII
(11 U.S.C. 1129 (a) (7)). Cette recherche du
meilleur intérêt des créanciers prend
le nom de « Best Interest of Creditors
Test » ou le « Best Interest Test » en droit
américain.
Le « Best Interest Test » a pour objectif
de protéger les créanciers réticents à
l’adoption d’un plan imposée par la majorité au sein d’une classe. Ainsi la règle
s’applique à tous les créanciers membres
d’une classe dite « impaired » qui n’ont
pas accepté le plan.
À cette règle, il existe une exception : le
créancier titulaire d’une sûreté, qui n’est
pas suffisante pour couvrir la totalité de
la créance, a la possibilité de réclamer
la partie de la créance qui n’est pas garantie. Si le créancier ne revendique pas
ce droit, il devra obtenir par le plan au
moins la valeur de la part garantie de la
créance pour que l’exigence du « Best
Interest Test » soit considérée comme
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
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79
L’ I N F L U E N C E D U D R O I T A M É R I C A I N D E L A FA I L L I T E E T L E S C R É A N C I E R S E N D R O I T F R A N Ç A I S : P R É S E N T E T F U T U R
satisfaite (Reorganization Plan : Best Interest of Creditors
on http://bankruptcy.lawyers.com/commercial-bankruptcy/
Reorganization-Plan-Best-Interest-of-Creditors.html).
En droit français, l’article L. 626-31 du
Code de commerce prévoit une protection des créanciers par le tribunal qui
reste floue : le tribunal ne peut arrêter le plan qu’après s’être assuré « que
les intérêts de tous les créanciers sont
suffisamment protégés ». Il s’agit d’un
souci d’équité « au sens où les sacrifices
demandés aux créanciers et acceptés par
la majorité d’entre eux ne doivent pas
traduire la brutalité d’une majorité qui
impose sa loi à des minoritaires qui subissent des atteintes à leurs droits pour
la simple raison qu’ils sont minoritaires »
(Lucas F.-X., Le plan de sauvegarde apprêté ou le prepackaged plan à la française, Cah. Dr entr. 2009, Fasc. 5, p. 41).
Les différences de traitement des créanciers imposées par le plan doivent être
justifiées par les différences de situation
existant entre eux (C. com., art. L. 626-30-2, al. 2).
L’approche américaine est concevable en
droit français pour offrir aux créanciers
une certaine assurance de paiement.
Certains auteurs considèrent que la notion de « Best Interest Test » a déjà été
adoptée en droit français en matière de
fiducie-sûreté (C. com., art. L. 626-30, al. 4). Ces
créanciers ne votent qu’à concurrence
des montants de leurs créances non assorties d’une telle sûreté. Ils sont assurés
de recouvrer au moins le montant de
leur créance garantie par une fiducie
(Dammann R. et Podeur G., Les sûretés-propriété face au
plan de sauvegarde, D. 2008, p. 928).
Le droit français pourrait aller plus loin
et offrir cette protection à tous les créanciers membres des comités qui ont voté
contre l’acceptation du plan afin d’éviter
aux créanciers dont la créance est altérée
par le plan une soumission aux créanciers majoritaires. De plus, ce test correspond à une réalité et peut facilement être
mis en place. En effet, l’article L. 626-31
du Code de commerce est imprécis en
ce qu’il est difficile de déterminer ce
que signifie « suffisamment protégés ».
L’intérêt d’une telle règle est qu’elle est
concrète et qu’elle limiterait des doutes
et donc l’insécurité juridique.
C.– La protection des créanciers
chirographaires : un retour
à la masse des créanciers ?
Parmi les procédés existant en droit américain de la faillite permettant une protection adéquate des intérêts des créanciers
chirographaires, deux attirent notre attention. Il s’agit tout d’abord de la création d’une masse de la faillite regroupant
les actifs de la masse (1), et de l’existence d’un comité composé de créanciers
chirographaires dont la fonction est de
80
surveiller la gestion de l’entreprise par
le débiteur dans l’intérêt collectif des
créanciers chirographaires (2). La comparaison de ces entités en droit français
rappelle la masse des créanciers existant
sous l’empire de la loi du 13 juillet 1967
(L. n° 67-563, 13 juill. 1967).
1.– Création d’une masse
de la faillite
L’ouverture d’une procédure de faillite
aux États-Unis entraine la création automatique de la masse des actifs de la
faillite ou le « Bankruptcy estate ». Sa
vocation est de geler les biens et droits du
débiteur mis en œuvre dans le règlement
de la procédure. La section 541(a)(1) du
Code de la faillite dispose que la masse
est constituée de « tous les droits légaux
et de fait dont le débiteur a la propriété
au commencement de la procédure »,
La masse ne concerne que « les biens
existants au jour de la constitution de
la masse et à ceux qui y sont introduits
par une cause d’évolution interne de la
masse » ( Van Gysel, Les masses de liquidation en droit
privé : Faillites – successions – communautés – sociétés,
Collection de la Faculté de Droit de l’Université de Bruxelles
1994, p. 334). Ils sont ainsi placés pour cela
entre les mains du tribunal afin d’être
gérés par un « trustee » conformément
aux lois de la faillite, dans l’intérêt des
créanciers chirographaires. Dans le cadre
d’une procédure de réorganisation, le
débiteur n’est pas dessaisi de ses biens.
Il doit en conséquent agir dans un intérêt
autre que celui personnel. Sa gestion doit
être respectueuse de l’intérêt collectif des
créanciers chirographaires du débiteur,
ayant un droit de gage général sur le
patrimoine du débiteur. Les biens sont
affectés au règlement de la procédure, le
débiteur ne peut plus en jouir librement
et pour son propre compte. Ils constituent le gage commun des créanciers. Le
droit américain confie ainsi deux rôles
à la masse de la faillite : dessaisir le débiteur et réaliser la « socialisation des
avoirs du créanciers » (Tanger M., op. cit., p. 107).
Elle entraine donc une restriction des
prérogatives du débiteur sur ses biens.
Dans l’hypothèse où le débiteur est une
personne physique, il se retrouve ainsi
à la tête de deux masses : un patrimoine
affecté et un patrimoine indisponible. Le
droit fédéral créerait donc au moment de
la faillite un patrimoine d’affectation de
l’entreprise individuelle.
Une telle conception existait sous la loi
du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire et la liquidation des biens. L’ouverture d’une faillite avait pour effet de
regrouper les créanciers, à l’exception de
ceux qui étaient titulaires de privilèges
et de sûretés, sous l’entité de masse des
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
créanciers. Cette masse exerçait une
sorte de mainmise sur le patrimoine du
débiteur, lequel était désormais géré
par le syndic dans l’intérêt collectif et
égalitaire des créanciers de la masse.
Contrairement au droit américain, la
masse de la faillite ne représentait pas
la collectivité des créanciers, soit le passif, mais l’ensemble patrimonial soumis
à leurs droits, c’est-à-dire l’actif. Dans
le cadre d’une procédure de règlement
judiciaire, le débiteur pouvait être maintenu à la tête de son entreprise mais se
trouvait soumis à un contrôle judiciaire,
placé sous la tutelle du syndic. Il perdait ainsi la libre administration et la
libre disposition de ses biens (De Juglart M.
et Ippolito B., Droit commercial – Règlement judiciaire et
liquidation des biens – Faillite personnelle – Suspension
provisoire des poursuites, Montchrestien, 2e éd., 1977).
La masse avait la personnalité morale
et disposait de certaines prérogatives
comme l’exercice dans l’intérêt collectif
des droits appartenant aux créanciers
paralysés par l’arrêt des poursuites. Elle
se voyait dotée de droits propres pour
mener les actions visant à accroître l’actif
commun. Elle jouissait également d’une
hypothèque légale sur tous les biens du
débiteur présents et futurs garantissant
le paiement de ceux des créanciers dont
elle prenait la charge, à savoir les créanciers de la masse.
La masse des créanciers fut abolie par la
loi du 25 janvier 1985 (L. n° 85-98, 25 janv. 1985)
en raison de la complexité du concept et
de la volonté du législateur de séparer
l’homme de l’entreprise. Aujourd’hui, le
corollaire à la création de la masse est
l’« arrêt des poursuites des créanciers,
règle qui est destinée à soustraire les biens
affectés dans la masse aux actions individuelles des créanciers afin de favoriser la
réalisation des objectifs collectifs et d’intérêt général de la faillite » (Tanger M., op. cit.,
p. 103) tel que prévoit l’article L. 622-21 du
Code de commerce.
L’année 2010 marque un tournant dans
la conception du patrimoine concerné
par une procédure collective ouverte
à l’encontre d’un entrepreneur individuel, consacrant l’effet réel de la procédure (L. n° 2010-658, 15 juin 2010, créant le statut de
l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) ;
Sénéchal M., Effet réel de la procédure collective, essai sur
la saisie collective du gage commun des créanciers, éd.
Litec, Bibl. Dr Entr., 2002 ; Saintourens B., L’entrepreneur
individuel à responsabilité limitée. Commentaire de la loi
n° 2010-658 du 15 juin 2010, Rev. sociétés 2010, p. 351 ;
Dubuisson E., Projet de loi relatif à l’EIRL, comprendre la
technique et les enjeux, JCP N 2010, I, p. 27). Jusque
là, le principe d’unicité du patrimoine
prévalait. Les créanciers avaient un gage
sur les biens professionnels et personnels
du débiteur y compris les biens que ce
(Cass. com., 16 mars 2010, n° 08-13.147, Bull. civ. IV,
n° 55) consacre l’effet réel de la procédure
collective en décidant qu’un bien dépendant de la liquidation judiciaire d’un
débiteur fait partie de manière exclusive
de cette procédure et ne peut donc être
appréhendé par le liquidateur nommé ultérieurement dans la procédure ouverte
contre son conjoint. « Il en résulte que le
juge-commissaire, qui autorise la vente
d’un immeuble commun à deux époux,
alors que, par l’effet réel de la liquidation
judiciaire précédemment ouverte contre
l’un des époux, l’immeuble était déjà
inclus dans cette liquidation, excède
ses pouvoir » (Lucas F.-X. et Le Corre P.-M., Droit
des entreprises en difficulté, septembre 2009 – avril 2010,
D. 2010, p. 1820). La Cour de cassation réitère
cette solution le 16 novembre 2010 en
jugeant que « les salaires d’un époux
marié sous un régime de communauté
sont des biens communs frappés par la
saisie collective au profit des créanciers
de l’époux mis en procédure collective qui
ne peuvent être saisis, pendant la durée
de celle-ci, au profit d’un créancier de
l’époux, maître de ses biens » (Cass. com., 16
nov. 2010, n° 09-68.459, Bull. civ. IV, n° 176). Cette jurisprudence rappelle fortement la notion
d’« estate » existant en droit américain
en permettant au jugement d’ouverture
d’une procédure collective de confier à
celle-ci un effet réel immédiat.
L’effet réel de la procédure collective
ouverte à l’encontre d’une personne
physique fait l’objet d’une consécration
législative par la loi n° 2010-658 du
15 juin 2010 créant le statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité
limitée (EIRL) alignant la situation de
l’entrepreneur individuel sur celle des
associés dans les sociétés à responsabilité limitée (Saintourens B., L’entrepreneur individuel
à responsabilité limitée. Commentaire de la loi n° 2010-658
du 15 juin 2010, Rev. sociétés 2010, p. 351). Cette loi
qualifiée de « bombe juridique » (Dubuisson
E., JCP N 2010 préc.) prévoit la séparation du
patrimoine de l’entrepreneur entre son
patrimoine personnel et son patrimoine
professionnel. Les biens affectés à l’activité professionnelle constituent les seuls
gages des créanciers professionnels.
Les biens compris dans un patrimoine
d’affectation ne peuvent concerner plusieurs activités du débiteur. Ainsi autant
de procédures collectives peuvent être
ouvertes à l’encontre de l’EIRL qu’il
possède de patrimoines d’affectation relatifs à des activités distinctes. L’objectif
de la loi est de « favoriser l’initiative
individuelle et l’esprit d’entreprise tout
en protégeant l’entreprise et sa famille
contre les risques liés à l’exercice d’une
activité professionnelle » (Leroyer A.-M., Entrepreneur individuel à responsabilité limitée, RTD civ. 2010,
p. 632). La création de cette nouvelle en-
tité a nécessité l’insertion dans le Code
de commerce d’un nouveau Titre VIII
au Livre VI intitulé : « Dispositions particulières à l’entrepreneur individuel à
responsabilité limitée » (Ord. n° 2010-1512,
9 déc. 2010, cf. Lienhard A., EIRL : adaptation du droit
des procédures collectives, D. 2010, p. 2903). Celle-ci
a notamment créé une action en réunion des patrimoines pour confusion
des patrimoines ou en cas de fraude ;
frappe de nullité les affectations et les
modifications d’affectations de biens
réalisées au cours de la période suspecte dans le seul but de les soustraire
à l’actif ; permet, en cas de fraude, la
reprise des poursuites individuelles sur
le patrimoine affecté après clôture de
la procédure pour insuffisance d’actifs
Le droit français
peut cependant aller
plus loin et confier la
masse à un tiers comme
le « trustee » en droit
américain. Elle serait
entre les mains du
débiteur dans le cadre
d’une procédure de
réorganisation, ou d’un
administrateur en cas
de dessaisissement
du débiteur.
et crée un mécanisme de coordination
des procédures collectives et du traitement de surendettement des particuliers
(cf. Legrand, L’EIRL pourra-t-il prétendre à une procédure
de surendettement ?, D. 2010, p. 2385). Les princi-
pales conséquences sont la nécessité de
renoncer au caractère personnel de la
procédure collective pour adopter un
caractère patrimonial et de limiter l’état
de cessation des paiements aux éléments incorporés dans le patrimoine affecté à l’activité. La loi de 2010 consacre
l’effet réel de la procédure collective,
tout en modifiant la conception patrimoniale de la procédure en dérogeant
à la notion d’unité du patrimoine. Il est
désormais possible d’affecter un ensemble de biens déterminés à l’activité
de l’entreprise d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée : celui-ci
peut affecter une partie de ses biens
à son activité et n’est alors tenu que
sur ceux-ci vis-à-vis de ses créanciers
professionnels.
