revue lamy - Simon Associés
Transcription
revue lamy - Simon Associés
LAMY affaires REVUE M A R S 2 0 1 2 Clause d’agrément et décision du conseil d’administration : interdiction de l’agrément conditionnel Par Irina PARACHKEVOVA L’article L. 145-41 du Code de commerce peut recevoir application à l’occasion d’une demande en résiliation du bail fondée sur les dispositions de l’article L. 622-14 du même Code Par Hubert VERCKEN La notion de bonne information et de diffusion de l’information privilégiée par la Cour de cassation Par Anne-Dominique MERVILLE Conformité et non-contestation des griefs : l’AdlC précise les outils de gestion du risque concurrentiel par les entreprises Par Michaël COUSIN et Christophe LEMAIRE Des conditions de mise en œuvre des clauses de dédit-formation en cas de prise d’acte du salarié ou de l’imputabilité de la rupture Par Isabelle CORNESSE PRATIQUE Le groupement momentané d’entreprises libérales (GMEL) : première structure d’exercice interprofessionnel ? Par Jack DEMAISON ÉTUDES Estoppel : faut-il acclimater le Poison Tree ? Par Fabien GIRARD L’influence du droit américain de la faillite et les créanciers en droit français : présent et futur Par Sophie STANKIEWICZ MURPHY Cession des créances d’un organisme de titrisation selon les formalités de l’article 1690 du Code civil Par Christophe GARCIA et Alex BEBE EPALE D’une garde à vue l’autre : commentaire de la décision n° 2011/194 du Conseil constitutionnel Par Emmanuel DAOUD et César GHRÉNASSIA 69 Le droit de la consommation, entre protection du consommateur et régulation du marché Par Sabine BERNHEIM-DESVAUX Découvrez votre nouveau collaborateur virtuel Accès en ligne 24h/24 Tous les fonds juridiques Lamy et Liaisons Les fonds officiels dont les fonds et le flux Cours d’appel JuriCa Nouvelle interface intuitive Recherche simplifiée Expansion sémantique Lecture écran des publications inédite Présentation optimisée des résultats Nouvelles fonctionnalités de tri et toujours un système de liens inversés unique… Pour en savoir plus www.lamyline.fr 0 825 08 08 00 LAMYLINE, RÉPONSE(S) ASSURÉE(S) sommaire Actualités 10 Droit des sociétés commerciales ÉCLAIRAGE 10 > Clause d’agrément et décision du conseil d’administration : interdiction de l’agrément conditionnel Par Irina PARACHKEVOVA ACTUALITÉS DU DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES 15 > Dissolution de la société par arrivée du terme en l’absence de prorogation 16 > Accès aux documents : précisions sur le droit de communication de l’expert-comptable mandaté par le comité d’entreprise 17 > Dissimulation d’une interdiction de gérer 17 > Précisions sur les modalités déclaratives pour l’application du régime fiscal propre aux dispositifs d’actionnariat salarié 19 ACTUALITÉS DU DROIT DU FINANCEMENT 36 > Obligation d’inscription en compte des valeurs mobilières et QPC 37 > Précisions sur l’obligation de création d’un comité des rémunérations 38 > Caution personne physique et minimum de ressources 38 > Immatriculation des intermédiaires en opérations de banque, des CIF et des agents liés 41 Droit économique ÉCLAIRAGES 41 > Les lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale : une première révision à l’épreuve de la crise Par Martin POULIOT et Timothée GIARD Droit commercial ÉCLAIRAGES 19 > L’article L. 145-41 du Code de commerce peut recevoir application à l’occasion d’unedemandeenrésiliationdubailfondéesurles dispositions de l’article L. 622-14 du même Code Par Hubert VERCKEN 21 > L’incompatibilitédumécanismed’extensionde procédure collective pour cause de confusion des patrimoines avec le règlement n° 1346/2000 Par Eugénie AMRI et Sami JEBBOUR 45 > Conformité et non-contestation des griefs : l’AdlC précise les outils de gestion du risque concurrentiel par les entreprises Par Michaël COUSIN et Christophe LEMAIRE ACTUALITÉS DU DROIT ÉCONOMIQUE 50 > Affectation du commerce entre États membres 52 > Règlement n° 1/2003 : délimitation des compétences de la Commission et des autorités nationales de concurrence 53 > Prix du livre numérique : infractions et sanctions 54 > Pratique commerciale trompeuse : responsabilité pénale des dirigeants et délégation de pouvoirs 54 > Défaillance de l’emprunteur ACTUALITÉS DU DROIT COMMERCIAL 26 > Le régime de l’EIRL poursuit sa construction 26 > Preneur en difficulté : suspension des effets de la clause résolutoire et délais de paiement 28 > Condamnation pour contrefaçon et annulation rétroactive du brevet : pas de répétition de l’indu 29 > Omission volontaire d’un créancier : le relevé de forclusion est de droit 29 > Inconstitutionnalité de la réunion à l’actif des biens du conjoint in bonis 32 Droit du financement ÉCLAIRAGE 32 > La notion de bonne information et de diffusion de l’information privilégiée par la Cour de cassation Par Anne-Dominique MERVILLE Repères 56 Droit du travail 56 > Des conditions de mise en œuvre des clauses de dédit-formation en cas de prise d’acte du salarié ou de l’imputabilité de la rupture Par Isabelle CORNESSE 58 > La démission abusive n’autorise pas l’abus de l’employeur 59 > Représentant syndical au comité d’entreprise : une exigence de légitimité La Revue Lamy Droit des Affaires actualise, dans sa première partie « Actualités », les quatre ouvrages suivants : le Lamy Sociétés commerciales, le Lamy Droit commercial, le Lamy Droit du financement et le Lamy Droit économique 4 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • MAR S 2 0 12 • N ° 6 9 62 Perspectives PRATIQUE LE GROUPEMENT MOMENTANÉ D’ENTREPRISES LIBÉRALES (GMEL) : PREMIÈRE STRUCTURE D’EXERCICE INTERPROFESSIONNEL ? CONSEIL SCIENTIFIQUE > Paul-Henri ANTONMATTÉI > Guy CANIVET Membre du Conseil constitutionnel > Yannick CHALMÉ Directeur Juridique du Groupe l’Oréal > Christian CHARRIÈRE-BOURNAZEL Président du Conseil national des Barreaux > Jean-Marie CRÉVOULIN Directeur juridique - Société Ricard > Jack DEMAISON Avocat associé - Spécialiste en droit des sociétés - SIMON Associés > Philippe DURAND Notaire - Groupe Monassier > Bertrand FAGES 65 > Formules de Convention de GMEL, de Conditions particulières et de Charte d’éthique Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne > Marie-Anne FRISON-ROCHE Par Jack DEMAISON 70 Professeur à la Faculté de Droit de Montpellier - Doyen honoraire Directeur du Laboratoire de droit social de la Faculté de Droit de Montpellier (Université Montpellier I) - Avocat associé, J. Barthélémy et associés Professeur des Universités à Sciences Po > Paul-Albert IWEINS Ancien Président du Conseil national des Barreaux ÉTUDES > Michel MENJUCQ Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Cabinet Lexia, société d’avocats > Cyril NOURISSAT Professeur agrégé des Facultés de droit > Alain PIÉTRANCOSTA Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Directeur du Master Droit financier - Centre de Recherches en droit financier > Nicolas RONTCHEVSKY Agrégé des Facultés de droit - Professeur à l’Université de Strasbourg > Georges TERRIER Avocat associé, Davis Polk & Wardwell > Daniel TRICOT Agrégé des Facultés de droit Président honoraire de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation > Geneviève VINEY Professeur émérite à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne > Thierry WICKERS Ancien Président du Conseil national des Barreaux 70 > Estoppel : faut-il acclimater le Poison Tree ? Par Fabien GIRARD Par Sophie STANKIEWICZ MURPHY 83 > Cession des créances d’un organisme de titrisation selon les formalités de l’article 1690 du Code civil Par Christophe GARCIA et Alex BEBE EPALE 85 > D’une garde à vue l’autre : commentaire de la décision n° 2011/194 du Conseil constitutionnel Par Emmanuel DAOUD et César GHRÉNASSIA 91 > Le droit de la consommation, entre protection du consommateur et régulation du marché Par Sabine BERNHEIM-DESVAUX > Jacques AZÉMA COMITÉ RÉDACTIONNEL 76 > L’influence du droit américain de la faillite et les créanciers en droit français : présent et futur Agrégé des Facultés de droit Directeur honoraire du Centre Paul Roubier > Roger BOUT Agrégé des Facultés de droit Professeur émérite de l’Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III > Marc BRUSCHI Agrégé des Facultés de droit - Professeur à l’Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III > Alain COURET Professeur à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne - Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine > Jean DEVÈZE Professeur à l’Université des Sciences sociales, Toulouse I > Pierre GARBIT Magistrat honoraire - Ancien Président du Tribunal de grande instance de Lyon > Gérard HIRIGOYEN Professeur des Universités, Directeur de l’Équipe Entreprise Familiale Éditeur : WOLTERS KLUWER FRANCE SAS au capital de 300 000 000 euros Siège social : 1, rue Eugène et Armand Peugeot 92856 Rueil-Malmaison cedex RCS Nanterre 480 081 306 Associé unique : Holding Wolters Kluwer France Président directeur général de Wolters Kluwer France, Directeur de la publication : Michael Koch Directrice de la rédaction : Bernadette Neyrolles Rédactrice en chef : Julie Vasa (01 76 73 42 53) Rédacteurs en chef adjoints : Delphine Chemin-Bomben, Actualités du droit du financement (01 76 73 32 36), Marina Filiol de Raimond, Actualités du droit commercial (01 76 73 33 88), et Financière, Directeur du Pôle Universitaire de Sciences de gestion de Bordeaux, Président Honoraire de l’Université Montesquieu Bordeaux IV > Aristide LÉVI Ancien Directeur du Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris > Monique LUBY Professeur à l’Université de Pau > Jacques MESTRE Professeur Agrégé des Facultés de droit Directeur du Centre de droit économique d’Aix-Marseille > Sylvaine POILLOT-PÉRUZZETTO Agrégée des Facultés de droit Professeur à l’Université des Sciences sociales de Toulouse I > Jean-Luc VALLENS Docteur en droit - Magistrat - Professeur associé à l’Université de Strasbourg > Dominique VELARDOCCHIO Agrégée des Facultés de droit - Professeur à la Faculté de droit d’Aix-Marseille Chloé Mathonnière, Actualités du droit économique (01 76 73 31 75), Ildo D. Mpindi, Actualités du droit des sociétés commerciales (01 76 73 34 69) Ont participé à ce numéro : Victoria Mauries, Astrid Lehmann et Paul Bayemi Responsable PAO : Nord Compo Imprimerie : Comelli Avenue des Deux-Lacs – BP 389 91959 Courtaboeuf cedex Nº Commission paritaire : 0115 T 87146 Dépôt légal : à parution N° ISSN : 1279-840 Abonnement annuel : 405,33 € TTC (TVA 2,10 %) Prix au numéro : 38,79 € TTC (TVA 2,10 %). Information et commande : Tél. : 0 825 08 08 00 Fax : 01 76 73 48 09 Internet : http://www.wkf.fr Cette revue peut être référencée de la manière suivante : RLDA 2012/69, n° 3899 (année/n° de la revue, n° du commentaire) Ce numéro est accompagné d’un encart. N ° X X •N°M6O9I S• MAR 2 0 0 S9 2012 • R E V• UREVUE E L A MLAMY Y D R DROIT O I T D EDES S A AFFAIRES FFAIRES 5 Index thématique des sources commentées DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES BAUX COMMERCIAUX RLDA Éclairage Cass. com., 6 déc. 2011, n° 10-25.689, P+B CLAUSE D’AGRÉMENT – CONSEIL D’ADMINISTRATION – DÉCISION – AGRÉMENT CONDITIONNEL – INTERDICTION Cass. com., 17 janv. 2012, n° 09-17.212, P+B 3899 Cass. 3e civ., 18 janv. 2012, n° 11-10.072, P+B MARQUES, BREVETS, DESSINS ET MODÈLES DISSOLUTION DE LA SOCIÉTÉ – ARRIVÉE DU TERME – ABSENCE DE PROROGATION CONTREFAÇON – BREVET – ANNULATION RÉTROACTIVE – RÉPÉTITION DE L’INDU – AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE 3900 REPRÉSENTATION DE LA SOCIÉTÉ – DÉLÉGATION DE POUVOIRS – DURÉE Cass. com., 17 janv. 2012, n° 10-24.811, P+B 3901 Cass. ass. plén., 17 févr. 2012, n° 10-24.282, P+B+R+I 3902 LISTE DES CRÉANCIERS – OMISSION VOLONTAIRE – RELEVÉ DE FORCLUSION COMITÉ D’ENTREPRISE – EXPERT-COMPTABLE – ACCÈS AUX DOCUMENTS Cass. com., 10 janv. 2012, n° 10-28.501, P+B 3903 Cass. com., 7 févr. 2012, n° 11-10.487, P+B 3904 VALEURS MOBILIÈRES ACTIONNARIAT SALARIÉ – DISPOSITIFS – RÉGIME FISCAL – APPLICATION – MODALITÉS DÉCLARATIVES D. n° 2012-130, 30 janv. 2012, JO 31 janv. D. n° 2012-131, 30 janv. 2012, JO 31 janv. DROIT COMMERCIAL 3905 Cass. com., 7 févr. 2012, n° 10-26.164, P+B+I 3915 DROIT DU FINANCEMENT RLDA INFORMATION PRIVILÉGIÉE – DIFFUSION – BONNE INFORMATION – NOTION – COUR DE CASSATION VALEURS MOBILIÈRES – INSCRIPTION EN COMPTE – OBLIGATION – QPC Cons. const., 27 janv. 2012, n° 2011-215, QPC ; Communiqué Cons. const., 27 janv. 2012 3907 FONDS DE COMMERCE 3917 SOCIÉTÉS DE GESTION DE PORTEFEUILLE – CRITÈRES EXTRA-FINANCIERS – SOUSCRIPTEURS – INFORMATION D. n° 2012-132, 30 janv. 2012, JO 31 janv. ENTREPRENEUR INDIVIDUEL À RESPONSABILITÉ LIMITÉE – EIRL – FISCALITÉ – COMPTABILITÉ 3918 COMITÉ DES RÉMUNÉRATIONS – CRÉATION – OBLIGATION 3908 Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • MAR S 2 0 12 • N ° 6 9 3916 MARCHÉS FINANCIERS 3906 JUGEMENT D’EXTENSION – UNICITÉ DE LA PROCÉDURE – RÈGLEMENT INSOLVABILITÉ – SOCIÉTÉ ÉTRANGÈRE D. n° 2012-122, 30 janv. 2012, JO 31 janv. 3914 ORDONNANCES DU JUGE-COMMISSAIRE – VOIES DE RECOURS Cass. com., 13 déc. 2011, n° 10-28.337, P+B BAIL COMMERCIAL – LIQUIDATION JUDICIAIRE – CLAUSE RÉSOLUTOIRE – DÉLAIS DE PAIEMENT CJUE, 15 déc. 2011, aff. C-191/10, Rastelli Davide c/ Hidoux 3913 Éclairage RLDA Éclairages Cass. com., 6 déc. 2011, n° 10-25.689, P+B 3912 QPC – ACTION EN RÉUNION D’ACTIF – ACTION EN RAPPORT – INCONSTITUTIONNALITÉ Cons. const., 19 janv. 2012, n° 2011-212, QPC DIRIGEANT – INTERDICTION DE GÉRER – DISSIMULATION 3911 ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ ACTEURS DE LA VIE SOCIÉTAIRE Cass. soc., 10 janv. 2012, n° 10-21.270, P+B 3910 BREVET EUROPÉEN – ACTION EN NULLITÉ – NULLITÉ RELATIVE – INTÉRÊT À AGIR – CONVENTION DE MUNICH (CBE) Cass. com., 14 févr. 2012, n° 11-14.288, P+B INVESTISSEMENT SOCIALEMENT RESPONSABLE – SOCIÉTÉ DE GESTION – NOUVELLES OBLIGATIONS D. n° 2012-132, 30 janv. 2012, JO 31 janv. 3909 LOYER RENOUVELÉ – DÉPLAFONNEMENT – EXTENSION DE LA DESTINATION – MODIFICATION NOTABLE SOCIÉTÉS ET AUTRES GROUPEMENTS Cass. com., 31 janv. 2012, n° 10-24.715, P+B 6 BAIL COMMERCIAL – LIQUIDATION JUDICIAIRE – CLAUSE RÉSOLUTOIRE – DÉLAIS DE PAIEMENT D. n° 2012-67, 20 janv. 2012, JO 22 janv. 3919 Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires ACTUALITÉS INDEX CRÉDITS ET GARANTIES INTÉRÊT LÉGAL – TAUX – ANNÉE 2012 D. n° 2012-182, 7 févr. 2012, JO 8 févr. 3920 CAUTIONNEMENT – PERSONNE PHYSIQUE – MINIMUM DE RESSOURCES Cass. com., 31 janv. 2012, n° 10-28.236, P+B 3921 INSTRUMENTS DE PAIEMENT ET DE CRÉDIT 3922 INTERMÉDIAIRES EN OPÉRATIONS DE BANQUE ET EN SERVICES DE PAIEMENT – RÉGIME D. n° 2012-101, 26 janv. 2012, JO 28 janv. DROIT ÉCONOMIQUE 3923 RLDA DISTRIBUTION Cass. com., 31 janv. 2012, n° 11-11.071, P+B PUBLICITÉ EXTÉRIEURE – RÉFORME DE LA LOI GRENELLE II – DÉCRET D’APPLICATION D. n° 2012-118, 30 janv. 2012, JO 31 janv. D. n° 2012-146, 30 janv. 2012, JO 31 janv. 3924 3930 3931 CONSOMMATION PRATIQUE COMMERCIALE TROMPEUSE – DÉLÉGATION DE POUVOIRS – RESPONSABILITÉ PÉNALE – EXONÉRATION – SOLDES – LOI PÉNALE PLUS DOUCE – APPLICATION DANS LE TEMPS NON-CONTESTATION DES GRIEFS – PROGRAMME DE CONFORMITÉ – AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE Cass. crim., 24 janv. 2012, n° 11-84.045, P+B 3925 CONCURRENCE 3926 NON-CONTESTATION DES GRIEFS – PROGRAMME DE CONFORMITÉ – AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE Aut. conc., 10 févr. 2012, Communiqué de procédure relatif à la non-contestation des griefs ; Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires 3932 DÉMARCHAGE À DOMICILE – DÉLAI DE RÉFLEXION – INTERDICTION DE RECEVOIR UNE CONTREPARTIE – INTERPRÉTATION Cass. crim., 10 janv. 2012, n° 11-86.985, P+B AFFECTATION DU COMMERCE ENTRE ÉTATS MEMBRES – CARACTÈRE SENSIBLE – CRITÈRES D’APPLICATION Cass. com., 31 janv. 2012, nos 10-25.772, 10-25.775, 10-25.882, P 3929 LOI SUR LE PRIX DU LIVRE NUMÉRIQUE – INFRACTIONS – SANCTIONS – DÉFINITION AIDES D’ÉTAT – FINALITÉ RÉGIONALE – LIGNES DIRECTRICES – RÉVISION Aut. conc., 10 févr. 2012, Communiqué de procédure relatif à la non-contestation des griefs ; Aut. conc., 10 févr. 2012, Document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence 3928 CLAUSE DE NON-RÉAFFILIATION – LICÉITÉ – CONDITIONS – CONTREPARTIE FINANCIÈRE Éclairages Comm. UE, Consultation publique sur la révision des règles de l’Union européenne relatives aux aides d’État à finalité régionale, 24 janv. 2012 3927 RÈGLEMENT N° 1/2003 – ADHÉSION D’UN ÉTAT MEMBRE À L’UNION EUROPÉENNE – ENTENTE AYANT DÉBUTÉ AVANT L’ADHÉSION DE CET ÉTAT MEMBRE – LOI APPLICABLE – COMMISSION EUROPÉENNE – AUTORITÉ NATIONALE DE CONCURRENCE – DÉLIMITATION DES COMPÉTENCES CJUE, 14 févr. 2012, aff. C-17/10, Toshiba Corporation e.a. / Úřad pro ochranu hospodářské soutěže INTERMÉDIAIRES EN OPÉRATIONS DE BANQUE – CIF – AGENTS LIÉS – IMMATRICULATION D. n° 2012-100, 26 janv. 2012, JO 28 janv. Aut. conc., 10 févr. 2012, Document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence 3933 CRÉDIT À LA CONSOMMATION – DÉFAILLANCE DE L’EMPRUNTEUR – CAPITALISATION DES INTÉRÊTS – NON Cass. 1re civ., 9 févr. 2012, n° 11-14.605, P+B+I 3934 ÉTIQUETAGE DES DENRÉES ALIMENTAIRES – SANS OGM D. n° 2012-128, 30 janv. 2012, JO 31 janv. 3935 Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires NOMENCLATURE DES ARRÊTS DE LA COUR DE CASSATION D : arrêt diffusé ; P : arrêt publié au Bulletin mensuel de la Cour de cassation ; P+B : arrêt publié au Bulletin d’information de la Cour de cassation ; R : arrêt mentionné dans le Rapport annuel de la Cour de cassation ; I : arrêt publié sur le site Internet de la Cour de cassation N° 6 8 • MAR S 2012 • REVUE LAMY DROIT DES AFFAIRES 7 Tables des sources commentées Table alphabétique RLDA ACTION EN RÉUNION D’ACTIF Inconstitutionnalité 3914 EIRL Régime comptable et fiscal 3908 ACTIONNARIAT SALARIÉ Régime fiscal 3905 ÉTIQUETAGE DES DENRÉES ALIMENTAIRES Sans OGM 3935 AFFECTATION DU COMMERCE ENTRE ÉTATS MEMBRES Critères d’application 3926 FAILLITE INTERNATIONALE Extension de la procédure 3907 AIDES D’ÉTAT À FINALITÉ RÉGIONALE Révision INFORMATION PRIVILÉGIÉE 3916 3924 INTERDICTION DE GÉRER Dissimulation 3904 INTÉRÊT LÉGAL 3920 INTERMÉDIAIRES EN OPÉRATIONS DE BANQUE ET EN SERVICES DE PAIEMENT (IOBSP) Immatriculation Régime 3922 3923 JUGEMENT D’EXTENSION Compétence du juge français 3907 LOI PÉNALE PLUS DOUCE Application dans le temps 3932 BAIL COMMERCIAL Extension de la destination Procédure collective 3910 3906, 3909 BREVET Action en nullité d’un brevet européen Annulation des revendications 3912 3911 CAUTIONNEMENT Minimum de ressources Clause d’agrément 3921 3899 CLAUSE DE NON-RÉAFFILIATION Licéité (conditions) 3929 LOYER Déplafonnement COMITÉ D’ENTREPRISE Expert-comptable (Assistance) 3903 COMITÉ DES RÉMUNÉRATIONS 3919 CONCURRENCE Aides d’État à finalité régionale Affectation du commerce entre États membres Délimitation des compétences UE / États membres Détermination de la loi applicable Non-contestation des griefs Programmes de conformité 3924 3926 3928 3928 3925, 3927 3925, 3927 CONFUSION DES PATRIMOINES Jugement d’extension 3907 CONSEILLERS EN INVESTISSEMENTS FINANCIERS (CIF) Immatriculation 3922 CONTREFAÇON Autorité de la chose jugée CRÉDIT À LA CONSOMMATION Défaillance de l’emprunteur 3910 NON-CONTESTATION DES GRIEFS 3925, 3927 PRATIQUE ANTICONCURRENTIELLE Délimitation des compétences UE / États membres Détermination de la loi applicable 3928 3928 PRATIQUE COMMERCIALE TROMPEUSE Responsabilité pénale (exonération) 3932 PRIX DU LIVRE NUMÉRIQUE Infractions et sanctions (définition) 3931 3911 PROCÉDURE COLLECTIVE Action en réunion d’actif Bail commercial Extension de la procédure Omission volontaire de créances Règlement insolvabilité Voies de recours 3914 3906, 3909 3907 3913 3907 3915 3934 PROGRAMME DE CONFORMITÉ Droit de la concurrence 3925, 3927 DÉCLARATION DES CRÉANCES Relevé de forclusion 3913 PUBLICITÉ EXTÉRIEURE Loi Grenelle II 3930 DÉLÉGATION DE POUVOIRS Durée Responsabilité pénale (exonération) 3901 3932 QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ (QPC) Action en réunion d’actif 3914 RÈGLEMENT INSOLVABILITÉ Extension de la procédure 3907 DÉMARCHAGE À DOMICILE Interdiction de recevoir une contrepartie quelconque 3933 DÉTERMINATION DE LA LOI APPLICABLE Droit de l’Union européenne / droit national de la concurrence Loi pénale plus douce 3928 3932 DISSOLUTION DE LA SOCIÉTÉ Arrivée du terme 3900 Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires 8 RLDA R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • MAR S 2 0 12 • N ° 6 9 SOCIÉTÉS DE GESTION DE PORTEFEUILLE Critères ESG 3902, 3918 SOLDES 3932 VALEURS MOBILIÈRES Obligation d’inscription en compte 3917 Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires ACTUALITÉS TABLES Tables chronologiques Table chronologique des textes RLDA Textes officiels D. n° 2012-67, 20 janv. 2012, JO 22 janv. D. n° 2012-100, 26 janv. 2012, JO 28 janv. D. n° 2012-101, 26 janv. 2012, JO 28 janv. D. n° 2012-118, 30 janv. 2012, JO 31 janv. D. n° 2012-122, 30 janv. 2012, JO 31 janv. D. n° 2012-128, 30 janv. 2012, JO 31 janv. D. n° 2012-130, 30 janv. 2012, JO 31 janv. D. n° 2012-131, 30 janv. 2012, JO 31 janv. D. n° 2012-132, 30 janv. 2012, JO 31 janv. D. n° 2012-146, 30 janv. 2012, JO 31 janv. D. n° 2012-182, 7 févr. 2012, JO 8 févr. 3919 3922 3923 3930 3908 3935 3905 3905 3902, 3918 3931 3920 Autres textes Comm. UE, Consultation publique sur la révision des règles de l’Union européenne relatives aux aides d’État à finalité régionale, 24 janv. 2012 Communiqué Cons. const., 27 janv. 2012 Aut. conc., 10 févr. 2012, Communiqué de procédure relatif à la non-contestation des griefs ; Aut. conc., 10 févr. 2012, Document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence 3924 3917 3925, 3927 Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires Table chronologique de jurisprudence RLDA Cass. com., 6 déc. 2011, n° 10-25.689, P+B 3906, 3909 Cass. com., 13 déc. 2011, n° 10-28.337, P+B 3916 CJUE, 15 déc. 2011, aff. C-191/10, Rastelli Davide c/ Hidoux 3907 Cass. soc., 10 janv. 2012, n° 10-21.270, P+B 3903 Cass. com., 10 janv. 2012, n° 10-28.501, P+B 3913 Cass. crim., 10 janv. 2012, n° 11-86.985, P+B 3933 Cass. com., 17 janv. 2012, n° 09-17.212, P+B 3899 Cass. com., 17 janv. 2012, n° 10-24.811, P+B 3901 Cass. 3e civ., 18 janv. 2012, n° 11-10.072, P+B 3910 Cons. const., 19 janv. 2012, n° 2011-212, QPC 3914 Cass. crim., 24 janv. 2012, n° 11-84.045, P+B 3932 Cons. const., 27 janv. 2012, n° 2011-215, QPC 3917 Cass. com., 31 janv. 2012, n° 10-24.715, P+B 3900 Cass. com., 31 janv. 2012, nos 10-25.772, 10-25.775, 10-25.882, P 3926 Cass. com., 31 janv. 2012, n° 10-28.236, P+B 3921 Cass. com., 31 janv. 2012, n° 11-11.071, P+B 3929 Cass. com., 7 févr. 2012, n° 10-26.164, P+B+I 3915 Cass. com., 7 févr. 2012, n° 11-10.487, P+B 3904 Cass. 1re civ., 9 févr. 2012, n° 11-14.605, P+B+I 3934 Cass. com., 14 févr. 2012, n° 11-14.288, P+B 3912 CJUE, 14 févr. 2012, aff. C-17/10, 3928 Toshiba Corporation e.a. / Úřad pro ochranu hospodářské soutěže Cass. ass. plén., 17 févr. 2012, n° 10-24.282, P+B+R+I 3911 Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires N° 6 9 • MAR S 2012 • REVUE LAMY DROIT DES AFFAIRES 9 DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES Sous la direction scientifique de Jacques MESTRE, Professeur agrégé des Facultés de droit, Directeur du Centre de droit économique d’Aix-Marseille, et Dominique VELARDOCCHIO, Agrégée des Facultés de droit, Professeur à la Faculté de droit d’Aix- Marseille. PPar IIrina i PARACHKÉVOVA RLDA Professeur à l’Université Paris VIII CREDECO-GREDEG, CNRS UMR 6227 3899 Clause d’agrément et décision du conseil d’administration : interdiction de l’agrément conditionnel Par cet arrêt du 17 janvier 2012, la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte une précision utile sur les modalités d’octroi d’un agrément en cas de cession d’actions. Elle énonce que si une clause d’agrément est stipulée, l’agrément donné doit être pur et simple, de sorte que les conditions posées par l’organe social habilité à autoriser la cession sont réputées non écrites. Cass. com., 17 janv. 2012, n° 09-17.212, P+B L es spécialistes du droit des sociétés ne s’attendaient sûrement pas à apprendre encore quelque chose quant au régime des clauses d’agrément dans les sociétés anonymes. La question est largement connue, tant par les praticiens que par les universitaires, et fait l’objet de développements détaillés dans les ouvrages et les revues spécialisés. Voici pourtant un arrêt de la Cour de cassation publié au Bulletin, qui viendra enrichir utilement les enseignements relatifs à ce régime. Il y apporte, en effet, une précision importante : l’agrément donné par l’organe habilité doit être pur et simple ; il ne saurait être conditionnel. À la croisée des chemins du droit des sociétés et du droit des obligations, la décision atteste ainsi des limites de la liberté contractuelle en matière de procédure d’agrément. Les faits étaient, pour le moins, complexes. Une promesse d’achat d’actions fut stipulée par l’actionnaire majoritaire d’une société au profit d’un actionnaire minoritaire. Toutefois, ce dernier ne souhaita pas s’en prévaloir dans l’immédiat. Il préféra au préalable apporter ses actions au capital d’une société tierce, qu’il avait lui-même créée et dont il était l’associé unique et le gérant. Par application d’une clause statutaire d’agrément, le conseil d’administration de la société émettrice accorda son agrément à l’opération d’apport. Néanmoins, il soumit l’agrément à une double condition suspensive. La première était qu’un avenant à la promesse d’achat d’actions fût signé afin d’opérer une substitution de parties. La seconde condition était qu’un protocole d’accord fût conclu entre l’apporteur, la société émettrice et son actionnaire majoritaire, ayant pour objet le changement du contrôle de la société créée par l’apporteur. Quelque temps après, l’apporteur et sa société notifièrent au promettant la levée de l’option d’achat. Or, celui-ci refusa d’exécuter, au motif que n’étant plus actionnaire de la société émettrice, le bénéficiaire primitif de la promesse d’achat ne pouvait plus s’en prévaloir. De son côté, la société émettrice tint un tout autre discours. Elle indiqua aux demandeurs qu’en l’absence de régularisation des actes prévus à titre de condition suspensive, l’agrément était « réputé ne pas être intervenu ». 10 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 C’était donc la société nouvelle qui, d’après elle, se trouvait privée de la possibilité de se prévaloir de la promesse d’achat. Ensemble, l’apporteur et sa société assignèrent alors le promettant et la société émettrice en exécution forcée de la cession et en paiement du prix. Par une décision du 17 septembre 2009, la cour d’appel de Versailles les débouta de leurs demandes, au motif que faute d’accomplissement des conditions suspensives imposées par le conseil d’administration, l’apport des actions était nul. Pour les magistrats versaillais, tout comme il ne pouvait être dérogé au principe et aux modalités d’un agrément posés par une clause statutaire, il était impossible d’écarter les conditions posées par le conseil d’administration pour l’octroi et l’efficacité de l’agrément. Ils semblèrent en déduire ainsi, que seul l’apporteur avait la qualité d’actionnaire et pouvait bénéficier de la promesse d’achat d’actions. Un pourvoi en cassation fut aussitôt formé par l’apporteur et la société bénéficiaire de l’apport. À vrai dire, la tâche de la Cour de cassation n’était pas facile. La difficulté provenait de l’incohérence des comportements des protagonistes. L’on peut comprendre que la société émettrice ait été assignée en exécution de la vente en même temps que le promettant, en raison du rôle qu’elle joue dans le transfert de propriété des actions. Rien ne peut se faire, en effet, sans qu’elle procède à l’inscription en compte des actions (C. com., art. L. 228-1, al. 9 et R. 228-10). Mais pourquoi l’apporteur avait-il agi en exécution de la vente à la fois en son nom personnel et au nom de la société bénéficiaire de l’apport ? C’est à croire qu’un étrange amalgame était fait entre la personne morale et son associé unique… Puis, pourquoi le promettant et la société émettrice avaient-ils utilisé des arguments contradictoires pour aboutir finalement au même résultat, c’est-à-dire, neutraliser la promesse d’achat d’actions ? Le promettant déniait la qualité d’actionnaire à l’apporteur, alors que la société émettrice déniait cette même qualité à la société créée par l’apporteur. Enfin, en vertu de quoi l’apport au capital d’actions permet à la société qui le reçoit de se prévaloir de la promesse d’achat de ces actions faite au profit de l’apporteur ? Rien ne le justifie clairement en l’occurrence. En somme, toutes ces questions entre les dispositions impératives et supplétives de volonté restent en suspens. au sein de ces règles. Plus généralement, par son refus de la Pourtant, les Hauts Magistrats ne se laissent pas déstabiliser condition suspensive et par sa manière de la sanctionner, la et focalisent leur attention sur la question centrale posée dans Cour de cassation marque sa préférence pour la cohérence cette affaire : l’agrément donné par le conseil d’administration de la procédure d’agrément et pour l’efficacité économique peut-il être conditionnel ? Peut-il être suspendu à une condide la cession. tion ? Sans hésiter, ils répondent par la négative. La décision Concrètement, deux enseignements importants se dégagent de témoigne, d’ailleurs, de la capacité de la Cour de cassation la décision. D’une part, l’agrément doit être pur est simple (I). à rendre un arrêt de principe à partir de faits confus. Pour D’autre part, l’agrément conditionnel est réputé non écrit (II). elle, « si une clause d’agrément est stipulée, l’agrément d’un actionnaire [il faut sans doute comprendre “cessionnaire”] I. – L’EXIGENCE D’UN AGRÉMENT PUR ET SIMPLE doit être pur et simple de sorte que les conditions posées par l’organe social habilité à autoriser la cession sont réputées non Par cet arrêt, la Cour de cassation refuse catégoriquement que écrites ». L’arrêt de la cour d’appel encourt ainsi une cassation l’agrément accordé par l’organe habilité à autoriser la cession partielle pour violation de la loi, au visa des articles L. 228-23, puisse être conditionnel. Même si elles demeurent intimement alinéa 4 (depuis l’ordonnance n° 2009-80 du 22 janvier 2009, il s’agit de l’alinéa 5), liées, deux séries de raisons permettent de justifier un tel refus. Elles sont fondées respectivement sur le droit des sociétés (A) et L. 228-24 du Code de commerce. et le droit des obligations (B). La solution est aussi claire qu’importante. En lui-même, le contentieux autour de la clause d’agrément dans une société A. – Les raisons fondées sur le droit des sociétés anonyme paraît connu. Admise avec pragmatisme par le législateur dans les sociétés anonymes Sans aucun doute, la principale raison non cotées et sanctionnée depuis 1998 de ce refus tient à la nature impérative La question sous-jacente (L. n° 98-546, 2 juill. 1998) par la nullité de des articles L. 228-23, alinéa 4 (actuel 5) et à l’arrêt est capitale. la cession (C. com., art. L. 228-23, dernier al.), L. 228-24 du Code de commerce (cf. égacette clause vient restreindre la libre lement en ce sens, Mpindi I. D., obs. sous l’arrêt rapporté, Il y va de l’efficacité de cessibilité des actions, afin de stabiliActualité du droit 30 janv. 2012, <http://actualitesdudroit. l’agrément et de la cession ser l’actionnariat de contrôle. Au fur lamy.fr>, également dans RLDA 2012/68, n° 3855, Lienenvisagée. et à mesure des décisions de justice hard A., obs. sous l’arrêt rapporté, D. 2012, p. 279). Le et des retouches législatives (notamment, principe n’est pas expressément énoncé dans l’arrêt, mais il est sous-jacent à la solution. En atteste de Ord. n° 2004-604, 24 juin 2004), son régime s’est considérablement façon éloquente la cassation pour violation de la loi au visa stabilisé. À cet égard, l’arrêt rapporté vient confirmer que le des textes précités. domaine d’application de la clause comprend bien l’apport En soi, l’affirmation n’est pas nouvelle. Si le texte ne le prédes actions au capital d’une société tierce (cf. par ex., Cass. com., 21 cise pas, l’on s’accorde ainsi sur le caractère d’ordre public janv. 1970, n° 68-11.085, Bull. civ. IV, n° 28, JCP G 1970, II, n° 16541, note Oppetit B.), de l’article L. 223-24 prévoyant la procédure applicable en au-delà de la cession au sens strict du terme. Mais l’originalité présence d’une clause d’agrément (comp. C. com., art. L. 223-14 pour incontestable de la décision est d’apporter un éclairage sur la procédure d’agrément du point de vue du droit des obligations. la SARL). D’ailleurs, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion La question sous-jacente à l’arrêt est capitale. Il y va de l’effid’affirmer dans le passé que ce texte était impératif (Cass. com., cacité de l’agrément et de la cession envisagée. Un agrément 8 avr. 2008, n° 06-18.362, Bull. civ. IV, n° 85, D. 2008, p. 1207, obs. Lienhard A., JCP E conditionnel menace, en effet, de remettre en cause la déci2008, n° 1950, obs. Schiller S., RJDA 2008/7, n° 809 : « Le caractère impératif des dispositions sion d’agrément et la cession tout entière. Or, curieusement, de l’article L. 228-24 du Code de commerce ne permet pas d’y déroger par convention, en cette question n’est guère évoquée et la Cour de cassation prévoyant un mode de prorogation du délai imparti pour la réalisation de la cession, après ne l’a jamais traitée jusqu’ici, à notre connaissance. Sans refus d’agrément, autre que la prorogation judiciaire prévue à l’alinéa 3 de cet article »). doute, parce qu’elle a quelque chose d’incongru. L’on conçoit Le dernier alinéa de l’article L. 228-23 porte, quant à lui, sur difficilement qu’un agrément soit conditionnel en pratique. la sanction de la clause d’agrément. Sa nature impérative est Toutefois, la présente espèce révèle que la question est loin sous-entendue dans la sanction-même qu’il renferme (cf. Besnard d’être excentrique et la solution loin d’être évidente. En tout Goudet R., Clauses statutaires d’agrément, de préemption et d’exclusion dans les sociétés cas, l’on comprend que cet arrêt soit publié au Bulletin et par actions, J-Cl. Sociétés Traité, Fasc. 1792, spéc. n° 34). Aucune cession ne destiné ainsi à une large diffusion. peut être faite en violation d’une clause d’agrément statutaire, En théorie, la stipulation d’une condition suspensive (C. civ., sous peine de nullité de la cession. Pareille approche pourrait surprendre s’agissant d’une obliart. 1181) dans une décision d’agrément ne peut être écartée d’ofgation d’agrément d’origine statutaire et non légale. Mais elle fice. La condition suspensive est couramment utilisée en droit traduit bien les objectifs contraires visés par le législateur à des sociétés. Une telle stipulation est notamment fréquente travers le régime de la clause d’agrément. Il s’agit tout à la fois à l’occasion de la cession de droits sociaux (cf. Memento Lefebvre d’assurer l’efficacité de la procédure et de l’encadrer ; de lui Sociétés commerciales, 2012, nos 16000 et s.). En particulier, l’obtention donner son plein effet et de sauvegarder, autant que faire se de l’agrément de la société est souvent érigée en condition peut, le principe de libre cessibilité des actions. Et précisément, suspensive de la réalisation de la cession (cf. Couret A. et Perrier C., parce que ces dispositions impératives constituent une entrave Les effets d’une clause d’agrément érigée en condition suspensive, Bull. Joly Sociétés 1999, à la libre cessibilité des actions, elles doivent être interprétées p. 523). Il n’était pas ainsi impossible d’imaginer une condition restrictivement. La possibilité d’un agrément conditionnel suspensive affectant la décision d’agrément elle-même. n’étant pas légalement prévue, il en résulte pour la Cour de Néanmoins, à juste titre, les Hauts Conseillers refusent de cassation, que l’agrément donné par la société doit être pur donner effet à un agrément conditionnel. Ils font en cela, et simple. Soit elle doit le refuser, soit elle doit l’accorder. Le une lecture fine et pertinente des règles régissant la clause principe posé est général et implique l’interdiction de toute > d’agrément. L’arrêt permet notamment de tracer une frontière N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES 11 C L A U S E D ’ A G R É M E N T E T D É C I S I O N D U C O N S E I L D ’ A D M I N I S T R AT I O N : I N T E R D I C T I O N D E L’ A G R É M E N T C O N D I T I O N N E L condition, suspensive ou résolutoire, quel que soit l’organe habilité à décider l’agrément. L’exigence est alors à rapprocher de celle d’un agrément global. En effet, les spécialistes estiment pour les mêmes raisons, que l’agrément ne saurait être partiel et doit concerner la totalité des actions dont le transfert est envisagé (cf. en ce sens, Memento Lefebvre Sociétés commerciales, 2012, n° 68533). Du reste, si la solution concerne la seule société anonyme, sa logique fondée sur la nature impérative des textes la rend transposable à toute procédure d’agrément légalement encadrée et dotée d’une valeur impérative. Elle a ainsi vocation à s’appliquer à la procédure d’agrément prévue dans la SARL (C. com., art. L. 223-14), voire dans les sociétés de personnes (C. com., art. L. 221-13 pour la SNC ; C. civ., art. 1861 pour la société civile). En revanche, l’interdiction ne devrait pas s’appliquer en présence d’un pacte extrastatutaire d’agrément, car ici la loi ne réglemente en rien la procédure applicable. Cependant, une question mérite d’être posée au sujet de la clause statutaire d’agrément. La décision rapportée se réfère à la décision d’agrément, « si une clause d’agrément est stipulée ». Une lecture restrictive est alors envisageable, laissant entendre que l’interdiction de poser des conditions s’adresse au seul organe habilité à autoriser la cession. Mais l’interdiction vaut-elle également pour la clause statutaire elle-même ? Peut-on envisager que les statuts prévoient directement la possibilité d’un agrément conditionnel ? La question est d’autant plus légitime, que la solution se fonde, entre autres, sur le dernier alinéa de l’article L. 228-23, relatif à la sanction de la méconnaissance de la clause d’agrément. S’interroger sur ce point revient à faire la part des dispositions impératives et supplétives de volonté dans le régime de la clause d’agrément. Au fond, les articles L. 228-23 et L. 228-24 procèdent d’une subtile répartition des règles édictées par la loi et par les statuts. L’on sait notamment que les statuts peuvent étendre l’application de la clause d’agrément à des opérations qui ne sont pas normalement prévues par la loi. Tel est le cas des fusions et généralement, du transfert de titres réalisé lors d’une transmission universelle de patrimoine, ou encore, du changement de contrôle d’un actionnaire-personne morale (cf. en ce sens, Cozian M., Viandier A., Deboissy F., Droit des sociétés, LexisNexis, 2011, 24e éd., n° 750). En outre, ce sont les statuts qui déterminent l’organe social compétent pour accorder l’agrément (cf. sur cette question, Memento Lefebvre Sociétés commerciales, 2012, n° 68533 ; Jadaud B., Qui décide de l’agrément à la cession d’actions ?, JCP E 2001, p. 1946 ; Schiller S., Pactes d’actionnaires, Rép. Droit des sociétés Dalloz, spéc. n° 34). À titre d’exemple, le conseil d’administration, le conseil de surveillance, le directoire, le directeur général ou l’assemblée des actionnaires peuvent être désignés pour se prononcer sur l’agrément. Or, même si elles sont prévues par les statuts et non directement par la loi, de telles dispositions n’en justifient pas moins la nullité d’une cession qui ne les respecte pas. Pourquoi ne pas envisager alors que la clause statutaire réserve également la possibilité d’un agrément conditionnel ? Pourtant, si séduisante qu’elle puisse paraître, cette analyse ne saurait être admise. En effet, si certaines modalités de la procédure d’agrément restent aménageables par la clause statutaire, tel ne semble pas être le cas de la décision même d’agrément. Témoigne en ce sens la lettre de l’article L. 22824 du Code de commerce. Son alinéa 2 prévoit notamment les démarches à suivre « si la société n’agrée pas le cessionnaire… », ce qui ne laisse guère de place pour un agrément conditionnel (cf. en ce sens, Lienhard A, obs. préc. sous l’arrêt rapporté). Si bien que l’exigence d’un agrément pur et simple doit recevoir une lecture large. Tant l’organe habilité à agréer la cession que la 12 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 clause statutaire elle-même doivent s’abstenir de poser une quelconque condition à l’agrément. À la suite du droit des sociétés, le droit des obligations conforte cette lecture. B. – Les raisons fondées sur le droit des obligations La seconde raison qui justifie l’exigence d’un agrément pur et simple peut être recherchée sur le strict terrain du droit des obligations. En théorie, tout acte juridique devrait pouvoir être conditionnel. Stipuler une condition relève en soi de la liberté contractuelle. Or, il est des situations dans lesquelles le bon sens, l’intérêt général ou même l’intérêt des parties ou des tiers demandent une issue nette (cf. en ce sens, Taisne J.-J., Contrats et obligations – Obligations conditionnelles – Mécanisme de la condition, J.-Cl. Civil, Fasc. Unique, spéc. nos 19 et s.). La condition est alors trop dangereuse. D’ailleurs, de telles situations se rencontrent surtout lorsque l’acte se situe en dehors d’une relation contractuelle ou du moins, lorsqu’il relève d’un contrat particulier. Ainsi des actes publics. Peut-on imaginer, par exemple, que la nomination d’un fonctionnaire ou qu’un jugement soient conditionnels ? De même, la condition n’est pas admise en matière d’adoption, de mariage ou d’option successorale. Même le droit des sociétés connaît de telles situations. L’on songe ici à une jurisprudence ancienne interdisant la souscription conditionnelle d’actions (T. com. Lyon, 28 févr. 1944, Journ. sociétés 1945, p. 115 ; CA Rouen, 21 juin 1957, D. 1957, p. 628, S. 1958, p. 53, Rev. sociétés 1957, p. 405). Le danger est trop important pour la société elle-même et pour les tiers, car une incertitude frappant le capital social peut les priver, l’une de financement, les autres de leur « gage général » (cf. Ripert G. et Roblot R., Traité de droit commercial, par Germain M., t. I, vol. 2, 18e éd., 2002, n° 1428). L’arrêt commenté s’inscrit dans la lignée de ces interdictions de l’acte conditionnel. La décision d’agrément se rapproche d’abord de ces situations par sa singularité. À l’inverse de la clause d’agrément qui est d’origine statutaire et donc, contractuelle, l’octroi même de l’agrément n’est pas de nature contractuelle. Il s’apparente ainsi à ces actes juridiques qui tolèrent difficilement la condition. Ensuite, un agrément conditionnel provoquerait un danger bien trop important pour les parties à la cession. Le scénario est aisé à imaginer. L’on tient de l’article 1181 du Code civil, que la condition est un événement futur, incertain et aléatoire, dont la réalisation ou la non-réalisation affecte l’existence même de l’obligation (cf. par ex., Fabre-Magnan M., Droit des obligations, 1. Contrat et engagement unilatéral, Thémis-PUF, 2008, spéc. n° 71). Dès lors, en cas de défaillance de la condition, l’agrément deviendrait caduc (cf. sur la caducité de l’obligation en tant que conséquence de la défaillance de la condition, Cass. 3e civ., 14 oct. 2009, n° 08-20.152, Bull. civ. III, n° 223), comme le prétendait ici la société émettrice. Voilà qui risque de compromettre tout à la fois la cession envisagée et la procédure d’agrément que l’on croyait acquise. En outre, l’on peine à imaginer l’articulation d’un agrément conditionnel avec le reste de la procédure. Y aurait-il une équivalence entre l’agrément devenu caduc et le refus d’agrément ? Puis, à supposer que ce soit le cas, à partir de quelle date faudrait-il estimer que la condition est défaillante et qu’il y a donc refus d’agrément ? Les choses seraient particulièrement délicates à apprécier lorsque comme en l’espèce, aucun délai n’a été fixé pour la réalisation de l’évènement. À l’évidence, de telles incertitudes seraient gravement préjudiciables à la sécurité juridique et menaceraient de façon intolérable la liberté pour un actionnaire de céder ses actions (cf. déjà, au sujet des inconvénients de la cession de droits sociaux soumise à la condition suspensive d’un agrément, Couret A. et Perrier C., Les effets d’une clause d’agrément érigée en condition suspensive, art. préc.). Et en filigrane, le principe de l’estoppel n’est pas loin (cf. récemment, Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-22.888, D. 2011, p. 2345, obs. Delpech X.). En stipulant une condition, l’organe qui accorde l’agrément risque de se contredire au détriment des intérêts des parties. Il s’agit donc d’une solution pertinente au plan du droit des obligations, indépendamment de la nature impérative des textes relatifs à la clause d’agrément. À tel point que l’on aimerait la voir consacrée pour toute procédure d’agrément, même prévue par acte extrastatutaire. Il reste à préciser la sanction de l’agrément conditionnel, chose que la Cour de cassation fait également avec beaucoup de bon sens. permet à la fois de sanctionner l’agrément conditionnel et de rétablir la cohérence de la décision. En effet, le réputé non écrit est un mode extra-judiciaire de sauvetage du contrat, qui constitue une alternative judicieuse à la nullité, même partielle. Cette sanction permet de priver une clause irrégulière de sa force obligatoire, mais en même temps, de laisser le reste de l’acte intact (Gaudemet S., La clause réputée non écrite, op. cit., spéc. nos 3 et s.). La sanction marque ainsi une nette faveur pour l’efficacité de l’opération. Elle se démarque aussi, par l’originalité de ses fondements. Il a été démontré qu’en droit des contrats, la clause réputée non écrite avait une double fonction. Sa principale fonction est d’assurer une police de cohérence des obligations contractuelles. Mais elle a aussi une fonction latente de police des valeurs de l’ordre social, c’est-à-dire, des valeurs que la II. – LA SANCTION DE L’AGRÉMENT CONDITIONNEL loi ou le juge tiennent pour essentielles (Gaudemet S., La clause réputée Non sans audace, la Cour de cassation énonce dans cet arrêt non écrite, op. cit., spéc. nos 488 et s. et 549 et s.). que les conditions posées dans la décision d’agrément sont Voilà qui concorde parfaitement avec l’hypothèse d’un réputées non écrites. Elle opte en cela pour une sanction agrément conditionnel. En sauvant la décision d’agrément pertinente et originale (A), mais dont il convient d’apprécier et en réputant non écrites les conditions posées par le les conséquences en l’espèce (B). conseil d’administration, la Cour de cassation ne fait que rétablir la cohérence de la procédure A. – La pertinence de la d’agrément et de l’opération envisaLa Cour de cassation sanction du réputé non écrit gée. Au-delà, elle se fait ici gardienne se fait ici gardienne du principe de la libre cessibilité des Le « réputé non écrit » est une sancactions, qui en ressort conforté. Le tion originale dont l’emploi ne cesse du principe de la libre résultat est alors des plus efficaces : de croître, en législation comme en cessibilité des actions, l’agrément est accordé et la cession est jurisprudence (cf. Préface Lequette Y. in Gaudequi en ressort conforté. irréversible sans que rien ne puisse la met S., La clause réputée non écrite, Economica, 2006). remettre en cause. Bien souvent ces dernières années, le L’on ne peut qu’approuver cette préférence des Hauts juge y fait recours en dehors des prévisions légales (cf. par ex., Magistrats pour la cohérence et l’efficacité de l’acte. la jurisprudence « Chronopost », à commencer par Cass. com., 22 oct. 1996, n° 93-18.632, La solution est, d’ailleurs, à rapprocher de celle que la Bull. civ. IV, n° 261. Cf également, Mazeaud D., Les clauses limitatives de réparation : jurisprudence a appliquée au sujet de la souscription les quatre saisons, D. 2008, p. 1776). Le réputé non écrit est utilisé conditionnelle du capital (CA Paris, 9 mai 1868, DP 1868, II, p. 173 ; notamment dans le but de « sauver le contrat », lorsqu’une seule de ses clauses est irrégulière. Le contrat de société luiT. com. Lyon, 28 févr. 1944, préc. ; CA Rouen, 21 juin 1957, préc.). Déjà à même connaît cette sanction en matière de clauses léonines l’époque, le pragmatisme des magistrats l’avait emporté (C. civ., art. 1844-1, al. 2). en choisissant de réputer la condition non écrite, plutôt que d’annuler l’opération de souscription. Au premier abord cependant, la démarche pourrait surprendre Une seule chose interpelle dans la présente décision. C’est la les spécialistes du droit des sociétés, s’agissant d’une décision portée de cette sanction en l’espèce. d’agrément. Et il est vrai qu’en l’espèce, la sanction aurait pu être différente. Rien n’empêchait la Cour de cassation de B. – Les conséquences de la sanction en l’espèce considérer que l’agrément conditionnel équivalait plutôt à un refus d’agrément (cf. en ce sens, Lienhard A., obs. préc. sous l’arrêt commenté). Dans la présente affaire, le fait de réputer non écrites les conditions posées par le conseil d’administration, revenait Pire encore, l’on peut légitimement avancer qu’un agrément à rendre le transfert d’actions effectif, et donc, à reconnaître conditionnel devrait être sanctionné par la nullité de la déla qualité d’actionnaire de la société ayant reçu l’apport. cision d’agrément. La nullité n’est-elle pas, dans les sociétés Mais au-delà, l’enjeu était de savoir si cette société pouvait commerciales, la sanction naturelle des actes et délibérations bénéficier d’une promesse d’achat d’actions faite au profit de non modificatifs des statuts qui méconnaissent une règle impél’apporteur. Or, un tel résultat ne va pas de soi. La difficulté rative du droit des sociétés (C. com., art. L. 235-1, al. 2) ? Si l’agrément provient de l’effet relatif des conventions (C. civ., art. 1165), qui conditionnel heurte les règles impératives régissant la clause d’agrément, la décision du conseil d’administration devrait, empêche la transmission automatique du contrat aux ayants ainsi, encourir la nullité. cause à titre particulier. L’affirmation est vraie même pour Le problème provient des effets néfastes d’une telle aples contrats conclus intuitu rei, c’est-à-dire, en considération proche. Admettre qu’un agrément conditionnel équivaut de la chose (cf. Fabre-Magnan M., Droit des obligations, 1. Contrat et engagement à un refus d’agrément ou constitue une cause de nullité de unilatéral, op. cit., n° 200). la décision d’agrément, reviendrait à interdire le transfert La jurisprudence est constante en ce sens. Certes, une cour des titres et valider ainsi le résultat voulu à travers la stid’appel a pu se prévaloir récemment de l’article 1692 du pulation d’une condition. De la simple cession d’actions à Code civil, pour affirmer qu’un pacte d’actionnaires était la fusion (cf. par ex., sur la possible application de la clause d’agrément en cas de l’accessoire des actions et se transmettait en même temps qu’elles (CA Versailles, 14e ch., 27 juill. 2010, nos RG : 10/00559, 10/02776, fusion, Cass. com., 6 mai 2003, n° 01-12.567, Bull civ. IV, n° 70, JCP E 2003, n° 1327, note Cohen D.), l’opération économique soumise à l’agrément 10/02777, Sté Esterra c/ SA Sita France, Rev. sociétés 2011, p. 90, note Couret A.). se trouverait alors ruinée. Néanmoins, le raisonnement a été implicitement censuré Si bien qu’à la réflexion, la sanction du réputé non écrit est ici par la Cour de cassation (Cass. com., 24 mai 2011, n° 10-24.869, D. 2011, celle qui convient le mieux. Elle a ceci de particulier, qu’elle p. 2315 : « [la cour d’appel] (…) a souverainement estimé, abstraction faite du motif > N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES 13 C L A U S E D ’ A G R É M E N T E T D É C I S I O N D U C O N S E I L D ’ A D M I N I S T R AT I O N : I N T E R D I C T I O N D E L’ A G R É M E N T C O N D I T I O N N E L erroné mais surabondant critiqué par la première branche, que [la société cessionnaire] (…) justifiait d’un intérêt à agir »). D’ailleurs, cette censure rappelle la position de la Haute Cour quant à la circulation des clauses de garantie de passif, ou du moins, des clauses de révision de prix. Pour elle, de telles clauses ont une nature strictement personnelle et ne profitent pas, sauf stipulation pour autrui ou clause de substitution, à la société elle-même ou au sous-acquéreur (Cass. com., 11 mars 2008, n° 06-20.738, Lecuyer H. et Poracchia D., La circulation de la garantie de passif et la clause compromissoire, Dr. & patr. janv. 2008, p. 67). Ainsi également, du solde d’un compte-courant d’associé, qui n’est pas automatiquement transmis au cessionnaire (Cass. com., 7 janv. 1997, n° 94-21.876, RTD com. 1997, p. 273, obs. Champaud C. et Danet D.). La transmission de la promesse d’achat d’actions rappelle toutes ces hypothèses, et se conçoit difficilement en l’absence d’aménagement contractuel. En l’occurrence, rien n’indique qu’une clause de substitution ou autre aménagement aient été stipulés. Au contraire, la substitution des parties était l’une des conditions suspensives posées par la décision d’agrément du conseil d’administration. Au demeurant, la cassation n’est que partielle et porte uniquement sur l’agrément conditionnel. C’est dire que rien ne garantit que la cour d’appel de renvoi donnera gain de cause à la société bénéficiaire de l’apport quant à l’exécution forcée de la vente. Il va de soi que cela n’enlève rien à l’importance de la décision, qui constitue un arrêt de principe et fera date. ◆ Revue Lamy Droit des Affaires Au cœur du droit des affaires ! BULLETIN D’ABONNEMENT À retourner à l’adresse suivante : Wolters Kluwer France - Service Clients - Case Postale 402 1, rue Eugène et Armand Peugeot - 92856 Rueil-Malmaison cedex - www.wkf.fr Fax : 01 76 73 48 09 - Oui, je souhaite m’abonner à la Revue Lamy Droit des Affaires (réf. 00063) et je choisis : L’abonnement 2 ans au prix de 630 € HT (643,23 € TTC), et je bénéficie alors de 4 mois de lecture gratuite. 4 mois de lecture gratuite ! 2 ANS D’ABONNEMENT A_RLDA_1-10 Pour 630 € HT au lieu de 770 € HT Soit 4 mois de lecture gratuite ! Compris dans votre abonnement anuel 1 AN D’ABONNEMENT 379 € HT 11 numéros de la Revue Lamy Droit des Affaires 2 suppléments thématiques 1 cédérom archives actualisés Conditions de vente, informations et commandes : www.wkf.fr 14 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 L’abonnement 1 an au prix de 379 € HT (386,96 € TTC) Vous trouverez ci-joint mon règlement de _________________€ TTC par chèque à l’ordre de Wolters Kluwer France SAS, je recevrai une facture acquittée. Je réglerai à réception de la facture. Mme Mlle M. 002579 002 Nom : ___________________________________________________________________________ Prénom : ________________________________________________________________________ Fonction : ______________________________________________________________________ Établissement : ________________________________________________________________ Adresse : ________________________________________________________________________ ___________________________________________________________________________________ Code postal : Ville : ____________________________________________________________________________ Téléphone : Télécopie : E-mail : _________________________________________________________________________ N° Siret : Code NAF : Siège Établissement Nombre de salariés à mon adresse : _______________________________________ * TVA 2,10 %. Les tarifs indiqués sont valables au 01/01/2010 franco de port et d’emballage sous réserve d’une modification du taux de TVA applicable au moment de la commande. Pour tout envoi hors de France métropolitaine, une majoration est prévue sur le prix HT de 10 % pour l’Europe et les DOM-TOM, et de 20 % pour les autres pays. Ces tarifs correspondent à des abonnements d’un ou deux ans selon la durée choisie. Les abonnements sont automatiquement renouvelés à la fin de la dite période sauf avis contraire de votre part signalé 1 mois avant la date d’échéance. Date et Signature : La signature de ce bon de commande emporte adhésion des conditions générales de vente consultables sur le site www.wkf.fr Conformément à la loi du 6 janvier 1978, ces informations peuvent donner lieu à l’exercice d’un droit d’accès et de rectification auprès de Wolters Kluwer France SAS (cf adresse ci-dessus). Par Ildo D. MPINDI Secrétaire général de la Rédaction Lamy sociétés commerciales RLDA SOCIÉTÉS ET AUTRES GROUPEMENTS 3900 Dissolution de la société par arrivée du terme en l’absence de prorogation La chambre commerciale réaffirme la possibilité d’une prorogation tacite du terme extinctif pour une société en nom collectif. Cass. com., 31 janv. 2012, n° 10-24.715, P+B Cet arrêt, destiné à publication au Bulletin, est relativement important en ce qu’il confirme une jurisprudence ayant donné matière à hésitation en acceptant qu’une société puisse voir son terme implicitement prorogé. La chambre commerciale rappelle ainsi « qu’en l’absence de toute prorogation expresse ou tacite de sa durée, la [société est] dissoute par l’arrivée de son terme » (cf. également, Cass. com., 23 oct. 2007, n° 05-19.092, Bull. civ. IV, n° 224). Ce faisant, elle censure le raisonnement d’une cour d’appel, qui avait cru pouvoir interpréter l’article 1844-6 du Code civil (sur les modalités de la prorogation expresse) en ce sens que « si dans le principe, une société prend fin à l’expiration du temps pour lequel elle a été constituée, elle n’est effectivement dissoute que si les associés ont été convoqués, au moins un an avant le terme convenu et ont décidé expressément la dissolution ; (…) dans le cas contraire, la société conserve sa personnalité juridique, ses organes et sa capacité à ester en justice ». Cette analyse des juges du fond est invalidée par la Haute Juridiction sous le visa des articles 1134 et 1844-7 du Code civil ; la dissolution de la société ne saurait être subordonnée à la condition que ses associés aient pris la décision de la dissoudre. Partant, la Cour écarte la possibilité pour la société, parvenue à l’échéance de son terme, d’interjeter appel contre un jugement rendu en sa défaveur. Elle doit, pour ce faire, « être représentée par un liquidateur ». L’intérêt majeur de cet arrêt provient de ce qu’il admet la possibilité d’une prorogation tacite pour une société en nom collectif, laquelle jouit de la personnalité morale. Il convient en effet de rappeler que cette position jurisprudentielle, adoptée en 2007 par la chambre commerciale, l’avait été à propos d’une société en participation, dénuée de personnalité morale. Grande était alors la tentation de restreindre le domaine de la solution aux sociétés « non personnifiées » (cf. Saintourens B., Bull. Joly Sociétés 2008, p. 110 ; pour une interprétation encore plus restrictive, cf. Dondero B., Rev. sociétés 2008, p. 384). Or, cet arrêt semble témoigner en faveur d’un principe de portée générale, d’autant que la solution est réaffirmée sous le visa d’une disposition du droit commun des contrats (l’article 1134 du Code civil) et du droit commun des sociétés (l’article 1844-7 du Code civil). La solution ainsi confirmée n’en demeure pas moins source d’interrogations, en l’absence de précision sur ce qui serait susceptible de constituer une prorogation tacite. Quelle attitude des associés serait révélatrice de leur volonté tacite de continuer la société ? Sur ce point, les Hauts Magistrats demeurent silencieux. En outre, cette jurisprudence continue de poser un problème de cohérence avec la position de la première chambre civile, qui accepte de considérer que, lorsque les associés, après terme, persistent à se comporter comme associés, on se trouve en présence d’une société « devenue de fait » (Cass. 1re civ., 13 déc. 2005, 02-16.605, Bull. civ. I, n° 287). Or, comme le relève un auteur, « la reconnaissance d’une société devenue de fait postule la disparition de la société existant avant son terme, tandis que l’admission d’une prorogation tacite postule la survie de la société » et, donc, le maintien de sa personnalité morale (Lecuyer H., Dr. sociétés 2007, n° 210). Ainsi, la possibilité d’une prorogation tacite est-elle réaffirmée, sans que l’on puisse encore en mesurer toutes les implications. • OBSERVATIONS • Pour de plus amples développements sur cet arrêt, cf. RLDA 2012/70, à paraître. ➤ Lamy sociétés commerciales 2011, nos 545 et 1569 RLDA DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES ACTUALITÉS DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES 3901 Représentation de la société : durée de la délégation de pouvoirs Doit être cassé pour violation de la loi l’arrêt retenant, pour contester la validité d’une délégation de pouvoirs, que celle-ci n’était pas limitée dans le temps. Cass. com., 17 janv. 2012, n° 10-24.811, P+B Dans un attendu peu développé mais particulièrement net, la chambre commerciale vient rappeler que la délégation de pouvoirs, en l’occurrence celui d’agir en justice, peut être consentie sans limitation de durée. Elle énonce en effet « qu’aucune disposition n’exige que la délégation du pouvoir de représenter une société en justice soit donnée pour une durée déterminée ». Il était pour le moins difficile de suivre le raisonnement contraire soutenu par les juges du fond. Ces derniers avaient déclaré nulle l’opposition à l’ordonnance d’injonction de payer formée par le directeur administratif et financier d’une société anonyme au profit d’une autre société, contestant la validité de la délégation de pouvoirs dont il était investi. De fait, ils estimaient que si le représentant légal pouvait « accorder des délégations de pouvoirs au personnel d’encadrement, ces délégations [devaient] être limitées dans le temps et que, tel n’étant pas le cas de la délégation de pouvoirs produite au débat, celle-ci n’[était] pas valide ». La chambre commerciale ne suit pas cette analyse et confirme l’argument de la requérante, selon lequel la délégation de pouvoirs peut être permanente du moment qu’elle n’est pas irrévocable (cf. en ce sens : Cass. com., 15 mars 2005, n° 03-13.032, Bull. civ. IV, n° 64). Cette solution, donnée sous le visa des articles 1984 et 2003 du Code civil relatifs au mandat, et de l’article 117 du Code de procédure civile, sur les irrégularités de fond affectant la validité des actes, a manifestement une portée générale et vaut donc pour l’ensemble des sociétés et autres groupements voisins. • OBSERVATIONS • Sur cette question en général, cf. le numéro à paraître de la RLDA 2012/72, publiant les actes du colloque « La délégation de N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 15 RLDA ➤ Lamy sociétés commerciales 2011, n° 664 3902 Investissement socialement responsable : nouvelles obligations en matière de développement durable pour les sociétés de gestion 3903 Accès aux documents : précisions sur le droit de communication de l’expert-comptable mandaté par le comité d’entreprise Un décret précise les modalités d’information et de publication de la prise en compte des critères sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance dans la politique d’investissement des sociétés de gestion. La chambre sociale accepte d’inclure l’étude de la structure des rémunérations du personnel dans la mission de l’expert-comptable et confirme l’arrêt d’appel ayant ordonné à l’employeur de lui communiquer la déclaration annuelle de données sociales sous format électronique. D. n° 2012-132, 30 janv. 2012, JO 31 janv. Cass. soc., 10 janv. 2012, n° 10-21.270, P+B Visant à encourager le développement de l’investissement socialement responsable (ISR), ce nouveau dispositif réglementaire introduit un cadre de présentation obligatoire et normalisé de la politique d’ISR des sociétés de gestion. Ce texte est pris pour application de l’article L. 533-22-1 du Code monétaire et financier, qui prévoit que « les sociétés de gestion mettent à la disposition des souscripteurs de chacun des organismes de placement collectif en valeurs mobilières [OPCVM] qu’elles gèrent une information sur les modalités de prise en compte dans leur politique d’investissement des critères relatifs au respect d’objectifs sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance ». Aussi, le présent décret vient-il préciser la manière dont les sociétés de gestion de portefeuille doivent présenter l’information relative à la prise en compte de ces critères extra-financiers dans leur choix d’investissement, ainsi que les supports sur lesquels cette information doit figurer. D’après le nouvel article D. 533-16-1 du Code monétaire et financier, la société de gestion doit présenter sa démarche générale en matière d’ISR, eu égard au contenu, à la fréquence et aux moyens utilisés aux fins de l’information des investisseurs sur la prise en compte du développement durable dans ses choix d’investissement. Elle doit également fournir la liste des OPCVM qu’elle gère qui prennent simultanément en compte ces critères, ainsi que leur quote-part par rapport à l’ensemble du portefeuille d’OPCVM (C. mon. fin., art. D. 533-16-1, I, 1°). En outre, le décret précise le contenu de l’information, propre aux OPCVM, devant être diffusée, comme leur adhésion éventuelle à une charte, un code, ou l’obtention d’un label sur la prise en compte de critères de développement durable. Si ces critères ne sont pas pris en compte simultanément dans un OPCVM géré, la société de gestion a l’obligation de l’indiquer expressément (C. mon. fin., art. D. 533-16-1, I, 2° et 3°). Ces précisions seront apportées par la société de gestion dans les rapports annuels de chacun de ses OPCVM pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2012 et sur son site internet, avant le 1er juillet 2012, par OPCVM ou catégorie d’OPCVM (C. mon. fin., art. D. 533-16-1, II). 