Anthologie poétique Moyen âge

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Anthologie poétique Moyen âge
Charles d’Orléans, prince français, perd son épouse en 1415 et la même année il est fait prisonnier à la bataille
d’Azincourt. Il passe en Angleterre vingt-cinq années de captivité qu’il va occuper à composer d’innombrables
poésies.
En la forest d'Ennuyeuse Tristesse,
Un jour m'avint qu'a par moy cheminoye,
Si rencontray l'Amoureuse Deesse
Qui m'appella, demandant ou j'aloye.
Je respondy que, par Fortune, estoye
Mis en exil en ce bois, long temps a,
Et qu'a bon droit appeller me povoye
L'omme esgaré qui ne scet ou il va.
En sousriant, par sa tresgrant humblesse,
Me respondy : " Amy, se je savoye
Pourquoy tu es mis en ceste destresse,
A mon povair voulentiers t'ayderoye ;
Car, ja pieça, je mis ton cueur en voye
De tout plaisir, ne sçay qui l'en osta ;
Or me desplaist qu'a present je te voye
L'omme esgaré qui ne scet ou il va.
- Helas ! dis je, souverainne Princesse,
Mon fait savés, pourquoy le vous diroye ?
Cest par la Mort qui fait a tous rudesse,
Qui m'a tollu celle que tant amoye,
En qui estoit tout l'espoir que j'avoye,
Qui me guidoit, si bien m'acompaigna
En son vivant, que point ne me trouvoye
L'omme esgaré qui ne scet ou il va. "
ENVOI
Aveugle suy, ne sçay ou aler doye ;
De mon baston, affin que ne fervoye,
Je vois tastant mon chemin ça et la ;
C'est grant pitié qu'il couvient que je soye
L'omme esgaré qui ne scet ou il va.
Charles d’Orléans (1394-1465)
Charles d’Orléans a écrit également des poésies très simples :
Le Printemps (rondeau traduit en français moderne)
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,
Et s’est vêtu de broderie
De soleil luisant, clair et beau.
Il n’y a bête ni oiseau
Qu’en son jargon ne chante ou crie :
« Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie »,
Rivière, fontaine et ruisseau
Portent en livrée jolie
Gouttes d’argent d’orfèvrerie ;
Chacun s’habille de nouveau :
Le temps a laissé son manteau.
Un autre poète du XVe siècle, François Villon renouvelle un des thèmes majeurs de la poésie française, qui est le
sentiment douloureux du temps qui passe :
Ballade des Dames du temps jadis
Dites-moi où, n'en quel pays,
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine,
Echo, parlant quant bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté eut trop plus qu'humaine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
Où est la très sage Héloïs,
Pour qui fut châtré et puis moine
Pierre Esbaillart à Saint-Denis ?
Pour son amour eut cette essoine.
Semblablement, où est la roine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
La roine Blanche comme un lis
Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au grand pied, Bietrix, Aliz,
Haramburgis qui tint le Maine,
Et Jeanne, la bonne Lorraine
Qu'Anglais brûlèrent à Rouen ;
Où sont-ils, où, Vierge souvraine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
Prince, n'enquerrez de semaine
Où elles sont, ni de cet an,
Que ce refrain ne vous remaine :
Mais où sont les neiges d'antan ?
François Villon (né en 1431)
François Villon a été condamné à mort pour avoir poignardé un prêtre au cours d’une rixe entre ivrognes. Voici
« L ‘Épitaphe Villon » qu’il écrivit en attendant d’être pendu au gibet de Montfaucon :
Ballade des pendus
Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s'en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
A lui n'ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n'a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
François VIillon (né en 1431)