PERSPECTIVES ÉTUDE
dernier possède en commun avec son
conjoint ou en indivision. En effet, par
un arrêt du 16 mars 2010, la chambre
commerciale de la Cour de cassation
La nouvelle disposition permet un rapprochement intéressant entre le droit
français des entreprises en difficulté et
le droit américain de la faillite. L’étude
de la notion de masse de la faillite telle
qu’elle existe en droit américain pourrait inspirer le législateur français. En
effet, elle démontre un intérêt pour les
créanciers chirographaires, les biens du
débiteur étant protégés. Ces créanciers,
contrairement aux créanciers titulaires
de sûretés, ne détiennent aucun droit sur
les biens du débiteur et sont de la sorte
fragilisés lors de la réalisation de l’actif.
Le droit français peut cependant aller
plus loin et confier la masse à un tiers
comme le « trustee » en droit américain.
Elle serait entre les mains du débiteur
dans le cadre d’une procédure de réorganisation, ou d’un administrateur en cas
de dessaisissement du débiteur. La mission de ce « gardien de la masse » serait
plus importante que celle actuelle limitée
à la simple disposition et l’administration
des biens de l’entreprise en difficulté (C.
com., art. L. 622-1). Le détenteur de la masse
aurait pour mission de faire fructifier son
contenu dans l’intérêt des créanciers.
Le débiteur ou le syndic pourrait, tout
comme le « debtor in possession » ou le
« trustee » américains, vendre ou acheter
des biens si l’opération entre dans la
continuité normale de l’activité de l’entreprise. Pour les autres opérations, une
permission du tribunal serait requise. Le
contrôle de ces opérations est effectué en
droit américain par le comité des créanciers. L’adaptation en droit français d’un
tel comité, qui contrôlerait les opérations
effectuées par le débiteur, mérite ainsi
une étude particulière.
2.– Création d’une entité
représentant les créanciers
chirographaires
Dans le cadre d’une procédure de faillite
soumise au droit américain, l’« US Trustee », agent gouvernemental nommé par
le procureur général au sein de chaque
district judiciaire fédéral, ou groupe de
districts, a deux fonctions : d’une part,
il représente les intérêts du gouvernement à l’image du ministère public français, et, d’autre part, il s’assure que la
protection des intérêts des créanciers
ou de toute autre partie intéressée soit
effective. Parmi les créanciers, l’« US
Trustee » assure tout particulièrement
la protection des intérêts des créanciers
les plus affectés par l’ouverture d’une
procédure de faillite, c’est-à-dire les
créanciers chirographaires. Ces derniers
ressortent généralement sans un denier
d’une procédure de liquidation et sont
les derniers satisfaits à la suite d’une
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
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81
L’ I N F L U E N C E D U D R O I T A M É R I C A I N D E L A FA I L L I T E E T L E S C R É A N C I E R S E N D R O I T F R A N Ç A I S : P R É S E N T E T F U T U R
procédure de réorganisation. Le Code
de la faillite prévoit ainsi la désignation obligatoire, par l’« US Trustee »,
d’un comité de créanciers, constitué
d’au moins sept créanciers détenant les
plus grosses créances chirographaires,
agissant dans l’intérêt de ces derniers :
le « creditors’committee » (11 U.S.C. § 1102
(a) (1)). Cette désignation repose sur le
volontariat. Si aucun créancier désigné
ne souhaite faire partie du comité, aucun
comité ne sera formé. Dans cette hypothèse, l’« US Trustee » jouera un rôle
plus actif dans la défense des intérêts
des créanciers chirographaires.
L’« US Trustee » est libre de désigner
autant de comités de créanciers additionnels qu’il le souhaite (11 U.S.C. 1102
(a) (2)). Ces comités défendront les intérêts
collectifs de la catégorie de créanciers
qu’ils représentent. Mais compte tenu
du coût et de la lenteur occasionnés par
l’existence de multiples comités, cette
possibilité est rarement mise en œuvre.
De plus, dans le cadre d’une faillite ouverte à l’encontre d’une petite entreprise
toute partie intéressée peut demander au
tribunal de ne pas en désigner (la section
101 (51D) du Code de la faillite définit un « small business »
comme la société dont la somme des dettes conclues dans le
cadre d’une activité commerciale, autres que les dettes liées à
un droit de propriété, n’excède pas deux millions de dollars).
Le rôle de ces comités est très large. Ils
consultent la personne en charge de la
gestion de l’entreprise, le « debtor in
possession » ou le « trustee », sur les différentes opérations effectuées. Ils peuvent
demander la nomination d’un « trustee »
s’ils ont des doutes sur les compétences
ou l’honnêteté du débiteur. Ils veillent,
de manière générale, à la bonne gestion
82
de l’entreprise. Ils participent également
à l’élaboration du plan. De plus, les « creditors’committees » peuvent intenter une
action en leur nom dans l’intérêt collectif
des créanciers qu’ils représentent. Ils
exercent de la sorte une fonction disciplinaire, de coordination et de conseil
auprès de leurs représentés.
Cette entité présente en droit américain
est proche du concept de contrôleurs en
droit français, à la différence que ces
derniers agissent dans l’intérêt collectif
de l’ensemble des créanciers dans la
seule hypothèse où le mandataire judiciaire ne le fait pas. Le « creditors’committee » offre aux créanciers chirographaires une plus grande protection de
leurs intérêts et une participation dans
le sauvetage de l’entreprise. Pourquoi
ne pas offrir aux créanciers chirographaires soumis au droit français les
mêmes prérogatives ? Il est vrai que cela
s’apparenterait également à un retour à
une masse des créanciers qui concernait
également les créanciers démunis de
tout privilège ou sûreté. Cette entité
aurait la personnalité morale et la possibilité d’ester en justice dans l’intérêt des
créanciers chirographaires. Elle devrait
exister dans le cadre d’une procédure de
réorganisation ou de liquidation. Tout
comme en droit américain, il pourrait
être envisagé qu’elle ne soit pas obligatoire dans le cadre d’une procédure de
sauvegarde financière accélérée dans
un but d’effectivité et de célérité de
la procédure. Au sein des comités de
créanciers français, les créanciers chirographaires seraient ainsi protégés contre
le poids des créanciers titulaires de sûretés et des délais ou remises pourraient
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
leur être imposés que si cela respecte
l’intérêt général de tous les créanciers
chirographaires.
Dans l’état actuel du droit français des
entreprises en difficulté, il ne s’avère
pas nécessaire de constituer une telle
représentation pour les créanciers chirographaires non membres des comités de
créanciers, ces derniers étant consultés
individuellement. Cependant, en cas
d’adoption d’une classification américaine des créanciers reposant sur la nature des créances au lieu de la qualité des
créanciers, l’« importation » d’une telle
notion serait recommandée. Les créanciers chirographaires étant les derniers
de la liste des créanciers à recouvrer leur
créance, ils méritent une protection particulière. D’un point de vue économique,
l’absence de prise en compte des intérêts
des créanciers chirographaires remettrait
en cause le recours au crédit. Tous les
prêteurs exigeraient des garanties de plus
en plus importantes et donc coûteuses
dans l’hypothèse de l’ouverture d’une
procédure collective.
L’influence du droit américain est, depuis 1985, présente en droit des entreprises en difficulté avec l’introduction
du plan de redressement. Bien qu’elle
fût discrète à son origine, elle est aujourd’hui assumée avec la constitution
des comités de créanciers. Cependant le
législateur français peut souhaiter limiter cette influence à une inspiration et
l’adapter à la conception française des
affaires, comme nous le démontre l’analyse des comités de créanciers. L’étude
du droit américain mérite d’être poursuivie pour comprendre ce droit qui inspire
de nombreuses autres législations. ◆
RLDA
PERSPECTIVES ÉTUDE
3943
La cession de créances s’est imposée comme une pratique incontournable du crédit. Des lois successives
ont facilité le recours aux modes simplifiés de cession de créances, qui tranchent avec le formalisme
de l’article 1690 du Code civil. Le silence du législateur sur le caractère obligatoire de ces modes de cession
simplifiés dans leur champ d’application a donné lieu à un contentieux, même s’il est clair qu’il serait paradoxal
que ces dispositifs dits de simplification du crédit engendrent une contrainte supplémentaire en pratique.
Tel est le contexte dans lequel s’inscrit l’arrêt du 6 décembre 2011 (Cass. com., 6 déc. 2011, n° 10-24.353, P+B).
Cession des créances d’un organisme
de titrisation selon les formalités
de l’article 1690 du Code civil
Par Christophe
GARCIA
Avocat à la Cour
Olswang France LLP
Et Alex BEBE EPALE
Doctorant à l’Université Paris I
(Panthéon-Sorbonne)
Pour tout créancier qui souhaite
transporter ses créances, le choix du
mode de cession est une question récurrente. Quel doit-être le critère de
choix entre les régimes spéciaux de
cession de créances tels que la loi
« Dailly » ou le bordereau mentionné
à l’article L. 214-43 du Code monétaire
et financier et le régime de droit commun de l’article 1690 du Code civil ?
Ces régimes spéciaux sont-ils obligatoires, ou laissent-ils la possibilité de
recourir au mode de cession prévu par
le Code civil ? Ces questions ne sont
pas nouvelles, mais par l’arrêt commenté, la Cour de cassation apporte
une clarification qui devrait mettre un
terme à un contentieux qui puise en
réalité sa source dans l’insuffisance de
l’article L. 214-43, alinéa 8, du Code
monétaire et financier dans sa version
antérieure à l’ordonnance n° 2008-556
du 13 juin 2008. Même si elle imprime
une certaine souplesse, cette jurisprudence ne sera probablement pas très
sollicitée en matière de titrisation.
En l’espèce, une personne physique
s’était portée caution au profit d’une
banque, des sommes dues à cette
dernière par une société au titre d’un
concours financier. Ces créances ont été
cédées à un fonds commun de créances
(FCC ; l’ordonnance n° 2008-556 du 13 juin 2008 transposant
la directive n° 2005/68/CE du Parlement européen et du
Conseil du 16 novembre 2005 relative à la réassurance a
réformé le cadre juridique des fonds communs de créances
en les désignant désormais sous le nom de fonds commun
de titrisation) en 2000, qui les a lui-même
cédées en 2005 à une société spécialisée
dans le rachat de créances contentieuses.
En 2007, la société cessionnaire a fait
signifier cette cession à la caution conformément à l’article 1690 du Code civil, et
lui a fait délivrer un commandement aux
fins de saisie-vente (il convient de préciser que préalablement à la cession de créances intervenue entre le FCC
et la société cessionnaire, la caution avait été condamnée,
en cette qualité, à payer à la banque une certaine somme).
La caution a contesté la validité de la
cession de créances intervenue entre le
FCC et la société cessionnaire, arguant
qu’elle n’avait pas été réalisée sur la base
du bordereau prévu à l’article L. 214-43
du Code monétaire et financier, l’intérêt étant évidemment de faire constater
l’irrégularité du commandement. Dans
cette affaire, il n’est pas contestable que
l’article L. 214-43 du Code monétaire et
financier devait être appliqué dans sa
version antérieure à l’ordonnance de
2008 précitée. Il fallait donc appliquer
ce texte dans sa rédaction issue de la
loi n° 2003-706 du 1er août 2003. Or
l’alinéa 8 de l’article L. 214-43 prévoyait
ceci, en ce qui concerne la cession des
créances d’un FCC (sur les débats liés à la qualification du transfert de créances comprises dans un FCC,
cf. Billiau M., La transmission des créances et des dettes,
LGDJ, 2002, p. 69 ; Le Cannu P., Granier Th. et Routier R.,
Droit commercial, Instruments de paiement et de crédit,
Titrisation, Précis Dalloz, 8e éd., 2010 ; ou à un FCC) : « la
cession des créances s’effectue par la seule
remise d’un bordereau dont les énonciations sont fixées par décret. Celle-ci
prend effet entre les parties et devient
opposable aux tiers à la date apposée
sur le bordereau lors de sa remise, quelle
que soit la date de naissance, d’échéance
ou d’exigibilité des créances, sans qu’il
soit besoin d’autre formalité (…) ». En
clair, ce texte spécial ne prévoyait pas
la possibilité de recourir au régime de
droit commun de l’article 1690 du Code
civil. La Cour de cassation elle-même
avait déjà eu l’occasion de souligner
l’importance de ce bordereau en matière
de cession des créances à un FCC. Dans
une affaire dans laquelle était justement
impliqués l’ancien Crédit martiniquais
(devenu Société financière du forum) et
le même FCC que dans l’arrêt commenté,
des créances avaient été cédées à ce
fonds par acte notarié, sans l’établissement du bordereau. Les banques qui
avaient été chargées du recouvrement
ont agi contre la caution du débiteur
cédé. La cour d’appel avait considéré
que l’attestation notariée pouvait valablement se substituer à la production
du bordereau de cession. La Cour de
cassation a cassé cet arrêt, jugeant qu’en
l’absence de production du bordereau de
cession de créances au fonds commun
de créances, la cession n’était pas opposable aux tiers, ce dont il résulte que la
banque chargée du recouvrement n’avait
pas qualité à agir comme mandataire
du cédant pour demander paiement à
la caution du débiteur cédé sur la base
de documents qu’elle ne présentait pas
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
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83
C E S S I O N D E S C R É A N C E S D ’ U N O R G A N I S M E D E T I T R I S AT I O N S E LO N L E S F O R M A L I T É S D E L’ A R T I C L E 16 9 0 D U C O D E C I V I L
(Cass. com., 13 févr. 2007, n° 03-11.025, Bull. civ. IV, n° 33,
JCP G 2007, IV, 1591, note Gangi F., Dr. sociétés août 2007,
comm. 163, note Bonneau Th.).