16 ACTEURS DE LA VIE SOCIÉTAIRE RLDA pouvoirs dans l'entreprise : nécessité et dangers » qui s'est tenu le 16 mars 2012 à la faculté de droit de Dijon. La solution posée par la Cour de cassation est du plus grand intérêt pour les comités d’entreprise eu égard au droit d’information dont ils disposent sur les questions relatives à la gestion de l’entreprise. Comme le prévoit l’article L. 2325-35 du Code du travail, « le comité d’entreprise peut se faire assister d’un expert-comptable de son choix » en vue de l’examen annuel des comptes. Sa mission « porte sur tous les éléments d’ordre économique, financier ou social nécessaires à la compréhension des comptes et à l’appréciation de la situation de l’entreprise » (C. trav., art. L. 2325-36). Elle n’est donc pas exclusivement comptable, ce qui garantit à l’expert désigné une large sphère de pouvoir d’investigation, au sein de laquelle il peut obtenir la communication de tous documents qu’il juge utiles (cf. Cass. soc., 18 nov. 2009, n° 08-16.260, Bull. civ. V, n° 259 ; Cass. soc., 21 févr. 1996, n° 93-16.474, Bull. civ. V, n° 62 ; Cass. soc., 8 nov. 1994, n° 92-11.443, Bull. civ. V, n° 298). À cet égard, l’arrêt commenté • OBSERVATIONS • Pour un autre commentaire, voir dans cette Revue, RLDA 2012/69, n° 3918. apporte deux séries de précisions. D’abord, s’agissant du périmètre d’action ouvert à l’expertcomptable, la chambre sociale considère que « l’étude de la structure des rémunérations destinée à fournir au comité des explications cohérentes sur la situation de l’entreprise », entre pleinement dans l’exercice de sa mission. Elle rejette l’argument avancé par l’employeur qui soutenait qu’une telle analyse n’était pas nécessaire à l’intelligence des comptes ni à l’appréciation de la situation de l’entreprise et juge que la cour d’appel a décidé à bon droit que « l’étude des charges du personnel et du système de rémunération permettait au comité d’appréhender les éléments d’ordre social nécessaires à l’examen de la masse salariale et à son évolution » (souligné par nos soins). Du reste, il importe peu que le comité ait cherché par ce moyen à remettre en cause la politique salariale de l’entreprise. Cette précision sur les pouvoirs de l’expert-comptable s’accompagne néanmoins d’une restriction. En effet, si l’expert désigné peut se voir confier l’analyse de la structure des rémunérations du personnel, il ne lui est pas admis le droit d’établir un rapport sur la situation comparée des hommes et des femmes dans l’entreprise. La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel pour avoir décidé qu’une telle analyse « n’entrait pas dans les prévisions des articles L. 2325-35 et L. 2325-36 » du Code du travail (sur le rapport de situation comparée présenté au comité d’entreprise par ➤ Lamy sociétés commerciales 2011, nos 118 et 5440 l’employeur, cf. les articles L. 2323-47 et L. 2323-57 du Code du travail ; cf. également Lamy sociétés commerciales 2011, n° 1434). R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 RLDA ➤ Lamy sociétés commerciales 2011, n° 1445 3904 Dissimulation d’une interdiction de gérer Justifie légalement sa décision la cour d’appel qui relève par une appréciation souveraine que la dissimulation par un dirigeant de fait de son interdiction de gérer constitue vis-à-vis de son cocontractant une réticence dolosive. Cass. com., 7 févr. 2012, n° 11-10.487, P+B Comme le précise cet arrêt de la chambre commerciale, le salarié d’une entreprise se comportant, dans les faits, en tant que dirigeant est tenu de révéler aux partenaires de la société avec qui il traite une interdiction de gérer. Le dissimuler, tout en exerçant des fonctions de responsabilité et en ayant un rôle essentiel vis-à-vis des tiers, est se rendre coupable de réticence dolosive. En l’espèce, un consultant financier avait conclu avec une société d’ingénierie un accord de service relatif à une augmentation de capital, aux termes duquel il s’engageait à assister ladite société dans la recherche de partenaires financiers, en contrepartie du versement d’une commission calculée sur toute somme investie par les candidats présentés par son entremise. Le consultant reprochait à la société de l’avoir trompé sur la situation de l’un de ses salariés, ce qui a conduit au retrait de l’un des investisseurs, et l’a ainsi amené à rechercher la responsabilité de cette société sur le fondement de l’article 1116 du Code civil. Le contentieux engagé pour réticence dolosive s’est soldé devant la cour d’appel par la reconnaissance de la responsabilité de la société et sa condamnation au paiement d’une certaine somme au consultant, au titre du préjudice résultant de la perte de chance et de son préjudice d’image. Les juges du fond ont considéré que la dissimulation par le salarié de sa condamnation à une interdiction de gérer, alors qu’il définissait la politique de la société, était « l’interlocuteur privilégié » du consultant « dans l’exécution du contrat » et intervenait « auprès des clients présentés par ce dernier », était « déloyale ». De fait, la découverte de cette condamnation, rendant illusoire l’acceptation d’une participation dans la société de la part de partenaires financiers, constituait « une perte de chance pour [le consultant] de réaliser l’objectif prévu et de percevoir une commission ». Au surplus, vis-à-vis de ses clients, la découverte des antécédents de ce salarié, « en totale contradiction avec la présentation qui leur en avait été faite » par le consultant, ne pouvait « qu’altérer leur confiance et crée pour celui-ci un déficit d’image », justifiant l’octroi de dommages et intérêts. Saisi d’un pourvoi, la Cour de cassation a confirmé cette analyse, considérant que la cour d’appel avait par une appréciation souveraine « fait ressortir que [le salarié en cause] n’était pas seulement un technicien mais l’un des deux dirigeants de la société ce dont résultait le caractère déterminant de la dissimulation reprochée à la société » (nous soulignons). Au reste, c’est à bon droit qu’elle a relevé que la dissimulation par ce dernier « de ses antécédents extrêmement graves cependant qu’il exerçait des fonctions de responsabilité au sein de la société (…) et qu’il avait un rôle essentiel vis-à-vis des tiers, était déloyale et constituait une réticence dolosive, ce dont il résultait que cette dissimulation était intentionnelle » (souligné par nos soins). ➤ Lamy sociétés commerciales 2011, nos 2624 et s. VALEURS MOBILIÈRES RLDA Par ailleurs, la chambre sociale se prononce sur les modalités de communication des documents à l’expert-comptable. À la question soulevée en l’espèce de savoir si la déclaration annuelle des données sociales pouvait lui être communiquée par voie électronique, il convient de répondre par l’affirmative. Pourtant, le doute était légitime si l’on se réfère à l’article L. 2325-37 du Code du travail qui dispose que « l’expertcomptable a accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes ». Or, sur ce point, le Code de commerce précise que les commissaires aux comptes « peuvent se faire communiquer sur place toutes les pièces qu’ils estiment utiles à l’exercice de leur mission » (C. com., art. L. 823-13 ; souligné par nos soins). On pouvait alors concevoir par analogie que cette disposition s’applique à l’expert-comptable et que ce dernier ne pourrait exiger de l’employeur qu’il les lui envoie. Pour la Cour de cassation, l’hésitation n’est pas permise. Elle approuve les juges du fond d’avoir relevé que « les dispositions de l’article L. 2325-37 du Code du travail ne font pas obstacle à la communication à l’expert-comptable de la déclaration annuelle des données sociales sous forme électronique ». ACTUALITÉS DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES 3905 Précisions sur les modalités déclaratives pour l’application du régime fiscal propre aux dispositifs d’actionnariat salarié Deux décrets aménagent les obligations déclaratives en matière d’options sur titres, d’attributions d’actions gratuites et de bons de souscription de parts de créateur d’entreprise. D. n° 2012-130, 30 janv. 2012, JO 31 janv. D. n° 2012-131, 30 janv. 2012, JO 31 janv. Le décret n° 2012-130, relatif aux obligations déclaratives en matière d’options de souscription ou d’achat d’actions (options sur titres ou « stock options »), s’applique aux déclarations souscrites à compter du 1er janvier 2013 concernant les levées d’options sur titres réalisées à partir du 1er janvier 2012. Il apporte des modifications ponctuelles à l’article 91 bis de l’annexe II au Code général des impôts sur les obligations déclaratives à la charge des entreprises et des bénéficiaires d’options, s’agissant notamment du contenu de l’état joint aux déclarations de revenus souscrites au titre de l’année de levée des options (CGI, ann. II, art. 91 bis, mod.). En outre, il précise que l’information de l’Administration fiscale par l’entreprise sera désormais assurée, sauf exceptions, par l’intermédiaire de la déclaration annuelle des salaires (DADS), ce qui « permettra une dématérialisation des échanges et facilitera le suivi du dispositif », selon les termes de la notice d’introduction du décret. Enfin, s’agissant des options levées avant le 1er janvier 2012, les obligations déclaratives existantes ne sont pas modifiées. > N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 17 Le second décret susvisé détermine quant à lui les nouvelles informations relatives aux options sur titres qui seront déclarées sur la DADS (cf. CGI, ann. III, art. 39, 2°, I), j) et k), insérés par D. n° 2012-131, 30 janv. 2012, art. 2). En outre, aux fins d’harmonisation, il fixe des obligations déclaratives similaires pour les actions gratuites (cf. CGI, ann. III, art. 38-0 septdecies, créé par D. n° 2012-131, 30 janv. 2012, art. 1er) et les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (cf. CGI, art. 41 V bis, modifié par D. n° 2012-131, 30 janv. 2012, art. 3). À l’instar du premier décret, ce texte est entré en vigueur le 1er février 2012. Il s’applique aux déclarations souscrites à compter du 1er janvier 2013 relatives aux options sur titres En bref… Précisions sur les dommages et intérêts alloués en réparation du préjudice résultant de la faute d’un époux dans la gestion des biens communs La première chambre civile précise que les agissements fautifs d’un époux, exploitant seul un fonds de commerce, ayant causé un dommage au patrimoine commun impliquent une responsabilité à l’égard de la communauté et non à l’égard du conjoint, en vertu de l’article 1421 du Code civil, selon lequel « [c]hacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer, sauf à répondre des fautes qu’il aurait commises dans sa gestion (…) ». En l’espèce, une ex-épouse avait assigné son ex-mari en paiement, soutenant qu’il avait commis une faute dans la gestion des biens communs en ayant trop tardé à déclarer l’état de cessation des paiements, laissant ainsi s’accroitre la dette solidairement souscrite pour financer l’acquisition d’un fonds de commerce. La Cour de cassation ne fait pas droit à sa demande, décidant que « la responsabilité d’un époux en raison de ses fautes de gestion ayant causé un dommage au 18 levées, aux actions gratuites définitivement acquises et aux bons de souscription de parts de créateur d’entreprise exercés à compter du 1er janvier 2012. Toutefois, pour les actions gratuites acquises au cours de l’année 2011, une procédure de régularisation est prévue. En effet, les bénéficiaires doivent joindre à leur déclaration de revenus souscrite au titre de l’année 2011 l’état individuel qui leur a été transmis, avant le 30 avril 2012. La société émettrice adresse, avant cette même échéance, une copie de cet état individuel au service des impôts dont elle relève (D. n° 2012-131, 30 janv. 2012, art. 4). ➤ Lamy sociétés commerciales 2011, nos 349, 4872 et 4891 patrimoine commun est engagée, sur le fondement de l’article 1421 du Code civil, envers la communauté et non envers son conjoint, de sorte que les dommagesintérêts alloués en réparation du préjudice constituent une créance commune et non une créance personnelle de ce conjoint ». Partant, « à les supposer fondées, les fautes de gestion alléguées par l’épouse ne pouvaient donner lieu à paiement de dommages-intérêts à son profit » (souligné par nos soins). Cass. 1re civ., 1er févr. 2012, n° 11-17.050, P+B+I Livre vert de la Commission sur les restructurations des entreprises et l’anticipation du changement en cette période de crise Dans le but d’identifier les pratiques et les politiques efficaces en matière de restructuration et d’adaptation au changement, la Commission a lancé le 17 janvier 2012 une consultation publique sur ce sujet. La réflexion qu’elle entend susciter sur les restructurations, qui sont pour elle « un facteur essentiel pour l’emploi et la compétitivité de l’économie européenne », sera utile, à ses yeux, « pour renforcer la capacité des entreprises et la main d’œuvre à s’adapter à un environnement économique qui évolue rapidement ». De fait, elle souhaite « renouveler les termes du débat à R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 la lumière des leçons de la crise économique, des profonds changements intervenus dans l’environnement économique et compétitif mondial, et des réformes structurelles actuellement en cours dans l’UE » (cf. notamment, la Communication « Examen annuel de la croissance 2012 », n° 815 final, 23 nov. 2011). La Commission invite les parties concernées (représentants des travailleurs, entreprises, autorités publiques et institutions de l’UE) à participer à ce processus de consultation et de débat, dont les résultats seront utilisés dans le futur « paquet emploi » et dans un nouveau débat au niveau européen sur un éventuel cadre pour les restructurations. Le Livre vert s’articule autour de plusieurs thèmes portant sur les enseignements de la crise, l’ajustement économique et industriel, l’adaptabilité des entreprises et l’employabilité des travailleurs, la création de synergies dans le processus de mutation industrielle et le rôle des autorités régionales et locales. Il est accompagné et étayé par le document de travail des services de la Commission, « Les restructurations en Europe 2011 » (n° 59 final, 17 janv. 2011), qui décrit l’impact de la crise économique et financière sur les marchés du travail et les réponses apportées par les diverses parties prenantes. Livre vert, n° 7 final, 17 janv. 2011 Communiqué Agenda/12/2, 17 janv. 2011 Sous la direction scientifique d’Aristide LÉVI, Ancien directeur du Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, Pierre GARBIT, Magistrat honoraire, ancien président du Tribunal de grande instance de Lyon, Jacques AZÉMA, Agrégé des Facultés de droit, Directeur honoraire du Centre Paul Roubier et Jean-Luc VALLENS, Docteur en droit, Magistrat, Professeur associé à l’Université de Strasbourg. Par Hubert b VERCKEN RLDA Avocat à la Cour 3906 L’article L. 145-41 du Code de commerce peut recevoir application à l’occasion d’une demande en résiliation du bail fondée sur les dispositions de l’article L. 622-14 du même Code ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE DROIT COMMERCIAL L’arrêt commenté s’inscrit dans une évolution jurisprudentielle de la Cour de cassation tendant à faire bénéficier le preneur en procédures collectives de la législation protectrice des baux commerciaux. Cass. com., 6 déc. 2011, n° 10-25.689, P+B L es faits étaient les suivants : une société commerciale en liquidation judiciaire ne payant plus ses loyers depuis plus de trois mois après l’ouverture de la procédure collective, le bailleur fait délivrer au liquidateur judiciaire un commandement visant la clause résolutoire, puis l’assigne en référé pour faire constater la résiliation du bail, en application de l’article L. 622-14, 2°, du Code de commerce. La cour d’appel ordonne la suspension des effets de la clause résolutoire, par application de l’article L. 145-41 du Code de commerce, pendant une durée de quatre mois à compter de la notification de l’arrêt, pour permettre au liquidateur de céder les éléments du fonds de commerce et notamment le bail. Le bailleur forme un pourvoi en considérant que l’article L. 145-41 du Code de commerce ne peut s’appliquer, les dispositions de l’article L. 622-14, alinéa 2, du Code de commerce dérogeant selon lui à l’article L. 145-41 du même Code, obligeant la juridiction saisie à constater la résiliation du bail, lorsque le délai de trois mois est écoulé. La Cour de cassation décide que les textes spécifiques applicables au bail commercial d’un preneur en procédure collective n’excluent pas le jeu de l’article L. 145-41 du Code de commerce : « Attendu (…) que l’article L. 622-14 du Code de commerce n’interdit pas au liquidateur de se prévaloir des dispositions de l’article L. 145- 41 du même Code et de solliciter des délais de paiement ainsi que la suspension des effets de la clause résolutoire tant que la résiliation du bail n’est pas constatée par une décision passée en force de chose jugée ». I. – LA CONSTATATION DE LA RÉSILIATION DU BAIL EN PROCÉDURE COLLECTIVE À L’INITIATIVE DU BAILLEUR Les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du Code de commerce, complétées par les articles R. 622-13 et R. 641-21, prévoient que le juge-commissaire constate, à la demande de tout intéressé, la résiliation de plein droit des immeubles affectés à l’activité de l’entreprise pour défaut de paiement des loyers et charges postérieurs au jugement d’ouverture, étant précisé que le bailleur ne peut mettre en œuvre cette procédure qu’au terme d’un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture. Cette demande est formée par simple requête du bailleur déposée au greffe du tribunal, lequel convoque le débiteur, le bailleur, ainsi que l’administrateur judiciaire, le mandataire ou le liquidateur pour une date d’audience. Le texte de l’article précise bien que le juge commissaire « constate », à la demande de tout intéressé, la résiliation du bail, ce qui signifie qu’il ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation même s’il a l’obligation d’organiser une audience contradictoire en présence des intéressés. Cependant, la chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt du 14 janvier 2004 (Cass. com., 14 janv. 2004, n° 02-15.939, Rev. loyers 2004/846, p. 216, note Gallet Ch.-H.) avait estimé que cette compétence du juge-commissaire n’excluait pas la compétence du juge des référés du tribunal de grande instance du lieu où se situe l’immeuble, pour faire constater la résiliation du bail. II. – LES QUESTIONS POSÉES ET LA SOLUTION ADOPTÉE PAR LA COUR DE CASSATION S’est posée alors la question de savoir si, devant le jugecommissaire ou devant le président du tribunal de grande instance statuant en référé, le bailleur devait se contenter de faire constater la résiliation du bail pour non paiement des loyers depuis trois mois ou, si le liquidateur pouvait se prévaloir des dispositions protectrices de l’article L. 145-41 du Code de commerce applicables aux baux commerciaux. En effet, les articles R. 622-13 et R. 641-12 ne font pas référence à cet article puisqu’il s’agit d’une résiliation de plein droit. Par un arrêt du 28 juin 2011, la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-19.331, Gaz. Pal. 7 et 8 oct. 2011, éd. spéc. Droit des entreprises en difficulté, p. 26, obs. Kenderian F.) a déjà amorcé sa jurisprudence protectrice des intérêts du preneur en procédure collective, en décidant que les dispositions de l’article L. 622-14 du Code de commerce ne dérogent pas aux dispositions de l’article L.145-41 du même Code prévoyant, en cas de clause résolutoire, la délivrance préalable et obligatoire d’un commandement de payer. Autrement dit, en application de cette jurisprudence, le bailleur, avant de faire constater la résiliation du bail pour non paiement des loyers et charges > N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 19 L’ A R T I C L E L . 14 5 - 41 D U C O D E D E C O M M E R C E P E U T R E C E V O I R A P P L I C AT I O N À L’ O C C A S I O N D ’ U N E D E M A N D E E N R É S I L I AT I O N D U B A I L F O N D É E S U R L E S D I S P O S I T I O N S D E L’ A R T I C L E L . 6 2 2 - 14 D U M Ê M E C O D E depuis trois mois à compter de l’ouverture de la procédure, doit, avant de saisir par voie de requête le juge-commissaire ou par voie d’assignation le président du tribunal de grande instance en référé, délivrer un commandement de payer puis attendre le délai d’un mois prévu par l’article L. 145-41 du Code de commerce. L’arrêt rendu le 6 décembre 2011 va encore plus loin dans la protection des intérêts du preneur puisque, malgré les dispositions de l’article 512 du Code de procédure civile qui prévoient que des délais de grâce ne peuvent être accordés à un débiteur en procédure collective, la Cour de cassation considère que le liquidateur judiciaire peut invoquer les dispositions de l’article L. 145-41 du Code de commerce et solliciter des délais de paiement en même temps que la suspension des effets de la clause résolutoire. poursuite et de résiliation du bail affecté à l’activité du preneur en procédure collective. Restait à définir, ce que ne fait pas l’ordonnance du 18 décembre 2008, les conditions procédurales de la mise en œuvre de cette procédure. Cet arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation, comme le précédent, en date du 28 juin 2011, amènera les praticiens à considérer qu’ils doivent, dans cette matière, respecter dans son intégralité la procédure de constatation de l’acquisition de la clause résolutoire d’un bail (délivrance d’un commandement, notification aux créanciers inscrits) avant de mettre en œuvre cette procédure, et qu’ils s’exposent cependant à une demande de délai formulée par les organes de la procédure pour pouvoir céder les éléments du fonds de commerce, dont le droit au bail. Cette solution qui ajoute encore à la Ainsi, au vu de cette jurisprudence, les Sauvegarder encore protection du preneur en difficulté, peut droits du preneur se trouvent encore davantage le potentiel laisser supposer que la Cour de cassation renforcés au détriment des droits du qui, par cet arrêt, a rendu compatibles et bailleur parfois qualifié de « paria des économique de l’entreprise complémentaires les dispositions de la faillites ». en difficulté, et plus loi sur la procédure de sauvegarde et les Sauvegarder encore davantage le poparticulièrement le bail dispositions législatives concernant les tentiel économique de l’entreprise en commercial, essentiel baux commerciaux, obligera le bailleur difficulté, et plus particulièrement le à sa survie et à la à dénoncer sa procédure aux créanciers bail commercial, essentiel à sa survie inscrits qui bénéficient d’un délai d’un et à la préservation de ses actifs, s’expréservation de ses actifs, mois pour se substituer au preneur déprime à travers cette jurisprudence de s’exprime à travers cette faillant. Il convient, à cet égard, d’attirer la chambre commerciale de la Cour de jurisprudence. l’attention des praticiens sur le fait que cassation qui accorde au preneur en ce n’est pas le commandement visant la procédure collective, non seulement clause résolutoire qui doit être dénoncé aux créanciers inscrits le bénéfice de la protection issue de la loi du 26 juillet 2005 mais l’assignation en référé. (L. n° 2005-845, 26 juill. 2005) et de l’ordonnance du 18 décembre 2008, mais aussi celle issue de l’article L. 145-41 du Code de Cet arrêt est également particulièrement significatif de la procommerce qui s’applique désormais que le preneur soit ou tection du preneur en procédure collective ; la Cour Suprême non « in bonis ». était saisie d’un moyen subsidiaire lié à la motivation retenue par la Cour d’appel d’Orléans pour suspendre les effets de la Au minimum, cette jurisprudence impliquant la délivrance d’un clause résolutoire. commandement préalable visant la clause résolutoire (arrêt du Le bailleur, pour échapper à l’application de l’article L.145-41 28 juin 2011) et donnant aux organes de la procédure collective du Code de commerce, prétendait, non sans raison, que ce le droit d’obtenir des délais et la suspension des effets de la texte est prévu pour permettre le paiement des loyers arriérés clause résolutoire, (arrêt du 6 décembre 2011) retarde encore et non pour céder le fonds de commerce. toute possibilité pour le bailleur de récupérer son bien. La Cour de cassation rejette ce moyen subsidiaire en faisant observer que si l’obtention de délai de grâce permet au liquiEn agissant avec célérité, il faut en effet respecter le délai dateur de céder le fonds, cette cession devrait avoir pour effet de trois mois de l’article L. 622-14, puis le délai d’un mois de désintéresser le bailleur. prévu par l’article L. 145-1 du Code de commerce, au titre du commandement, enfin dénoncer son assignation aux créanIl s’agit là d’une vision très optimiste de la Cour de cassation ciers inscrits qui, eux aussi, bénéficient d’un délai d’un mois car le privilège du bailleur passe après d’autres privilèges… pour s’acquitter de la dette locative. Ainsi le bailleur devra, C’est une nouvelle illustration du sort peu enviable du bailleur au minimum, patienter six mois avant d’espérer récupérer en cas de procédure collective. son bien, sauf si les organes de la procédure, constatant que la cession est impossible et qu’une aggravation de la dette locative pourrait mettre en cause leur propre responsabilité III. – CONCLUSION ne décident de faire application de l’article L. 622-14 du Code de commerce en notifiant au bailleur qu’ils n’entendent pas L’ordonnance du 18 décembre 2008 (Ord. n° 2008-1345, 18 déc. 2008) continuer le bail. ◆ avait apporté des clarifications au sujet des conditions de 20 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 Par Eugénie i AMRI Magistère juriste d’affaires / DJCE – Université Panthéon-Assas Master 2 Entreprises en difficulté – Université Panthéon-Sorbonne Et SSamii JEBBOUR L’incompatibilité du mécanisme d’extension de procédure collective pour cause de confusion des patrimoines avec le règlement n° 1346/2000 La Cour de justice de l’Union européenne acte dans un arrêt Rastelli, rendu en réponse aux questions préjudicielles posées par la Cour de cassation, l’incompatibilité du mécanisme français d’extension de procédure collective pour cause de confusion des patrimoines avec le règlement n° 1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, silencieux sur ce point. L’extension de procédure collective doit aux termes de cette décision être assimilée à l’ouverture d’une procédure principale d’insolvabilité, et ne peut en conséquence être prononcée que par une juridiction de l’État du lieu du centre des intérêts principaux de la société cible, par présomption fixé en son siège statutaire. ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE DROIT COMMERCIAL CJUE, 15 déc. 2011, aff. C-191/10, Rastelli Davide c/ Hidoux RLDA Magistère juriste d’affaires / DJCE – Université Panthéon-Assas LLM – University of Cambridge 3907 L e juge communautaire répond, dans cette décision promise à une large diffusion, aux interrogations de la Cour de cassation relatives à la compatibilité avec le règlement n° 1346/2000 (Règl. Cons. CE n° 1346/2000, 29 mai 2000) de l’extension par le juge français d’une procédure collective ouverte en France à une société dont le siège statutaire est situé dans un autre État membre (Cass. com., 13 avr. 2010, n° 09-12.642, Bull. civ. IV, n° 81, Rev. proc. coll. 2010, repère 4, obs. Menjucq M., Act. proc. coll. 2010, n° 139, D. 2010, p. 1115, obs. Orsini I., D. 2010, p. 1450, note Henry L.-C., Rev. sociétés 2010, p. 404, obs. Roussel Galle P., Rev. sociétés 2010, p. 592, note Mastrullo T., JCP E 2010, p. 1742, obs. Pétel P., JCP E 2010, p. 1833, obs. Menjucq M., Dict. perm. diff. entr., Bull. 315, p. 1, obs. Rémery J.-P., LEDEN juin 2010, p. 7, obs. Mélin F., Bull. Joly Sociétés 2010, p. 571, note Vallens J.-L., RJDA 2010, n° 9920). La question préjudicielle posée par la Haute Juridiction était double : (i) lorsque le juge d’un État membre a ouvert une procédure principale d’insolvabilité, le règlement s’oppose-il à l’application d’une règle de son droit national lui donnant compétence pour étendre cette procédure à une société dont le siège statutaire est fixé dans un autre État membre, et ce sur le seul fondement de la constatation de la confusion des patrimoines du débiteur et de cette société ; (ii) la Cour de cassation, anticipant une assimilation possible par le juge communautaire de l’action aux fins d’extension à l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, lui demandait ensuite si la démonstration que le centre des intérêts principaux de la société visée par l’action en extension est fixé dans l’État de la juridiction ayant ouvert la procédure initiale peut découler du seul constat de la confusion des patrimoines. Simples, d’« apparence banale » (Henry L.-C., préc.), les faits ayant donné lieu à cette question préjudicielle n’en ont pas moins abouti à une décision à la portée majeure du juge communautaire : le Tribunal de commerce de Marseille avait ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société Médiasucre. Le liquidateur avait alors assigné la société de droit italien Rastelli aux fins de lui voir étendre cette procédure pour cause de confusion des patrimoines. Le Tribunal s’était déclaré incompétent, sur le fondement de l’article 3 du règlement n° 1346/2000, et au motif que le siège statutaire de la société Rastelli était fixé en Italie et qu’elle ne disposait d’aucun établissement en France. La juridiction d’appel avait infirmé cette décision, estimant que la demande litigieuse ne tendait pas à l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la société Rastelli, mais à l’extension à celle-ci de la liquidation judiciaire de la société Médiasucre, extension qui relevait de l’article L. 621-2 du Code de commerce reconnaissant la compétence de la juridiction ayant ouvert la procédure initiale (CA Aix-en-Provence, 8e ch., sect. C, 12 févr. 2009, n° RG : 08/09883, Rev. crit. DIP 2009, p. 766, note Bureau D.). La société Rastelli s’était alors pourvue en cassation, arguant que l’extension de la procédure collective emportait à son égard les mêmes effets que l’ouverture d’une telle procédure, et ne pouvait en conséquence être prononcée, par application de l’article 3 du règlement, que par une juridiction de l’État où était fixé le centre de ses intérêts principaux, à savoir l’Italie. Les doutes existant sur la compatibilité avec le règlement n° 1346/2000 du mécanisme d’extension de procédure collective pour cause de confusion des patrimoines avaient alors amené la Haute Juridiction à solliciter l’avis du juge communautaire. La réponse apportée par ce dernier aboutit > N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 21 L’ I N C O M PAT I B I L I T É D U M É C A N I S M E D ’ E X T E N S I O N D E P R O C É D U R E C O L L E C T I V E P O U R C A U S E D E C O N F U S I O N D E S PAT R I M O I N E S A V E C L E R È G L E M E N T N ° 13 4 6 / 2 0 0 0 au constat de l’incompatibilité du mécanisme d’extension avec le règlement. Cette dernière résulte de la combinaison des deux solutions retenues par la décision commentée : l’assimilation de l’action en extension de procédure collective à l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité (I), associée au maintien de la présomption de localisation du centre des intérêts principaux de la société cible au lieu de son siège statutaire (II). préc. et Henry L.-C., préc.) avait rappelé que la loi française – qui régit la procédure collective initiale par application de cette disposition – prévoit que la compétence d’étendre une procédure collective appartient à la juridiction ayant procédé à son ouverture (C. com., art. L. 621-2, al. 2, applicable par renvoi I. – ASSIMILATION DE L’ACTION AUX FINS D’EXTENSION À L’OUVERTURE D’UNE PROCÉDURE D’INSOLVABILITÉ Cette compétence pouvait également s’inscrire dans le cadre de la jurisprudence Seagon de la Cour de justice des Communautés européennes dans laquelle cette dernière affirme que l’article 3 du règlement « attribue également une compétence internationale à l’État membre sur le territoire duquel a été ouverte la procédure d’insolvabilité pour connaître des actions qui dérivent directement de cette procédure et qui s’y insèrent étroitement » (CJUE, 12 févr. 2009, aff. C-339/07, Seagon, pt. 21). L’action en extension de procédure collective pour cause de confusion des patrimoines pouvait en effet s’analyser comme dérivant directement de la procédure initiale et ressortir en conséquence de la compétence du juge français. Devant le silence du règlement sur la question de l’action en extension de procédure collective, le juge communautaire a dû se prononcer en faveur de l’une des deux thèses relatives à sa nature (A), et a décidé de l’assimiler à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’insolvabilité (B). A. – Alternative offerte au juge communautaire 1. – Silence du règlement n° 1346/2000 L’action en extension de procédure collective pour cause de confusion des patrimoines, création prétorienne, a fait l’objet d’une jurisprudence abondante depuis sa création au début du XXe siècle. Le juge français a ainsi eu l’occasion d’identifier deux causes possibles de confusion des patrimoines : l’imbrication des patrimoines manifestée par une confusion des comptes (Tricot D., La confusion des patrimoines et les procédures collectives, Rapp. C. cass. 1997, p. 167) et les relations financières anormales – c’est-à-dire sans contrepartie (Cass. com., 5 févr. 2002, n° 98-20.369) –. Ce mécanisme n’a pourtant été consacré que tardivement par le législateur français (sur sa consécration en deux temps : Jacquemont A., Mais l’argument le plus original avancé au soutien de cette thèse était sans doute celui suivant lequel l’action en extension de procédure collective n’étant pas fondée sur l’insolvabilité du débiteur qui en fait l’objet – ce dernier pouvant indifféremment être in bonis ou insolvable (Cass. com., 3 nov. 1980, n° 79-11.968, Bull. civ. IV, n° 358) – mais sur la confusion de son patrimoine avec une société elle-même en procédure collective, elle échappait au champ d’application du règlement n° 1346/2000, limité aux termes de son article premier aux « procédures collectives fondées sur l’insolvabilité », et ne pouvait en conséquence lui être incompatible (Vallens J.-L., préc.). 2. – Action en extension : action dérivée ou ouverture de procédure d’insolvabilité La Cour de cassation avait clairement posé les termes du débat : « l’action aux fins d’extension pourrait, d’un côté, s’analyser comme une action en ouverture d’une procédure d’insolvabilité ou de l’autre, appartenir à la catégorie des actions qui dérivent directement de la procédure initiale et qui s’y insèrent étroitement » (Cass. com., 13 avr. 2010, préc.). La position soutenue par la société Rastelli était, à l’inverse, défavorable à l’efficacité du mécanisme français d’extension de procédure collective pour cause de confusion des patrimoines dans un cadre communautaire. Elle rappelait d’abord à raison que l’extension aurait à son égard les mêmes effets que l’ouverture d’une procédure collective et en concluait qu’elle ne pouvait être décidée, par application de l’article 3 du règlement, que par une juridiction du lieu du centre de ses intérêts principaux. Il est vrai que le droit français attache des effets très proches de ceux d’une ouverture de procédure collective à l’extension de procédure : soumission du débiteur à la procédure qui lui est étendue, fixation de sa cessation des paiements à la même date que celle du débiteur initial, et mise en commun de l’actif et du passif des deux entités (Pérochon F. et Bonhomme R., Entreprises en difficulté – Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 8e éd., 2009, p. 130). Deux thèses s’affrontaient ainsi, chacune d’entre elles s’appuyant tant sur le règlement que sur la jurisprudence rendue par le juge communautaire sur son fondement (pour une synthèse des arguments en présence : Orsini I., préc.). Le premier argument avancé en faveur de la compétence du juge de l’État d’ouverture d’une procédure initiale à l’étendre à une société dont le siège statutaire est sis au sein d’un autre État membre était le suivant : l’article 4 du règlement insolvabilité précise que « sauf disposition contraire (…), la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte ». La Cour de cassation, rejointe en cela par plusieurs auteurs (Mastrullo T., La rigueur de ces effets à l’égard de la société cible plaidait pour l’assimilation de l’extension avec l’ouverture d’une procédure collective. Cette assimilation admise, l’extension/ ouverture devait se conformer aux règles régissant l’ouverture des procédures d’insolvabilité au sein du règlement n° 1346/2000, c’est-à-dire la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur à ouvrir une procédure principale d’insolvabilité, le juge communautaire ayant dans l’arrêt Eurofood précisé que « dans le système de détermination de la compétence des juridictions des États membres mis en place par le règlement, il existe une compétence juridictionnelle propre pour chaque débiteur constituant une entité Sauvegarde, Redressement et Liquidation judiciaires – Exploitation en commun et confusion des patrimoines, J.-Cl. Procédures collectives, Fasc. 2165, mai 2006, n° 2). Il n’est dès lors pas étonnant que cette « action d’exception » (Henry L.-C., préc.) n’ait pas été envisagée par le législateur communautaire au sein du règlement insolvabilité. Ce silence, souligné par la Cour (pt. 14), explique l’importance de sa réponse aux questions préjudicielles de la Haute Juridiction. 22 des articles L. 631-7 et L. 641-1 du même Code aux procédures de redressement et de liquidation judiciaires), et ce, que la société cible soit française ou étrangère (sur ce point : RJDA 2010, préc.). R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 juridiquement distincte » (CJUE, 2 mai 2006, aff. C-341/04, Eurofood, pt. 30). Le droit français de la confusion des patrimoines n’ayant pas pour effet de faire disparaître la personnalité morale de la société cible (Cass. com., 30 juin 2009, n° 08-15.715), l’assimilation de l’extension à une ouverture de procédure d’insolvabilité aboutissait inévitablement à l’existence d’une compétence juridictionnelle différente pour la société objet de la procédure initiale et la société visée par l’extension. B. – Extension et ouverture de procédures collectives : effets similaires, régime identique p. 1510, obs. Legros J.-P.). Si l’extension s’assimile à une ouverture de procédure collective, cette ouverture entraîne l’application de l’article 3 tel que précisé par la jurisprudence Eurofood aux termes de laquelle « il existe une compétence juridictionnelle propre pour chaque débiteur constituant une entité juridiquement distincte ». Il nous apparaît en conséquence qu’il devrait exister dans cette hypothèse une compétence juridictionnelle unique permettant – sous réserve évidemment que le centre des intérêts principaux de l’entité composée du maître de l’affaire et de la société fictive se trouve bien en France (voir infra., une telle démonstration ne semble possible que dans l’hypothèse où le maître de l’affaire se situe en France) –, aux juridictions françaises d’étendre une procédure collective à une société située dans un autre État membre (cf. cependant, dans le sens de l’incompétence du juge 1. – Invalidation du modèle français La Cour tranche cette question en assimilant l’action aux fins d’extension à une action en ouverture de procédure d’insolvabilité, et tire les conséquences d’une telle assimilation : il français à prononcer cette fictivité : CJUE, 15 décembre 2011, aff. C-191/10, Rastelli, Act. existe une compétence juridictionnelle différente pour chacune proc. coll. 2012, n° 17, obs. Vallansan J.). des deux sociétés. Le juge se fonde d’une part sur les effets Bien qu’il s’agisse d’une question délide l’extension (pt. 23), et d’autre part sur cate, susceptible de faire l’objet d’une C’est parce que l’extension analyse inverse, le risque d’incompatibila nécessité en cas d’ouverture de proproduit les mêmes effets à lité du mécanisme français d’extension cédure collective à l’égard de débiteurs nous semble donc circonscrit à la seule juridiquement distincts de déterminer l’égard du débiteur qu’une hypothèse d’extension pour cause de une compétence juridictionnelle pour ouverture de procédure confusion des patrimoines, laquelle ne chacun d’entre eux (pt. 25). Comme nous collective qu’elle y est sera possible qu’à la condition que le avons tenté de le mettre en lumière – et assimilée, assimilation qui centre des intérêts principaux du débibien que la formulation de la décision entraîne l’application de teur cible de l’extension se situe égalen’en rende pas pleinement compte – le l’article 3 du règlement ment en France. C’est sur ce point que premier de ces deux arguments semble le juge communautaire est amené à être la condition du second : c’est parce tel que précisé par la se prononcer en réponse à la seconde que l’extension produit les mêmes effets jurisprudence Eurofood. question préjudicielle de la Cour de à l’égard du débiteur qu’une ouverture cassation. de procédure collective qu’elle y est assimilée, assimilation qui entraîne l’application de l’article 3 du règlement tel que précisé par la jurisprudence Eurofood. Cette assimilation invalide le modèle français qui retient la nature originale de l’action en extension (Jacquemont A., préc., n° 45). Cette invalidation n’aboutit pas en soi à l’incompatibilité du droit français avec le droit communautaire mais à l’exigence de la démonstration que le centre des intérêts principaux du débiteur cible de l’action est situé en France. C’est cependant la combinaison des deux solutions de la décision commentée, l’assimilation et la détermination de centres des intérêts principaux distincts, qui conduit à cette incompatibilité. L’importance de la première réponse de la Cour nous amène en conséquence à nous interroger sur sa transposition à l’action en extension de procédure collective pour cause de fictivité. 2. – Solution non transposable en cas d’extension sur le fondement de la fictivité L’extension de procédure collective pour cause de fictivité – contrairement à celle fondée sur la confusion des patrimoines – ne laisse subsister qu’une seule personnalité juridique : elle aboutit à ce que « la vérité [soit] rétablie : la société fictive est inexistante, “transparente” » (Legros J.-P., Nullité des sociétés – Présentation générale, J.-Cl. Sociétés Traité, Fasc. 32-10, nov. 2004, n° 124 ; cf. également en ce sens : Le Corre P.-M., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz, 6e éd., 2011, n° 213.11 : la société fictive « n’a pas de personnalité distincte de celle de son animateur »). La jurisprudence aux termes de laquelle « une société fictive est une société nulle et non inexistante » (Cass. com., 16 juin 1992, n° 90-17.237, Bull. civ. IV, n° 243) nous semble en effet ne pas devoir trouver application dans le cadre de l’action en extension de procédure collective pour cause de fictivité (en ce sens : Cass. com., 19 févr. 2002, n° 98-20.578, Bull. civ. IV, n° 33, JCP E 2002, ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE DROIT COMMERCIAL II. – DÉTERMINATION DU CENTRE DES INTÉRÊTS PRINCIPAUX DE LA SOCIÉTÉ CIBLE Le juge communautaire apporte une réponse une nouvelle fois défavorable au droit français en refusant de considérer que la confusion des patrimoines entre deux débiteurs témoigne nécessairement d’un centre des intérêts principaux unique. Cette décision, conforme au droit communautaire (A) aboutit à l’incompatibilité – aux conséquences préoccupantes – du mécanisme d’extension de procédure collective pour cause de confusion des patrimoines (B). A. – Un patrimoine unique, deux centres des intérêts principaux distincts 1. – Alternative offerte au juge communautaire La difficulté tient ici aux conditions de l’extension de procédure collective pour cause de confusion des patrimoines : le juge français, une fois la confusion des patrimoines constatée, décide, sur ce seul critère, de l’extension de la procédure collective, et ce sans se prononcer sur la localisation du centre des intérêts principaux du débiteur auquel la procédure est étendue (en ce sens : Mastrullo T., préc.). Une fois la confusion des patrimoines constatée, le juge se trouve même dans l’obligation de procéder à l’extension de la procédure collective (Cass. com., 26 mars 1985, n° 82-16.002, Bull. civ. IV, n° 108 ; cf. cependant, sur l’incertitude née de la rédaction du nouvel article L. 621-2 du Code de commerce : Jacquemont A., préc., n° 55). Pour racheter un tel silence, et permettre la compatibilité du mécanisme français avec le droit communautaire, la Cour de cassation semblait inciter le juge communautaire à considérer qu’à patrimoine unique, centre des intérêts principaux unique (le juge français, en ouvrant une procédure principale d’insolvabilité à l’égard d’une société, > N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 23 L’ I N C O M PAT I B I L I T É D U M É C A N I S M E D ’ E X T E N S I O N D E P R O C É D U R E C O L L E C T I V E P O U R C A U S E D E C O N F U S I O N D E S PAT R I M O I N E S A V E C L E R È G L E M E N T N ° 13 4 6 / 2 0 0 0 considère, conformément à l’article 3 du règlement, que le centre de ses intérêts principaux se situe en France. Si le débiteur auquel la procédure est étendue a un centre des intérêts principaux identique à la première société, le juge français a compétence pour lui étendre la procédure collective). L’alternative offerte au juge communautaire, à savoir difficile pour les tiers, voire même impossible, de mettre à jour les montages financiers en cause (pour des exemples de schémas constitutifs de relations financières anormales : Jacquemont A., préc., n° 16). le refus d’une telle unité des centres des intérêts principaux d’entités aux patrimoines pourtant confondus, aboutit de facto à l’incompatibilité du droit français avec le droit communautaire en ce qu’il tend à conférer au juge français le droit d’étendre une procédure collective à un débiteur dont le centre des intérêts principaux se situe potentiellement dans un autre État membre. Il nous apparaît ensuite que, quand bien même le juge communautaire aurait estimé que la confusion des comptes ou les relations financières anormales sont des éléments vérifiables par les tiers, de tels éléments sont impropres à permettre le renversement de la présomption du siège statutaire, et ce dans la mesure où ils se situent à un niveau « radicalement différent » de la détermination du lieu d’administration de la société cible (Vallens J.-L., préc. ; cf. cependant pour une opinion contraire : Mastrullo T., préc. et Menjucq M., préc.). La notion de confusion des patrimoines, ainsi que ses deux causes possibles, ont en effet une dimension financière, et sont indifférentes aux lieux et modes d’administration des sociétés en cause. La Cour de cassation a ainsi eu l’occasion de rappeler que l’action en extension pour cause de confusion des patrimoines est indépendante de l’exercice par l’un des deux débiteurs « des pouvoirs de décision et de gestion » (Cass. com., 8 janv. 2008, n° 07-10.468). La Cour de justice de l’Union européenne consacre en conséquence une opposition entre patrimoine – unique – et administration – potentiellement distincte – et retient qu’« une confusion des patrimoines n’implique pas nécessairement un centre des intérêts unique. Il ne saurait être exclu qu’une telle confusion soit organisée à partir de deux centres de direction et de contrôle situés dans deux États membres différents ». 2. – Rejet d’un centre des intérêts principaux unique Le choix effectué par le juge communautaire au profit de la seconde de ces deux options est essentiellement justifié par la définition de la notion de centre des intérêts principaux (sur cette notion : Monsèrié-Bon M.-H., Sauvegarde, Redressement et Liquidation judiciaires – Droit communautaire – Règlement (CE) n° 1346/2000 – Compétence et effets des jugements, J.-Cl. Commercial, Fasc. 3125, avr. 2010, n° 21). La Cour de justice des Com- munautés européennes a eu l’occasion de préciser qu’elle est « propre au règlement » et revêt en conséquence « une signification autonome et doit donc être interprétée de manière uniforme et indépendante des législations nationales » (CJUE, 2 mai 2006, préc., pt. 31). Cette notion ne fait pas l’objet d’une véritable définition par le règlement n° 1346/2000 qui se contente d’indiquer dans son considérant 13 que « le centre des intérêts principaux devrait correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers ». S’agissant des sociétés, l’article 3 de ce même règlement pose une présomption simple de localisation de leur centre des intérêts principaux au lieu de leur siège statutaire. La Cour a, dans une décision récente reprise dans l’arrêt commenté, inféré de cette présomption, ainsi que de la mention faite par le considérant 13 du lieu de gestion par le débiteur de ses intérêts, la volonté du législateur communautaire de « privilégier le lieu de l’administration centrale de la société en tant que critère de compétence » (CJUE, 20 oct. 2011, aff. C-396/09, Interedil, pt. 48). Partant, la seconde question préjudicielle posée par la Haute Juridiction pouvait se résumer de la manière suivante : le fait qu’une société se trouve dans une situation de confusion des patrimoines avec une autre société est-il un élément vérifiable par les tiers de nature à démontrer que l’administration centrale de ces deux sociétés est située en un lieu identique ? La Cour refuse, nous semble-t-il à raison, d’aller dans le sens d’une telle affirmation. Elle fonde ce refus sur deux arguments, qui tiennent chacun à l’une des caractéristiques de la notion de centre des intérêts principaux. Le premier argument est relatif à l’exigence, afin de renverser la présomption dite du siège statutaire, d’éléments vérifiables par les tiers. Or, la Cour considère que les deux critères alternatifs de la confusion des patrimoines, à savoir la confusion des comptes et les relations financières anormales, constituent des « éléments (…) en général difficilement vérifiables par les tiers ». Le juge communautaire réfute ainsi l’idée avancée par certains auteurs selon laquelle ces éléments sont normalement vérifiables par les tiers au vu de la comptabilité des sociétés en cause (en ce sens : Mastrullo T., préc.). Cette solution ne peut qu’emporter notre adhésion dans la mesure où, en particulier dans les hypothèses de relations financières anormales – qui constituent l’immense majorité des cas d’action en extension de procédure collective pour cause de confusion des patrimoines (Jacquemont A., préc., n° 13) –, il peut s’avérer très 24 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 Une telle solution ne peut qu’être approuvée tant elle apparaît conforme à la notion de centre des intérêts principaux. Elle aboutit cependant à une situation pour le moins préoccupante. B. – Incompatibilité du mécanisme d’extension avec le règlement et perspectives de solutions 1. – Incompatibilité du mécanisme d’extension Le mécanisme d’extension de procédure collective pour cause de confusion des patrimoines apparaît en l’état, et à la lumière de la jurisprudence commentée, non conforme au droit communautaire. Cette incompatibilité pourrait a priori être neutralisée par l’adoption par le juge français d’un nouveau réflexe : celui d’apporter la démonstration quasi-systématique que la société cible a en France le centre de ses intérêts principaux. Une telle décision serait par application de l’article 16 du règlement n° 1346/2000 reconnue dans tous les autres États membres, y compris l’État au sein duquel le siège statutaire de la société cible est situé, et ce « sans que [celui-ci ne] puisse contrôler la compétence de la juridiction de l’État [français] » (CJUE, 2 mai 2006, préc.). Une telle politique serait cependant très probablement jugée également incompatible avec le droit communautaire. La Cour de justice de l’Union européenne ne s’est en effet pas contentée d’affirmer que la constatation d’une confusion des comptes ou de relations financières anormales entre une société dont le centre des intérêts principaux est français et une société européenne ne suffisait pas à démontrer que le centre des intérêts principaux de cette dernière se situait également en France – et d’ainsi inviter le juge français à la démonstration lors de chaque espèce d’une telle localisation – : le juge communautaire a également indiqué que de tels éléments sont « en général difficilement vérifiables par les tiers », et que quand bien même ils le seraient, la confusion des patrimoines « n’implique pas nécessairement un centre des intérêts unique ». Les hypothèses de renversement possible de la présomption du siège statutaire semblent donc apparaître à ses yeux comme extrêmement minoritaires, aboutissant à rendre en pratique très compliquée, pour ne pas dire impossible, l’extension de procédure collective pour cause de confusion des patrimoines à une société dont le siège statutaire est situé dans un autre État membre. d’extension pour cause de confusion des patrimoines avec le droit communautaire. Cette incompatibilité permet par ailleurs au débiteur auquel la procédure collective française aurait dû être étendue d’échapper à un mécanisme qui porte en lui une part de sanction qu’on ne saurait occulter (Vallens J.-L., préc.). Or, rappelons-le, « c’est (…) l’impossibilité de démêler les liens entre des sociétés dont les patrimoines sont confondus qui fonde 2. – Intervention nécessaire du législateur communautaire l’extension de procédure et impose l’unicité de procédure et, La décision commentée, pour être conforme au droit compartant, l’unicité de compétence » (Orsini I., préc.). L’impossibilité munautaire, apparaît donc susceptible d’avoir des conséd’étendre la procédure initiale pour cause de confusion des quences regrettables. Le mécanisme patrimoines ne pourra aboutir, selon d’extension de procédure, tant sur le que la société cible est ou non in bonis, fondement de la confusion des patriqu’à deux absurdités différentes : soit à L’impossibilité d’étendre moines que sur la fictivité, devrait en l’existence d’une procédure collective la procédure initiale pour conséquence trouver sa place dans l’arn’affectant qu’une partie du patrimoine cause de confusion des chitecture du règlement n° 1346/2000. du débiteur, soit au cumul pour un seul patrimoines ne pourra Une telle intervention est au demeurant patrimoine de deux procédures collecaboutir, selon que la facilitée par l’existence au sein d’autres tives différentes ouvertes dans deux société cible est ou non États membres de « mécanismes voiÉtats membres différents et régies en sins » (Vallens J.-L., préc.). Elle nous semble conséquence par deux droits différents in bonis, qu’à deux (conformément à l’article 4 du règlement n° 1346/2000). devoir passer par la consécration de la absurdités différentes. compétence de la juridiction de l’État ayant ouvert la procédure initiale à Une telle situation est évidemment de procéder à son extension à un autre débiteur, y compris si nature à porter atteinte aux intérêts de créanciers qui verront le siège statutaire de ce dernier se situe au sein d’un autre le patrimoine de leur débiteur – et donc leur gage commun – État membre. séparé artificiellement entre deux sociétés dont le patrimoine La clause de rendez-vous de l’article 46 du règlement, qui est pourtant par hypothèse unique. Il suffit de songer au cas devrait amener la Commission à faire une proposition de où les relations financières anormales entretenues par deux révision de ce dernier dans le courant de l’année 2013 sera, sociétés auraient abouti à l’appauvrissement d’une société espérons-le, l’occasion de pallier cette carence (sur le calendrier française au profit d’une société dont le siège statutaire est situé dans un autre État membre pour comprendre l’injustice de cette révision : Fasquelle D., Raisons et contours d’une refonte nécessaire, Bull. Joly qu’est susceptible de receler l’incompatibilité du mécanisme Entreprises en difficulté 2012, p. 51). ◆ N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE DROIT COMMERCIAL 25 DROIT COMMERCIAL Par Marina FILIOL DE RAIMOND Secrétaire générale de la Rédaction Lamy droit commercial Il impose une information des tiers, du lieu de dépôt de la déclaration d’affectation du patrimoine en cas d’immatriculation à un nouveau registre, notamment à l’occasion d’un transfert de siège (C. com., art. R. 123-48, mod. par D. n° 2012-122, art. 1er). Cette dernière mesure est également intégrée à l’article 10 bis, IV, du décret n° 98-247 du 2 avril 1998 relatif à la qualification artisanale et au répertoire des métiers. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er février 2012. ➤ Lamy droit commercial 2011, no 187 BAUX COMMERCIAUX 3908 Le régime de l’EIRL poursuit sa construction RLDA RLDA FONDS DE COMMERCE Preneur en difficulté : suspension des effets de la clause résolutoire et délais de paiement Un décret du 30 janvier 2012 apporte différentes précisions sur le régime comptable et fiscal du patrimoine affecté des EIRL. D. n° 2012-122, 30 janv. 2012, JO 31 janv. Ce texte réglementaire garantit à l’entrepreneur individuel la neutralité fiscale du passage du régime d’imposition réel et sur le revenu au régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), en évitant que l’affectation d’éléments constitutifs du patrimoine ne génère des plus-values soumises à taxation. Il précise à cette fin que la valeur indiquée par l’entrepreneur individuel dans l’état descriptif accompagnant sa déclaration d’affectation de patrimoine est celle qui doit être retenue dans les comptes annuels de l’EIRL (C. com., art. R. 526-3, 7°, mod. par D. n° 2012-122, art. 2). Cette valeur sera également retenue pour les besoins des obligations comptables de l’EIRL (C. com., art. L. 526-13 et L. 526-14 ; C. com., art. R. 526-10-2, créé par D. n° 2012-122, art. 4). Il définit également la notion de « biens nécessaires à l’activité ». Il s’agit des biens, droits, obligations et sûretés qui, par nature, ne peuvent être utilisés que dans le cadre de cette activité (C. com., art. R. 526-3-1, créé par D. n° 2012-122, art. 3). En bref… Taux d’intérêt légal pour 2012 Le taux de l’intérêt légal est fixé à 0,71 % pour l’année 2012 (contre 0,38 % en 2011). Ce taux est notamment utilisé dans le calcul des intérêts moratoires dus par un débiteur après mise en demeure. D. n° 2012-182, 7 févr. 2012, NOR : EFIT1200426D, JO 8 févr. TVA transfrontalière : guichet unique Les entreprises qui exercent des activités dans plus d’un État membre doivent souvent traiter avec plusieurs administrations fiscales dans des langues différentes. La Commission européenne a adopté, le 13 janvier 2012, une proposition qui est un premier pas vers un guichet unique pour tous les 26 3909 Tant que la résiliation du bail n’est pas constatée par une décision passée en force de chose jugée, le liquidateur peut se prévaloir du cumul des dispositions des articles L. 622-14 et L. 145-41 du Code de commerce pour solliciter des délais de paiement ainsi que la suspension des effets de la clause résolutoire. Cass. com., 6 déc. 2011, n° 10-25.689, P+B Lorsque le preneur d’un bail commercial est placé en liquidation judiciaire, le liquidateur judiciaire a trois mois à compter du jugement d’ouverture pour régler les loyers impayés sur le fondement de l’article L. 622-14, 2°, du Code de commerce. Le bailleur peut, après l’expiration du délai, faire constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure à ce jugement. services fournis par voie électronique, dont les entreprises pourront bénéficier à partir du 1er janvier 2015. Communiqué Comm. UE, 13 janv. 2012 Statistiques 2011 de l’EIRL En 2011, on dénombre 6 040 entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL). Trois EIRL sur quatre, soit 4 520, sont de nouvelles entreprises et une sur quatre existait déjà avant d’opter pour ce statut. Trois EIRL sur dix ont par ailleurs choisi également le régime de l’autoentrepreneur, et cinq créateurs d’EIRL sont mineurs. Plus de la moitié des EIRL appartiennent à cinq secteurs d’activité : travaux de construction spécialisés pour 23 % d’entre eux, commerce de détail hors automobile pour 13 %, services personnels, conseil pour les affaires et la gestion, et restauration pour 5 % chacun. Rapp. INSEE sur la création d’entreprises individuelles en 2011, janv. 2012 <insee.fr> R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 Fusion des régimes de retraite obligatoire des artisans et des commerçants Actuellement les artisans et les commerçants cotisent obligatoirement à l’assurance vieillesse complémentaire selon des taux de cotisations et des assiettes différentes. À compter du 1er janvier 2013, les régimes de retraite complémentaire des artisans et des commerçants seront fusionnés. Un décret précise les taux et les bases de calcul de ce régime unique qui s’appliqueront à cette date. Le taux de cotisation sera de 7 % pour la part de revenu inférieur au plafond annuel de la sécurité sociale et de 8 % sur la part de revenu supérieur à ce plafond et inférieur à quatre fois ce plafond. Il est également prévu une baisse des taux de cotisation des régimes invalidité-décès des artisans de 1,8 % à 1,6 % et des commerçants de 1,3 % à 1,1 %. D. n° 2012-139, 30 janv. 2012, NOR : ETSS1200204D, JO 31 janv. En parallèle, l’article L. 145-41 du même Code prévoit que des délais de paiements peuvent être accordés par le juge lorsque le bailleur tente de mettre en œuvre la clause résolutoire prévue au contrat de bail. L’articulation de ces deux articles posait question jusqu’à l’arrêt du 6 décembre 2011, par lequel la Cour de cassation énonce que le cumul des deux dispositions, protectrices pour le preneur, est possible. En l’espèce, une société locataire de locaux commerciaux avait été mise en liquidation judiciaire. Le bailleur avait fait délivrer au liquidateur un commandement de payer les loyers échus après le jugement d’ouverture de la procédure collective, sous peine de la mise œuvre de la clause résolutoire prévue au bail. Le liquidateur s’est vu accorder par les juges du fond un délai de quatre mois pour s’acquitter des loyers et des charges échus, les effets de la clause résolutoire étant suspendus durant ce délai. Le bailleur a contesté cette décision faisant valoir que l’article L. 622-14, 2°, du Code de commerce est un texte spécial devant déroger à la règle générale de l’article L. 145-41 du même Code. Selon lui, dès lors que le premier article permettant de suspendre la clause résolutoire pendant trois mois, est invoqué, il fait obstacle à une demande du liquidateur sollicitant des délais de paiement. Le pourvoi ainsi formé par le bailleur est rejeté par la Cour de cassation qui arrête au contraire que « l’article L. 622-14 du Code de commerce n’interdit pas au liquidateur de se prévaloir des dispositions de l’article L. 145-41 du même code et de solliciter des délais de paiement ainsi que la suspension des effets de la clause résolutoire tant que la résiliation du bail n’est pas constatée par une décision passée en force de chose jugée ». • OBSERVATIONS • Pour une analyse approfondie de cet arrêt, lire dans cette même Revue l’Éclairage d’Hubert Vercken, L’article L. 145-41 du Code de commerce peut recevoir application à l’occasion d’une demande en résiliation du bail fondée sur les dispositions de l’article L. 622-14 du même Code, RLDA 2012/69, n° 3906. RLDA ➤ Lamy droit commercial 2011, nos 1072, 1256, 1267, 1293 et 3203 3910 Déplafonnement : nécessité d’une incidence favorable au preneur ? Pas toujours… L’extension de la destination du bail suppose une modification notable, ce qui permet, en soi, le déplafonnement du loyer. Le juge n’a donc pas à rechercher si cette modification a une incidence favorable sur l’activité exercée par le preneur. Cass. 3e civ., 18 janv. 2012, n° 11-10.072, P+B Depuis 2008, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a développé une doctrine protectrice du preneur en matière de déplafonnement du loyer en introduisant une nouvelle condition à la fixation du loyer hors plafonnement : ACTUALITÉS DROIT COMMERCIAL que la modification notable des éléments qui entrent en considération pour la recherche de la valeur locative soit, en outre, favorable à l’activité du preneur. Deux importants arrêts de 2008 et 2011 ont clairement affirmé cette nouvelle exigence (cf. Cass. 3e civ., 9 juill. 