Les couples non mariés et le contentieux de la rupture

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Les couples non mariés et le contentieux de la rupture
Un an d’actualité en droit de la famille
Strasbourg, le 16 juin 2011
Les couples non mariés et le contentieux de la rupture
Catherine HIGY, Docteur en droit*
L’année qui vient de s’écouler a été marquée d’une activité jurisprudentielle et législative
assez chargée, mais très hétéroclite en matière de concubinage et de PACS. Vous le savez, il
n’y a eu aucune réforme d’ensemble, mais des retouches plus ponctuelles et quelques arrêts
intéressants.
Ils ont le plus souvent eu pour effet de marquer encore un peu plus le rapprochement qui
s’opère depuis plusieurs années entre le PACS et le mariage, tandis que le concubinage reste
résolument hors de ce statut protecteur.
Avant de nous concentrer plus spécifiquement sur les questions liées à la rupture des couples
non mariés, et puisqu’il s’agit d’un colloque d’actualités, on signalera quelques modifications
intervenues cette dernière année en matière, plus spécialement, de PACS.
L’enregistrement du PACS par le notaire
La loi du 23 juin 20061 avait expressément prévu que la convention de PACS pouvait être
reçue par un notaire. Une loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou
juridiques et certaines professions réglementées2 a prévu qu’en ce cas, le notaire recevant
l’acte a également la charge de recueillir la déclaration conjointe, d’enregistrer le PACS3 et de
faire procéder à sa publicité4. En ce cas, les partenaires ne passent donc plus devant le greffier
du tribunal d’instance : c’est impérativement le notaire instrumentaire qui procède à
l’enregistrement5.
Selon la Chancellerie6, l’enregistrement du PACS par le notaire n’empêchera pas les
partenaires de passer une convention modificative sous seing privé s’ils le souhaitent. Il leur
appartiendra en ce cas d’envoyer l’acte modificatif au notaire ayant reçu la convention initiale
afin qu’il procède à l’enregistrement et fasse procéder à la publicité.
*
Le style oral de cette intervention a été conservé.
Loi no 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, JO du 24 juin 2006,
p. 9513 s.
2
Loi no 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines
professions réglementées, JO du 29 mars 2011, p. 5447.
3
Dans une note du 10 mai 2011, le Conseil supérieur du notariat recommande aux notaires de tenir un registre
spécialement dédié aux PACS, le temps que soit mis en place un registre spécifique.
4
Le surcoût pour les partenaires reste modique. L’enregistrement ne fait pas l’objet d’une tarification. Selon la
note du Conseil supérieur du notariat du 10 mai 2011, les formalités de publicité peuvent être tarifées à hauteur
de cinq unités de valeur, soit 19,50 euros HT (5 UV x 3,90 euros, nouvelle valeur applicable depuis le mois de
février 2011).
Quant aux frais liés à la rédaction de l’acte authentique, ils sont inchangés et s’élèvent à 50 UV soit 195 euros
HT pour les émoluments fixes, auxquels il faut ajouter les émoluments de formalités (état civil, copies
authentiques et désormais publicité) et le droit d’enregistrement de 125 euros : V. W. BABY, Réforme du PACS
authentique : questions-réponses, JCP 2011, éd. N, act. 476.
5
Idem. En revanche, les pactes authentiques reçus avant le 30 mars 2011, date d’entrée en vigueur de la loi
nouvelle, et non encore enregistrés, devront l’être par le greffier du tribunal d’instance territorialement
compétent.
6
V. Rapp. AN no 2621, 2009-2010, par Y. NICOLIN, p. 73.
1
Dans une sorte de parallélisme des formes et de façon logique, le notaire qui a enregistré le
PACS est également compétent pour enregistrer la dissolution et faire procéder à sa publicité
suite à une déclaration conjointe ou à une décision unilatérale en ce sens, ou encore suite au
mariage d’un partenaire ou des partenaires ensemble dont il serait informé par l’officier de
l'état civil7.
Finalement, la proposition du rapport Guinchard de transférer à l’officier de l’état civil la
charge de l’enregistrement des PACS n’a donc pas été retenue8. Ces nouvelles tâches du
notaire déchargeront quelque peu les tribunaux d’instance, dans une mesure toute relative
puisque seulement 10 % des conventions de PACS sont aujourd'hui reçues par un notaire9.
