Dom Juan, un séducteur au sens premier du terme

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Dom Juan, un séducteur au sens premier du terme
Dom Juan, un séducteur
au sens premier du terme
Scènes Benoît Verhaert met
l’accent sur la révolte de Dom
Juan. Et touche aussi les jeunes.
Entretien Laurence Bertels
A
moureux du répertoire, Benoît Ve­
rhaert continue, avec son Théâtre
de la Chute, à s’en emparer avec
conviction et intelligence. Les classiques,
ou assimilés, drainant des classes entières
de cinquième ou sixième secondaires, le
comédien et metteur est devenu, en outre,
animateur. Un métier qui lui a réservé de
belles surprises et qu’il pratique avec ta­
lent. L’aventure a commencé avec “La
Chute” de Camus. Ont suivi “L’Etranger”,
“On ne badine pas avec l’amour” d’Alfred
de Musset et “Dom Juan” de Molière dont
il livre une lecture particulière, au­delà de
celle habituelle du grand séducteur de­
vant l’éternel.
Pour Camus, Benoît Verhaert se rendait
dans les écoles, expliquait le contexte aux
élèves et les invitait ensuite à jouer une
partie du procès à l’issue de la représenta­
tion. Pour Molière, il organise un petit dé­
bat à la fin du spectacle, un échange ludi­
que et participatif au cours duquel le pu­
blic est divisé en deux camps, celui de Dom
Juan et celui de Sganarelle. Chaque camp
doit alors débattre des grands thèmes de la
pièce : l’amour, le religion, l’ordre social.
Selon qu’il soit côté droit ou gauche des
gradins, il raisonnera à la manière de Dom
Juan ou de Sganarelle. Par ailleurs, le
Théâtre de la Chute invite ceux qui le dé­
sirent à préparer une ou deux scènes
qu’ils viendront jouer dans quelques mois
sur le plateau. Benoît Verhaert nous pré­
cise sa démarche.
quelque chose d’anticonformiste dans ce
personnage, avec presque du snobisme
dans cette attitude. Pour moi, Dom Juan est
un iconoclaste, un jeune homme en rup­
ture avec son père mais aussi avec l’hon­
neur, le respect des aînés et des morts, la
hiérarchie sociale et, entre autres, mais en­
tre autres seulement, le mariage.
Malgré les matinées scolaires,
en plus des soirées, et le travail en classe, vous insistez sur
le fait que vos pièces s’adressent bien au tout public…
Les jeunes qui viennent me
voir sont des jeunes adultes.
Je ne crée pas des adapta­
tions à leur intention mais
j’ai la volonté d’aller à leur
rencontre d’une manière ou
d’une autre.
Ce n’est donc pas le séducteur
mais le penseur que vous vouliez mettre en exergue…
Je considère que ses rencon­
tres amoureuses servent à dé­
montrer à Sganarelle qu’une
femme est prête à rompre des
fiançailles en cinq minutes,
rien que pour être anoblie
comme on le voit dans la
scène avec la paysanne qu’il
courtise. C’est pour cela qu’il
dit ne pas vouloir se lier à une
seule femme. Le dialogue
m’intéressait. Tout comme le contrepoint
de Sganarelle, son domestique. Si on les
met bout à bout, on réalise que leurs dialo­
gues représentent un tiers de la pièce. Il
s’agit même peut­être d’un dialogue inté­
rieur de Dom Juan. Les deux hommes ne
s’entendent pas, ne s’écoutent pas, ont des
rapports de pouvoir. Le maître et l’esclave
sont comme une seule et même personne.
A la fin
du spectacle,
Benoît
Verhaert
organise
un échange
ludique et
participatif.
Pourquoi avoir choisi “Dom
Juan”?
S’il est une pièce de Molière que j’avais en­
vie de monter, c’est celle­là car elle ne se
contente pas d’être une peinture sociale
des courtisanes. Mythique et métaphysi­
que, elle parle aussi du rapport au sacré.
Don Juan est un libertin. Pas seulement un
consommateur de plaisirs charnels mais
aussi un libre penseur, affranchi de religion
et de métaphysique, et qui remet en cause
tout dogme établi. N’oublions pas que li­
bertin vient du latin “libertinus” comme
l’esclave qui vient d’être libéré. Il y a donc
U Bruxelles, Petit Varia, jusqu’au 19 novem­
bre à 20h. Infos & rés. : 02.640.35.50 ou
www.varia.be
Critique
Un road movie
hétéroclite
On ne s’attaque pas aisément
à “Dom Juan”, monstre sacré
du théâtre, un personnage
complexe que Louis Jouvet
n’osa pas incarner avant
d’avoir soixante ans. Benoît
Verhaert, metteur en scène, et
remarquable Sganarelle, tout
en nuances, voulait pour le
rôle principal un comédien
plein de fougue et de
jeunesse à l’image du libertin
imaginé par Molière. Il le voit
même, vu la révolte du
personnage, en punk. D’où
son pantalon de cuir noir sous
sa redingote de velours rouge.
Au jeu exubérant, contrasté
avec la partition mesurée et
puissante de Benoît Verhaert,
Samuel Seynave forme
cependant un duo intéressant
avec son valet, un bouffon
plein d’ambiguïté.
Joué à l’allure d’un road
movie sur fond de guitare
électrique, ce “Dom Juan”
enchaîne les répliques, sans
coupes dans le texte initial, à
une vitesse vertigineuse et
“boucle l’affaire” en une
heure trente, top chrono. Un
argument de nos jours.
Surtout auprès des jeunes
nombreux à assister au
spectacle du Varia. La scène
est d’ailleurs divisée en deux
comme une autoroute qui
court à l’infini.
ISABELLE DEBEIR
Les autres personnages sont
masqués ou incarnés par de
très belles marionnettes
signées Odile Dubucq et que
manipulent la très fine
Audrey D’Hulstère (“Un
tramway nommé désir”,
espoir féminin aux Prix de la
critique) et Jean-Michel
Destexhe. Les costumes
varient d’une époque à
l’autre, le metteur en scène
ayant préféré jouer sur les
codes vestimentaires.
L’ensemble se regarde
aisément mais aurait gagné à
faire des choix de mise en
scène plus tranchés. L.B.
A gauche, Samuel Seynave, Dom Juan. A droite, Benoît Verharert, Sganarelle.
mardi 15 novembre 2016 - La Libre Belgique
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