2008, n° 07-16.605, Bull. civ. III, n° 123, sur cet arrêt lire Martin-Imperatori E., Le déplafonnement du loyer de renouvellement d’un bail commercial : de nouveaux obstacles pour le bailleur ?, RLDA 2008/31, n° 1853 ; Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-30.825, P+B+R+I, Déplafonnement : vers la généralisation de la prise en compte des seules modifications favorables au preneur ?, RLDA 2011/65, n° 3696). Cependant, la prudence voulait que l’on s’interroge sur l’application de cette nouvelle condition à toutes les hypothèses visées par l’article L. 145-34 du Code de commerce (les caractéristiques du local considéré ; la destination des lieux ; les obligations respectives des parties ; les facteurs locaux de commercialité). En effet, l’arrêt du 9 juillet 2008 nous a appris que les travaux réalisés par le bailleur au cours du bail expiré ne peuvent constituer un motif de déplafonnement du nouveau loyer qu’autant qu’ils ont eu une incidence favorable sur l’activité exercée par le preneur. Quant à l’arrêt du 14 septembre 2011, il a posé le principe qu’il ne peut y avoir de déplafonnement sans modification des facteurs locaux de commercialité favorable pour l’activité du preneur. Quid alors du cas de l’extension de la destination des locaux loués ? L’affaire du 18 janvier 2012 nous donne une réponse claire à cette question : nul besoin d’une incidence favorable dans ce cas. Le caractère notable de la modification suffit à permettre le déplafonnement. Dans les faits, des propriétaires de locaux à usage commercial avaient délivré au preneur un congé avec offre de renouvellement moyennant un nouveau loyer, étant précisé qu’un avenant au contrat de bail étendait la destination des lieux loués (il s’agissait initialement d’un bar. La destination a été étendue à celle d’hôtel et de restaurant). Le preneur a demandé le plafonnement du prix, ce qui lui a été refusé en appel. Formant un pourvoi contre cette décision, le locataire avance l’argument selon lequel seule une modification notable ayant une incidence favorable sur l’activité exercée par le preneur peut justifier le déplafonnement des loyers dus par ce dernier. Or, les bailleurs n’ayant pas prouvé que l’extension de la destination présente un avantage financier réel pour le preneur, ils n’étaient pas en mesure, toujours selon le preneur, de justifier le déplafonnement du loyer. La Cour de cassation rejette le pourvoi : « ayant relevé que l’extension de la destination du bail permettait d’adjoindre deux autres activités et souverainement retenu que cette modification était notable, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de rechercher si elle avait une incidence favorable sur l’activité exercée par le preneur, en a déduit à bon droit que le loyer devait être fixé hors plafonnement ». Cette solution paraît très juste lorsque l’on considère que le changement de destination, nécessairement demandé par le locataire, est présumé fait dans son intérêt pour parvenir à une meilleure commercialité. ➤ Lamy droit commercial 2011, nos 1530, 1531, 1534 et 1536 N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 27 RLDA 3911 Condamnation pour contrefaçon et annulation rétroactive du brevet : pas de répétition de l’indu L’anéantissement rétroactif et absolu d’un brevet prononcé par une décision postérieure n’est pas de nature à fonder la restitution des sommes payées en exécution d’une condamnation du chef de contrefaçon prononcée par une décision devenue irrévocable. Cass. ass. plén., 17 févr. 2012, n° 10-24.282, P+B+R+I L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu le 17 février 2012 un arrêt d’une grande portée qui ne se limite pas au droit des brevets mais s’étend à l’ensemble des hypothèses de conflit entre l’autorité de la chose jugée et l’effet rétroactif de l’annulation d’un acte juridique. L’affaire aura donc les honneurs d’une publication au Rapport annuel de la Haute Juridiction. En l’espèce, M. X avait été condamné en 2001, par un arrêt irrévocable, au paiement de diverses sommes pour contrefaçon par reproduction des revendications d’un brevet déposé par M. Y qui en avait concédé l’exploitation exclusive à la société Z. Par un autre arrêt irrévocable intervenu ultérieurement en 2002, ces revendications ont été annulées, ce qui a amené M. X à assigner M. Y et la société Z en restitution des 6 000 euros versés en exécution de sa condamnation. Le contrefacteur interprétait en effet l’article L. 613-27 du Code de la propriété intellectuelle, couplé aux articles 1235 et 1376 du Code civil, de la manière suivante : la décision d’annulation d’un brevet d’invention ayant un effet à la fois rétroactif et absolu, prive de fondement juridique la condamnation précédemment prononcée, même à l’encontre d’un tiers à l’instance en annulation, pour contrefaçon du brevet annulé. Ainsi, l’annulation du brevet rendrait, selon lui, indu le paiement fait en exécution d’une telle condamnation et ouvrirait droit à la répétition des sommes versées. L’action en répétition de l’indu fut rejetée en première instance, puis en appel. L’argument de M. X ne trouvera pas non plus grâce aux yeux de la Cour de cassation. C’est par un rejet du pourvoi que la formation la plus solennelle de la Haute Juridiction conclut que l’annulation postérieure des revendications du brevet détenu par M. Y n’est pas de nature à fonder la restitution des sommes payées en exécution de la condamnation du chef de contrefaçon, puisqu’elle ne peut remettre en cause les effets qui s’attachent à l’autorité de la chose jugée. La solution est conforme à l’avis du Premier avocat général, Laurent Le Mesle, pour qui « celui qui a été condamné pour contrefaçon l’a été au regard d’une situation qu’il connaissait et d’un titre qu’il a délibérément choisi d’ignorer, alors qu’il lui était loisible de l’attaquer ». ➤ Lamy droit commercial 2011, nos 1842 et 1843 28 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 RLDA MARQUES, BREVETS, DESSINS ET MODÈLES 3912 Nullité du brevet européen : absence d’intérêt à agir, irrecevabilité de l’action Viole les articles L. 614-12 du Code de la propriété intellectuelle et 138, paragraphe 1, e), de la convention de Munich sur le brevet européen (CBE) le juge du fond qui ouvre l’action en nullité contre un tel brevet à toute personne intéressée. Cass. com., 14 févr. 2012, n° 11-14.288, P+B Dans cette affaire, le directeur général d’une société de droit espagnol avait déposé pour son compte une demande de brevet européen désignant la France résultant de l’invention d’un salarié de son entreprise. Une société française concurrente ayant usurpé le brevet protégé fut assignée en contrefaçon par son titulaire espagnol. En réplique, la défenderesse forma une demande reconventionnelle en nullité du brevet européen en cause, pour ce qui concerne la France. Elle estimait que l’objet brevetable était une invention de salarié, de sorte que le directeur général ne pouvait pas en devenir le titulaire, comme le précise l’article 60, paragraphe 1, de la CBE, selon lequel « le droit au brevet européen appartient à son inventeur ou à son ayant cause. Si l’inventeur est un employé, le droit au brevet européen est défini selon le droit de l’Etat dans lequel l’employé exerce son activité principale (…) ». Débouté en première instance puis en appel, le titulaire du brevet, qui déniait toute légitimité d’action à son adversaire, s’est pourvu en cassation. Rappelons que selon l’article L. 614-12, alinéa 1, du Code de la propriété intellectuelle, « la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l’un quelconque des motifs visés à l’article 138, paragraphe 1 de la Convention de Munich ». C’est le cas notamment lorsque « le titulaire du brevet européen n’avait pas le droit de l’obtenir aux termes de l’article 60, paragraphe 1 » précité. Seulement, ces dispositions ne donnent aucune précision, ni restriction quant aux titulaires de l’action en nullité, argument sur lequel se sont appuyés les juges du fond pour accueillir la demande reconventionnelle de l’entreprise française. Mais la Cour de cassation n’a pas suivi ce raisonnement et a considéré qu’en statuant ainsi, alors que les dispositions de l’article 138, paragraphe 1, e), de la CBE visent à protéger les intérêts privés du véritable titulaire du brevet ou de son ayant cause, leur violation étant sanctionnée par une nullité relative qui ne peut être invoquée que par les personnes lésées, la cour d’appel a violé les textes susvisés. En conclusion, seuls le salarié inventeur, ou bien la société qui l’emploie, étaient recevables à agir en nullité. Paul BAYEMI Lamy droit commercial ➤ Lamy droit commercial 2011, nos 1862, 1877 et 2329 RLDA 3913 Omission volontaire d’un créancier : le relevé de forclusion est de droit Si le caractère volontaire de l’omission d’une créance est démontré, le créancier qui sollicite un relevé de forclusion n’est pas tenu d’établir l’existence d’un lien de causalité entre son omission de la liste et la tardiveté de sa déclaration de créance. Cass. com., 10 janv. 2012, n° 10-28.501, P+B En l’espèce, à l’occasion de l’ouverture de sa procédure de sauvegarde, un débiteur avait établi une liste des créanciers incomplète puisque certaines institutions de retraite et de prévoyance n’y figuraient pas. Ces dernières, n’ayant pas reçu d’avertissement du mandataire judiciaire, ont malgré tout déclaré leurs créances de cotisations, mais hors délai. Les créancières ont donc sollicité un relevé de forclusion. Les juges du fond ont répondu favorablement à cette demande estimant que la société débitrice avait volontairement omis d’inscrire les créances des institutions de retraite sur la liste des créanciers. C’est en vertu de l’article L. 622-26, alinéa 1, du Code de commerce que le juge- commissaire peut relever de leur forclusion les créanciers tardifs s’ils établissent que leur défaillance n’est pas due à leur fait ou qu’elle est due à une omission volontaire du débiteur lors de l’établissement de la liste. Le débiteur a alors formé un pourvoi réfutant toute volonté délibérée de dissimuler sa dette étant donné que les créances litigieuses étaient bien mentionnées dans la demande d’ouverture de la procédure de sauvegarde, ce qui révélait, selon lui, que son omission était involontaire. En outre, il indiquait que même si le caractère volontaire de l’omission de la créance litigieuse est démontré, le créancier qui sollicite un relevé de forclusion reste néanmoins tenu d’établir l’existence d’un lien de causalité entre son omission de la liste dressée par son débiteur et la tardiveté de sa déclaration de créance. En l’occurrence, le débiteur faisait remarquer que les sociétés créancières étaient seules responsables de leur défaillance, puisqu’elles avaient été informées de la situation de leur débiteur à une date où il leur était encore possible de déclarer leurs créances dans le délai utile. La Cour de cassation rejette ce pourvoi au motif que, dès lors que le caractère volontaire de l’omission des créances est démontré, rien n’oblige les créanciers à prouver un lien de causalité entre l’omission de la liste et la tardiveté de leurs déclarations de créances. Ce serait ajouter à la loi que d’exiger une telle preuve. • OBSERVATIONS • La preuve du caractère volontaire de l’omission s’avère difficile à rapporter. L’espèce commentée donne un exemple pratique utile. Ici, le caractère volontaire est démontré par le fait que le débiteur avait bien visé les créances de cotisations sociales dues pour le troisième trimestre 2008 dans sa demande d’ouverture de la procédure de sauvegarde, ce qui, pour les juges, établissait qu’il connaissait l’existence des créances en cause. Par conséquent, leur omission de la liste des créanciers ne pouvait être que volontaire. ➤ Lamy droit commercial 2011, nos 3377, 3378, 3434, 3437 et 3453 RLDA ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ ACTUALITÉS DROIT COMMERCIAL 3914 Inconstitutionnalité de la réunion à l’actif des biens du conjoint in bonis L’article L. 624-6 n’a plus droit de cité dans le Code de commerce, le Conseil constitutionnel l’ayant purement et simplement déclaré contraire à la Constitution. Cons. const., 19 janv. 2012, n° 2011-212, QPC En vertu du désormais feu article L. 624-6 du Code de commerce, lorsqu’un débiteur faisait l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires, il était permis à l’administrateur, au mandataire ou au liquidateur judiciaires de demander la réintégration dans le patrimoine du débiteur des biens acquis par son conjoint mais dont le débiteur avait participé au financement. Cette disposition permettait de faciliter l’apurement du passif afin de permettre la continuation de l’entreprise ou bien le désintéressement des créanciers. Cette action, autrement appelée « action en rapport », permettant d’optimiser l’actif aux dépens des droits du conjoint apparaissait dérogatoire aux règles du droit civil, d’autant qu’elle n’était subordonnée qu’à une condition : la fourniture de deniers par le conjoint pour l’acquisition d’un bien en cours de mariage. L’exercice de l’action n’était même pas subordonné à la condition que le mariage soit en cours à la date d’ouverture de la procédure collective… (Cass. com., 16 janv. 2007, n° 04-14.592, Bull. civ. IV, n° 3). En l’espèce, une épouse estimait qu’en permettant de réintégrer à l’actif de la procédure collective un bien appartenant au conjoint du débiteur alors qu’il n’est pas partie à cette procédure, l’action en réunion méconnaissait la protection constitutionnelle du droit de propriété. Elle faisait en outre valoir qu’en appliquant cette possibilité au seul conjoint du débiteur, à l’exclusion de toute autre personne, l’action entraînait une différence de traitement contraire au principe d’égalité devant la loi. Pour ces raisons, une question prioritaire de constitutionnalité fut formée. Saisi de cette QPC, le Conseil constitutionnel a considéré que l’article L. 624-6 permettait la réunion à l’actif d’un bien « quelle que soit la cause de cet apport, son ancienneté, l’origine des valeurs ou encore l’activité qu’exerçait le conjoint à la date de l’apport ; [que l’article ne prend] pas davantage en compte la proportion de cet apport dans le financement du bien réuni à l’actif ». Aussi, le Conseil a jugé qu’en l’absence de toute disposition retenue par le législateur pour assurer un encadrement des conditions dans lesquelles la réunion à l’actif est possible, l’article L. 624-6 du Code de commerce permet qu’il soit porté au droit de propriété du conjoint du débiteur une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi. L’article L. 624-6 est donc déclaré inconstitutionnel, et son effacement du Code de commerce a pris effet dès la publication de la décision du Conseil constitutionnel. L’abrogation est applicable à toutes les instances non jugées définitivement à cette date. ➤ Lamy droit commercial 2011, nos 3567 et 3568 N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 29 RLDA 3915 Voies de recours contre le jugement statuant sur l’ordonnance du jugecommissaire Les jugements statuant sur les recours formés contre les ordonnances rendues par le juge-commissaire sont susceptibles de recours dans les termes du droit commun, hormis ceux visés par les dispositions spéciales de la loi de sauvegarde des entreprises réglementant les voies de recours. Cass. com., 7 févr. 2012, n° 10-26.164, P+B+I Une société, mise en redressement judiciaire, avait formé un pourvoi en cassation à l’encontre d’un jugement d’un tribunal de commerce qui, statuant sur recours contre une ordonnance du juge-commissaire, avait constaté la résiliation de plein droit du bail consenti à la société débitrice. L’occasion est alors donnée à la Cour de cassation de rappeler que les jugements statuant sur les recours formés contre les ordonnances rendues par le juge-commissaire, qui ne sont pas visés par les dispositions spéciales de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (L. n° 2005-845, 26 juill. 2005) réglementant les voies de recours, sont susceptibles de recours dans les termes du droit commun. Il s’ensuit donc que le jugement attaqué, qui, bien qu’inexactement qualifié en dernier ressort, était susceptible d’appel, ne peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation. La Cour se prononce au visa des articles 543 et 605 du Code de procédure civile, ainsi que de l’article R. 662-1 du Code de commerce. En bref… Taxe annuelle sur les locaux commerciaux dans la région Île-de-France L’article 231 ter du Code général des impôts prévoit une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement, perçue dans la région Îlede-France (qui comprend trois circonscriptions). Pour l’année 2012, l’arrêté du 3 février 2012 fixe de nouveaux tarifs actualisés en fonction du dernier indice du coût de la construction publié par l’INSEE. Pour les locaux commerciaux, par exemple, les tarifs au mètre carré sont fixés comme suit : – 1re circonscription (Paris et le département des Hautsde-Seine) : 7,36 € ; – 2e circonscription (certaines communes de l’unité urbaine de Paris déterminées par arrêté) : 3,79 € ; – 3e circonscription (les autres communes de la région d’Île-de-France) : 1,90 €. Arr. min., 3 févr. 2012, NOR : EFIE1133457A, JO 7 févr. QPC : baux commerciaux et prescription biennale « L’article L. 145-60 du Code de commerce, en ce qu’il interdit de contester un congé avec refus de renouvel- 30 Si, sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985, les jugements sur lesquels le tribunal statuait sur le recours formé contre les ordonnances rendues par le juge-commissaire n’étaient susceptibles ni d’opposition, ni de tierce opposition, ni d’appel, ni de recours en cassation (L. n° 85-98, 25 janv. 1985, art. 173, abrogé par Ord. n° 2000-912, art. 4), la loi de sauvegarde a largement libéralisé les voies de recours en supprimant cette règle d’irrecevabilité. Désormais, le principe est celui de la recevabilité de l’appel des jugements statuant sur recours à l’encontre des ordonnances du juge-commissaire, ce qui avait déjà été affirmé par un arrêt de 2008 (Cass. com., 14 oct. 2008, n° 07-17.824, D). Il existe cependant une exception : la recevabilité peut être écartée par un texte spécial du droit des entreprises en difficulté. C’est le cas par exemple de l’article L. 661-6, I, 1°, du Code de commerce qui réserve l’appel, contre des jugements relatifs à la nomination des contrôleurs, au seul ministère public. Il en va de même avec l’article L. 661-4 qui, lui, ferme totalement les voies de recours contre les jugements ou ordonnances relatifs à la nomination ou au remplacement du juge-commissaire. Dans l’affaire du 7 février 2012, faute de se prévaloir d’un texte spécial, c’est donc l’article R. 662-1 du Code de commerce qui s’applique : « les règles du Code de procédure civile sont applicables dans les matières régies par le livre VI de la partie législative du présent Code ». Et comme, selon l’article 543 du Code de procédure civile, « la voie de l’appel est ouverte en toutes matières, même gracieuses, contre les jugements de première instance s’il n’en est autrement disposé », c’est en toute logique que la Cour de cassation déclare le pourvoi du débiteur irrecevable. • OBSERVATIONS • Sur cet arrêt, un Éclairage sera apporté par Christine LEBEL dans la Revue Lamy droit des affaires du mois d'avril (RLDA 2012/70). ➤ Lamy droit commercial 2011, nos 3834, 4721 et 4745 lement du bail plus de deux ans après sa délivrance, est-il conforme aux articles 5 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? » Telle était la question prioritaire de constitutionnalité transmise à la Cour de cassation. En réponse, la Cour rend une décision de non-lieu à renvoi devant le Conseil constitutionnel pour les raisons suivantes : – le régime de prescription biennale des actions dérivant du statut des baux commerciaux, justifié par un intérêt général de sécurité juridique, n’introduit aucune distinction injustifiée de nature à priver les justiciables de garanties égales ; – compte tenu des garanties procédurales établies, il ne porte pas d’atteintes substantielles aux droits de la défense et au droit au recours effectif devant une juridiction. Cass. 3e civ., 6 janv. 2012, n° 11-40.083, QPC Propriété industrielle : l’année 2011 en chiffres Dans un contexte de crise économique, doublée d’une concurrence internationale, les entreprises françaises misent sur la protection de leur innovation. Leur compétitivité en dépend. Ainsi, en 2011 : – 12 619 brevets ont été déposés par les entreprises françaises, soit 1,7 % de plus qu’en 2010 ; – 91 214 demandes d’enregistrement de marques, soit 0,8 % de moins qu’en 2010 ; R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 – 80 977 dépôts de dessins et modèles, représentant une hausse de 0,8 %. L’augmentation de ces chiffres se justifie tout d’abord par la sensibilisation entreprise par l’INPI auprès des personnes morales, à la protection de l’innovation, mais aussi par la procédure dématérialisée instituée à cet effet. Résultat, 75 % des dépôts de brevets et 66 % de demandes de marques résultent de dépôts électroniques. Cette tendance prouve que la protection de la propriété industrielle est bien intégrée dans la stratégie de développement des entreprises françaises. Communiqué INPI, 15 févr. 2012 Droit des dessins et modèles – Actualité jurisprudentielle L’IRPI organise, le 3 avril 2012, une conférence consacrée aux récents développements jurisprudentiels et réglementaires en Droit des dessins et modèles. Patrice de CANDÉ et Charles de HAAS, Avocats, analyseront tour à tour les décisions les plus marquantes rendues depuis un an par les juridictions françaises et communautaires. Date : mardi 3 avril 2012 (9h00-13h00) ; Lieu : ESCP Europe, 79, avenue de la République, 75011 Paris (Amphi Gélis) ; Prix : 350 € (non assujettis à la TVA). Heures validées au titre de la formation des Avocats. Contact : Sylvie Mostier (01.49.23.58.60) Compte-rendu de la conférence « Actualité jurisprudentielle Droit des marques » organisé par l’IRPI La matinée proposée par l’IRPI le 7 février 2012, sur le thème de l’actualité jurisprudentielle des marques, proposait de revenir sur les décisions les plus marquantes intervenues en la matière en 2011. Pour analyser les morceaux choisis de la jurisprudence française et européenne, Marc Sabatier – avocat à la Cour d’appel de Paris et docteur en droit –, Bertrand Geoffray – conseil en propriété industrielle et Président de l’APRAM – et Georges Bonet – Professeur émérite de l’Université PanthéonAssas (Paris II) et Président honoraire de l’IRPI –, se sont proposé d’évoquer respectivement les marques françaises, les marques européennes et enfin l’harmonisation des législations. L’année 2011 a fourni un nombre important d’arrêts parmi lesquels Marc Sabatier a choisi de revenir notamment sur certaines relatives à la date d’appréciation du caractère distinctif d’une marque lorsque celleci est invoquée en justice (Cass. com., 13 déc. 2011, n° 11-10.390, marque Troussepinette ; Cass. com., 2 nov. 2011, n° 10-24.725, marque Buckfast). Ont également été évoqués l’arrêt Puma (Cass. com. 13 déc. 2011, n° 10-28.088, P+B) selon lequel les dispositions de l’article L. 716-7-1 du Code de la propriété intellectuelle permettent au juge de la mise en état d’ordonner les mesures qu’il prévoit avant toute décision sur la matérialité de la contrefaçon ; ainsi que l’arrêt relatif à la marque Webshipping (Cass. com., 29 nov. 2011, n° 08-13.729, P+B) sur l’étendue territoriale des mesures coercitives (l’astreinte) qui peuvent être prononcées par les tribunaux français. Concernant la marque communautaire, Bertrand Geoffray est revenu sur le caractère distinctif de la marque au travers de l’affaire Freixenet (CJUE, 20 oct. 2011, aff. C-344/10P et C-345/11P), mais aussi sur deux arrêts mettant en cause le caractère contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs de la marque : Couture Tech Limited (marque représentant le blason soviétique, Trib. UE, 20 sept. 2011, aff. T-232/10), et Paki Logistics (marque utilisant le terme Paki, insulte raciste au Royaume-Uni, Trib. UE, 5 oct. 2011, T-526/09). Fut également analysée l’affaire ayant permis d’apporter des précisions sur le territoire à prendre en considération pour déterminer l’usage de la marque dans la vie des affaires (CJUE, 29 mars 2011, aff. C-96/09P, Anheuser-Busch Inc. / Budejovický Budvar). ACTUALITÉS DROIT COMMERCIAL Pour conclure la matinée, le professeur Bonet avait choisi se commenter l’affaire Bud (CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-482/09) mettant en exergue l’article 9 de la directive 89/104 relatif à la forclusion par tolérance, ainsi que l’affaire Interflora (CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09) par laquelle la Cour rappelle que la fonction d’indication d’origine de la marque n’est pas la seule fonction de celle-ci digne de protection contre des atteintes par des tiers, et qu’il convient aussi d’analyser l’effet de l’usage de la marque sur ses fonctions de publicité et d’investissement. N’ayant pas pu être présent, un commentaire écrit et détaillé de ses notes a été distribué. L’ensemble des participants présents à ce séminaire pourront accéder aux décisions commentées en plein texte ainsi qu’aux slides projetés durant la matinée sur le site de l’IRPI (www.irpi.ccip.fr) au moyen d’un mot de passe qui leur sera communiqué. Enfin, l’IRPI vous donne rendezvous pour ses prochaines matinées « Actualité jurisprudentielle » qui se tiendront les 3 avril (dessins et modèles) et 14 juin (brevets) prochain. N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 31 DROIT DU FINANCEMENT Sous la direction scientifique de Jean DEVÈZE, Professeur à l’Université des Sciences sociales Toulouse I, Alain COURET, Professeur à l’Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine et Gérard HIRIGOYEN, Professeur des Universités, Directeur de l'Équipe Entreprise Familiale et Financière, Directeur du Pôle Universitaire de Sciences de gestion de Bordeaux, Président Honoraire de l'Université Montesquieu Bordeaux IV. Par Anne-Dominique i i MERVILLE Maître de Conférences HDR Université de Cergy-Pontoise Directrice du Master 2 Droit pénal financier La notion de bonne information et de diffusion de l’information privilégiée par la Cour de cassation Dans la décision du 13 décembre 2011, la Cour de cassation estime que des subventions promises mais pas encore versées à une entreprise ne peuvent figurer d’ores et déjà dans les comptes sous peine de manquer à la bonne information du public. Une information concernant un décalage significatif entre les attentes du marché à propos du taux de marge opérationnelle et ce que savait la société est une information privilégiée. Ainsi, le fait de la donner à des analystes avant de la diffuser au public est constitutif d’un manquement à la diffusion d’information privilégiée. RLDA Cass. com., 13 déc. 2011, n° 10-28.337, P+B 3916 L a Commission européenne a constaté que les investisseurs qui négocient en utilisant des informations privilégiées et manipulent les marchés en diffusant des informations fausses ou trompeuses peuvent échapper aux sanctions en profitant des différences entre les législations des vingt-sept États membres de l’Union européenne (la Commission européenne a adopté le 20 octobre 2011 une proposition de règlement sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché ainsi qu’une proposition de directive relative aux sanctions pénales applicables aux opérations d’initiés et aux manipulations de marché, Communiqué Comm. UE, n° IP/11/1217, 20 oct. 2011, Communiqué Comm. UE, n° IP/11/1218, 20 oct. 2011 ; Lasserre Capdeville J., Proposition de directive relative aux sanctions pénales applicables aux opérations d’initiés et aux manipulations de marché, Bull. Joly Bourse 2012, p. 9 ; de Saint Mars B., Abus de marché : Qui trop embrasse mal étreint ? Bull. Joly Bourse 2011, p. 221). En effet, dans certains pays, les autorités ne dis- posent pas de pouvoirs de sanction effectifs, alors que dans d’autres, elles ne disposent pas de sanctions pénales pour certaines infractions d’opération d’initié et de manipulation de marché. Or, des sanctions effectives peuvent avoir un fort effet dissuasif et renforcer l’intégrité des marchés financiers de l’Union européenne. C’est pourquoi la Commission européenne propose désormais des règles applicables dans toute l’Union européenne, de façon à garantir des sanctions pénales minimales pour les opérations d’initiés et les manipulations de marché. Pour la première fois, la Commission a recours aux nouveaux pouvoirs conférés par le traité de Lisbonne pour assurer l’application d’une politique de l’Union européenne par la voie de sanctions pénales. La proposition de directive impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour que les infractions pénales d’opération d’initié et de manipulation de marché soient passibles de sanctions pénales. Les États membres seront également tenus de prévoir des sanctions pénales en cas d’incitation à commettre des abus de marché, de complicité ou de tentative 32 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 en la matière. La proposition de directive en cours a pour but de compléter les dispositions relatives aux abus de marché et de renforcer les sanctions administratives. Mais avant même tous ces projets, force est de constater que le droit français dispose déjà d’un arsenal répressif aussi bien judiciaire qu’administratif pour réprimer les auteurs de manquements. Cet arrêt en est une illustration et met en évidence d’ailleurs la procédure à la fois judiciaire et administrative française, et même l’interprétation des normes administratives par le judiciaire. Cet arrêt du 13 décembre 2011 vient clore un contentieux qui avait débuté devant l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour des faits s’étant déroulés entre 2006 et 2007. Concrètement, un dirigeant d’une société expressément alerté par les commissaires aux comptes, savait que les informations relatives aux frais de recherche & développement (R & D) communiquées au public n’étaient pas conformes à la réalité, ce qui constitue un manquement à l’obligation d’information du public. En l’espèce, la société a pris en compte, en l’absence d’« assurance raisonnable », au sens de la norme IAS 20 relative à la comptabilisation des subventions publiques et informations à fournir sur l’aide publique, du versement effectif des subventions. Il faut savoir en outre que les frais de R & D dans la communication financière des sociétés de ce secteur de l’industrie de pointe est particulièrement importante. C’est la raison pour laquelle, les comptes de la société au 30 septembre 2006 et au 31 mars 2007 comportent, au sens de l’article 632-1 du règlement général de l’AMF, une information inexacte, imprécise et trompeuse concernant le montant des dépenses de R & D de la société en ce que le montant de celles-ci a été minoré du fait de la prise en compte de subventions dont le versement effectif restait subordonné à une décision de la Commission européenne admettant la compatibilité de ces aides avec le droit communautaire. Par ailleurs, en s’abstenant d’assurer la diffusion simultanée au public d’une information privilégiée, relative à la marge opérationnelle de la société qui a été communiquée à des analystes financiers sans être assortie d’un « embargo », le dirigeant et la personne en charge de la communication financière de la société ont méconnu l’obligation résultant de l’article 222-4 du règlement général de l’AMF imposant la diffusion au public d’une information privilégiée communiquée à des tiers. La Commission des sanctions, le 10 décembre 2009, retient alors pour ces deux manquements 50 000 euros à l’encontre de la société et 30 000 euros à l’encontre du dirigeant. Quant à la personne chargée de la communication financière, une sanction pécuniaire d’un montant de 5000 euros a été prononcée à son encontre du chef d’un manquement unique. En revanche, la Commission des sanctions ne retient pas la responsabilité des commissaires aux comptes (Merle Ph., note sous Déc. Comm. sanctions AMF, 10 déc. 2009, Société X et MM. A, B, C et D, Bull. CNCC 2010, p. 143) Les mêmes faits sont ensuite soumis à la Cour d’appel de Paris le 21 octobre 2010 puis à la Cour de cassation en date du 13 décembre 2011 qui rejette les pourvois (Simon F.-L., AMF : recours contre les décisions de l’AMF, Joly Bourse, Etude : EA070). Les débats devant la Cour de cassation sont relativement proches de ceux développés devant la Commission des sanctions et portent en réalité sur l’interprétation des manquements au règlement général de l’AMF, exercice auquel se livre ici la Cour de cassation. Ainsi, en rejetant le pourvoi, la Cour de cassation estime que la société et son dirigeant ont manqué aux obligations des articles 222-2 et 222-4 du règlement général de l’AMF : – en communiquant au public une information inexacte imprécise et trompeuse concernant les dépenses de R & D ; – en s’abstenant d’assurer la diffusion simultanée au public d’une information privilégiée intentionnellement transmise à des tiers. I. – LE MANQUEMENT À LA BONNE INFORMATION DU PUBLIC : LE NON-RESPECT DES OBLIGATIONS FINANCIÈRES PRÉVUES PAR LES TEXTES Les émetteurs sont tenus de respecter un certain nombre d’obligations au titre de l’information périodique et permanente définies dans le Code de commerce et dans le Livre II du règlement général de l’AMF. L’information périodique recouvre les informations données à échéances régulières par l’émetteur (sur une base annuelle, semestrielle et trimestrielle). L’information permanente comprend essentiellement l’obligation pour un émetteur de porter dès que possible à la connaissance du public, sous la forme d’un communiqué, toute information non publique le concernant, susceptible d’avoir une influence sensible sur son cours de bourse. Elle comprend aussi des obligations plus spécifiques comme les obligations de déclaration de franchissement de seuil et de déclaration d’intention, ou l’obligation de déclaration du dirigeant des opérations réalisées sur les titres de sa société. L’information donnée doit être exacte, précise et sincère. La Commission des sanctions de l’AMF peut sanctionner l’émetteur s’il ne respecte pas ses obligations mais également le dirigeant, à raison de sa qualité de représentant légal. Elle peut également prononcer une sanction contre toute personne ayant porté atteinte à la bonne information du public par la communication d’une information inexacte, imprécise ou trompeuse. L’information délivrée au public par les émetteurs doit être exacte, précise et sincère. Ces exigences s’appliquent tant aux informations dont la communication est obligatoire au titre de la réglementation qu’aux informations communiquées par l’émetteur sur une base purement volontaire. L’information délivrée au public par l’émetteur doit être exacte, c’est-à-dire être exempte d’erreurs. Elle doit également être complète ; la diffusion d’une information en elle-même exacte pourrait, en effet, être critiquable si l’émetteur a par ailleurs omis de communiquer une autre information qui aurait été susceptible de modifier l’appréciation de sa situation par le marché. L’information délivrée au public par l’émetteur doit être précise, c’est-à-dire que l’émetteur doit communiquer au marché l’ensemble des éléments relatifs à l’événement qui fait l’objet de la communication afin de permettre au marché d’apprécier l’impact de cet événement sur la situation et les perspectives de l’émetteur. L’information divulguée par l’émetteur doit être sincère. La sincérité de l’information délivrée par l’émetteur implique que soient communiqués tant les éléments positifs que les éléments négatifs afférents à l’information considérée. Ceci rejoint le principe d’homogénéité de l’information précédemment énoncé. Les faits présentés ici devant la Cour de cassation avaient déjà fait l’objet d’une condamnation par la Commission des sanctions, qu’il est assez intéressant de reprendre ici tant le raisonnement suivi est finalement le même. C’est ainsi que dans la décision du 10 décembre 2009, la Commission des sanctions retient le manquement à l’obligation d’information du public du chef de la comptabilisation par une société de subventions aléatoires (Déc. Comm. sanctions AMF, 10 déc. 2009, Société X et ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE DROIT DU FINANCEMENT MM. A, B, C et D, Rontchevsky N., Manquement à l’obligation d’information du public du chef de la comptabilisation par une société de subventions aléatoires de recherche et développement en méconnaissance de la norme IAS 20, Bull. Joly Bourse 2010, p. 248, Bull. CNCC 2010, p. 143, note Merle Ph.). Le premier point visait le caractère erroné de la comptabilisation de subventions de R & D au regard de la norme IAS 20. La société avait comptabilisé, dans les comptes semestriels au 30 septembre 2006 puis dans les comptes annuels au 31 mars 2007, des sommes de 1 000 000 euros et de 2 000 000 euros correspondant à des subventions qui devaient lui être allouées par des organismes publics au titre de dépenses de recherche mais qui n’avaient pas encore été autorisées par la Commission européenne. La Commission des sanctions de l’AMF a estimé que, ce faisant, la société et son dirigeant ont manqué à la norme IAS 20 relative à la « comptabilisation des subventions publiques et informations à fournir sur l’aide publique » dont le non-respect est susceptible de constituer le manquement de publication de fausses informations, au sens de l’article 632-1 du règlement général de l’AMF. Selon cette norme, les subventions attendues des organismes publics ne doivent être comptabilisées dans les comptes que lorsqu’il existe une « assurance raisonnable » que « les subventions seront reçues ». Or, une telle assurance, qui n’est certes pas une certitude, n’était pas établie en l’espèce car le versement effectif de ces subventions restait subordonné à une décision de la Commission européenne admettant leur comptabilité avec l’article 87 du traité CE. Il est à noter que l’autorité de marché relève deux éléments importants au cas d’espèce tenant, d’une part, au caractère aléatoire de la décision de la Commission européenne et, d’autre part, à l’importance particulière dans ce secteur des frais de R & D (qui étaient ainsi artificiellement minorés) : « Considérant qu’alors surtout que la Commission européenne n’avait pas eu précédemment l’occasion de se prononcer, s’agissant de [la société], sur des aides comparables, un aléa subsistait sur le principe de la déclaration de compatibilité et, plus encore, sur la date à laquelle cette éventuelle déclaration pourrait intervenir ; considérant par suite qu’en l’absence d’“assurance > N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 33 L A N O T I O N D E B O N N E I N F O R M AT I O N E T D E D I F F U S I O N D E L’ I N F O R M AT I O N P R I V I L É G I É E PA R L A C O U R D E C A S S AT I O N raisonnable” au sens de la norme IAS 20 du versement effectif chaque décision vient préciser les attentes du marché. Enfin, la des subventions et compte tenu de l’importance des frais de Cour revient également sur l’aspect aléatoire de la subvention R & D dans la communication financière des sociétés de ce et du versement effectif avant la décision de la Commission secteur de l’industrie de pointe, les comptes de [la société] européenne. Là aussi la solution est très cohérente : afin X aux 30 septembre 2006 et 31 mars 2007 comportent, au de donner une information précise et non trompeuse, il ne sens de l’article 632-1 du règlement général de l’AMF, une peut être envisagé de faire figurer des sommes non encore information inexacte, imprécise et trompeuse concernant le attribuées. Cette majoration des comptes est en réalité souvent montant des dépenses de R & D de [la société] X en ce que le constatée lors des manquements (Dezeuze E. et Buge G., note sous Déc. montant de celles-ci a été minoré du fait de la prise en compte Comm. sanctions AMF, 5 juill. 2007, Marionnaud parfumeries, KPMG,…, Bull. Joly Bourse de subventions dont le versement effectif restait subordonné 2008, p. 46). Dans le climat d’incertitude économique, une telle à une décision de la Commission européenne admettant la solution doit encore plus être approuvée. compatibilité de ces aides avec le droit communautaire ». Cette motivation pragmatique laisse entendre que la solution II. – L’ABSENCE D’UNE DIFFUSION D’UNE aurait pu être différente en présence de décisions antérieures INFORMATION PRIVILÉGIÉE AU PUBLIC de la Commission européenne, constituant en quelque sorte des précédents, susceptibles de donner une « assurance raiL’information permanente relève des règles relatives aux abus sonnable », voire une quasi-certitude, de marché. Elle s’applique aux sociétés quant au bénéfice des subventions. dont les titres sont admis aux négoMais en présence d’un aléa quant à la ciations non seulement sur un marché La solution est importante compatibilité des subventions avec le réglementé mais aussi sur un système dans la mesure où les droit communautaire, la société et son multilatéral de négociation organisé aides publiques et les dirigeant ne pouvaient pas transformer (Règl. gén. AMF, art. 223-1 A). L’obligation d’insubventions mettent en leurs rêves en une réalité comptable. La formation permanente n’est pas prévue solution est importante dans la mesure par la loi mais par le règlement général jeu le modèle économique où les aides publiques et les subventions de l’AMF. Tout émetteur doit, dès que de bon nombre de sociétés, mettent en jeu le modèle économique de possible, porter à la connaissance du et notamment de celles bon nombre de sociétés, et notamment public toute information privilégiée qui exerçant leur activité dans de celles exerçant leur activité dans des le concerne directement (Règl. gén. AMF, des secteurs de pointe. secteurs de pointe. art. 223-2, I et 621-1 et s.). En conséquence, les Le pourvoi en cassation reprend exacteémetteurs dont les titres financiers sont ment la même argumentation que celle admis aux négociations sur un marché développée devant l’AMF, ce qui d’ailleurs peut laisser très réglementé ou sur un système multilatéral de négociation pensif sur le thème du non bis in idem (Nord-Wagner M., La double organisé ont l’obligation de porter à la connaissance du public toute information précise, qui si elle était rendue publique, sanction des infractions boursières à l’épreuve du principe non bis in idem, AJ pénal 2011, serait susceptible d’avoir une incidence sensible sur le cours p. 67). Mais au-delà de cette question récurrente en droit pénal des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financier, cela est donc sans surprise que la Cour de cassation financiers qui leur sont liés. L’information qui présente ces rejette le pourvoi. Tout d’abord, la Cour en profite pour rapcaractéristiques est réputée être une « information privilégiée » peler que la caractérisation d’un manquement à l’obligation au sens de la réglementation boursière. de bonne information du public n’est pas subordonnée à la L’émetteur doit en principe procéder à la communication de démonstration que la pratique en cause a eu pour effet de cette information dès que possible par voie de presse (Déc. Comm. porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché. Certes cela est sous-jacent à toute sanctions AMF, 4 oct. 2007, M. Le Coadou, Mme Le Coadou et M. Sarrat, Torck S., Manquela réglementation édictée par l’AMF, toutefois cela n’est en ments à la bonne information du public et manquement d’initié, Bull. Joly Bourse 2008, rien une condition supplémentaire à tous les manquements. p. 148). Toutefois, l’émetteur, peut, sous sa responsabilité et C’est donc en toute logique que la Cour de cassation réfute cet sous les trois conditions cumulatives suivantes, prendre la argument. Concrètement, la Cour tout comme la Commission décision de différer la communication d’une information : des sanctions utilise ce critère d’atteinte ou d’incidences graves – il existe un intérêt légitime pour l’émetteur lui permettant sur le marché non pas comme condition mais afin d’évaluer de différer la diffusion de l’information. À titre d’exemple, le quantum de la peine (Bouthinon-Dumas H., commentaire sous Déc. Comm. peut constituer un intérêt légitime qui justifie le fait de différer la communication de l’information : les contraintes de confisanctions AMF, 5 mars 2009, Société Nortène, Bull. Joly Bourse 2009, p. 298 ; cf. égaledentialité liées à la concurrence ; la nécessité de coordonner ment, TGI Paris, 11e ch. corr., 12 nov. 2010, RTDF 2011, n° 4, p. 256, note Dezeuze E.). la diffusion des informations sur le marché national avec la Ainsi, dans la décision de condamnation de la Commission diffusion sur les marchés étrangers ; ou encore le risque qu’une des sanctions, elle tempère et limite le montant du fait de diffusion prématurée ferait courir à des négociations en cours ; cette non-incidence à 50 000 euros à l’encontre de la société – l’absence de communication ne doit pas avoir pour effet et 30 000 euros à l’encontre du dirigeant. De surcroît, la Cour d’induire le public en erreur ; de cassation pour rejeter ce premier pourvoi ajoute que les – l’émetteur doit être en mesure de préserver la confidentialité qualités d’exactitude, de précision et de sincérité de l’informade l’information. tion s’apprécient à la date à laquelle elle est donnée au public. Ici, la discussion ne va pas porter sur les exceptions mais sur Cet argument n’est en soi pas nouveau, il est en revanche l’information elle-même. Le second moyen tente de prouver intéressant de noter que pour la Cour « les frais de recherche l’absence de diffusion simultanée au public d’une information et de développement constituent des éléments essentiels de la privilégiée communiquée à un tiers par la société, son dirigeant communication financière dans ce secteur ». Il s’agit ici d’une et la personne en charge de la communication financière indication concrète d’une condition d’appréciation de la node la société. La Commission des sanctions de l’AMF avait tion d’information. Cette notion étant purement prétorienne 34 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 considéré que le manquement était caractérisé : « Considérant que les 5 et 6 octobre 2006, plusieurs analyses ont été publiées informant le public de ce que le taux de marge opérationnelle attendu pour [la société] X pour l’exercice 2006-2007 ne serait pas atteint ; qu’il n’est pas contesté que, dans les jours précédents, M. B, en charge de la communication financière, avait fait état auprès de ces analystes de ce que le consensus relatif à la marge opérationnelle de 18 % leur paraissait trop élevé ; que M. B n’avait pas assorti cette communication d’un “embargo” ; qu’ainsi, l’information que M. B a donnée intentionnellement à certains analystes financiers dans les jours précédant les 5 et 6 octobre 2006 n’était pas publique ; qu’elle était par ailleurs précise et de nature à avoir un effet sensible sur le cours du titre X ; qu’elle revêtait ainsi le caractère d’une information privilégiée qu’en application de l’article 222-4 du règlement général de l’AMF, X ne pouvait communiquer à des tiers sans la porter simultanément à la connaissance du public ». Si le débat devant la Commission des sanctions de l’AMF portait essentiellement sur les personnes mises en cause, le pourvoi devant la Cour de cassation insiste davantage sur les éléments constitutifs du manquement. Sans surprise, la Cour de cassation estime qu’une information privilégiée est notamment celle qui porte sur un décalage significatif entre les attentes du marché à propos du taux de marge opérationnelle et ce que savait la société. Il est compréhensible que cette information est à la fois précise et si elle était publique aurait une influence sensible sur le cours des titres. Il est possible de comparer ce chiffre à celui de l’absence de réalisation du chiffre d’affaires (Dezeuze E., note sous Déc. Comm. sanctions AMF, 9 juin 2009, Société Parrot, Bull. Joly Bourse 2009, p. 487). De même, elle précise que cette information avait été communiquée intentionnellement à certains analystes financiers dans les jours précédant les 5 et 6 octobre 2006 mais qu’elle n’a pas été diffusée simultanément au public. Le fait que cette information ait été communiquée à des tiers en vue de sa diffusion auprès du public n’emporte aucune conséquence (Angel K. et Martin D., Réflexions sur la mise à disposition du public d’une information privilégiée, Bull. Joly Bourse 2010, p. 274). Il est à noter que la révélation par l’émetteur dans les plus brefs délais de toute information privilégiée recouvre bien un délai de quelques jours. La Commission sanctionne ce retard sans même relever si cette annonce a eu un impact effectif et sensible sur le cours. Enfin, le dernier moyen porte sur le fait qu’il n’y a qu’une sanction pour deux manquements, ce à quoi répond la Cour de cassation que la Commission des sanctions de l’AMF n’est pas tenue de prononcer une sanction distincte pour chacun des manquements commis. Cette solution avait déjà été retenue auparavant dans d’autres espèces (CA Paris, pôle 5, ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE DROIT DU FINANCEMENT ch. 5-7, 2 févr. 2010, n° RG : 09/02623, Société Maurel & Prom et a., JCP E 2010, 1253, Bull. Joly Sociétés 2010, p. 346, § 73, note Schmidt D., RTD com. 2010, p. 395, obs. Rontchevsky N.). Une dernière remarque peut être faite sur les limites de l’anonymisation des décisions de la Commission des sanctions de l’AMF car si dans la décision du 10 décembre 2009 aucun nom n’apparaît, il est évident que devant la Cour de cassation, les mêmes faits et la même procédure ne sont plus anonymes, cela met en évidence l’aspect très relatif et ponctuel de ce choix. Ainsi, la Cour de cassation suit le raisonnement de l’AMF tout en interprétant les normes réglementaires qui lui sont soumises. Cela a le mérite d’une certaine unification des normes applicables sur les marchés financiers mais cette réglementation des Abus de marché va encore cette année beaucoup évoluer amenant des incertitudes quant à l’interprétation des textes. ◆ N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 35 Par Delphine CHEMIN-BOMBEN Secrétaire générale de la Rédaction Lamy droit du financement RLDA MARCHÉS FINANCIERS 3917 Obligation d’inscription en compte des valeurs mobilières et QPC L’article L. 211-4, alinéa 5, du Code monétaire et financier (dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004) qui organise le régime transitoire des valeurs mobilières émises avant le 3 novembre 1984 est conforme à la Constitution. Cons. const., 27 janv. 2012, n° 2011-215, QPC ; Communiqué Cons. const., 27 janv. 2012 Le 15 novembre 2011, la Cour de cassation a saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du cinquième alinéa de l’article L. 211-4 du Code monétaire et financier, dans son ancienne rédaction (cet alinéa a été abrogé par l’ordonnance n° 2009-15 du 8 janvier 2009 relative aux instruments financiers). L’article L. 211-4 a mis fin à la possibilité d’émettre et de détenir des titres anonymes au porteur (titres sur support papier) de sociétés par actions. Le cinquième alinéa de cet article a plus précisément pour objet d’organiser le régime transitoire des valeurs mobilières émises avant le 3 novembre 1984. Ainsi, cet alinéa prévoit que l’exercice des droits attachés à la détention de valeurs mobilières émises avant le 3 novembre 1984 dépend de leur présentation, par leurs détenteurs, à la société émettrice ou à un intermédiaire agréé afin qu’il soit procédé à leur inscription en compte. Ce même alinéa impose aux sociétés émettrices des valeurs non présentées et qui, par l’effet même de la loi, ne confèrent plus à leurs porteurs les droits antérieurement attachés, de vendre celles-ci à compter du 3 mai 1988 et de consigner le produit de la vente pour qu’il soit distribué aux anciens détenteurs de ces titres. Selon le requérant, en imposant aux sociétés émettrices la vente des valeurs mobilières non présentées en vue de leur inscription en compte, les dispositions du cinquième alinéa de l’article L. 211-4 portaient atteinte au droit de propriété. Le Conseil constitutionnel, qui a rendu sa décision le 27 janvier 2012, a cependant déclaré cet alinéa conforme à la Constitution et notamment au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le Conseil a d’abord rappelé la distinction entre les atteintes au droit de propriété qui consistent en une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme 36 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 (la privation ne peut être justifiée que lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité) et les autres atteintes au droit de propriété qui relèvent de l’article 2 de cette même Déclaration (les atteintes doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi). Puis, après avoir jugé que les dispositions du cinquième alinéa de l’article L. 211-4 du Code monétaire et financier ne conduisent pas à une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme, le Conseil a opéré un contrôle de proportionnalité sur le fondement de l’article 2 de la Déclaration. Grâce à ce contrôle, le Conseil a pu relever que : – la suspension des droits attachés aux titres non inscrits en compte et la cession ultérieure de ces titres par la société émettrice poursuivent un but d’intérêt général : lutter contre la fraude fiscale et réduire le coût de la gestion des valeurs mobilières ; – la cession des titres est subordonnée à la carence de leur détenteur qui, au cours de la période du 3 novembre 1984 au 3 mai 1988, ne les aurait pas présentés à la société émettrice ou à un intermédiaire habilité afin qu’il soit procédé à leur inscription en compte. En outre, le produit de la vente réalisée est consigné jusqu’à sa restitution éventuelle aux ayants droit. Ainsi, justifié par un motif d’intérêt général, le cinquième alinéa de l’article L. 211-4 du Code monétaire et financier ne porte au droit de propriété des détenteurs de ces valeurs mobilières aucune atteinte disproportionnée. Le Conseil a pu en déduire que le cinquième alinéa de l’article L. 211-4 du Code monétaire et financier est conforme à la Constitution. Victoria MAURIES Lamy droit du financement ➤ Lamy droit du financement 2012, no 893 RLDA DROIT DU FINANCEMENT 3918 Critères extra-financiers pris en compte par les sociétés de gestion de portefeuille et information des souscripteurs Un décret du 30 janvier 2012 précise la manière dont les sociétés de gestion de portefeuille doivent présenter l’information relative à la prise en compte des critères sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance (critères dits « ESG ») dans leur politique d’investissement ainsi que les supports sur lesquels cette information doit figurer. D. n° 2012-132, 30 janv. 2012, JO 31 janv. L’article L. 533-22-1 du Code monétaire et financier, introduit par l’ordonnance n° 2011-915 du 1er août 2011 portant transposition de la directive OPCVM IV, impose aux sociétés de gestion de portefeuille de mettre à la disposition des antérieurement prévue par l’article L. 214-12, alinéa 3, du Code monétaire et financier, créé par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle II »). Le décret n° 2012-132 du 30 janvier 2012 précise tout d’abord la manière dont les sociétés de gestion doivent présenter cette information. Sont ainsi distinguées et listées les informations relatives à la société de gestion, les informations relatives aux OPCVM qui prennent simultanément en compte des critères ESG et les informations relatives aux autres OPCVM (C. mon. fin., art. D. 533-16-1, I, nouveau). Ce décret précise ensuite les supports sur lesquels l’information doit figurer. Les informations relatives à la société de gestion de portefeuille sont présentées de façon aisément identifiable sur le site Internet de la société de gestion. Les informations concernant les OPCVM sont, quant à elles, présentées sur le site Internet de la société de gestion par OPCVM ou par catégories d’OPCVM et dans le rapport annuel de chaque OPCVM géré. Ces informations peuvent être présentées selon un code élaboré par une association professionnelle et, dans ce cas, la société de gestion doit préciser en préambule le code retenu (C. mon. fin., art. D. 533-16-1, II, nouveau). Ce décret précise enfin que les informations devant figurer sur le site Internet de la société de gestion de portefeuille sont présentées sur le site au plus tard le 1er juillet 2012 et que les informations devant figurer dans le rapport annuel de l’OPCVM sont présentées dans les rapports annuels relatifs aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2012 (D. n° 2012-132, 30 janv. 2012, art. 2). • OBSERVATIONS • Sur ce décret, voir aussi dans cette revue, RLDA 2012/69, n° 3902. V.M. ➤ Lamy droit du financement 2012, nos 1718, 1856 et 1865 En bref… Fusion interdite entre Deutsche Börse et NYSE Euronext Le 1er février 2012, la Commission européenne a rejeté le projet de concentration entre Deutsche Börse et NYSE Euronext car il aurait entraîné la création d’un quasi-monopole pour les transactions en bourse, à l’échelon international, sur produits financiers dérivés européens. Actuellement, les deux plus grandes bourses au monde pour les transactions sur ces produits financiers sont Eurex, la plate-forme de Deutsche Börse, et Liffe, exploitée par NYSE Euronext. Elles sont en concurrence directe et chacune est pour l’autre le principal concurrent. La Commission européenne explique que ce projet de concentration aurait mis fin à cette concurrence mondiale et créé un quasi-monopole sur RLDA souscripteurs de chacun des OPCVM qu’elles gèrent une information sur les modalités de prise en compte dans leur politique d’investissement des critères ESG (cette obligation était ACTUALITÉS DROIT DU FINANCEMENT 3919 Précisions sur l’obligation de création d’un comité des rémunérations Un décret du 20 janvier 2012, publié au Journal officiel du 22 janvier 2012, fixe les seuils imposant la création d’un comité des rémunérations dans les établissements de crédit, entreprises d’investissement et sociétés de capital-risque. D. n° 2012-67, 20 janv. 2012, JO 22 janv. L’article L. 511-41-1 A du Code monétaire et financier, créé par la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière, prévoit l’obligation de constituer un comité spécialisé en matière de rémunérations au sein des établissements de crédit, entreprises d’investissement et sociétés de capital-risque d’une taille supérieure à certains seuils. Ce comité des rémunérations, constitué par l’organe exécutif et comportant une majorité de membres indépendants, a pour mission d’examiner annuellement les principes de la politique de rémunération de l’entreprise, ainsi que les rémunérations accordées aux salariés dont les activités sont susceptibles d’avoir une incidence significative sur l’exposition aux risques de l’entreprise. Le décret n° 2012-67 du 20 janvier 2012 fixe à dix milliards d’euros le seuil de bilan, social ou consolidé, au-delà duquel s’applique l’obligation de constituer un comité des rémunérations. Ce seuil est le même pour les établissements de crédit (C. mon. fin., art. D. 511-15 nouveau), les entreprises d’investissement (C. mon. fin., art. D. 533-1 A nouveau) et les sociétés de capital-risque (D. n° 2012-67, 20 janv. 2012, art. 3). Ce décret est entré en vigueur le lendemain de sa publication, soit le 23 janvier 2012. V.M. ➤ Lamy droit du financement 2012, n° 5168 plusieurs catégories d’actifs, ce qui aurait pu causer un préjudice important aux utilisateurs de produits dérivés ainsi qu’à l’économie européenne dans son ensemble. Les clients ne pourraient plus profiter d’une concurrence par les prix et il pourrait aussi y avoir des conséquences négatives sur l’innovation. Par ailleurs, les mesures correctives proposées par les deux sociétés ont été considérées comme insuffisantes par la Commission européenne. Communiqué Comm. UE n° IP/12/94, 1er févr. 2012 Rapport du groupe de travail sur les assemblées générales des sociétés cotées Constitué en mai 2011, le groupe de travail de l’AMF sur les assemblées générales des sociétés cotées présidé par Olivier Poupart-Lafarge, membre du collège, a publié son rapport le 7 février 2012. D’une manière générale, ce groupe de travail qui comprend des experts d’hori- > zons divers a relevé une opinion globalement positive sur le fonctionnement des assemblées générales en France mais a tout de même formulé des propositions d’améliorations qui s’adressent directement aux acteurs concernés, notamment aux sociétés cotées. Ces propositions s’articulent autour de quatre thèmes : le dialogue entre actionnaires et émetteurs, l’expression du vote, le bureau de l’assemblée et le vote des conventions réglementées. Le rapport est consultable sur le site Internet de l’AMF, rubrique publications>rapports de groupes de travail. À l’issue de la consultation publique organisée par l’AMF, les propositions du groupe qui ne nécessitent pas d’amendements de textes législatifs ou réglementaires auront vocation à être appliquées sur recommandation de l’AMF et au plus tard à l’occasion des assemblées qui se tiendront à compter du 1er janvier 2013. Communiqué AMF, 7 févr. 2012 N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 37 3920 Taux de l’intérêt légal pour 2012 Le décret n° 2012-182 du 7 février 2012 fixe le taux de l’intérêt légal à 0,71 % pour l’année 2012. D. n° 2012-182, 7 févr. 2012, JO 8 févr. Ce décret, pris en application des articles L. 313-2 et L. 313-3 du Code monétaire et financier, fixe le taux d’intérêt officiel de référence sur la base de la moyenne arithmétique des douze dernières moyennes mensuelles des taux de rendement actuariel des adjudications de bons du Trésor à taux fixe à treize semaines. Alors qu’il était fixé à 0,38 % pour l’année 2011, le taux est remonté à 0,71 % pour l’année 2012. Il est rappelé que ce taux de l’intérêt légal est utilisé en matière fiscale pour le calcul d’intérêts moratoires et d’intérêts créditeurs. Il est également appliqué en l’absence de stipulations conventionnelles pour le calcul des intérêts moratoires en cas de retard dans le paiement d’une dette. En outre, il s’apprécie avec une majoration de cinq points en cas de condamnation par une décision de justice. V.M. En l’espèce, comme il s’agissait simplement de la condamnation en justice de la caution au paiement, celle-ci ne pouvait demander l’application de l’alinéa en question. V.M. ➤ Lamy droit du financement 2012, n° 3782 INSTRUMENTS DE PAIEMENT ET DE CRÉDIT RLDA RLDA CRÉDITS ET GARANTIES 3922 Immatriculation des intermédiaires en opérations de banque, des CIF et des agents liés Le décret n° 2012-100 du 26 janvier 2012, pris en application de l’article 36 de la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière, précise les règles d’immatriculation sur un registre unique des intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement, des conseillers en investissements financiers (CIF) et des agents liés. D. n° 2012-100, 26 janv. 2012, JO 28 janv. RLDA ➤ Lamy droit du financement 2012, nos 3267 et 3279 3921 Caution personne physique et minimum de ressources La chambre commerciale de la Cour de cassation précise, dans un arrêt du 31 janvier 2012, à quel moment une caution peut invoquer les dispositions de l’article 2301, alinéa 2, du Code civil. Cass. com., 31 janv. 2012, n° 10-28.236, P+B L’article 2301, alinéa 2, du Code civil prévoit qu’« en toute hypothèse, le montant de la dette résultant du cautionnement, ne peut avoir pour effet de priver la personne physique qui s’est portée caution, d’un minimum de ressources fixé à l’article L. 331-2 du Code de la consommation ». En l’espèce, une caution solidaire condamnée par les juges du fond au paiement d’une certaine somme à la banque créancière leur reproche, dans son pourvoi, d’avoir déclaré inapplicable cet alinéa. La Cour de cassation, pour rejeter le pourvoi de la caution, explique que « la dernière phrase de l’article 2301 du Code civil, qui ne distingue pas selon que le cautionnement est simple ou solidaire, a pour seul objet de préciser les conditions dans lesquelles s’effectue le recouvrement de la créance résultant du cautionnement donné par une personne physique ». Autrement dit, l'article 2301, alinéa 2, est applicable à toutes les cautions personnes physiques mais il ne peut être invoqué par ces dernières pour leur défense que dans le cas où le créancier leur demande l’exécution de la condamnation (mise en œuvre du recouvrement) et non lors du prononcé de celle-ci par les juges. 38 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 Ce décret définit tout d’abord le rôle et les compétences de l’Organisme pour le registre des intermédiaires en assurance (ORIAS). Cet organisme est chargé de l’établissement, de la tenue et de la mise à jour du registre unique des intermédiaires. À cette fin, il reçoit les dossiers de demandes d’immatriculation et statue sur ces demandes. Le cas échéant, il procède à la radiation du registre ou à la suppression de l’inscription. Il comprend en son sein une commission chargée des immatriculations qui vérifie que sont remplies les conditions d’accès à l’activité d’intermédiation et notamment des conditions d’honorabilité (C. mon. fin., art. R. 546-1 nouveau). Afin de vérifier si ces conditions d’honorabilité sont remplies, l’ORIAS doit demander communication du bulletin n° 2 du casier judiciaire de la personne intéressée (C. mon. fin., art. R. 546-5 nouveau). Ensuite, le décret précise les formalités à accomplir pour une immatriculation sur le registre unique. Ainsi, afin de demander leur immatriculation sur le registre unique, les personnes concernées doivent constituer un dossier justifiant de la réunion des conditions d’accès aux activités en cause. Le contenu de ce dossier est fixé par arrêté du ministre de l’Économie. Il est précisé que cet arrêté doit tenir compte le cas échéant des procédures d’immatriculation équivalentes existant dans d’autres États membres de l’Union européenne ou États parties à l’accord sur l’Espace économique européen. L’immatriculation et l’inscription sont effectuées dans un délai maximum de deux mois à compter de la date de la réception par l’ORIAS d’un dossier complet. L’ORIAS doit notifier au demandeur une attestation comportant son numéro d’immatriculation au registre et la date de l’enregistrement. Cette immatriculation doit être renouvelée chaque année selon des modalités fixées par arrêté du ministre de l’Économie. Les personnes immatriculées doivent informer l’ORIAS de toute modification des informations les concernant et de tout événement pouvant avoir des conséquences sur leur inscription. L’information doit être transmise dans le mois qui précède l’événement ou, quand il ne peut être anticipé, dans le mois qui suit (C. mon. fin., art. R. 546-2 et R. 546-3 nouveaux). Le décret met aussi en place des procédures simplifiées pour les personnes déjà inscrites sur des fichiers professionnels (D. n° 2012-100, 26 janv. 2012, art. 2). Enfin, il prévoit des mesures de coordination avec les dispositions du Code des assurances relatives à l’immatriculation des intermédiaires d’assurance (D. n° 2012-100, 26 janv. 2012, art. 3). Ce texte entrera en vigueur le jour de la mise en place du registre unique des intermédiaires. Ce jour sera fixé par arrêté du ministre de l’Économie. Toutefois, les dispositions relatives aux intermédiaires en assurance et certaines dispositions relatives au rôle des associations de conseillers en investissements financiers en matière de contrôle entrent en vigueur le 1er avril 2012. • OBSERVATIONS • Pour plus de détails sur ce décret, cf. l’éclairage d’Étienne Gruner à paraître dans le prochain numéro de la Revue Lamy Droit des affaires (RLDA 2012/70). V.M. RLDA ➤ Lamy droit du financement 2012, nos 1020, 1786, 1787 et 3151 et s. 3923 Régime des intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement Le décret n° 2012-101 du 26 janvier 2012, pris en application de l’article 36 de la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière, détaille le régime applicable aux intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP). D. n° 2012-101, 26 janv. 2012, JO 28 janv. Ce décret définit tout d’abord le statut d’IOBSP (C. mon. fin., art. R. 519-1, nouveau) puis précise son champ d’application. Certaines exemptions sont prévues, notamment pour les personnes offrant des services d’intermédiation en opérations de banque et en services de paiement qui constituent un et aussi... Accord européen sur la régulation des produits dérivés Le 9 février 2012, le Parlement européen, les 27 États membres et la Commission européenne ont enfin trouvé un accord sur les nouvelles règles relatives à la régulation financière des produits dérivés. Rappelons que la Commission européenne avait présenté le 15 septembre 2010 son projet de règlement destiné à améliorer la transparence et la sécurité du marché des produits dérivés de gré à gré (Communiqué Comm. UE n° IP/10/1125, 15 sept. 2010). Il aura donc fallu attendre presque dix-huit mois pour arriver à un accord sur le règlement proposé. Ce texte impose que toute l’information relative aux transactions sur les produits dérivés échangés en Europe soit collectée par des registres centraux de données complément aux produits ou services fournis dans le cadre de leur activité professionnelle, lorsque le nombre total des opérations de banque ou de services de paiement ou le montant total des crédits octroyés ou des services de paiement fournis ou réalisés par leur intermédiaire chaque année civile n’excèdent pas certains seuils fixés par arrêté du ministre de l’Économie (C. mon. fin., art. R. 519-2, nouveau). Le décret répartit ensuite les IOBSP en quatre catégories en fonction de l’existence et de la nature des liens qu’ils entretiennent avec les établissements de crédit ou de paiement (C. mon. fin., art. R. 519-4, I, nouveau) : – les courtiers en opérations de banque et en services de paiement qui exercent l’intermédiation en vertu d’un mandat du client, à l’exclusion de tout mandat d’un établissement de crédit ou d’un établissement de paiement, et qui ne sont pas soumis à une obligation contractuelle de travailler exclusivement avec un établissement de crédit ou un établissement de paiement ; – les mandataires exclusifs en opérations de banque et en services de paiement, qui exercent l’intermédiation en vertu d’un mandat d’un établissement de crédit ou d’un établissement de paiement et qui sont soumis à une obligation contractuelle de travailler exclusivement avec l’un de ces établissements pour une catégorie déterminée d’opérations de banque ou de services de paiement ; – les mandataires en opérations de banque et en services de paiement qui exercent l’intermédiation en vertu d’un ou plusieurs mandats non exclusifs délivrés par un ou plusieurs établissements de crédit ou établissements de paiement ; – les mandataires d’intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement, qui exercent l’intermédiation en vertu de mandats des personnes mentionnées aux trois catégories précitées. Le décret soumet enfin tous les IOBSP à des obligations de capacité professionnelle, d’assurance de responsabilité professionnelle ou de garantie financière ainsi qu’à des règles de bonne conduite, modulées en fonction de la catégorie à laquelle ils appartiennent (C. mon. fin., art. R. 519-6 à R. 519-26, nouveaux). Des règles supplémentaires sont applicables aux courtiers en opérations de banque et en services de paiement et à leurs mandataires (C. mon. fin., art. R. 519-27 à R. 519-31, nouveaux). > (« référentiels centraux ») afin de les rendre accessible à l’ensemble des autorités de supervision. Le texte impose également que l’ensemble des produits dérivés standardisés soient compensés par des contreparties centrales afin de réduire le risque de défaillance de l’une des parties. Le Parlement européen doit maintenant voter le règlement en session plénière puis le Conseil devra l’approuver formellement. Communiqué Parl. UE, 10 févr. 2012 Du nouveau pour la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme Le Groupe d’action financière (GAFI), en charge de l’élaboration des normes internationales en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, a révisé ses recommandations appliquées dans plus de 180 pays pour combattre ces crimes. ACTUALITÉS DROIT DU FINANCEMENT Les recommandations révisées vont permettre aux autorités des différents pays de mener des actions plus efficaces à tous les niveaux, de l’identification des clients des banques, aux enquêtes, aux poursuites et à la confiscation des biens. Parmi les principaux changements, on peut relever notamment que : – le champ des infractions sous-jacentes au blanchiment de capitaux a été élargi aux infractions fiscales pénales ; – des mesures visent à rendre la coopération internationale plus efficace en particulier concernant l’échange d’informations entre les autorités concernées ou la conduite d’enquêtes conjointes ; – des mesures concernent la lutte contre le financement de la prolifération des armes de destruction massive ; – des obligations plus exigeantes sont formulées vis-à-vis des personnes politiquement exposées. Communiqué GAFI, 16 févr. 2012 N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 39 > Objet et structure de la procédure QPC : Le champ d’application de la QPC • Les juges de la QPC ” > Le procès de la question : L’instruction de la question • L’appréciation de la transmission et du renvoi de la question - Le filtrage Nouveaux droits Nouveaux livres de droit Commander en ligne À retourner, accompagné de votre règlement à : Wolters Kluwer France - Service VPC - CP 408 - 1 rue Eugène et Armand Peugeot 92856 Rueil-Malmaison cedex - Tél. : 01 76 73 30 82 Oui, je souhaite commander (indiquer le nombre d’exemplaires) : Titre Réf. Prix TTC* Quantité Total TTC Droit de la question prioritaire 21434 de constitutionnalité 48 € Frais de port** : 5 € TOTAL = . . . . . . . . . . . . . € *TVA à 7% **Tarif valable en France métropolitaine. Pour l’étranger et les DOM-TOM, nous consulter > Le jugement de la loi : Le déroulement de la procédure devant le Conseil constitutionnel • L’office du Conseil constitutionnel Auteur : Mathieu DISANT I 424 pages 48 € www.lamyaxedroit.fr Mme Mlle M. 002579 075 Nom / Prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Établissement : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ....................................................... CP : I__I__I__I__I__I Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tél. : I__I__I__I__I__I__I__I__I__I__I Email : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ci-joint mon règlement par chèque à l’ordre de Wolters Kluwer France Offres valables dans la limite des stocks disponibles. Conformément à la loi du 6 janvier 1978, ces informations peuvent donner lieu à l’exercice d’un droit d’accès et de rectification auprès de Wolters Kluwer France SAS -VPC. Conditions générales de vente (extrait) : toute commande comporte nécessairement l’acceptation de nos conditions de vente. Les marchandises sont stipulées payables à Paris et voyagent aux risques et périls du destinataire. Aucun retard de livraison ne peut donner lieu à des dommages et intérêts. En cas de litige, le Tribunal de Commerce de Nanterre est seul compétent. Wolters Kluwer France – SAS au capital de 300 000 000 € - SIREN 480 081 306 RCS Nanterre -A_LAD_QPC_190x140_NB_B_9075 Une analyse exhaustive et détaillée du dispositif Sous la direction scientifique de Roger BOUT, Agrégé des Facultés de droit, Professeur émérite de l’Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III, Marc BRUSCHI, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III, Monique LUBY, Professeur à l’Université de Pau et Sylvaine POILLOT-PÉRUZZETTO, Agrégée des Facultés de droit, Professeur à l’Université des Sciences sociales de Toulouse I. Par Martin i POULIOT (1) Enseignant à Sciences-Po Paris Les lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale : une première révision à l’épreuve de la crise ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE DROIT ÉCONOMIQUE L’ouverture, le 24 janvier 2012, par la Commission européenne de sa consultation publique sur la révision des règles applicables aux aides d’État à finalité régionale est l’occasion de revenir sur les enjeux de cette révision et d’identifier les points les plus susceptibles de soulever des difficultés dans les négociations avec les 27 États membres. Et Timothée i hé GIARD RLDA Avocat aux barreaux de Paris et Madrid GATE AVOCATS Comm. UE, Consultation publique sur la révision des règles de l’Union européenne relatives aux aides d’État à finalité régionale, 24 janv. 2012 3924 Une importance majeure Depuis la création des Communautés, le contrôle des aides d’État demeure une compétence exclusive de la Commission européenne. C’est à elle qu’appartient véritablement le droit d’initiative tout comme celui d’approuver ou de déclarer incompatibles avec les règles européennes de concurrence les subventions publiques aux entreprises ayant fait l’objet d’une notification préalable par les États membres concernés. Parmi ces aides d’État soumises au contrôle de la Commission, celles octroyées par les États membres au titre de la finalité régionale occupent une place toute particulière et ce, pour plusieurs raisons. Au vu, tout d’abord, des montants en jeu. À l’échelle de l’Union européenne (UE), environ quatorze milliards d’euros d’aides d’État sont octroyés annuellement au titre de la finalité régionale, soit un quart du montant total des aides d’État. Rien qu’en France, ces aides s’élèvent à un peu plus de quatre milliards, dont 90 % sont destinées à l’Outre-mer. Au vu également de leur importance structurante pour l’Union. Ces aides visent en effet à favoriser le développement économique des régions désavantagées en soutenant l’investissement et la création d’emplois et, partant, à améliorer la cohésion économique, sociale et territoriale des États membres et de l’UE. Ces aides comportent donc une dimension politique forte. Un contexte politique et économique sensible Les règles régissant les aides d’État à finalité régionale arrivent prochainement à expiration. À cette occasion, il appartient à la Commission de procéder à un bilan de l’application de ces règles et d’en tirer les conséquences pour l’adoption de nouvelles lignes directrices. Or, cette révision se déroule dans un contexte très particulier de double crise : crise économique et crise des dettes publiques. Certaines régions européennes sont en effet très sérieusement affectées par la crise économique et l’écart les séparant des régions les plus prospères se creuse. Selon les dernières données publiées par Eurostat, le fossé est profond entre les régions les plus touchées par le chômage – comme l’Andalousie (28 % de taux de chômage), les Canaries (28,7 %) ou encore la Réunion (28,9 %) – et celles où règne le plein emploi, comme Zeeland, aux Pays-Bas (taux de chômage de 2,7 %) ou les régions le long de l’arc alpin (Unemployment in the EU 27 in 2010, « Regional unemployment rates ranged from 2.7 % in Zeeland and Bolzano/ Bozen to 28.9 % in Réunion », Eurostat, 171/2011, 24 nov. 2011). La situation des régions désavantagées rend ainsi plus que nécessaire une intervention accrue des pouvoirs publics, notamment sous la forme de soutiens financiers. Or, face à ces besoins accrus, les ressources publiques à disposition des États membres se font elles de plus en plus rares. Le risque existe à cet égard que le marché intérieur ne > (1) Les jugements et opinions exprimés dans cet article n'engagent que l'auteur et ne sauraient en aucune manière engager les institutions auxquelles il pourrait appartenir. N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 41 L E S L I G N E S D I R E C T R I C E S C O N C E R N A N T L E S A I D E S D ’ É TAT À F I N A L I T É R É G I O N A L E : U N E P R E M I È R E R É V I S I O N À L’ É P R E U V E D E L A C R I S E se fragmente ; il est donc essentiel que l’octroi d’aides soit limité aux projets pour lesquels le soutien public est véritablement nécessaire. La Commission devra donc dans ces conditions parvenir à trouver un point d’équilibre permettant tout à la fois de soutenir les régions les plus défavorisées dans le contexte de crise économique tout en limitant les distorsions de concurrence au sein du marché intérieur et en veillant à ce que tous les États membres soient en mesure de soutenir équitablement leur économie. Au-delà, la révision des Lignes directrices à finalité régionale (JOUE 4 mars 2006, n° C 54) ne peut être traitée isolément et doit être appréhendée dans le contexte de la révision d’autres règles applicables au contrôle des aides d’État (telles que celle du règlement général d’exemption par catégorie ou du règlement de minimis). Elle s’inscrit dans une révision de plus large amplitude et doit nécessairement anticiper les modifications à venir. Ayant lieu légèrement plus tôt que les autres révisions, elle est donc intéressante à ce titre également. I.