Au fond, cet arrêt de 2007 n’est pas exploitable pour la résolution des questions
posées préalablement à cette étude. Il
était relatif à l’absence de bordereau et
l’attestation notariée qui avait été produite était destinée à se substituer à ce
bordereau. On peut donc approuver la
solution de cet arrêt, sans en conclure
qu’il interdisait de recourir, dans le cadre
d’une titrisation, au mode de cession de
l’article 1690 du Code civil.
Dans l’arrêt commenté, l’argumentation
de la caution était en réalité très subtile. Elle n’invoquait pas directement
l’interdiction de réaliser la cession selon les formalités de l’article 1690, mais
considérait seulement qu’il résulte de
l’article L. 214-43 du Code monétaire et
financier que la cession intervenue entre
le FCC et la société cessionnaire ne lui est
pas opposable sans la production d’un
bordereau de cession de créances mentionnant la date de la cession. Pouvait-on
dissocier la question du mode de cession
de celle de l’opposabilité, en considérant
que si la cession peut être réalisée selon
plusieurs modes, l’opposabilité elle ne
peut résulter que de la remise du bordereau ? Il n’est pas sûr que le pourvoi ait
suggéré une telle dissociation. En tout état
de cause, ce raisonnement ne résisterait
pas longtemps à l’analyse. En effet, si le
bordereau est un acte formaliste en ce
sens qu’il doit comporter des mentions
obligatoires, (cf. C. mon. fin., art. R. 214-109), il est
évident que sa remise réalise le transfert
de propriété et rend la cession opposable
aux tiers (le raisonnement est le même pour les cessions
par bordereau « Dailly » : cf. Terré F., Simler Ph. et Lequette
Y., Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 2009, n° 1302 ;
cf. aussi, Cass. com., 28 oct. 1986, n° 85-15.612, Bull. civ. IV,
n° 194, D. 1986, p. 592, note Vasseur, JCP G 1987, II, 20735,
note Stoufflet J. ; Cass. com., 19 mai 1992, n° 90-15.342, Bull.
civ. IV, n° 190, JCP G 1992, IV, 2038 ; Cass. com., 12 oct.
1993, n° 91-15.820, Bull. civ. IV, n° 328).
Quoi qu’il en soit, la quintessence du
pourvoi consistait dans la négation de
la possibilité de céder les créances d’un
FCC autrement que par la voie d’un bordereau. Dans un « attendu » lapidaire,
la Cour de cassation affirme que l’article L. 214-43, même dans sa version
issue de la loi de 2003, n’exclut pas le
84
recours à « d’autres » modes de cession
des créances que celui qu’il prévoit. Elle
approuve donc la cour d’appel d’avoir
dit que la cession était opposable à la
caution du débiteur cédé, après avoir
constaté que les formalités de l’article 1690 avaient été remplies.
À la réflexion, la possibilité de recourir
à d’autres modes de cession de créances
même dans le cadre d’une titrisation
(dans le montage d’une opération de titrisation, l’organisme de titrisation a généralement la qualité de cessionnaire puisqu’il est saisi de créances dont il financera l’acquisition par l’émission de titres. Dans l’arrêt commenté,
ce n’est pas tout à fait le même schéma puisque c’est le
FCC qui a cédé ses créances. La solution est néanmoins
transposable, car l’article L. 214-43 ne distingue pas selon
que l’organisme de titrisation est cédant ou cessionnaire)
n’était pas sérieusement contestable, y
compris avant l’ordonnance de 2008. Il
En effet, si le bordereau
est un acte formaliste
en ce sens qu’il doit
comporter des mentions
obligatoires, il est
évident que sa remise
réalise le transfert
de propriété et rend
la cession opposable
aux tiers.
de se soustraire du formalisme de l’article 1690 du Code civil, et en aucune
manière pour les empêcher de recourir
au mode de cession de droit commun.
L’autre point marquant de cet arrêt est
son allusion à « d’autres modes » de cession que celui prévu à l’article L. 214-43.
Cela veut dire que dès avant l’ordonnance de 2008, il était possible de mettre
en place une titrisation en cédant les
créances au FCC autrement que par
bordereau ou selon les formalités de
l’article 1690 du Code civil. Certains
ont évoqué la conclusion d’un contrat
de bail ou de crédit-bail par exemple.
En tout état de cause, l’ordonnance du
13 juin 2008 a clarifié ce point, précisant
que la cession peut s’effectuer par « tout
autre mode de cession de droit français
ou étranger ». En ce qui concerne les
autres modes de cession de droit étranger, les praticiens n’auront que l’embarras du choix, avec le souci permanent
d’adapter le mode de cession choisi au
type de titrisation. Certains auteurs recommandent, quel que soit le mode de
cession choisi, de l’accompagner d’une
convention de cession qui détaillera
l’opération de titrisation, telles que par
exemple les modalités d’information
des débiteurs cédés ou la description
des portefeuilles de créances (cf. Le Cannu P.,
Granier Th. et Routier R., Droit commercial, Instruments
de paiement et de crédit, Titrisation, Précis Dalloz, 8e éd.,
2010). Les autres mentions facultatives
est vrai que les articles L. 214-43 et D.
214-102 du Code monétaire et financier
ne prévoyaient et n’encadraient que la
cession des créances par bordereau. Or
comme le relève le Professeur Thierry
Bonneau, si l’article L. 214-43 affirme
que la cession des créances s’effectue
par « la seule » remise d’un bordereau,
c’est seulement pour marquer qu’aucun autre acte ou formalité n’est nécessaire. Pour cet auteur, les régimes
spéciaux des articles L. 214-43 (version
antérieure à 2008) et L. 313-23 pour la
cession « Dailly » ne s’opposent pas à
l’alternative de l’article 1690 du Code
civil (cf. Bonneau Th., Absence de bordereau, Dr. so-
de cette convention figurent dorénavant
à l’article L. 214-43 in fine du Code
monétaire et financier.
Même si l’on ne peut que saluer la
souplesse de la solution commentée,
il est fort à parier que les opérations
de titrisation reposant sur des cessions
de créances de droit français se feront
quasi exclusivement par voie de bordereau, d’autant que le régime spécial de
cession par voie de bordereau prévoit
désormais la possibilité de recourir à
des bordereaux électroniques, ce qui
contraste avec le formalisme attaché à
la signification de droit commun (cf. C. mon.
ciétés août 2007, note préc., cf. aussi, J.-Cl. Commercial,
Fasc. 1690 : La titrisation). Ajoutons que si ces
Néanmoins, si l’organisme de titrisation
souhaite transporter des créances avec
un nombre assez limité de débiteurs, nul
doute que l’article 1690 du Code civil
pourra alors servir… ◆
régimes spéciaux ont été créés, c’était
pour simplifier les transactions et faciliter le crédit, en permettant aux banques
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
fin., art. D. 214-102, al. 4).
RLDA
PERSPECTIVES ÉTUDE
3944
Aux termes d’une décision du 18 novembre 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions
attaquées de la loi portant réforme de la garde à vue étaient conformes à la Constitution sous réserve toutefois
que soit assurée l’information du suspect entendu dans le cadre de l’article 62 du Code de procédure pénale .
Cette décision apparaît critiquable, tant du point de vue de la méthode que du résultat, en ce qu’elle conduit
de fait à un retour à l’ancien régime de la garde à vue, laissant ainsi aux instances européennes le soin de faire
vivre l’inspiration des constituants français
(Cons. const., 18 nov. 2011, déc. n° 2011/191/194/195/196/197 QPC).
D’une garde à vue l’autre :
commentaire de la décision
n° 2011/194 du Conseil constitutionnel
Par Emmanuel
DAOUD
Avocat à la Cour
VIGO Cabinet d’avocats
correctionnelles ou encore le Parlement
européen (Ghrénassia C., Le charme discret de la garde
à vue : errements et ambiguïtés de la loi du 14 avril 2011,
RLDA 2011/64, n° 3679), la garde à vue est-elle
enfin arrivée le 18 novembre 2011 à ce
point d’équilibre qui la rendrait d’autant
plus indispensable en pratique (Lambert L.,
Et César GHRÉNASSIA
Avocat à la Cour
VIGO Cabinet d’avocats
Formulaires des officiers de police judiciaire, LGDJ, 1985,
p. 181 : la garde à vue est l’institution « la plus importante
et la plus socialement utile, puisque sans elle aujourd’hui, les
malfaiteurs seraient les maîtres ») qu’elle résisterait,
en droit, à tout système ?
3. Le Conseil constitutionnel était donc
saisi par le Conseil d’État et la Cour de
cassation (CE, 23 août 2011, n° 349752, M. E. & autres ;
1. Il n’y a sans doute jamais eu aussi
près de la rue de Montpensier au Quai
des Orfèvres et les Sages auront peut-être
apprécié l’hommage, non pas du vice à
la vertu, mais de la police nationale au
Conseil constitutionnel, la première s’exprimant, sans la réserve de la seconde,
par la voix de ses syndicats. Alliance
s’est ainsi réjoui « que par cette décision,
le Conseil constitutionnel ait rappelé à
tous que la garde à vue devait demeurer
un lieu d’enquête » (Communiqué AFP du syndicat
ALLIANCE en date du 18 novembre 2011, « Garde à vue :
satisfaction d’un syndicat de police, le « pire évité »).
2. Certes, chaque autorité a ses zélotes
et chaque évènement, ses chroniqueurs.
Mais il arrive que chez les plus partisans de ces singuliers fidèles, s’exprime
une vérité. La garde à vue est-elle donc
redevenue, à la faveur de la décision
n° 2011/194 du Conseil constitutionnel,
ce « lieu d’enquête » coupé de la sphère
du droit ou, à tout le moins, préservé du
débat judiciaire ? Après les corrections
imposées par la Cour de Strasbourg,
la Cour de cassation, les chambres
Cass. crim., 6 sept. 2011, nos 11-90.068, 11-90.072 et 11-90.073,
P+B+I) aux fins de dire si la réforme de la
garde à vue opérée par la loi n° 2011-392
du 14 avril 2011 était conforme à la Constitution. Aux termes des questions prioritaires de constitutionalité ainsi transmises,
cinq griefs principaux étaient formulés tenant au défaut d’accès à l’assistance d’un
avocat pour tous les suspects, au défaut
d’accès au dossier de la procédure par
l’avocat, au défaut de délai de prévenance
et aux possibilités de report de la présence
de l’avocat, à l’absence de celui-ci aux
autres actes qu’audition et confrontation
(perquisitions et transports) et enfin aux
modalités de conduite des interrogatoires
par l’officier de police judiciaire et au rôle
ainsi assigné à l’avocat.
4. Après avoir rappelé qu’il « incombe
au législateur d’assurer la conciliation
entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche
des auteurs d’infractions, toutes deux
nécessaires à la sauvegarde de droits et
de principes de valeur constitutionnelle,
et, d’autre part, l’exercice des droits et
libertés constitutionnellement garantis »,
le Conseil constitutionnel déclare que
le second alinéa de l’article 62 du Code
de procédure pénale est conforme à la
Constitution sous la réserve d’interprétation suivante : « qu’une personne à
l’encontre de laquelle il apparaît, avant
son audition ou au cours de celle-ci, qu’il
existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction pour laquelle elle
pourrait être placée en garde à vue, ne
puisse être entendue ou continuer à être
entendue librement par les enquêteurs que
si elle a été informée de la nature et de la
date de l’infraction qu’on la soupçonne
d’avoir commise et de son droit de quitter
à tout moment les locaux de police ou de
gendarmerie ».
5. Les dispositions organisant l’intervention de l’avocat en garde à vue, c’està-dire les articles 63-3-1, 63-4, 63-4-1
et 63-4-5 du Code de procédure pénale
sont, par ailleurs, déclarées conformes
à la Constitution et, ce, sans réserve.
Par principe, le Conseil constitutionnel
considère que « les dispositions contestées n’ont pas pour objet de permettre la
discussion de la légalité des actes d’enquête ou du bien-fondé des éléments de
preuve rassemblés par les enquêteurs ».
En application de ce principe, et sur
la plupart des points soulevés par les
requérants, le Conseil constitutionnel
répond en indiquant que la loi organise
« entre le respect des droits de la défense
et l’objectif de valeur constitutionnelle de
recherche des auteurs d’infractions, une
conciliation qui n’est pas déséquilibrée »
(le Conseil constitutionnel retient également que les dispositions assurant la conservation du secret de l’enquête par
l’avocat et l’intervention de celui-ci au soutien des intérêts
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85
D ’ U N E G A R D E À V U E L’ A U T R E : C O M M E N TA I R E D E L A D É C I S I O N N ° 2 011/19 4 D U C O N S E I L C O N S T I T U T I O N N E L
des victimes, devrait-on dire des plaignants, sont également
conformes à la Constitution).
