Vénus Anadyomène », Arthur Rimbaud Poème

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Vénus Anadyomène », Arthur Rimbaud Poème
Français
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« Vénus Anadyomène », Arthur Rimbaud
Poème
Introduction
• L’eau appelle un traitement thématique. Celui-ci convient donc mieux aux travaux
relatifs aux oraux de Français (la lecture analytique accompagne des groupements
de texte ou l’étude d’œuvres complètes) qu’à ceux préparant à l’écrit puisque la
dissertation, le sujet d’invention et le commentaire sont aujourd’hui pensés à partir
de l’étude d’un genre, non d’un thème.
• « Vénus Anadyomène » a été rédigé par Rimbaud en juillet 1870, alors il était encore
lycéen à Charleville, mais déjà lié à son professeur de rhétorique Izambard qui
en fut l’heureux dépositaire. Cadeau ambigu de la part du jeune prodige, puisque
c’était faire honneur à son professeur en le prenant comme juge et confident de ses
premiers créations, mais c’était aussi le blesser en le rendant complice du saccage
spectaculaire de la « belle » poésie représentée par le mythe de Vénus, dégradée ici
en vieille prostituée émergeant de son bain. Rimbaud cependant est ici loin d’être
original, puisqu’il s’inspire des outrances de la poésie libertine du XVIIe siècle, mais
aussi de Gatigny et de François Copée.
• Une lecture analytique de ce poème pourrait dégager les axes suivants : étudier
le réalisme misogyne du portrait, la parodie de la poésie précieuse, et la violence
érotique très rimbaldienne de cette pièce, c’est-à-dire une désagréable alliance
d’érotisme, de mort et d’analité. On remarquera que dans le sonnet l’eau est associée
non à la vie, mais à la mort.
Élements d’analyse
1. Le portrait réaliste
Il est fortement empreint de misogynie et procède en deux temps : accent placé sur le
symbolisme du décor (c’est là que l’eau commence à jouer son rôle) et peinture cynique
du corps ruiné par l’âge, les amours tarifés et la maladie.
• Le décor
La baignoire : occasion de mettre en scène la nudité de la femme. Elle a une fonction
métonymique : son vers renvoie à la maladie qui ronge la prostituée, sa forme de
cercueil suggère la mort prochaine de cette femme, et l’expression « vieille baignoire »
annonce les « déficits assez mal ravaudés » (v. 4) du corps de cette « Clara Venus »
(v.12) bien fatiguée.
• Le corps
Il sera aisé de montrer qu’il est marqué par la laideur, la vulgarité (maquillage
appuyé), la bêtise (« une tête…lente et bête… ») et la vieillesse. Il s’agit de la part de
Rimbaud d’un portrait hyperréaliste que n’aurait pas désavoué aujourd’hui un peintre
comme Lucian Freud.
2. Un sonnet parodique
Deux clichés poétiques sont ici parodiés : la naissance de Vénus et le blason, type de
poème pratiqué depuis le Moyen Age.
• Le mythe de Vénus
« Anadyomène » signifie « née de l’écume ». Ici, la parodie burlesque et grotesque
envahit tout : la mer est devenue une eau sale et savonneuse, la naissance n’est plus
que la sortie progressive du bain/cercueil, si bien que la vie est convertie brutalement
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Corrigé
1. Le registre le plus sensible est
évidemment le registre comique,
qui lui-même se décompose en
registres satirique, grotesque et
burlesque. On peut considérer
que le registre tragique est
également utilisé par Rimbaud
puisque la prostituée est
malade ; enfin, on peut juger que
le dernier vers correspond au
registre horrifique qui mélange le
grotesque et le repoussant.
2. Ce thème est celui de la
prostituée.
3. La naissance d’Aphrodite.
4. Le blason.
5. Son apparition progressive
mime une naissance, et c’est en
fait la naissance de la mort.
6. La laideur, la maladie, la
vieillesse.
7. Les allitérations en « r », qui
confèrent au poème une sorte de
brutalité sonore accompagnant
sa brutalité thématique.
8. Celui de voyeur.
9. L’union de la cruauté, de la
vulgarité provocante, du sexe et
de la mort.
en « naissance de la mort ». Même ce corps qui, comme celui
d’un nouveau né, frétille, ne bouge ici que pour tendre sous le nez
du lecteur la plaie obscène qui le couronne : « …tend sa large
croupe/Belle hideusement d’un ulcère à l’anus ». On voit donc que
c’est l’eau qui permet à toutes les significations de se déployer. Le
tatouage gravé sur les reins de la prostituée, « Clara Venus », joue
en quelque sorte le rôle de mise en abyme de la parodie.
• Le contre blason
On n’aura ici aucun mal à montrer que le portrait de cette
femme inverse, parce qu’il est à charge de la beauté, toutes les
caractéristiques élogieuses du blason.
3. L’érotisme
Il éclate dans ce sonnet : dans la pose affichée par la femme, et
dans le concetto, scandaleux à plusieurs titres.
• La pose
À la place de la pose classique de la statuaire qui vise d’habitude
à idéaliser la nudité divine, Rimbaud met théâtralement en scène
le racolage de cette Vénus de bas étage, qui semble s’offrir à
l’œil du lecteur transformé en voyeur de peep-show : « Et tout ce
corps remue et tend sa large croupe… ».
• Le sexe et la mort
L a « patte » de Rimbaud : un concetto qui verse dans
l’« horrifique », et qui fait jaillir une « fleur du mal ». L’organe
de l’amour vénal dévoré par la mort (l’ulcère à l’anus), et le tout
palpitant d’une beauté répulsive : « Belle hideusement d’un ulcère
à l’anus », oxymore baroque qui ferme le sonnet en ouvrant sur
la fascination pré-bataillenne de la charogne érotique.
L’eau est donc clairement associée ici à la mort et au désir, deux
des thèmes qui lui sont traditionnellement attachés.
Questions préparatoires
1. Relevez les registres dominants de ce sonnet.
2. Quel thème rebattu du XIXe illustre-t-il ?
3. Quel mythe grec parodie-t-il ?
4. Quel type de poème médiéval s’amuse-t-il à tourner en dérision ?
5. Comment s’organise la description de la femme ?
6. Quelles sont les caractéristiques de cette femme ?
7. Quelles sont les sonorités frappantes de ce sonnet ?
8. À quel rôle désagréable le lecteur est-il réduit par Rimbaud ?
9. Quels commentaires appelle le concetto ?
?
Lien avec les autres disciplines
Histoire : la prostitution au XIXe siècle.
Arts plastiques : le thème de la « belle matineuse » et la représentation
de la prostituée en peinture.
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