– LE RÉGIME ACTUEL DES AIDES D’ÉTAT À FINALITÉ RÉGIONALE Les aides d’État à finalité régionale sont celles dont l’évaluation de compatibilité avec les règles de concurrence repose nécessairement sur : – les articles 107 (3) (a) et (c) du TFUE, – les lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale ou – la section I du chapitre II du règlement général d’exemption par catégorie (JOUE 9 août 2008, n° L 214). Elles sont caractérisées par une dimension géographique les distinguant des autres formes d’aides d’État. Les plafonds d’aides autorisés sont proportionnels à la gravité des problèmes affectant le développement des régions concernées et l’on discerne deux types de régions admissibles aux aides régionales (régions peu élégamment désignées dans le jargon communautaire comme régions « assistées ») : – les régions où le PIB/habitant est inférieur à 75 % de la moyenne de l’UE ou régions « a » (TFUE, art. 107 (3) (a)), et – les régions défavorisées par comparaison à la situation observée au niveau national ou régions « c » (TFUE, art. 107 (3) (c)). Les cartes nationales des aides régionales qui délimitent ces régions assistées et fixent les montants maximaux de l’intensité des aides (l’intensité étant le ratio « montant des aides / coûts admissibles du projet d’investissement ») sont notifiées par les États membres, puis approuvées par décision de la Commission. Si la détermination des régions « a » est automatique – puisque s’appréciant au regard du seuil objectif de 75 % –, les États membres disposent d’une certaine marge de manœuvre quant à la désignation des régions « c » dans le respect des limites fixées en termes de couverture maximale de population. Les aides régionales n’étant pas sectorielles, tous les types d’activité économique peuvent en bénéficier, sauf ceux considérés comme sensibles (les fibres synthétiques et la sidérurgie) ou ceux régis par des règles spécifiques (l’agriculture, la pêche, l’industrie charbonnière, les transports et la construction navale). Les grands projets d’investissement (ceux dont les dépenses admissibles dépassent 50 millions d’euros) font l’objet de notifications individuelles, si les aides proposées dépassent le montant maximal auquel pourrait prétendre un investissement de 100 millions d’euros après correction (le mécanisme de correction 42 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 prévoit que le montant maximum des aides = R x [50 + 0,50 x B + 0,34 x C], où R est le plafond régional des aides non corrigé, B la tranche des dépenses admissibles comprise entre 50 et 100 millions d’euros, et C la tranche des dépenses admissibles dépassant 100 millions d’euros). Les seuils de notification individuelle (exprimés en millions d’euros) sont présentés ci-dessous pour les régions avec les intensités d’aides les plus communes : Plafonds des aides (intensités maximales 10 % 15 % 20 % 30 % 40 % 50 % suivant les régions) Seuils de notification individuelle 7,5 11,25 15 22,5 30 37,5 Si le bénéficiaire d’aides notifiées individuellement réalise plus de 25 % des ventes du produit concerné par le projet d’investissement sur le marché considéré ou, si la capacité créée par le projet représente plus de 5 % du marché alors que ce marché présente un taux de croissance annuel moyen inférieur au taux de croissance annuel moyen du PIB de l’Espace économique européen, alors la Commission doit ouvrir une procédure formelle d’examen. Cette procédure vise à contrôler que les aides octroyées sont bien nécessaires pour produire un effet incitatif et que les bénéfices conférés par ces aides (notamment en termes de développement régional) l’emportent sur les distorsions de concurrence et les effets sur le commerce intra-communautaire qu’elles entraînent. Il s’agit d’une démarche contrefactuelle cherchant notamment à vérifier que les aides sont limitées au minimum nécessaire (contrôle de proportionnalité) et que l’investissement n’aurait pas eu lieu dans une région comparable sans bénéficier d’aides ou qu’elles n’entraînent pas une simple délocalisation d’une activité existante d’une région vers une autre. II.– LA RÉVISION À VENIR DES LIGNES DIRECTRICES SUR LES AIDES D’ÉTAT À FINALITÉ RÉGIONALE Un calendrier serré dans un contexte difficile Les Lignes directrices actuelles arrivant à échéance le 31 décembre 2013, les nouvelles règles devront être adoptées par la Commission avant le printemps 2013, afin que les cartes des régions « assistées » notifiées par les États membres puissent être approuvées à temps pour entrer en vigueur le 1er janvier 2014. Durant ce processus, les États membres devraient encore être consultés lors d’une réunion multilatérale à l’automne 2012. Lorsque les Lignes directrices actuelles ont été adoptées en 2005, le principal défi était celui de la prise en considération de l’élargissement de l’UE à 12 nouveaux États membres économiquement moins favorisés. Aujourd’hui, la révision des Lignes directrices à finalité régionale se déroule cette fois dans un contexte économique de crise dont la dimension régionale ne peut être éludée. En effet, si, de manière générale, besoins en financements publics et ressources disponibles connaissent des croissances inversées, tous les États membres ne sont pas affectés de la même manière et ce, aussi bien par la crise économique que par la crise des dettes publiques. On peut s’attendre à ce que les pays les plus sérieusement touchés mettent en avant certaines revendications spécifiques telles que des clauses de révision plus fréquentes (les Lignes directrices actuelles n’en prévoit qu’une à mi-parcours, cf. pt. 104), des dérogations temporaires ou encore des ajustements techniques (tels que la prise en compte de nouveaux indicateurs socio-économiques). Les modalités d’application des aides régionales Il est également peu vraisemblable que la notion de « projet d’investissement initial » (création, extension, diversification ou changement fondamental du processus de production d’un établissement) soit modifiée ou que la nature des dépenses admissibles (coûts d’investissement ou coûts salariaux liés aux emplois créés par le projet) soit retouchée. De même, les autres dispositions générales (maintien de l’investissement dans la région considérée pour une période minimum de cinq ans après son achèvement et contribution financière d’au moins 25 % des coûts admissibles apportée par le bénéficiaire) devraient demeurer en l’état. En effet, ces points ne semblent pas soulever d’objections particulières de la part des différents acteurs. Quant au champ d’application sectorielle, les secteurs considérés comme sensibles (les fibres synthétiques et la sidérurgie) pourraient faire l’objet d’une reconsidération, mais les activités économiques régies par des règles spécifiques (l’agriculture, la pêche, l’industrie charbonnière et les transports) devraient rester exclues des futures Lignes directrices. En revanche, il ne serait pas surprenant des Lignes que les plafonds des aides (les intensidirectrices pourrait aboutir Les principaux enjeux de la tés maximales) ainsi que les seuils de in fine à une baisse de la révision des Lignes directrices notification individuelle soient revus population européenne à la baisse. De même, le mécanisme Les règles de détermination couverte par les aides de correction concernant les grands des cartes d’État à finalité régionale. projets d’investissement pourrait être La couverture de population des Lignes rendu plus strict. En effet, la création directrices (le ratio « population vivant de surcapacités de production dans les dans des régions assistées / population régions assistées (notamment dans les totale de l’UE ») ne doit pas excéder 50 % (il est actuellement secteurs de la construction automobile, de l’industrie papetière de 46.6 %). Une clé de distribution permet de répartir entre et de la production de panneaux photovoltaïques) incite à États membres la couverture de population restante une fois aller dans cette direction. Par ailleurs, réduire les aides perles régions « a » identifiées. Précisons que ce quota national de mettrait d’éviter que le marché intérieur ne se fragmente et population sera d’autant plus grand que la situation socioécoque les États membres les plus affectés par la crise des dettes nomique nationale sera mauvaise. Ce quota est ensuite utilisé publiques (c’est-à-dire, dont la capacité à subventionner les par les États membres pour délimiter leurs régions « c » sur la projets d’investissements s’implantant sur leur territoire a été base de critères objectifs, puis chaque État membre notifie sa fortement réduite) demeurent en mesure de soutenir leur écocarte à la Commission. nomie à des niveaux comparables aux autres États membres. La révision des Lignes directrices pourrait aboutir in fine à Enfin, on relèvera que dans son étude d’impact de la propoune baisse de la population européenne couverte par les aides sition de règlement concernant les dispositions relatives au d’État à finalité régionale. Plusieurs raisons à cela. On observe Fonds européen de développement régional, au Fonds social tout d’abord une baisse significative du nombre de régions européen et au Fonds de cohésion (SEC (2011) 1139 final, <http://eur« a » en raison du développement économique significatif de lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do ? uri=SEC : 2011 : 1139 : FIN : FR : PDF>), la ces dernières. En pratique, les écarts de développement entre Commission envisage de privilégier les petites et moyennes régions européennes en valeur absolue ont eu tendance à se entreprises (PME). La nécessité des aides est pour celles-ci réduire au cours des dernières années, diminuant de ce fait les généralement avérée, en raison notamment des difficultés populations éligibles. En outre, plutôt qu’un saupoudrage sur un d’accès au financement sur le marché de l’investissement nombre étendu de régions, la Commission est en faveur de moins qu’elles rencontrent. Par ailleurs, le ratio « emplois créés / d’aides, mais mieux orientées, vers les régions les plus en diffiaides octroyées » y est supérieur que dans le cas des grandes culté (cf. le plan d’action de la Commission dans le domaine des aides d’État, COM (2005) entreprises. Enfin, les aides aux grandes entreprises sont plus à même d’entraîner des distorsions de concurrence que les 107 final). On peut donc s’attendre à une baisse de la couverture aides aux PME. Aussi, la Commission pourrait-elle envisager de la population « c » existante. En effet, il serait difficilement d’exclure les grandes entreprises du champ des bénéficiaires envisageable que la population « c » existante augmente, alors des futures Lignes directrices. que la population « a » diminue et que c’est précisément cette dernière qui a le plus besoin de soutien public. Un tel choix Les critères d’évaluation des projets serait en contradiction avec l’objectif affiché de la Commission d’investissement faisant l’objet d’une obligation d’« aides d’État moins nombreuses et mieux ciblées ». de notification individuelle En revanche, toucher à la clé de répartition des quotas de Afin de mieux contrôler les aides faussant le plus la concurpopulation reviendrait à ouvrir une boite de Pandore. Chacun rence, la Commission pourrait proposer de baisser les seuils des 27 États membres saisirait alors l’occasion pour proposer de notification individuelle, mais aussi les seuils déclenchant une nouvelle formule maximisant son propre quota national l’ouverture de la procédure formelle d’examen. Plus de cas > de population « c ». Il sera alors intéressant de voir quelles positions la Commission adoptera. D’aucuns plaident pour un assouplissement des critères et des contrôles dans le contexte actuel de crise économique. Le précédent des mesures de soutien au secteur financier adoptées par les États membres au plus fort de la tempête de 2009, au prix d’une certaine souplesse – temporaire et malgré tout encadrée – dans l’application des règles par la Commission, reste dans toutes les têtes. Tous ces sujets devraient faire l’objet d’intenses discussions entre les services de la Commission et les parties prenantes concernées. Les groupements d’intérêts – beaucoup de régions européennes disposent d’une représentation à Bruxelles – sauront se montrer imaginatifs sur ces points et les États membres sauront relayer efficacement certaines de leurs revendications. Outre ces discussions entre Commission et États membres, la dimension politique de cette révision devrait également s’exprimer dans le cadre de discussions entre institutions européennes. La révision des Lignes directrices à finalité régionale devrait ainsi susciter l’intérêt de certains eurodéputés dans le contexte de revalorisation du rôle du Parlement européen ainsi que du Comité des régions. La révision N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE DROIT ÉCONOMIQUE 43 L E S L I G N E S D I R E C T R I C E S C O N C E R N A N T L E S A I D E S D ’ É TAT À F I N A L I T É R É G I O N A L E : U N E P R E M I È R E R É V I S I O N À L’ É P R E U V E D E L A C R I S E Que peut-on espérer de la révision des Lignes directrices ? Les États membres semblent globalement satisfaits des Lignes directrices actuelles qui leur laissent notamment une forte latitude dans l’octroi des aides. Il s’agit d’un outil de première importance pour soutenir leurs politiques de soutien aux régions assistées qui sont aussi souvent les plus affectées par la crise actuelle. Il est donc peu probable qu’ils favorisent une modification en profondeur de ce texte. Cependant, la Commission pourrait saisir l’occasion de la révision pour aller plus loin dans l’application de son objectif « moins aides d’État mais mieux ciblées ». Elle pourrait aussi chercher à concentrer son travail de contrôle sur les cas les plus susceptibles de fausser le plus la concurrence au sein du marché intérieur. Pour cela, la Commission pourrait envisager plusieurs propositions : réduire les montants maximaux de l’intensité des aides, limiter la couverture de population (et donc, le nombre de régions admissibles) ou encore baisser les seuils de notification individuelle, mais aussi les seuils déclenchant l’ouverture de la procédure formelle d’examen. Statu quo contre volonté de réforme, les négociations bruxelloises ne font que commencer. ◆ POUR MOINS DE 5 EUROS PAR JOUR, ACCÉDEZ À UN CLUB TRÈS TRÈS PRIVÉ LJA, votre rendez-vous multi-supports, complet, unique…incontournable, tout simplement : • Chaque semaine la Lettre des Juristes d’Affaires, outil indispensable à jour des tendances du marché • Deux fois par an le Magazine LJA prestigieux, au cœur de l’activité des acteurs du droit des affaires avec ses dossiers, enquêtes, portraits… • Le site web dédié à la Lettre et ses archives depuis 1990 • Nouveau : l’application iPhone, déclinaison mobile et interactive de la version papier. Pour en savoir plus, connaître nos offres et vous abonner : 44 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 www.wkf.fr Wolters Kluwer France - SAS au capital de 300 000 000 € - TVA FR55480 081 306 - SIREN 480 081 306 RCS Nanterre feraient alors l’objet d’une décision de la Commission. La vérification des trois aspects suivants en serait largement renforcée, permettant ainsi de mieux s’assurer de l’effectivité des aides régionales : – Les aides sont-elles nécessaires pour produire un effet incitatif ? – Les aides sont-elles proportionnelles (en d’autres termes, sont-elles limitées au minimum nécessaire pour modifier le projet d’investissement du bénéficiaire, c’est-à-dire proportionnelles aux handicaps qu’elles visent à pallier afin que l’investissement soit réalisé dans une région assistée donnée) ? – Les aides sont-elles bénéfiques (les avantages conférés par les aides l’emportent-ils sur les distorsions de concurrence et les effets sur le commerce intra-communautaire qu’elles entraînent) ? Par Michaël ih l COUSIN Avocat à la Cour Et Christophe hi h LEMAIRE RLDA Avocat à la Cour Maître de conférences à l’Ecole de droit de la Sorbonne Conformité et non-contestation des griefs : l’AdlC précise les outils de gestion du risque concurrentiel par les entreprises ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE DROIT ÉCONOMIQUE L'Autorité de la Concurrence a publié le 10 février 2012 un communiqué de procédure relatif à la non-contestation des griefs et un document-cadre sur les programmes de conformité. Ces textes améliorent la transparence des outils de gestion du risque concurrentiel, que ce soit à titre préventif, en amont de tout contentieux, ou à titre curatif, après une notification des griefs. Sont-ils toutefois suffisamment incitatifs pour les entreprises ? Aut. conc., 10 févr. 2012, Communiqué de procédure relatif à la non-contestation des griefs ; Aut. conc., 10 févr. 2012, Document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence 3925 A près la publication, le 16 mai 2011, de son communiqué sur le calcul des sanctions pécuniaires, l’Autorité de la concurrence (« AdlC ») poursuit le développement des outils de soft law qui précisent et encadrent sa politique de mise en œuvre du droit de la concurrence. À l’issue d’une consultation publique organisée entre octobre et décembre 2011, elle a publié le 10 février 2012 deux textes venant détailler certains leviers permettant aux entreprises d’anticiper et de maîtriser les risques de sanctions pour infractions au droit de la concurrence. Le premier de ces textes est un document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence. Il s’agit d’un « recueil de bonnes pratiques » qui s’inscrit dans une logique d’advocacy pédagogique et préventive. On verra toutefois qu’il n’est pas dénué d’effets sur certains aspects de la mise en œuvre des règles de concurrence par l’AdlC. C’est pourquoi cette dernière prend le soin de préciser qu’il lui est opposable (pt. 6). Si cette publication vient après celle, par la Commission européenne, d’un document ayant un objectif similaire (Compliance matters – What companies can do better to respect EU competition rules, disponible sur le site Internet de la DG Comp, nov. 2011), elle trouve sa source dans une démarche initiée il y a déjà plus de quatre ans. On se souvient que l’AdlC avait lancé en 2008 une vaste réflexion sur le thème de la conformité en commandant une étude à un cabinet d’économistes. La remise de ces travaux avait convaincu son président que la conformité était un « pari gagnant » pour les entreprises (cf. les actes du colloque du 15 septembre 2008, La culture de conformité, nouvel horizon du droit de la concurrence ? RLC 2009/19, n° 1384). Le second document publié le 10 février est un communiqué de procédure relatif à la non-contestation des griefs. Il vient préciser les conditions dans lesquelles les entreprises peuvent bénéficier, au stade de la notification des griefs, du mécanisme d’inspiration transactionnelle prévu par l’article L. 464-2 III du Code de commerce. L’AdlC précise que ce document a valeur de directive au sens du droit administratif et engage donc celle-ci (pt. 10). Dans la logique de transparence qui avait présidé à l’adoption de son communiqué sur la détermination des sanctions pécuniaires (cf. sur ce point Cousin M., Chère transparence… Réflexions sur le communiqué de l’AdlC relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, RLDA 2011/62, n° 3546), l’AdlC précise le « continuum » formé par l’ensemble des outils alternatifs ou complémentaires à la sanction des pratiques anticoncurrentielles (Lasserre B., La non contestation des griefs en droit français de la concurrence : Bilan et perspectives d’un outil pionnier, Concurrences 2-2008, p. 93, pt. 27). Ce faisant, elle entend aider les entreprises à prendre, en amont de toute procédure, les mesures nécessaires pour éviter l’infraction (I.) et, lorsqu’elles sont destinataires de griefs, celles qui peuvent les aider à atténuer la rigueur de la sanction (II.). Comme nous le verrons, un constat similaire se dégage de ces deux textes. Si l’AdlC attend beaucoup des entreprises, elle se montre moins ambitieuse quant aux incitations qui leur sont faites à s’engager dans une démarche de prévention ou de transaction. I.– LA GESTION PRÉVENTIVE DU RISQUE : UNE PÉDAGOGIE PLUS DIRECTIVE QU’INCITATIVE Le document-cadre publié par l’AdlC est le fruit d’une synthèse de la pratique décisionnelle de l’AdlC en matière de conformité, développée dans le cadre de la négociation d’engagements en matière de non-contestation des griefs. Elle reflète également les « bonnes pratiques » relevées au niveau international ainsi que la « réflexion plus générale à ce sujet » de l’AdlC (pt. 6). Dans un souci pédagogique, l’AdlC a détaillé avec soin le contenu de ce qu’elle estime être un programme de conformité efficace. La voie ainsi tracée par l’AdlC est toutefois contraignante pour les entreprises (A.), ce qui conduit à s’interroger sur les incitations qui leur sont faites à s’y engager (B.). A.– Des figures imposées plutôt qu’un programme libre Comme le souligne le document-cadre, les programmes de conformité au droit de la concurrence s’inscrivent le plus souvent dans un engagement global de respect des normes de la part de l’entreprise, engagement qui dépasse bien souvent le cadre strict du droit de la concurrence. Ils poursuivent en substance un triple objectif : à la simple prévention des comportements non conformes s’ajoutent leur nécessaire détection et leur traitement rapide. > N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 45 C O N F O R M I T É E T N O N - C O N T E S TAT I O N D E S G R I E F S : L’ A D L C P R É C I S E L E S O U T I L S D E G E S T I O N D U R I S Q U E C O N C U R R E N T I E L PA R L E S E N T R E P R I S E S Du point de vue de l’AdlC, la réunion de ces trois éléments est programmes gagnant au contraire à être adaptés en fonction des essentielle pour assurer l’efficacité des programmes de conforcaractéristiques individuelles de chaque entreprise. Elle souligne mité (pt. 11). Si la découverte d’une infraction est un indicateur qu’il est possible d’attendre des PME des adaptations substantielles des éléments constitutifs de leurs programmes, même si ex post de leur efficacité, il n’est pas suffisant. Si l’on suit le elle ne fournit aucune indication supplémentaire sur la marge document-cadre, les suites que l’entreprise réserve à cette déde manœuvre dont pourrait disposer ce type d’entreprises. couverte semblent être un indicateur plus déterminant encore. Le document-cadre n’en est pas moins prescriptif à bien des Ces suites, déclinées dans les cinq composantes-clés des proégards. L’AdlC considère que la conformité est un « devoir » grammes de conformité listées par le document-cadre, traduipour les entreprises (pt. 13) et que les éléments décrits dans son sent la conception exigeante de la conformité entretenue par l’AdlC. Nous les synthétiserons ici pour mémoire en renvoyant document-cadre sont « dans tous les cas » nécessaires (pt. 21). au document-cadre (pt. 22) qui en fixe le détail : Elle souligne l’inefficacité, voire le caractère artificiel, des mesures qui se limiteraient à l’information ou à la formation des – Le programme de conformité doit reposer sur une prise de salariés de l’entreprise (pt. 11). Quand bien même ces mesures position claire, ferme et publique des organes de direction et plus généralement de l’ensemble des dirigeants et mans’accompagneraient de mesures de surveillance, de contrôle et dataires sociaux. de sanction, l’AdlC estime qu’elles ne peuvent « vraisemblable– Il doit s’accompagner de l’engagement ment pas empêcher complètement que de désigner des « correspondants » au soient commises des infractions » (pt. 16). La feuille de route sein de l’entreprise chargés de veiller Elle invite en outre les opérateurs disremise aux entreprises à la mise en œuvre effective du proposant d’ores et déjà d’un programme se révèle ambitieuse. On gramme de conformité. de conformité à s’assurer qu’il inclut ne peut que partager – L’entreprise doit s’engager à mettre un ensemble de mesures relatives au en place des mesures effectives d’indroit de la concurrence (pt. 13) qu’elle certaines préoccupations formation, de formation et de sensirecommande de faire figurer dans une exprimées à l’occasion de bilisation, ces mesures pouvant aller « documentation actualisée et facilement la consultation publique, jusqu’à devoir informer les principaux accessible à tous, sous format papier ou selon lesquelles le partenaires réguliers de l’entreprise numérique » (pt. 21). programme décrit dans le (fournisseurs, distributeurs, etc.). Au total, la feuille de route remise aux document-cadre risque de – Des mécanismes effectifs de contrôle, entreprises se révèle ambitieuse. On d’audit et d’alerte doivent être mis ne peut que partager certaines préocdevenir une norme dont il en place, ceci dans trois directions. cupations exprimées à l’occasion de la pourrait à terme être fait L’engagement de conformité doit tout consultation publique, selon lesquelles reproche aux entreprises d’abord être traduit dans les relations le programme décrit dans le documentde trop s’écarter. juridiques entre l’entreprise et ses sacadre risque de devenir une norme dont lariés (règlement intérieur, clauses du il pourrait à terme être fait reproche aux contrat de travail). Il s’agit ensuite de permettre aux salariés, entreprises de trop s’écarter (cf. not. les observations de l’APDC disponibles non seulement de s’informer au fil de l’eau sur la conduite à sur le site Internet de l’AdlC, pt. 87). tenir dans certains cas particuliers (par le biais, par exemple, Une telle tendance apparaîtrait difficilement acceptable au d’un système de « hotline ») mais également de dénoncer des vu de l’investissement que nécessite ce programme et des comportements grâce à des systèmes d’alerte professionnelle. difficultés qu’il pose aux entreprises. L’entreprise devra, enfin, procéder à des évaluations régulières Il faut en effet insister sur l’importance des moyens humains de son programme et à des audits juridiques ou commerciaux et surtout financiers nécessaires pour mettre en œuvre les pour actualiser son analyse des risques. Le recours à des prescinq éléments déclinés dans le document-cadre. Ceux-ci, et tataires externes est recommandé afin de garantir l’objectivité en particulier les mesures d’audit et de contrôle, sont en effet de ces mesures. particulièrement lourds en termes d’organisation. Ils ne sont – Il convient enfin selon l’AdlC de mettre en place un dispopas non plus dénués de risques sur le terrain juridique, dès lors sitif effectif de suivi comprenant, dans le respect du droit qu’ils touchent aux relations sociales au sein de l’entreprise du travail, une procédure de traitement des remontées et au traitement des données personnelles. provenant des salariés et un ensemble de sanctions, en Une autre difficulté tient à l’absence de protection, vis-à-vis particulier disciplinaires, en cas de violation de la politique des autorités de contrôle, de la confidentialité des échanges de l’entreprise en matière de conformité. entre les responsables juridiques de l’entreprise et les salariés. Il a été souligné à maintes reprises au cours de la consultation Cette absence est problématique à deux égards. D’une part, publique que cet ensemble de préconisations devait se concevoir, elle nuit à l’efficacité des investigations menées en interne par non pas comme un corset, mais plutôt comme une « boîte à idées » l’entreprise. Les juristes internes le savent bien : les salariés permettant aux entreprises d’adapter au mieux leur démarche impliqués dans de possibles pratiques anticoncurrentielles héde conformité au contexte économique et juridique dans lequel sitent en pratique à se confier à des personnes qui ne peuvent elles évoluent. L’exemple du document-cadre adopté par l’Ofleur apporter la garantie du secret professionnel. D’autre part, fice of Fair Trading britannique (Drivers of Compliance and Non-Compliance elle fait peser une épée de Damoclès sur les entreprises engagées dans une mise à plat de leurs pratiques. En encourageant with Competition Law, An OFT Report, mai 2010, disponible sur le site Internet de l’OFT) ou celles-ci à faire toute la lumière, ceci de façon « documentée » celui de la Commission européenne ont été régulièrement cités (pt. 22, engagement 4 (c)), sur leurs pratiques, l’AdlC maximise de comme modèles d’une telle approche. Il faut reconnaître que la version finale du document-cadre de fait ses chances de collecter des preuves de comportements l’AdlC gagne sur ce point en souplesse par rapport au projet illicites en cas d’enquête. Il n’est pas question ici d’affirmer soumis à la consultation publique. L’AdlC y expose, au point 18, que les infractions découvertes dans le cadre d’un programme qu’il n’existe pas de « programme de conformité type », de tels de conformité ont vocation à rester secrètes. On observera 46 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 seulement qu’entre leur découverte et leur analyse puis leur traitement par l’entreprise, il peut s’écouler du temps. Il serait injuste que ce temps nuise in fine à l’entreprise. On aurait pu s’attendre à ce que l’AdlC, tenant compte de ces difficultés et de ces risques, aille plus loin dans les incitations faites aux entreprises à s’engager dans la voie de la conformité. B.– Des incitations limitées Il est constant que le document-cadre de l’AdlC constitue un progrès indéniable qui tranche avec la frilosité dont font preuve la majorité des autorités de concurrence et les juridictions de contrôle à l’égard des programmes de conformité (cf. sur ce point Lemaire C., Programmes de conformité : quels enseignements de la pratique des autorités à travers le monde ? Concurrences, 1-2008, p. 64). Les avancées de ce document sont toutefois plus contrastées lorsqu’il aborde la question de la prise en compte des programmes de conformité dans le calcul de la sanction pécuniaire. On ne peut bien sûr que partager l’avis de l’AdlC lorsqu’elle expose que les raisons justifiant la mise en place de programmes de conformité vont « bien au-delà du seul espoir d’obtenir une réduction de la sanction pécuniaire (…) » (pt. 12). Il semble parfaitement évident que les entreprises ont tout intérêt à éviter la sanction. Il est toutefois également vrai que l’espoir d’une sanction moins importante représenterait une incitation supplémentaire et non négligeable à l’adoption de tels programmes. S’il faut faire crédit à l’AdlC de reconnaître que l’existence d’un programme de conformité n’est pas une circonstance aggravante (pt. 26), on ne la rejoint pas dans son refus d’en tenir compte au titre des circonstances atténuantes. L’AdlC tente de justifier ce refus en soulignant que lorsqu’elle sanctionne une entreprise ayant adopté un programme de conformité, ce programme n’a par hypothèse « pas empêché l’infraction d’advenir » (pt. 25). L’argument laisse perplexe dans la mesure où une circonstance atténuante ne s’applique par définition qu’à des infractions consommées. Il néglige surtout le fait que le calcul des sanctions pécuniaires ne s’intéresse pas qu’au passé, mais tient également compte de l’avenir. Il est en effet guidé par la recherche d’un effet dissuasif à l’encontre de l’entreprise. Or, la nécessité d’un tel effet est nécessairement moins prégnante lorsque la sanction concerne une entreprise qui démontre, par son engagement de conformité, une propension moindre à commettre de nouvelles infractions. L’AdlC semble d’ailleurs elle-même le reconnaître lorsqu’elle affirme qu’un programme de conformité efficace peut « jouer un rôle clef » pour prévenir de possibles manquements aux règles de concurrence (pt. 13). Certains auteurs ont souligné que la prise en compte de cette réalité au stade de la sanction constituait un principe général en matière répressive (Bouloc B., Pour une prise en compte de la mise en conformité spontanée en droit de la concurrence, RLC 2010/23, n° 1599). Le refus de principe de l’AdlC semble d’autant moins compréhensible qu’il ne s’applique qu’aux infractions éligibles à la clémence (cartels). L’AdlC invite l’entreprise qui découvrirait l’existence d’une telle infraction à s’engager aussi rapidement que possible dans une démarche de clémence, cette procédure étant en définitive la seule permettant de convertir un engagement de conformité en exonération, voire en immunité, de sanction pécuniaire. Il n’est pas contestable qu’un programme de conformité, même comprenant l’ensemble des éléments listés dans son documentcadre, ne doit pas apparaître comme une sorte de « joker » pour quelques entreprises décidées à n’en faire qu’une mesure de façade et à ne jamais dénoncer les infractions que ce programme amènerait à découvrir. Ce souci justifiait-il le refus de toute prise en compte, à leur égard, d’un programme de conformité au titre de la sanction ? Il est possible d’en douter. D’abord, parce que toutes les entreprises participant à un cartel ne sont pas nécessairement éligibles à la clémence (par exemple, si elles ne disposent pas d’informations suffisantes). Ensuite, la perspective de bénéficier d’une circonstance atténuante n’élimine en rien les incitations à recourir à la clémence afin de bénéficier d’une immunité ou d’une exonération. Au contraire, elle ne peut qu’inciter les entreprises à coopérer avec le régulateur. S’agissant des infractions autres que les cartels et donc non éligibles à la clémence (abus de position dominante, restrictions verticales, etc.), l’AdlC a tenu compte des observations qui lui ont été faites à l’occasion de la consultation publique. Elle admet désormais que pour celles-ci, l’existence d’un programme de conformité peut constituer une circonstance atténuante, si l’entreprise est en mesure de démontrer « au moyen d’éléments de preuve objectifs et vérifiables, qu’elle a effectivement mis fin à l’infraction et remédié à son comportement de sa propre initiative, avant toute ouverture d’une enquête ou d’une procédure par une autorité de concurrence » (pt. 28). Cette avancée mérite à l’évidence d’être saluée, bien qu’il faille attendre de voir les conditions auxquelles l’AdlC entend soumettre en pratique cette réduction, dont le niveau n’est d’ailleurs pas précisé. Rien ne s’opposait toutefois à ce qu’elle soit étendue aux cas éligibles à la clémence. Le type d’infraction commise ne justifie pas une différence d’approche dans l’appréciation de la situation individuelle de l’entreprise et de sa propension à réitérer l’infraction. Quoiqu’il en soit, c’est principalement au travers de la procédure de non-contestation des griefs que les entreprises, particulièrement dans les cas de cartels, trouveront le moyen de valoriser l’adoption d’un programme de conformité. L’AdlC expose en effet qu’un engagement de conformité pris dans ce cadre procédural peut, en soi, donner lieu à une réduction de sanction qu’elle fixe à 10 % maximum (pt. 31). Deux observations doivent être faites sur ce point. D’une part, si cette réduction se situe, dans son niveau, dans la ligne de la pratique décisionnelle récente (elle a pu être supérieure par le passé), il n’en va pas de même des conditions qui s’attachent à son octroi. Seuls les programmes répondant aux critères particulièrement rigoureux listés dans le document-cadre permettent de l’envisager. D’autre part, le choix de l’AdlC aboutit, de fait, à une situation paradoxale. En effet, une entreprise engagée dans une démarche de conformité n’ayant pas permis de détecter une infraction suffisamment tôt pour pouvoir engager une demande de clémence, ne pourra espérer obtenir, si elle ne conteste pas les griefs qui lui sont notifiés, qu’une réduction d’amende de 10 % reflétant le gain procédural (sauf à pouvoir prendre un engagement d’amélioration de son programme). En revanche, une même entreprise n’ayant pas fait l’effort de développer en amont un tel programme de conformité pourra prendre, dans le même cadre procédural, un engagement en ce sens et bénéficier d’une réduction d’amende supplémentaire pouvant aller jusqu’à 10 % (pt. 31). Si la démarche de conformité doit aider à prévenir le risque, elle ne le fait pas nécessairement disparaître totalement. L’AdlC a aussi été amenée à préciser les conditions dans lesquelles les entreprises pouvaient alors « transiger » avec elle. ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE DROIT ÉCONOMIQUE II.– LA GESTION CURATIVE DU RISQUE : UNE NÉGOCIATION ENCADRÉE Le souci de l’AdlC d’encadrer la négociation pour mieux maximiser le gain procédural qui en découle (A.) se fait au détriment des incitations faites aux entreprises de s’engager dans cette voie procédurale (B.). > N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 47 C O N F O R M I T É E T N O N - C O N T E S TAT I O N D E S G R I E F S : L’ A D L C P R É C I S E L E S O U T I L S D E G E S T I O N D U R I S Q U E C O N C U R R E N T I E L PA R L E S E N T R E P R I S E S A.– L’objectif de l’AdlC : sécuriser et maximiser s’agit d’apprécier le dommage causé à l’économie. De même, les gains procéduraux la non-contestation des modalités de participation de l’intéressé pourrait empêcher l’entreprise de faire la démonstration L’« esprit d’une transaction » auquel le communiqué fait réultérieure de son rôle passif en vue de minimiser la sanction. férence ne doit pas faire oublier que la non-contestation des D’autre part, l’entreprise doit s’abstenir de contester la comgriefs est tout sauf une négociation entre égaux. Ce n’est qu’au pétence de l’AdlC et la procédure ayant mené à la notification prix d’un renoncement suffisamment tangible aux droits de la des griefs. Cette précision a soulevé de nombreuses critiques défense, éventuellement complété par des engagements, que lors de la consultation publique, dans la mesure où elle conduit l’entreprise pourra espérer bénéficier d’une concession de la l’entreprise à renoncer à une composante importante de ses part du régulateur sur le montant de la sanction. droits de la défense (cf. le point 87 des observations précitées de l’APDC). Le communiqué souligne que c’est au défendeur que revient l’initiative d’engager cette négociation (pt. 23). Le rapporteur La non-contestation ainsi largement définie devra faire l’objet d’une déclaration dans des termes « clairs, complets, dépourvus général demeure toutefois seul juge de l’opportunité d’y donner d’ambiguïté et inconditionnels » (pt. 15), celle-ci étant ensuite suite (pt. 26), même à l’issue de contacts exploratoires auxquels il peut mettre fin à tout moment (pt. 30). Le contrôle exercé par le consignée dans un procès-verbal avec les éventuels engagements (pt. 36). Elle suffira, comme le rappelle l’AdlC, à établir le constat collège sur cette décision se limite à l’erreur manifeste d’appréciation, hypothèse dans laquelle il pourra soit renvoyer l’affaire d’infraction à l’égard de l’entreprise sans toutefois lier le collège qui à l’instruction, soit se prononcer lui-même sur les suite à donner demeure libre de ne pas retenir un grief même non contesté (pt. 42). (pt. 39 et Aut. conc., déc. n° 06-D-09, 11 avr. 2006, Secteur de la fabrication des portes). En complément et à titre facultatif, la non-contestation des griefs peut permettre, par le biais de la négociaL’évaluation, par le rapporteur général, tion d’engagements, d’améliorer le foncde l’intérêt d’une solution transactionLe communiqué ne fait tionnement concurrentiel des marchés. nelle, se fait bien entendu au cas par cas. pas que rappeler les Sur ce point le texte reprend les principes Elle dépend largement de la solidité du composantes classiques acquis par la pratique décisionnelle. Qu’ils dossier sur le fond. La visibilité donnée sur lesquelles doit porter la soient comportementaux (comme ceux qui aux entreprises par le communiqué sur portent sur les programmes de conformité) ce point est donc nécessairement liminon-contestation (réalité ou structurels, les engagements doivent tée. Elle concerne essentiellement le cas de l’ensemble des pratiques être substantiels, crédibles et vérifiables dans lesquels il existe une pluralité de en cause, qualification compte tenu du contexte concurrentiel défendeurs. Dans ces situations, l’AdlC juridique et imputabilité). dans lequel ils interviennent (pt. 20). souligne que l’économie procédurale est Il innove à deux égards. la plus importante lorsque toutes les parComme le rappelle le communiqué, ties mises en cause renoncent à contester la non-contestation n’interdit pas aux les griefs. Dans cette optique, le communiqué réserve au rapporentreprises de présenter des observations sur les critères de teur général la possibilité d’informer les autres défendeurs de la détermination de la sanction pécuniaire tels qu’ils sont listés signature d’un procès-verbal avec l’une des parties. Toutefois, par l’article L. 464-2 du Code de commerce (pt. 17). compte tenu du délai qui se sera déjà écoulé depuis la notification Qu’en est-il des entreprises n’ayant pas « transigé » ? L’AdlC des griefs et de l’obligation d’y répondre dans les deux mois, le précise qu’elle restera tenue d’établir leur participation à l’indélai de réflexion pour l’entreprise risque d’être extrêmement fraction (pt. 43). Ce faisant, elle fait sienne la solution très contescourt. On aurait ainsi pu imaginer que les services d’instruction table retenue par la Cour de cassation dans l’affaire du travail prennent de telles initiatives informelles plus en amont, au stade temporaire (Cass. com., 29 mars 2011, n° 10-12.913 ; point 40 du communiqué). On de l’engagement du dialogue avec un ou plusieurs défendeurs. se souvient en effet que dans cet arrêt, la Cour a estimé que le Toujours est-il que l’échec de tels contacts n’empêchera pas constat d’infraction était établi à suffisance de droit à l’encontre l’entreprise qui a fait le choix de transiger de bénéficier d’une des parties n’ayant pas transigé, dès lors que cette infraction réduction de sanction. Les transactions « mixtes », dans lesquelles n’avait pas été contestée par un défendeur ayant transigé, seule certains défendeurs seulement renoncent à contester les griefs, la participation de celles-ci devant être prouvée. Cette solution, sont en effet admises conformément à la pratique décisionnelle. qui aurait pu être limitée aux situations s’inscrivant dans le Une fois que le rapporteur général a opté pour une nonmême contexte – très spécifique – que celui de cette affaire, ne contestation des griefs, l’objectif de l’AdlC est de pousser à tient aucun compte du fait que la non-contestation des griefs son maximum la simplification et l’accélération de l’instruction n’est ni un aveu ni une reconnaissance de culpabilité et marque et de la séance qui en résultent (pt. 5). un recul important des droits de la défense. Cet objectif transparaît au premier chef dans la définition B.– Quelles incitations pour les entreprises ? particulièrement rigoureuse de la notion de non-contestation. Pour que la procédure de non-contestation des griefs soit Le communiqué ne fait pas que rappeler les composantes véritablement source d’économie procédurale, encore faut-il classiques sur lesquelles doit porter la non-contestation (réalité que les entreprises soient incitées à y recourir. de l’ensemble des pratiques en cause, qualification juridique La première de ces incitations réside bien sûr dans la réduction et imputabilité). Il innove à deux égards. de la sanction pécuniaire dont peut bénéficier l’entreprise. D’une part, il expose que « la renonciation à contester la réalité Outre la division par deux du plafond de la sanction, prévue des pratiques en cause doit porter à la fois sur les faits constitutifs par l’article L. 464-2 III du Code de commerce, le communiqué de ces pratiques, sur leur objet et leurs effets anticoncurrentiels, valorise la réduction attachée aux seuls gains procéduraux de sur leurs caractéristiques, sur leur durée et sur les modalités de la non-contestation (accélération et simplification) à 10 %. Il participation de l’intéressé aux pratiques ». La référence nouexpose que 15 % de réduction supplémentaires sont possibles velle aux effets de la pratique augmente potentiellement le coût par le biais des engagements (pt. 35), ce qui signifie qu’en préd’une transaction pour les entreprises. Elle pourrait influencer leur capacité à argumenter sur la sanction pécuniaire, les effets sence d’un engagement de conformité valorisé à 10 %, il ne d’une pratique entrant à l’évidence en ligne de compte lorsqu’il restera plus que 5 % pour rémunérer d’autres engagements. 48 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 Le bénéfice de la non-contestation des griefs est ainsi plafonné à 25 % de réduction, l’objectif étant d’éviter que cette procédure puisse être plus attractive que la clémence (pt. 6). Si l’on met de côté la question de la compatibilité de cette approche avec l’arrêt Sidérurgie dans lequel la Cour d’appel de Paris expose qu’un « accord de clémence » est inopposable aux entreprises qui n’y sont pas parties (CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 19 janv. 2010, n° 2009/00334, AMD SUD-OUEST e.a.), il est permis de douter de sa pertinence pour plusieurs raisons. D’abord, elle n’a pas lieu d’être pour les pratiques qui ne sont pas éligibles à la clémence. Or, rien ne permet de considérer que dans ces affaires, la réduction liée à l’économie procédurale attachée à une non-contestation des griefs doive être plafonnée dans les mêmes proportions que dans les cas de cartels. Cela conduit nécessairement l’AdlC à sous-estimer, par exemple, l’utilité de la non-contestation d’un grief d’abus de position dominante reposant sur une analyse bien plus complexe qu’en matière de cartels, sans compter le caractère structurant des engagements qui peuvent accompagner cette non-contestation. En matière de cartels, ensuite, son efficacité est loin d’être démontrée, dès lors que l’on s’intéresse à des demandeurs de clémence de rangs inférieurs qui ne pourront bénéficier que d’une réduction très proche, voire égale, de celle qui peut être attendue d’une non-contestation (même si l’entreprise sait rarement qu’elle aura le dernier rang). Enfin, dès lors que le communiqué admet que clémence et non-contestation des griefs peuvent se cumuler (pt. 6), la question d’éventuels comportements opportunistes de la part des entreprises, qui attendraient de « voir » le contenu des griefs pour décider de prêter leur concours à l’instruction, ne se pose plus. Celles-ci auront toujours intérêt à maximiser leurs chances de réduire la sanction en jouant sur les deux plans. Plutôt que de tenter de doser les pourcentages de réduction à la marge, le communiqué aurait pu aller au bout de cette logique en ne conditionnant pas le cumul, comme il le fait dans son point 6, à la seule existence de différences importantes entre le contenu des griefs et l’entente décrite par l’intéressé(e) dans sa demande de clémence. Plutôt que de se cantonner ainsi à l’existence d’une économie procédurale, il aurait pu mettre l’accent sur les engagements, notamment de compliance, pouvant être pris par l’entreprise. Une telle approche paraissait d’autant plus justifiée que la non-contestation des griefs est la seule voie procédurale permettant de lier une réduction d’amende à l’adoption d’un tel programme (sous réserve de la prise en compte prévue pour les infractions autres que les cartels). Une deuxième source d’attractivité de la procédure de noncontestation des griefs réside dans la possibilité donnée aux entreprises de discuter du nombre, voire du contenu, des griefs pouvant donner lieu à une condamnation. La version finale du communiqué présente sur ce point un progrès indéniable par rapport au texte soumis à la consultation publique. Elle donne en effet la possibilité aux entreprises d’évoquer avec les services d’instruction l’éventualité d’une non-contestation des griefs avant même leur notification, ceci à l’occasion de « contacts exploratoires ». Un tel dialogue pourrait permettre à l’entreprise et aux services d’instruction de s’accorder sur le contenu des griefs que l’entreprise serait disposée à ne pas contester, ce qui pourrait conduire les services d’instruction à adapter en ce sens leur notification (cf. en ce sens Ronzano A., Lettre du Creda, 10 févr. 2012). Une autre question est celle de la divisibilité des griefs. Est-il envisageable que l’entreprise renonce à contester certains griefs et pas d’autres ? La pratique décisionnelle ne contient pas d’exemples de ce type, bien que l’hypothèse ait pu être admise par le président de l’AdlC (Actes du colloque Clémence et transaction en matière de concurrence : premières expériences et interrogations de la pratique, Gaz. Pal. 2005, p. 3323). Le texte semble malheureusement s’écarter de cette approche (pt. 20 : « renoncer à contester les griefs », pt. 21 : « l’ensemble des pratiques »). Une troisième façon de rendre la procédure plus attractive consiste à diminuer l’incertitude sur la façon dont le collège traitera le résultat de la négociation menée avec le rapporteur général. On sait en effet que la discussion a lieu avec le rapporteur général dont le pouvoir se limite à faire une proposition qui ne lie pas le collège. Cette difficulté peut entretenir une certaine réticence des entreprises à s’engager dans cette voie, même si les cas dans lesquels le collège accorde une réduction inférieure à celle proposée sont très rares en pratique (cf. Aut. conc., déc. n° 03-D-45, 25 sept. 2003, Secteur des calculatrices à usage scolaire). Le communiqué précise sur ce point que dans les cas où le collège n’accepte pas la proposition du rapporteur général, l’affaire sera renvoyée à l’instruction. Si en théorie ce renvoi permet à l’entreprise de réévaluer l’opportunité de recourir à la non-contestation des griefs, on voit mal en pratique ce qui pourrait la conduire à y renoncer dès lors que son choix initial de ne pas contester sera connu du collège. Lorsque les doutes du collège porteront sur les engagements proposés et que ces doutes seront exprimés en séance, la possibilité sera donnée à l’entreprise de s’engager à les améliorer, ce dont le collège pourra tenir compte sans renvoyer l’affaire à l’instruction (pt. 49). Le communiqué aurait pu aller plus loin dans l’attractivité du dispositif en se laissant davantage guider par « l’esprit de transaction » revendiqué par l’AdlC. On regrettera ainsi que celle-ci n’ait pas saisi l’occasion qui lui était donnée d’améliorer la visibilité pouvant être donnée au défendeur sur son risque de sanction. Il est en effet pour le moins paradoxal de négocier la réduction d’une somme qui n’est pas connue. Sur ce point, la pratique décisionnelle avait pourtant montré qu’il était possible de s’accorder avec le rapporteur général sur un montant de sanction fixé en valeur absolue (Aut. conc., déc. n° 07-D-33, 15 oct. 2007, n° 09-D-06, 5 févr. 2009 et n° 09-D-24, 28 juill. 2009). Il s’agissait là d’un progrès considérable pour les entreprises en termes de transparence. Le fait que le communiqué n’ait pas repris cette pratique signe probablement son abandon pour l’avenir, ce que l’on ne peut que regretter. On aurait également pu imaginer que la négociation d’une non-contestation des griefs fasse à tout le moins intervenir un échange minimum, voire un accord, entre l’entreprise et le rapporteur général, sous réserve du pouvoir d’appréciation détenu in fine par le collège, sur certains déterminants du montant de la sanction (par exemple, la délimitation du marché affecté par la pratique dont la valeur est prise en compte pour le calcul du montant de base). Cette proposition faite à l’AdlC lors de la consultation publique n’a toutefois, malheureusement, pas été retenue. ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE DROIT ÉCONOMIQUE Conclusion Les deux documents publiés par l’AdlC améliorent indéniablement la transparence des outils à disposition des entreprises pour piloter le risque concurrentiel. Dans la logique du donnantdonnant qui avait présidé à l’adoption du communiqué sur les sanctions, ces progrès s’accompagnent toutefois d’une responsabilisation accrue des entreprises. Il leur revient à présent d’en mesurer la portée et de faire des choix, en particulier en matière de conformité. À cet égard, on ne peut que souhaiter que l’initiative française, qui, bien que n’étant pas exempte de critiques comme on l’a vu, marque un pas dans la bonne direction, ne reste pas isolée et entraîne une nouvelle dynamique sur ces questions au niveau européen et international. ◆ N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 49 Par Chloé MATHONNIÈRE Secrétaire générale de la Rédaction Lamy droit économique RLDA CONCURRENCE 3926 Affectation du commerce entre États membres Précisions de la Cour de cassation sur les conditions d’application du droit de la concurrence de l’Union européenne, lorsque les pratiques en cause ne concernent qu’une partie seulement du territoire d’un État membre. Cass. com., 31 janv. 2012, nos 10-25.772, 10-25.775, 10-25.882, P Retour sur l’affaire France Télécom / Orange Caraïbe. On se souvient que l’Autorité de la concurrence avait sanctionné les sociétés France Télécom et Orange Caraïbe pour avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la téléphonie mobile ou de la téléphonie fixe (vers les mobiles) dans la zone Antilles-Guyane, et ce sur le fondement tant des règles nationales que des règles communautaires de concurrence (Aut. conc, déc. n° 09-D-36, 9 déc. 2009, France Télécom / Orange Caraïbe). Cette décision avait été censurée par la Cour d’appel de Paris, laquelle avait considéré que faute d’affectation du commerce intracommunautaire, la décision de l’Autorité, rendue au visa des articles 101 et 102 TFUE, devait être annulée (CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 23 sept. 2010, n° 2010/00163, cf. not. RLC 2011/26, n° 1725, obs. Robin C.). C’est à présent au tour de la Cour d’appel de Paris d’être censurée. Revenant sur les critères présidant à l’application du droit de l’Union par les autorités nationales de concurrence, la Cour de cassation reproche d’abord aux juges d’appel d’avoir considéré que l’affectation du commerce intracommunautaire n’était pas établie. Pour les Hauts Magistrats, en effet, « les termes “susceptible d’affecter” énoncés par les articles 101 et 102 du TFUE supposent que l’accord ou la pratique abusive en cause permette, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres ». La constatation d’un effet réalisé sur le commerce intracommunautaire n’est donc pas exigée, la potentialité d’un tel effet pouvant suffire à caractériser une affectation du commerce entre États membres (pour autant cependant que les conditions ci-dessus rappelées [« un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait… »] soient réunies). Elle reproche ensuite aux juges d’appel, s’agissant d’un cas de pratiques cumulées d’entente et d’abus de position dominante sur une partie seulement d’un État membre, d’avoir apprécié le caractère sensible de l’affectation du commerce intracommunautaire, au regard du seul volume de ventes global concerné par rapport au volume national. En effet, pour les Hauts magistrats, dans une telle hypothèse, le caractère 50 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 sensible de l’affectation du commerce intracommunautaire résulte d’un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause. Le volume de ventes global concerné par rapport au volume national n’est donc qu’un élément parmi d’autres. Enfin, la Cour d’appel de Paris avait annulé dans son intégralité la décision de l’Autorité de la concurrence « en ce qu’elle [était] fondée sur des violations tant des articles 101 et 102 du TFUE que des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ». Elle est de nouveau censurée : « les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce sont, en l’absence d’affectation du commerce intracommunautaire, applicables aux pratiques d’entente et d’abus de position dominante anticoncurrentielles mises en œuvre sur le territoire national ». Ainsi, « quand bien même l’arrêt serait fondé en ce qu’il a annulé la décision pour avoir appliqué le droit communautaire de la concurrence, celle-ci demeurait valide en ce qu’elle avait appliqué les dispositions du droit national ». ➤ Lamy droit économique 2012, nos 961 et s. et 1610 RLDA DROIT ÉCONOMIQUE 3927 Non-contestation des griefs et programmes de conformité aux règles de concurrence L’Autorité de la concurrence publie les deux textes qu’elle avait soumis à consultation publique en octobre 2011. Aut. conc., 10 févr. 2012, Communiqué de procédure relatif à la non-contestation des griefs ; Aut. conc., 10 févr. 2012, Document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence Sur la non-contestation des griefs : le communiqué, qui explique l’approche suivie en pratique par l’Autorité lorsqu’elle met en œuvre la procédure de non-contestation des griefs, ne diffère pas de manière substantielle du projet de communiqué qui avait été soumis à consultation publique en octobre 2011. Une avancée majeure, attendue par les praticiens et qui répond aux critiques émises lors de la consultation publique : le cumul entre les procédures de clémence et de non-contestation des griefs (Cf., également, sur ce point la décision de l’Autorité dite des « lessives » du 8 décembre 2011 qui avait initié cette possibilité de cumul, RLDA 2012/67, n° 3834). Ce cumul sera désormais possible, lorsque l’Autorité estimera que les gains procéduraux à en attendre seront suffisants (pt. 6). Tel sera en particulier le cas, lorsque le champ des griefs notifiés à l’entreprise en cause diffère sur un ou plusieurs point(s) important(s) de l’entente telle que décrite par elle dans sa demande de clémence au vu de l’ensemble des informations et des éléments de preuve dont elle disposait ou pouvait disposer (pt. 6). Sur les programmes de conformité aux règles de concurrence : recueil de « bonnes pratiques », ce document-cadre explique comment construire un programme de conformité crédible et efficace. Rappelant que les programmes de conformité doivent permettre à la fois de prévenir les risques d’infraction et de donner les moyens de détecter et de traiter les cas d’infraction qui n’ont pas pu être évités, l’Autorité reconnaît qu’il n’existe pas de programme de conformité type. À cet égard, elle précise que « le fait qu’une entreprise est une petite ou moyenne entreprise (PME) peut justifier que les différents éléments constitutifs de son programme de conformité soient substantiellement adaptés » (pts. 19 et 20). Elle considère cependant qu’un certain nombre d’éléments devront, en tout état de cause, être réunis (pts. 21 et 22) : – un engagement ferme des dirigeants en faveur du strict respect des règles de concurrence ; – la désignation d’un référent au sein de l’entreprise chargé de la bonne mise en œuvre du programme et plus globalement de la politique de conformité ; – la mise en place d’actions de sensibilisation, d’information et de formation du personnel ; – l’instauration de mécanismes de contrôle, d’audit et d’alerte ; – la mise en place d’un dispositif de suivi en cas de découverte d’infractions. Les entreprises qui s’engagent à mettre en place un programme de conformité répondant à ces bonnes pratiques ou à améliorer un programme de conformité préexistant pourront se voir accorder une réduction de la sanction encourue pouvant s’élever jusqu’à 10 % (pt. 31). Cette réduction s’ajoutera à celle de 10 % liée à la renonciation à contester les griefs proprement dite et à celle de 5 % pouvant être accordée au titre d’autres engagements (pt. 31). Une précision d’importance est apportée par l’Autorité quant à la prise en compte de l’existence d’un programme de conformité en tant que circonstance atténuante dans le cadre de En bref… Cour de justice : statistiques judiciaires 2011 La Cour de justice de l’Union européenne a rendu public le 17 février 2012 ses chiffres pour l’année 2011. Le nombre d’affaires portées devant les trois juridictions de la Cour de justice de l’Union européenne a continué d’augmenter en 2011 (1 569 affaires introduites), ce qui témoigne de la confiance des juridictions nationales et des justiciables envers les juridictions de l’Union. Ceci s’est notamment traduit par une augmentation du nombre d’affaires préjudicielles introduites au cours de cette année. Ce nombre est pour la troisième année consécutive le plus élevé jamais atteint et par rapport à l’année 2009 en augmentation de presque 41 %. Cependant, cet accroissement du volume du contentieux n’est pas entièrement absorbé en dépit d’une productivité record en 2011 (1 518 affaires clôturées). La durée moyenne de traitement d’une affaire devant la Cour et le Tribunal s’est ainsi allongée (16,4 mois pour les renvois préjudiciels contre 16 mois en 2010 ; 20,2 mois et 15,4 mois pour les recours directs et les pourvois contre 16,7 mois et 14,3 mois en 2010 ; 26,7 mois contre 24,7 mois en 2010 devant le Tribunal). Seul le Tribunal de la fonction publique a vu cette durée sensiblement diminuer, passant de 18,1 mois en 2010 à 14,2 mois en 2011. Communiqué de presse, CJUE, 17 févr. 2012 ACTUALITÉS DROIT ÉCONOMIQUE la détermination de la sanction. En effet, si, à l’instar de la Commission européenne, l’Autorité confirme dans son document-cadre que l’existence d’un programme de conformité ne saurait, de manière générale, être prise en compte en tant que circonstance atténuante ou aggravante (pts. 24 à 26), elle prévoit cependant un cas dans lequel l’existence d’un tel programme pourrait jouer comme une circonstance atténuante. Il s’agit du cas où une entreprise, qui se serait dotée d’un programme répondant aux bonnes pratiques, découvrirait l’existence d’une infraction non-éligible à la procédure de clémence (c’est-à-dire, une infraction autre qu’un cartel) et mettrait fin d’elle-même à cette pratique avant toute ouverture d’une enquête ou d’une procédure par une autorité de concurrence. Enfin, dans la droite ligne de la politique de suivi des décisions annoncée par Bruno Lasserre (cf. RLDA 2011/63, n° 3597), la mise en œuvre effective des programmes de conformité fera l’objet d’une surveillance de la part de l’Autorité. En effet, « à sa demande, l’entreprise ou l’organisme concerné doit donc se tenir prêt à mettre à sa disposition un rapport complet et précis lui permettant de s’assurer du respect de cet engagement, ainsi qu’à répondre à toute demande ou question à cet égard » (pt. 32). Les entreprises sont prévenues… • OBSERVATIONS • Pour plus de détails sur ces deux textes, voir l’éclairage de Cousin M. et Lemaire C., Conformité et non-contestation des griefs : l’ADLC précise les outils de gestion du risque concurrentiel par les entreprises, RLDA 2012/69, n° 3925. ➤ Lamy droit économique 2012, nos 1262 et 1279 DGCCRF : bilan de l’activité pour l’année 2011 Le secrétaire d’État chargé de la Consommation, Frédéric Lefebvre, a présenté lors d’une conférence de presse le 14 février 2012 le bilan de l’activité de la DGCCRF pour l’année 2011. Quelques chiffres : près de 850 000 actions de contrôle ont été réalisées dans 153 600 établissements et près de 9 600 sites d’e-commerce ont été contrôlés. Le nombre de suites données aux contrôles est en augmentation : 12 000 mesures de police administrative (+ 10 % par rapport à 2010), 14 000 infractions constatées par procès-verbal avec transmission au Parquet (+ 4 %) et 628 consignations ou saisies (+ 18 %). On retiendra surtout que l’année 2011 a été marquée par le renforcement de la vigilance sur certains secteurs définis comme prioritaires (immobilier, alimentaire, télécommunications, services financiers et commerce électronique). Le secrétaire d’État a annoncé trois nouvelles priorités d’action pour la DGCCRF pour le 1er semestre 2012 : le contrôle des sites d’achat groupés, la surveillance du commerce réalisé sur les téléphones portables et les réseaux sociaux et la protection des mineurs dans le domaine des télécommunications. Il a en outre demandé à ce que soient accentués les contrôles envers les allégations valorisantes, qu’elles soient relatives à la nutrition et à la santé ou liées à des questions environnementales, ainsi que ceux en matière de délais de paiement, et plus particulièrement > entre petites et grandes entreprises et dans le secteur du bâtiment. <http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_ services/dgccrf/dgccrf/rapports_activite/2011/ ResultatDGCCRF_2011.pdf> Prix excessifs Le Comité de la concurrence de l’OCDE avait organisé en octobre 2011 une table ronde sur les prix excessifs. Les actes de cette table ronde viennent d’être publiés. Ils sont disponibles à l’adresse suivante : <http://www. oecd.org/dataoecd/5/3/49604207.pdf>. Google condamné pour une pratique de prix prédateurs Le Tribunal de commerce de Paris a condamné Google, le 31 janvier 2012, à verser 500 000 euros de dommages et intérêts à la société Bottin Cartographes en réparation du préjudice subi du fait de l’abus par celui-ci de sa position dominante sur le marché de la cartographie en ligne. Google aurait pratiqué des prix abusivement bas ne permettant pas « de couvrir le coût de revient nécessairement exposé pour l’élaboration et la distribution [de ses] produits » et partant, ses coûts variables. Ce comportement aurait ainsi abouti « à l’éviction de tout concurrent (exemple MAPORAMA) » et s’inscrirait « à l’évidence dans le cadre d’une stratégie générale d’élimination ». Google a indiqué qu’il allait interjeter appel de cette décision. Affaire à suivre… T com. Paris, 15e ch., 31 janv. 2012, n° 2009061231, Bottin Cartographes c/ Google France et Google Inc. N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 51 Règlement n° 1/2003 : délimitation des compétences de la Commission et des autorités nationales de concurrence L’autorité tchèque de la concurrence peut sanctionner les effets anticoncurrentiels d’une entente mondiale qui se sont produits en République tchèque avant son adhésion à l’Union européenne. CJUE, 14 févr. 2012, aff. C-17/10, Toshiba Corporation e.a. / Úřad pro ochranu hospodářské soutěže À l’origine du renvoi préjudiciel à la Cour de justice : une entente sur le marché des appareillages de commutation à isolation gazeuse, à laquelle, à différentes périodes situées entre 1988 et 2004, ont participé plusieurs entreprises européennes et japonaises appartenant au secteur de l’électrotechnique. Tant la Commission européenne que l’autorité tchèque de la concurrence (Úřad pro ochranu hospodářské soutěže) se sont saisies de certains aspects de cette affaire au cours des années 2006 et 2007 et ont infligé des amendes aux entreprises concernées. Ces dernières ont introduit un recours contre la décision de l’autorité tchèque de la concurrence devant les juridictions tchèques. C’est dans ce contexte que la Cour de justice a été saisie. Sur la question de la loi applicable aux effets sur le territoire tchèque de l’entente : Était notamment contestée l’application par l’autorité de concurrence tchèque de son droit national de la concurrence : l’entente en question s’étant poursuivie jusqu’au 11 mai 2004, soit après l’adhésion de la République tchèque à l’Union européenne et après l’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003, elle aurait dû être examinée au regard des règles nouvellement applicables, à savoir l’article 81 CE (devenu l’article 101 TFUE) et le règlement n° 1/2003. La Cour relève cependant que ni le libellé, ni la finalité, non plus que l’économie de l’article 81 CE, de l’article 3, paragraphe 1 du règlement n° 1/2003 et de l’acte d’adhésion de la République tchèque à l’Union européenne ne comportent d’indications claires qui iraient dans le sens d’une application rétroactive des règles de concurrence de l’Union aux effets anticoncurrentiels produits dans ce pays avant son adhésion. Et de conclure que les dispositions de l’article 81 CE et de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 doivent être interprétées en ce sens que, dans le cadre d’une procédure engagée après le 1er mai 2004, elles ne sont pas applicables à une entente qui a produit des effets, sur le territoire d’un État membre ayant adhéré à l’Union le 1er mai 2004, au cours de périodes antérieures à cette date. Sur la question de la délimitation des compétences de la Commission et des autorités nationales de concurrence (ANC) : Était ici contestée la compétence de l’autorité tchèque de la concurrence : selon les requérantes, il résulterait de l’article 11, paragraphe 6 du règlement n° 1/2003 que cette autorité n’était plus compétente pour mettre en œuvre une procédure au niveau national, dès lors que la Commission avait déjà engagé, dans la même affaire, une procédure au niveau européen. Ce faisant, la procédure ainsi engagée au niveau national violerait le principe ne bis in idem prohibant le cumul de sanctions. 