6. Cette solution appelle, à titre préalable,
deux observations. En premier lieu, la
décision du 18 novembre 2011 éclaire
celle du 30 juillet 2010 à laquelle elle fait
d’ailleurs référence dans les termes suivants : « les évolutions de la procédure
pénale qui ont renforcé l’importance de la
phase d’enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée
doivent être accompagnées des garanties
appropriées encadrant le recours à la garde
à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense ».
Il s’agissait ainsi non seulement d’organiser la présence de l’avocat en garde à vue
mais surtout de limiter le recours à cette
mesure et de réduire la durée de celle-ci,
ce que la loi du 14 avril 2011 réalise en
instaurant des critères de proportionnalité
et de subsidiarité nouveaux en la matière
liberté : filtrer le moustique et laisser passer le chameau. À
propos de la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin
1981, AJDA 1981, p. 275), présente un degré
d’exigence bien en-deçà de celui de la
Cour européenne des droits de l’homme
(Andriantsimbazovina J., La conception des libertés par le
Conseil constitutionnel et par la Cour européenne des droits
de l’homme, Nouveaux cahiers Cons. const. 2011, p. 19).
Et de fait, la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 2011 si elle
permet à la garde vue de conserver, pour
quelque temps encore, son lustre d’antan
se trouve en contradiction manifeste avec
la jurisprudence européenne, c’est-à-dire
avec la Convention européenne des droits
de l’homme. C’est donc une rupture dans
le dialogue des juges suprêmes (De La Rosa S.,
Le dialogue entre Conseil constitutionnel et Cour européenne
des droits de l’homme ou l’influence discrète du droit européen
sur l’inconstitutionnalité de la garde à vue de droit commun,
Constitutions 2011, p. 58) qui intervient dans une
7. En second lieu, le raisonnement adopté
par le Conseil constitutionnel rappelle
que la Haute Juridiction développe une
recherche non pas de proportionnalité
mais plutôt d’absence de disproportion
ou encore d’absence d’anormalité (Leturcq
matière extrêmement sensible, celle des
libertés individuelles. Plus largement,
cette décision s’inscrit, de fait, dans la
défense d’une singularité française également menacée par la proposition de
directive du 8 juin 2011 relative au droit
d’accès à un avocat et à l’information de
la mise en détention et qui constitue le
troisième volet d’une série de mesures
visant à définir des normes européennes
communes dans les affaires pénales.
S., Vers l’élaboration d’un standard du « bon législateur » devant le Conseil constitutionnel français et la Cour européenne
des droits de l’homme, communication issue de la thèse de
Leturcq S., Standards et droits fondamentaux devant le Conseil
constitutionnel français et la Cour européenne des droits de
l’homme, LGDJ, 2005, tome 125). Il va de soi que les
9. Dans ces conditions, on est tenté de se
demander si la décision n° 2011/194 du
Conseil constitutionnel ne constitue pas
un retour aux sources pour cette « figure
brisée de la procédure pénale française »
(Ghrénassia C., Le charme discret de la garde à vue : errements
et ambiguïtés de la loi du 14 avril 2011, préc.).
considérations d’opportunité politique et
de sécurité juridique ne manquent pas de
peser lors de l’examen de chaque Question
Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). La
tradition française, cette méfiance historique à l’égard non pas du pouvoir mais
de l’autorité judiciaire, ne contribue pas
plus à ce que le Conseil constitutionnel
se comporte en véritable cour suprême
indifférente aux caprices des majorités
et à l’air du temps. De ce point de vue, il
n’est sans doute pas inutile de rappeler
que le Conseil se prononce à quelques
semaines d’une élection présidentielle et
dans un contexte d’instrumentalisation
à des fins partisanes des questions de
sécurité et de justice. Du reste, le Conseil
constitutionnel prend soin, une nouvelle
fois, de reporter les effets de sa décision,
en l’espèce de sa réserve d’interprétation,
aux auditions réalisées postérieurement
au 18 novembre 2011.
8. Cette méthode, à propos de laquelle
on a écrit en son temps qu’elle conduit
à « filtrer le moustique et laisser passer
86
le chameau » (Rivero J., À propos de la loi Sécurité et
(Muller Y., La réforme de la garde à vue ou la figure brisée de
la procédure pénale française, Droit pén. 2011, étude 2) née
dans la clandestinité et consacrée ainsi
en raison des vertus particulières qu’on
attribue, en France, au secret (Robert J.-H.,
Le péché originel de la Saint-Sylvestre 1957,Droit pén. 2010,
comm. 1. Cf. également à ce sujet, Saint-Pierre F., Le Guide
de la défense pénale, Guide Dalloz, 2007). Long détour
pour que la garde à vue, apparue en 1897
et légalisée en 1957 soit enfin déclarée
conforme à la Constitution. Long détour
qui n’épuise pourtant aucune des questions posées au sujet de cette mesure.
10. C’est qu’il ne va pas de soi de considérer, comme le fait le Conseil constitutionnel, que les droits de la défense, l’égalité
des armes et le principe du contradictoire
qui forment un des aspects fondamentaux
du standard du procès équitable puissent
être neutralisés aux premiers temps de
l’enquête en considération d’un prétendu
impératif supérieur de sécurité ou d’efficacité qui apparaît, en l’absence d’étude
d’impact et en comparaison avec les systèmes étrangers, tenir autant, sinon plus,
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
du slogan publicitaire que d’un souci
légitime. En déclarant conformes à la
Constitution les dispositions contestées, le
Conseil constitutionnel admet donc qu’il
puisse y avoir des suspects sans défense
(I) et que le législateur puisse tenir a priori
l’exercice des missions de conseil, d’assistance et de représentation inhérents
à la défense pénale comme suspect (II).
I.– DES SUSPECTS SANS DÉFENSE :
SUR LA RÉSERVE D’INTERPRÉTATION
RELATIVE À L’AUDITION LIBRE
11. Dans le prolongement de la décision
du 30 juillet 2010, et en accord avec
l’article 62-2 du Code de procédure pénale (pour mémoire, l’article 62-2 du Code de procédure
pénale définit, pour la première fois, la garde à vue comme
une « mesure de contrainte décidée par un officier de police
judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle
une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs
raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté
de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs »),
le Conseil constitutionnel retient que la
garde à vue, et le déclenchement des
droits y afférents, résulte de l’exercice
d’une contrainte sur le suspect, ce qui
revient à rétablir l’audition libre abandonnée au cours des débats parlementaires (A). Par respect des droits de la
défense, le Conseil constitutionnel émet
cependant une réserve d’interprétation
dont l’usage apparaît critiquable (B).
A.– De l’audition libre
à l’audition libre
12. La loi du 14 avril 2011 réserve deux
hypothèses d’audition sans avocat. La
première est celle où il existe des raisons
plausibles de soupçonner la commission
d’une infraction mais où l’intéressé n’est
pas « tenu sous la contrainte de demeurer
à la disposition des enquêteurs » ayant été
« informé qu’il peut à tout moment quitter
les locaux de police ou de gendarmerie »
(C. pr. pén., art. 73 : « Lorsque la personne est présentée devant
l’officier de police judiciaire, son placement en garde à vue,
lorsque les conditions de cette mesure prévues par le présent
code sont réunies, n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est
pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des
enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment
quitter les locaux de police ou de gendarmerie. Le présent alinéa n’est toutefois pas applicable si la personne a été conduite
par la force publique devant l’officier de police judiciaire ».
Vlamynck H., Approche policière pratique du projet de loi
relatif à la garde à vue, AJ Pénal 2010, p. 474 : « La personne
est considérée comme s’étant rendue librement dans les locaux
du service ou de l’unité de police judiciaire lorsqu’ayant été
appréhendée, elle a accepté expressément de suivre l’officier
ou l’agent de police judiciaire »). La seconde où le
témoin entendu librement, dans le délai
de quatre heures, se révèlerait alors suspect et serait placé en garde à vue (c’est
là d’une résurgence de l’audition libre,
proposition du Gouvernement visant à
contourner l’intervention de l’avocat (Projet
de loi AN n° 2855, relatif à la garde à vue, XIIIe législature,
enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 13 octobre 2010) et qui devait être abandonnée
compte tenu des nombreuses critiques
dont elle avait fait l’objet (Mathias E., Pour une
loi des suspects… libres (à propos du projet de loi relatif à la
garde à vue), Dr pén. 2011, étude 6 ; Miniato L., Réflexions
à propos de l’audition libre issue du projet de loi relatif à la
garde à vue, Gaz. Pal. 30 nov. 2010, p. 13, 13724 ; Bachelet O.,
La réforme de la garde à vue ou l’art du faux-semblant, Gaz.
Pal. 14 sept. 2010, p. 5, I2931).
13. Aux termes de la décision du Conseil
constitutionnel du 18 novembre 2011, il
est indiqué que : « si le respect des droits
de la défense impose, en principe, qu’une
personne soupçonnée d’avoir commis
une infraction ne peut être entendue,
alors qu’elle est retenue contre sa volonté,
sans bénéficier de l’assistance effective
d’un avocat, cette exigence constitutionnelle n’impose pas une telle assistance
dès lors que la personne soupçonnée ne
fait l’objet d’aucune mesure de contrainte
et consent à être entendue librement ».
14. Cette position s’inscrit dans le prolongement de la décision du 30 juillet 2010
qui insistait en son temps sur le fait que
la personne était interrogée « alors qu’elle
est retenue contre sa volonté » (Cons. const., déc.
n° 2010-14/22, 30 juill. 2010, considérant 28, Gaz. Pal., 5 août
2010, p. 14, I2572, note Bachelet O. ; Daoud E.et Mercinier E.,
Garde à vue : faites entrer l’avocat !, in Constitutions, octobredécembre 2010). Elle est cependant critiquable
au regard même de la jurisprudence du
Conseil constitutionnel. Ainsi qu’il a pu
être relevé, cette position est, en effet, plus
difficilement compatible avec la décision
du 6 mai 2011 relative au déferrement
devant le Procureur de la République (Cons.
const., déc. n° 2011-125, 6 mai 2011, QPC, considérant 13)
aux termes de laquelle le Conseil constitutionnel avait considéré que l’article 393
du Code de procédure pénale qui permet
au magistrat du parquet de recueillir les
déclarations de la personne déférée « ne
saurait sans méconnaître les droits de la
défense l’autoriser à consigner les décla-
rations de [celle-ci] sur les faits qui font
l’objet de la poursuite » (Bachelet O., QPC « Garde
à vue II » : de l’effectivité à la facticité du droit à l’assistance
d’un avocat, Gaz. Pal., 20-22 nov. 2011, p. 18).
15. Surtout, ce qui doit commander le
droit à l’assistance de l’avocat n’est pas
la coercition mais l’existence d’une ou
plusieurs raisons plausibles de soupçonner que le suspect a commis ou tenté de
commettre une infraction. En d’autres
termes, « la suspicion à l’encontre d’un
individu le rend titulaire de droits dans
la procédure pénale. L’exercice de la
contrainte à son égard les accroît. » (Alix J.,
Les droits de la défense au cours de l’enquête de police après
la réforme de la garde à vue : état des lieux et perspectives,
D. 2011, p. 1699). Ainsi, lorsqu’une instruction
a été ouverte, le juge ne peut entendre
comme simples témoins les personnes à
l’encontre desquelles il existe des indices
graves et concordants d’avoir participé
aux faits dont il est saisi (C. pr. pén., art. 105).
S’il veut les entendre, il doit soit les
mettre en examen, soit leur conférer le
statut de témoin assisté et, dans un cas
comme dans l’autre, le suspect aura doit
à l’assistance d’un avocat.
Le Conseil
constitutionnel a exposé
la France à de nouveaux
constats de violation
de l’article 6 de la
Convention européenne
des droits de l’homme.
16. C’est ce que soutenaient les requérants et ils avaient avec eux une jurisprudence constante de la Cour européenne
des droits de l’homme qui retient que le
droit à l’assistance d’un avocat doit être
reconnu à la personne mise en cause dès
qu’existent des éléments suffisants de
soupçon. De ce point de vue, la qualification officielle de l’intéressé est sans
importance (CEDH, 4 oct. 2010, aff. 1466/07, Brusco
c/ France , § 47 ; CEDH, 11 déc. 2008, aff. 4268/04, Panovits
c/ Chypre, § 73-76. Cf., également, Muller Y., La réforme
de la garde à vue ou la figure brisée de la procédure pénale
française, préc.). C’est ce qu’a, une nouvelle
fois, rappelé la Cour de Strasbourg en
soulignant dans une espèce récente que
le requérant « ne faisait l’objet d’aucune
mesure restrictive ou privative de liberté
au titre de la procédure en cause » ce
qui tend à démontrer que la contrainte
ne saurait être érigée en critère exclusif
de reconnaissance des droits du suspect
(CEDH, 27 oct. 2011, aff. 25303/08, Stojkovic c/ France et
PERSPECTIVES ÉTUDE
cette seconde hypothèse qui est soumise au Conseil constitutionnel. C. pr. pén., art. 62 : « Les personnes à l’encontre
desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner
qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne
peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à
leur audition, sans que cette durée ne puisse excéder quatre
heures. S’il apparaît, au cours de l’audition de la personne,
qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a
commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une
peine d’emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous la
contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime
de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui est alors
notifié dans les conditions prévues à l’article 63 »). Il s’agit
Belgique, § 53, : en l’espèce, le requérant était détenu pour
autre cause. La Cour précise : « Ainsi qu’elle l’a déjà souligné,
un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable au stade de l’enquête, effet qui se trouve
amplifié par le fait que la législation en matière de procédure
pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment
en ce qui concerne la collecte et l’utilisation des preuves »).
