Objet d`étude : Le théâtre, texte et représentation

Transcription

Objet d`étude : Le théâtre, texte et représentation
Objet d'étude : Le théâtre, texte et représentation.
CORPUS DE TEXTES
- Texte A : Beaumarchais, Le mariage de Figaro, Acte V, scène 3, fin. (1784)
- Texte B : Bertold Brecht, La Résistible Ascension d’Arturo Ui, Prologue, © L’Arche Editeur, Paris. (1941)
- Texte C : Molière, Dom Juan, Acte V, scènes 5 et 6. (1665)
- Texte D : Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, in Œuvres complètes, tome IV, © Gallimard. (1938)
- Texte E : Eugène Ionesco, Notes et contre-notes, Expérience du théâtre, © Gallimard. (1966)
Texte A
Le valet Figaro, qui était barbier à Séville, et vient d’épouser Suzanne, croit être cocufié par son maître, le
comte Almaviva, et se livre à un long monologue sur son existence.
FIGARO, seul, se promenant dans l’obscurité, dit du ton le plus sombre :
[…]
Mais comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête, il fallut bien périr encore.
Pour le coup je quittais le monde, et vingt brasses d’eau m’en allaient séparer, lorsqu’un dieu
bienfaisant m’appelle à mon premier état. Je reprends ma trousse et mon cuir anglais ; puis, laissant la
fumée aux sots qui s’en nourrissent, et la honte au milieu du chemin comme trop lourde à un piéton, je
5 vais rasant de ville en ville, et je vis enfin sans souci. Un grand seigneur passe à Séville ; il me
reconnaît, je le marie ; et pour prix d’avoir eu par mes soins son épouse, il veut intercepter la mienne !
Intrigue, orage à ce sujet. Prêt à tomber dans un abîme, au moment d’épouser ma mère, mes parents
m’arrivent à la file. (Il se lève en s’échauffant.) On se débat, c’est vous, c’est lui, c’est moi, c’est toi,
non, ce n’est pas nous ; eh ! mais qui donc ? (Il retombe assis.) Ô bizarre suite d’événements !
10 Comment cela m’est-il arrivé ? Pourquoi ces choses et non pas d’autres ? Qui les a fixées sur ma tête ?
Forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme j’en sortirai sans le vouloir, je l’ai
jonchée d’autant de fleurs que ma gaieté me l’a permis : encore je dis ma gaieté sans savoir si elle est à
moi plus que le reste, ni même quel est ce moi dont je m’occupe : un assemblage informe de parties
inconnues ; puis un chétif être imbécile, un petit animal folâtre ; un jeune homme ardent au plaisir,
15 ayant tous les goûts pour jouir, faisant tous les métiers pour vivre ; maître ici, valet là, selon qu’il plaît à
la fortune ; ambitieux par vanité, laborieux par nécessité, mais paresseux... avec délices ! orateur selon
le danger ; poète par délassement ; musicien par occasion ; amoureux par folles bouffées ; j’ai tout vu,
tout fait, tout usé. Puis l’illusion s’est détruite et, trop désabusé... Désabusé !... Désabusé !... Suzon,
Suzon, Suzon ! que tu me donnes de tourments !... J’entends marcher... on vient. Voici l’instant de la
20 crise.
Il se retire près de la première coulisse à sa droite.
Texte B
Le dramaturge allemand Bertold Brecht s’opposa toujours au nazisme. Dans La Résistible Ascension
d’Arturo Ui, il propose une mise en scène parodique des débuts du nazisme et de la montée d’Hitler en
transposant l’histoire dans le milieu américain des gangsters de Chicago.
PROLOGUE
Devant le rideau de toile s’avance le Bonimenteur : sur le rideau sont collés des écriteaux en grosses
lettres : « Le scandale des subventions aux Docks ; la lutte autour du testament et des aveux du vieil
Hindsborough ; coup de théâtre au procès de l’incendiaire des entrepôts ; le gangster Ernesto Rama
liquidé par ses amis ; intimidation et assassinat d’Ignace Dollfoot ; Cicero aux mains des gangsters. »
Derrière le rideau, une musique de foire.
LE BONIMENTEUR
Chers spectateurs, nous présentons
– Vos gueules un peu, dans le fond !
Chapeau là-bas, la petit’dame ! –
5
10
15
20
25
30
35
Des gangsters l’historique drame :
Stupéfiante révélation
Sur le scandal’des subventions !
Nous vous montrons également
Les aveux d’Hindsborough avec son testament ;
La résistible ascension d’Ui pendant la baisse ;
Vous verrez comment rebondit
Le tristement fameux procès de l’incendie,
Le meurtre de Dollfoot, la Justic’dans les pommes,
Les gangsters en famille, ou la mort d’Ernest Rome,
Et pour apothéose, en un dernier tableau,
Les gangsters s’emparant enfin de Cicero.
