Travail coopératif autour de la production d`un journal

Transcription

Travail coopératif autour de la production d`un journal
Gerald Schlemminger
in : Nouvel Éducateur, juin 1993, n° 65 - 66, pp. 16 - 17.
Travail coopératif autour de la production d'un journal
L'auteur relate 15 ans d'expérience de journaux de classe en collège et au
lycée (mais aussi en formation d'entreprise, à l'université et en formation des enseignants)
dans les matières qu'il a enseignées : l'allemand et le français.
Cadre imposé
Au maximum 3 heures par semaine par groupe-classe ; des classes
surchargées (jusqu'à 38 élèves) ; obligation de noter ; souvent pas de salle de classe fixe ;
le professeur garde la classe une seule année.
Cadre mis en place par l'enseignant
Le plan de travail : chaque élève dispose d'un plan de travail où il note ce
qu'il compte faire et ce qui a fait pendant un laps de temps fixé d'un commun accord. La
durée du plan dépend de différents facteurs : le niveau des élèves, leur capacité de travail,
la possibilité d'organiser une phase de travail individualisé pendant l'heure du cours, etc.
L'évaluation du travail s'effectue avec l'enseignant. Le contenu du plan est discuté
pendant le conseil du groupe-classe ; l'enseignant y tient compte des contraintes du
programme.
C'est un lieu commun pédagogique de dire qu'il faut plutôt écrire des
textes argumentés et cohérents que de faire des exercices isolés dont l'élève ne voit pas
toujours l'utilité. Imposer au plan de travail de composer un texte écrit paraît donc
défendable. Bien évidemment, ce serait un non-sens de vouloir exiger de l'élève d'écrire
un texte libre, par exemple pour les besoins du journal. L'obligation d'écrire un texte doit
donc englober tous les types de textes possibles dans la matière : le compte rendu, le
résumé d'une leçon ou d'un courrier des correspondants, la dialogisation d'un récit, une
dissertation, la transcription d'un exposé oral… et aussi le texte libre.
Un lieu d'écriture : Souvent, la réalisation du plan de travail s'effectue à la
maison. Mais lorsque la classe dispose d'un moment de travail individualisé, l'élève - seul
ou à plusieurs - doit avoir le temps et le calme nécessaires à la production son écrit.
Les protections pour l'élève : L'auteur reste maître de son écrit ; il peut
refuser sa présentation devant la classe, des corrections proposées et sa publication. Tout
texte publié porte la signature de l'auteur. Le contenu peut parfois mettre en cause
2
d'autres enseignants, l'établissement, etc. Le conseil du groupe-classe discutera alors de
l'opportunité de la publication d'un tel texte. En dernier ressort, c'est l'enseignant qui en
porte la responsabilité. Afin d'éviter de graves ennuis pour la classe, pour sa manière de
travailler, pour l'enseignant, celui-ci doit faire usage de son veto, en cas de besoin. Cette
réflexion devrait aller de soi, mais des cas récents - même dans le mouvement Freinet montrent qu'il y a souvent une confusion entre le sens civique de vouloir dénoncer
quelque chose et la protection des personnes impliquées.
Les protections pour le professeur : En dehors des situations citées cidessus, il y a la charge de travail de l'enseignant. Schématiquement parlant, il y a deux
cas de figure : Soit les élèves écrivent peu : il y a donc un problème de motivation, de lieu
ou d'organisation de la production dont nous parlerons plus tard ; soit les élèves écrivent
beaucoup : à six classes par professeur, cela fait une quantité non négligeable de travail
de correction.
J'avais la plus part du temps des classes qui écrivaient beaucoup. J'ai
alors demandé aux élèves de faire une correction de leur texte. Je n'acceptais un nouvel
écrit que sous condition que soit rendu en même temps l'ancien texte avec sa correction
laquelle je regardais de nouveau. Ce mode de travail me permettait de canaliser un flot
trop important d'écriture tout en espérant que mes corrections servaient éventuellement à
une amélioration grammaticale des textes.