17. Du reste, la proposition de directive
du 8 juin 2011 accorde expressément en
son article 10 le droit à l’assistance d’un
avocat aux « personnes autres que les
personnes soupçonnées ou poursuivies »
(« 1. Les États membres veillent à ce que toute personne autre
qu’une personne soupçonnée ou poursuivie, qui est entendue
par les autorités de police ou d’autres services répressifs dans
le cadre d’une procédure pénale, ait accès à un avocat si, au
cours d’un interrogatoire ou d’une audition, elle se retrouve
soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale ou poursuivie à ce titre. 2 Les États membres veillent à ce que toute
déclaration faite par cette personne avant qu’elle n’ait été
informée des soupçons ou des poursuites dont elle est l’objet
ne puisse être utilisée contre elle ») et prévoit en son
article 3 que la personne concernée « doit
pouvoir bénéficier de l’assistance d’un
avocat dès son audition (…) qu’elle soit
privée de liberté ou non ». Le législateur
a donc fait le choix d’un texte menacé, à
court terme, d’obsolescence. Et le Conseil
constitutionnel a exposé la France à de
nouveaux constats de violation de l’article 6 de la Convention européenne des
droits de l’homme (Bachelet O., QPC « Garde à
vue II » : de l’effectivité à la facticité du droit à l’assistance d’un
avocat », préc. En sens inverse : Pradel J., La loi du 14 avril
2011 sur la garde à vue réussit son examen de passage devant
le Conseil constitutionnel, JCP G 2011, 1452). Autant de
considérations en contradiction manifeste
avec ce qui fonde le contrôle de constitutionnalité in abstracto en général et la
technique de la réserve d’interprétation
en particulier : le souci de la sécurité juridique et l’égalité des justiciables.
B.– De l’usage des réserves
d’interprétation
18. Le Conseil constitutionnel assortit sa
décision de conformité de l’article 62 du
Code de procédure pénale d’une réserve
d’interprétation tendant à ce que le suspect ainsi interrogé en l’absence d’avocat
soit toutefois « informé (…) de la nature
et de la date de l’infraction qu’on (le)
soupçonne d’avoir commise et de son
droit de quitter à tout moment les locaux
de police ou de gendarmerie » (Considérant
n° 20. Pour mémoire, et aux termes du commentaire de la
décision disponible sur le site du Conseil constitutionnel, « il
convient de préciser que la décision du Conseil sur le second
alinéa de l’article 62 du CPP ne vaut stricto sensu que pour
l’enquête de flagrance. En effet, cet article ne figure pas au
nombre des articles du CPP qui sont applicables aux autres
enquêtes. S’agissant de l’enquête préliminaire, les deuxième
et troisième alinéas de l’article 78 du CPP reprennent au mot
près les dispositions de l’article 62. S’agissant de l’enquête
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
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87
D ’ U N E G A R D E À V U E L’ A U T R E : C O M M E N TA I R E D E L A D É C I S I O N N ° 2 011/19 4 D U C O N S E I L C O N S T I T U T I O N N E L
sur commission rogatoire, la question se posera également
s’agissant des suspects qui ne sont pas nommément visés par
une plainte avec constitution de partie civile et qui, dès lors,
en vertu de l’article 113-2 du CPP, ne bénéficient pas du droit
d’être entendus en qualité de témoin assisté »).
19. Aux termes du commentaire de la
décision disponible sur le site du Conseil
constitutionnel, il est indiqué que « la
délivrance de ces informations liminaires
garantit que la personne ne sera pas trompée sur la nature des informations qu’il
lui sera demandé de fournir aux enquêteurs » Cette précaution rappelle, dans
une version édulcorée, un des articles
relatif à la sûreté des personnes rédigé par
Condorcet : « La loi ne pourra autoriser,
pour parvenir à la connaissance des coupables, ni l’emploi de la torture, ni l’usage
du mensonge ou de la ruse ».
20. C’est que le Conseil constitutionnel
aurait pu analyser le silence de la loi sur
ce point comme un cas d’incompétence
négative et considérant l’atteinte aux
droits de la défense garantis notamment
à l’article 16 de la Déclaration des droits
de l’homme prononcer la censure du texte
déféré. Il a préféré remédier à cette atteinte
par une réserve d’interprétation. Or, il est
généralement enseigné qu’il n’est loisible
de recourir à ce « procédé de sauvetage »
de la loi qu’à condition que le juge constitutionnel, confronté à une disposition
ambigüe ou défectueuse puisse trouver
une assise dans les techniques classiques
d’interprétation, la combinaison des dispositions critiquées avec le reste du droit
positif ou encore le recours à l’intention du
législateur telle qu’elle résulte des travaux
préparatoires (Samuel X., Les réserves d’interprétation
émises par le Conseil constitutionnel, Accueil des nouveaux
membres de la Cour de cassation au Conseil constitutionnel
le 26 janvier 2007 ; Boulet M., La problématique de l’application des réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel,
Tribune de droit public 2005, p. 20).
21. En l’espèce, il ressort des travaux
parlementaires que la proposition d’audition libre a été abandonnée compte
tenu notamment de ce que l’arrestation devait être analysée comme une
contrainte de facto quoique la personne
interrogée accepte expressément de
suivre l’officier de police judiciaire à la
suite de ladite arrestation (Gosselin P., Rapp.
n° 3284, 30 mars 2011, p. 8 et 9). Il y a effectivement une forme de contrainte dès que
l’on se retrouve, soit à la suite d’une
interpellation (C. pr. pén., art. 73) soit sur une
convocation à laquelle l’on est tenu de
déférer (C. pr. pén., art. 61), interrogé, en tant
que suspect, dans des locaux de police
ou de gendarmerie. En toute rigueur,
et faute d’avoir considéré ce fait d’évi-
88
dence, pourtant visé dans le cadre des
travaux parlementaires, le recours à la
technique de la réserve d’interprétation
est critiquable.
22. Il est d’autant plus critiquable qu’il
ne permet pas d’imposer une notification
au suspect de ses droits et notamment de
son droit de garder le silence (Bachelet O.,
QPC « Garde à vue II » : de l’effectivité à la facticité du droit
à l’assistance d’un avocat, préc., p. 18). En d’autres
termes, le Conseil constitutionnel, après
avoir reconnu que le suspect a par principe vocation à bénéficier des droits de
la défense en dehors de toute contrainte,
consacre un régime qui ne prévoit aucune formalité propre à garantir l’exercice éclairé de ces droits. Cette difficulté
rejoint la question de la renonciation aux
droits de la défense si courante en pratique en matière de garde à vue (Ghrénassia C.,
Le charme discret de la garde à vue : errements et ambiguïtés
de la loi du 14 avril 2011, préc., nos 46 et 47). Pour que
l’audition d’un suspect sans l’assistance
d’un avocat soit conforme à l’article 6
de la Convention, la Cour de Strasbourg
impose en tout état de cause qu’il soit
démontré que l’intéressé y a renoncé sans
équivoque ce qui implique la notification
préalable d’un tel droit (CEDH, 27 nov. 2008, aff.
36391/02, Salduz c/ Turquie, § 59 ; CEDH, 11 déc. 2008, aff.
4268/04, Panovits c/ Chypre, §, 73-76 ; CEDH, 23 févr. 2010,
aff. 27503/04, Yoldas C/ Turquie, § 52 ; CEDH, 8 déc. 2009, aff.
9762/03, Savas c/ Turquie ; CEDH, 27 oct. 2011, aff. 25303/08,
Stojkovic c/ France et Belgique, § 53. Cf., également, article 9
de la proposition de Directive du 8 juin 2011).
23. Par ailleurs, et « afin d’éviter que sa
décision ne soit source de nullités de procédure, le Conseil a prévu que cette réserve ne
s’applique qu’aux auditions postérieures à
la publication de sa décision » (Cons. const.,
18 nov. 2011, déc. n° 2011/191/194/195/196/197 QPC,
considérant n° 20 in fine. Cf. commentaire de la décision
disponible sur le site du Conseil constitutionnel : <www.
conseil-constitutionnel.fr>). À l’évidence, une
telle pusillanimité n’engage pas la Cour
européenne des droits de l’homme et les
juridictions internes chargées de faire respecter les droits garantis par la Convention (en ce sens, Cass. ass. plén., 15 avr. 2011, n° 10-17.049,
n° 10-30.313, n° 10-30.316, JCP G 2011, act. 483, Detraz S.,
D. 2011, p. 1080). Elle suggère également le
caractère diplomatique de la décision
du 18 novembre 2011 exposant ainsi le
Conseil constitutionnel aux mêmes critiques que celles formulées à l’égard de
la décision du 30 juillet 2010. C’est que la
diplomatie est l’art de traiter des affaires
des puissants avec une adresse qui profite d’abord au diplomate. Le contrôle
de constitutionnalité, au contraire, aurait
vocation à garantir, à chaque citoyen, le
respect par le pouvoir du moment d’une
norme intangible. Le praticien ne peut
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
que regretter qu’en l’espèce, le juge suprême y ait trouvé le moyen d’esquiver
les difficultés avec la souplesse du danseur de tango.
II.– UNE DÉFENSE SUSPECTE :
SUR LE REFUS D’ACCORDER AU
GARDE À VUE LA VASTE GAMME
D’INTERVENTION D’UN CONSEIL
24. Faute d’assurer au gardé à vue
la vaste gamme d’interventions d’un
conseil définie par la jurisprudence européenne, la réforme du 14 avril 2011
avait fait l’objet de nombreuses critiques
relayées devant le Conseil constitutionnel par les requérants. Or, le Conseil
constitutionnel balaye l’ensemble de ces
critiques considérant que les restrictions
apportées à l’intervention de l’avocat
(A) comme les atteintes à son indépendance (B) sont nécessaires au regard de
l’objectif de valeur constitutionnelle de
recherche des auteurs d’infractions.
A.– La défense tolérée : restrictions
à l’intervention de l’avocat
25. Inspirées notamment de la jurisprudence européenne, les questions prioritaires de constitutionnalité transmises au
Conseil faisaient grief à la loi du 14 avril
2011 d’interdire à l’avocat d’exercer la
« vaste gamme d’interventions qui sont
propres au conseil » (CEDH, 13 oct. 2009, aff.
7377/03, Dayanan c/ Turquie, § 32, D. 2009, p. 2897, note
Renucci J.-F., AJ Pén. 2010, p. 27, étude Saas C., Rev. sc.
crim. 2010, p. 23 1, obs. Roets D. : « la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves
favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le
soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions
de détention »). Ainsi, il était rappelé que la
durée limitée d’entretien à 30 minutes, la
prévision d’un délai légal de prévenance
pour la première audition seulement et
l’absence de l’avocat aux actes autres que
les interrogatoires et confrontations, c’està-dire pour les perquisitions et transports,
étaient incompatibles avec la mission
d’assistance et de conseil de l’avocat.
Surtout, il était rappelé que l’accès de
l’avocat aux seules pièces visées par l’article 63-4-1 du Code de procédure pénale
excluait que ce dernier puisse exercer une
véritable mission de conseil (Ghrénassia C., Le
charme discret de la garde à vue : errements et ambiguïtés de
la loi du 14 avril 2011, préc., nos 46 et 47.).
26. Le Conseil constitutionnel répond en
deux temps à ces griefs. En premier lieu,
le Conseil pose pour principe que « dès
lors que la garde à vue n’est pas menée
dans une phase juridictionnelle de la procédure pénale, il n’y a pas lieu de respecter
les principes de l’égalité des armes et du
contradictoire » (Bachelet O., Droits de la défense et
lieu, le Conseil considère que pour chacun des griefs précités, les dispositions
contestées assurent « entre le respect des
droits de la défense et l’objectif de valeur
constitutionnelle de recherche des auteurs
d’infractions, une conciliation qui n’est
pas déséquilibrée ».
27. Cette position s’inscrit dans le cadre
d’une jurisprudence traditionnelle du
Conseil constitutionnel. Ainsi sur le
premier point, c’est-à-dire la distinction
opérée entre le respect des droits de la
défense et les exigences du procès équitable, il a déjà été décidé que le principe du contradictoire n’est le corollaire
du respect des droits de la défense que
devant le juge ou dans une procédure
qui conduit au prononcé d’une sanction
ayant le caractère d’une punition (cf. commentaire de la décision disponible sur le site du Conseil
constitutionnel, p. 15 et s.). Sur le second point,
il convient de relever que « la recherche
des auteurs d’infractions » avait déjà été
érigée en « objectif à valeur constitutionnelle » (cf., notamment, Cons. const., 16 juill. 1996, déc.
n° 96-377 DC ; Cons. const., 19 janv. 2006, déc. n° 2005-532
DC. Et plus généralement : Luchaire F., Brèves remarques sur
une création du Conseil constitutionnel : l’objectif de valeur
constitutionnel, RDF const. 2005, p. 675).
28. Du point de vue de la cohérence
interne de cette position, deux critiques
distinctes peuvent être formulées. Il y a
d’abord une faiblesse à considérer que
les droits de la défense présentent un
caractère d’autonomie marqué par rapport aux principes du contradictoire et
de l’égalité des armes et que ceux-ci sont
« hors sujet » au stade du placement en
garde à vue pour apprécier ensuite et au
cas par cas la pertinence de chaque grief.
Si les griefs formulés par les requérants
sont inopérants, c’est-à-dire impropres
à produire aucun effet, il était inutile de
procéder à leur examen.
29. En vérité, et c’est la seconde critique,
l’argument prouve trop ou pas assez au
regard de la décision du 30 juillet 2010. On
se souvient que le Conseil constitutionnel
s’était attaché à caractériser les changements de circonstances pour exercer son
contrôle et notamment le fait que la garde
à vue est devenue « la phase principale
de constitution du dossier de la procédure
en vue du jugement de la personne mise
en cause. » (Cons. const., déc. n° 2010-14/22, 30 juill.