52 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 Les ANC sont certes dessaisies de leur compétence pour appliquer tant le droit de l’Union que leur droit national lorsque la Commission ouvre une procédure tendant à l’imposition d’une amende. Elles ne sont cependant pas pour autant dessaisies, selon la Cour, de façon permanente et définitive de leur compétence pour appliquer leur droit national. Au contraire, leur compétence est restaurée dès que la procédure engagée par la Commission est achevée. Et ce, précise la Cour, a fortiori, dans une situation telle que celle soumise à son appréciation, dans laquelle l’autorité de concurrence d’un État membre sanctionne, par application de son droit national de la concurrence, les effets anticoncurrentiels produits par une entente sur son territoire au cours de périodes antérieures à l’adhésion de l’État membre à l’Union. Partant, l’autorité tchèque de la concurrence pouvait statuer sur les effets anticoncurrentiels produits par l’entente en République tchèque avant son adhésion à l’Union. Enfin, sur le principe ne bis in idem, la Cour répond que ce principe ne fait pas obstacle à ce que des entreprises ayant participé à une entente soient condamnées à des amendes par une ANC, aux fins de sanctionner les effets produits par cette entente sur le territoire de l’État membre concerné avant son adhésion à l’Union, dès lors que les amendes infligées à ces entreprises par une décision de la Commission prise avant l’adoption de la décision de l’ANC n’avaient pas pour objet de réprimer ces mêmes effets. En l’espèce, étant donné que l’autorité de concurrence tchèque a uniquement sanctionné les conséquences de l’entente qui se sont réalisées sur le territoire tchèque avant le 1er mai 2004 et qu’elles n’ont pas été prises en considération par la Commission dans sa décision, la Cour constate qu’à défaut de cumul de sanctions, le principe ne bis in idem n’a pas été violé. • OBSERVATIONS • Pour une étude détaillée du principe ne bis in idem et son interprétation par la Cour de justice, cf. Cassuto T., Le principe ne bis in idem, principe autonome du droit communautaire, RLDA 2012/68, n° 3885. ➤ Lamy droit économique 2012, nos 1619, 1672 et 1781 DISTRIBUTION RLDA RLDA 3928 3929 Clause de non-réaffiliation : pas de contrepartie financière La clause de non-réaffiliation, limitée dans le temps et l’espace, justifiée et proportionnée aux intérêts de la tête de réseau et qui n’a pas pour effet d’interdire toute activité, est licite et n’a pas à être rémunérée. Cass. com., 31 janv. 2012, n° 11-11.071, P+B Était en cause la clause de non-rétablissement insérée dans le règlement intérieur d’un réseau de franchise d’agences immobilières et par laquelle il était fait interdiction à tout adhérent quittant le réseau d’adhérer à un réseau concurrent pendant une durée d’une année en exerçant son activité dans les mêmes locaux. Les juges d’appel avaient relevé que cette clause était limitée dans le temps et l’espace, qu’elle était justifiée et proportionnée aux intérêts dudit réseau et qu’enfin, elle n’avait pas pour effet d’interdire à l’ancien adhérent toute activité d’agence immobilière, mais le contraignait à ne pas adhérer pendant un an à un nouveau réseau ou à déplacer le siège de son activité en cas d’adhésion immédiate à un autre réseau. Ils en avaient déduit que cette clause était licite. La requérante contestait la solution ainsi retenue par les juges d’appel, arguant qu’« une clause de non-concurrence, tout comme une clause de non-réaffiliation, [ne serait] licite que si elle comporte l’obligation pour son bénéficiaire de verser au débiteur de [ladite] obligation (…) une contrepartie financière » – ce qui n’était manifestement pas le cas. La chambre commerciale rend un arrêt de rejet et, validant le raisonnement des juges d’appel, elle rappelle qu’une telle clause n’avait pas, en outre, à être rémunérée. ➤ Lamy droit économique 2012, nos 2890 et s. 3930 Réforme de la publicité extérieure Le décret n° 2012-118 du 30 janvier 2012 précise et encadre la réforme de la publicité extérieure issue de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle II ». D. n° 2012-118, 30 janv. 2012, JO 31 janv. Le décret du 30 janvier 2012 réduit les formats des dispositifs publicitaires muraux, en fonction de la taille des agglomérations, jusqu’à quatre mètres carrés dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants. Il institue une règle de densité pour les dispositifs classiques scellés au sol et muraux le long des voies ouvertes à la circulation publique, par une limitation à un dispositif publicitaire par linéaire de 80 mètres sur le domaine privé et un autre sur le domaine public. Il précise les règles particulières et dérogatoires applicables dans les aéroports et les gares, afin de tenir compte de leur spécificité en termes de tailles et de fonctionnement, en particulier pour les plus grands aéroports. Ce texte institue par ailleurs une obligation d’extinction des dispositifs lumineux : les publicités lumineuses devront être éteintes la nuit, entre une heure et six heures du matin, sauf pour les aéroports et les unités urbaines de plus de 800 000 habitants, pour lesquelles les maires édicteront les En bref… Déclaration préalable de soldes complémentaires L’arrêté du 8 janvier 2009 relatif à la déclaration préalable des périodes complémentaires de soldes a été modifié par un arrêté du 1er février 2012. La modification porte sur l’introduction dans le formulaire de déclaration préalable d’une mention relative à la protection des données personnelles (droit d’accès et de rectification pour les personnes concernées à leurs informations à caractère RLDA RLDA ➤ Lamy droit économique 2012, nos 2461, 2522 et s. et 4624 et s. règles applicables. Les enseignes lumineuses suivront les mêmes règles. Il contient en outre des dispositions spécifiques sur les publicités lumineuses, en particulier numériques, en ce qui concerne leur surface, leur luminance, leur consommation énergétique et leur dispositif anti-éblouissement. De même, s’agissant de la publicité sur les bâches. Il opère à cet égard une distinction entre les bâches de chantier et les bâches publicitaires. Enfin, il précise que les règlements locaux de publicité, adaptations communales des règles nationales, ne pourront dorénavant qu’être plus restrictifs que la règle nationale, notamment en matière de publicité lumineuse et d’enseignes lumineuses. Ces nouvelles règles entreront en vigueur le 1er juillet 2012, à l’exception de celles relatives aux préenseignes dérogatoires, qui entreront en vigueur le 13 juillet 2015 (D. n° 2012-118 préc., art. 17). Les règlements locaux de publicité en vigueur devront être mis en conformité avant le 13 juillet 2020. ACTUALITÉS DROIT ÉCONOMIQUE 3931 Prix du livre numérique : infractions et sanctions Les peines d’amende contraventionnelle applicables en cas d’infraction aux dispositions de la loi sur le prix du livre numérique précisées par un décret du 30 janvier 2012. D. n° 2012-146, 30 janv. 2012, JO 31 janv. La loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 avait prévu que les peines d’amendes contraventionnelles applicables en cas d’infraction à ses dispositions seraient définies par décret (L. n° 2011-590, 26 mai 2011, art. 7). C’est maintenant chose faite avec le décret n° 2012-146 du 30 janvier 2012 qui définit les cas d’infraction à la loi précitée et le régime des sanctions pénales qui leur est applicable. Sont désormais punis de l’amende prévue pour les contraventions de la troisième classe, soit tout au plus 450 euros : – Le fait, pour une personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France, de ne pas fixer un prix de vente au public pour chacune des offres qu’elle propose conformément à l’article 2 de la loi sur le prix du livre numérique. > personnel recueillies par l’Administration) conformément aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Arr. 1er févr. 2012, NOR : EFII1202323A E-commerce : les chiffres de l’année 2011 À l’occasion d’une conférence de presse le 30 janvier 2012, la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD) a présenté au ministre de l’Industrie, de l’Énergie et de l’Économie numérique le bilan du e-commerce pour l’année 2011. Les ventes en ligne ont poursuivi leur croissance en 2011 avec 37,7 milliards d’euros dépensés en ligne, ce qui représente une hausse de 22 % par rapport à 2010 et une multiplication par 2,5 depuis 2007. On retiendra également que plus de 30 millions de Français achètent aujourd’hui sur Internet, soit une progression de 11 % et près de 3 millions de nouveaux cyber-acheteurs en un an. Enfin, le nombre de sites marchands dépasse désormais le seuil des 100 000 sites, avec une augmentation de 18 000 sites sur l’année 2011 (+ 23 % par rapport à 2010). Communiqué de presse, MINEFI, 30 janv. 2012 ; Communiqué de presse, FEVAD, 30 janv. 2012 N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 53 • OBSERVATIONS • Sur cette question en général, cf. le numéro à paraître de la RLDA 2012/72, publiant les actes du colloque « La délégation de pouvoirs dans l'entreprise : nécessité et dangers » qui s'est tenu le 16 mars 2012 à la Faculté de droit de Dijon. RLDA On rappellera ici que cet article oblige en effet « toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France [à] fixer un prix de vente au public pour tout type d’offre à l’unité ou groupée », étant précisé que ce prix, qui peut différer en fonction du contenu de l’offre et de ses modalités d’accès ou d’usage, doit être porté à la connaissance du public (cf. L. n° 2011-590 préc., art. 2). Une exception est cependant prévue pour les livres numériques qui « sont intégrés dans des offres proposées sous forme de licences d’utilisation associant à ces livres des contenus d’une autre nature et des fonctionnalités » (cf. D. n° 2012-146 préc., art. 1er renvoyant à L. n° 2011-590 préc., art. 2, al. 3). – Le fait de proposer une offre de livre numérique aux acheteurs situés en France sans respecter le prix fixé dans les conditions ci-dessus. Ce décret est entré en vigueur le 1er février 2012. Démarchage à domicile : interdiction de recevoir une quelconque contrepartie Le professionnel ne peut recevoir du client démarché un ordre de virement avant l’expiration du délai de réflexion de sept jours, quand bien même l’ordre de virement n’aurait pas été mis à exécution avant l’expiration de ce délai. ➤ Lamy droit économique 2012, n° 3194 Pratique commerciale trompeuse : responsabilité pénale des dirigeants et délégation de pouvoirs Dans un arrêt du 24 janvier 2012, la chambre criminelle de la Cour de cassation revient sur les conditions dans lesquelles une délégation de pouvoirs peut permettre au directeur d’un magasin poursuivi pour pratique commerciale trompeuse de s’exonérer de sa responsabilité pénale. Cass. crim., 24 janv. 2012, n° 11-84.045, P+B La délégation de pouvoirs consentie à l’un de ses subordonnés par un directeur de magasin ne peut l’exonérer de sa responsabilité pénale que si elle est effective en pratique. Tel n’était manifestement pas le cas en l’espèce, les opérations promotionnelles litigieuses n’ayant pas été décidées par le délégataire, lequel contestait au surplus avoir disposé d’une liberté suffisante dans le choix des produits soldés. Partant, seule la responsabilité pénale du directeur du magasin pour pratique commerciale trompeuse devait être retenue. Cet arrêt est également l’occasion pour la chambre criminelle de la Cour de cassation d’opérer un rappel à l’ordre quant aux principes régissant l’application dans le temps d’une loi pénale plus douce. Rappelant qu’« une loi nouvelle qui abroge une incrimination s’applique aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur et faisant l’objet de poursuites non encore terminées par une décision passée en force de jugée », elle casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, en ce qu’il avait déclaré le directeur du magasin ainsi que la société X coupables de soldes en dehors des périodes autorisées. En effet, cette incrimination ayant été abrogée par la LME (L. n° 2008-776, 4 août 2008), des faits de ventes en soldes en dehors des périodes autorisées commis antérieurement à son entrée en vigueur ne pouvaient être poursuivis après cette date (cf. pour une solution similaire, Cass. crim., 22 mars 2011, n° 10-80.203, RLDA 2011/60, n° 3443). ➤ Lamy droit économique 2012, nos 3144 et 5194 54 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 Cass. crim., 10 janv. 2012, n° 11-86.985, P+B Le gérant d’une agence matrimoniale avait démarché à domicile un client pour la conclusion d’un contrat de courtage matrimonial et avait reçu, le même jour (soit avant l’expiration du délai de réflexion), un ordre de virement permanent. Poursuivi pour délit de demande ou d’obtention de paiement ou d’accord avant la fin du délai de réflexion de sept jours en matière de démarchage à domicile (cf. C. consom., art. L. 121-28), il avait été relaxé par les juges d’appel. Ces derniers avaient en effet estimé qu’en vertu de l’alinéa 3 de l’article L. 121-26 du Code de la consommation, le professionnel pouvait recevoir durant le délai de rétractation des engagements ou des ordres de paiement, « sous réserve qu’il ne le mette pas à exécution dans le délai de sept jours et qu’il les retourne au consommateur dans les quinze jours suivant la fin du contrat ». Cette interprétation est censurée : « l’alinéa 3 de l’article L. 121-26 du Code de la consommation doit [ en effet] être lu comme lié à l’alinéa 2, tous deux ayant été insérés dans cet article par la loi du 1er février 1995 dans le but d’assouplir, pour la presse écrite, secteur à protéger, le principe posé par l’alinéa 1er du même article ». Ce faisant, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle le caractère absolu de l’interdiction posée à l’alinéa 1er de l’article L. 121-26 du Code de la consommation : peu importe que l’ordre de virement obtenu du client démarché n’ait pas été exécuté avant l’expiration du délai de réflexion, « il est interdit au professionnel d’obtenir du client démarché à son domicile, avant l’expiration [de ce délai], directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit, une contrepartie ou un engagement quelconque ». ➤ Lamy droit économique 2012, n° 5486 RLDA RLDA CONSOMMATION 3932 3933 3934 Défaillance de l’emprunteur Si la défaillance de l’emprunteur permet au prêteur d’exiger le remboursement du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés, ce dernier ne peut cependant exiger la capitalisation des intérêts. Cass. 1re civ., 9 févr. 2012, n° 11-14.605, P+B+I Aux termes de l’article L. 311-32 du Code de la consommation, dans sa version antérieure à la loi Lagarde (devenu, l’article L. 311-23), aucune indemnité ou aucun coût autres que ceux mentionnés aux articles L. 311-29 à L. 311-31 (anciens) du Code de la consommation ne peuvent être mis à la charge de l’emprunteur dans les cas de remboursement par anticipation ou de défaillance prévus par ces articles. Conséquence : la capitalisation des intérêts prévue par l’article 1154 du Code civil ne peut être appliquée. Dès lors, encourt la cassation l’arrêt d’appel qui avait retenu, pour ordonner la capitalisation des intérêts demandée par la banque à l’encontre de l’emprunteur défaillant, que les dispositions de l’article 1154 du Code civil n’étaient pas exclues par le Code de la consommation. En effet, « en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés [l’article L. 311-23 du Code de la consommation, ex-article L. 311-32, et l’article 1154 du Code civil], le premier par refus d’application, le second par fausse application ». RLDA ➤ Lamy droit économique 2012, n° 5946 3935 Sans OGM ! De nouvelles règles d’étiquetage pour les denrées alimentaires issues de filières « sans OGM ». D. n° 2012-128, 30 janv. 2012, JO 31 janv. Jusqu’à présent, la réglementation prévoyait l’étiquetage obligatoire de la présence d’OGM en cas d’utilisation vo- En bref… lontaire, mais ne définissait pas les modalités d’information du consommateur pour les filières « sans OGM ». Le décret du 30 janvier 2012 ci-commenté, qui définit les règles (facultatives) d’étiquetage des produits pour les opérateurs souhaitant valoriser une production sans OGM, vient pallier à cette lacune. Désormais, trois catégories d’ingrédients pourront faire l’objet d’une mention du type « sans OGM » : – les ingrédients d’origine végétale, s’ils sont issus de matières premières contenant au maximum 0,1 % d’OGM ; – les ingrédients d’origine animale, avec des mentions distinctes selon que les animaux sont nourris avec des aliments contenant moins de 0,1 % ou moins de 0,9 % d’OGM (« nourri sans OGM (< 0,1 %) » ou « nourri sans OGM (< 0,9 %) » ; – les ingrédients apicoles, lorsqu’ils sont issus de ruches situées à plus de 3 km de cultures génétiquement modifiées (« sans OGM dans un rayon de 3 km »). Par ailleurs, il sera possible de reprendre « en face avant » (c’est-à-dire dans le champ visuel principal de l’emballage), en plus des indications figurant dans la liste des ingrédients, une mention du type « sans OGM » pour tout ingrédient qui représente plus de 95 % de la denrée alimentaire. Ces nouvelles règles d’étiquetage entreront en vigueur le 1er juillet 2012. ➤ Lamy droit économique 2012, n° 6305 Appel à participation à l’attention des doctorants ou jeunes docteurs Dans le cadre des activités du Réseau universitaire européen « droit de l’espace de liberté sécurité jus- Free condamné pour pratique commerciale trompeuse Le 7 février 2012, le fournisseur d’accès à Internet, Free, a été condamné par le Tribunal correctionnel de Paris à 100 000 euros d’amendes pour des pratiques commerciales trompeuses commises au détriment de ses abonnés. L’opérateur avait mis en place un ACTUALITÉS DROIT ÉCONOMIQUE tice », mis en place par différents centres et unités de recherches spécialisés en droit européen au sein des Universités d’Aix-Marseille, Lyon, Paris-Nanterre, Pau-Bayonne et Toulouse, sont organisés tous les ans les ateliers doctoraux européens, consacrés à l’étude de cet espace. La troisième édition de ces sessions doctorales in- dispositif de limitation du débit au détriment de ses ternationales se tiendra à l’Université Jean Moulin, clients non dégroupés. Ces derniers, toujours abonnés Lyon 3, les 14 et 15 juin 2012, en partenariat avec à l’opérateur historique, bénéficiaient d’une bande l’Équipe de droit international, européen et com- passante inférieure aux clients qui avaient choisi le paré (EDIEC, Université Jean Moulin, Lyon 3) et le dégroupement total. soutien de l’École doctorale de droit (EDD – Lyon – Cette condamnation fait suite à une enquête menée par St-Étienne). Le thème : la fragmentation de l’espace la DGCCRF en 2007. UFC-Que Choisir, qui avait déposé de liberté, sécurité et justice. Les dossiers doivent plainte dans cette affaire, a obtenu 40 000 euros de être envoyés avant le 30 avril 2012. Pour plus de dommages et intérêts. renseignements : Communiqué de presse, MINEFI, 7 févr. 2012 <http://cee.univ-lyon3.fr/>. Journées techniques d'actualité : document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence et les clés de mise en pratique Sur encouragement de l'Autorité de la concurrence, les entreprises doivent se doter d'un programme de conformité aux règles de concurrence et y consacrer les moyens nécessaires pour en assurer le succès. Au cours de cette journée, Lamy formation vous propose de découvrir avec des experts, et à la lumière d'un atelier pratique concret, comment élaborer ce programme, qui en est responsable au sein de l'entreprise et comment mettre en place les mesures effectives d'information, de formation et de sensibilisation. Avec les interventions de : Fabien Zivy, chef du service juridique de l'Autorité de la concurrence ; Jean-Louis Fourgoux et Leyla Djavadi, avocats, Fourgoux & Associés. Date : mardi 24 avril 2012, de 9h00 à 17h00 Tarif : 800 euros HT Lieu : Paris Renseignements et inscriptions : <http://www.lamyformation.fr/71/pages/formation/49/1020/4774document-cadre-sur-les-programmes-de-conformite-> Contact : [email protected] / 0825080800 N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 55 DROIT DU TRAVAIL Sous la direction scientifique de Paul-Henri ANTONMATTÉI, Professeur à la Faculté de Droit de Montpellier, Doyen honoraire, Directeur du Laboratoire de Droit social de la Faculté de Droit de Montpellier (Université Montpellier I), Avocat associé, J. Barthélémy et associés. L orsque l’employeur permet au salarié de bénéficier d’une formation au-delà de ses obligations légales, la clause de dédit-formation est un moyen efficace de s’assurer qu’il en conservera le bénéfice. La question se pose alors des conditions de validité d’une telle clause et plus encore de ses conditions de mise en œuvre. La chambre sociale de la Cour de cassation vient à ce sujet de préciser qu’« une clause de dédit-formation ne peut être mise en œuvre lorsque la rupture du contrat de travail est imputable à l’employeur ». Ainsi en est-il en cas de prise d’acte de la rupture par le salarié qui, fondée par le comportement de l’employeur, produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par ailleurs, les magistrats de la Cour de cassation poursuivent leur construction prétorienne du régime de ce type de rupture. Ainsi, par un arrêt du 25 janvier 2012, ils viennent de préciser que lorsque la prise d’acte n’est pas fondée par le comportement de l’employeur et produit les effets d’une démission, cela ne peut avoir aucune influence sur les conditions de mises en œuvre de la clause de non concurrence et cela ne justifie pas la mise à l’écart de la responsabilité de l’employeur qui a tardé à remettre au salarié les documents de fin de contrat. Enfin, nous reviendrons sur un arrêt de la chambre sociale du 14 décembre 2011 qui précise les conditions de désignation du représentant syndical au comité d’entreprise ou d’établissement depuis les nouvelles dispositions de la loi du 20 août 2008 et la création du représentant de la section syndicale. Isabelle CORNESSE Par Isabelle b ll CORNESSE Maître de conférences Faculté de droit de Montpellier Des conditions de mise en œuvre des clauses de dédit-formation en cas de prise d’acte du salarié ou de l’imputabilité de la rupture RLDA Une clause de dédit-formation ne peut être mise en œuvre lorsque la rupture du contrat de travail est imputable à l’employeur. Dès lors, en cas de prise d’acte de la rupture de la salariée produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, celle-ci ne manque pas de son fait à son engagement de rester pendant une certaine durée au service de son employeur en contrepartie de la formation qui lui était dispensée. 3936 Cass. soc., 11 janv. 2012, n° 10-15.481, P+B L a clause de dédit-formation est la clause suivant laquelle, en contrepartie d’une formation financée par l’employeur, le salarié s’engage à ne pas quitter son emploi pendant un certain temps à l’issue de cette formation et à verser, en cas de départ anticipé, une somme convenue à l’avance, à titre de remboursement des frais. La validité de ces clauses est reconnue depuis longtemps par les juges qui les qualifient de clauses pénales (Cass. soc., 23 janv. 1985, n° 8242.992, Bull. civ. V, n° 58). Elles sont, en effet, un moyen efficace de s’assurer que le bénéfice de la formation profitera bien à l’employeur qui l’a financée et que le salarié ne pourra le conserver sans contrepartie (Cass. soc., 17 juill. 1991, n° 88-40.201, Bull. civ. V, n° 373, D. 1991, IR, p. 225, CSB 1991. 193, A. 44, RJS 1991, n° 1072). La jurisprudence impose toutefois le respect de quatre conditions. 56 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 La première tient à la finalité même de la clause et suppose que celle-ci soit la contrepartie d’une formation réelle dont le montant dépasse celui imposé en application des obligations légales ou conventionnelles à la charge de l’employeur (Cass. soc., 9 févr. 1994, n° 91-44.644 ; Cass. soc., 5 janv. 1995, n° 90-45.374). La seconde tient à l’accord exprès du salarié qui doit être formalisé par une convention particulière prévue ou annexée au contrat avant le début de la formation (Cass. soc., 4 févr. 2004, n° 01-43.651, Bull. civ. V, n° 40, Semaine sociale Lamy, n° 1159, p. 14). La troisième condition concerne la durée de l’engagement qui doit être proportionnée à la formation suivie et notamment à son coût et à sa durée (Cass. soc, 12 mars 1987, n° 84-41.056). La quatrième condition impose plus largement aux juges de s’assurer que la clause n’a pas pour objet de priver le salarié de démissionner (Cass. soc., 4 juin 1987, n° 84-43.639 ; Cass. soc., 17 juill. 1991, préc.). REPÈRES DROIT DU TRAVAIL Reste une question essentielle qui concerne les cas de rupture et applicables en cas de démission, les versements réalisés au permettant la mise en œuvre de ce type de clause et à laquelle titre de ces clauses étant affectés par l’entreprise au financement l’affaire commentée apporte une réponse. En l’espèce, une d’actions dans le cadre du plan de formation. » salariée est engagée le 7 janvier 2005 en qualité de psychoLa jurisprudence a déjà eu l’occasion de déplacer la question logue. Son contrat de travail comportait une clause de déditplus largement sur le terrain de l’imputabilité de la rupture et formation par laquelle elle s’engageait, en contrepartie de la sur la distinction entre initiative et imputabilité. Il s’agit alors formation assurée par son employeur, à rester à son service de déterminer qui est à l’origine du non-respect de l’obligation pendant cinq années et à lui verser, en cas de rupture anticipée, du salarié de rester un certain temps au service de l’employeur une indemnité au titre des frais de formation engagés. Deux à l’issue de la formation. Ainsi, la clause ne s’applique pas ans plus tard, la salariée prend acte de la rupture et saisit la lorsque le salarié démissionne à la suite de l’attitude de juridiction prud’homale afin de faire reconnaître que la prise l’employeur, c’est-à-dire lorsque la démission intervient à d’acte produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle l’initiative du salarié mais que celle-ci est imputable à l’emet sérieuse. L’employeur fait alors une demande reconvenployeur (qui par exemple ne respecte pas son obligation de versement des salaires : tionnelle en paiement d’une somme au titre de la clause de Cass. soc., 4 juill. 1990, n° 87-43.787 ou son obligation de formation : Cass. soc., 28 mars dédit-formation. La cour d’appel reconnaît, tout d’abord, que 1995, n° 91-45.088). C’est dans cette lignée que s’inscrit l’arrêt de la la prise d’acte était justifiée par le comportement de l’emchambre sociale du 12 janvier 2012 et la résiliation judiciaire ployeur et produisait les effets d’un licenciement sans cause prononcée aux torts de l’employeur devrait suivre le même réelle et sérieuse. Elle condamne, ensuite, la salariée au paiesort. En faisant référence à la seule imputabilité de la rupture, ment d’une somme au titre de la clause la solution nous conduit à nous interrode dédit-formation. Telle ne sera pas la ger plus largement sur la mise en œuvre position des magistrats de la Cour de casde la clause de dédit-formation lorsque sation pour lesquels ces deux solutions c’est l’employeur qui prend l’initiative Le versement de la apparaissent contradictoires. Au visa de de la rupture. Cela suppose alors de discontrepartie financière l’article 1134 du Code civil, ils posent tinguer parmi les licenciements ceux que n’est-elle exclue que le principe suivant lequel « une clause l’on peut considérer comme imputables lorsque la rupture est de dédit-formation ne peut être mise en au salarié ou, au contraire, à l’employeur directement imputable à œuvre lorsque la rupture du contrat de afin de s’assurer de l’application ou non travail est imputable à l’employeur. » Ils de la clause de dédit-formation. Nul l’employeur ? en déduisent alors que la cour d’appel doute que celle-ci ne peut jouer lorsque ne pouvait faire droit à la demande de le licenciement est reconnu sans cause l’employeur dès lors qu’elle avait admis réelle et sérieuse (CA Paris, 7 janv. 1971, Sté Olivetti « que la prise d’acte de la rupture de la salariée produisait les c. Crouzet, Dr soc. 1979, p. 160). De même, un licenciement économique effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce dont ne semble pas permettre la mise en œuvre de la clause alors il résultait que la salariée n’avait pas manqué de son fait à que c’est le fonctionnement de l’entreprise qui est à l’origine son engagement de rester pendant une certaine durée au serde la rupture (CA Montpellier, 26 févr. 1991, Favresse c. Fourtet, RJS 1991, n° 1073). vice de son employeur en contrepartie de la formation qui lui D’autres situations supposeraient quelques précisions de la était dispensée. » Ainsi, conformément à la jurisprudence de part de la chambre sociale de la Cour de cassation. Ainsi en la chambre sociale de la Cour de cassation du 25 juin 2003 est-il des licenciements pour faute. Certaines cours d’appel (Cass. soc., 25 juin 2003, nos 01-41.151 et 01-40.235, Bull. civ. V, n° 208, Dr soc. 2003, ont admis que la clause de dédit-formation avait vocation à jouer en cas de licenciement pour faute grave (CA Nancy, 25 avril p. 817), soit la prise d’acte est justifiée par le comportement de l’employeur, imputable à celui-ci, elle produit alors les effets 1983, Portolès c/Sothef, Dr soc.1989, p. 392). Cela suppose de préciser ce d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la clause de que l’on entend par imputabilité de la rupture. Le versement dédit-formation ne peut trouver application. Soit la prise d’acte de la contrepartie financière n’est-elle exclue que lorsque la n’est pas fondée, elle produit ici les effets d’une démission et rupture est directement imputable à l’employeur ? À l’inverse, le salarié est dans l’obligation de payer la somme prévue en suffit-il que le comportement du salarié soit à l’origine de la remboursement de la formation reçue. rupture pour justifier la mise en œuvre de la clause ? La faute La référence à l’imputabilité de la rupture va au-delà de la sérieuse permettrait en ce cas de considérer que c’est bien « de seule mise en œuvre de la clause en cas de démission ainsi son fait » que le salarié n’a pu respecter « son engagement de qu’envisagée par l’article R. 2241-9 8° du Code du travail (seul rester pendant une certaine durée au service de son employeur en contrepartie de la formation qui lui était dispensée », pour article envisageant la clause de dédit-formation hormis l’article L. 6325-15 du code du travail reprendre les termes de la Cour de cassation. Si l’on pousse un qui exclut le recours à ce type de clause dans les contrats de professionnalisation) selon peu le raisonnement, ne pourrait-on pas dire que l’inaptitude lequel « la négociation triennale en matière de formation prophysique non professionnelle pourrait être considérée comme fessionnelle et d’apprentissage porte notamment sur : 8° Les du fait du salarié ? On perçoit ici la limite du raisonnement et conditions d’application, dans les entreprises qui consacrent à la toutes les difficultés de cette référence à l’imputabilité. formation de leurs salariés un montant au moins égal à l’obliC’est donc avec impatience que nous attendons les précisions gation minimale légale ou celle fixée par convention ou accord de la Cour de cassation. Fort heureusement, en pratique, de collectif de branche relative à la participation des employeurs au nombreuses clauses de dédit-formation sont expressément financement de la formation professionnelle continue, d’évenlimitées aux seuls cas de démission ou de licenciement pour tuelles clauses financières convenues entre l’employeur et le faute grave. ◆ salarié avant l’engagement de certaines actions de formation > N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 57 DROIT DU TRAVAIL RLDA Par le Laboratoire de droit social de la Faculté de droit de Montpellier (Université Montpellier I) 3937 La démission abusive n’autorise pas l’abus de l’employeur Le salarié lié par une clause de non-concurrence devant bénéficier d’une contrepartie financière, les parties ne pouvaient dissocier les conditions d’ouverture de l’obligation de non-concurrence et celles de son indemnisation. Par des motifs inopérants tirés de la condamnation du salarié pour démission abusive et du comportement de l’employeur, alors que la remise tardive à un salarié des documents lui permettant de s’inscrire au chômage et du certificat de travail entraîne nécessairement un préjudice qui doit être réparé par les juges du fond, la cour d’appel a violé les textes susvisés. Cass. soc., 25 janv. 2012, n° 10-41.590, P+B La Cour de cassation poursuit régulièrement la construction du régime prétorien de la prise d’acte. Les conséquences de cette résiliation unilatérale du contrat de travail par le salarié, sont en effet de mieux en mieux précisées, dans le sens d’un courant jurisprudentiel cohérent. L’on a pu noter dernièrement le rappel de ce que cette « démission forcée » produisait les effets d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, ce qui rendait applicables à cette absence d’initiative de l’employeur, les articles L. 1235–1 et suivants du Code du travail encadrant son indemnisation judiciaire (Cass. soc., 7 déc. 2011, n° 10-14.156) : l’on comprend ceux qui regrettent, dans ce contexte, le retour de « l’auto-licenciement’». L’arrêt ici éclairé synthétise de façon judicieuse l’articulation qu’impose l’appréciation de la prise d’acte, entre les régimes de la démission et du licenciement illégitime. L’on sait en effet que de façon constante, lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués sont justifiés, soit dans le cas contraire d’une démission (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43.463). Le Juge, fatalement saisi en pratique d’un contentieux portant sur la formation ou l’exécution du contrat, devra donc statuer sur les griefs ainsi invoqués par le salarié, afin de définitivement qualifier la rupture : le demandeur doit donc d’une part établir objectivement la réalité des reproches opposés à l’employeur, mais en outre leur caractère suffisamment grave pour justifier la résiliation du lien contractuel (Cass. soc., 19 janv. 2005, n° 02-41.113, Bull. Civ. V, n° 11, JCP E 2005, n° 22, p. 929). Sur ce point, hormis les cas où la charge de la preuve est partagée (durée et horaires de travail, par exemple) ou renversée (harcèlement ou discrimination abusive), le doute profitera au défendeur, c’est-à-dire ici l’employeur, conformément au Droit commun : 58 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 la résiliation du contrat à l’initiative du salarié sera donc qualifiée de démission (Cass. soc., 19 déc. 2007, n° 06-44.754, Bull. civ. V, n° 219, JCP S 2008, n° 12). Contrairement à la résiliation judiciaire, le Juge est contraint de fixer la date de la rupture du contrat de travail, au moment où la prise d’acte a été notifiée à l’employeur (Cass. soc., 17 fév. 2010, n° 08-42.490, Bull. civ. V, n° 45, RJS 5/2010, p. 337) : la prise d’acte conduit donc à une rupture immédiate, sans préavis dû par le salariée victime des manquements ayant conduit à la rupture. En revanche, contrairement au licenciement disciplinaire, le salarié ayant spontanément accompli, ou offert d’accomplir, un préavis de démission à la suite de sa prise d’acte, ne remet pas en cause l’appréciation judiciaire de celle-ci, et donc sa requalification éventuelle en licenciement abusif (Cass. soc., 2 juin 2010, n° 09-40.215, Bull. civ. V, n° 128, Semaine sociale Lamy, n° 1451, p. 13). Dans cette dernière hypothèse d’ailleurs, si la rupture produit les effets d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, le Juge doit accorder au salarié les dommages-intérêts afférents, mais en outre l’indemnité de licenciement (le cas échéant conventionnelle), ainsi qu’une indemnité compensatrice de préavis (Cass. soc., 20 janv. 2010, n° 08-43.471, Bull. civ. V, n° 17, LPA 2010, n° 207, p. 7). Or naturellement, si la prise d’acte justifiée est qualifiée de licenciement abusif, sera-t-elle qualifiée de démission abusive si elle était injustifiée ? Ce n’est bien entendu pas le sens que l’on retient a priori de la solution jurisprudentielle susvisée, inaugurée au début des années 2000 : pourtant la démission imputable à l’employeur, reste une résiliation du contrat de travail à l’initiative du salarié. Par conséquent ce dernier doit respecter en principe les conditions de cette résiliation contractuelle, dont il n’est exonéré que si cette résiliation constitue de sa part une réaction, sanction à un manquement de son cocontractant. Aussi dans l’hypothèse où la prise d’acte ne reposerait pas, en définitive, sur des fautes de l’employeur suffisamment graves pour la légitimer, elle devrait non seulement être qualifiée de démission, mais entraîner rétrospectivement à la charge du salarié, la mise en œuvre de ses obligations en la matière. Or sur ce point, selon l’article L. 1237-1 du Code du travail, le salarié démissionnaire doit impérativement un préavis à son cocontractant employeur, lequel préavis reste en pratique souvent régi par la convention collective applicable. Par ailleurs on relève que le non-respect de ce délai de préavis par le salarié démissionnaire, constitue une démission abusive, en tant que brusque rupture : il sera donc condamné à verser une indemnité compensatrice de préavis à son ancien employeur, indemnité dont le montant est souverainement évalué par le juge (Cass. soc., 26 mars 2002, n° 00-40.321). Pour finir, si la démission sans préavis est qualifiée de rupture abusive, les articles L. 1237-2 et L. 1237-3 du Code du travail consacrent de façon générale la responsabilité du salarié, conformément au Droit commun des contrats, dans le cadre de l’abus du droit de résilier le contrat de travail à durée indéterminée. L’on sait pourtant que l’employeur assumant seul les risques d’exploitation de l’entreprise, ce n’est qu’en cas de faute lourde que le salarié engage sa responsabilité à son profit (Cass. soc., 6 mai 2009, n° 07-44.485, Bull. civ. V, n° 126, Dr soc. 2009, p. 865). Or cette faute lourde n’est retenue que si l’employeur démontre expressément l’intention de nuire du salarié dans la commission de son manquement (Cass. soc., 29 avril 2009, n° 07-42.294) : rares sont les expressément un préjudice dû à ce retard (Cass. soc., 26 oct. 2011, n° 10-20.112, JCP S 2012, 5). A fortiori l’employeur ne peut soit exercer une rétention de ces documents, soit encore légitimer un retard dans leur remise au salarié, en raison ou en réaction à un abus de ce dernier, dont il serait victime. Par voie de conséquence la prise d’acte injustifié ne peut conduire à la condamnation du salarié qu’à indemniser la brusque rupture, ou le cas échéant les conséquences de la faute lourde qu’il aurait commise, à l’exclusion de toute autre réclamation de l’employeur. Cette solution simple en apparence, ne doit toutefois pas dissimuler la complexité des contentieux déclenchés par la prise d’acte du salarié : ainsi même si cette résiliation est justifiée et produit les effets d’un licenciement abusif, l’employeur étant condamné à verser les indemnités de rupture et les dommages-intérêts afférents, cela ne l’empêche pas de réclamer la condamnation reconventionnelle du salarié qui a, à l’occasion de la prise d’acte, commis des actes de déloyauté dommageables, constitutifs d’une faute lourde distincte des manquements de l’employeur (Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 09-67.510, JCP S 2011, 49). Bruno SIAU Maître de conférences à la Faculté de Droit de Montpellier Avocat à la Cour RLDA hypothèses où cette intention de nuire peut être matériellement établie, la jurisprudence retenant principalement les actes de dénigrement ou de concurrence déloyale à l’encontre de l’entreprise employeur. Il apparaît donc que la démission abusive est le seul cas dérogatoire à ce principe prétorien, limitant la responsabilité contractuelle du salarié. C’est la raison pour laquelle est admise la solution selon laquelle « (…) en l’absence d’abus manifeste ou d’intention de nuire du salarié, celui-ci ne peut être tenu au paiement d’une autre indemnité que celle correspondant au préavis conventionnel (…) » en cas de démission abusive (Cass. soc., 16 novembre 2004, n° 02-42.934). L’on va donc naturellement retrouver les mêmes solutions s’agissant de la prise d’acte injustifiée ; toutefois en raison de la réalité pratique de cette résiliation à l’initiative du salarié, ces solutions conduisent globalement à engager systématiquement la responsabilité du salarié. En effet, la rupture du contrat intervenant immédiatement à la date de sa notification, et hormis l’hypothèse où le salarié a effectué ou offert d’effectuer le préavis, il sera condamné inévitablement à verser une indemnité de préavis s’il ne démontre pas les griefs qu’il oppose à l’employeur (Cass. soc., 8 juin 2011, n° 09-43.208, JSL, n° 304, p. 11). En revanche l’employeur ne pourra obtenir de dommagesintérêts complémentaires, que s’il justifie objectivement de l’intention de nuire de son adversaire, dans le cadre de la rupture du contrat, et ce au-delà de la simple brusque rupture. En tout état de cause, il ne pourrait quant à lui en aucune manière commettre une quelconque inexécution contractuelle, en rétorsion à une prise d’acte injustifiée. Pareillement, ses propres manquements ne pourraient être compensés par ceux du salarié ayant abusivement pris acte de la rupture. Le cas d’espèce illustre donc ce raisonnement : une salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail, avec prise d’effet immédiat, et a saisi le conseil de prud’hommes en vue de la voir requalifiée avec toutes conséquences de droit. Or le Juge rejette ces demandes et applique donc à la résiliation du contrat les conséquences de la rupture brusque : la salariée est ainsi condamnée à verser à son ancien l’employeur, l’indemnité compensatrice de préavis. Mais au-delà de cette décision principale, d’autres demandes salariales accessoires sont rejetées : d’une part le Juge confirme la validité d’une clause de non-concurrence minorant la contrepartie financière en cas de démission. D’autre part il légitime le retard apporté par l’employeur à la remise des documents sociaux, en raison de l’absence d’abus manifeste (démontré) et de la condamnation susvisée de la salariée. Ces solutions sont cassées à la suite du pourvoi de l’intéressée (cf. Cass. soc., 25 janv. 2012, susvisé). En effet en premier lieu la Cour de cassation rappelle que la clause de non-concurrence ne peut être conditionnée par les causes ou les modalités de la rupture du contrat de travail (Cass. soc., 20 oct. 2010, n° 08-19.748, Bull. civ. V, n° 242, RJS 1/2011, p. 30). Il est vrai que le salarié ne peut valablement renoncer, y compris par une clause expresse du contrat de travail, à la liberté de prendre l’initiative de la résiliation du contrat : toute entrave à cette liberté de démissionner est nulle, et la clause du contrat de travail en l’espèce est donc réputée non-écrite. En second lieu la remise tardive des documents sociaux, et notamment de l’attestation destinée à Pôle emploi, pour la liquidation des droits à assurance-chômage, doit être sanctionnée par le juge, sans que le salarié n’ait à démontrer REPÈRES DROIT DU TRAVAIL 3938 Représentant syndical au comité d’entreprise : une exigence de légitimité La désignation d’un représentant syndical au comité d’entreprise est une prérogative que la loi réserve aux syndicats qui ont obtenu une légitimité électorale, soit en étant reconnus représentatifs dans les entreprises de moins de 300 salariés, soit en ayant des élus au comité d’entreprise dans les autres entreprises, de sorte que le représentant de la section syndicale n’est pas de droit représentant syndical au comité d’entreprise. Cass. soc., 14 déc. 2011, n° 11-14.642, P+B. La désignation du représentant syndical au comité d’entreprise est décidemment sujette à débat. L’on pouvait imaginer que la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 avait rompu avec l’exigence posée antérieurement de justifier de la représentativité, pour désigner un représentant syndical au comité d’entreprise. En effet, dans les entreprises de plus de 300 salariés, un syndicat non représentatif a la possibilité de désigner un représentant au comité d’entreprise, dès lors qu’il dispose d’au moins deux élus (Cass. soc., 8 juill. 2009, n° 09-60.015, Bull. civ. V, n° 179, admettant l’absence d’exigence de la représentativité ; Cass. soc., 4 nov. 2009, n° 09-60.066, Bull. civ. V, n° 260, interprétant l’exigence de plusieurs élus, comme signifiant au moins deux). Il s’en déduit qu’un syndicat non représentatif, ayant eu deux élus peut désigner un représentant syndical, alors à l’inverse qu’un syndicat remplissant au premier tour des élections professionnelles la condition de représentativité mais qui, au terme du second tour, n’a pas eu d’élu, n’a pas la possibilité de désigner un représentant. Cette situation, potentiellement génératrice d’inégalité, a suscité plusieurs questions prioritaires de constitutionalité, dont la dernière a été transmise par la chambre sociale de la Cour de cassation > N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 59 au Conseil constitutionnel le 18 novembre 2011. Bien que la question ait été posée sur le terrain de l’absence de dispositions transitoires prévue par la loi de 2008, le Conseil constitutionnel n’en a pas moins rendu une décision dont la portée dépassera largement la question de l’inégalité de traitement pendant la période transitoire, puisqu’il conclut en ces termes : « en subordonnant la désignation d’un représentant syndical au comité d’entreprise à la condition pour un syndicat d’y avoir des élus, le législateur n’a méconnu ni le principe d’égalité entre les organisations syndicales, ni la liberté syndicale, ni 15-REPERES-PARTIE-Auteur_Ligne xxxxxxxx aucune autre exigence constitutionnelle » 1(Cons. const., 3 févr. 2012, 15-REPERES-PARTIE-Auteur_Ligne 2 n° 2011216 QPC). L’absence de motivation2 explicite du Conseil 15-REPERES-PARTIE-Auteur_Ligne constitutionnel qui procède plus par affirmation que par démonstration, fait à nouveau débat (cf. Semaine sociale Lamy, n° 1525, p. 12 et s. et entretien avec Akandji-Kombé J-F.). Dans l’arrêt du 14 décembre 2011 ici commenté, ce sont les conditions de désignation du représentant syndical au comité d’entreprise dans les entreprises de moins de 300 salariés qui Domaine Auteur-Fonction , 15-REPERES-PARTIE-Domaine- RXXXX XXXXXXX XXXX XXXXXX DOMAINE LIGNE1XXXXX LIGNE2 étaient en jeu. La difficulté ici résolue était de concilier les dispositions de l’article L. 2143-22 du Code du travail, aux termes desquels le délégué syndical est de droit représentant syndical au comité d’entreprise dans les entreprises de moins de 300 salariés, avec celles de l’article L. 2142-1-1 du Code du travail, qui confèrent aux représentants de la section syndicale, désignés par un syndicat non représentatif, les « mêmes prérogatives que le délégué syndical, à l’exception du pouvoir de négocier des accords collectifs ». N’était-il pas possible d’en déduire que, dans les entreprises de moins de 300 salariés, le représentant de la section syndicale est de droit le représentant syndical au comité d’entreprise, puisque bénéficiant des mêmes prérogatives que le délégué syndical ? Autrement dit, l’intention du législateur n’a-t-elle pas été de rompre le lien entre toute exigence de représentativité et la désignation du représentant syndical au CE, que ce soit dans les entreprises de plus de 300 salariés dans lesquelles il est exigé simplement 2 élus, et celles de moins de 300 salariés RLDA Auteur xxx xxxxxxxxxxxxx xx 15-REPERES-PARTIE-Titre Droit disciplinaire xxxxxxxx Ne constitue pas une sanction disciplinaire le change- En bref… d’affectation 15-REPERES-PARTIE-Chapo xxxxxxx xxx ment xxxxxx xxxxxx d’un salarié consécutif au retrait de son habilitation à la conduite de certains véhicules dès xxxxxx xxxxxxxxxx xxxxxxx Cadre dirigeant lors qu’il a pour seul objet, conformément au règlement 15-REPERES-PARTIE-Cass xxxxxxxxxx xxxxxx Selon l’article L. 3111-2 du Code du travail, sont conside sécurité de l’exploitation d’un système de transport dérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont public guidé, d’assurer la sécurité des usagers, du per00-Texte_Courant xxxxxxxx xxxxxxxx confiées des responsabilitésxxxxxxxxxxxxxx dont l’importance implique sonnel d’exploitation et des tiers. xxxxxxxxxxxxxx une grande indépendance dans l’organisation de leur Cass. ass. plén., 6 janv. 2012, n° 10-14.688, P+B+R+I emploi du temps, qui sont habilités à15-REPERES-PARTIE-Signature prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent Essai • OBSERVATION • 15-REPERES-PARTIE-Observ_Texte une rémunération se situant dans les niveaux les plus Est déraisonnable, au regard de la finalité de la période élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans d’essai et de l’exclusion des règles du licenciement leur entreprise ou établissement ; ces critères cumulatifs durant cette période, une période d’essai dont la durée, impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les renouvellement inclus, atteint un an. cadres participant à la direction de l’entreprise. Cass. soc., 11 janv. 2012, n° 10-17.945, P+B+R Cass. soc., 31 janv. 2012, no 10-24.412, P+B+R CDD En vertu de l’article L. 1214-12 du Code du travail, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour le remplacement d’un seul salarié en cas d’absence. Il ne peut donc être conclu pour le remplacement de plusieurs salariés absents, que ce soit simultanément ou successivement. Cass. soc., 18 janv. 2012, n° 10-16.926, P+B et aussi... Discrimination 15-REPERES-PARTIE-Breve_Titre Ayant rappelé qu’en vertu de l’article L. 1132-1 du Code 15-REPERES-PARTIE-Breve_Texte xxxxxxxxx du travail, aucun salarié ne peut être licencié enxxxxxx raison xxxxxxxx xxxxxxxxxx de son xxx sexexxou de son apparence physique, la cour 15-REPERES-PARTIE-Breve_Ref_Vert d’appel a relevé que le licenciement avait été prononcé 15-REPERES-PARTIE-Breve_Cass au motif, énoncé dans la lettre de licenciement que 15-REPERES-PARTIE-Breve_Ref « votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d’oreilles sur l’homme que vous êtes », ce dont il résultait qu’il avait pour cause l’apparence physique du salarié rapportée à son sexe. Ayant constaté que l’employeur ne justifiait pas sa décision de lui imposer d’enlever ses boucles d’oreilles par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, elle a pu en déduire que le licenciement reposait sur un motif discriminatoire. Cass. soc., 11 janv. 2012, n° 10-28.213, P+B 60 Plan de départs volontaires Si l’employeur qui entend supprimer des emplois pour des raisons économiques en concluant avec les salariés des accords de rupture amiable, n’est pas tenu d’établir un plan de reclassement interne lorsque le plan de réduction des effectifs au moyen de départs volontaires exclut tout licenciement pour atteindre des objectifs qui lui sont assignés en terme de suppression d’emplois, il en va autrement lorsque le projet de réduction d’effectifs de l’employeur implique la suppression de l’emploi de salariés qui ne veulent ou ne peuvent quitter l’entreprise dans le cadre du plan de départs volontaires ; le maintien de ces salariés dans l’entreprise supposant nécessairement en ce cas un reclassement dans un autre emploi, un plan de reclassement interne doit alors être intégré au plan de sauvegarde de l’emploi. Cass. soc., 25 janv. 2012, n° 10-23-516, P+B+R+I Prise d’acte La prise d’acte de la rupture du contrat de travail par un salarié concerné par une procédure de suppression d’emplois pour raisons économiques, lorsqu’elle est justifiée par l’absence ou l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi que l’employeur est tenu d’établir, produit les effets d’un licenciement nul. Cass. soc., 25 janv. 2012, n° 10-23.516, P+B+R+I R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 Surveillance des salariés Si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, il ne peut être autorisé à utiliser comme mode de preuve les enregistrements d’un système de vidéosurveillance installé sur le site d’une société cliente permettant le contrôle de leur activité dont les intéressés n’ont pas été préalablement informés de l’existence. Cass. soc., 10 janv. 2012, n° 10-23.482, P+B Syndicats Ne caractérise pas une diffusion au sens de l’article L. 2142-6 du Code du travail, un message syndical arrivé dans les seules boîtes électroniques de responsables d’agence. Cass. soc., 10 janv. 2012, n° 10-18.558, P+B UES Il ne résulte ni de l’article L. 2322 4 du Code du travail, ni d’aucun autre texte que la décision judiciaire qui tend à la reconnaissance d’une unité économique et sociale est rendue en dernier ressort ; si, dans ses arrêts antérieurs, la Cour de cassation jugeait qu’étaient en dernier ressort les décisions rendues sur une demande de reconnaissance d’une unité économique et sociale formées à l’occasion d’un litige électoral, l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008 conduit à revenir sur cette jurisprudence dès lors que la demande de reconnaissance ne peut plus désormais être formulée à l’occasion d’un contentieux en matière d’élection professionnelle ou de désignation de représentants syndicaux pour lesquels le tribunal d’instance a compétence en dernier ressort. Il s’en déduit que la demande de reconnaissance d’une unité économique et sociale, qu’elle ait pour objet ou pour conséquence la mise en place d’institutions représentatives correspondantes, est indéterminée et que le jugement est susceptible d’appel conformément à l’article 40 du Code de procédure civile. Cass. soc., 31 janv. 2012, nos 11-20.232 et 11-20.233, P dans lesquelles le représentant de la section serait en même temps le représentant syndical au CE ? Un tel raisonnement occulterait l’esprit général de la loi du 20 août 2008, qui place la légitimité électorale au cœur du système de représentation des salariés. Le délégué syndical doit disposer de cette légitimité électorale, puisqu’il doit être choisi parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des élections au comité d’entreprise ou à la délégation du personnel (C. trav., art. L. 2143-3 ; Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 11-10.601, et nos observations in RLDA 2012/67, n° 3841). Les syndicats ayant obtenu « des » élus lors des dernières élections, dans les entreprises de plus de 300 salariés, justifient aussi de cette légitimité électorale. Et c’est bien à elle que fait référence la Cour de cassation dans son attendu principal, en relevant que « la désignation d’un représentant syndical au comité d’entreprise est une prérogative que la loi réserve aux syndicats qui ont obtenu une légitimité électorale, soit en étant reconnus représentatifs dans les entreprises de moins de trois cents salariés, soit en ayant des élus au comité d’entreprise dans les autres entreprises ». Elle en déduit donc que « le représentant de section syndicale n’est pas de droit représentant syndical au comité d’entreprise ou d’établissement ». On a salué la logique imparable du raisonnement (cf. Petit F., Dr soc. 2012, p. 216). Pour autant, on ne peut qu’être mal à l’aise dans ce qui apparaît bien comme une nouvelle inégalité entre organisations syndicales, puisque pour désigner un représentant syndical au CE dans les entreprises de moins de trois cents salariés, il faut être représentatif, et que cela n’est pas nécessaire dans les entreprises de plus de trois cents salariés. Le débat est sans doute loin d’être clos. Alain CHEVILLARD Maître de conférences à la Faculté de droit de Montpellier Avocat à la Cour N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S REPÈRES DROIT DU TRAVAIL 61 RLDA 3939 Le groupement momentané d’entreprises libérales (GMEL) : première structure d’exercice interprofessionnel ? Par Jack DEMAISON (1) Avocat au Barreau de Paris Le Conseil aux entreprises faisant appel à des compétences diverses, nécessite l’intervention de différents professionnels libéraux, agissant ensemble ou séparément. L’idée d’une intervention interprofessionnelle au sein d’une structure n’est pas nouvelle et revient régulièrement sur le devant de la scène. C’est ainsi que dans le cadre de la mission d’étude confiée à Madame Brigitte Longuet par le Ministre des PME et professions libérales, celle-ci m’avait demandé de réfléchir à une structure interprofessionnelle permettant à des professionnels libéraux d’exercer en commun. Ce fut l’ébauche du GMEL. Madame Brigitte Longuet devenue par la suite Vice-Présidente de la Commission nationale des Professions Libérales me demandait alors d’approfondir ma réflexion sur le GMEL. Il s’agissait de définir le cadre d’une véritable structure d’exercice interprofessionnel. Sans nier l’intérêt de l’interprofessionnalité capitaliste entre prestataires appartenant à des professions réglementées du chiffre et du droit, apparue avec la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, celle-ci est cependant principalement destinée aux professionnels eux-mêmes et si elle peut faciliter les interventions en commun, elle ne saurait être assimilée à l’interprofessionnalité d’exercice, plus délicate à organiser mais souhaitée par les entreprises. Il y a donc lieu de tenter de répondre à cette attente, par approches successives et dans un premier temps aux moyens de structures éphémères, légères et évolutives qui pourraient, à partir d’opérations ponctuelles, tester la faculté pour les professionnels libéraux de collaborer de façon permanente au sein d’une structure juridique durable. Le Groupement Momentané d’entreprises Libérales (GMEL) pourrait tenir se rôle. I.– PRÉSENTATION DU GMEL Le GMEL permet à différents professionnels libéraux, personnes physiques ou morales, appartenant à des professions réglementées ou non de se regrouper en vue de réaliser, pour un client, une opération nécessitant des compétences diverses, par exemple, juridiques, comptables, informatiques, stratégiques, recrutement, etc. Ce groupement purement contractuel et sans personnalité morale, qui peut être un prélude à la société d’exercice interprofessionnelle, permet à ses membres d’intervenir sur des missions auxquelles leur taille respective ne leur donnerait pas accès, en prenant conscience des compétences complémentaires des autres membres et dans le respect du domaine d’intervention de chacun. Du fait que certains professionnels intervenant au sein du groupement peuvent appartenir à des professions réglementées, la responsabilité des membres ne saurait qu’être conjointe et non solidaire. De plus, le groupement ne peut être représenté que par un collectif constitué par un représentant de chaque membre, même si dans les faits, un représentant aura un rôle prépondérant dans la coordination des travaux. Enfin, le choix des intervenants et les conditions de leur intervention doivent, à notre avis, être expressément approuvés par le client dont la satisfaction est l’objectif essentiel. Sont exposés dans un premier document intitulé : GMEL : PRINCIPES ET RÈGLES DE FONCTIONNEMENT, les différents aspects du GMEL, sur lesquels ont porté la réflexion. Suivent, les formules pratiques constituant la convention de groupement. Cette CONVENTION DE GMEL se compose de trois documents : – un CONTRAT de groupement ; – une annexe contenant les conditions particulières à L’OPÉRATION concernée ; – une CHARTE D’ÉTHIQUE également annexée au contrat. Les formules ci-après sont destinées à guider les intervenants pour la rédaction de leurs conventions. Elles pourront être améliorées, complétées et adaptées pour chaque cas concret, en fonction des impératifs fixés. II.