Un lieu de présentation des textes écrits : A intervalle régulier, les élèves
doivent avoir la possibilité de pouvoir présenter leurs écrits ; en général c'est une fois par
mois. La classe choisit, par vote, les meilleurs textes à être publiés dans le journal. (Les
textes non élus ne passent pas pour autant à la "trappe" : l'élève peut en faire un album ; il
l'envoie aux correspondants ; le texte peut être affiché, etc.)
Comme les temps en collège et au lycée sont toujours très limités, donc
précieux, le texte à exposer oralement devant la classe doit être déjà "présentable", c'està-dire le "toilettage" de l'orthographe, du style, des erreurs de contenu, etc. doit avoir lieu
avant la présentation. Dans le primaire, cette phase se situe souvent après la présentation
et donne parfois lieu à une mise au point collective. Elle permet de revoir un point de
grammaire, etc. Dans le secondaire, cette pratique ne peut qu'être exceptionnelle. Elle se
fait au niveau individuel, entre le professeur et l'auteur.
En classe de langue, mais aussi dans les petites classes de collèges, se
pose parfois le problème de la présentation : l'auteur ne dispose pas d'une maîtrise
suffisante pour lire son texte devant la classe ; le texte s'avère trop difficile ou trop long ;
l'élève n' a pas eu suffisamment de temps pour s'entraîner à une prestation orale, etc. Le
professeur ne doit pas hésiter, surtout en début d'année, d'intervenir pour aider l'élève,
voire de lui proposer de présenter le texte à sa place.
3
Les motivations1 : Il y a quelques règles de base pour une écriture
personnalisée : J'écris quand j'ai quelque chose à dire. J'écris à quelqu'un qui m'intéresse,
avec qui je voudrais m'entendre mais qui ne peut pas m'entendre soit parce qu'il est loin,
soit parce qu'il n'est pas unique. J'écris poussé par le désir de (me) dire. J'écris tiré par
l'espoir d'être entendu et compris, sollicité par l'autre dans sa langue à lui (langue
étrangère / langue maternelle…) aidé et encouragé par le groupe dont je fais partie. Parce
que le travail d'écriture a été choisi, il devient objet de travail pour tous. Parce qu'il
correspond à un désir de communication. Ces nécessités amènent un travail sur l'objet de
l'apprentissage et non pas inversement.
L'élève est incité à écrire quand il peut puiser dans la richesse de la vie de
classe et de ses échanges : correspondance, journal, sortie-enquête, bibliothèque de
classe (contenant des manuels, des revues, des livres), etc.
Organisation coopérative du travail de production
Comme le travail de correction a été en grande partie effectué avant le
choix de textes, il ne reste que l'organisation matérielle de la production à assurer :
- collection des textes élus
- saisie des textes (par machine à écrire ou sur ordinateur)
- mise en page
- dernière correction du professeur
- le feu vert pour l'impression ("bon à imprimer")
- l'impression (la photocopie la plupart du temps)
- agrafage
- distribution
- critique du produit.
Ces phases semblent aller de soit en lisant ce texte. Dans la pratique des
classes du second degré, cela demande une préparation sérieuse : il y a des décisions à
prendre, des responsabilités à assumer. Ce travail doit se faire en amont des
présentations et du choix des textes. Il s'effectue lors du conseil, réunion mensuelle
coordonnant le travail du groupe-classe. Le groupe doit savoir pour quelles raisons il
produit le journal et à qui celui-ci s'adresse. Le groupe doit déterminer le titre de la
publication, le nombre de pages, le tirage, le coût de la production et éventuellement le
prix du journal. Le groupe doit fixer les délais des différentes phases de production. Il doit
être clair pour chacun quel(s) élève(s) est (sont) responsable(s) de quelle phase de travail,
de quelle tâche. Ces décisions sont à consigner dans un cahier par le secrétaire du
conseil. Car d'une semaine sur l'autre on risque d'oublier…
1
Dans ce paragraphe, je reprends des propos de F. OURY, non-publiés, écrits pour
des stages de formation.