2010, préc., considérant 16). Or, ces considérations
n’ont pas varié, au contraire, la part des
informations judiciaires est toujours aussi
congrue et le développement des modes
alternatifs de règlement des conflits sous
l’impulsion du Ministère public n’a pas
connu de coup d’arrêt. Faut-il donc relire
la décision du 30 juillet 2010 à l’aune de
celle du 18 novembre 2011 et interpréter
en conséquence la réforme du 14 avril
2011 ? Dans ce cas, toute discussion relative aux critères de déclenchement de
la mesure de garde à vue ou à son déroulement risque d’apparaître vaine dès lors
que la contradiction et l’égalité des armes
seraient exclues de cette phase d’enquête.
Sous cet angle, les prérogatives concédées
à l’avocat, et notamment l’accès aux procès-verbaux de notification de placement
en garde à vue, d’auditions du gardé à vue
et les certificats médicaux, apparaissent
comme une concession formelle à l’air du
temps mais sans aucun intérêt du point
de vue de la défense. La crainte exprimée
par certains commentateurs de la loi serait
ainsi vérifiée (Rassat M.-L., À remettre sur le métier
– Des insuffisances de la réforme de la garde à vue, JCP G
2011, 632 ; Chavent-Leclere A.-S., La Garde à vue est morte,
vive la garde à vue ! À propos de la loi n° 2011-392 du 14 avril
2011 », Procédures n° 6, juin 2011, étude 7, pt. 12).
Il est vrai qu’en ces
temps de période
électorale où la
sécurité du citoyen
est revendiquée par
beaucoup… les droits de
la défense ne font pas
recette.
30. Surtout, cette position apparaît incompatible avec la jurisprudence européenne
qui ne connaît pas ce cloisonnement
étanche des droits de la défense, d’une
part, et du contradictoire et de l’égalité des
armes, d’autre part. En d’autres termes,
le droit à un procès équitable a vocation
à s’appliquer à toutes les phases qui se
déroulent avant la procédure de jugement
(CEDH, 24 nov. 1993, aff. n° 13972/88, Imbroscia c/ Suisse ;
CEDH, 21 févr. 2008, aff. 18497/03, Ravon et a. c/ France,
§ 30) et ce droit implique notamment la
possibilité pour l’avocat de consulter les
pièces de la procédure (CEDH, 20 sept. 2011, aff.
17252/9, Sapan c/ Turquie, § 21). Une cour d’appel
a d’ailleurs pris position en ce sens en
annulant une garde à vue au cours de
laquelle l’accès à l’intégralité des pièces
de la procédure avait été refusé à l’avocat
(CA Angers, 24 oct. 2011, n° 11/00403-A, Gaz. Pal., 8 nov.
2011, p. 9, note Bruneau L., I7737). Par ailleurs, la
Cour de Strasbourg a également pris position en faveur de la présence de l’avocat lors d’un transport sur les lieux avec
reconstitution des faits (CEDH, 29 juin 2010, aff.
PERSPECTIVES ÉTUDE
droit à un procès équitable (Article 16 DDHC) : conformité
sous une réserve des nouvelles dispositions relatives à la
garde à vue de droit commun, Actualités droits-Libertés du
22 novembre 2011, CREDHO – Paris Sud). En second
12976/05, Karadag c/ Turquie, § 47 ; CEDH, 8 déc. 2009,
aff. 9762/03, Savas c/ Turquie, § 67.). Enfin, et sur
tous ces points, la décision du Conseil
constitutionnel est inconciliable avec la
proposition de directive du 8 juin 2011 (à
titre d’information, cf. Comité économique et social européen,
avis 28 nov. 2011).
31. Le Conseil constitutionnel a bâti une
construction juridique dont on comprend
l’opportunité mais dont on peut douter de
la pérennité. Il est ainsi particulièrement
périlleux de considérer que le fait que
l’autorité judiciaire veille « au respect du
principe de loyauté dans l’administration
de la preuve et [apprécie] la valeur probante des déclarations faites le cas échéant
par une personne gardée à vue hors la
présence de son avocat » constituerait une
garantie suffisante au respect des droits
du suspect. C’est qu’il est difficile dans
l’ordre interne de concilier cette pétition
de principe avec l’article préliminaire du
Code de procédure pénale qui interdit de
fonder une condamnation pénale « sur le
seul fondement de déclarations [que la
personne entendue] a faites sans avoir pu
s’entretenir avec un avocat et être assisté
par lui » et dans l’ordre international avec
la jurisprudence de la Cour de Strasbourg
(CEDH, 27 nov. 2008, aff. 36391/02, Salduz c/ Turquie § 55.
Cf. également, Bachelet O., QPC « Garde à vue II » : de l’effectivité à la facticité du droit à l’assistance d’un avocat,
préc., p. 18.). Les syndicats de police l’ont
bien compris qui, pour la plupart d’entre
eux, se sont félicités bruyamment, de ce
qui représente une atteinte significative
à l’égalité des armes. Il est vrai qu’en
ces temps de période électorale où la sécurité du citoyen est revendiquée par
beaucoup – les droits de la défense ne
font pas recette.
B.– La défense menacée :
des atteintes à l’indépendance
de l’avocat
32. En premier lieu, le Conseil constitutionnel considère que les possibilités de
report de la présence de l’avocat lors des
auditions ou confrontations ne portent
pas atteinte aux droits de la défense dans
la mesure où ledit report n’est possible
que « sur autorisation écrite et motivée
du procureur de la République, pour une
durée de douze heures ; que cette durée
peut être portée à vingt-quatre heures sur
autorisation du juge des libertés et de la
détention (…) ; que la possibilité d’un tel
report n’est prévue qu’à titre exceptionnel,
lorsque cette mesure apparaît indispensable pour des raisons impérieuses tenant
aux circonstances particulières de l’enquête, soit pour permettre le bon déroulement d’investigations urgentes tendant au
recueil ou à la conservation des preuves,
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
>
89
D ’ U N E G A R D E À V U E L’ A U T R E : C O M M E N TA I R E D E L A D É C I S I O N N ° 2 011/19 4 D U C O N S E I L C O N S T I T U T I O N N E L
soit pour prévenir une atteinte imminente
aux personnes ; que la restriction ainsi
apportée au principe selon lequel la personne gardée à vue ne peut être entendue
sans avoir pu bénéficier de l’assistance
effective d’un avocat est placée sous le
contrôle des juridictions pénales saisies
des poursuites » (considérant n° 31.).
33. Cette position pose à l’évidence une
difficulté structurelle dans la mesure où
l’autorité judiciaire chargée de garantir
les droits du suspect est, pour le Conseil
constitutionnel, la même autorité que
celle chargée des poursuites, c’est-à-dire
le Ministère public. Or, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé
à maintes reprises que le Procureur de
la République ne saurait être considérée
comme une autorité judiciaire (Ghrénassia C.,
Le charme discret de la garde à vue : errements et ambiguïtés
de la loi du 14 avril 2011, préc., nos 32 et s..) non seule-
ment parce qu’il n’est pas indépendant
du pouvoir exécutif mais surtout parce
que le ministère public est la « partie
poursuivante au procès pénal, adversaire
naturel de la personne poursuivie, et qu’il
est donc paradoxal d’investir du contrôle
de la recherche des preuves une partie
intéressée à la cause » (Rassat M-L., À remettre
sur le métier – Des insuffisances de la réforme de la garde
à vue, préc. ; Matsopoulou H., Une réforme inachevée – À
propos de la loi du 14 avril 2011, JCP G 2011, 542).
34. En second lieu, grief était tiré de
ce qu’aux termes de la loi du 14 avril
2011, l’officier ou agent de police peut
« s’opposer à des questions si celles-ci
semblent de nature à nuire au bon déroulement de l’enquête » (C. pr. pén., art. 63-4), la
loi indiquant par ailleurs que « l’officier
ou l’agent de police judiciaire peut à tout
moment, en cas de difficulté, mettre un
terme à l’acte en cours et en aviser immédiatement le procureur de la République
qui informe, s’il y a lieu, le bâtonnier aux
fins de désignation d’un autre avocat »
(C. pr. pén., art. 63-4-3, § 1).
35. C’est de la manière la plus laconique
que le Conseil constitutionnel affirme
« que ces dispositions ne méconnaissent
ni les droits de la défense ni aucun autre
droit ou liberté que la Constitution garantit » (considérant n° 35.). Un commentateur a pu considérer que cette position
destinée à empêcher que l’avocat ne
mette en péril le bon déroulement de
l’enquête par son obstruction ou son
inertie pouvait trouver une assise dans
la jurisprudence de la chambre criminelle relative au changement d’avocat en
cours de procès (Pradel J., La loi du 14 avril 2011
sur la garde à vue réussit son examen de passage devant le
Conseil constitutionnel, JCP G 2011, 1452, p. 4.). Or les
90
jurisprudences citées ne concernent que
des hypothèses où le changement d’avocat ne résultait pas d’une décision de
l’autorité de poursuite et n’avait donné
lieu à aucune réclamation (Cass. crim., 31 janv.
1974, n° 73-93.333, Bull. crim., n° 51 ; Cass. crim., 10 janv.
1990, n° 89-84.168, Bull. crim., n° 17).
36. Or, certains des requérants faisaient
valoir, à plus juste titre, que le Conseil
constitutionnel avait déjà censuré semblable pouvoir de révocation qu’une
loi de 1981 avait entendu conférer aux
présidents d’audience à titre de mesure
de police, constatant que dans ces hypothèses où il n’est pas même possible de
reprocher à un avocat un manquement
à ses devoirs, l’atteinte portée aux droits
de la défense n’est pas conforme à la
Constitution (Cons. const., 20 janv. 1981, n° 80-127
DC : si cette mesure « avait le caractère d’une simple mesure de police (...) et ne revêtait pas celui d’une sanction
disciplinaire, il ne demeure pas moins que cette mesure, qui
pourrait intervenir alors que l’avocat n’a manqué à aucune
des obligations que lui impose son serment et alors qu’il a
donc rempli son rôle de défenseur, serait contraire, tant dans
la personne de l’avocat que dans celle du justiciable, aux
droits de la défense qui résultent des principes fondamentaux
reconnus par les lois de la République » ; Ghrénassia C., Le
« Garde à vue I »
entendait donc lutter
contre les abus de cet
ancien régime. « Garde
à vue II » rappelle qu’il
ne s’agit pas d’y mettre
un terme.
charme discret de la garde à vue : errements et ambiguïtés
de la loi du 14 avril 2011, préc., nos 55 et s.). Ainsi,
la décision du Conseil constitutionnel
ne peut que heurter, tant du point de
vue du fond que de la forme, le praticien. Une motivation moins lapidaire
aurait pu permettre au commentateur
de ne pas voir dans ce retrait du Conseil
constitutionnel un inquiétant écho aux
déclarations anachroniques de quelques
syndicats de police (Le Point, Les syndicats de
police satisfaits de la décision des Sages, 18 nov. 2011.
Synergie indique ainsi que les policiers ne sauraient être
« placés dans une situation comparable à celle des avocats
qui ne sont (…) que des auxiliaires de justice en exercice
libéral »).
***
37. En validant sous une seule réserve
d’interprétation l’ensemble du dispositif
mis en place par la réforme de la garde
à vue, le Conseil constitutionnel revient,
à contrecourant des juges de Strasbourg
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
et de la Commission européenne, aux
origines de la garde à vue à la française.
Partant, le Conseil constitutionnel, plus
vraisemblablement inspiré par des considérations d’opportunité politique que
d’orthodoxie constitutionnelle, abandonne l’audace relative de ses premières
décisions.
38. Les Sages ont ainsi fait prévaloir la
pratique de 1897 sur l’inspiration de
1789 en faisant de la garde à vue un
« lieu d’enquête » à l’abri du contradictoire et de l’égalité des armes comme
on consacrerait des autels au rituel du
sacrifice, à l’apparition d’un oracle ou
plus prosaïquement à la manifestation
de la vérité. Pour ne plus avoir respecté
ce lieu, pour avoir banalisé le recours
à cette mesure, l’ancien régime de la
garde à vue a été censuré le 30 juillet
2010. « Garde à vue I » entendait donc
lutter contre les abus de cet ancien régime. « Garde à vue II » rappelle qu’il
ne s’agit pas d’y mettre un terme. Qu’il
ait fallu plus d’un an pour aller de l’un
à l’autre laisse perplexe. Qu’il faille désormais se tourner vers Strasbourg et
Bruxelles pour espérer une approche
plus moderne de cette phase d’enquête
laisse songeur.