– PRINCIPES ET RÈGLES DE FONCTIONNEMENT DU GMEL L’objectif du GMEL Le GMEL n’a d’autre but que de rendre au client un service efficace et professionnel, au moindre coût et dans des conditions de sécurité maximales. Le GMEL est une structure juridique d’exercice interprofessionnel Même s’il ne jouit pas de la personnalité morale, le GMEL n’en constitue pas moins une structure juridique au sein de laquelle (1) Jack DEMAISON est associé au Cabinet SIMON ASSOCIÉS. Il est ancien membre du Conseil National des Barreaux, Expert près la Commission du Statut professionnel de l’Avocat au Conseil National des Barreaux, Co-directeur scientifique et co-auteur de l’ouvrage Profession avocat et auteur des Formulaires Sociétés commerciales parus aux Éditions LAMY. 62 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 PERSPECTIVES PRATIQUE Une structure juridique au sein de laquelle exercent des professionnels responsables La définition précise du rôle de chacun permet de fixer les limites de sa responsabilité qui sera de deux ordres : responsabilité professionnelle et responsabilité envers les autres membres que nous pourrions convenir d’appeler « responsabilité interne ». – La responsabilité professionnelle : C’est la responsabilité envers le client. Elle ne saurait être solidaire au sein d’une structure où cohabitent des professionnels dont seules les prestations propres sont couvertes par une assurance. Elle sera donc conjointe mais le client, comme les autres membres du groupement, pourront s’assurer que les garanties seront bien Une structure juridique au sein de laquelle est défini précisées et suffisantes pour la mission confiée et couvriront le rôle de chaque intervenant les préjudices éventuellement subis par les autres membres du fait de la défaillance de l’un d’eux (erreur, retard, etc.). Le GMEL permet de substituer la transparence à l’opacité, – La responsabilité interne : même si la défaillance d’un la relation professionnelle à la pure relation d’affaires, la prestataire fait l’objet d’une indemnisation au profit du client coordination à l’improvisation, le professionnalisme à l’amaet des autres membres en réparation du préjudice financier teurisme. subi par eux, cette défaillance aura un impact sur la réputation Il permet de créer une relation professionnelle responsable des intervenants au groupement. Chaque membre sera ainsi, basée sur une éthique exigeante à laquelle se soumettront parce qu’il est lié aux autres au sein d’une structure, déposicontractuellement les membres. taire de l’image de chacun des autres – La transparence : la nature et le membres de la structure. Les membres coût de l’intervention de chacun des seront donc solidaires de leur réputation membres sont connus, non seulement En aucun cas, le fait ce qui les incitera à une grande vigilance du client mais aussi de chacun des inpour des professionnels dans le respect de l’exécution de la mistervenants. Cette transparence permet sion dévolue à chacun d’eux, cette vigid’éviter les double-emplois et de garantir de collaborer au sein lance leur permettant de détecter au plus une intervention au juste coût. d’une structure tôt les risques de défaillance et ainsi d’y – La relation professionnelle : les interprofessionnelle, même remédier. membres du GMEL, liés par une strucéphémère, ne doit entraîner ture contractuelle ayant pour objectif le risque de porter atteinte La relation du GMEL avec le client l’exécution d’une mission commune au secret professionnel. Du fait de la diversité des membres du dans les meilleures conditions possibles, groupement qui appartiennent à des prorechercheront le professionnalisme chez fessions différentes dont certaines seront leurs partenaires dont la qualité du serréglementées mais dont les prestations sont complémentaires, vice rendu par eux participera à forger la réputation et la le GMEL ne saurait être représenté auprès du client par une compétitivité du groupement. À la relation d’affaires ou de seule personne. « copinage » non responsable se substituera la conscience Cette tâche de représentation pourra donc être assumée par d’appartenir à une équipe dont le succès dépend du sérieux, un Comité qui serait composé d’un représentant de chaque de la compétence et du professionnalisme de chacun. membre, seul interlocuteur du client pour sa propre prestation. La réussite et la réputation d’une équipe constituée au sein Ce comité aurait également, en interne, la tâche de coordonner d’un GMEL peut permettre à ses membres de postuler à des les interventions, gérer les difficultés, vérifier la conformité appels d’offre et de se recomposer dans le cadre de nouveaux des demandes d’honoraires avec les conditions de paiement GMEL pour des opérations de même type. prévues et s’assurer du paiement de ces honoraires. Il gérerait – La coordination : le travail d’équipe nécessite une coordien outre, les difficultés de toutes sortes qui pourraient surgir, nation rigoureuse entre les intervenants, dont les modalités et en particulier les défaillances. seront prédéfinies aux termes du contrat de GMEL, avant le début de l’intervention et non au fur et à mesure que les difDéontologie et secret professionnel ficultés se présenteront et qu’il faudra résoudre parfois dans En aucun cas, le fait pour des professionnels de collaborer au les plus mauvaises conditions. sein d’une structure interprofessionnelle, même éphémère, ne La fixation contractuelle des règles de coordination des équipes doit entraîner le risque de porter atteinte au secret professionconstitue une garantie pour l’entreprise cliente que l’opération nel. Ce principe doit être fermement rappelé en préambule de sera réalisée dans les délais prévus, sans perte de temps et tous contrats de GMEL. permet, le cas échéant, de localiser les responsabilités en cas Comment concilier cette exigence avec les nécessités d’une de difficulté. information réciproque rendue indispensable par la réalisation Il appartiendra donc aux intervenants d’être très précis dans d’une mission en commun ? la définition de l’opération qu’ils vont réaliser ensemble (par Rappelons que la collaboration entre professionnels libéraux exemple le regroupement de deux entreprises dans le cadre existe dans les faits, qu’elle est même une pratique courante d’une fusion, ou la restructuration d’un groupe de sociétés) et que la question du respect du secret professionnel se pose ainsi que la tâche attribuée à chacun d’eux, en s’attachant sans qu’une réponse y soit apportée ou même recherchée. particulièrement à bien définir les rôles pour les parties frontaOn improvise. Le GMEL constituera donc un progrès par lières de leurs interventions, afin d’éviter les conflits entre eux, rapport à l’existant en ce qu’il entend fixer des règles déontoujours préjudiciables à l’ensemble et au bon déroulement tologiques qui devront être observées par les membres. Ces de l’opération entreprise. divers professionnels libéraux participent à une opération ponctuelle. Cette structure juridique permet de définir avec précision, le rôle de chacun qui se situera exclusivement dans son domaine de compétence en garantissant ainsi, la qualité du service rendu. Il se substituera à ces groupements informels inorganisés qui se constituent lors d’opérations nécessitant l’intervention de plusieurs professionnels dont certains cherchent parfois à maximiser leur intervention au détriment des autres et au mépris de l’objectif rappelé ci-dessus. Il s’agit donc d’une structure attendue par les entreprises dont les besoins existent et sont souvent mal satisfaits. N ° 6 6 • D É C E M B R E 2 0 11 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 63 L E G R O U P E M E N T M O M E N TA N É D ’ E N T R E P R I S E S L I B É R A L E S ( G M E L ) : P R E M I È R E S T R U C T U R E D ’ E X E R C I C E I N T E R P R O F E S S I O N N E L ? règles déontologiques viseront le secret professionnel, l’indépendance et la confidentialité. – Le secret professionnel partagé : chaque membre du GMEL appartenant à une profession réglementée, sera tenu au secret professionnel et ne pourra ainsi divulguer aucune des informations dont il aura eu connaissance dans le cadre de l’accomplissement de la mission qui lui est dévolue. Toutefois, d’autres professionnels auront pu avoir connaissance de ces mêmes informations qui leur seront également nécessaires pour réaliser leur prestation. Il s’agira donc d’un secret professionnel partagé par des professionnels qui seront tenus de son respect à l’égard des tiers. La question va prendre une autre dimension lorsque l’information sera accessible à des prestataires issus de professions libérales non réglementées donc non tenus statutairement au respect du secret professionnel. Deux réponses sont rendues possibles par le GMEL : l’une consiste en une graduation du secret professionnel, l’autre en l’adhésion à une charte d’éthique spécifique. – Le secret professionnel à différents niveaux : il n’est pas obligatoirement nécessaire que tous les membres du GMEL aient une connaissance complète de tous les aspects de l’opération réalisée en commun. Par exemple, en cas de fusion de sociétés, le « coach » qui sera appelé à préparer les équipes des entreprises concernées à travailler ensemble (ce qui n’est pas une tâche de moindre importance) n’a pas besoin de connaître les aspects fiscaux et financiers de l’opération et, notamment, le calcul du rapport d’échange des droits sociaux des sociétés concernées. Il devra cependant recueillir certaines informations juridiques nécessaires à l’accomplissement de sa prestation (régimes sociaux des personnels concernés, avantages sociaux, organigrammes etc.), qu’il partagera avec les autres intervenants appartenant à des professions réglementées ou non, chargées d’harmoniser les régimes sociaux, de traiter les questions relatives à la représentation sociale, celles de l’organisation des services après fusion des entités, etc. Dans ce cas, la réponse du GMEL sera de créer divers niveaux d’information auxquels le contrat précisera les noms 64 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • D É C E M B R E 2 0 11 • N ° 6 6 des personnes y ayant accès. Chaque membre se verra ainsi habilité pour un niveau d’information, lequel devra être défini dans les conditions particulières du contrat. – Une charte d’éthique spécifique : un des grands intérêts du GMEL consiste à permettre à des intervenants appartenant à des professions non réglementées mais non dépourvues d’éthique pour autant, d’adhérer à des principes déontologiques qui seront fixés aux termes du contrat constitutif ou dans un document annexe, cette adhésion conditionnant la participation du professionnel concerné au groupement. Cette charte d’éthique, outre qu’elle aurait le mérite d’occuper le vide juridique actuel, garantirait le respect du secret professionnel, de l’indépendance et de la confidentialité des informations. Le non-respect par un intervenant de cette charte pourrait entraîner son exclusion du groupement. – Indépendance des membres : il va de soi que la collaboration professionnelle entre les différents membres du groupement ne peut et ne doit s’effectuer que dans le strict respect des règles d’indépendance applicables à chacun des professionnels concernés. Corrélativement, il ne saurait exister un quelconque lien hiérarchique entre les membres. En outre, il sera veillé à ce que les règles d’incompatibilités professionnelles soient respectées. – Confidentialité : les participants au GMEL doivent s’engager dans le contrat à conférer un caractère confidentiel à toutes les correspondances échangées entre eux. Afin d’illustrer cette définition du GMEL, sont jointes une formule de groupement ainsi qu’une ébauche de charte d’éthique constituant un engagement des participants. Il est nécessaire d’avancer vers une réelle interprofessionnalité. Elle est gage de qualité des prestations, de respect mutuel des prestataires et d’apaisement des tensions qui ont pu exister entre certains professionnels du Chiffre et du Droit. Mais il ne s’agit pas de réserver l’interprofessionnalité à un club de professions réglementées. Elle doit, au contraire, être l’occasion de souder la famille professionnelle libérale au sein de laquelle co-habitent de nombreux professionnels de qualité, réglementés ou non et dont l’objectif commun affiché est le service du client. ◆ RLDA PERSPECTIVES PRATIQUE 3940 Formules de Convention de groupement momentané d’entreprises libérales, de Conditions particulières et de Charte d’éthique Par Jack DEMAISON Avocat au Barreau de Paris CONVENTION DE GROUPEMENT MOMENTANÉ D’ENTREPRISES LIBÉRALES ENTRE LES SOUSSIGNÉS <A> Société < > de <indiquer la profession> au capital de < > euros. Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de < > sous le numéro < > Représentée par < > en qualité de < >, spécialement habilité aux fins des présentes en vertu d’une décision de < > en date du < >. DE PREMIÈRE PART < B > Société < > de <indiquer la profession> au capital de < > euros. Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de < > sous le numéro < > Représentée par < > en qualité de < >, spécialement habilité aux fins des présentes en vertu d’une décision de < > en date du < >. DE SECONDE PART < C > Société < > de <indiquer la profession> au capital de < > euros. Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de < > sous le numéro < > Représentée par < > en qualité de < >, spécialement habilité aux fins des présentes en vertu d’une décision de < > en date du < >. DE TROISIÈME PART IL A ÉTÉ PRÉALABLEMENT EXPOSÉ CE QUI SUIT : Chacun des soussignés exerce une profession libérale. < >, la profession de < > réglementée par la Loi < > < >, la profession de < > réglementée par < > < >, la profession de < > N’ayant pas la capacité ou les compétences pour répondre seuls aux besoins de < > (LE CLIENT), ils ont décidé de se grouper en vue de l’opération ci-après déterminée, dans le but d’apporter au CLIENT, pour ladite opération, l’ensemble des compétences nécessaires à sa réalisation, dans les meilleures conditions professionnelles et financières. <fournir plus de détails si nécessaire>. CECI EXPOSÉ IL A ÉTÉ ARRÊTÉ ET CONVENU CE QUI SUIT : Article 1 – Objet de la Convention La présente convention a pour objet de définir l’opération (ci-après dénommée « l’OPÉRATION ») demandée par le CLIENT et décrite ci-après aux conditions particulières, la tâche attribuée à chacun des intervenants soussignés, les règles de coordination entre ces intervenants, leurs rapports avec le CLIENT ainsi que la responsabilité leur incombant. Article 2 – Nature du groupement – Dénomination Le présent groupement momentané d’entreprises libérales (GMEL) n’a pas de personnalité morale. Il est constitué pour une période limitée en vue de la réalisation de « l’OPÉRATION ». Il ne regroupe que des entreprises libérales, réglementées ou non qui agissent dans le respect des règles et usages professionnels et déontologiques qui leur sont propres, sans solidarité entre eux. Dans les rapports entre les membres et avec le CLIENT, le groupement sera dénommé « < > ». Article 3 – Répartition des tâches – Obligations des intervenants Les tâches attribuées à chaque intervenant en vue de la réalisation de « l’OPÉRATION » sont définies aux conditions particulières ci-après fixées. Chacun des intervenants s’oblige à exécuter la tâche qui lui est attribuée dans le respect des autres. En particulier il s’engage à ne pas empiéter sur les tâches des autres intervenants et à les tenir régulièrement informés des difficultés qui pourraient surgir à ce sujet lors de l’exécution de « l’OPÉRATION ». Article 4 – Comité de coordination Le groupement est doté d’un Comité de coordination qui en constitue l’organe de gestion chargé de veiller à l’exécution des prestations incombant aux membres dans le respect de la « CHARTE D’ÉTHIQUE » visée à l’article 9 ci-après. N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 65 F O R M U L E S D E C O N V E N T I O N D E G R O U P E M E N T M O M E N TA N É D ’ E N T R E P R I S E S L I B É R A L E S , D E C O N D I T I O N S PA R T I C U L I È R E S ET DE CHARTE D’ÉTHIQUE Le Comité de coordination est composé d’un représentant désigné par chacun des soussignés, membres du présent groupement. Le Comité de coordination a pour mission générale d’être le mandataire du Groupement et son intermédiaire auprès du « CLIENT ». À ce titre il est habilité à signer avec le CLIENT la convention de réalisation de « l’OPÉRATION ». Cette convention n’est valable que si elle comporte la signature de chacun des membres du Comité. Le Comité de coordination assure la coordination des tâches confiées à chacun des intervenants et veille au respect du calendrier fixé d’un commun accord entre eux et le CLIENT pour la réalisation de l’OPÉRATION. Il est saisi par les intervenants de toutes difficultés qu’ils pourraient rencontrer dans le cadre de la réalisation de l’OPÉRATION et recherche les solutions à apporter aux problèmes rencontrés. Il répercute aux membres les observations ou réserves formulées par le CLIENT dans l’exécution des tâches. Le Comité de coordination présente au CLIENT les demandes d’honoraires établies par les membres, conformément aux termes de la convention, après s’être assuré de la réalisation des travaux correspondant, et les avoir visées. Il veille à leur recouvrement. Il assure un contrôle permanent du respect du calendrier fixé d’un commun accord avec le CLIENT et peut pourvoir le cas échéant au remplacement d’un membre défaillant. Il peut également procéder, à la majorité de < > à l’exclusion d’un membre dont il serait établi qu’il n’aurait pas respecté les principes déontologiques contenus dans la « CHARTE ÉTHIQUE », annexée aux présentes et, présentée à l’article 9 du présent contrat. En règle générale, il effectue toutes interventions de coordination dans le respect des règles et usages professionnels et déontologiques des membres du groupement. Il constate enfin avec LE CLIENT, la réalisation de l’OPÉRATION et décide corrélativement la dissolution du groupement. Article 5 – Personnel Chaque membre du groupement est libre de choisir le personnel qu’il affecte à l’OPÉRATION, sauf demande expresse du CLIENT. Il en assure la direction et la rémunération. Il en garantit la compétence et en assume la responsabilité professionnelle. La liste du personnel est adressée au Comité de coordination comme toutes modifications apportées à cette liste. Chaque membre du groupement s’interdit toute démarche de débauchage du personnel d’un autre membre pendant toute la durée de l’OPÉRATION et dans le délai de < > suivant la dissolution du groupement. Article 6 – Rémunération des membres Chaque membre établit, pour la tâche qui lui incombe, un devis qui est adressé au Comité de coordination pour présentation et approbation par le CLIENT, ainsi qu’un projet de calendrier de paiement, ce dernier n’étant définitivement arrêté qu’après accord unanime des membres du Comité de coordination et du client. Les paiements sont effectués directement par le CLIENT à l’ordre des membres, sur présentation par le Comité de coordination des situations établies par chacun d’eux, pour la quote-part qui leur revient. Article 7 – Responsabilité des membres – Assurances Chaque membre du groupement n’est responsable à l’égard du CLIENT que de l’accomplissement de la tâche qui lui est confiée dans le cadre de l’OPÉRATION, sans solidarité avec les autres membres. 66 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 De ce fait, chaque membre est tenu de présenter au Comité de coordination, avant tout début d’exécution de l’OPÉRATION, une attestation d’assurance pour la couverture des risques encourus dans le cadre de l’exécution de la tâche qui lui est confiée. Article 8 – Défaillance Dans le cas ou un membre n’exécuterait pas, dans les délais fixés, la tâche qui lui est attribuée, après une mise en demeure restée sans effet des représentants des autres membres composant le Comité de coordination, ceux-ci pourront, après accord du CLIENT, procéder à la désignation d’un nouveau membre qui poursuivra l’exécution de la tâche confiée au membre défaillant, ce dernier ne pouvant prétendre à aucune rémunération au titre des travaux restant à exécuter. Article 9 – Déontologie Chaque membre du groupement s’engage à respecter les principes déontologiques décrits et énumérés dans le document intitulé « CHARTE ÉTHIQUE » annexé aux présentes, en particulier le secret professionnel, l’indépendance des membres et la confidentialité. Le non-respect par un membre du groupement de l’un quelconque de ces principes, pourra entraîner son exclusion dans les conditions de l’article 4, le membre concerné ayant été préalablement entendu par les membres du Comité de coordination. Article 10 – Durée de la convention – Dissolution du groupement La présente convention est conclue pour la durée de l’OPÉRATION décrite dans le document intitulé « Conditions particulières » annexé aux présentes. Elle prend fin après que chaque membre s’est acquitté de ses obligations et a perçu la rémunération demandée. Le Comité de coordination dresse alors un procès-verbal de dissolution du groupement. Article 11 – Contestations Tous différends nés de l’exécution de la présente convention seront, préalablement à toutes instances judiciaires devant le Tribunal de < >, soumis pour conciliation aux instances professionnelles des membres mis en cause. Article 12 – Annexes Sont annexés au présent contrat, deux documents : – les conditions particulières de L’OPÉRATION pour laquelle le groupement est constitué. – une CHARTE D’ÉTHIQUE constituant le socle déontologique de la collaboration entre les membres du groupement. Ces deux documents indissociables, sont parties intégrantes du contrat de groupement avec lequel ils forment l’ensemble des règles qui régiront les rapports entre les membres entre eux ainsi qu’entre les membres, le groupement et le CLIENT. Nul ne peut être membre du groupement s’il n’a pas signé ces trois documents. Article 13 – Élection de domicile Pour l’exécution de la présente convention, les parties font élection de domicile au siège social ou domicile de chacune d’elles. Fait à < > Le < > En < > exemplaires PERSPECTIVES PRATIQUE GROUPEMENT MOMENTANÉ D’ENTREPRISES LIBÉRALES <> CONDITIONS PARTICULIÈRES ENTRE LES SOUSSIGNÉS – < > – < > – < > Les frais inhérents à l’OPÉRATION feront l’objet d’avances régulières comme indiqué au devis. Chaque paiement sera directement effectué par le CLIENT entre les mains du membre concerné, avec information du Comité de coordination. IL A ÉTÉ ARRETÉ ET CONVENU CE QUI SUIT : Article 1 – Description de l’OPÉRATION En vue de la réalisation de l’OPÉRATION ci-après décrite, les soussignés ont décidé de se regrouper afin d’apporter au CLIENT l’ensemble des compétences nécessaires pour sa réalisation. < … décrire l’OPÉRATION avec précision… > Article 2 – Fonctionnement du groupement Le groupement est régi par les conditions générales de la convention ainsi que par les conditions particulières ci-après décrites. <… décrire les rémunérations particulières… > Article 3 – Comité de coordination Le Comité de coordination tel que décrit aux termes des conditions générales de la convention, est composé des personnes suivantes : – < > – < > – < > Toutes notifications lui sont valablement faites au siège de < > membre du groupement. Article 4 – Répartition de tâches et calendrier de réalisation Les tâches constituant l’OPÉRATION sont réparties entre les membres de la façon suivante : < … décrire avec précision les tâches incombant à chaque membre ainsi que le calendrier de réalisation… > Article 5 – Rémunération des membres – Paiements En rémunération de la tâche leur incombant, les membres recevront la rémunération indiquée au devis, accepté par le CLIENT et annexée aux présentes, selon les modalités de paiement suivantes : < indiquer les modalités : généralement en fonction des phases de réalisation >. Article 6 – Secret professionnel et niveau d’information Les intervenants à l’OPERATION auront accès à l’information concernant son élaboration et sa réalisation dans les conditions suivantes : < > disposera des informations relatives à < décrire avec précision >, à l’exclusion de toute autre (niveau 1), < > disposera des informations relatives à < >, à l’exclusion de toute autre (niveau 2), < > participera à la définition de l’OPERATION avec le CLIENT avec lequel il en arrêtera les grands principes et les modalités de son intervention. Il disposera d’une information totale pour toute l’OPÉRATION, et pourra obtenir tous renseignements des autres participants sans que ceux-ci puissent lui opposer le secret professionnel (niveaux 1, 2 et 3). Chacun des participants s’engage à respecter les présentes dispositions, en application de la « CHARTE D’ÉTHIQUE » annexée au contrat de groupement. Article 7 – Accord du CLIENT < > intervenant aux présentes, en qualité de représentant de < > aussi dénommé « LE CLIENT » lequel déclare donner son accord pour l’intervention conjointe des membres du groupement ci-dessus indiqués, dans le cadre de l’OPÉRATION ci-dessus décrite, aux conditions de réalisation et de rémunération qui lui ont été communiquées et qui sont annexées aux présentes. Article 8 – Portée Le présent document est annexé au contrat de groupement du GMEL < > avec la CHARTE D’ÉTHIQUE. Ces trois documents sont indissociables et constituent l’ensemble des accords du groupement momentané d’entreprises libérales < >. Fait à < > Le < > En < > exemplaires N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 67 F O R M U L E S D E C O N V E N T I O N D E G R O U P E M E N T M O M E N TA N É D ’ E N T R E P R I S E S L I B É R A L E S , D E C O N D I T I O N S PA R T I C U L I È R E S ET DE CHARTE D’ÉTHIQUE GROUPEMENT MOMENTANÉ D’ENTREPRISES LIBÉRALES CHARTE D’ETHIQUE PRÉAMBULE La présente CHARTE D’ÉTHIQUE contient les principes déontologiques qui régiront les rapports entre les membres du groupement momentané d’entreprises < > constitué ce jour entre : <> <> <> en vue de concevoir et de réaliser une opération de < > (l’OPÉRATION) selon les modalités fixées aux termes du contrat de groupement conclu ce jour entre les soussignés et < >, CLIENT. Cette CHARTE D’ÉTHIQUE constitue le socle déontologique du groupement, indispensable à la collaboration entre les soussignés qui exercent des professions libérales différentes mais dont l’intervention conjointe est rendue nécessaire par la complexité de l’OPERATION nécessitant l’intervention de différents professionnels compétents chacun dans leur domaine d’intervention. DÉCLARATIONS Chacun des soussignés déclare réunir les compétences nécessaires à la tâche qui lui est confiée, dans le cadre de l’OPERATION décrite dans le contrat de groupement et disposer des équipes suffisantes pour la réaliser dans les conditions et délais fixés audit contrat. Il déclare expressément adhérer à la présente CHARTE D’ÉTHIQUE et accepter toutes sanctions qu’il pourrait encourir du fait d’un manquement aux dispositions de ladite charte. Article 1 – Déontologie interprofessionnelle Chacun des membres de groupement s’engage à se comporter envers les autres membres en partenaire loyal et à respecter les règles de courtoisie élémentaires qui doivent exister entre professionnels libéraux. En particulier, il s’interdit de formuler la moindre critique auprès du CLIENT ou de tiers concernant la prestation rendue par les autres membres, réservant les critiques justifiées par un risque de dysfonctionnement du groupement, au Comité de coordination en vue de solliciter son éventuelle intervention. Il s’engage en outre à fournir aux autres membres du groupement toutes informations en sa possession nécessaires à l’accomplissement de leur mission, dans les limites du niveau de secret professionnel auquel ils ont accès. Il s’engage également à ne rien faire qui puisse mettre en défaut ou rendre difficile par un membre du groupement l’application des règles déontologiques applicables à la profession de ce dernier. Article 2 – Secret professionnel Chacun des membres du groupement soussignés, s’engage à tenir pour confidentiel toutes informations dont il aura eu connaissance dans le cadre de son appartenance au groupement. Cet engagement constitue une condition essentielle de l’admission des soussignés à participer au groupement. Une information partagée par plusieurs d’entre eux pour les nécessités de l’opération, n’en délie aucun du respect du secret professionnel. Dans le cas ou un membre du groupement se trouverait confronté à une difficulté d’application du présent article dans le cadre de l’accomplissement de la mission qui lui est confiée, il en informera le CLIENT et le Comité de coordination qui décideront d’un commun accord après avoir entendu le membre concerné de permettre à celui-ci de poursuivre 68 R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 sa mission ou d’y mettre un terme. En cas de désaccord, la décision du CLIENT primera. Article 3 – Indépendance des membres – Incompatibilités La participation à la réalisation de l’OPÉRATION ne peut s’effectuer que dans le strict respect des règles d’indépendance applicables à chacun des membres du groupement, qu’ils exercent une profession libérale réglementée ou non. Ce principe auquel il ne saurait être dérogé exclut tous liens hiérarchiques pouvant exister entre certains membres ainsi que toute immixtion d’un membre dans la réalisation de la tâche confiée à un autre membre. Ces conditions d’indépendance devront être remplies préalablement au commencement de l’OPERATION jusqu’à son achèvement, chaque membre du groupement s’obligeant à informer le Comité de coordination de tout changement intervenant dans sa situation qui pourrait avoir pour effet de faire échec aux dispositions du présent article. De même, chacun des membres s’engage à respecter les règles d’incompatibilités spécifiques à sa profession. Article 4 – Confidentialité Toutes correspondances et documents échangés entre les membres du groupement dans le cadre de l’accomplissement de leur mission sont considérés comme confidentiels. Dès lors ils ne peuvent être communiqués à quiconque, même à un autre membre du groupement. En outre, il ne saurait être fait allusion, dans un document ou une correspondance non confidentiel, au contenu d’un document ou d’une correspondance confidentiel. Article 5 – Sanctions Le Comité de coordination est garant du respect des principes énoncés aux termes de la présente charte. Il examinera toutes difficultés rencontrées par les membres qui pourraient avoir pour effet une violation de ces principes qu’elles lui aient été signalées par un membre ou qu’il en ait eu connaissance dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés par le contrat de groupement. Le ou les membres concernés seront appelés à fournir toutes explications sur les manquements constatés. A l’issue, le Comité de coordination décidera à la majorité de < > si la présence de celui-ci ou de ceux-ci au sein du groupement reste Article 6 – Portée de la CHARTE La présente CHARTE D’ÉTHIQUE est annexée au contrat du groupement dénommé < > avec les conditions particulières de l’OPERATION visée. Elle forme avec ces documents, un tout indissociable. Leur signature constitue un engagement fort de chaque membre, non seulement de réaliser, en coordination avec les autres membres et dans les règles de l’art, la prestation pour laquelle il a été choisi par le CLIENT, mais également de placer cette réalisation dans un cadre déontologique indispensable à la collaboration entre des professionnels libéraux. Fait à < > Le < > En < > exemplaires dont un exemplaire pour le CLIENT N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S PERSPECTIVES PRATIQUE compatible avec le respect des principes sus-énoncés et s’il convient ou non de les exclure dudit groupement. L’avis du Comité sera communiqué au CLIENT auquel appartiendra la décision d’exclusion. En cas d’exclusion, la Comité de coordination recherchera un remplaçant au membre défaillant à moins que le CLIENT ne choisisse lui-même ce remplaçant lequel devra, dans tous les cas, placer sa mission dans le cadre du groupement et adhérer à la présente CHARTE D’ÉTHIQUE. 69 RLDA 3941 Si, dans un arrêt rendu en 2009, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation ne paraissait pas encore prête à consacrer l’estoppel au-delà des procédures d’arbitrage international et d’arbitrage interne, la chambre commerciale a récemment franchi le pas en visant le « principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui ». La formule est ample et préfigure sans doute un principe général de cohérence dont le terrain d’élection pourrait être le droit des contrats. Mais l’arrêt, qui mettait en jeu un problème d’ordre exclusivement procédural, invite surtout à s’interroger sur la signification, le régime juridique et l’utilité de l’estoppel en procédure civile française. Estoppel : faut-il acclimater le Poison Tree ? Par Fabien GIRARD Maître de Conférences Faculté de Droit Grenoble (CRJ) 1. Par-delà les multiples visages (au-delà du droit anglais, qui sera développé infra, cf., en droit américain : E.R. Anderson, N.V. Holober, « Preventing Inconsistencies in Litigation with a Spotlight on Insurance Coverage Litigation… », 4 Conn.Ins.L.J. 589 (1997-1998) ; T. Leigh Anenson, « The Triumph of Equity : Equitable Estoppel in Modern Litigation », 27 Rev. Litig. 377 (2008)) qu’il présente dans les droits de Common Law (il existe plus d’une douzaine de formes d’estoppel ; cf. E. Cooke, The Modern Law of Estoppel, OUP, Oxford, 2000), l’estoppel possède un trait commun à toutes ses formes, dont rend compte le mot du vieux français – estoupper – dont il tire son origine : « (…) de même qu’on utilise un tampon d’étoupe pour obstruer une voie d’eau qui, malencontreusement s’est produite dans une paroi, ainsi un plaideur emploie-t-il le moyen de l’Estoppel au cours d’un procès judiciaire, comme il mettrait un bâillon aux lèvres de son adversaire, pour lui interdire péremptoirement d’alléguer telle prétention qui serait en contradiction flagrante avec certains faits auxquels s’attache un caractère de vérité incontrovertible : et ceci a pour résultat de simplifier singulièrement les procédures » (Dargent J., La doctrine 70 plus précisément une « interdiction de se contredire au détriment d’autrui ». Estoppel ou interdiction de se contredire au détriment d’autrui, deux expressions devenues synonymes pour la doctrine (Gaillard E., « L’interdiction de se contredire au détriment d’autrui comme principe général du droit du commerce international (principe de l’estoppel dans quelques sentences arbitrales récentes) », Revue de l’arbitrage 1985, p. 241 et s.) et la jurisprudence (cf. not. Cass. 1re civ., 6 mai 2009, n° 08-10.281, Bull. civ. I, n° 86, Revue de l’arbitrage 2010, p. 93) et qui ont reçu, après une pre- mière période d’incertitude quant à leur portée, une consécration générale dans le présent arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 20 septembre 2011 (Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-22.888, D. 2012, p. 167). 2. En l’espèce, une société avait agi en contrefaçon contre une autre. Déboutée en première instance, la demanderesse formait appel devant la cour d’appel de Lyon qui, par un arrêt du 15 décembre 2005, accueillait partiellement Extrait de l’arrêt les demandes reconventionnelles de l’intimée. À la suite d’un pourvoi de cette dernière, il fut néanmoins censuré et les parties furent renvoyées devant la cour d’appel de Paris. Il apparaissait alors que la société intimée avait été dissoute à la suite d’une fusion-absorption, avant même le premier appel interjeté devant la Cour d’appel de Lyon – c’était donc la société absorbée, et non la société absorbante, qui avait été attraite devant la juridiction du second degré. L’intimée en tirait évidemment argument devant la cour d’appel de renvoi, soutenant l’irrégularité de l’action en justice contre une entité dépourvue de personnalité juridique. La Cour d’appel de Paris devait accueillir le moyen en déclarant irrecevables les demandes de l’appelant. C’est cet aspect le plus important de l’arrêt qui est censuré par la Cour de cassation au visa du « principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui » : puisque la société absorbante avait elle-même « (…) sur le moyen unique du pourvoi provoqué, pris en sa troisième branche : Vu le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui : Attendu que pour déclarer irrecevables les demandes que les sociétés Nergeco ont présentées contre la société Gewiss France, l’arrêt retient que la fraude de cette société n’est pas caractérisée et qu’il est établi que l’irrégularité consistant à agir en justice contre une entité dépourvue de de l’estoppel.- Une théorie originale du droit anglais en matière de preuve, Thèse de Doctorat, Faculté de Droit de Grenoble, Imprimerie Georges Frère, Tourcoing, 1943, p. 3). la personnalité juridique trouve sa source dans un défaut de vigilance des sociétés Nergeco ; L’estoppel est donc, par essence, depuis sa première apparition en droit anglais, au XIe siècle, au sein de la Curia Regis, une interdiction de contredire, « une interdiction de souffler à la fois le chaud et le froid (…) » (Cave v. Mills [1862], H.& N., p. 927), ne pouvait, sans se contredire au détriment des sociétés Nergeco, se prévaloir devant la cour Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la société Gewiss France qui avait elle-même formé et instruit le pourvoi contre l’arrêt du 15 décembre 2005 ayant abouti à la cassation partielle de cet arrêt, de renvoi de la circonstance qu’elle aurait été dépourvue de personnalité juridique lors des instances ayant conduit à ces décisions, la cour d’appel a violé le principe susvisé ; (…) ». Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-22.888, P+B R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 3. Etant donné l’ampleur du visa, qui mobilise un principe général du droit, on ne saurait prétendre que la solution n’est pas appelée à s’appliquer à d’autres circonstances que des contradictions « processuelles » (sur la distinction entre « contradictions processuelles » et « non processuelles », cf. l’article complet de Dupont N., L’interdiction de se contredire au détriment d’autrui en procédure civile française, RTD civ. 2010, p. 459. Adde, Rapport du conseiller rapporteur Boval, ss. Cass. ass. plén., 27 févr. 2009, n° 07-19.841, Bull. civ. ass. plén., n° 1, spéc. pt. C.1.) – les seules en jeu en l’occurrence –, et qu’elle ne préfigure pas un principe général de cohérence dont le terrain d’élection privilégié serait le droit des contrats (entre autres réf. : Houtcieff D., Le principe de cohérence en matière contractuelle, préf. Muir-Watt H., PUAM, Aix-en-Provence, 2000 (2 vol.), Robin G., « The principle of good faith in international contracts », I.B.L.J. 2005, 6, 695-727). L’arrêt éclaire, en effet, sans conteste, les sanctions qui viennent frapper depuis quelque temps déjà les contradictions entre clauses d’un contrat ou les incohérences du comportement des cocontractants, et que la doctrine place désormais sous le sceau d’un principe de cohérence ou même de l’estoppel (puisque certaines formes d’estoppel ne jouent, en Common Law, qu’en matière contractuelle – voir infra). Le droit comparé invite cependant à la nuance. Certes, toute acculturation d’une institution étrangère suppose un processus d’acclimatation long et complexe au cours duquel de profondes mutations s’opèrent dans la terre de transplantation ; il faut néanmoins admettre que si plusieurs formes différentes et souvent inconciliables d’estoppel coexistent dans les droits de Common Law, cela mérite considération. Le Promissory Estoppel, fût-ce celui du droit anglais ou du droit américain, qui gouverne le droit des contrats (le promissory estoppel dérive, il est vrai, de l’estoppel by representation, mais il a été développé pour tenir compte des « representations » portant sur des conduites futures et pour contourner les difficultés tenant à l’exigence d’une « consideration » en droit anglais des contrats : Cartwright J., Contract Law.- An introduction to the English Law of Contract for the Civil Lawyer, Hart Publishing, Oxford & Portland, 2007, p. 130), diffère de l’Estop- pel by Representation du droit anglais et de l’Equitable Estoppel du droit américain qui régissent ce qu’on pourrait appeler les contradictions « semi processuelles ou mixtes », c’est-à-dire celles qui « impliquent une incohérence entre une prétention soumise au juge et un comportement antérieur incompatible » (Dupont N., art. préc., n° 1. Sur l’Equitable Estoppel, cf. Aneson T. L., « From Theory to Practice : Analyzing Equitable Estoppel Under a Pluralistic Model of Law », LCB 11 3 Art. 3, 2007, p. 633-669 ; G. E. Maggs, « Report Concerning the United States of America », in B. Fauvarque-Causson (dir.), La confiance légitime et l’Estoppel, Société de Législation comparée, Paris, 2007, p. 415-443). Mieux, le Judicial Estoppel du droit américain, qui gouverne les contradictions « purement processuelles » impliquant « une incohérence entre deux prétentions ou deux moyens présentés au juge » (Dupont N., op. cit., loc. cit.), est parfaitement irréductible au Promissory Estoppel (sur le Judicial Estoppel, cf. Davis K.A., « Judicial Estoppel and Inconsistent Positions of Law Applied to Fact and Pure Law », 89 Cornell L. Rev. 191 (2003)). 4. Il convient donc d’aborder l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui dans sa dimension procédurale en s’interrogeant sur sa signification en droit français. Quel est le sens, en effet, de ce principe, désormais largement reconnu par la chambre commerciale, selon lequel « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui » ? La réponse est complexe, car, en dehors des faits de l’espèce et du visa explicite, la Cour de cassation a manifestement été soucieuse de ne rien dire, consciente sans doute de ce qu’une définition hâtive pourrait avoir de regrettable. 5. La seule certitude pour l’heure est celle d’une reconnaissance de l’estoppel au-delà du périmètre de l’arbitrage. Le présent arrêt méritera, bien entendu, d’être confirmé par d’autres chambres, mais le mouvement général dans lequel il s’inscrit, marqué par une politique processuelle dominée par le principe de loyauté, laisse subsister peu d’incertitudes quant à sa destinée. Reste que cette consécration « nue » – pour compréhensible qu’elle puisse être sur le plan de la politique de la Cour de cassation – laisse le commentateur perplexe. L’importation d’un concept aussi insaisissable et aux conséquences aussi imprévisibles que l’estoppel appelle des précisions. Il convient donc, après une présentation de cette large consécration du principe d’interdiction de se contredire au détriment d’autrui (I), de rechercher la définition nécessaire du principe (II). PERSPECTIVES ÉTUDE formé et instruit le pourvoi contre l’arrêt du 15 décembre 2005, ayant abouti à la cassation partielle de cet arrêt, elle ne pouvait, « sans se contredire au détriment » de l’appelant, « se prévaloir devant la cour de renvoi de la circonstance qu’elle aurait été dépourvue de personnalité juridique lors des instances ayant conduit à ces décisions ». Ayant jugé le contraire, relève la chambre commerciale, la cour d’appel avait violé le principe susvisé. I.– UNE LARGE CONSÉCRATION DU PRINCIPE D’INTERDICTION DE SE CONTREDIRE AU DÉTRIMENT D’AUTRUI 6. L’apport principal de l’arrêt commenté est de consacrer largement l’estoppel. Si, dans un premier temps, l’estoppel a paru cantonné à la matière arbitrale où il a reçu une première reconnaissance explicite (A), le présent arrêt lui donne une portée générale qui, au vu des derniers développements de la jurisprudence, était largement prévisible (B). A.– Une première reconnaissance explicite en matière arbitrale 7. C’est dans le domaine de l’arbitrage international qu’on trouve les premières manifestations de l’estoppel. C’est d’ailleurs en cette matière qu’une première étude majeure a été publiée sur l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui (Gaillard E., art. préc.). Il n’est pas inutile de revenir sur les quelques arrêts rendus par la première chambre civile, car ils ont contribué à donner corps à la notion dans le domaine processuel et offrent une grille de lecture intéressante pour saisir la portée du présent arrêt. C’est par l’arrêt dit « Golshani », en date du 6 juillet 2005, que la Cour de cassation a consacré le principe de l’estoppel, dans le droit de l’arbitrage international, en énonçant que « M. X…, qui a lui-même formé la demande d’arbitrage devant le Tribunal des différends irano-américains et qui a participé sans aucune réserve pendant plus de neuf ans à la procédure arbitrale, est irrecevable, en vertu de la règle de l’estoppel, à soutenir, par un moyen contraire, que cette juridiction aurait statué sans convention d’arbitrage ou sur convention nulle, faute de convention qui lui soit applicable » (Cass. 1re civ., 6 juill. 2005, n° 01-15.912, Bull. civ. I, n° 302). Ainsi qu’on le comprend, la règle impose aux parties de dénoncer devant le tribunal arbitral les griefs qui pourraient justifier l’annulation de la sentence. L’omettraient-elles qu’elles seraient ensuite irrecevables à les invoquer devant le juge de l’annulation de la sentence. Les deux attitudes sont en quelque sorte contradictoires et la première trompe surtout l’autre partie qui pouvait croire légitimement dans la validité de la procédure arbitrale. Le principe, formulé en matière d’arbitrage international, a ensuite été étendu à l’arbitrage interne. Aussi, le plaideur qui conteste l’indépendance de l’un des arbitres doit-il protester devant le tribunal arbitral à peine de voir la demande d’annulation de la sentence fondée sur le grief rejetée (CA Paris, ch.1, sect. C, 7 févr. 2008, N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 71 E S T O P P E L : FA U T - I L A C C L I M AT E R L E P O I S O N T R E E ? n° RG : 06/01279, Sté Française de Rentes et de Financements Crédirentes c/ Sté Compagnie Générale de Garantie SA, Revue de l’arbitrage 2008, p. 501, note Racine J.B.). 8. Dans un arrêt ultérieur, en date du 6 mai 2009, la Cour de cassation relevait que les « domaines respectifs de la règle de l’estoppel et du principe de la renonciation peuvent, dans certains cas, être identiques et qu’il appartient au juge de l’annulation de faire respecter la loyauté procédurale des parties à l’arbitrage, c’est sans violer le principe de la contradiction que la cour d’appel a qualifié d’estoppel l’attitude procédurale du liquidateur » (Cass. 1re civ., 6 mai 2009, n° 08-10.281, Bull. civ. I, n° 86). Ainsi qu’on peut en juger, la formule est ample, puisqu’elle suggère un fondement possible à l’estoppel, celui de la renonciation, et met surtout au jour le principe qui a toujours paru sous-jacent à la doctrine : celui de la loyauté procédurale. Cette référence à la loyauté ne pouvait que laisser augurer une reconnaissance générale de l’estoppel, au-delà de l’arbitrage. B.– Une reconnaissance générale prévisible 9. Avant même les arrêts précités rendus par la première chambre civile, le Professeur Muir Watt, dans un article intitulé « Pour l’accueil de l’Estoppel en droit privé français » (Mélanges en l’honneur de Yvon Loussouarn, Dalloz, Paris, 1994, p. 303 et s.), remarquait que, en de nombreuses hypothèses, la Cour de cassation avait adopté des solutions qui ne pouvaient s’expliquer sans une référence à la doctrine de l’estoppel. Dans un arrêt de la chambre commerciale, rendu en 1990, il était ainsi interdit au cédant d’actions sociales, qui s’était abstenu de notifier la cession, alors qu’il lui appartenait de le faire, de se prévaloir du défaut d’agrément des cessionnaires (Cass. com., 27 mars 1990, n° 88-19.566). Dans un autre arrêt, en date de 1987, rendu par la troisième chambre civile, la Haute Juridiction décidait que le crédirentier qui s’était abstenu, pendant plus de dix ans, de réclamer la rente au débirentier avec lequel il entretenait des liens affectifs, ne pouvait plus agir en résolution dès lors qu’il avait suscité chez le débirentier la conviction qu’elle ne serait jamais demandée (Cass. 3e civ., 8 avr. 1987, n° 85-17.596, Bull. civ. III, n° 88, – pour la Cour de cassation, la clause résolutoire « n’avait pas été invoquée de bonne foi »). Pareillement, dans un arrêt rendu par la première chambre civile, en 1991, la Cour de cassation indiquait que le bailleur, qui avait entrepris les démarches ayant abouti à l’adoption d’un tiers afin d’échapper à l’application de la législation des baux, ne pouvait 72 plus, par la suite, critiquer cet acte qu’il avait lui-même suscité (Cass. 1re civ., 19 nov. 1991, n° 85-17.596, Bull. civ. I, n° 316, – arrêts également cités par Boval M., « Rapport du Conseiller rapporteur », op. cit., spéc. note 15). On a souvent cité, en- fin, cet arrêt de la chambre criminelle, rendu en 1996, où il était question d’une ex-épouse qui, après avoir obtenu un divorce en Thaïlande, se plaignait de l’irrégularité de celui-ci devant les juridictions françaises afin de bénéficier de l’immunité familiale dans le cadre de poursuites pour vol au préjudice de son ex-conjoint. Sa demande fut jugée irrecevable (Cass. crim., 11 juin 1996, n° 95-82.778, Bull. crim., n° 245, D. 1997, Jurispr., p. 576, note Agostini E. – comme l’observait l’auteur de la note : « Voici donc la percée, par le canal du droit pénal, d’une règle de bon sens qu’on dit généralement issue du droit anglais mais qui, en fait, trouve son origine en droit romain. En généralisant les termes du motif décisoire qui vient d’être cité, on peut, de fait, y voir l’affirmation d’un principe général interdisant de se contredire au détriment d’autrui. Autrement dit, l’arrêt rapporté marquerait l’accueil de l’Estoppel en droit privé français »). 10. Sanctionnant tous des contradictions non processuelles (les deux premiers arrêts – la sanction intervient à chaque fois sur le fond), semi processuelles (le troisième) ou purement processuelles (le dernier arrêt), aucun de ces arrêts ne mentionnait néanmoins, ni l’estoppel, ni l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui. Le premier arrêt à le faire est un arrêt d’Assemblée plénière du 27 février 2009. Les faits de l’espèce étaient d’une remarquable complexité. En l’occurrence, la société Sédéa commercialisait des décodeurs pour la réception de la télévision par satellite. Et, pour ce faire, elle se fournissait auprès de leur fabricant, la société X-com multimédia. Comme les produits n’étaient pas livrés, elle décidait de se fournir auprès d’un revendeur, la société Distratel, qui lui livra effectivement les décodeurs qu’elle achetait, en réalité, auprès du même fabricant. Dans le même mouvement, elle saisissait le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble, afin de faire condamner sous astreintes le producteur à lui livrer les récepteurs numériques commandés. Grâce à un autre intervenant, la société Viaccess, la société Sédéa apprenait alors que les récepteurs étaient inutilisables en raison d’un défaut de licence. Une seconde action était alors introduite, cette fois-ci (et après un règlement de compétence) devant le Tribunal de commerce de Tours, et la société Sédéa assignait alors au fond les sociétés Distratel, X-Com multimédia et Viaccess. Elle demandait la nullité de la vente du second lot de décodeurs R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 conclue avec la société Distratel ou, à défaut, sa résolution. Elle réclamait par ailleurs à la société X-com multimédia le paiement de dommages intérêts. La société Distratel devait soulever l’irrecevabilité de ces demandes, motif pris de ce que les prétentions de la demanderesse caractériseraient une violation du « principe d’interdiction de se contredire au détriment d’autrui ». Le Tribunal de Tours devait accueillir les demandes et écarter cette fin de non-recevoir aux motifs que le procès engagé devant lui et celui entrepris devant la juridiction consulaire grenobloise n’avaient pas le « même objet». La Cour d’appel d’Orléans sanctionnait ce raisonnement et déclarait irrecevables les demandes de la société Sédéa en constatant sa mauvaise foi. Pour les juges du second degré, en effet, « cette société n’avait pas cessé de se contredire au détriment de ses adversaires en leur réclamant devant deux juridictions différentes une chose et son contraire ». Ils décidaient aussi bien que ce comportement « devait être sanctionné, en vertu du principe suivant lequel une partie ne peut se contredire au détriment d’autrui (théorie de l’estoppel) », par l’irrecevabilité de ses demandes actuelles. Réunie en Assemblée plénière, la Cour de cassation cassait cette décision sur pourvoi de la société Sédéa. Elle estimait, en effet, qu’en statuant comme elle l’avait fait, alors que « les actions engagées par la société Sédéa n’étaient ni de même nature, ni fondées sur les mêmes conventions et n’opposaient pas les mêmes parties », la cour d’appel avait violé l’article 122 du Code de procédure civile. 11. L’arrêt pourrait ne mériter aucune attention, puisque l’Assemblée plénière refuse l’application de l’estoppel. Il contenait néanmoins un attendu qui, bien que négatif, pouvait être perçu comme une reconnaissance implicite : « Attendu que la seule circonstance qu’une partie se contredise au détriment d’autrui n’emporte pas nécessairement fin de non-recevoir ». Insistant sur l’emploi d’une double formule restrictive (« seule circonstance » – « nécessairement fin de non-recevoir »), les auteurs en ont généralement conclu que ce qui était reproché à la cour d’appel était moins le recours à la doctrine de l’estoppel que son application fort large en l’espèce (cf. not., Callé P., JCP G 2009, II, n° 10073, note ss. Cass. ass. plén., 27 févr. 2009, n° 07-19.841, Bull. civ. ass. plén, n° 1). L’arrêt commenté confirme cette interprétation et lève toute ambiguïté : il y aurait désormais, en droit français, et au-delà de la procédure arbitrale, un principe général « selon lequel 12. La Cour de cassation reconnaît donc être désormais en mesure de contrôler les conditions d’application de l’estoppel et d’éviter toute dérive qu’une application trop large pourrait emporter. Reste que l’on ignore toujours le régime juridique du principe d’interdiction de se contredire au détriment d’autrui. Un effort de définition s’avère donc plus que jamais nécessaire. II.– LA DÉFINITION NÉCESSAIRE DU PRINCIPE D’INTERDICTION DE SE CONTREDIRE AU DÉTRIMENT D’AUTRUI 13. Désormais nettement consacrée, l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui est encore en suspension, ce qui ne va pas sans difficultés eu égard aux virtualités dangereuses que présente un tel principe pour le droit français. C’est à la recherche d’un régime juridique qu’invite aussi bien l’arrêt (A). Il faut déterminer, au-delà, si un tel principe présente une réelle utilité, tant il paraît largement concurrencé par d’autres mécanismes à la fois mieux définis et plus protecteurs (B). A.– À la recherche d’un régime juridique 14. Il faut bien le reconnaître, on ne dispose que de très peu d’indications, qu’il s’agisse du présent arrêt ou, plus généralement, de la jurisprudence disponible sur l’estoppel. Il n’est guère qu’une certitude : toutes les décisions rendues en matière d’interdiction de se contredire au détriment d’autrui s’inspirent du principe de loyauté, aujourd’hui largement consacré, et dont on a pu récemment encore mesurer toutes les potentialités au-delà de la preuve (Cass. 1re civ., 7 juin 2005, n° 05-60.044, Bull. civ. I, n° 241, RTD civ. 2006, p. 151, obs. Perrot R., D. 2005, p. 2570, note Boursier E., D. 2006, p. 545, obs. Julien P. et Fricero N.). L’arrêt de la première chambre civile, déjà cité, rendu en 2009, fait d’ailleurs expressément le lien entre l’estoppel et la loyauté procédurale que les juges sont tenus de faire respecter. En soi problématique (cf. Essai sur la preuve dans son environnement culturel, Thèse, Grenoble, 2010, à paraître), l’extension de ce principe au domaine des contradictions processuelles serait évidemment parfaitement inadmissible (cf. Kleiman E., Stop ! Définition nécessaire de l’estoppel, entre faveur à l’arbitrage et droit d’accès au juge, JCP G 2010, 303 ; Houtcieff D., Chronique de l’estoppel ordinaire en droit positif français, JCP G 2010, 626), puisqu’il met en jeu, au moins en partie, le droit d’action (or, les obstacles de droit à l’action ne doivent pas atteindre le droit d’action dans sa substance même (CEDH, 9 déc. 1994, Les Saints Monastères c/ Grèce, Série A, n° 30 A, § 83) – au-delà, ils ne sont conformes à la Conv. EDH que s’ils sont justifiés par un motif légitime et respectent un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but recherché (CEDH, 28 mai 1985, Ashingdane c. R.-U., Série A, n° 93, § 53). Un fondement plus ferme mérite donc d’être recherché et, avec lui, un régime juridique précis susceptible de ramener à des proportions raisonnables l’insécurité juridique. 15. Les solutions adoptées en matière arbitrale méritent d’être explorées, en particulier le récent décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 qui a introduit, dans le Code de procédure civile, un nouvel article 1466 qui dispose que : « La partie, qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ». Cette disposition, qui est parfois interprétée comme une consécration règlementaire de l’estoppel en matière d’arbitrage (cf. not. Delpech X., D. 2011, p. 2345, note ss. Cass. com., 20 sept. 2011 n° 10-22.888), est en réalité bien plutôt le retour à une jurisprudence développée en cette matière avant l’arrêt « Golshani » précité (Cass. 2e civ., 10 juill. 2003 n°xxxxx ; Cass. 2e civ., 20 nov. 2003, n°xxxxx, Revue de l’arbitrage 2004, p. 283, note M. Bandrac ; Paris, 27 mars 2003, Revue de l’arbitrage 2004, p. 132). Cela ne prêterait cependant pas à conséquence dès lors que renonciation et estoppel répondraient à une seule et même définition ou rempliraient, pour le moins, la même fonction. Sous ce regard, bien entendu, la renonciation offrirait un fondement et un régime juridique adéquats à l’estoppel. 16. Il n’est pourtant pas du tout certain qu’on puisse tenir les deux notions pour équivalentes. Ainsi qu’a pu l’indiquer la Cour de cassation dans son arrêt rendu en 2009 en matière d’arbitrage, « les domaines d’application respectifs de la règle de l’estoppel et du principe de la renonciation peuvent, dans certains cas, être identiques » (nous soulignons), ce qui veut très certainement dire, à rebours, qu’ils ne le sont pas toujours. D’ailleurs, PERSPECTIVES ÉTUDE nul ne peut se contredire au détriment d’autrui ». La Cour de cassation a donc franchi le pas qu’il lui semblait encore trop hardi il y a deux ans comme en témoigne le communiqué qui assortissait l’arrêt d’Assemblée plénière : « Sans exclure l’application de la règle dite de l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui, ou estoppel, en matière procédurale, la Cour de cassation se réserve ainsi le droit d’en contrôler les conditions d’application » (cf. le communiqué de la Cour de cassation sur le site Internet de la Haute Juridiction). d’un point de vue technique, les deux mécanismes restent très largement étrangers l’un à l’autre. La renonciation sanctionne le comportement « unilatéral d’une partie sans préoccupation de la prise en considération par l’autre partie de ce comportement. En d’autres termes, la renonciation se déduit de l’analyse du comportement d’une partie, pris isolément, dont on tire des conséquences juridiques » (Pinsolle Ph., note préc., n° 18, qui plaide pour une application distributive des mécanismes selon les hypothèses ; Rosher P., « L’estoppel à la française », Cahiers de l’arbitrage, 20 nov. 2011, n° 1, p. 119 et s., note ss. Cass. 1re civ., 3 févr. 2010, n° 08-21.288 Bull. civ. I, n° 25, Revue de l’aritrage 2010, p. 93). L’estoppel vient protéger, au contraire, la confiance légitime de l’autre partie, ce qui suppose que soit tenu compte du comportement des deux parties. 17. Faut-il alors admettre un principe autonome dont le fondement serait de protéger la confiance légitime ? C’est ce que paraissent indiquer les deux principaux arrêts rendus en la matière. Dans son arrêt rendu le 3 février 2010, la première chambre civile de la Cour de cassation laissait entendre que l’estoppel devait se définir comme le « comportement procédural constitutif d’un changement de position de nature à induire son adversaire en erreur sur ses intentions » (Cass. 1re civ., 3 févr. 2010, n° 08-21.288, Bull. civ. I, n° 25, D. 2010. 448, obs. Delpech X., JCP G 2010. doct. 178, obs. Ortscheidt J.). Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation vise le « principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui ». Tout réside donc dans le comportement procédural qui porte la contradiction. Mais au-delà les arrêts se séparent. S’il est inutile de gloser sur les différences possibles entre l’expression de « changement de position » et celle de « contradiction » – la première paraissant cependant plus proche de la définition anglo-américaine de l’estoppel –, il faut en revanche insister sur les irréductibilités qui subsistent dans les conséquences attribuées au comportement procédural litigieux. Dans la première expression, le changement de position est simplement « de nature à » induire en erreur, ce qui signifie, tout à la fois, une simple potentialité et une possible indifférence aux conséquences concrètes (changement de position à l’avantage de son auteur ou au détriment de l’adversaire – définition très proche de celle qui est employée par la Cour internationale de Justice, dans l’affaire du différend entre le Salvador et le Honduras : pour que l’estoppel puisse être appliqué, il faut, selon la Cour, « une déclaration qu’une partie a faite à une autre partie ou une position qu’elle a prise envers elle et le fait que cette autre partie s’appuie sur cette déclaration ou position à son détriment ou à l’avantage de la partie qu’il l’a faite ou prise », Affaire du différend frontalier N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 73 E S T O P P E L : FA U T - I L A C C L I M AT E R L E P O I S O N T R E E ? terrestre, insulaire et maritime (El. Salvador c/ Honduras), Requête du Nicaragua à fin d’intervention, arrêt, 13 sept. 1990, Rec. CIJ, 1990, spéc. § 63, p. 118, cité par Pinsolle Ph., note préc., n° 25), tandis que dans la seconde la contradiction est immédiatement préjudiciable. Ce qui est possiblement virtuel dans un cas, est donc déjà réalisé dans le second, exclusivement au détriment de l’adversaire et sans égard pour le bénéfice éventuellement retiré par la partie auteur de la contradiction (cf. aussi Rosher P., « L’estoppel à la française », op. cit. ; on a dit aussi, à propos du premier arrêt, que, à s’en tenir à sa lettre, « le comportement de l’auteur de la contradiction serait seul examiné, faisant de l’estoppel un mécanisme de sanction de l’incohérence ou de la déloyauté procédurale d’une partie plutôt qu’un mécanisme de protection de la confiance légitime de son adversaire », Train F.-X., note ss. Cass. 1re civ., 3 févr. 2010, n° 08-21.288, Bull. civ. I. n° 25, Gaz. Pal. 29 mai 2010, n° 149, p. 39 et s.). 18. Admettons, toutefois, que la seconde proposition soit la bonne et qu’elle soit moins ample que la première. Est-elle pour autant satisfaisante, alors que, selon toutes vraisemblances, la sanction applicable est une fin de non-recevoir qui emporte irrecevabilité pour défaut de droit d’action ? Sanction vigoureuse s’il en est qui ne saurait être prononcée sans un minimum d’égard (pour le moins) pour l’attitude du plaideur. Les exemples que fournissent les droits de Common Law montrent d’ailleurs tous la complexité de l’examen auquel doit se livrer le juge, justement pour éviter les réactions par trop mécaniques. L’Estoppel by Representation du droit anglais suppose ainsi l’existence d’une Representation, la communication de cette Representation de l’Agens (« Representor », soit l’auteur de la représentation) au Recipiens (« Representee », soit le destinataire de la representation) et l’incitation à agir dans la personne du Recipiens (effet d’« inducement » : à démontrer, bien entendu). Et, en elle-même, la notion de représentation est complexe, puisqu’elle recouvre « les actes, les attitudes d’une personne qui, étant donné leur gravité ou leur importance, sont susceptibles de déterminer des actes chez une autre personne : c’est donc l’utilisation par un homme des moyens d’expression de sa pensée, de telle façon que ce qui est ainsi exprimé, ou “représenté” puisse apparaître comme vrai aux yeux d’autrui – tout au moins suffisamment vrai pour déterminer chez autrui des actions, des passations d’actes juridiques, des pertes, etc. » (Dargent J., op. cit., p. 101). On retrouve le même effort de définition aux EtatsUnis, avec le Judicial Estoppel. Il faut, tout d’abord, que la position du plaideur soit nettement incompatible avec la position qu’il a adoptée à l’occasion d’une instance précédente ; ensuite, les 74 juridictions doivent s’assurer que le plaideur a convaincu le premier tribunal de sa position première. Enfin, il doit être établi que le plaideur a retiré de son changement de position un avantage injuste (unfair advantage) ou qu’il a causé à l’adversaire un préjudice injuste (unfair detriment ; Zedner v. U.S., 547 U.S. 489, 126 S. Ct. 1976, 164 L. Ed. 2d 749, 46 A.L.R. Fed. 2d 649 (2006) ; New Hampshire v. Maine, 532 U.S. 742, 121 S. Ct. 1808, 149 L. Ed. 2d 968 (2001) ; Arkison Ethan Allen v., Inc., 160 Wash. 2d 535, 160 P.3d 13 (2007), Romualdo P. et al., « Estoppel and Waiver », American Jurisprudence, Second Edition 2011, § 78). La doctrine ne s’applique du reste pas lorsque la première position est le résultat d’une inadvertance ou d’une erreur ou lorsque la contradiction est vénielle (Seneca Nation of Indians v. State of N.Y., 26 F. Supp. 2d 555 (W.D. N.Y. 1998), aff’d, 178 F3d 95 (2d Cir. 1999) ; Bankruptcy Estate of Lake Geneva Sugar Shack, Inc. v. General Star Indem. Co., 32 F. Supp. 2d 1059 (E.D. Wis. 1999), 200 F.3d 479 (7th Cir. 2000) ; Chandler v. Samford University, 35 F. Supp. 2d 861 (N.D. Ala. 1999) ; Farmers High Line Canal and Reservoir Co. v. City of Golden, 975 P.2d 189 (Colo. 1999) ; Tranker v. Figgie Intern., Inc., 231 Mich. App. 115, 585 N.W.2d 337 (1998)). Voilà des exemples dont il faudrait s’inspirer. En exigeant la démonstration de l’intention de nuire (fraude), pour le moins, de l’imprudence consciente (« L’“agens” doit, par conséquent, connaître l’étendue de ses droits et savoir que son attitude incitera le “recipiens” à faire quelque chose, à agir ou à s’abstenir dans des conditions telles qu’il en résulte pour l’“agens” l’impossibilité de faire valoir les droits en question », Dargent J., op. cit., p. 152), on éviterait ainsi que des plaideurs soient sanctionnés pour une imprudence simple, une simple erreur – un contrôle de la materiality de la representation ne serait du reste pas superflu, pour s’assurer qu’elle était bien de nature à affecter le jugement d’une personne raisonnable (comp., en droit anglais des contrats : E. Mckendrick, Contract Law, Palgrave Macmillan, Londres, 2011, n° 13.5). Au-delà, d’autres problèmes importants de compatibilité se posent d’ailleurs encore, comme avec l’objectif de vérité que doit poursuivre le procès civil (Hillel O., Jobard-Bachellier M.-N., in B. Fauvarque-Causson (dir.), op. cit., p. 64-65.- cf. aussi, Vowers & Sons, Inc. v. Strasheim, 254 Neb. 506, 576 N.W.2d 817 (1998)) ou avec la protection de l’ordre public (cf. Callé P., JCP G 2009, II, 10 073 ; comp. l’avis du Conseil d’Etat en matière de contentieux fiscal : BelrhaliBernard H., Le Conseil d’État refuse d’adopter l’estoppel, AJDA 2010, p. 1327). 19. Mais, disons-le, l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui pose question jusque dans sa sanction. Si on admet une fin de non-recevoir (cf. le visa de l’article 122 du Code de procédure civile dans l’arrêt d’Ass. plén., 27 févr. 2009, préc.), ce qui est possible dès lors qu’il est acquis que la liste de l’article 122 du Code de procédure civile n’est pas limitative (Cass. ch. mixte, 14 févr. R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 2003, Procédures 2003, n° 96, note Croze H., RTD civ. 2003, p. 349, obs. Perrot R., LPA 2003, n° 51, p. 13, note Bernheim L.), reste alors une difficulté tirée de son possible régime juridique. Rappelons que, selon le Code de procédure civile « [c]onstitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ». À supposer que la jurisprudence en vienne à exiger la démonstration de la mauvaise foi du plaideur ou, pour le moins, son imprudence consciente, ainsi que la preuve d’un préjudice, il faudrait alors renoncer à tout régime uniforme de la fin de nonrecevoir. C’est, en effet, « sans examen au fond » que le juge est normalement à même de prononcer l’irrecevabilité ; or, l’on voit mal comment le juge pourrait se prononcer sur la bonne ou mauvaise foi, l’imprudence consciente sans se livrer à un examen de cette nature (il est vrai qu’existent de « fausses fin de non-recevoir » qui obligent le juge à examiner au moins un élément du débat au fond : HéronJ., Le Bars Th., Droit judiciaire privé, 3e éd., Montchrestien, Paris, 2006, spéc. n° 143, p. 117-118, ex. : C. civ., art. 244). Pareillement, ainsi qu’on l’a finement ajouté, l’exigence d’un préjudice contredit directement l’article 124 du Code de procédure civile qui, pour sa part, dispose que « les fins de non-recevoir doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier un grief » (Dupont N., op. cit., n° 19). Mais ce qui est sans doute plus grave, dans cette importation de l’estoppel, c’est que, outre son danger ou les virtualités dangereuses qu’il présente, notamment au regard de la cohérence de certaines notions comme la fin de non-recevoir, c’est qu’il n’est pas du tout certain qu’il présente un intérêt dans le domaine des contradictions purement processuelles. C’est tout l’enjeu d’une recherche d’utilité. B.– À la recherche d’une utilité 20. Deux mécanismes, en particulier, paraissent pouvoir être exploités pour combattre un certain nombre de contradictions, au moins celles qui apparaissent inter-instance et inter-procès ; et elles relativisent très largement l’intérêt d’un principe d’interdiction de se contredire au détriment d’autrui. Il s’agit, d’une part, de l’exigence d’un intérêt sérieux, légitime, né et actuel, de l’autre, de la théorie de l’abus de droit. La notion d’intérêt à agir est déjà utilisée par le juge pour déclarer irrecevables les demandes reposant sur des prétentions « illogiques ». Elle pourrait être utilisée pour sanctionner les contradictions mécanisme repose inévitablement sur la démonstration d’une faute caractérisée (cf. Cayrol N., op. cit., n° 169 ; Desdevises Y., Staes O., « Action en justice : Généralités », J.-Cl. Procédure civile, Fasc. n° 125, n° 62 et s.). Mais l’on pourrait plaider pour un resserrement de la notion autour de l’intention de nuire (faute dolosive ou erreur grossière, exclusivement), comme le voulait Ripert, afin de réduire le nombre des contradictions susceptibles d’être sanctionnées – pour ne retenir que les plus graves, celles guidées par la seule malice, l’intention de nuire (la Cour Paris, 15 déc. 1988, D. 1988. IR. 183, obs. P. Julien ; Cass. com. 27 avr. 1981, n° 80-11.200, D. 1982. J. 51, note Le Tourneau Ph., cf encore : une partie n’est pas recevable à critiquer l’arrêt d’avoir accueilli une demande de révocation de l’ordonnance de clôture qu’elle avait acceptée, Cass. 3e civ., 27 juin 2007, n° 05-20.173, Bull. civ. III. n° 116, JCP G 2007, IV, 2589). Dans bien des cas, ce- de cassation a ainsi pu juger que « l’exercice d’une action en justice ne dégénère en faute susceptible d’entraîner une condamnation à des dommages-intérêts que s’il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou, s’il est, tout au moins, le résultat d’une erreur grossière équipollente au dol » : Cass. civ., 19 oct. 1943, S. 1944, 1, p. 43). pendant, cette analyse serait artificielle et reviendrait à tenir pour dépourvu de droit d’agir en justice le plaideur qui se contredit inter-instance ou inter-procès, sans qu’un lien puisse être établi entre la fin de non-recevoir et une condition objective comme le délai, la qualité pour agir ou encore l’intérêt. En réalité, celui qui se contredit remplit souvent les conditions objectives posées par l’article 122 du Code de procédure civile et il n’y a donc pas défaut de droit d’agir. 22. Enfin, n’oublions pas que le juge dispose de bien des mécanismes qui lui permettent de remédier aux éventuelles contradictions ou de les sanctionner. Tout d’abord, et grâce à ses pouvoirs d’instruction, le juge peut obtenir toutes explications de fait et de droit (CPC, art. 8 & 13), ordonner la production des pièces ou toutes mesures d’instruction qui lui paraissent utiles. Le juge de la mise en état, devant le tribunal de grande instance, a pour mission de veiller au déroulement « loyal » des débats, « spécialement à la ponctualité de l’échange des conclusions et de la communication des pièces » (CPC, art. 763, al. 2). Et, pour ce faire, on sait qu’il peut « entendre les avocats et leur faire toutes communications utiles », « leur adresser des injonctions » (CPC, art. 763, al. 3). En cas de réticence irréductible, il peut enfin radier l’affaire du rôle (CPC, art. 763, al. 4). Quelques fins de non-recevoir permettent également au juge de contraindre les plaideurs à une attitude plus « cohérente », comme l’acquiescement à la demande (CPC, art. 408 ; 21. La théorie de l’abus de droit paraît plus satisfaisante sur le plan théorique. Ce que l’on reproche alors au plaideur n’est plus l’absence de droit d’action (Kleiman E., art. préc., Houtcieff D., art. préc.), mais un usage détourné de celui-ci. Le droit d’agir en justice est alors détourné de sa fonction sociale, puisque le plaideur n’agit plus pour demander justice, mais, par exemple, pour faire pression sur son débiteur (Cass. com., 12 janv. 1976, n° 74-13.336, D. 1977, p. 141, note Y. Chartier) ou pour assouvir un besoin irrépressible (Cass. 3e civ., 12 févr. 1980, JCP G 1980, IV, 168.