Vous allez voir, joués par les plus grands acteurs,
Les illustres héros du monde des gangsteurs :
Gangsteurs morts et gangsteurs vivants,
Provisoires ou permanents,
Ceux qui sont nés gangsteurs ou le sont devenus,
Tel ce vieil Hindsborough, modèle des vertus.
Apparaît le vieil Hindsborough.
L’âme est noire, les cheveux blancs.
Salue un peu, vieux dégoûtant !
Le vieil Hindsborough se retire après avoir salué.
Vous y verrez aussi, tiens, déjà le voilà
Qui paraît (Gobbola vient d’apparaître), le fleuriste appelé Gobbola.
Lui, le gueuloir graissé de pommad’synthétique,
Vous vendra des vessies pour les lamp’s électriques.
Le mensonge, dit-on, a les pieds raccourcis :
Regardez voir un peu les pieds de celui-ci.
Gobbola se retire en boitant.
Au tour d’Ermanuel Gori, le clown vedette !
Amène-toi un peu, et fais voir ta binette !
Gori s’avance et salue de la main.
Un des plus grands tueurs de toute la chronique.
Fous le camp !
Gori se retire d’un air vexé.
Et voici, curiosité unique,
Le gangster des gangsters,
le tristement célèbre Arturo Ui, fléau que le ciel en colère
Envoya nous punir de nos iniquités,
Nos crimes, nos erreurs et notre lâcheté !
[...]
Texte C
À la fin de la pièce, Dom Juan, « grand seigneur méchant homme » (Dom Juan, I, 1), libertin qui a provoqué
Dieu, va être puni de ses crimes. Il est accompagné de son valet Sganarelle.
ACTE V, SCENE 5. Dom Juan, un spectre en femme voilée, Sganarelle.
5
LE SPECTRE. Dom Juan n’a plus qu’un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du ciel ; et s’ il
ne se repent ici, sa perte est résolue.
SGANARELLE. Entendez-vous, monsieur ?
DOM JUAN. Qui ose tenir ces paroles ? Je crois connoître cette voix.
SGANARELLE. Ah ! Monsieur, c’est un spectre : je le reconnois au marcher.
DOM JUAN. Spectre, fantôme, ou diable, je veux voir ce que c’est.
(Le spectre change de figure, et représente le temps avec sa faux à la main.)
SGANARELLE. O ciel ! Voyez-vous, monsieur, ce changement de figure ?
DOM JUAN. Non, non, rien n’est capable de m’imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon
épée si c’est un corps ou un esprit.
(Le spectre s’envole dans le temps que dom Juan le veut frapper.)
10 SGANARELLE. Ah ! Monsieur, rendez-vous à tant de preuves, et jetez-vous vite dans le repentir.
DOM JUAN. Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu’il arrive, que je sois capable de me repentir. Allons,
suis-moi.
ACTE V, SCENE 6. La statue, Dom Juan, Sganarelle.
LA STATUE. Arrêtez, dom Juan : vous m’avez hier donné parole de venir manger avec moi.
DOM JUAN. Oui. Où faut-il aller ?
LA STATUE. Donnez-moi la main.
DOM JUAN. La voilà.
5 LA STATUE. Dom Juan, l’endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que
l’on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre.
DOM JUAN. O Ciel ! Que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n’en puis plus, et tout mon corps
devient un brasier ardent. Ah !
(Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur Dom Juan ; la terre s’ouvre et l’abîme
; et il sort de grands feux de l’endroit où il est tombé.)
SGANARELLE. Voilà par sa mort un chacun satisfait : ciel offensé, lois violées, filles séduites,
10 familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est
content. Il n’y a que moi seul de malheureux... Mes gages ! mes gages, mes gages !
Texte D
En marge du recueil Le Théâtre et son double, cette note porte sur une représentation du spectacle que JeanLouis Barrault avait tiré de Tandis que j’agonise de William Faulkner et qu’il ne joua que quatre fois au
Théâtre de l’Atelier.
AUTOUR D’UNE MÈRE
Action dramatique de Jean-Louis Barrault
5
10
15
20
25
1
Il y a dans le spectacle de Jean-Louis Barrault une sorte de merveilleux cheval-centaure, et notre
émotion devant lui a été grande comme si avec son entrée de cheval-centaure Jean-Louis Barrault nous
avait ramené la magie.
Ce spectacle est magique comme sont magiques les incarnations de sorciers nègres quand la langue qui
bat le palais fait la pluie sur un paysage ; quand, devant le malade épuisé, le sorcier qui donne à son
souffle la forme d’un malaise étrange, chasse le mal avec le souffle ; et c’est ainsi que dans le spectacle
de Jean-Louis Barrault, au moment de la mort de la mère, un concert de cris prend la vie.
Je ne sais pas si une telle réussite est un chef-d’œuvre ; en tout cas c’est un événement. Il faut saluer
comme un événement une telle transformation d’atmosphère, où un public hérissé plonge tout à coup
en aveugle et qui le désarme totalement.