39. De ce point de vue, la jurisprudence
européenne apparaît plus fidèle à l’inspiration des constituants français que le
Conseil constitutionnel dans la mesure
où ceux-ci ne distinguaient pas avec
l’indépassable rigueur de celui-là, la
phase policière de la phase juridictionnelle d’abord, la contrainte de l’accusation ensuite, l’accusation de la défense
enfin (à titre d’exemple, Condorcet écrit, dans le cadre de
son projet d’article relatif à la sûreté des personnes : « Tout
accusé jouira d’une liberté entière d’user de ses moyens
naturels de défense, ce qui entraîne nécessairement la publicité de la procédure, la liberté de se choisir des conseils, de
conférer avec eux dans tout le cours de l’instruction, d’avoir
communication pour soi et pour ses conseils, de tous les actes
de la procédure, et de pouvoir faire entendre des témoins
en sa faveur »). Le Conseil constitutionnel
opère, à cette occasion, un singulier
rapprochement entre les droits de la
défense garantis par la Déclaration des
droits de l’homme et l’objectif à valeur
constitutionnelle de « recherche des auteurs d’infraction » qu’il tire, pour partie
au moins, de l’article 14 du Code de
procédure pénale. Singulier rapprochement, regrettable référence, qui revient
en quelque sorte à rappeler Fouché au
chevet de la Révolution, à reprendre
l’exégèse de la Déclaration des droits
de l’homme par un relevé d’empreintes
dactyloscopiques, à livrer Marianne au
bras du Léviathan. ◆
RLDA
PERSPECTIVES ÉTUDE
3945
C’est un truisme d’affirmer que le droit de la consommation permet de protéger les consommateurs
dans leurs relations avec des professionnels. Il est néanmoins réaliste de constater que le droit
de la consommation, sous l’égide de la Commission européenne, tend à devenir un outil de régulation
du marché économique. Les implications, tant avérées que prévisibles, de ce changement méritent
d’être mises en exergue (1).
Le droit de la consommation,
entre protection du consommateur
et régulation du marché
Par Sabine
BERNHEIM-DESVAUX
Maître de conférences
HDR à l’Université d’Angers
Centre Jean Bodin
– Recherche juridique
et politique
ACTE 1 – L’ÉVOLUTION HISTORIQUE
DU DROIT DE LA CONSOMMATION :
DE LA STRICTE PROTECTION
DU CONSOMMATEUR À LA
RÉGULATION DU MARCHÉ
Le droit de la consommation est certainement né du besoin de protéger les
consommateurs (cf. spéc. Bernheim-Desvaux S.,
PROLOGUE
Il n’est pas d’usage pour un enseignantchercheur de raconter une histoire,
encore moins des histoires ! Mais, une
fois n’étant pas coutume, cet article a
vocation à retracer brièvement l’histoire du droit de la consommation qui,
partant d’un besoin de protection des
consommateurs, s’achemine inexorablement vers un mécanisme de régulation du marché économique. Une pièce
se joue en effet sur le théâtre moderne
du droit. Au cours des dix dernières
années, le droit de la consommation
français a connu une évolution sans
précédent, sous l’influence du droit
communautaire, et par le recours
à la fonction économique du droit.
Dans un premier acte, nous établirons
qu’une analyse économique du droit
de la consommation conduit à l’utiliser à des fins de régulation du marché. Il conviendra de compléter cette
première scène par l’étude des effets
avérés de cette fonction de régulation,
avant de procéder à une étude prospective dans un dernier acte.
Droit de la consommation, Studyrama, 2e éd., 2011 , Calais-Auloy J. et Temple H., Droit de la consommation, Précis Dalloz, 8e éd., 2010 ; Picod Y. et Davo H., Droit de la
consommation, Armand Colin, 2005 , Raymond G., Droit de
la consommation, Litec, 2e éd., 2011). Ce besoin de
protéger les acheteurs contre les abus
des marchands n’est pas, contrairement
à une idée préconçue, contemporain de
notre société de consommation. Il a toujours existé, et les historiens du droit en
ont trouvé des illustrations dans le Code
d’Hammourabi, en 1700 avant J.-C. (répression des falsifications de marchandises), dans la loi des XII Tables à Rome
(obligation d’information et garanties
dans la vente), ou encore à l’époque
médiévale avec la police des marchés.
En revanche, il est vrai que ce besoin
s’est accentué à partir des années 1960.
En effet, le développement économique
après-guerre a été sans précédent. Les
biens et les services se multiplient, les
entreprises grandissent, les produits se
complexifient, le crédit se développe, la
publicité et le marketing envahissent le
marché. Le déséquilibre entre professionnels et consommateurs s’accroît et
se manifeste à deux stades principaux.
D’une part, un déséquilibre structurel :
les réseaux de distribution, de plus en
plus importants, écrasent les consommateurs pris individuellement. D’autre
part, un déséquilibre intellectuel : la publicité et le marketing incitent souvent le
consommateur mal informé à conclure
des contrats qui ne sont pas nécessairement intéressants pour lui. Mais, paradoxalement, si les consommateurs représentent le groupe économique le plus
important (en nombre), il est également
le moins écouté. D’où l’idée des consommateurs de se regrouper pour défendre
leurs intérêts. C’est le consumérisme, qui
est apparu tout d’abord aux États-Unis
dans les années 1960, symbolisé par le
discours du président John F. Kennedy
au Congrès en 1962 : « nous sommes
tous des consommateurs ! ». À partir des
années 1970, les pays européens prennent conscience des dangers de la société
de consommation. Les organismes de
défense et les règles de protection des
consommateurs se multiplient alors.
En France, c’est la codification de 1993
qui consacre l’existence du droit de la
consommation (une nouvelle mouture du Code de
la consommation se fait désespérément attendre. Si, depuis
la loi du 3 janvier 2008, une recodification à droit constant
est prévue, force est de constater qu’elle n’a toujours pas
vu le jour.cf. Raymond G., Vœux, rêves et utopies, Contrats,
conc., consom. 2012, Repère 1).
En marge des législations nationales,
la politique communautaire de protection des consommateurs s’est également affirmée (cf. Bourgoignie T., Droit et politique
>
(1) Cet article est tiré d’une intervention orale donnée à l’occasion du colloque intitulé « Le professionnel et le profane : les enjeux théoriques et pratiques de la distinction » organisé à la faculté
de droit d’Angers le 15 décembre 2011.
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
91
L E D R O I T D E L A C O N S O M M AT I O N , E N T R E P R O T E C T I O N D U C O N S O M M AT E U R E T R É G U L AT I O N D U M A R C H É
communautaire de la consommation. Une évaluation des
acquis, in Mélanges Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 95 ;
Fasquelle D. et Meunier P., Le droit communautaire de la
consommation, La documentation française, 2002 ; Stuyck J.,
J.-Cl. Europe, Fasc. 2000, Politique européenne de la consommation, 2008). Le traité de Rome du 25 mars
1957, antérieur au développement du
consumérisme en Europe, n’envisageait
pas la protection des consommateurs. Ce
n’est qu’à compter des années 1970 que
la politique communautaire en matière
de consommation s’est mise en place.
Plusieurs étapes se succédèrent jusqu’à
l’actuel article 153 du traité CE qui dispose qu’un niveau élevé de protection
des consommateurs est assuré dans les
politiques de l’Union. La protection des
consommateurs est désormais prévue de
façon explicite par le traité CE, elle est un
but en soi de la politique communautaire
(cf. Leveneur L., Les contrats de consommation et le droit
européen, Contrats, conc., consom. 2002, Repère 3).
De cette première analyse, il résulte que
le droit de la consommation, interne
et communautaire, apparaît comme un
ensemble de règles destinées à protéger
le consommateur profane dans ses relations avec les professionnels.
Cette première approche nécessite
d’être combinée avec la fonction économique du droit de la consommation.
Le consommateur n’est pas seulement
le cocontractant individuel d’un professionnel ; il est également un acteur
économique, le destinataire des biens
et des services qui circulent sur le marché (Canivet G. et Champalaune C., Le comportement du
consommateur dans la définition du marché, in Mélanges
Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 227). Or, sur ce mar-
ché, il va être nécessaire de trouver un
juste équilibre entre libre concurrence et
libre consentement du consommateur.
Si le marché ne peut pas être laissé à la
seule liberté de concurrence entre professionnels, la protection des consommateurs ne doit pas constituer un frein
au développement économique. Le droit
de la consommation doit permettre de
réaliser cet équilibre entre libéralisme
économique et dirigisme économique
de protection.
Ce qui est particulièrement notable,
c’est que cette fonction économique du
droit de la consommation est, depuis
une dizaine d’années, appliquée par la
Commission européenne au marché intérieur de l’Union. L’idée assénée est que,
pour développer la croissance, il faut
favoriser la consommation en assurant
la libre circulation des biens et des services au sein de l’Union. Le droit de la
consommation, au service de cette nouvelle politique, change alors de registre.
Il devient un instrument de régulation
du marché intérieur devant participer
92
activement à la circulation des biens de
consommation, par l’harmonisation des
législations nationales. Cette harmonisation doit servir de levier à la liberté
des échanges (Bourgoignie T., préc. ; Pizzio J.-P.,
Le droit de la consommation à l’aube du XXIe siècle, in
Mélanges Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 877 ; Stuyck J., J.-Cl
Europe, Fasc. 2000, Politique européenne de la consommation, 2008). Elle est également la garantie
d’une saine concurrence, bénéfique aux
consommateurs européens (cf. pour une critique de cette harmonisation : Paisant G., Proposition de
directive relative aux droits des consommateurs. Avantage
pour les consommateurs ou faveur pour les professionnels ?,
JCP G 2009, I, n° 118). La directive n° 2011/83/
UE du Parlement européen et du Conseil
du 25 octobre 2011 (JOUE n° L 304, 22 nov. 2011,
p. 64, Contrats. conc., consom. 2012, focus 1., obs. Raud N.
et Notte G.) relative aux droits des consom-
mateurs indique d’ailleurs expressément
que « l’objectif de la présente directive est
de contribuer, en atteignant un niveau
élevé de protection du consommateur,
au bon fonctionnement du marché intérieur, en rapprochant certains aspects des
dispositions législatives, réglementaires
et administratives des États membres
relatives aux contrats entre les consommateurs et les professionnels ».
Cette mise en exergue de la fonction
économique du droit de la consommation fait écrire à certains (Raymond G., Droit
de la consommation, Litec, 2e éd., 2011, n° 59, cf. également
Ferrier D., Le droit de la consommation, élément d’un droit
civil professionnel, in Mélanges Calais-Auloy, Dalloz, 2004,
p. 373) que le droit de la consommation est
une branche du droit des affaires, aux
côtés du droit de la concurrence et du
droit de la distribution. Les implications
sont grandes.
ACTE 2 – LES EFFETS AVÉRÉS DE
L’UTILISATION DU DROIT DE LA
CONSOMMATION AUX FINS DE
RÉGULATION DU MARCHÉ
Les indices de l’utilisation du droit de
la consommation aux fins de régulation
du marché sont nombreux, tant en droit
interne qu’en droit communautaire. Il
nous est possible d’en présenter les plus
probants dans la synthèse suivante.
En droit interne français, deux illustrations du rôle économique du droit de la
consommation peuvent être données.
D’une part, les règles consuméristes internes ne sont pas nécessairement des
règles de protection. Ainsi, les règles
relatives à la publicité, à la conformité et
à la sécurité des produits, ou encore la réglementation des soldes, visent à mettre
sur pied une police de la consommation
faisant des intérêts des consommateurs
un véritable contrepoids aux libertés
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
commerciales. L’objectif central est la
régulation de l’offre des produits et des
services faite au public (cf. Raymond G., Droit
de la consommation, Litec, 2e éd., 2011, n° 59). D’autre
part, le droit de la consommation français se caractérise par sa pénalisation.
Cette pénalisation prévue, soit en renfort
des dispositions civiles de protection du
consommateur contre le professionnel,
soit pour réprimer les abus affectant le
bon fonctionnement du marché, élève
la protection des consommateurs au
rang de l’intérêt général. Elle assure,
en conséquence, la défense de leurs
intérêts collectifs par les agents de la
DGCCRF, le ministère public, les syndicats professionnels et les associations de
consommateurs.
En droit communautaire, la Commission européenne et la CJUE mettent l’accent sur le rôle économique du droit
de la consommation, ce qui en modifie
substantiellement le contenu. Illustrons
cette politique communautaire par trois
exemples.
Premier exemple. L’œuvre conjuguée
du législateur européen et de la CJUE a
conduit à définir précisément le consommateur. Deux éléments nous semblent
importants. D’une part, la définition retenue est stricte : il s’agit d’une personne
physique, contractant pour des besoins
personnels (cf. CJUE, 22 nov. 2001, Contrats, conc.,
consom. 2002, comm. 18, note Raymond G., JCP G. 2002,, II,
n° 10047, note Paisant G., D. 2002, p. 90, note Rondey C.,
RTD civ. 2002, p. 291, obs. Mestre J. et Fages B., p. 397,
obs. Raynard J., RTD com. 2002, p. 404, obs. Luby M. ; cf.
également Dir. Com. CE n° 2011/83, 25 oct. 2011, art. 2, sur
les droits des consommateurs : « on entend par consommateur
toute personne physique qui, dans les contrats relevant de
la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans
le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale
ou libérale »). Par conséquent, la distinction
entre professionnel et profane n’a pas de
réelle signification en droit de la consommation. Un consommateur très averti
est protégé de la même manière qu’un
consommateur non averti. Et un professionnel peut être aussi bien protégé
qu’un consommateur (on pense notamment aux pratiques commerciales trompeuses applicables aux professionnels).
Considérer le consommateur comme un
acteur économique donne alors une lisibilité au domaine d’application du droit
de la consommation qui reste incompréhensible si l’on raisonne seulement en
termes de protection (cf. Beauchard J., Remarques
sur le Code de la consommation, in Écrits en hommage
à Cornu G., PUF, 1994, n° 29). Cette acception
économique du consommateur pourrait sans doute être utilisée utilement en
droit interne français afin de résoudre
direct avec l’activité professionnelle retenue par la Cour de
cassation depuis 1995 : Bernheim-Desvaux S., préc., p. 67),
au non-professionnel (se pose en effet la
question de savoir si cette expression,
utilisée par le législateur français mais
inexistante en droit communautaire, a
une réalité ou est redondante par rapport à celle de « consommateur »), ou
encore au consommateur personne
morale (comp. notamment : Cass. 1re civ., 23 juin
2011, n° 10-30.645, Contrats, conc., consom. 2011, comm.