4
Cette organisation peut s'effectuer, après un certain rodage, en trente
minutes. Au début de l'année, c'est au professeur d'effectuer la présidence du conseil.
Plus tard, cette fonction peut être assumée par un élève ayant fait preuve de compétence
dans l'organisation de son atelier ou de son groupe de travail et ayant déjà présidé avec
succès d'autres moments de la vie de classe.
Si le cadre (le programme et autres contraintes) ne le permet pas, la
plupart des tâches productives, bien que très important pour la vie sociale et affective de
la classe, peuvent être effectuées en dehors des heures de cours. La production réussit
sous condition que la phase de production ait été organisée rigoureusement auparavant;
que le professeur se réunisse de temps à autre avec les différentes responsables de la
production du journal (pendant le travail individualisé, lors d'une heure de permanence,
etc.). Au Quoi de nouveau? de chaque cours, il y a la possibilité d'un éventuel retour, d'un
bref rappel de certaines consignes. On peut aussi afficher les différentes étapes avec les
noms du (des) responsable(s). Puis, il reste toujours le conseil.
Obstacles possibles
Le temps ne me semble pas être une véritable entrave. Il faut savoir se
donner des limites : un journal par trimestre, une feuille A 3 recto verso, etc. Il vaut mieux
avoir un journal de peu de pages, présentant un travail soigné qu'un produit bâclé, avec
une mise page approximative, une qualité de photocopie médiocre que personne ne
voudra lire. D'ailleurs, un tel résultat ne mériterait pas le qualificatif de travail coopératif.
Le programme scolaire, soit-il celui du baccalauréat, n'est pas non plus un
obstacle. Quel élève ne serait pas content d'avoir, par exemple, le recueil d'une variété de
commentaires de textes lui permettant de mieux préparer l'écrit ou l'oral de son épreuve ?
(Même les fameuses annales ne pourraient pas le concurrencer.)
Des matières qui ne se prêtent pas à la production de journaux ? Il n'y a
pratiquement pas d'enseignement qui puisse se dispenser de l'écrit. Peut-être l'Éducation
physique et sportive, et encore… Dans les classes supérieures, l'aspect technique et
théorique entre dans cet enseignement. Je verrais tout à fait un journal E.P.S. présenter
des analyses fines de certains matchs de football ou d'autres activités sportives…
En classe de langue, il s'avère utile de publier en bilingue. Non seulement
les correspondants souhaitent lire en langue étrangère, mais les élèves d'autres classes,
les parents ne maîtrisent pas toujours la langue utilisée.
Une classe nombreuse ? Quelle aubaine pour un travail coopératif. Enfin,
il y a assez de personnes pour assumer les différentes tâches, pour former des ateliers,
des groupes de travail… Il faut savoir organiser.
Et l'inspection ? Il n'y a pas de meilleure carte de visite que le résultat d'un
5
tel travail collectif.
Aspects positifs
En s'insérant dans un processus de production pour lequel il est motivé,
l'élève prend en charge non seulement la réalisation d'un journal mais en même temps
son processus d'apprentissage : il a écrit, corrigé et retravaillé son texte ; il l'a présenté
oralement; il a éventuellement participé à sa mise en page. Il ne risque pas de ne pas
maîtriser un sujet qu'il a traité de si multiples façons. Et quelle valorisation de son travail
personnel : il est publié et est lu par d'autres. Son savoir n'est plus une affaire personnelle
; il est devenu un travail socialisé.
Plus le journal correspond à des besoins réels de la classe, plus il a de
succès : Je me souviens de certaines préparations d'examen que mes groupes avaient
publiées et qui étaient très demandées par d'autres, extérieurs à la classe.
La production d'un journal de classe me semble être un travail très
complet, suscitant à la fois l'emploi des capacités intellectuelles et manuelles des élèves.
C'est un travail exigeant, à tout point de vue, une bonne qualité du produit final ; qualité
qu'aucun professeur n'ose plus, depuis longtemps, demander à ses élèves lors des
interrogations écrites ou pour les devoirs à la maison.