L`analyse d`une photographie - Man Ray.pub
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L`analyse d`une photographie - Man Ray.pub
L’analyse d’une photographie : Man Ray Le sujet : Cette photographie intitulée « Violon d'Ingres, 1924 » de Man Ray, de son vrai nom Emmanuel Radnitsky, est une épreuve gélatino-argentique, en noir et blanc, de 28.2x22.5cm, conservée à Paris, au centre Georges Pompidou. Le photographe : Man Ray était d’abord un peintre avant de basculer progressivement vers la photographie à partir de 1915, jusqu’à en faire son principal mode de création, allant même jusqu’à détruire ses peintures. Sa rencontre décisive avec Marcel Duchamp le décide à quitter les États-Unis en 1921 pour s’installer à Paris où il vit jusqu’en 1940. Dès son arrivée, Duchamp lui présente les membres du groupe Dada et notamment André Breton qui diffuse bientôt les créations photographiques du jeune américain. Les fréquentations de Man Ray lui permirent rapidement de devenir le portraitiste des intellectuels et des artistes les plus influents de l’époque. Grâce à son inventivité et son audace, il connait le succès et enchaîne les commandes pour de grands magazines de mode comme Vogue ou Vanity Fair. Violon d'Ingres, 1924 © Man Ray Le contexte : Cette femme instrument n’est autre que Kiki de Montparnasse, Alice Ernestine Prin, actrice et chanteuse, mais aussi modèle réputé pour sa grande beauté. Personnalité du Paris des années folles, elle posa pour de nombreux artistes et fut aussi la muse et la compagne de Man Ray lui-même. Parmi ceux qui faisaient appel à elle, on trouve le photographe Brassaï, les peintres Modigliani et Foujita ou le sculpteur Calder… Dans ses mémoires, Man Ray raconte qu’Alice refusait de poser pour lui, parce que « un photographe n’enregistrait que la réalité » disaitelle. « Pas moi…je photographiais comme je peignais, transformant le sujet comme le ferait un peintre. Comme lui, j’idéalisais ou déformais Page 1 L’analyse d’une photographie : Man Ray mon sujet » écrira-t-il en guise de réponse. D’ailleurs dans l’angle inférieur droit de l’image, comme un peintre le ferait au bas de sa toile, on remarque la signature de l’artiste. L’impression : L’artiste nous offre dans ce cliché, à priori simple et relativement épuré, plusieurs sens de lectures très subtiles. Alors que le titre de l’oeuvre fait penser à un violon, le dos du modèle ressemblant à la table de cet instrument, l’association des hanches de la femme et des ouïes font clairement penser à un violoncelle. Sa forme très évocatrice et la façon d’en jouer sont pour le moins des références subjectives assez sensuelles. Faire de ce corps un instrument de musique c’est mettre en exergue le son du corps d’autan que Kiki, souvenez-vous, était chanteuse. Man Ray illustre aussi le principe de la rencontre insolite cher aux surréalistes, la pose du modèle fait écho à la célèbre toile d’Ingres tandis que les formes de la femme font référence à celles d’un violon. Le titre combine quant à lui ces deux éléments, recréant ainsi l’expression populaire « avoir un violon d’Ingres », c’est-à-dire une activité que l’on aime pratiquer sans que cela soit son activité principale. On y voit clairement la référence à la passion d’Ingres pour le violon, mais également l’ode à la beauté et à l’érotisme de la jeune femme qui pose, à la propre passion de Man Ray pour elle, puisqu’elle est son violon d’Ingres… Enfin, il est indéniable que cette photographie évoque la sensualité, Man Ray est un artiste Alice Ernestine Prin, dit Kiki © Man Ray surréaliste, et cette mouvance est très attirée par le sexe et le côté sensuel. Format, angle et cadrage : Nous sommes en présence du portrait d’une femme assise de dos, prise à la verticale. Vraisemblablement le photographe était proche de Page 2 L’analyse d’une photographie : Man Ray son modèle et sensiblement situé au niveau de l’assise, légèrement en retrait. Le cadrage est soigné comme en témoigne la grille qui montre un centrage du sujet assez rigoureux. Profondeur et lumière : Le modèle est pris de dos sur un fond presque entièrement noir offre naturellement un bon contraste. L’éclairage venant de la droite du sujet et l’exposition présentent très peu d’ombre. En zoomant sur la photographie on a l’impression d’être en présence d’une peinture, le grain ressemblant à celui d’une toile. Nous sommes à la frontière de la photographie et de la peinture tant dans la technique que dans le rendu. Composition : Man ray reprend la posture de dos d’une femme nue dévoilée jusqu’à la naissance des fesses avec la tête légèrement tournée et coiffée d’un turban orientalisant. Man Ray utilise fréquemment la surimpression et la solarisation, mais dans le cas présent il a simplement dessiné les ouïes d’un violon sur le tirage photographique à la mine de plomb et à l’encre de chine. Man Ray a agi comme Duchamp quand il a peint des moustaches à la Joconde. Cette surcharge appliquée sur la photographie donne l’illusion que les ouïes sont en relief. Grille : Violon d'Ingres, 1924 © Man Ray Page 3 L’analyse d’une photographie : Man Ray Connotations éventuelles : Cette photographie est clairement inspirée de « La Baigneuse Valpinçon », également désignée sous le titre de « Grande Baigneuse » telle quelle fut peinte en 1808 par le peintre néo-classicisme, Jean-Auguste-Dominique Ingres. Les références d'Ingres pour cette oeuvre sont multiples. On cite Raphaël, qu'il admirait par-dessus tout, avec l'une des « Grâces » qu'il peignit dans la loggia de Psyché à la villa Farnésine, mais également une gravure du « Coucher à l'italienne » de Jacob Van Loo, qui représente lui aussi une femme nue vue de dos. On peut donc penser sans trop de risque d’erreur que Man Ray s’est inspiré de ces peintures et de ces artistes. « La Baigneuse Valpinçon, 1808 », peinture de Jean-Auguste-Dominique Ingres Squal Page 4 « Coucher à l'italienne, 1650 », peinture de Jacob Van Loo