226 ; et Cass. 1re civ., 2 avr. 2009, n° 08-11.231, Contrats,
conc., consom. 2009, comm. 182). D’autre part,
ce consommateur est conçu comme un
individu responsable même s’il n’est
pas familier des affaires. Ainsi, pour la
directive sur le crédit à la consommation,
le consommateur est un emprunteur
responsable ; pour la directive sur les
pratiques commerciales, le consommateur est une personne normalement
avisée, un consommateur moyen. Par
conséquent, le consommateur n’a pas
tant besoin d’être protégé que d’être mis
en mesure de prendre une décision en
connaissance de cause (cf. en ce sens Raymond
G., Droit de la consommation, Litec, 2e éd., 2011, n° 404.).
La loi doit donc se borner à informer les
consommateurs car, bien informés, ils
sont capables de défendre eux-mêmes
leurs intérêts (cf. cependant la protection instituée
par la loi lorsqu’elle estime que, même s’il est informé, le
consommateur n’est pas en mesure de lutter, spécialement la
législation sur les clauses abusives). L’idée est d’évi-
ter de considérer les consommateurs
comme des assistés voire des incapables.
La surprotection risque de perpétuer la
situation de faiblesse dans laquelle se
trouvent nombre de consommateurs.
Elle risque également d’être abusivement
utilisée par les consommateurs les plus
malins. Ainsi, le droit de rétractation
prévu dans certains contrats de vente
à distance ou conclus à la suite d’un
démarchage à domicile est totalement
discrétionnaire, les juges n’exerçant pas
de contrôle de l’abus dans l’exercice de
ce droit.
Deuxième exemple. On assiste depuis
2005 à la multiplication de directives
communautaires dites d’harmonisation
maximale ou totale. L’harmonisation
totale implique que les États membres
sont tenus d’appliquer les règles posées
par le texte européen, sans pouvoir aller
au-delà ou en-deçà de la protection accordée. Des règles identiques sont ainsi
posées pour tous afin d’éviter les distorsions de concurrence. À titre d’exemple,
la directive n° 2005/29/CE du 11 mai
2005 sur les pratiques commerciales (Dir.
Parl. et Cons. CE n° 2005/29, 11 mai 2005), celle du
23 avril 2008 (Dir. Com. CE n° 2008/48 du 23 avr.
2008) sur le crédit à la consommation et
le surendettement, celle du 25 octobre
2011 (Dir. Parl. et Cons. UE n° 2011/83, 25 oct 2011)
sur les droits des consommateurs, sont
d’harmonisation maximale. L’objectif
poursuivi par le droit communautaire
est la réalisation du marché intérieur par
la suppression des entraves résultant de
la disparité des législations nationales.
Cet objectif de régulation du marché se
heurte cependant à quelques obstacles
de taille. Tout d’abord, l’harmonisation ne s’impose qu’aux États, ce qui
n’empêche donc pas les professionnels,
ressortissants d’États différents, de proposer contractuellement des produits ou
des services à des conditions inégales.
Ensuite, des interprétations divergentes
peuvent résulter des juridictions des
États membres et l’œuvre unificatrice
de la CJUE n’est pleinement réalisée qu’à
l’issue d’une période plus ou moins longue. Enfin, les sanctions, notamment
pénales, échappent à la compétence
communautaire, ce qui peut maintenir
des différences importantes entre les
États membres.
L’idée est d’éviter
de considérer les
consommateurs comme
des assistés voire
des incapables. La
surprotection risque de
perpétuer la situation de
faiblesse dans laquelle
se trouvent nombre de
consommateurs.
Dernier exemple. La CJUE a récemment
posé le devoir du juge national de relever d’office toute disposition consumériste. Elle l’a d’abord affirmé en matière
de clauses abusives (CJUE, 27 juin 2000, aff.
C-240/98 à 244/98, Oceano Grupo, RTD civ. 2000, p. 939,
obs. Raynard J., RTD civ. 2001, p. 878, obs. Mestre J. et
Fages B., JCP G 2001, II, n° 10513, obs. Carballo-Fidalgo M.,
et Paisant G. ; CJUE, 4 juin 2009, aff. C-243/08, Pannon,
JCP E 2009., n° 42, p. 26, note Raschel L.,Contrats, conc.
consom. 2009, Alertes n° 54, D. 2009, p. 2312, note Poissonnier G., JCP G 2009, n° 42, 336, note Paisant G. ; CJUE,
6 oct. 2009, aff. C-40/08, Asturcom Telecommunicaciones,
Procédures 2009, n° 12, p. 28, note Nourrissat C.), avant
de l’étendre à la nullité d’un contrat du
fait de la méconnaissance des règles relatives au démarchage à domicile (cf.
CJUE, 17 déc. 2009, aff. C-227/08, Eva Martin c/ EDP Editores SL, D. 2010, p. 790). Ce devoir de relever
d’office est révélateur de la conception
communautaire nouvelle du droit de la
consommation, une conception ambi-
PERSPECTIVES ÉTUDE
les difficultés relatives au professionnel
« profane » (cf. sur les paradoxes du critère du rapport
valente dans laquelle coexistent ordre
public de protection et ordre public de
direction.
Ces quelques exemples montrent que
le droit de la consommation est utilisé
comme un instrument de régulation
économique du marché. Une étude
prospective suffira à nous convaincre
que des changements fondamentaux
s’annoncent.
ACTE 3 – LES CONSÉQUENCES
PRÉVISIBLES DE L’UTILISATION DU
DROIT DE LA CONSOMMATION AUX
FINS DE RÉGULATION DU MARCHÉ
Le droit de la consommation va évoluer
dans les années à venir, au moins sous
deux angles.
Première évolution. Élevé au rang de
droit du marché intérieur, le droit de la
consommation a vocation à promouvoir le consommateur européen, au
détriment de sa protection sur le plan
national. En d’autres termes, le prix à
payer pour la construction d’un droit
de la consommation uniforme garantissant les mêmes droits dans tous les
États membres, semble être celui de la
diminution de la protection du consommateur national (cf. Leveneur L., Proposition de
directive relative aux droits des consommateurs : recul
de la protection des acheteurs en France,Contrats, conc.,
consom. 2009, repères, Paisant G., Proposition de directive
relative aux droits des consommateurs. Avantage pour les
consommateurs ou faveur pour les professionnels ?, JCP G
2009, I, n° 118). Trois exemples révèlent que
ce risque est bien réel.
Premier exemple : les loteries publicitaires. La CJUE a posé, dans une décision
en date du 14 janvier 2010 (CJUE, 14 janv. 2010,
aff. C-340/08, Contrats, conc., consom. 2010, focus n° 22,
note Razavi M., D. 2010, p. 258, obs. Chevrier E.), que la
directive sur les pratiques commerciales
déloyales s’oppose à ce qu’une réglementation nationale interdise par principe un concours ou un jeu promotionnel avec obligation d’achat. En d’autres
termes, contrairement à ce qu’affirmait
en droit français l’article L. 121-36 du
Code de la consommation, une loterie
publicitaire avec participation financière
ne peut être interdite par une règle générale. La loi du 17 mai 2011 a modifié alors l’article L. 121-36 en ce sens :
« lorsque la participation à une loterie
publicitaire est conditionnée à une obligation d’achat, la pratique n’est illicite que
dans la mesure où elle revêt un caractère
déloyal au sens de l’article L. 120-1 ».
Cette disposition est certainement moins
protectrice du consommateur français
que la précédente.
N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
>
93
L E D R O I T D E L A C O N S O M M AT I O N , E N T R E P R O T E C T I O N D U C O N S O M M AT E U R E T R É G U L AT I O N D U M A R C H É
Deuxième exemple : le démarchage des
professions libérales. Par une décision
du 5 avril 2011 (aff. C-119/09, Société fiduciaire
(cf. pour un versement d’arrhes ou d’acompte CA Rennes,
nationale d’expertise comptable, Contrats, conc. consom
2011, comm. 10), la CJUE a considéré que
chèque, espèces, effets de commerce,
autorisation de prélèvement bancaire
(CA Amiens, 11 sept. 2008, Juris-Data n° 2008-370795,
l’interdiction du démarchage pour les
professions libérales d’expertise-comptable était contradictoire avec la directive
n° 2006/123/CE du 12 décembre 2006
relative aux services. Autrement dit, une
interdiction de principe du démarchage
est illicite. L’arrêt concernait, certes, la
profession d’expert-comptable, mais il
est transposable à l’ensemble des professions libérales. Le législateur français
sera contraint dans un avenir proche
de modifier les textes qui interdisent le
démarchage pour les professions libérales, notamment l’article 66-4 de la loi
n° 71-1130 du 31 décembre 1971 qui
interdit le démarchage en vue de rédiger des actes juridiques ou d’offrir des
consultations juridiques. À nouveau se
pose la question de la diminution prévisible de la protection du consommateur
français.
Dernier exemple : les contrats hors établissement. La directive du 25 octobre
2011 relative aux droits des consommateurs apporte un certain nombre de
modifications relatives aux contrats hors
établissement, susceptibles de diminuer
la protection actuelle dont bénéficie le
consommateur français en cas de démarchage à domicile. D’une part, la directive prévoit qu’il est possible d’écarter
de la législation protectrice les contrats
inférieurs à 50 €, ce qui est contraire au
droit français positif selon lequel aucune
distinction n’est faite suivant la valeur du
contrat. D’autre part, la directive interdit
en principe d’empêcher l’exécution des
obligations des parties pendant le délai
de rétractation, ce qui pourrait avoir des
incidences sur l’interdiction française actuelle faite aux professionnels de demander un quelconque paiement au consommateur avant l’expiration du délai de
rétractation. Cette règle française, énoncée par l’article L. 121-26 du Code de la
consommation, s’applique aujourd’hui
quelle que soit la forme du versement
94
13 juin 2008, Juris-Data n° 2008-001147, JCP E 2009, n° 22,
p. 27) et le moyen de paiement utilisé :
l’action de groupe, Contrats, conc., consom. 2010, focus
n° 69). L’action de groupe n’est cependant
autorisant le prêteur à faire opposition
entre les mains du notaire au paiement
du prix de la vente du bien immobilier
pour payer le prêt (Cass. 1re civ., 17 janv. 2008,
pas encore née. À Bruxelles, l’idée de
plaintes de groupe semble abandonnée
pour le moment. Les coûts pour les entreprises agissent en effet comme un
repoussoir, alors que l’économie européenne est en crise. En France, le Sénat
(LEDC févr. 2012, p. 1, obs. Bernheim-Desvaux S.) a
certes introduit une action de groupe à
la française le 22 décembre 2011, lors de
l’examen du projet de loi visant à renforcer les droits, la protection et l’information des consommateurs (Projet de loi adopté
n° 05-14.644, Bull. civ. I, n° 15, D. 2008, p. 347, Contrats,
conc., consom. 2008, comm. 119).
en première lecture par l’Assemblée nationale le 11 octobre
2011, cf. LEDC nov. 2011, obs. Sauphanor-Brouillaud N.).
Contrats, conc., consom. 2009, comm. n° 64 ; Cass. 1re civ.,
21 nov. 2006, Contrats, conc. consom. 2007, comm. n° 77),
ordre de virement (Cass. crim., 10 janv. 2012,
n° 11-86.985), ou signature d’un document
Seconde évolution. La prise en compte
accrue du rôle économique du droit de
La prise en compte
accrue du rôle
économique du droit
de la consommation
devrait s’accompagner,
dans un avenir proche,
d’un renforcement de
la défense collective des
consommateurs.
la consommation devrait s’accompagner, dans un avenir proche, d’un renforcement de la défense collective des
consommateurs. La défense collective
des intérêts des consommateurs devrait
devenir le mode d’action premier pour
équilibrer les relations entre professionnels et consommateurs. Il n’est donc
pas étonnant de relever que la Commission européenne a publié, fin 2009,
un Livre vert sur les recours collectifs
pour les consommateurs envisageant notamment une action de groupe pour les
litiges intracommunautaires. En 2010,
la Commission a ouvert une consultation publique dans la perspective d’une
proposition législative dès 2011 (cf. Fiévée A.
et Grosjean, L’action de groupe… ou l’introduction d’une
nouvelle voie de droit, Contrats, conc., consom. 2010, études
n° 14, Grynfogel C., Une volonté européenne réaffirmée pour
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9
Mais, la majorité présidentielle l’a qualifiée de « fausse-bonne idée ». Il sera
certainement nécessaire de transformer
la méfiance originaire des professionnels
en partenariat et l’on mesure le chemin
à parcourir lorsque l’on connaît le militantisme associatif en France.
Epilogue.
Quelle est la morale de cette histoire ?
Le marché de la consommation est
dominé par le jeu de la libre concurrence qui conduit à une guerre sans
merci entre les entreprises afin d’accroître leur part de marché. Le droit de
la consommation comporte des règles
qui viennent limiter cette libre concurrence afin d’éviter qu’elle ne soit nuisible aux consommateurs. Ce faisant,
le droit de la consommation assure une
protection des consommateurs pris individuellement et régule le marché des
consommateurs pris collectivement dans
leurs relations avec les professionnels.
La prise en compte de cette fonction
économique du droit de la consommation s’est considérablement accrue au
cours de ces dernières années, ce qui
implique inévitablement une modification du droit de la consommation. Si la
fonction de protection reste prégnante,
celle de régulation transcende désormais
la discipline.
Est-ce une avancée ? Apporter une
réponse tranchée est sans doute prématuré… mais fera l’objet d’une belle
histoire à venir ! ◆
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