- Exemples donnés par N. Cayrol, V° Action en justice, Rép. Dalloz proc. civ., n° 167). On peut sans doute s’inquiéter de la marge de liberté dont jouit le juge, même si le cf. Hillel O., Jobard-Bachellier M.-N., « Les applications du principe en droit du contentieux interne et international », op. cit., p. 53-78, spéc. p. 58) ou l’acquiescement au jugement (CPC, art. 409 ; cf. Hillel O., Jobard- Bachellier M.-N., op. cit., loc. cit.) ; sous un certain regard, la prescription vient formaliser une forme d’acquiescement, l’individu étant, en quelque sorte, présumé avoir renoncé à son droit et ne pouvant plus, contredire, par la suite, ce comportement supposé. Autre fin de non-recevoir (cette fois-ci fondée), le défaut d’intérêt à agir qui peut venir sanctionner celui qui exerce une voie de recours alors qu’il a obtenu une décision qui lui était favorable – et qui ne lui fait donc pas grief (Hillel O., Jobard-Bachellier M.-N., op. cit., p. 59 & spéc. PERSPECTIVES ÉTUDE inter-instances. Ainsi qu’on a pu le dire avec justesse, « [l]’intérêt à agir devant être à la fois légitime et réel (c’est-à-dire né, actuel et non hypothétique), on pourrait considérer que le demandeur qui soumet au juge des prétentions incompatibles avec la thèse qu’il a développée précédemment est dépourvu soit d’intérêt légitime soit d’intérêt réel » (Dupont N., op. cit., n° 26). Il serait ainsi possible de généraliser la jurisprudence en vertu de laquelle est déclarée irrecevable la prétention qui dénote la mauvaise foi du plaideur (CA p. 69-70 où les auteurs montrent que la Cour de cassation a tendance à déclarer irrecevable le moyen présenté devant elle qui est contraire aux thèses développées devant les juges du fond ; les Hauts magistrats procèdent souvent sur le fondement de l’article 619 du Code de procédure civile d’après lequel sont irrecevables les moyens nouveaux, sauf lorsqu’ils jugent mieux approprié d’utiliser un fondement plus radical comme les irrecevabilités prononcées pour non-succombance, pour renonciation ou acquiescement indiscutable ; cf. aussi Boré J., Vo Pourvoi en cassation, Rép. Dalloz proc. civ. n° 583 et s. et n° 180 et s. – sanction du défaut d’intérêt. Adde, Cass. com., 29 mai 1980, n° 78-14.283, Bull. civ. IV, n° 216). 23. On a parfois mentionné l’autorité de la chose jugée et la « présomption d’abandon des prétentions et moyens » non repris dans les dernières conclusions (CPC, art. 753, al. 2, TGI : Cass. 1re civ., 20 mai 2003, n° 00-18.295, Bull. civ. I, n° 117, RTD civ. 2004, p. 293, obs. Mestre J., Fages B., CPC, art. 954, al. 2 ; CA : Cass. 2e civ., 7 janv. 1998, n° 95-17.775, Bull. civ. II, n° 1, JCP G 1998, IV, 1366, RTD civ. 1998, p. 478, obs. Perrot R.). N’oublions pas, enfin, la sanction, non écrite, mais néanmoins évidente et inévitable, qui résulte de l’indisposition que provoquent, chez le juge, les attitudes procédurales contradictoires (Hillel O., Jobard-Bachellier M.-N., op. cit., loc. cit.). En somme, les moyens ne manquent pas, en droit français, pour sanctionner les comportements malicieux ou les simples contradictions inadmissibles (s’il en est vraiment et s’il paraît nécessaire de les combattre), sans qu’il soit besoin de recourir à un principe qui, même précisé, paraît comporter les conditions de sa propre perte. ◆ N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 75 RLDA 3942 À travers les diverses réformes du droit français des entreprises en difficulté, le législateur s’est inspiré du droit américain de la faillite et notamment du Chapitre 11. Le sort des créanciers n’échappe pas à cette influence. L’étude comparative des créanciers français et américains permet de mieux comprendre les notions et peut-être d’envisager de nouvelles réformes. L’influence du droit américain de la faillite et les créanciers en droit français : présent et futur Par Sophie STANKIEWICZ MURPHY LL. M et docteur en droit L’influence américaine du droit de la faillite sur le droit français des entreprises en difficulté est d’actualité depuis notamment la réforme de 2005 (L. n° 2005-845, 26 juill. 2005) ayant institué la procédure de sauvegarde. Il ne fait nul doute que la procédure américaine de réorganisation prévue par le Chapitre 11 du Titre 11 du Code fédéral des ÉtatsUnis ait inspiré le législateur mais également la pratique (Procédure de sauvegarde financière accélérée : L. n° 2010-1249, 22 oct. 2010, JO 23 oct. ; affaire Thomson : T. com. Nanterre, 17 févr. 2010 et affaire Autodistribution : T. com. Evry, 6 avr. 2009). La situation du débiteur a évolué suivant le modèle du « debtor in possession » du droit américain lui conférant plus de prérogatives et de liberté dans les procédures de réorganisation de l’entreprise en difficulté (procédures de redressement judiciaire et de sauvegarde). Mais la révolution du droit français des entreprises en difficulté s’est opérée du côté des créanciers en leur rendant une place maîtresse au cœur des procédures de réorganisation de l’entreprise. Ces derniers sont devenus les partenaires du sauvetage de l’entreprise en difficulté. C’est de ces nouveaux acteurs que traite cet article. L’influence américaine modifiant la situation des créanciers dans notre droit semble se poursuivre. La consécration législative de l’introduction du « prepack » par la doctrine dans le droit français en est un exemple concret. À l’heure où la situation des créanciers a connu une nouvelle modification suite à la loi Warsmann (L. n° 2012-387, 22 mars 2012, JO 23 mars), il serait donc intéressant de revenir sur cette notion telle qu’elle existe en droit américain. Cette étude comparative 76 permet d’envisager en droit français des entreprises en difficulté une éventuelle poursuite du mouvement d’évolution du droit des entreprises en difficulté selon le modèle américain. Commençons ainsi par l’étude des comités des créanciers tels qu’issus de l’influence américaine (I) pour envisager les innovations inspirées du droit américain que les créanciers français pourraient connaître (II). I. – LES COMITÉS DE CRÉANCIERS : FRUIT DE L’INFLUENCE AMÉRICAINE L’introduction des comités de créanciers dans le droit français des entreprises en difficulté est caractérisée comme l’un des principaux apports de la réforme du droit des entreprises en difficulté de 2005. Cette nouveauté est le fruit d’une influence américaine soulignée par la doctrine qui a qualifié les procédures de réorganisation françaises de « Chapitre 11 à la française » (Dorléac T., La procédure de sauvegarde : un chapitre 11 à la française ?, Lettre du recouvrement, sept. 2005). Ainsi, le droit français des entreprises en difficulté reprend des principes du droit américain tels que la répartition des créanciers en catégories (A) et leur participation à l’élaboration du plan (B). A. – La répartition des créanciers en catégories Depuis la loi du 26 juillet 2005 complétée par une ordonnance de 2008 (Ord. n° 2008-1345,18 déc. 2008), les procédures de réorganisation entrainent la constitution de comités de créanciers. L’article L. 626-30 du Code de commerce prévoit, pour les entreprises de taille importante, soit à partir de 150 salariés et 20 millions d’euros de chiffre d’affaires (C. com., art. L. 626-29 et C. com., art. R. 626-52), la constitution de comités de créanciers R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 en vue de l’adoption du plan de sauvegarde ou de redressement. Ces comités sont au nombre de trois : le comité des principaux fournisseurs, le comité des établissements financiers, incluant les créanciers assimilés (C. com., art. L. 626-30), et une assemblée unique des obligataires. Leur constitution est opérée par l’administrateur judiciaire. Contrairement au droit français où le nombre de comités est limité et leur composition dictée par le Code de commerce, la constitution des assemblées des créanciers américaines fait l’objet d’un plus grand libéralisme. Le débiteur soumis au droit américain compose lui-même les différentes classes de créances dans le respect de plusieurs règles assurant le traitement égalitaire des créanciers. Le plan doit déterminer les différentes classes de créances et d’intérêts (« classes of claims » et « classes of interests », 11 U.S.C. 1123). Ces groupements correspondent à une classification des créances et des intérêts à agir détenus par les créanciers selon leur nature. Il s’agit, par exemple, de la classe des créances liées à la procédure, de la classe des créances chirographaires, de la classe des créances privilégiées ou encore de la classe des obligataires. Il doit exister autant de classes que de créances singulières (exemple de plan de réorganisation : Tanger M., op. cit., p. 391, en droit français ; Bankruptcy law, Black, 1898, en droit américain). La perte de toute personnalisation des classes de créanciers due à la répartition selon la nature des créances et non celle des créanciers marque un désir d’un traitement égalitaire plus objectif. Le champ des créances à prendre en considération dans le plan est volontairement large afin que la procédure de réorganisation mette à plat la situation du débiteur. Ainsi sont considérées toutes les créances, qu’elles accepter le plan tel qu’il est proposé. En effet, le Code fédéral prévoit que les créanciers participant au plan ne percevront pas moins que ce qu’ils auraient obtenu dans le cas d’une liquidation. Il s’agit du test dans le meilleur intérêt des créanciers, le « best interest test ». Les créanciers chirographaires ne recevant rien dans 95 % des procédures de liquidation contre 20 % dans le cadre des procédures de réorganisation, ils n’ont rien à perdre en acceptant le plan. De même, les actionnaires, les associés et les propriétaires de l’entreprise appartiennent à une seule et unique classe, leurs créances étant similaires : ils ont donc, eux aussi, intérêt à accepter le plan. En effet, la règle de l’« Absolute Priority » prévoit que ces derniers ne seront payés qu’une fois les créanciers chirographaires désintéressés. Ainsi ils doivent agir dans l’intérêt collectif des créanciers, c’est-à-dire dans l’intérêt de l’entreprise, et non dans leur intérêt personnel. Leur unique pouvoir est l’abandon de leur créance individuelle. Les seuls créanciers ayant un impact réel sur l’élaboration du plan Le Code fédéral des États-Unis ne prévoit pas, dans le processus d’élaboration du plan, une consultation des créanciers. sont les créanciers privilégiés, soit, dans la majorité des cas, les fournisseurs et les établissements de crédit. La plupart des créanciers privilégiés seront désintéressés que la procédure tende à la réorganisation ou la liquidation. Ainsi en octroyant un droit de vote aux créanciers titulaires de sûretés, le droit américain favorise également les principaux acteurs économiques. Le législateur français, contrairement au législateur américain, a choisi la transparence en confiant les négociations et le vote du plan aux établissements de crédits et principaux fournisseurs à travers les comités des créanciers, tout en permettant aux autres créanciers d’être consultés. Les comités de créanciers français et les classes de créances américaines diffèrent donc dans leur composition, mais leur vocation est la même : la participation des principaux créanciers à l’élaboration de la proposition du plan. PERSPECTIVES ÉTUDE « aient fait l’objet ou non d’un jugement, liquide ou non-liquide, certaine ou conditionnelle, échue ou non échue, disputée ou non-disputée, légale ou équitable, garantie ou non » (11 U.S.C. section 101 (5)(A)). Cette classification existe dans toutes les procédures de réorganisation américaines, quelle que soit la taille de l’entreprise en difficulté. Le débiteur est libre de déterminer la composition de ces classes, tant que les créances comprises dans une même classe sont substantiellement similaires (11 U.S.C. 1122 (a)). Cette contrainte est destinée à garantir aux créanciers qu’ils seront traités de manière égale et que la décision du débiteur aura les mêmes effets sur chaque créance de la classe concernée. Le Code fédéral se veut libéral envers le débiteur, en autorisant à celui-ci toutes initiatives, à l’exception de la présence obligatoire d’une classe au moins de créances chirographaires (11 U.S.C. 1122 (b)). En présence de cette liberté, le débiteur peut constituer les classes à son avantage en regroupant, au sein d’une même classe, des créanciers amicaux avec d’autres moins coopératifs. Toutefois, le tribunal se fera juge du respect du principe d’égalité existant au sein de chaque classe et du bien-fondé de la classification faite par le débiteur. Outre le classement des différentes créances, le plan doit également préciser si les créances des créanciers regroupés dans une classe subissent une modification par le plan : dans ce cas les classes sont dites « impaired », dans le cas contraire, ces classes seront qualifiées de « unimpaired » (11 U.S.C. 1123 (a) (2)). Cette distinction sera importante lors de l’adoption du plan par les classes des créanciers. En effet, seules les premières pourront s’exprimer, les deuxièmes étant considérées comme ayant accepté le plan. La constitution des classes de créances américaines et des comités de créanciers français repose sur des fondements différents. Le droit américain classe les créanciers selon la nature de leur créance, alors que le droit français les distingue selon leur qualité, favorisant ainsi les établissements de crédit et les fournisseurs, soit les acteurs économiques les plus importants. Le droit français semble favoriser l’implication des acteurs économiques dans le sauvetage de l’entreprise alors que le droit américain favoriserait la participation de tous les créanciers. Or, la composition des classes américaines a un impact économique également important, même s’il est caché. Les créanciers chirographaires ont tout intérêt à B. – La participation des créanciers à l’élaboration de la proposition de plan Les créanciers participent à deux étapes de l’élaboration de la proposition du plan : la consultation (1) et le vote (2). 1. – La consultation des créanciers Le Code fédéral des États-Unis ne prévoit pas, dans le processus d’élaboration du plan, une consultation des créanciers. Les classes de créances ne sont amenées à s’exprimer que par un vote positif ou négatif de la proposition du plan émanant du débiteur. Il en va autrement pour les créanciers chirographaires. La loi impose aux « sept plus importantes créances chirographaires » de composer un comité, le comité des créanciers ou « creditors’committee ». Ce comité qui prend la forme d’une association soumise à l’obligation d’établir des statuts et des règles internes de fonctionnement a plusieurs objectifs. Il a pour mission la surveillance de l’administration et la gestion de la procédure, d’agir dans l’intérêt de ses membres et surtout d’être consulté lors de l’élaboration du plan (Tanger M., op. cit., p. 99). Le comité, en sa qualité de mandataire des différentes classes de créanciers et d’actionnaires, joue un rôle important dans la conception du plan. Il est considéré comme un collaborateur privilégié de l’organe de gestion. Il joue le rôle de conseil auprès des autres créanciers appelés à voter le plan. Il est l’intermédiaire entre le débiteur, ou son représentant, le « trustee » si il est désigné, et les classes des créances. Les autres créanciers peuvent également constituer des comités. Mais vu la lenteur occasionnée par des consultations qui peuvent s’avérer lourdes, seul le comité des créanciers chirographaires est, dans la majorité des cas, constitué. La consultation des créanciers en droit américain est limitée dans un but de rapidité. Seuls les créanciers chirographaires peuvent donner leur avis. Toutefois, dans certains cas si un « trustee » est nommé, si le débiteur n’a pas proposé un plan dans les délais ou si la proposition de ce dernier a été refusée (11 U.S.C. 1121 (c)), les créanciers ont la possibilité de proposer leur propre plan. Or, aucun délai ne limite le temps imparti aux créanciers pour proposer un plan, ce qui peut conduire à des procédures interminables. À l’image des « creditors’committee », le droit français favorise la consultation des créanciers sur la proposition du plan. Toutefois, contrairement au droit américain, la plupart des créanciers sont amenés à s’exprimer. N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 77 L’ I N F L U E N C E D U D R O I T A M É R I C A I N D E L A FA I L L I T E E T L E S C R É A N C I E R S E N D R O I T F R A N Ç A I S : P R É S E N T E T F U T U R Jusqu’à la loi française du 22 octobre 2010 sur la régulation bancaire et financière (L. n° 2010-1249, 22 oct. 2010) tous les créanciers étaient consultés sur la proposition du plan, qu’ils soient membres ou non d’un comité à l’exception des créanciers détenteurs d’une fiducie-sûreté qui pouvaient s’exprimer que pour la partie « de leur créance non assortie d’une telle sûreté » (C. com., art. L. 826-30, al. 4). Les membres des comités sont consultés sur la proposition du plan. Le vote négatif de la proposition de plan par ces derniers entraine l’adoption d’un plan en l’absence des comités des créanciers. Pour éviter un tel refus, leur consultation en amont s’avérait nécessaire. Ils peuvent ainsi influencer plus ou moins le contenu du plan (C. com., art. L. 626-34). À l’issue de cette consultation, il revient au débiteur de modifier sa proposition de plan, nouvelle proposition qui sera soumise aux autres créanciers. Les créanciers qui ne sont pas membres des comités de créanciers, ainsi que « les créanciers bénéficiaires d’une fiducie constituée à titre de garantie par le débiteur », sont de leur côté consultés selon les articles L. 626-5 et L. 626-6 du Code de commerce (Lebel Ch., Les plans de sauvegarde et de redressement dans l’ordonnance du 18 décembre 2008, Gaz. Pal. 6 mars 2009, p. 46) : le mandataire ju- diciaire recueille collectivement ou individuellement l’accord des créanciers qui ont déclaré leurs créances. Le caractère individuel de la consultation demeure même si la tonalité de la réaction collective est un paramètre important pour le tribunal qui statue sur le plan (Jeantin M. et Le Cannu P., Entreprises en difficulté, Dalloz, 7e éd., 2007, n° 871). Par la loi de 2010, le législateur généralise la situation juridique qui était celle du créancier détenteur d’une fiduciesûreté à tous les créanciers. En effet, le dernier alinéa de l’article L. 626-5 du Code de commerce dispose que : « Le mandataire judiciaire n’est pas tenu de consulter les créanciers pour lesquels le projet de plan ne modifie pas les modalités de paiement ou prévoir un paiement intégral en numéraire dès l’arrêté du plan ou dès l’admission de leurs créances ». De même, en présence de comités de créanciers, le dernier alinéa de l’article L. 626-30-2 précise que : « Ne prennent pas part au vote les créanciers pour lesquels le projet de plan ne prévoit pas de modification des modalités de paiement ou prévoit un paiement intégral en numéraire dès l’arrêté du plan ou dès l’admission de leurs créances ». Cette disposition rappelle la distinction existante en droit américain entre les 78 classes dites « unimpaired » supposées avoir accepté le plan sans être consultés et les classes dites « impaired ». Cette solution semble en effet tout à fait logique et permet un gain de temps non négligeable dans une procédure de sauvegarde. La consultation des créanciers constitue un laps de temps important de la procédure. Cependant, cette nouvelle disposition semble empêcher qu’un créancier exclu de la consultation puisse accorder un délai ou une remise que l’on ne lui aurait pas réclamé. Il reviendrait donc au débiteur de se rapprocher de ses créanciers avant de proposer un plan pour savoir si ces derniers accepteraient une remise ou un délai. Dans l’affirmative, le débiteur joindrait à sa proposition du plan l’avis du créancier. Cette possibilité aurait l’avantage d’être plus rapide que de passer par le mandataire judiciaire. 2. – Le vote des créanciers Avant tout vote des créanciers, le droit américain prévoit la remise d’informations relatives au débiteur afin d’éclairer leur vote (11 U.S.C. 1125). Ainsi les créanciers se voient informés sur « la situation économique et financière de l’entreprise en réorganisation, grâce à un bilan rétrospectif, mais aussi aux techniques prospectives contenues dans le projet de plan » (Tanger M., op. cit., p. 402). Avant toute communication, le débiteur soumis au droit américain présente au tribunal une déclaration de divulgation ou « disclosure statement » regroupant toutes les informations permettant à un investisseur raisonnable de voter sur le plan de manière la plus éclairée possible (Affaire Metrocraft Publishing Services, Inc., 39 BR 567, 568 Bankr. N.D. Ga. 1983. Cette décision liste dix-neuf facteurs permettant d’évaluer le caractère adéquat des informations divulguées). Une fois ce document remis au tribunal, ce dernier tiendra une audience après convocation du débiteur, des créanciers et des autres parties intéressées au moins vingt-cinq jours avant (Fed. R. Bankr. P. 3017).Le tribunal fixera ensuite le délai pendant lequel les créanciers pourront voter soit en faveur, soit contre le plan. Cette période est comprise entre quarante-cinq et soixante jours. De même, le droit français prévoit un bilan économique, social et environnemental dressé par l’administrateur avec le concours du débiteur et l’assistance d’un ou plusieurs experts (C. com., art. L. 623-1). Ce bilan comprend diverses informations relatives à la situation financière du débiteur, aux perspectives d’emploi et aux conditions sociales envisagées pour la survie de l’entreprise. Le bilan est déposé R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 par la suite au greffe et est accessible à tout créancier. Au vu de ces multiples informations, les créanciers sont amenés à se prononcer sur la proposition du plan par un vote. Les créanciers américains ont trente jours pour s’exprimer. Le droit français avait repris ce délai en 2005, pour le modifier en 2008. Comme le souligne le rapport au président de la République (JORF n° 0295, 19 déc. 2008, p. 19457, texte n° 28) « le calendrier fixé pour conduire les opérations, qui s’est parfois avéré inadapté à la conduite des négociations en raison de sa rigidité, a été supprimé. Sous réserve du maintien d’un délai de réflexion minimum entre la transmission des propositions du débiteur et le vote, il est désormais seulement prévu que les comités de créanciers doivent adopter un projet de plan dans les six mois de l’ouverture de la procédure » (C. com., art. L. 626-30 et L. 626-34). En droit français comme en droit américain, seuls les créanciers affectés par le plan sont désormais amenés à se prononcer sur ce dernier (11 U.S.C 1126 et C. com., art. L. 626-30-2) La distinction entre les classes de créances dites « impaired » et « unimpaired », en droit américain, est d’autant plus importante à ce moment de la procédure que le plan ne pourra faire l’objet d’une homologation que si au moins une classe composée de créances « impaired » a accepté le plan. Bien qu’en droit français, le vote du plan s’applique à une catégorie de créanciers beaucoup plus réduite, puisque seuls les créanciers membres des comités de créanciers et, le cas échéant, l’assemblée des obligataires, sont amenés à voter le plan proposé (C. com., art. L. 626-30-2 et L. 626-32), les modalités de vote des créanciers en droits américain et français sont très similaires. En effet, la réforme de 2005 reprenait les modalités de vote du droit américain en disposant que le plan est considéré accepté par les comités des créanciers si la majorité de ses membres, représentant au moins les deux tiers du montant des créances de l’ensemble du comité avait voté en faveur du plan proposé. Le droit américain applique cette double majorité (11 U.S.C. 1126 (c)). Toutefois, le droit français, dans le but d’alléger le processus, a modifié les conditions d’acceptation du plan. Désormais, depuis 2008, une simple majorité est requise en droit français : la « majorité des deux tiers du montant des créances détenues par les membres » pour chaque comité (C. com., art. L. 626-30-2, al. 4). De plus, cette majorité ne s’apprécie plus par rapport au montant des créances de l’ensemble des membres du comité, mais par rap- L’étude comparative de la situation des créanciers au cours de la phase d’élaboration de la proposition du plan est instructive quant à la compréhension du système américain mais également pour envisager en droit français des innovations inspirées du droit américain. Revoir la classification des créanciers selon la nature de la créance a été souhaité à plusieurs reprises (Montéran T., Pour améliorer en droit américain pourront se retrouver devant les tribunaux français. Ainsi le juge devra vérifier que le débiteur ne classe pas les créances de manière trop large afin d’obtenir une majorité en leur sein. En effet, plus le nombre de classes est faible, plus les chances d’avoir un refus d’une classe sont limitées. De même, le débiteur peut être amené à déterminer un nombre important de classes dites non affectées (unimpaired) afin que les classes concernées par les modifications apportées par le plan soient en minorité et qu’un refus des créanciers concernés ne soit pas un obstacle insurmontable pour la confirmation du plan par le tribunal : dans le cadre d’une procédure régie par le Chapitre 11, le juge a, en effet, la possibilité d’imposer un plan rejeté par une ou plusieurs classes de créances si ce plan s’avère être viable. Cette modification aurait l’avantage de limiter les refus d’un plan par un comité mais une telle réforme « ferait “table rase” de la pratique de la sauvegarde telle que mise en œuvre depuis presque 6 ans » (Le Guer- le droit des entreprises en difficulté, osons la réforme, Gaz. Pal. 23 et 24 janv. 2008, p. 8), notamment lors de nevé L. et Morelli N., Les nouveaux enjeux des comités de créanciers, Cah. dr entr. 2011, Fasc. 4, p. 6). II. – INNOVATIONS D’INSPIRATION AMÉRICAINE ENVISAGEABLES La situation des créanciers telle qu’existant en droit américain demeure une source d’inspiration pour le législateur. L’étude de nombreuses notions propres au droit anglo-saxon ou américain mériterait d’être menée en vue d’une éventuelle adaptation en droit français. Cet article se limitera à l’étude de quelques unes d’entre elles. A.– Une classification homogène des créanciers l’élaboration du projet de loi de 2010. Des classes de créanciers homogènes créées en fonction des spécificités du dossier auraient pu voir le jour. Cette idée, par manque de temps, a été rejetée (Dammann R. et Podeur G., Sauvegarde financière : le « prepack » à la française », D. 2010, p. 2504). L’absence d’une classification homogène des créanciers en droit français peut conduire les créanciers chirographaires membres d’un comité à imposer à des créanciers titulaires de sûretés des abandons ou des conversions de créances affectant la valeur de leurs sûretés. Le législateur, dans le cadre d’une future réforme, pourrait envisager d’adapter la classification américaine en prenant en compte la distinction existant en droit américain entre les classes « impaired » et les classes « unimpaired ». L’adoption d’une telle réforme emporterait nécessairement une responsabilité accrue pour le tribunal qui, au moment de l’arrêté du plan, devra être particulièrement attentif à ce qu’aucun créancier ne soit lésé (Besse A. et Morelli N., Le prepackaged plan à la française : pour une saine utilisation de la procédure de sauvegarde, JCP E 2009, I, n° 25, p. 1628). Ainsi il existerait des classes ou comités amenés à voter le plan alors que d’autres seraient présumés l’avoir accepté, sans être au préalable consultés. De plus, il pourrait laisser au débiteur la liberté de déterminer leur composition, sachant que le juge aura un devoir de contrôle lors de l’approbation du plan sur cette dernière. En effet, les mêmes difficultés que celles observées PERSPECTIVES ÉTUDE port au montant des créances détenues par les membres ayant exprimé un vote. Les créanciers les plus importants s’en voient avantagés. Cette nouvelle règle s’applique désormais aussi à l’assemblée des obligataires. Cette différence entre les modalités d’acceptation du vote se justifie. Selon le droit américain, les classes des créanciers ne peuvent que refuser ou accepter le plan proposé. Elles ne sont pas appelées à donner leur avis sur ce dernier. De plus, le refus d’un plan par les créanciers ne les exclut pas pour l’avenir de la procédure d’adoption d’un plan de réorganisation. Ils ont, au contraire, de nouvelles prérogatives puisqu’ils peuvent proposer eux-mêmes un plan. L’inconvénient d’une telle faculté est une prolongation de la procédure. En droit français, la conséquence du refus d’un plan par l’un des comités de créanciers ou l’assemblée des obligataires est tout autre : les comités et assemblées seront dissous et un nouveau plan sera proposé sans leur intervention (C. com., art. L. 626-34). Le vote positif des comités de créanciers et de l’assemblée des obligataires est recherché de suite. Il est donc important de faciliter l’acceptation du plan proposé. Enfin, favoriser les « gros » créanciers par un vote à la simple majorité revient à encourager leur participation au sauvetage de l’entreprise. Un tel sauvetage serait impossible sans l’implication de ces derniers. L’objectif recherché par la procédure américaine et par la procédure française est donc le même : parvenir au vote d’un plan par les créanciers. L’implication des créanciers dans la phase d’élaboration du plan est un élément-clé pour les législateurs. Le sauvetage de l’entreprise doit être le fruit d’un accord entre le débiteur et les créanciers. Le mode de fonctionnement des comités de créanciers en France reflète l’influence américaine de manière intéressante. Les comités de créanciers français sont, en effet, une combinaison des classes des créances par leur composition et leurs modalités de vote et des comités des créanciers américains (Creditors’comittee) pour leur rôle de consultation lors de l’élaboration du plan. Les créanciers sont désormais au cœur de la procédure. En droit français, ce tournant vers un plus grand libéralisme est à remarquer. Les créanciers, impliqués de la sorte, sont responsables de l’avenir de l’entreprise et surtout de l’avenir de leur créance. Le droit français, tout comme le droit américain, favorise désormais cet aspect afin de rendre les procédures de réorganisation françaises attractives tant pour le débiteur que pour les créanciers. B.– L’introduction du « Best Interest Test » Dans le cadre d’une procédure du Chapitre 11, la section 1129 (a) du Code fédéral pose treize conditions à la confirmation du plan par le tribunal (Broude R. F., Reorganizations under Chapter 11 of Bankruptcy Code, ALM Properties inc. Law Journal Press, 2005, 12-19). Parmi ces conditions, l’une prévoit que les créanciers devront recevoir dans le cadre de la procédure de réorganisation au moins l’équivalent de ce qu’ils auraient reçu en cas d’ouverture d’une procédure de liquidation du chapitre VII (11 U.S.C. 1129 (a) (7)). Cette recherche du meilleur intérêt des créanciers prend le nom de « Best Interest of Creditors Test » ou le « Best Interest Test » en droit américain. Le « Best Interest Test » a pour objectif de protéger les créanciers réticents à l’adoption d’un plan imposée par la majorité au sein d’une classe. Ainsi la règle s’applique à tous les créanciers membres d’une classe dite « impaired » qui n’ont pas accepté le plan. À cette règle, il existe une exception : le créancier titulaire d’une sûreté, qui n’est pas suffisante pour couvrir la totalité de la créance, a la possibilité de réclamer la partie de la créance qui n’est pas garantie. Si le créancier ne revendique pas ce droit, il devra obtenir par le plan au moins la valeur de la part garantie de la créance pour que l’exigence du « Best Interest Test » soit considérée comme N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 79 L’ I N F L U E N C E D U D R O I T A M É R I C A I N D E L A FA I L L I T E E T L E S C R É A N C I E R S E N D R O I T F R A N Ç A I S : P R É S E N T E T F U T U R satisfaite (Reorganization Plan : Best Interest of Creditors on http://bankruptcy.lawyers.com/commercial-bankruptcy/ Reorganization-Plan-Best-Interest-of-Creditors.html). En droit français, l’article L. 626-31 du Code de commerce prévoit une protection des créanciers par le tribunal qui reste floue : le tribunal ne peut arrêter le plan qu’après s’être assuré « que les intérêts de tous les créanciers sont suffisamment protégés ». Il s’agit d’un souci d’équité « au sens où les sacrifices demandés aux créanciers et acceptés par la majorité d’entre eux ne doivent pas traduire la brutalité d’une majorité qui impose sa loi à des minoritaires qui subissent des atteintes à leurs droits pour la simple raison qu’ils sont minoritaires » (Lucas F.-X., Le plan de sauvegarde apprêté ou le prepackaged plan à la française, Cah. Dr entr. 2009, Fasc. 5, p. 41). Les différences de traitement des créanciers imposées par le plan doivent être justifiées par les différences de situation existant entre eux (C. com., art. L. 626-30-2, al. 2). L’approche américaine est concevable en droit français pour offrir aux créanciers une certaine assurance de paiement. Certains auteurs considèrent que la notion de « Best Interest Test » a déjà été adoptée en droit français en matière de fiducie-sûreté (C. com., art. L. 626-30, al. 4). Ces créanciers ne votent qu’à concurrence des montants de leurs créances non assorties d’une telle sûreté. Ils sont assurés de recouvrer au moins le montant de leur créance garantie par une fiducie (Dammann R. et Podeur G., Les sûretés-propriété face au plan de sauvegarde, D. 2008, p. 928). Le droit français pourrait aller plus loin et offrir cette protection à tous les créanciers membres des comités qui ont voté contre l’acceptation du plan afin d’éviter aux créanciers dont la créance est altérée par le plan une soumission aux créanciers majoritaires. De plus, ce test correspond à une réalité et peut facilement être mis en place. En effet, l’article L. 626-31 du Code de commerce est imprécis en ce qu’il est difficile de déterminer ce que signifie « suffisamment protégés ». L’intérêt d’une telle règle est qu’elle est concrète et qu’elle limiterait des doutes et donc l’insécurité juridique. C.– La protection des créanciers chirographaires : un retour à la masse des créanciers ? Parmi les procédés existant en droit américain de la faillite permettant une protection adéquate des intérêts des créanciers chirographaires, deux attirent notre attention. Il s’agit tout d’abord de la création d’une masse de la faillite regroupant les actifs de la masse (1), et de l’existence d’un comité composé de créanciers chirographaires dont la fonction est de 80 surveiller la gestion de l’entreprise par le débiteur dans l’intérêt collectif des créanciers chirographaires (2). La comparaison de ces entités en droit français rappelle la masse des créanciers existant sous l’empire de la loi du 13 juillet 1967 (L. n° 67-563, 13 juill. 1967). 1.– Création d’une masse de la faillite L’ouverture d’une procédure de faillite aux États-Unis entraine la création automatique de la masse des actifs de la faillite ou le « Bankruptcy estate ». Sa vocation est de geler les biens et droits du débiteur mis en œuvre dans le règlement de la procédure. La section 541(a)(1) du Code de la faillite dispose que la masse est constituée de « tous les droits légaux et de fait dont le débiteur a la propriété au commencement de la procédure », La masse ne concerne que « les biens existants au jour de la constitution de la masse et à ceux qui y sont introduits par une cause d’évolution interne de la masse » ( Van Gysel, Les masses de liquidation en droit privé : Faillites – successions – communautés – sociétés, Collection de la Faculté de Droit de l’Université de Bruxelles 1994, p. 334). Ils sont ainsi placés pour cela entre les mains du tribunal afin d’être gérés par un « trustee » conformément aux lois de la faillite, dans l’intérêt des créanciers chirographaires. Dans le cadre d’une procédure de réorganisation, le débiteur n’est pas dessaisi de ses biens. Il doit en conséquent agir dans un intérêt autre que celui personnel. Sa gestion doit être respectueuse de l’intérêt collectif des créanciers chirographaires du débiteur, ayant un droit de gage général sur le patrimoine du débiteur. Les biens sont affectés au règlement de la procédure, le débiteur ne peut plus en jouir librement et pour son propre compte. Ils constituent le gage commun des créanciers. Le droit américain confie ainsi deux rôles à la masse de la faillite : dessaisir le débiteur et réaliser la « socialisation des avoirs du créanciers » (Tanger M., op. cit., p. 107). Elle entraine donc une restriction des prérogatives du débiteur sur ses biens. Dans l’hypothèse où le débiteur est une personne physique, il se retrouve ainsi à la tête de deux masses : un patrimoine affecté et un patrimoine indisponible. Le droit fédéral créerait donc au moment de la faillite un patrimoine d’affectation de l’entreprise individuelle. Une telle conception existait sous la loi du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire et la liquidation des biens. L’ouverture d’une faillite avait pour effet de regrouper les créanciers, à l’exception de ceux qui étaient titulaires de privilèges et de sûretés, sous l’entité de masse des R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 créanciers. Cette masse exerçait une sorte de mainmise sur le patrimoine du débiteur, lequel était désormais géré par le syndic dans l’intérêt collectif et égalitaire des créanciers de la masse. Contrairement au droit américain, la masse de la faillite ne représentait pas la collectivité des créanciers, soit le passif, mais l’ensemble patrimonial soumis à leurs droits, c’est-à-dire l’actif. Dans le cadre d’une procédure de règlement judiciaire, le débiteur pouvait être maintenu à la tête de son entreprise mais se trouvait soumis à un contrôle judiciaire, placé sous la tutelle du syndic. Il perdait ainsi la libre administration et la libre disposition de ses biens (De Juglart M. et Ippolito B., Droit commercial – Règlement judiciaire et liquidation des biens – Faillite personnelle – Suspension provisoire des poursuites, Montchrestien, 2e éd., 1977). La masse avait la personnalité morale et disposait de certaines prérogatives comme l’exercice dans l’intérêt collectif des droits appartenant aux créanciers paralysés par l’arrêt des poursuites. Elle se voyait dotée de droits propres pour mener les actions visant à accroître l’actif commun. Elle jouissait également d’une hypothèque légale sur tous les biens du débiteur présents et futurs garantissant le paiement de ceux des créanciers dont elle prenait la charge, à savoir les créanciers de la masse. La masse des créanciers fut abolie par la loi du 25 janvier 1985 (L. n° 85-98, 25 janv. 1985) en raison de la complexité du concept et de la volonté du législateur de séparer l’homme de l’entreprise. Aujourd’hui, le corollaire à la création de la masse est l’« arrêt des poursuites des créanciers, règle qui est destinée à soustraire les biens affectés dans la masse aux actions individuelles des créanciers afin de favoriser la réalisation des objectifs collectifs et d’intérêt général de la faillite » (Tanger M., op. cit., p. 103) tel que prévoit l’article L. 622-21 du Code de commerce. L’année 2010 marque un tournant dans la conception du patrimoine concerné par une procédure collective ouverte à l’encontre d’un entrepreneur individuel, consacrant l’effet réel de la procédure (L. n° 2010-658, 15 juin 2010, créant le statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) ; Sénéchal M., Effet réel de la procédure collective, essai sur la saisie collective du gage commun des créanciers, éd. Litec, Bibl. Dr Entr., 2002 ; Saintourens B., L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Commentaire de la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, Rev. sociétés 2010, p. 351 ; Dubuisson E., Projet de loi relatif à l’EIRL, comprendre la technique et les enjeux, JCP N 2010, I, p. 27). Jusque là, le principe d’unicité du patrimoine prévalait. Les créanciers avaient un gage sur les biens professionnels et personnels du débiteur y compris les biens que ce (Cass. com., 16 mars 2010, n° 08-13.147, Bull. civ. IV, n° 55) consacre l’effet réel de la procédure collective en décidant qu’un bien dépendant de la liquidation judiciaire d’un débiteur fait partie de manière exclusive de cette procédure et ne peut donc être appréhendé par le liquidateur nommé ultérieurement dans la procédure ouverte contre son conjoint. « Il en résulte que le juge-commissaire, qui autorise la vente d’un immeuble commun à deux époux, alors que, par l’effet réel de la liquidation judiciaire précédemment ouverte contre l’un des époux, l’immeuble était déjà inclus dans cette liquidation, excède ses pouvoir » (Lucas F.-X. et Le Corre P.-M., Droit des entreprises en difficulté, septembre 2009 – avril 2010, D. 2010, p. 1820). La Cour de cassation réitère cette solution le 16 novembre 2010 en jugeant que « les salaires d’un époux marié sous un régime de communauté sont des biens communs frappés par la saisie collective au profit des créanciers de l’époux mis en procédure collective qui ne peuvent être saisis, pendant la durée de celle-ci, au profit d’un créancier de l’époux, maître de ses biens » (Cass. com., 16 nov. 2010, n° 09-68.459, Bull. civ. IV, n° 176). Cette jurisprudence rappelle fortement la notion d’« estate » existant en droit américain en permettant au jugement d’ouverture d’une procédure collective de confier à celle-ci un effet réel immédiat. L’effet réel de la procédure collective ouverte à l’encontre d’une personne physique fait l’objet d’une consécration législative par la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 créant le statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) alignant la situation de l’entrepreneur individuel sur celle des associés dans les sociétés à responsabilité limitée (Saintourens B., L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Commentaire de la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, Rev. sociétés 2010, p. 351). Cette loi qualifiée de « bombe juridique » (Dubuisson E., JCP N 2010 préc.) prévoit la séparation du patrimoine de l’entrepreneur entre son patrimoine personnel et son patrimoine professionnel. Les biens affectés à l’activité professionnelle constituent les seuls gages des créanciers professionnels. Les biens compris dans un patrimoine d’affectation ne peuvent concerner plusieurs activités du débiteur. Ainsi autant de procédures collectives peuvent être ouvertes à l’encontre de l’EIRL qu’il possède de patrimoines d’affectation relatifs à des activités distinctes. L’objectif de la loi est de « favoriser l’initiative individuelle et l’esprit d’entreprise tout en protégeant l’entreprise et sa famille contre les risques liés à l’exercice d’une activité professionnelle » (Leroyer A.-M., Entrepreneur individuel à responsabilité limitée, RTD civ. 2010, p. 632). La création de cette nouvelle en- tité a nécessité l’insertion dans le Code de commerce d’un nouveau Titre VIII au Livre VI intitulé : « Dispositions particulières à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée » (Ord. n° 2010-1512, 9 déc. 2010, cf. Lienhard A., EIRL : adaptation du droit des procédures collectives, D. 2010, p. 2903). Celle-ci a notamment créé une action en réunion des patrimoines pour confusion des patrimoines ou en cas de fraude ; frappe de nullité les affectations et les modifications d’affectations de biens réalisées au cours de la période suspecte dans le seul but de les soustraire à l’actif ; permet, en cas de fraude, la reprise des poursuites individuelles sur le patrimoine affecté après clôture de la procédure pour insuffisance d’actifs Le droit français peut cependant aller plus loin et confier la masse à un tiers comme le « trustee » en droit américain. Elle serait entre les mains du débiteur dans le cadre d’une procédure de réorganisation, ou d’un administrateur en cas de dessaisissement du débiteur. et crée un mécanisme de coordination des procédures collectives et du traitement de surendettement des particuliers (cf. Legrand, L’EIRL pourra-t-il prétendre à une procédure de surendettement ?, D. 2010, p. 2385). Les princi- pales conséquences sont la nécessité de renoncer au caractère personnel de la procédure collective pour adopter un caractère patrimonial et de limiter l’état de cessation des paiements aux éléments incorporés dans le patrimoine affecté à l’activité. La loi de 2010 consacre l’effet réel de la procédure collective, tout en modifiant la conception patrimoniale de la procédure en dérogeant à la notion d’unité du patrimoine. Il est désormais possible d’affecter un ensemble de biens déterminés à l’activité de l’entreprise d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée : celui-ci peut affecter une partie de ses biens à son activité et n’est alors tenu que sur ceux-ci vis-à-vis de ses créanciers professionnels. PERSPECTIVES ÉTUDE dernier possède en commun avec son conjoint ou en indivision. En effet, par un arrêt du 16 mars 2010, la chambre commerciale de la Cour de cassation La nouvelle disposition permet un rapprochement intéressant entre le droit français des entreprises en difficulté et le droit américain de la faillite. L’étude de la notion de masse de la faillite telle qu’elle existe en droit américain pourrait inspirer le législateur français. En effet, elle démontre un intérêt pour les créanciers chirographaires, les biens du débiteur étant protégés. Ces créanciers, contrairement aux créanciers titulaires de sûretés, ne détiennent aucun droit sur les biens du débiteur et sont de la sorte fragilisés lors de la réalisation de l’actif. Le droit français peut cependant aller plus loin et confier la masse à un tiers comme le « trustee » en droit américain. Elle serait entre les mains du débiteur dans le cadre d’une procédure de réorganisation, ou d’un administrateur en cas de dessaisissement du débiteur. La mission de ce « gardien de la masse » serait plus importante que celle actuelle limitée à la simple disposition et l’administration des biens de l’entreprise en difficulté (C. com., art. L. 622-1). Le détenteur de la masse aurait pour mission de faire fructifier son contenu dans l’intérêt des créanciers. Le débiteur ou le syndic pourrait, tout comme le « debtor in possession » ou le « trustee » américains, vendre ou acheter des biens si l’opération entre dans la continuité normale de l’activité de l’entreprise. Pour les autres opérations, une permission du tribunal serait requise. Le contrôle de ces opérations est effectué en droit américain par le comité des créanciers. L’adaptation en droit français d’un tel comité, qui contrôlerait les opérations effectuées par le débiteur, mérite ainsi une étude particulière. 2.– Création d’une entité représentant les créanciers chirographaires Dans le cadre d’une procédure de faillite soumise au droit américain, l’« US Trustee », agent gouvernemental nommé par le procureur général au sein de chaque district judiciaire fédéral, ou groupe de districts, a deux fonctions : d’une part, il représente les intérêts du gouvernement à l’image du ministère public français, et, d’autre part, il s’assure que la protection des intérêts des créanciers ou de toute autre partie intéressée soit effective. Parmi les créanciers, l’« US Trustee » assure tout particulièrement la protection des intérêts des créanciers les plus affectés par l’ouverture d’une procédure de faillite, c’est-à-dire les créanciers chirographaires. Ces derniers ressortent généralement sans un denier d’une procédure de liquidation et sont les derniers satisfaits à la suite d’une N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 81 L’ I N F L U E N C E D U D R O I T A M É R I C A I N D E L A FA I L L I T E E T L E S C R É A N C I E R S E N D R O I T F R A N Ç A I S : P R É S E N T E T F U T U R procédure de réorganisation. Le Code de la faillite prévoit ainsi la désignation obligatoire, par l’« US Trustee », d’un comité de créanciers, constitué d’au moins sept créanciers détenant les plus grosses créances chirographaires, agissant dans l’intérêt de ces derniers : le « creditors’committee » (11 U.S.C. § 1102 (a) (1)). Cette désignation repose sur le volontariat. Si aucun créancier désigné ne souhaite faire partie du comité, aucun comité ne sera formé. Dans cette hypothèse, l’« US Trustee » jouera un rôle plus actif dans la défense des intérêts des créanciers chirographaires. L’« US Trustee » est libre de désigner autant de comités de créanciers additionnels qu’il le souhaite (11 U.S.C. 1102 (a) (2)). Ces comités défendront les intérêts collectifs de la catégorie de créanciers qu’ils représentent. Mais compte tenu du coût et de la lenteur occasionnés par l’existence de multiples comités, cette possibilité est rarement mise en œuvre. De plus, dans le cadre d’une faillite ouverte à l’encontre d’une petite entreprise toute partie intéressée peut demander au tribunal de ne pas en désigner (la section 101 (51D) du Code de la faillite définit un « small business » comme la société dont la somme des dettes conclues dans le cadre d’une activité commerciale, autres que les dettes liées à un droit de propriété, n’excède pas deux millions de dollars). Le rôle de ces comités est très large. Ils consultent la personne en charge de la gestion de l’entreprise, le « debtor in possession » ou le « trustee », sur les différentes opérations effectuées. Ils peuvent demander la nomination d’un « trustee » s’ils ont des doutes sur les compétences ou l’honnêteté du débiteur. Ils veillent, de manière générale, à la bonne gestion 82 de l’entreprise. Ils participent également à l’élaboration du plan. De plus, les « creditors’committees » peuvent intenter une action en leur nom dans l’intérêt collectif des créanciers qu’ils représentent. Ils exercent de la sorte une fonction disciplinaire, de coordination et de conseil auprès de leurs représentés. Cette entité présente en droit américain est proche du concept de contrôleurs en droit français, à la différence que ces derniers agissent dans l’intérêt collectif de l’ensemble des créanciers dans la seule hypothèse où le mandataire judiciaire ne le fait pas. Le « creditors’committee » offre aux créanciers chirographaires une plus grande protection de leurs intérêts et une participation dans le sauvetage de l’entreprise. Pourquoi ne pas offrir aux créanciers chirographaires soumis au droit français les mêmes prérogatives ? Il est vrai que cela s’apparenterait également à un retour à une masse des créanciers qui concernait également les créanciers démunis de tout privilège ou sûreté. Cette entité aurait la personnalité morale et la possibilité d’ester en justice dans l’intérêt des créanciers chirographaires. Elle devrait exister dans le cadre d’une procédure de réorganisation ou de liquidation. Tout comme en droit américain, il pourrait être envisagé qu’elle ne soit pas obligatoire dans le cadre d’une procédure de sauvegarde financière accélérée dans un but d’effectivité et de célérité de la procédure. Au sein des comités de créanciers français, les créanciers chirographaires seraient ainsi protégés contre le poids des créanciers titulaires de sûretés et des délais ou remises pourraient R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 leur être imposés que si cela respecte l’intérêt général de tous les créanciers chirographaires. Dans l’état actuel du droit français des entreprises en difficulté, il ne s’avère pas nécessaire de constituer une telle représentation pour les créanciers chirographaires non membres des comités de créanciers, ces derniers étant consultés individuellement. Cependant, en cas d’adoption d’une classification américaine des créanciers reposant sur la nature des créances au lieu de la qualité des créanciers, l’« importation » d’une telle notion serait recommandée. Les créanciers chirographaires étant les derniers de la liste des créanciers à recouvrer leur créance, ils méritent une protection particulière. D’un point de vue économique, l’absence de prise en compte des intérêts des créanciers chirographaires remettrait en cause le recours au crédit. Tous les prêteurs exigeraient des garanties de plus en plus importantes et donc coûteuses dans l’hypothèse de l’ouverture d’une procédure collective. L’influence du droit américain est, depuis 1985, présente en droit des entreprises en difficulté avec l’introduction du plan de redressement. Bien qu’elle fût discrète à son origine, elle est aujourd’hui assumée avec la constitution des comités de créanciers. Cependant le législateur français peut souhaiter limiter cette influence à une inspiration et l’adapter à la conception française des affaires, comme nous le démontre l’analyse des comités de créanciers. L’étude du droit américain mérite d’être poursuivie pour comprendre ce droit qui inspire de nombreuses autres législations. ◆ RLDA PERSPECTIVES ÉTUDE 3943 La cession de créances s’est imposée comme une pratique incontournable du crédit. Des lois successives ont facilité le recours aux modes simplifiés de cession de créances, qui tranchent avec le formalisme de l’article 1690 du Code civil. Le silence du législateur sur le caractère obligatoire de ces modes de cession simplifiés dans leur champ d’application a donné lieu à un contentieux, même s’il est clair qu’il serait paradoxal que ces dispositifs dits de simplification du crédit engendrent une contrainte supplémentaire en pratique. Tel est le contexte dans lequel s’inscrit l’arrêt du 6 décembre 2011 (Cass. com., 6 déc. 2011, n° 10-24.353, P+B). Cession des créances d’un organisme de titrisation selon les formalités de l’article 1690 du Code civil Par Christophe GARCIA Avocat à la Cour Olswang France LLP Et Alex BEBE EPALE Doctorant à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne) Pour tout créancier qui souhaite transporter ses créances, le choix du mode de cession est une question récurrente. Quel doit-être le critère de choix entre les régimes spéciaux de cession de créances tels que la loi « Dailly » ou le bordereau mentionné à l’article L. 214-43 du Code monétaire et financier et le régime de droit commun de l’article 1690 du Code civil ? Ces régimes spéciaux sont-ils obligatoires, ou laissent-ils la possibilité de recourir au mode de cession prévu par le Code civil ? Ces questions ne sont pas nouvelles, mais par l’arrêt commenté, la Cour de cassation apporte une clarification qui devrait mettre un terme à un contentieux qui puise en réalité sa source dans l’insuffisance de l’article L. 214-43, alinéa 8, du Code monétaire et financier dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2008-556 du 13 juin 2008. Même si elle imprime une certaine souplesse, cette jurisprudence ne sera probablement pas très sollicitée en matière de titrisation. En l’espèce, une personne physique s’était portée caution au profit d’une banque, des sommes dues à cette dernière par une société au titre d’un concours financier. Ces créances ont été cédées à un fonds commun de créances (FCC ; l’ordonnance n° 2008-556 du 13 juin 2008 transposant la directive n° 2005/68/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2005 relative à la réassurance a réformé le cadre juridique des fonds communs de créances en les désignant désormais sous le nom de fonds commun de titrisation) en 2000, qui les a lui-même cédées en 2005 à une société spécialisée dans le rachat de créances contentieuses. En 2007, la société cessionnaire a fait signifier cette cession à la caution conformément à l’article 1690 du Code civil, et lui a fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente (il convient de préciser que préalablement à la cession de créances intervenue entre le FCC et la société cessionnaire, la caution avait été condamnée, en cette qualité, à payer à la banque une certaine somme). La caution a contesté la validité de la cession de créances intervenue entre le FCC et la société cessionnaire, arguant qu’elle n’avait pas été réalisée sur la base du bordereau prévu à l’article L. 214-43 du Code monétaire et financier, l’intérêt étant évidemment de faire constater l’irrégularité du commandement. Dans cette affaire, il n’est pas contestable que l’article L. 214-43 du Code monétaire et financier devait être appliqué dans sa version antérieure à l’ordonnance de 2008 précitée. Il fallait donc appliquer ce texte dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003. Or l’alinéa 8 de l’article L. 214-43 prévoyait ceci, en ce qui concerne la cession des créances d’un FCC (sur les débats liés à la qualification du transfert de créances comprises dans un FCC, cf. Billiau M., La transmission des créances et des dettes, LGDJ, 2002, p. 69 ; Le Cannu P., Granier Th. et Routier R., Droit commercial, Instruments de paiement et de crédit, Titrisation, Précis Dalloz, 8e éd., 2010 ; ou à un FCC) : « la cession des créances s’effectue par la seule remise d’un bordereau dont les énonciations sont fixées par décret. Celle-ci prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau lors de sa remise, quelle que soit la date de naissance, d’échéance ou d’exigibilité des créances, sans qu’il soit besoin d’autre formalité (…) ». En clair, ce texte spécial ne prévoyait pas la possibilité de recourir au régime de droit commun de l’article 1690 du Code civil. La Cour de cassation elle-même avait déjà eu l’occasion de souligner l’importance de ce bordereau en matière de cession des créances à un FCC. Dans une affaire dans laquelle était justement impliqués l’ancien Crédit martiniquais (devenu Société financière du forum) et le même FCC que dans l’arrêt commenté, des créances avaient été cédées à ce fonds par acte notarié, sans l’établissement du bordereau. Les banques qui avaient été chargées du recouvrement ont agi contre la caution du débiteur cédé. La cour d’appel avait considéré que l’attestation notariée pouvait valablement se substituer à la production du bordereau de cession. La Cour de cassation a cassé cet arrêt, jugeant qu’en l’absence de production du bordereau de cession de créances au fonds commun de créances, la cession n’était pas opposable aux tiers, ce dont il résulte que la banque chargée du recouvrement n’avait pas qualité à agir comme mandataire du cédant pour demander paiement à la caution du débiteur cédé sur la base de documents qu’elle ne présentait pas N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 83 C E S S I O N D E S C R É A N C E S D ’ U N O R G A N I S M E D E T I T R I S AT I O N S E LO N L E S F O R M A L I T É S D E L’ A R T I C L E 16 9 0 D U C O D E C I V I L (Cass. com., 13 févr. 2007, n° 03-11.025, Bull. civ. IV, n° 33, JCP G 2007, IV, 1591, note Gangi F., Dr. sociétés août 2007, comm. 163, note Bonneau Th.). Au fond, cet arrêt de 2007 n’est pas exploitable pour la résolution des questions posées préalablement à cette étude. Il était relatif à l’absence de bordereau et l’attestation notariée qui avait été produite était destinée à se substituer à ce bordereau. On peut donc approuver la solution de cet arrêt, sans en conclure qu’il interdisait de recourir, dans le cadre d’une titrisation, au mode de cession de l’article 1690 du Code civil. Dans l’arrêt commenté, l’argumentation de la caution était en réalité très subtile. Elle n’invoquait pas directement l’interdiction de réaliser la cession selon les formalités de l’article 1690, mais considérait seulement qu’il résulte de l’article L. 214-43 du Code monétaire et financier que la cession intervenue entre le FCC et la société cessionnaire ne lui est pas opposable sans la production d’un bordereau de cession de créances mentionnant la date de la cession. Pouvait-on dissocier la question du mode de cession de celle de l’opposabilité, en considérant que si la cession peut être réalisée selon plusieurs modes, l’opposabilité elle ne peut résulter que de la remise du bordereau ? Il n’est pas sûr que le pourvoi ait suggéré une telle dissociation. En tout état de cause, ce raisonnement ne résisterait pas longtemps à l’analyse. En effet, si le bordereau est un acte formaliste en ce sens qu’il doit comporter des mentions obligatoires, (cf. C. mon. fin., art. R. 214-109), il est évident que sa remise réalise le transfert de propriété et rend la cession opposable aux tiers (le raisonnement est le même pour les cessions par bordereau « Dailly » : cf. Terré F., Simler Ph. et Lequette Y., Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 2009, n° 1302 ; cf. aussi, Cass. com., 28 oct. 1986, n° 85-15.612, Bull. civ. IV, n° 194, D. 1986, p. 592, note Vasseur, JCP G 1987, II, 20735, note Stoufflet J. ; Cass. com., 19 mai 1992, n° 90-15.342, Bull. civ. IV, n° 190, JCP G 1992, IV, 2038 ; Cass. com., 12 oct. 1993, n° 91-15.820, Bull. civ. IV, n° 328). Quoi qu’il en soit, la quintessence du pourvoi consistait dans la négation de la possibilité de céder les créances d’un FCC autrement que par la voie d’un bordereau. Dans un « attendu » lapidaire, la Cour de cassation affirme que l’article L. 214-43, même dans sa version issue de la loi de 2003, n’exclut pas le 84 recours à « d’autres » modes de cession des créances que celui qu’il prévoit. Elle approuve donc la cour d’appel d’avoir dit que la cession était opposable à la caution du débiteur cédé, après avoir constaté que les formalités de l’article 1690 avaient été remplies. À la réflexion, la possibilité de recourir à d’autres modes de cession de créances même dans le cadre d’une titrisation (dans le montage d’une opération de titrisation, l’organisme de titrisation a généralement la qualité de cessionnaire puisqu’il est saisi de créances dont il financera l’acquisition par l’émission de titres. Dans l’arrêt commenté, ce n’est pas tout à fait le même schéma puisque c’est le FCC qui a cédé ses créances. La solution est néanmoins transposable, car l’article L. 214-43 ne distingue pas selon que l’organisme de titrisation est cédant ou cessionnaire) n’était pas sérieusement contestable, y compris avant l’ordonnance de 2008. Il En effet, si le bordereau est un acte formaliste en ce sens qu’il doit comporter des mentions obligatoires, il est évident que sa remise réalise le transfert de propriété et rend la cession opposable aux tiers. de se soustraire du formalisme de l’article 1690 du Code civil, et en aucune manière pour les empêcher de recourir au mode de cession de droit commun. L’autre point marquant de cet arrêt est son allusion à « d’autres modes » de cession que celui prévu à l’article L. 214-43. Cela veut dire que dès avant l’ordonnance de 2008, il était possible de mettre en place une titrisation en cédant les créances au FCC autrement que par bordereau ou selon les formalités de l’article 1690 du Code civil. Certains ont évoqué la conclusion d’un contrat de bail ou de crédit-bail par exemple. En tout état de cause, l’ordonnance du 13 juin 2008 a clarifié ce point, précisant que la cession peut s’effectuer par « tout autre mode de cession de droit français ou étranger ». En ce qui concerne les autres modes de cession de droit étranger, les praticiens n’auront que l’embarras du choix, avec le souci permanent d’adapter le mode de cession choisi au type de titrisation. Certains auteurs recommandent, quel que soit le mode de cession choisi, de l’accompagner d’une convention de cession qui détaillera l’opération de titrisation, telles que par exemple les modalités d’information des débiteurs cédés ou la description des portefeuilles de créances (cf. Le Cannu P., Granier Th. et Routier R., Droit commercial, Instruments de paiement et de crédit, Titrisation, Précis Dalloz, 8e éd., 2010). Les autres mentions facultatives est vrai que les articles L. 214-43 et D. 214-102 du Code monétaire et financier ne prévoyaient et n’encadraient que la cession des créances par bordereau. Or comme le relève le Professeur Thierry Bonneau, si l’article L. 214-43 affirme que la cession des créances s’effectue par « la seule » remise d’un bordereau, c’est seulement pour marquer qu’aucun autre acte ou formalité n’est nécessaire. Pour cet auteur, les régimes spéciaux des articles L. 214-43 (version antérieure à 2008) et L. 313-23 pour la cession « Dailly » ne s’opposent pas à l’alternative de l’article 1690 du Code civil (cf. Bonneau Th., Absence de bordereau, Dr. so- de cette convention figurent dorénavant à l’article L. 214-43 in fine du Code monétaire et financier. Même si l’on ne peut que saluer la souplesse de la solution commentée, il est fort à parier que les opérations de titrisation reposant sur des cessions de créances de droit français se feront quasi exclusivement par voie de bordereau, d’autant que le régime spécial de cession par voie de bordereau prévoit désormais la possibilité de recourir à des bordereaux électroniques, ce qui contraste avec le formalisme attaché à la signification de droit commun (cf. C. mon. ciétés août 2007, note préc., cf. aussi, J.-Cl. Commercial, Fasc. 1690 : La titrisation). Ajoutons que si ces Néanmoins, si l’organisme de titrisation souhaite transporter des créances avec un nombre assez limité de débiteurs, nul doute que l’article 1690 du Code civil pourra alors servir… ◆ régimes spéciaux ont été créés, c’était pour simplifier les transactions et faciliter le crédit, en permettant aux banques R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 fin., art. D. 214-102, al. 4). RLDA PERSPECTIVES ÉTUDE 3944 Aux termes d’une décision du 18 novembre 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions attaquées de la loi portant réforme de la garde à vue étaient conformes à la Constitution sous réserve toutefois que soit assurée l’information du suspect entendu dans le cadre de l’article 62 du Code de procédure pénale . Cette décision apparaît critiquable, tant du point de vue de la méthode que du résultat, en ce qu’elle conduit de fait à un retour à l’ancien régime de la garde à vue, laissant ainsi aux instances européennes le soin de faire vivre l’inspiration des constituants français (Cons. const., 18 nov. 2011, déc. n° 2011/191/194/195/196/197 QPC). D’une garde à vue l’autre : commentaire de la décision n° 2011/194 du Conseil constitutionnel Par Emmanuel DAOUD Avocat à la Cour VIGO Cabinet d’avocats correctionnelles ou encore le Parlement européen (Ghrénassia C., Le charme discret de la garde à vue : errements et ambiguïtés de la loi du 14 avril 2011, RLDA 2011/64, n° 3679), la garde à vue est-elle enfin arrivée le 18 novembre 2011 à ce point d’équilibre qui la rendrait d’autant plus indispensable en pratique (Lambert L., Et César GHRÉNASSIA Avocat à la Cour VIGO Cabinet d’avocats Formulaires des officiers de police judiciaire, LGDJ, 1985, p. 181 : la garde à vue est l’institution « la plus importante et la plus socialement utile, puisque sans elle aujourd’hui, les malfaiteurs seraient les maîtres ») qu’elle résisterait, en droit, à tout système ? 3. Le Conseil constitutionnel était donc saisi par le Conseil d’État et la Cour de cassation (CE, 23 août 2011, n° 349752, M. E. & autres ; 1. Il n’y a sans doute jamais eu aussi près de la rue de Montpensier au Quai des Orfèvres et les Sages auront peut-être apprécié l’hommage, non pas du vice à la vertu, mais de la police nationale au Conseil constitutionnel, la première s’exprimant, sans la réserve de la seconde, par la voix de ses syndicats. Alliance s’est ainsi réjoui « que par cette décision, le Conseil constitutionnel ait rappelé à tous que la garde à vue devait demeurer un lieu d’enquête » (Communiqué AFP du syndicat ALLIANCE en date du 18 novembre 2011, « Garde à vue : satisfaction d’un syndicat de police, le « pire évité »). 2. Certes, chaque autorité a ses zélotes et chaque évènement, ses chroniqueurs. Mais il arrive que chez les plus partisans de ces singuliers fidèles, s’exprime une vérité. La garde à vue est-elle donc redevenue, à la faveur de la décision n° 2011/194 du Conseil constitutionnel, ce « lieu d’enquête » coupé de la sphère du droit ou, à tout le moins, préservé du débat judiciaire ? Après les corrections imposées par la Cour de Strasbourg, la Cour de cassation, les chambres Cass. crim., 6 sept. 2011, nos 11-90.068, 11-90.072 et 11-90.073, P+B+I) aux fins de dire si la réforme de la garde à vue opérée par la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 était conforme à la Constitution. Aux termes des questions prioritaires de constitutionalité ainsi transmises, cinq griefs principaux étaient formulés tenant au défaut d’accès à l’assistance d’un avocat pour tous les suspects, au défaut d’accès au dossier de la procédure par l’avocat, au défaut de délai de prévenance et aux possibilités de report de la présence de l’avocat, à l’absence de celui-ci aux autres actes qu’audition et confrontation (perquisitions et transports) et enfin aux modalités de conduite des interrogatoires par l’officier de police judiciaire et au rôle ainsi assigné à l’avocat. 