Il y a dans ce spectacle une force secrète et qui gagne le public comme un grand amour gagne une âme
toute prête à la rébellion.
Un jeune et grand amour, une jeune vigueur, une effervescence spontanée et toute vive circulent à
travers des mouvements rigoureux, à travers une gesticulation stylisée et mathématique comme un
ramage d’oiseaux chanteurs à travers des colonnades d’arbres, dans une forêt magiquement alignée.
C’est là, dans une atmosphère sacrée, que Jean-Louis Barrault improvise les mouvements d’un cheval
sauvage, et qu’on a tout à coup la surprise de le voir devenu cheval.
Son spectacle prouve l’action irrésistible du geste, il démontre victorieusement l’importance du geste et
du mouvement dans l’espace. Il redonne à la perspective théâtrale l’importance qu’elle n’aurait pas dû
perdre. Il fait de la scène enfin un lieu pathétique et vivant.
C’est par rapport à la scène et sur la scène que ce spectacle est organisé : il ne peut vivre que sur la
scène. Mais il n’est pas un point de la perspective scénique qui n’y prenne un sens émouvant.
Il y a dans cette gesticulation animée, dans ce déroulement discontinu de figures, une sorte d’appel
direct et physique ; quelque chose de convaincant comme un dictame1, et que la mémoire n’oubliera
pas.
On n’oubliera plus la mort de la mère, avec ses cris qui reprennent à la fois dans l’espace et dans le
temps, l’épique traversée de la rivière, la montée du feu dans les gorges d’hommes à laquelle sur le plan
Dictame = un baume.
du geste répond une autre montée du feu, et surtout cette espèce d’homme-cheval qui circule à travers
la pièce, comme si l’esprit même de la Fable était redescendu parmi nous.
Texte E
Dramaturge, Ionesco est aussi un théoricien du théâtre. Dans Notes et contre-notes, il réfléchit sur le sens et
la portée du théâtre. Il aborde ici la question de la parole théâtrale.
Si l’on pense que le théâtre n’est que théâtre de la parole, il est difficile d’admettre qu’il puisse avoir un
langage autonome. Il ne peut être que tributaire des autres formes de pensée qui s’expriment par la
parole, tributaire de la philosophie, de la morale. Les choses sont différentes si l’on considère que la
parole ne constitue qu’un des éléments de choc du théâtre. D’abord le théâtre a une façon propre
5 d’utiliser la parole, c’est le dialogue, c’est la parole de combat, de conflit. Si elle n’est que discussion
chez certains auteurs, c’est une grande faute de leur part. Il existe d’autres moyens de théâtraliser la
parole : en la portant à son paroxysme, pour donner au théâtre sa vraie mesure, qui est dans la
démesure ; le verbe lui-même doit être tendu jusqu’à ses limites ultimes, le langage doit presque
exploser, ou se détruire, dans son impossibilité de contenir les significations.
10 Mais il n’y a pas que la parole : le théâtre est une histoire qui se vit, recommençant à chaque
représentation, et c’est aussi une histoire que l’on voit vivre. Le théâtre est autant visuel qu’auditif. Il
n’est pas une suite d’images, comme le cinéma, mais une construction, une architecture mouvante
d’images scéniques.
Tout est permis au théâtre : incarner des personnages, mais aussi matérialiser des angoisses, des
15 présences intérieures. Il est donc non seulement permis, mais recommandé, de faire jouer les
accessoires, faire vivre les objets, animer les décors, concrétiser les symboles.
De même que la parole est continuée par le geste, le jeu, la pantomime, qui, au moment où la parole
devient insuffisante, se substituent à elle, les éléments scéniques matériels peuvent l’amplifier à leur
tour.
Questions sur le corpus (4 points).
1°) Étudier le rôle des didascalies dans les textes théâtraux A, B et C. (3 points)
2°) Résumez brièvement les aspects de la représentation théâtrale qui complètent le langage de la parole,
selon les auteurs des textes D et E. (3 points)
Écriture : vous traiterez ensuite un seul des trois sujets suivants (16 points).
Commentaire : Vous ferez le commentaire du texte A de Beaumarchais.
Dissertation : Dans l’avertissement de sa pièce L’Amour médecin, Molière écrivait : « On sait bien que les
comédies ne sont faites que pour être jouées ; et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont des
yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre. »
En étendant la réflexion de Molière au théâtre en général, vous direz si vous partagez la conception qu’il a de
ce genre spécifique. Vous vous appuierez sur les textes du corpus, les textes étudiés en classe, et votre
culture théâtrale personnelle.
Écriture d’invention : Après avoir assisté à une représentation du Dom Juan de Molière, vous rédigerez un
article de critique théâtrale qui dénonce, ou qui loue, les choix de mise en scène du texte C (occupation de
l’espace scénique, son, lumière, effets spéciaux, accessoires, décors, costumes, gestuelle, diction, etc.), en
réfléchissant aux critères qui peuvent fonder votre jugement.

Documents pareils