Les entreprises européennes face à l`extraterritorialité du droit

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Les entreprises européennes face à l`extraterritorialité du droit
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i q us ey s t è m e s d ’ i n f o r m a t i o n
droit des marchés financiers
Les entreprises européennes
face à l’extraterritorialité
du droit américain
Dès lors qu’il s’agit de « moraliser » les activités économiques,
le droit américain connaît peu de limites spatiales, y compris dans
des litiges qui n’ont parfois qu’un lien lointain avec les États-Unis.
Il n’est plus possible aujourd’hui pour une société d’ignorer cette
extraterritorialité.
Hubert
de Vauplane
Directeur des affaires
juridiques
Crédit Agricole SA
Professeur associé
Université Paris II
Panthéon-Assas
AEDBF Europe
Les propos de l’auteur
n’engagent que celui-ci
et ne sauraient constituer
une opinion de Crédit
Agricole SA.
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Revue Banque
L
’affaire de la class action Vivendi
a focalisé en France, y compris
dans les médias, l’attention
sur le rôle du juge américain
pour trancher, dans certaines circonstances, des conflits entre des
actionnaires non américains et des
sociétés européennes. Dans le même
cadre, l’affaire Morrisson, en cours
de jugement devant la Cour Suprême
américaine, est attendue par les spécialistes comme l’une des décisions
les plus importantes de ces dernières décennies pour les entreprises
européennes. Dans un cas comme
dans l’autre, c’est l’extraterritorialité du droit américain qui est au
cœur du débat. Or, il n’est plus possible aujourd’hui pour une société
d’ignorer cette extraterritorialité,
même si la société n’est pas cotée
sur une bourse américaine, voire
n’est pas cotée du tout. Le prisme
du législateur américain n’est pas
arrêté par ses propres frontières.
Dès lors qu’il s’agit de « moraliser »
les activités économiques, le droit
n° 724 mai 2010
américain connaît peu de limites
spatiales. Et pourtant, les principes du droit international devraient
limiter une telle extension.
Justifier un effet
extraterritorial à une loi
locale
En règle générale, le droit international prévoit trois principes alternatifs pouvant justifier un effet
extraterritorial à une loi locale : les
principes de territorialité, de nationalité et de sécurité. L’une des difficultés majeures de ces dernières
années est de savoir si un État peut
adopter des mesures régissant des
activités qui s’exercent en dehors
de son territoire sous prétexte que
ces activités ont des effets sur son
propre territoire. Le cas du droit
américain ces dernières années en
est l’illustration.
Paradoxalement, il n’existe pas de
dispositions législatives générales
en droit américain sur les conditions
dans lesquelles une loi peut avoir
des effets extraterritoriaux [1]. En
l’absence de lois, la doctrine américaine, dans le Restatement (Third)
of Foreign Relations Law of the United States (American Law Institute,
1987), considère que les États-Unis
d’Amérique et les États qui les composent peuvent exercer légitimement
leur pouvoir législatif dès lors qu’une
activité produit ou est censée produire des « effets substantiels » sur
le territoire américain, à condition
toutefois que l’exercice d’une telle
compétence ne soit pas « déraisonnable ». Dit autrement, l’application
extraterritoriale d’une loi américaine
peut être tenue pour légale à la double condition qu’il existe un lien de
rattachement suffisant avec l’État
qui a édicté la norme et qu’une activité exercée à l’étranger puisse avoir
un effet sur les intérêts protégés par
l’État auteur de la loi extraterritoriale.
[1] Sur les développements qui suivent, cf.
P. Lanois, « L’effet extraterritorial de la loi Sarbanes
Oxley », Revue Banque édition, 2008.