4. Après avoir rappelé qu’il « incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des droits et libertés constitutionnellement garantis », le Conseil constitutionnel déclare que le second alinéa de l’article 62 du Code de procédure pénale est conforme à la Constitution sous la réserve d’interprétation suivante : « qu’une personne à l’encontre de laquelle il apparaît, avant son audition ou au cours de celle-ci, qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction pour laquelle elle pourrait être placée en garde à vue, ne puisse être entendue ou continuer à être entendue librement par les enquêteurs que si elle a été informée de la nature et de la date de l’infraction qu’on la soupçonne d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie ». 5. Les dispositions organisant l’intervention de l’avocat en garde à vue, c’està-dire les articles 63-3-1, 63-4, 63-4-1 et 63-4-5 du Code de procédure pénale sont, par ailleurs, déclarées conformes à la Constitution et, ce, sans réserve. Par principe, le Conseil constitutionnel considère que « les dispositions contestées n’ont pas pour objet de permettre la discussion de la légalité des actes d’enquête ou du bien-fondé des éléments de preuve rassemblés par les enquêteurs ». En application de ce principe, et sur la plupart des points soulevés par les requérants, le Conseil constitutionnel répond en indiquant que la loi organise « entre le respect des droits de la défense et l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée » (le Conseil constitutionnel retient également que les dispositions assurant la conservation du secret de l’enquête par l’avocat et l’intervention de celui-ci au soutien des intérêts N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 85 D ’ U N E G A R D E À V U E L’ A U T R E : C O M M E N TA I R E D E L A D É C I S I O N N ° 2 011/19 4 D U C O N S E I L C O N S T I T U T I O N N E L des victimes, devrait-on dire des plaignants, sont également conformes à la Constitution). 6. Cette solution appelle, à titre préalable, deux observations. En premier lieu, la décision du 18 novembre 2011 éclaire celle du 30 juillet 2010 à laquelle elle fait d’ailleurs référence dans les termes suivants : « les évolutions de la procédure pénale qui ont renforcé l’importance de la phase d’enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée doivent être accompagnées des garanties appropriées encadrant le recours à la garde à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense ». Il s’agissait ainsi non seulement d’organiser la présence de l’avocat en garde à vue mais surtout de limiter le recours à cette mesure et de réduire la durée de celle-ci, ce que la loi du 14 avril 2011 réalise en instaurant des critères de proportionnalité et de subsidiarité nouveaux en la matière liberté : filtrer le moustique et laisser passer le chameau. À propos de la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 1981, AJDA 1981, p. 275), présente un degré d’exigence bien en-deçà de celui de la Cour européenne des droits de l’homme (Andriantsimbazovina J., La conception des libertés par le Conseil constitutionnel et par la Cour européenne des droits de l’homme, Nouveaux cahiers Cons. const. 2011, p. 19). Et de fait, la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 2011 si elle permet à la garde vue de conserver, pour quelque temps encore, son lustre d’antan se trouve en contradiction manifeste avec la jurisprudence européenne, c’est-à-dire avec la Convention européenne des droits de l’homme. C’est donc une rupture dans le dialogue des juges suprêmes (De La Rosa S., Le dialogue entre Conseil constitutionnel et Cour européenne des droits de l’homme ou l’influence discrète du droit européen sur l’inconstitutionnalité de la garde à vue de droit commun, Constitutions 2011, p. 58) qui intervient dans une 7. En second lieu, le raisonnement adopté par le Conseil constitutionnel rappelle que la Haute Juridiction développe une recherche non pas de proportionnalité mais plutôt d’absence de disproportion ou encore d’absence d’anormalité (Leturcq matière extrêmement sensible, celle des libertés individuelles. Plus largement, cette décision s’inscrit, de fait, dans la défense d’une singularité française également menacée par la proposition de directive du 8 juin 2011 relative au droit d’accès à un avocat et à l’information de la mise en détention et qui constitue le troisième volet d’une série de mesures visant à définir des normes européennes communes dans les affaires pénales. S., Vers l’élaboration d’un standard du « bon législateur » devant le Conseil constitutionnel français et la Cour européenne des droits de l’homme, communication issue de la thèse de Leturcq S., Standards et droits fondamentaux devant le Conseil constitutionnel français et la Cour européenne des droits de l’homme, LGDJ, 2005, tome 125). Il va de soi que les 9. Dans ces conditions, on est tenté de se demander si la décision n° 2011/194 du Conseil constitutionnel ne constitue pas un retour aux sources pour cette « figure brisée de la procédure pénale française » (Ghrénassia C., Le charme discret de la garde à vue : errements et ambiguïtés de la loi du 14 avril 2011, préc.). considérations d’opportunité politique et de sécurité juridique ne manquent pas de peser lors de l’examen de chaque Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). La tradition française, cette méfiance historique à l’égard non pas du pouvoir mais de l’autorité judiciaire, ne contribue pas plus à ce que le Conseil constitutionnel se comporte en véritable cour suprême indifférente aux caprices des majorités et à l’air du temps. De ce point de vue, il n’est sans doute pas inutile de rappeler que le Conseil se prononce à quelques semaines d’une élection présidentielle et dans un contexte d’instrumentalisation à des fins partisanes des questions de sécurité et de justice. Du reste, le Conseil constitutionnel prend soin, une nouvelle fois, de reporter les effets de sa décision, en l’espèce de sa réserve d’interprétation, aux auditions réalisées postérieurement au 18 novembre 2011. 8. Cette méthode, à propos de laquelle on a écrit en son temps qu’elle conduit à « filtrer le moustique et laisser passer 86 le chameau » (Rivero J., À propos de la loi Sécurité et (Muller Y., La réforme de la garde à vue ou la figure brisée de la procédure pénale française, Droit pén. 2011, étude 2) née dans la clandestinité et consacrée ainsi en raison des vertus particulières qu’on attribue, en France, au secret (Robert J.-H., Le péché originel de la Saint-Sylvestre 1957,Droit pén. 2010, comm. 1. Cf. également à ce sujet, Saint-Pierre F., Le Guide de la défense pénale, Guide Dalloz, 2007). Long détour pour que la garde à vue, apparue en 1897 et légalisée en 1957 soit enfin déclarée conforme à la Constitution. Long détour qui n’épuise pourtant aucune des questions posées au sujet de cette mesure. 10. C’est qu’il ne va pas de soi de considérer, comme le fait le Conseil constitutionnel, que les droits de la défense, l’égalité des armes et le principe du contradictoire qui forment un des aspects fondamentaux du standard du procès équitable puissent être neutralisés aux premiers temps de l’enquête en considération d’un prétendu impératif supérieur de sécurité ou d’efficacité qui apparaît, en l’absence d’étude d’impact et en comparaison avec les systèmes étrangers, tenir autant, sinon plus, R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 du slogan publicitaire que d’un souci légitime. En déclarant conformes à la Constitution les dispositions contestées, le Conseil constitutionnel admet donc qu’il puisse y avoir des suspects sans défense (I) et que le législateur puisse tenir a priori l’exercice des missions de conseil, d’assistance et de représentation inhérents à la défense pénale comme suspect (II). I.– DES SUSPECTS SANS DÉFENSE : SUR LA RÉSERVE D’INTERPRÉTATION RELATIVE À L’AUDITION LIBRE 11. Dans le prolongement de la décision du 30 juillet 2010, et en accord avec l’article 62-2 du Code de procédure pénale (pour mémoire, l’article 62-2 du Code de procédure pénale définit, pour la première fois, la garde à vue comme une « mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs »), le Conseil constitutionnel retient que la garde à vue, et le déclenchement des droits y afférents, résulte de l’exercice d’une contrainte sur le suspect, ce qui revient à rétablir l’audition libre abandonnée au cours des débats parlementaires (A). Par respect des droits de la défense, le Conseil constitutionnel émet cependant une réserve d’interprétation dont l’usage apparaît critiquable (B). A.– De l’audition libre à l’audition libre 12. La loi du 14 avril 2011 réserve deux hypothèses d’audition sans avocat. La première est celle où il existe des raisons plausibles de soupçonner la commission d’une infraction mais où l’intéressé n’est pas « tenu sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs » ayant été « informé qu’il peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie » (C. pr. pén., art. 73 : « Lorsque la personne est présentée devant l’officier de police judiciaire, son placement en garde à vue, lorsque les conditions de cette mesure prévues par le présent code sont réunies, n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie. Le présent alinéa n’est toutefois pas applicable si la personne a été conduite par la force publique devant l’officier de police judiciaire ». Vlamynck H., Approche policière pratique du projet de loi relatif à la garde à vue, AJ Pénal 2010, p. 474 : « La personne est considérée comme s’étant rendue librement dans les locaux du service ou de l’unité de police judiciaire lorsqu’ayant été appréhendée, elle a accepté expressément de suivre l’officier ou l’agent de police judiciaire »). La seconde où le témoin entendu librement, dans le délai de quatre heures, se révèlerait alors suspect et serait placé en garde à vue (c’est là d’une résurgence de l’audition libre, proposition du Gouvernement visant à contourner l’intervention de l’avocat (Projet de loi AN n° 2855, relatif à la garde à vue, XIIIe législature, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 13 octobre 2010) et qui devait être abandonnée compte tenu des nombreuses critiques dont elle avait fait l’objet (Mathias E., Pour une loi des suspects… libres (à propos du projet de loi relatif à la garde à vue), Dr pén. 2011, étude 6 ; Miniato L., Réflexions à propos de l’audition libre issue du projet de loi relatif à la garde à vue, Gaz. Pal. 30 nov. 2010, p. 13, 13724 ; Bachelet O., La réforme de la garde à vue ou l’art du faux-semblant, Gaz. Pal. 14 sept. 2010, p. 5, I2931). 13. Aux termes de la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 2011, il est indiqué que : « si le respect des droits de la défense impose, en principe, qu’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction ne peut être entendue, alors qu’elle est retenue contre sa volonté, sans bénéficier de l’assistance effective d’un avocat, cette exigence constitutionnelle n’impose pas une telle assistance dès lors que la personne soupçonnée ne fait l’objet d’aucune mesure de contrainte et consent à être entendue librement ». 14. Cette position s’inscrit dans le prolongement de la décision du 30 juillet 2010 qui insistait en son temps sur le fait que la personne était interrogée « alors qu’elle est retenue contre sa volonté » (Cons. const., déc. n° 2010-14/22, 30 juill. 2010, considérant 28, Gaz. Pal., 5 août 2010, p. 14, I2572, note Bachelet O. ; Daoud E.et Mercinier E., Garde à vue : faites entrer l’avocat !, in Constitutions, octobredécembre 2010). Elle est cependant critiquable au regard même de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ainsi qu’il a pu être relevé, cette position est, en effet, plus difficilement compatible avec la décision du 6 mai 2011 relative au déferrement devant le Procureur de la République (Cons. const., déc. n° 2011-125, 6 mai 2011, QPC, considérant 13) aux termes de laquelle le Conseil constitutionnel avait considéré que l’article 393 du Code de procédure pénale qui permet au magistrat du parquet de recueillir les déclarations de la personne déférée « ne saurait sans méconnaître les droits de la défense l’autoriser à consigner les décla- rations de [celle-ci] sur les faits qui font l’objet de la poursuite » (Bachelet O., QPC « Garde à vue II » : de l’effectivité à la facticité du droit à l’assistance d’un avocat, Gaz. Pal., 20-22 nov. 2011, p. 18). 15. Surtout, ce qui doit commander le droit à l’assistance de l’avocat n’est pas la coercition mais l’existence d’une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que le suspect a commis ou tenté de commettre une infraction. En d’autres termes, « la suspicion à l’encontre d’un individu le rend titulaire de droits dans la procédure pénale. L’exercice de la contrainte à son égard les accroît. » (Alix J., Les droits de la défense au cours de l’enquête de police après la réforme de la garde à vue : état des lieux et perspectives, D. 2011, p. 1699). Ainsi, lorsqu’une instruction a été ouverte, le juge ne peut entendre comme simples témoins les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves et concordants d’avoir participé aux faits dont il est saisi (C. pr. pén., art. 105). S’il veut les entendre, il doit soit les mettre en examen, soit leur conférer le statut de témoin assisté et, dans un cas comme dans l’autre, le suspect aura doit à l’assistance d’un avocat. Le Conseil constitutionnel a exposé la France à de nouveaux constats de violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. 16. C’est ce que soutenaient les requérants et ils avaient avec eux une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme qui retient que le droit à l’assistance d’un avocat doit être reconnu à la personne mise en cause dès qu’existent des éléments suffisants de soupçon. De ce point de vue, la qualification officielle de l’intéressé est sans importance (CEDH, 4 oct. 2010, aff. 1466/07, Brusco c/ France , § 47 ; CEDH, 11 déc. 2008, aff. 4268/04, Panovits c/ Chypre, § 73-76. Cf., également, Muller Y., La réforme de la garde à vue ou la figure brisée de la procédure pénale française, préc.). C’est ce qu’a, une nouvelle fois, rappelé la Cour de Strasbourg en soulignant dans une espèce récente que le requérant « ne faisait l’objet d’aucune mesure restrictive ou privative de liberté au titre de la procédure en cause » ce qui tend à démontrer que la contrainte ne saurait être érigée en critère exclusif de reconnaissance des droits du suspect (CEDH, 27 oct. 2011, aff. 25303/08, Stojkovic c/ France et PERSPECTIVES ÉTUDE cette seconde hypothèse qui est soumise au Conseil constitutionnel. C. pr. pén., art. 62 : « Les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée ne puisse excéder quatre heures. S’il apparaît, au cours de l’audition de la personne, qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui est alors notifié dans les conditions prévues à l’article 63 »). Il s’agit Belgique, § 53, : en l’espèce, le requérant était détenu pour autre cause. La Cour précise : « Ainsi qu’elle l’a déjà souligné, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable au stade de l’enquête, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne la collecte et l’utilisation des preuves »). 17. Du reste, la proposition de directive du 8 juin 2011 accorde expressément en son article 10 le droit à l’assistance d’un avocat aux « personnes autres que les personnes soupçonnées ou poursuivies » (« 1. Les États membres veillent à ce que toute personne autre qu’une personne soupçonnée ou poursuivie, qui est entendue par les autorités de police ou d’autres services répressifs dans le cadre d’une procédure pénale, ait accès à un avocat si, au cours d’un interrogatoire ou d’une audition, elle se retrouve soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale ou poursuivie à ce titre. 2 Les États membres veillent à ce que toute déclaration faite par cette personne avant qu’elle n’ait été informée des soupçons ou des poursuites dont elle est l’objet ne puisse être utilisée contre elle ») et prévoit en son article 3 que la personne concernée « doit pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat dès son audition (…) qu’elle soit privée de liberté ou non ». Le législateur a donc fait le choix d’un texte menacé, à court terme, d’obsolescence. Et le Conseil constitutionnel a exposé la France à de nouveaux constats de violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (Bachelet O., QPC « Garde à vue II » : de l’effectivité à la facticité du droit à l’assistance d’un avocat », préc. En sens inverse : Pradel J., La loi du 14 avril 2011 sur la garde à vue réussit son examen de passage devant le Conseil constitutionnel, JCP G 2011, 1452). Autant de considérations en contradiction manifeste avec ce qui fonde le contrôle de constitutionnalité in abstracto en général et la technique de la réserve d’interprétation en particulier : le souci de la sécurité juridique et l’égalité des justiciables. B.– De l’usage des réserves d’interprétation 18. Le Conseil constitutionnel assortit sa décision de conformité de l’article 62 du Code de procédure pénale d’une réserve d’interprétation tendant à ce que le suspect ainsi interrogé en l’absence d’avocat soit toutefois « informé (…) de la nature et de la date de l’infraction qu’on (le) soupçonne d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie » (Considérant n° 20. Pour mémoire, et aux termes du commentaire de la décision disponible sur le site du Conseil constitutionnel, « il convient de préciser que la décision du Conseil sur le second alinéa de l’article 62 du CPP ne vaut stricto sensu que pour l’enquête de flagrance. En effet, cet article ne figure pas au nombre des articles du CPP qui sont applicables aux autres enquêtes. S’agissant de l’enquête préliminaire, les deuxième et troisième alinéas de l’article 78 du CPP reprennent au mot près les dispositions de l’article 62. S’agissant de l’enquête N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 87 D ’ U N E G A R D E À V U E L’ A U T R E : C O M M E N TA I R E D E L A D É C I S I O N N ° 2 011/19 4 D U C O N S E I L C O N S T I T U T I O N N E L sur commission rogatoire, la question se posera également s’agissant des suspects qui ne sont pas nommément visés par une plainte avec constitution de partie civile et qui, dès lors, en vertu de l’article 113-2 du CPP, ne bénéficient pas du droit d’être entendus en qualité de témoin assisté »). 19. Aux termes du commentaire de la décision disponible sur le site du Conseil constitutionnel, il est indiqué que « la délivrance de ces informations liminaires garantit que la personne ne sera pas trompée sur la nature des informations qu’il lui sera demandé de fournir aux enquêteurs » Cette précaution rappelle, dans une version édulcorée, un des articles relatif à la sûreté des personnes rédigé par Condorcet : « La loi ne pourra autoriser, pour parvenir à la connaissance des coupables, ni l’emploi de la torture, ni l’usage du mensonge ou de la ruse ». 20. C’est que le Conseil constitutionnel aurait pu analyser le silence de la loi sur ce point comme un cas d’incompétence négative et considérant l’atteinte aux droits de la défense garantis notamment à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme prononcer la censure du texte déféré. Il a préféré remédier à cette atteinte par une réserve d’interprétation. Or, il est généralement enseigné qu’il n’est loisible de recourir à ce « procédé de sauvetage » de la loi qu’à condition que le juge constitutionnel, confronté à une disposition ambigüe ou défectueuse puisse trouver une assise dans les techniques classiques d’interprétation, la combinaison des dispositions critiquées avec le reste du droit positif ou encore le recours à l’intention du législateur telle qu’elle résulte des travaux préparatoires (Samuel X., Les réserves d’interprétation émises par le Conseil constitutionnel, Accueil des nouveaux membres de la Cour de cassation au Conseil constitutionnel le 26 janvier 2007 ; Boulet M., La problématique de l’application des réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel, Tribune de droit public 2005, p. 20). 21. En l’espèce, il ressort des travaux parlementaires que la proposition d’audition libre a été abandonnée compte tenu notamment de ce que l’arrestation devait être analysée comme une contrainte de facto quoique la personne interrogée accepte expressément de suivre l’officier de police judiciaire à la suite de ladite arrestation (Gosselin P., Rapp. n° 3284, 30 mars 2011, p. 8 et 9). Il y a effectivement une forme de contrainte dès que l’on se retrouve, soit à la suite d’une interpellation (C. pr. pén., art. 73) soit sur une convocation à laquelle l’on est tenu de déférer (C. pr. pén., art. 61), interrogé, en tant que suspect, dans des locaux de police ou de gendarmerie. En toute rigueur, et faute d’avoir considéré ce fait d’évi- 88 dence, pourtant visé dans le cadre des travaux parlementaires, le recours à la technique de la réserve d’interprétation est critiquable. 22. Il est d’autant plus critiquable qu’il ne permet pas d’imposer une notification au suspect de ses droits et notamment de son droit de garder le silence (Bachelet O., QPC « Garde à vue II » : de l’effectivité à la facticité du droit à l’assistance d’un avocat, préc., p. 18). En d’autres termes, le Conseil constitutionnel, après avoir reconnu que le suspect a par principe vocation à bénéficier des droits de la défense en dehors de toute contrainte, consacre un régime qui ne prévoit aucune formalité propre à garantir l’exercice éclairé de ces droits. Cette difficulté rejoint la question de la renonciation aux droits de la défense si courante en pratique en matière de garde à vue (Ghrénassia C., Le charme discret de la garde à vue : errements et ambiguïtés de la loi du 14 avril 2011, préc., nos 46 et 47). Pour que l’audition d’un suspect sans l’assistance d’un avocat soit conforme à l’article 6 de la Convention, la Cour de Strasbourg impose en tout état de cause qu’il soit démontré que l’intéressé y a renoncé sans équivoque ce qui implique la notification préalable d’un tel droit (CEDH, 27 nov. 2008, aff. 36391/02, Salduz c/ Turquie, § 59 ; CEDH, 11 déc. 2008, aff. 4268/04, Panovits c/ Chypre, §, 73-76 ; CEDH, 23 févr. 2010, aff. 27503/04, Yoldas C/ Turquie, § 52 ; CEDH, 8 déc. 2009, aff. 9762/03, Savas c/ Turquie ; CEDH, 27 oct. 2011, aff. 25303/08, Stojkovic c/ France et Belgique, § 53. Cf., également, article 9 de la proposition de Directive du 8 juin 2011). 23. Par ailleurs, et « afin d’éviter que sa décision ne soit source de nullités de procédure, le Conseil a prévu que cette réserve ne s’applique qu’aux auditions postérieures à la publication de sa décision » (Cons. const., 18 nov. 2011, déc. n° 2011/191/194/195/196/197 QPC, considérant n° 20 in fine. Cf. commentaire de la décision disponible sur le site du Conseil constitutionnel : <www. conseil-constitutionnel.fr>). À l’évidence, une telle pusillanimité n’engage pas la Cour européenne des droits de l’homme et les juridictions internes chargées de faire respecter les droits garantis par la Convention (en ce sens, Cass. ass. plén., 15 avr. 2011, n° 10-17.049, n° 10-30.313, n° 10-30.316, JCP G 2011, act. 483, Detraz S., D. 2011, p. 1080). Elle suggère également le caractère diplomatique de la décision du 18 novembre 2011 exposant ainsi le Conseil constitutionnel aux mêmes critiques que celles formulées à l’égard de la décision du 30 juillet 2010. C’est que la diplomatie est l’art de traiter des affaires des puissants avec une adresse qui profite d’abord au diplomate. Le contrôle de constitutionnalité, au contraire, aurait vocation à garantir, à chaque citoyen, le respect par le pouvoir du moment d’une norme intangible. Le praticien ne peut R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 que regretter qu’en l’espèce, le juge suprême y ait trouvé le moyen d’esquiver les difficultés avec la souplesse du danseur de tango. II.– UNE DÉFENSE SUSPECTE : SUR LE REFUS D’ACCORDER AU GARDE À VUE LA VASTE GAMME D’INTERVENTION D’UN CONSEIL 24. Faute d’assurer au gardé à vue la vaste gamme d’interventions d’un conseil définie par la jurisprudence européenne, la réforme du 14 avril 2011 avait fait l’objet de nombreuses critiques relayées devant le Conseil constitutionnel par les requérants. Or, le Conseil constitutionnel balaye l’ensemble de ces critiques considérant que les restrictions apportées à l’intervention de l’avocat (A) comme les atteintes à son indépendance (B) sont nécessaires au regard de l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions. A.– La défense tolérée : restrictions à l’intervention de l’avocat 25. Inspirées notamment de la jurisprudence européenne, les questions prioritaires de constitutionnalité transmises au Conseil faisaient grief à la loi du 14 avril 2011 d’interdire à l’avocat d’exercer la « vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil » (CEDH, 13 oct. 2009, aff. 7377/03, Dayanan c/ Turquie, § 32, D. 2009, p. 2897, note Renucci J.-F., AJ Pén. 2010, p. 27, étude Saas C., Rev. sc. crim. 2010, p. 23 1, obs. Roets D. : « la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention »). Ainsi, il était rappelé que la durée limitée d’entretien à 30 minutes, la prévision d’un délai légal de prévenance pour la première audition seulement et l’absence de l’avocat aux actes autres que les interrogatoires et confrontations, c’està-dire pour les perquisitions et transports, étaient incompatibles avec la mission d’assistance et de conseil de l’avocat. Surtout, il était rappelé que l’accès de l’avocat aux seules pièces visées par l’article 63-4-1 du Code de procédure pénale excluait que ce dernier puisse exercer une véritable mission de conseil (Ghrénassia C., Le charme discret de la garde à vue : errements et ambiguïtés de la loi du 14 avril 2011, préc., nos 46 et 47.). 26. Le Conseil constitutionnel répond en deux temps à ces griefs. En premier lieu, le Conseil pose pour principe que « dès lors que la garde à vue n’est pas menée dans une phase juridictionnelle de la procédure pénale, il n’y a pas lieu de respecter les principes de l’égalité des armes et du contradictoire » (Bachelet O., Droits de la défense et lieu, le Conseil considère que pour chacun des griefs précités, les dispositions contestées assurent « entre le respect des droits de la défense et l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée ». 27. Cette position s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence traditionnelle du Conseil constitutionnel. Ainsi sur le premier point, c’est-à-dire la distinction opérée entre le respect des droits de la défense et les exigences du procès équitable, il a déjà été décidé que le principe du contradictoire n’est le corollaire du respect des droits de la défense que devant le juge ou dans une procédure qui conduit au prononcé d’une sanction ayant le caractère d’une punition (cf. commentaire de la décision disponible sur le site du Conseil constitutionnel, p. 15 et s.). Sur le second point, il convient de relever que « la recherche des auteurs d’infractions » avait déjà été érigée en « objectif à valeur constitutionnelle » (cf., notamment, Cons. const., 16 juill. 1996, déc. n° 96-377 DC ; Cons. const., 19 janv. 2006, déc. n° 2005-532 DC. Et plus généralement : Luchaire F., Brèves remarques sur une création du Conseil constitutionnel : l’objectif de valeur constitutionnel, RDF const. 2005, p. 675). 28. Du point de vue de la cohérence interne de cette position, deux critiques distinctes peuvent être formulées. Il y a d’abord une faiblesse à considérer que les droits de la défense présentent un caractère d’autonomie marqué par rapport aux principes du contradictoire et de l’égalité des armes et que ceux-ci sont « hors sujet » au stade du placement en garde à vue pour apprécier ensuite et au cas par cas la pertinence de chaque grief. Si les griefs formulés par les requérants sont inopérants, c’est-à-dire impropres à produire aucun effet, il était inutile de procéder à leur examen. 29. En vérité, et c’est la seconde critique, l’argument prouve trop ou pas assez au regard de la décision du 30 juillet 2010. On se souvient que le Conseil constitutionnel s’était attaché à caractériser les changements de circonstances pour exercer son contrôle et notamment le fait que la garde à vue est devenue « la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la personne mise en cause. » (Cons. const., déc. n° 2010-14/22, 30 juill. 2010, préc., considérant 16). Or, ces considérations n’ont pas varié, au contraire, la part des informations judiciaires est toujours aussi congrue et le développement des modes alternatifs de règlement des conflits sous l’impulsion du Ministère public n’a pas connu de coup d’arrêt. Faut-il donc relire la décision du 30 juillet 2010 à l’aune de celle du 18 novembre 2011 et interpréter en conséquence la réforme du 14 avril 2011 ? Dans ce cas, toute discussion relative aux critères de déclenchement de la mesure de garde à vue ou à son déroulement risque d’apparaître vaine dès lors que la contradiction et l’égalité des armes seraient exclues de cette phase d’enquête. Sous cet angle, les prérogatives concédées à l’avocat, et notamment l’accès aux procès-verbaux de notification de placement en garde à vue, d’auditions du gardé à vue et les certificats médicaux, apparaissent comme une concession formelle à l’air du temps mais sans aucun intérêt du point de vue de la défense. La crainte exprimée par certains commentateurs de la loi serait ainsi vérifiée (Rassat M.-L., À remettre sur le métier – Des insuffisances de la réforme de la garde à vue, JCP G 2011, 632 ; Chavent-Leclere A.-S., La Garde à vue est morte, vive la garde à vue ! À propos de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 », Procédures n° 6, juin 2011, étude 7, pt. 12). Il est vrai qu’en ces temps de période électorale où la sécurité du citoyen est revendiquée par beaucoup… les droits de la défense ne font pas recette. 30. Surtout, cette position apparaît incompatible avec la jurisprudence européenne qui ne connaît pas ce cloisonnement étanche des droits de la défense, d’une part, et du contradictoire et de l’égalité des armes, d’autre part. En d’autres termes, le droit à un procès équitable a vocation à s’appliquer à toutes les phases qui se déroulent avant la procédure de jugement (CEDH, 24 nov. 1993, aff. n° 13972/88, Imbroscia c/ Suisse ; CEDH, 21 févr. 2008, aff. 18497/03, Ravon et a. c/ France, § 30) et ce droit implique notamment la possibilité pour l’avocat de consulter les pièces de la procédure (CEDH, 20 sept. 2011, aff. 17252/9, Sapan c/ Turquie, § 21). Une cour d’appel a d’ailleurs pris position en ce sens en annulant une garde à vue au cours de laquelle l’accès à l’intégralité des pièces de la procédure avait été refusé à l’avocat (CA Angers, 24 oct. 2011, n° 11/00403-A, Gaz. Pal., 8 nov. 2011, p. 9, note Bruneau L., I7737). Par ailleurs, la Cour de Strasbourg a également pris position en faveur de la présence de l’avocat lors d’un transport sur les lieux avec reconstitution des faits (CEDH, 29 juin 2010, aff. PERSPECTIVES ÉTUDE droit à un procès équitable (Article 16 DDHC) : conformité sous une réserve des nouvelles dispositions relatives à la garde à vue de droit commun, Actualités droits-Libertés du 22 novembre 2011, CREDHO – Paris Sud). En second 12976/05, Karadag c/ Turquie, § 47 ; CEDH, 8 déc. 2009, aff. 9762/03, Savas c/ Turquie, § 67.). Enfin, et sur tous ces points, la décision du Conseil constitutionnel est inconciliable avec la proposition de directive du 8 juin 2011 (à titre d’information, cf. Comité économique et social européen, avis 28 nov. 2011). 31. Le Conseil constitutionnel a bâti une construction juridique dont on comprend l’opportunité mais dont on peut douter de la pérennité. Il est ainsi particulièrement périlleux de considérer que le fait que l’autorité judiciaire veille « au respect du principe de loyauté dans l’administration de la preuve et [apprécie] la valeur probante des déclarations faites le cas échéant par une personne gardée à vue hors la présence de son avocat » constituerait une garantie suffisante au respect des droits du suspect. C’est qu’il est difficile dans l’ordre interne de concilier cette pétition de principe avec l’article préliminaire du Code de procédure pénale qui interdit de fonder une condamnation pénale « sur le seul fondement de déclarations [que la personne entendue] a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assisté par lui » et dans l’ordre international avec la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (CEDH, 27 nov. 2008, aff. 36391/02, Salduz c/ Turquie § 55. Cf. également, Bachelet O., QPC « Garde à vue II » : de l’effectivité à la facticité du droit à l’assistance d’un avocat, préc., p. 18.). Les syndicats de police l’ont bien compris qui, pour la plupart d’entre eux, se sont félicités bruyamment, de ce qui représente une atteinte significative à l’égalité des armes. Il est vrai qu’en ces temps de période électorale où la sécurité du citoyen est revendiquée par beaucoup – les droits de la défense ne font pas recette. B.– La défense menacée : des atteintes à l’indépendance de l’avocat 32. En premier lieu, le Conseil constitutionnel considère que les possibilités de report de la présence de l’avocat lors des auditions ou confrontations ne portent pas atteinte aux droits de la défense dans la mesure où ledit report n’est possible que « sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, pour une durée de douze heures ; que cette durée peut être portée à vingt-quatre heures sur autorisation du juge des libertés et de la détention (…) ; que la possibilité d’un tel report n’est prévue qu’à titre exceptionnel, lorsque cette mesure apparaît indispensable pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête, soit pour permettre le bon déroulement d’investigations urgentes tendant au recueil ou à la conservation des preuves, N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 89 D ’ U N E G A R D E À V U E L’ A U T R E : C O M M E N TA I R E D E L A D É C I S I O N N ° 2 011/19 4 D U C O N S E I L C O N S T I T U T I O N N E L soit pour prévenir une atteinte imminente aux personnes ; que la restriction ainsi apportée au principe selon lequel la personne gardée à vue ne peut être entendue sans avoir pu bénéficier de l’assistance effective d’un avocat est placée sous le contrôle des juridictions pénales saisies des poursuites » (considérant n° 31.). 33. Cette position pose à l’évidence une difficulté structurelle dans la mesure où l’autorité judiciaire chargée de garantir les droits du suspect est, pour le Conseil constitutionnel, la même autorité que celle chargée des poursuites, c’est-à-dire le Ministère public. Or, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé à maintes reprises que le Procureur de la République ne saurait être considérée comme une autorité judiciaire (Ghrénassia C., Le charme discret de la garde à vue : errements et ambiguïtés de la loi du 14 avril 2011, préc., nos 32 et s..) non seule- ment parce qu’il n’est pas indépendant du pouvoir exécutif mais surtout parce que le ministère public est la « partie poursuivante au procès pénal, adversaire naturel de la personne poursuivie, et qu’il est donc paradoxal d’investir du contrôle de la recherche des preuves une partie intéressée à la cause » (Rassat M-L., À remettre sur le métier – Des insuffisances de la réforme de la garde à vue, préc. ; Matsopoulou H., Une réforme inachevée – À propos de la loi du 14 avril 2011, JCP G 2011, 542). 34. En second lieu, grief était tiré de ce qu’aux termes de la loi du 14 avril 2011, l’officier ou agent de police peut « s’opposer à des questions si celles-ci semblent de nature à nuire au bon déroulement de l’enquête » (C. pr. pén., art. 63-4), la loi indiquant par ailleurs que « l’officier ou l’agent de police judiciaire peut à tout moment, en cas de difficulté, mettre un terme à l’acte en cours et en aviser immédiatement le procureur de la République qui informe, s’il y a lieu, le bâtonnier aux fins de désignation d’un autre avocat » (C. pr. pén., art. 63-4-3, § 1). 35. C’est de la manière la plus laconique que le Conseil constitutionnel affirme « que ces dispositions ne méconnaissent ni les droits de la défense ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit » (considérant n° 35.). Un commentateur a pu considérer que cette position destinée à empêcher que l’avocat ne mette en péril le bon déroulement de l’enquête par son obstruction ou son inertie pouvait trouver une assise dans la jurisprudence de la chambre criminelle relative au changement d’avocat en cours de procès (Pradel J., La loi du 14 avril 2011 sur la garde à vue réussit son examen de passage devant le Conseil constitutionnel, JCP G 2011, 1452, p. 4.). Or les 90 jurisprudences citées ne concernent que des hypothèses où le changement d’avocat ne résultait pas d’une décision de l’autorité de poursuite et n’avait donné lieu à aucune réclamation (Cass. crim., 31 janv. 1974, n° 73-93.333, Bull. crim., n° 51 ; Cass. crim., 10 janv. 1990, n° 89-84.168, Bull. crim., n° 17). 36. Or, certains des requérants faisaient valoir, à plus juste titre, que le Conseil constitutionnel avait déjà censuré semblable pouvoir de révocation qu’une loi de 1981 avait entendu conférer aux présidents d’audience à titre de mesure de police, constatant que dans ces hypothèses où il n’est pas même possible de reprocher à un avocat un manquement à ses devoirs, l’atteinte portée aux droits de la défense n’est pas conforme à la Constitution (Cons. const., 20 janv. 1981, n° 80-127 DC : si cette mesure « avait le caractère d’une simple mesure de police (...) et ne revêtait pas celui d’une sanction disciplinaire, il ne demeure pas moins que cette mesure, qui pourrait intervenir alors que l’avocat n’a manqué à aucune des obligations que lui impose son serment et alors qu’il a donc rempli son rôle de défenseur, serait contraire, tant dans la personne de l’avocat que dans celle du justiciable, aux droits de la défense qui résultent des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » ; Ghrénassia C., Le « Garde à vue I » entendait donc lutter contre les abus de cet ancien régime. « Garde à vue II » rappelle qu’il ne s’agit pas d’y mettre un terme. charme discret de la garde à vue : errements et ambiguïtés de la loi du 14 avril 2011, préc., nos 55 et s.). Ainsi, la décision du Conseil constitutionnel ne peut que heurter, tant du point de vue du fond que de la forme, le praticien. Une motivation moins lapidaire aurait pu permettre au commentateur de ne pas voir dans ce retrait du Conseil constitutionnel un inquiétant écho aux déclarations anachroniques de quelques syndicats de police (Le Point, Les syndicats de police satisfaits de la décision des Sages, 18 nov. 2011. Synergie indique ainsi que les policiers ne sauraient être « placés dans une situation comparable à celle des avocats qui ne sont (…) que des auxiliaires de justice en exercice libéral »). *** 37. En validant sous une seule réserve d’interprétation l’ensemble du dispositif mis en place par la réforme de la garde à vue, le Conseil constitutionnel revient, à contrecourant des juges de Strasbourg R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 et de la Commission européenne, aux origines de la garde à vue à la française. Partant, le Conseil constitutionnel, plus vraisemblablement inspiré par des considérations d’opportunité politique que d’orthodoxie constitutionnelle, abandonne l’audace relative de ses premières décisions. 38. Les Sages ont ainsi fait prévaloir la pratique de 1897 sur l’inspiration de 1789 en faisant de la garde à vue un « lieu d’enquête » à l’abri du contradictoire et de l’égalité des armes comme on consacrerait des autels au rituel du sacrifice, à l’apparition d’un oracle ou plus prosaïquement à la manifestation de la vérité. Pour ne plus avoir respecté ce lieu, pour avoir banalisé le recours à cette mesure, l’ancien régime de la garde à vue a été censuré le 30 juillet 2010. « Garde à vue I » entendait donc lutter contre les abus de cet ancien régime. « Garde à vue II » rappelle qu’il ne s’agit pas d’y mettre un terme. Qu’il ait fallu plus d’un an pour aller de l’un à l’autre laisse perplexe. Qu’il faille désormais se tourner vers Strasbourg et Bruxelles pour espérer une approche plus moderne de cette phase d’enquête laisse songeur. 39. De ce point de vue, la jurisprudence européenne apparaît plus fidèle à l’inspiration des constituants français que le Conseil constitutionnel dans la mesure où ceux-ci ne distinguaient pas avec l’indépassable rigueur de celui-là, la phase policière de la phase juridictionnelle d’abord, la contrainte de l’accusation ensuite, l’accusation de la défense enfin (à titre d’exemple, Condorcet écrit, dans le cadre de son projet d’article relatif à la sûreté des personnes : « Tout accusé jouira d’une liberté entière d’user de ses moyens naturels de défense, ce qui entraîne nécessairement la publicité de la procédure, la liberté de se choisir des conseils, de conférer avec eux dans tout le cours de l’instruction, d’avoir communication pour soi et pour ses conseils, de tous les actes de la procédure, et de pouvoir faire entendre des témoins en sa faveur »). Le Conseil constitutionnel opère, à cette occasion, un singulier rapprochement entre les droits de la défense garantis par la Déclaration des droits de l’homme et l’objectif à valeur constitutionnelle de « recherche des auteurs d’infraction » qu’il tire, pour partie au moins, de l’article 14 du Code de procédure pénale. Singulier rapprochement, regrettable référence, qui revient en quelque sorte à rappeler Fouché au chevet de la Révolution, à reprendre l’exégèse de la Déclaration des droits de l’homme par un relevé d’empreintes dactyloscopiques, à livrer Marianne au bras du Léviathan. ◆ RLDA PERSPECTIVES ÉTUDE 3945 C’est un truisme d’affirmer que le droit de la consommation permet de protéger les consommateurs dans leurs relations avec des professionnels. Il est néanmoins réaliste de constater que le droit de la consommation, sous l’égide de la Commission européenne, tend à devenir un outil de régulation du marché économique. Les implications, tant avérées que prévisibles, de ce changement méritent d’être mises en exergue (1). Le droit de la consommation, entre protection du consommateur et régulation du marché Par Sabine BERNHEIM-DESVAUX Maître de conférences HDR à l’Université d’Angers Centre Jean Bodin – Recherche juridique et politique ACTE 1 – L’ÉVOLUTION HISTORIQUE DU DROIT DE LA CONSOMMATION : DE LA STRICTE PROTECTION DU CONSOMMATEUR À LA RÉGULATION DU MARCHÉ Le droit de la consommation est certainement né du besoin de protéger les consommateurs (cf. spéc. Bernheim-Desvaux S., PROLOGUE Il n’est pas d’usage pour un enseignantchercheur de raconter une histoire, encore moins des histoires ! Mais, une fois n’étant pas coutume, cet article a vocation à retracer brièvement l’histoire du droit de la consommation qui, partant d’un besoin de protection des consommateurs, s’achemine inexorablement vers un mécanisme de régulation du marché économique. Une pièce se joue en effet sur le théâtre moderne du droit. Au cours des dix dernières années, le droit de la consommation français a connu une évolution sans précédent, sous l’influence du droit communautaire, et par le recours à la fonction économique du droit. Dans un premier acte, nous établirons qu’une analyse économique du droit de la consommation conduit à l’utiliser à des fins de régulation du marché. Il conviendra de compléter cette première scène par l’étude des effets avérés de cette fonction de régulation, avant de procéder à une étude prospective dans un dernier acte. Droit de la consommation, Studyrama, 2e éd., 2011 , Calais-Auloy J. et Temple H., Droit de la consommation, Précis Dalloz, 8e éd., 2010 ; Picod Y. et Davo H., Droit de la consommation, Armand Colin, 2005 , Raymond G., Droit de la consommation, Litec, 2e éd., 2011). Ce besoin de protéger les acheteurs contre les abus des marchands n’est pas, contrairement à une idée préconçue, contemporain de notre société de consommation. Il a toujours existé, et les historiens du droit en ont trouvé des illustrations dans le Code d’Hammourabi, en 1700 avant J.-C. (répression des falsifications de marchandises), dans la loi des XII Tables à Rome (obligation d’information et garanties dans la vente), ou encore à l’époque médiévale avec la police des marchés. En revanche, il est vrai que ce besoin s’est accentué à partir des années 1960. En effet, le développement économique après-guerre a été sans précédent. Les biens et les services se multiplient, les entreprises grandissent, les produits se complexifient, le crédit se développe, la publicité et le marketing envahissent le marché. Le déséquilibre entre professionnels et consommateurs s’accroît et se manifeste à deux stades principaux. D’une part, un déséquilibre structurel : les réseaux de distribution, de plus en plus importants, écrasent les consommateurs pris individuellement. D’autre part, un déséquilibre intellectuel : la publicité et le marketing incitent souvent le consommateur mal informé à conclure des contrats qui ne sont pas nécessairement intéressants pour lui. Mais, paradoxalement, si les consommateurs représentent le groupe économique le plus important (en nombre), il est également le moins écouté. D’où l’idée des consommateurs de se regrouper pour défendre leurs intérêts. C’est le consumérisme, qui est apparu tout d’abord aux États-Unis dans les années 1960, symbolisé par le discours du président John F. Kennedy au Congrès en 1962 : « nous sommes tous des consommateurs ! ». À partir des années 1970, les pays européens prennent conscience des dangers de la société de consommation. Les organismes de défense et les règles de protection des consommateurs se multiplient alors. En France, c’est la codification de 1993 qui consacre l’existence du droit de la consommation (une nouvelle mouture du Code de la consommation se fait désespérément attendre. Si, depuis la loi du 3 janvier 2008, une recodification à droit constant est prévue, force est de constater qu’elle n’a toujours pas vu le jour.cf. Raymond G., Vœux, rêves et utopies, Contrats, conc., consom. 2012, Repère 1). En marge des législations nationales, la politique communautaire de protection des consommateurs s’est également affirmée (cf. Bourgoignie T., Droit et politique > (1) Cet article est tiré d’une intervention orale donnée à l’occasion du colloque intitulé « Le professionnel et le profane : les enjeux théoriques et pratiques de la distinction » organisé à la faculté de droit d’Angers le 15 décembre 2011. N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S 91 L E D R O I T D E L A C O N S O M M AT I O N , E N T R E P R O T E C T I O N D U C O N S O M M AT E U R E T R É G U L AT I O N D U M A R C H É communautaire de la consommation. Une évaluation des acquis, in Mélanges Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 95 ; Fasquelle D. et Meunier P., Le droit communautaire de la consommation, La documentation française, 2002 ; Stuyck J., J.-Cl. Europe, Fasc. 2000, Politique européenne de la consommation, 2008). Le traité de Rome du 25 mars 1957, antérieur au développement du consumérisme en Europe, n’envisageait pas la protection des consommateurs. Ce n’est qu’à compter des années 1970 que la politique communautaire en matière de consommation s’est mise en place. Plusieurs étapes se succédèrent jusqu’à l’actuel article 153 du traité CE qui dispose qu’un niveau élevé de protection des consommateurs est assuré dans les politiques de l’Union. La protection des consommateurs est désormais prévue de façon explicite par le traité CE, elle est un but en soi de la politique communautaire (cf. Leveneur L., Les contrats de consommation et le droit européen, Contrats, conc., consom. 2002, Repère 3). De cette première analyse, il résulte que le droit de la consommation, interne et communautaire, apparaît comme un ensemble de règles destinées à protéger le consommateur profane dans ses relations avec les professionnels. Cette première approche nécessite d’être combinée avec la fonction économique du droit de la consommation. Le consommateur n’est pas seulement le cocontractant individuel d’un professionnel ; il est également un acteur économique, le destinataire des biens et des services qui circulent sur le marché (Canivet G. et Champalaune C., Le comportement du consommateur dans la définition du marché, in Mélanges Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 227). Or, sur ce mar- ché, il va être nécessaire de trouver un juste équilibre entre libre concurrence et libre consentement du consommateur. Si le marché ne peut pas être laissé à la seule liberté de concurrence entre professionnels, la protection des consommateurs ne doit pas constituer un frein au développement économique. Le droit de la consommation doit permettre de réaliser cet équilibre entre libéralisme économique et dirigisme économique de protection. Ce qui est particulièrement notable, c’est que cette fonction économique du droit de la consommation est, depuis une dizaine d’années, appliquée par la Commission européenne au marché intérieur de l’Union. L’idée assénée est que, pour développer la croissance, il faut favoriser la consommation en assurant la libre circulation des biens et des services au sein de l’Union. Le droit de la consommation, au service de cette nouvelle politique, change alors de registre. Il devient un instrument de régulation du marché intérieur devant participer 92 activement à la circulation des biens de consommation, par l’harmonisation des législations nationales. Cette harmonisation doit servir de levier à la liberté des échanges (Bourgoignie T., préc. ; Pizzio J.-P., Le droit de la consommation à l’aube du XXIe siècle, in Mélanges Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 877 ; Stuyck J., J.-Cl Europe, Fasc. 2000, Politique européenne de la consommation, 2008). Elle est également la garantie d’une saine concurrence, bénéfique aux consommateurs européens (cf. pour une critique de cette harmonisation : Paisant G., Proposition de directive relative aux droits des consommateurs. Avantage pour les consommateurs ou faveur pour les professionnels ?, JCP G 2009, I, n° 118). La directive n° 2011/83/ UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 (JOUE n° L 304, 22 nov. 2011, p. 64, Contrats. conc., consom. 2012, focus 1., obs. Raud N. et Notte G.) relative aux droits des consom- mateurs indique d’ailleurs expressément que « l’objectif de la présente directive est de contribuer, en atteignant un niveau élevé de protection du consommateur, au bon fonctionnement du marché intérieur, en rapprochant certains aspects des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux contrats entre les consommateurs et les professionnels ». Cette mise en exergue de la fonction économique du droit de la consommation fait écrire à certains (Raymond G., Droit de la consommation, Litec, 2e éd., 2011, n° 59, cf. également Ferrier D., Le droit de la consommation, élément d’un droit civil professionnel, in Mélanges Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 373) que le droit de la consommation est une branche du droit des affaires, aux côtés du droit de la concurrence et du droit de la distribution. Les implications sont grandes. ACTE 2 – LES EFFETS AVÉRÉS DE L’UTILISATION DU DROIT DE LA CONSOMMATION AUX FINS DE RÉGULATION DU MARCHÉ Les indices de l’utilisation du droit de la consommation aux fins de régulation du marché sont nombreux, tant en droit interne qu’en droit communautaire. Il nous est possible d’en présenter les plus probants dans la synthèse suivante. En droit interne français, deux illustrations du rôle économique du droit de la consommation peuvent être données. D’une part, les règles consuméristes internes ne sont pas nécessairement des règles de protection. Ainsi, les règles relatives à la publicité, à la conformité et à la sécurité des produits, ou encore la réglementation des soldes, visent à mettre sur pied une police de la consommation faisant des intérêts des consommateurs un véritable contrepoids aux libertés R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 commerciales. L’objectif central est la régulation de l’offre des produits et des services faite au public (cf. Raymond G., Droit de la consommation, Litec, 2e éd., 2011, n° 59). D’autre part, le droit de la consommation français se caractérise par sa pénalisation. Cette pénalisation prévue, soit en renfort des dispositions civiles de protection du consommateur contre le professionnel, soit pour réprimer les abus affectant le bon fonctionnement du marché, élève la protection des consommateurs au rang de l’intérêt général. Elle assure, en conséquence, la défense de leurs intérêts collectifs par les agents de la DGCCRF, le ministère public, les syndicats professionnels et les associations de consommateurs. En droit communautaire, la Commission européenne et la CJUE mettent l’accent sur le rôle économique du droit de la consommation, ce qui en modifie substantiellement le contenu. Illustrons cette politique communautaire par trois exemples. Premier exemple. L’œuvre conjuguée du législateur européen et de la CJUE a conduit à définir précisément le consommateur. Deux éléments nous semblent importants. D’une part, la définition retenue est stricte : il s’agit d’une personne physique, contractant pour des besoins personnels (cf. CJUE, 22 nov. 2001, Contrats, conc., consom. 2002, comm. 18, note Raymond G., JCP G. 2002,, II, n° 10047, note Paisant G., D. 2002, p. 90, note Rondey C., RTD civ. 2002, p. 291, obs. Mestre J. et Fages B., p. 397, obs. Raynard J., RTD com. 2002, p. 404, obs. Luby M. ; cf. également Dir. Com. CE n° 2011/83, 25 oct. 2011, art. 2, sur les droits des consommateurs : « on entend par consommateur toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale »). Par conséquent, la distinction entre professionnel et profane n’a pas de réelle signification en droit de la consommation. Un consommateur très averti est protégé de la même manière qu’un consommateur non averti. Et un professionnel peut être aussi bien protégé qu’un consommateur (on pense notamment aux pratiques commerciales trompeuses applicables aux professionnels). Considérer le consommateur comme un acteur économique donne alors une lisibilité au domaine d’application du droit de la consommation qui reste incompréhensible si l’on raisonne seulement en termes de protection (cf. Beauchard J., Remarques sur le Code de la consommation, in Écrits en hommage à Cornu G., PUF, 1994, n° 29). Cette acception économique du consommateur pourrait sans doute être utilisée utilement en droit interne français afin de résoudre direct avec l’activité professionnelle retenue par la Cour de cassation depuis 1995 : Bernheim-Desvaux S., préc., p. 67), au non-professionnel (se pose en effet la question de savoir si cette expression, utilisée par le législateur français mais inexistante en droit communautaire, a une réalité ou est redondante par rapport à celle de « consommateur »), ou encore au consommateur personne morale (comp. notamment : Cass. 1re civ., 23 juin 2011, n° 10-30.645, Contrats, conc., consom. 2011, comm. 226 ; et Cass. 1re civ., 2 avr. 2009, n° 08-11.231, Contrats, conc., consom. 2009, comm. 182). D’autre part, ce consommateur est conçu comme un individu responsable même s’il n’est pas familier des affaires. Ainsi, pour la directive sur le crédit à la consommation, le consommateur est un emprunteur responsable ; pour la directive sur les pratiques commerciales, le consommateur est une personne normalement avisée, un consommateur moyen. Par conséquent, le consommateur n’a pas tant besoin d’être protégé que d’être mis en mesure de prendre une décision en connaissance de cause (cf. en ce sens Raymond G., Droit de la consommation, Litec, 2e éd., 2011, n° 404.). La loi doit donc se borner à informer les consommateurs car, bien informés, ils sont capables de défendre eux-mêmes leurs intérêts (cf. cependant la protection instituée par la loi lorsqu’elle estime que, même s’il est informé, le consommateur n’est pas en mesure de lutter, spécialement la législation sur les clauses abusives). L’idée est d’évi- ter de considérer les consommateurs comme des assistés voire des incapables. La surprotection risque de perpétuer la situation de faiblesse dans laquelle se trouvent nombre de consommateurs. Elle risque également d’être abusivement utilisée par les consommateurs les plus malins. Ainsi, le droit de rétractation prévu dans certains contrats de vente à distance ou conclus à la suite d’un démarchage à domicile est totalement discrétionnaire, les juges n’exerçant pas de contrôle de l’abus dans l’exercice de ce droit. Deuxième exemple. On assiste depuis 2005 à la multiplication de directives communautaires dites d’harmonisation maximale ou totale. L’harmonisation totale implique que les États membres sont tenus d’appliquer les règles posées par le texte européen, sans pouvoir aller au-delà ou en-deçà de la protection accordée. Des règles identiques sont ainsi posées pour tous afin d’éviter les distorsions de concurrence. À titre d’exemple, la directive n° 2005/29/CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales (Dir. Parl. et Cons. CE n° 2005/29, 11 mai 2005), celle du 23 avril 2008 (Dir. Com. CE n° 2008/48 du 23 avr. 2008) sur le crédit à la consommation et le surendettement, celle du 25 octobre 2011 (Dir. Parl. et Cons. UE n° 2011/83, 25 oct 2011) sur les droits des consommateurs, sont d’harmonisation maximale. L’objectif poursuivi par le droit communautaire est la réalisation du marché intérieur par la suppression des entraves résultant de la disparité des législations nationales. Cet objectif de régulation du marché se heurte cependant à quelques obstacles de taille. Tout d’abord, l’harmonisation ne s’impose qu’aux États, ce qui n’empêche donc pas les professionnels, ressortissants d’États différents, de proposer contractuellement des produits ou des services à des conditions inégales. Ensuite, des interprétations divergentes peuvent résulter des juridictions des États membres et l’œuvre unificatrice de la CJUE n’est pleinement réalisée qu’à l’issue d’une période plus ou moins longue. Enfin, les sanctions, notamment pénales, échappent à la compétence communautaire, ce qui peut maintenir des différences importantes entre les États membres. L’idée est d’éviter de considérer les consommateurs comme des assistés voire des incapables. La surprotection risque de perpétuer la situation de faiblesse dans laquelle se trouvent nombre de consommateurs. Dernier exemple. La CJUE a récemment posé le devoir du juge national de relever d’office toute disposition consumériste. Elle l’a d’abord affirmé en matière de clauses abusives (CJUE, 27 juin 2000, aff. C-240/98 à 244/98, Oceano Grupo, RTD civ. 2000, p. 939, obs. Raynard J., RTD civ. 2001, p. 878, obs. Mestre J. et Fages B., JCP G 2001, II, n° 10513, obs. Carballo-Fidalgo M., et Paisant G. ; CJUE, 4 juin 2009, aff. C-243/08, Pannon, JCP E 2009., n° 42, p. 26, note Raschel L.,Contrats, conc. consom. 2009, Alertes n° 54, D. 2009, p. 2312, note Poissonnier G., JCP G 2009, n° 42, 336, note Paisant G. ; CJUE, 6 oct. 2009, aff. C-40/08, Asturcom Telecommunicaciones, Procédures 2009, n° 12, p. 28, note Nourrissat C.), avant de l’étendre à la nullité d’un contrat du fait de la méconnaissance des règles relatives au démarchage à domicile (cf. CJUE, 17 déc. 2009, aff. C-227/08, Eva Martin c/ EDP Editores SL, D. 2010, p. 790). Ce devoir de relever d’office est révélateur de la conception communautaire nouvelle du droit de la consommation, une conception ambi- PERSPECTIVES ÉTUDE les difficultés relatives au professionnel « profane » (cf. sur les paradoxes du critère du rapport valente dans laquelle coexistent ordre public de protection et ordre public de direction. Ces quelques exemples montrent que le droit de la consommation est utilisé comme un instrument de régulation économique du marché. Une étude prospective suffira à nous convaincre que des changements fondamentaux s’annoncent. ACTE 3 – LES CONSÉQUENCES PRÉVISIBLES DE L’UTILISATION DU DROIT DE LA CONSOMMATION AUX FINS DE RÉGULATION DU MARCHÉ Le droit de la consommation va évoluer dans les années à venir, au moins sous deux angles. Première évolution. Élevé au rang de droit du marché intérieur, le droit de la consommation a vocation à promouvoir le consommateur européen, au détriment de sa protection sur le plan national. En d’autres termes, le prix à payer pour la construction d’un droit de la consommation uniforme garantissant les mêmes droits dans tous les États membres, semble être celui de la diminution de la protection du consommateur national (cf. Leveneur L., Proposition de directive relative aux droits des consommateurs : recul de la protection des acheteurs en France,Contrats, conc., consom. 2009, repères, Paisant G., Proposition de directive relative aux droits des consommateurs. Avantage pour les consommateurs ou faveur pour les professionnels ?, JCP G 2009, I, n° 118). Trois exemples révèlent que ce risque est bien réel. Premier exemple : les loteries publicitaires. La CJUE a posé, dans une décision en date du 14 janvier 2010 (CJUE, 14 janv. 2010, aff. C-340/08, Contrats, conc., consom. 2010, focus n° 22, note Razavi M., D. 2010, p. 258, obs. Chevrier E.), que la directive sur les pratiques commerciales déloyales s’oppose à ce qu’une réglementation nationale interdise par principe un concours ou un jeu promotionnel avec obligation d’achat. En d’autres termes, contrairement à ce qu’affirmait en droit français l’article L. 121-36 du Code de la consommation, une loterie publicitaire avec participation financière ne peut être interdite par une règle générale. La loi du 17 mai 2011 a modifié alors l’article L. 121-36 en ce sens : « lorsque la participation à une loterie publicitaire est conditionnée à une obligation d’achat, la pratique n’est illicite que dans la mesure où elle revêt un caractère déloyal au sens de l’article L. 120-1 ». Cette disposition est certainement moins protectrice du consommateur français que la précédente. N ° 6 9 • M A R S 2 0 12 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S > 93 L E D R O I T D E L A C O N S O M M AT I O N , E N T R E P R O T E C T I O N D U C O N S O M M AT E U R E T R É G U L AT I O N D U M A R C H É Deuxième exemple : le démarchage des professions libérales. Par une décision du 5 avril 2011 (aff. C-119/09, Société fiduciaire (cf. pour un versement d’arrhes ou d’acompte CA Rennes, nationale d’expertise comptable, Contrats, conc. consom 2011, comm. 10), la CJUE a considéré que chèque, espèces, effets de commerce, autorisation de prélèvement bancaire (CA Amiens, 11 sept. 2008, Juris-Data n° 2008-370795, l’interdiction du démarchage pour les professions libérales d’expertise-comptable était contradictoire avec la directive n° 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services. Autrement dit, une interdiction de principe du démarchage est illicite. L’arrêt concernait, certes, la profession d’expert-comptable, mais il est transposable à l’ensemble des professions libérales. Le législateur français sera contraint dans un avenir proche de modifier les textes qui interdisent le démarchage pour les professions libérales, notamment l’article 66-4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 qui interdit le démarchage en vue de rédiger des actes juridiques ou d’offrir des consultations juridiques. À nouveau se pose la question de la diminution prévisible de la protection du consommateur français. Dernier exemple : les contrats hors établissement. La directive du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs apporte un certain nombre de modifications relatives aux contrats hors établissement, susceptibles de diminuer la protection actuelle dont bénéficie le consommateur français en cas de démarchage à domicile. D’une part, la directive prévoit qu’il est possible d’écarter de la législation protectrice les contrats inférieurs à 50 €, ce qui est contraire au droit français positif selon lequel aucune distinction n’est faite suivant la valeur du contrat. D’autre part, la directive interdit en principe d’empêcher l’exécution des obligations des parties pendant le délai de rétractation, ce qui pourrait avoir des incidences sur l’interdiction française actuelle faite aux professionnels de demander un quelconque paiement au consommateur avant l’expiration du délai de rétractation. Cette règle française, énoncée par l’article L. 121-26 du Code de la consommation, s’applique aujourd’hui quelle que soit la forme du versement 94 13 juin 2008, Juris-Data n° 2008-001147, JCP E 2009, n° 22, p. 27) et le moyen de paiement utilisé : l’action de groupe, Contrats, conc., consom. 2010, focus n° 69). L’action de groupe n’est cependant autorisant le prêteur à faire opposition entre les mains du notaire au paiement du prix de la vente du bien immobilier pour payer le prêt (Cass. 1re civ., 17 janv. 2008, pas encore née. À Bruxelles, l’idée de plaintes de groupe semble abandonnée pour le moment. Les coûts pour les entreprises agissent en effet comme un repoussoir, alors que l’économie européenne est en crise. En France, le Sénat (LEDC févr. 2012, p. 1, obs. Bernheim-Desvaux S.) a certes introduit une action de groupe à la française le 22 décembre 2011, lors de l’examen du projet de loi visant à renforcer les droits, la protection et l’information des consommateurs (Projet de loi adopté n° 05-14.644, Bull. civ. I, n° 15, D. 2008, p. 347, Contrats, conc., consom. 2008, comm. 119). en première lecture par l’Assemblée nationale le 11 octobre 2011, cf. LEDC nov. 2011, obs. Sauphanor-Brouillaud N.). Contrats, conc., consom. 2009, comm. n° 64 ; Cass. 1re civ., 21 nov. 2006, Contrats, conc. consom. 2007, comm. n° 77), ordre de virement (Cass. crim., 10 janv. 2012, n° 11-86.985), ou signature d’un document Seconde évolution. La prise en compte accrue du rôle économique du droit de La prise en compte accrue du rôle économique du droit de la consommation devrait s’accompagner, dans un avenir proche, d’un renforcement de la défense collective des consommateurs. la consommation devrait s’accompagner, dans un avenir proche, d’un renforcement de la défense collective des consommateurs. La défense collective des intérêts des consommateurs devrait devenir le mode d’action premier pour équilibrer les relations entre professionnels et consommateurs. Il n’est donc pas étonnant de relever que la Commission européenne a publié, fin 2009, un Livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs envisageant notamment une action de groupe pour les litiges intracommunautaires. En 2010, la Commission a ouvert une consultation publique dans la perspective d’une proposition législative dès 2011 (cf. Fiévée A. et Grosjean, L’action de groupe… ou l’introduction d’une nouvelle voie de droit, Contrats, conc., consom. 2010, études n° 14, Grynfogel C., Une volonté européenne réaffirmée pour R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • M A R S 2 0 12 • N ° 6 9 Mais, la majorité présidentielle l’a qualifiée de « fausse-bonne idée ». Il sera certainement nécessaire de transformer la méfiance originaire des professionnels en partenariat et l’on mesure le chemin à parcourir lorsque l’on connaît le militantisme associatif en France. Epilogue. Quelle est la morale de cette histoire ? Le marché de la consommation est dominé par le jeu de la libre concurrence qui conduit à une guerre sans merci entre les entreprises afin d’accroître leur part de marché. Le droit de la consommation comporte des règles qui viennent limiter cette libre concurrence afin d’éviter qu’elle ne soit nuisible aux consommateurs. Ce faisant, le droit de la consommation assure une protection des consommateurs pris individuellement et régule le marché des consommateurs pris collectivement dans leurs relations avec les professionnels. La prise en compte de cette fonction économique du droit de la consommation s’est considérablement accrue au cours de ces dernières années, ce qui implique inévitablement une modification du droit de la consommation. Si la fonction de protection reste prégnante, celle de régulation transcende désormais la discipline. Est-ce une avancée ? Apporter une réponse tranchée est sans doute prématuré… mais fera l’objet d’une belle histoire à venir ! ◆ ” Nouveaux droits, Nouveaux livres de droit... et nouveaux supports de lecture MOBILITÉ version disponible en • Toujours accessible • Consultation immédiate après téléchargement CONFORT • Choix de la police et de la taille de caractère • Sommaire cliquable EFFICACITÉ • Recherche en texte intégral • Insertion d’annotations et surlignage • Liens vers les références bibliographiques, les notes de bas de page Wolters Kluwer France – SAS au capital de 300 000 000 € - SIREN 480 081 306 RCS Nanterre - A_LAD_eBook_Q Maintenant