12-Man Ray - Petites histoires d`artistes

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12-Man Ray - Petites histoires d`artistes
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MAN RAY (1890-1976)
Le hasard fait bien les choses
Paris, 1921. De nombreux artistes étrangers viennent en France pour tenter leur chance…
Il s’appelait Emmanuel Radnitzky, mais tout le monde l’appelait Man Ray, ce qui voulait dire en anglais
« L’homme-rayon-de-lumière ». Il arrivait des Etats-Unis, où il avait fait de la peinture, de la sculpture et pas mal de
sérigraphies, mais maintenant, il vivait à Paris et il faisait de la photographie. Comme il n’avait pas de laboratoire, il
travaillait dans son cabinet de toilette. Il avait vissé une petite lampe rouge au dessus de son lavabo et il l’allumait
quand il tirait ses photos pour rester dans l’obscurité.
Il travaillait encore avec un vieil appareil qui imprimait les images sur des plaques de verre. Quand il revenait chez
lui, il allumait la petite lampe rouge, posait la plaque de verre sur une feuille de papier photo, puis allumait le
plafonnier de son lavabo – 1, 2, 3 – et éteignait aussitôt. Après, il plongeait le papier sensible dans une petite cuvette
où il avait mis un peu de révélateur et, en quelques secondes, l’image apparaissait. C’était une opération très
délicate. Il fallait être attentif au moindre détail, car la moindre trace de lumière pouvait gâcher tout son travail.
Man Ray :
Autoportrait, 1917.
Le cadeau, 1921.
Un beau matin, il sortit de chez lui pour apporter à un ami des photos qu’il venait de tirer, mais au moment de
fermer la porte, il s’aperçut qu’il avait oublié ses clés dans le cabinet de toilette. Il revient sur ses pas, allume le
plafonnier, et aperçoit ses clés sur une feuille de papier. Il éteint aussitôt, pour ne pas risquer d’abîmer le papier, et
attrape ses clés dans le noir.
Copyright : Sylvie Léonard – Petites histoires d’artistes – 2012
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Le lendemain, lorsqu’il voulut tirer une photo, il vit apparaître en surimpression la silhouette blanche de ses clés sur
la feuille où elles étaient restées posées.
Etonné, il saisit dans l’obscurité tout ce qui était à sa portée – un peigne, un rasoir, un blaireau, une savonnette – et
les posa sur une nouvelle feuille de papier. Il alluma le plafonnier – 1, 2, 3 – et plongea la feuille dans le révélateur.
Au bout de quelques secondes, il vit apparaître dans la petite cuvette la silhouette translucide de tous ses objets de
toilette.
Il essaya avec la main, il essaya avec le pied, il essaya avec le nez… et chaque fois, sur la feuille de papier, il
découvrait des formes nouvelles et tout à fait inattendues, avec des parties blanches au centre et des contours grisés
comme les modelés d’une peinture. La trouvaille était épatante. Il recommença l’expérience. Il essaya avec des
objets transparents, avec une poignée d’épingles, avec des morceaux de sucre, avec une moulinette à légumes…
Man Ray :
Deux photogrammes,
1921-1926.
Comme il travaillait dans le noir, c’était toujours un peu au hasard, mais il maîtrisait de mieux en mieux sa
technique et faisait maintenant de véritables petits tableaux sur le papier photo.
Lorsqu’il posait ses objets sur le papier, dans l’obscurité, il faisait attention de bien les disposer, comme un peintre
compose un tableau. Il commença à organiser les formes en jouant sur les contrastes. Le dur et le doux, le long et le
court, le cercle et le carré, l’opaque et le transparent…
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Mais quand, ensuite, il regardait ses photos, accrochées à un fil par une pince à linge, il découvrait tout autre chose.
Il s’aperçut bien vite qu’il pouvait donner à ses objets du mouvement en les disposant dans un geste ascendant.
Il pouvait aussi jouer sur l’épaisseur des objets et composer des images à plusieurs niveaux avec toutes sortes de gris
qui donnaient des nuances infinies et parfois même une impression de profondeur.
Plus il cherchait, plus il trouvait des formes étranges, amusantes ou inattendues. Il finit même par faire de véritables
tableaux abstraits…
Man Ray :
Trois photogrammes,
1921-1926.
Depuis ce jour, tous les photographes du monde s’amusent à composer des petits tableaux sur du papier photo. On
les appelle des « rayogrammes », en hommage à leur inventeur, Man Ray, l’homme-rayon-de-lumière.
Ce fut une des plus belles leçons que nous apprirent les Surréalistes : que le hasard est un artiste.
Copyright : Sylvie Léonard – Petites histoires d’artistes – 2012