La perte de l’avantage fiscal l’année de la conclusion du PACS
La loi de finances pour 201110 a modifié les conditions d’imposition des couples mariés ou
pacsés qui se forment ou se séparent11. Les nouveaux partenaires (comme les « jeunes »
mariés) rempliront désormais, en principe, une seule déclaration. Ils peuvent toutefois opter
pour une imposition séparée, auquel cas ils feront deux déclarations, soit une par partenaire.
Chacun déclare en ce cas les revenus qu’il a perçus du 1er janvier à la date du PACS, puis la
quote-part des revenus communs lui revenant du PACS jusqu’au 31 décembre. Ces
quotes-parts peuvent ne pas être égales, si les partenaires en justifient. À défaut d’une telle
justification, les revenus communs sont partagés en deux quotes-parts égales.
L’année de la dissolution du PACS, la règle est désormais que les ex-partenaires feront deux
déclarations séparées et non plus trois comme autrefois.
Le quasi-alignement de la solidarité financière des couples pacsés sur celle des couples mariés
La solidarité financière des partenaires pacsés est désormais presque alignée sur celle des
époux. Suite à la loi du 23 juin 2006, l’article 515-4 du Code civil disposait « Les partenaires
sont tenus solidairement à l'égard des tiers des dettes contractées par l'un d'eux pour les
besoins de la vie courante. Toutefois, cette solidarité n'a pas lieu pour les dépenses
manifestement excessives ». Cette disposition était inspirée de l’article 220 qui s’applique au
mariage, si ce n’est que cette dernière disposition vise non pas les besoins de la vie courante,
mais l’entretien du ménage et l’éducation des enfants. La solidarité ainsi instituée entre les
partenaires avait toutefois un champ plus large, car les exclusions prévues par l’article 220
concernant les achats à tempérament et les emprunts (sauf ceux portant sur des sommes
modestes nécessaires aux besoins de la vie courante) n’avaient pas été reprises. On sait
pourtant que ces dettes présentent une certaine dangerosité12.
À l’occasion d’une nouvelle réforme du crédit à la consommation par une loi du 1er juillet
201013, le législateur a complété l’article 515-4. À l’instar de l’article 220, il dispose
désormais que la solidarité « n'a pas lieu non plus, s'ils n'ont été conclus du consentement des
deux partenaires, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces
derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante ». La
7
Art. 515-7 C. civ., nouvelle rédaction.
V. la 39e proposition du rapport Guinchard.
9
Il est ainsi opéré une sorte de « privatisation du PACS », dénoncée par ceux qui se disaient en faveur de
l’enregistrement par l’officier de l'état civil : V. S. VALORY, RJPF-2011-5/27.
10
Loi no 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, JO du 30 décembre 2010, p. 23033 s.
11
I. OMARJEE, LFR 2010 et LF 2011 : en attendant la grande réforme fiscale de l'été 2011..., AJ fam. 2011, p. 6.
12
F. GRANET-LAMBRECHTS et P. HILT, Le pacte civil de solidarité, JCl. Civil code, art. 515-1 à 515-7-1,
fasc. 10, 2009, spéc. no 107.
13
Loi no 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, JO du 2 juillet 2010,
p. 12001 s.
8
2
solidarité des partenaires connaît donc désormais un champ d’application comparable à celle
des époux.
Cela creuse encore un peu plus le fossé avec le concubinage, dont la Cour de cassation a
récemment eu l’occasion de rappeler qu’il ne faisait naître aucune solidarité financière14. Dans
une décision du 23 mars 2011, elle a ainsi cassé, de façon prévisible, la décision rendue par un
tribunal d’instance qui avait condamné un concubin à rembourser le solde d’un emprunt au
motif que celui-ci répondait aux besoins de la vie courante au sens de l’article 220 du Code
civil et donc qu’il engageait solidairement les concubins.
L’extension des droits des militaires mariés aux militaires pacsés
Toujours dans le sens d’un rapprochement du mariage et du PACS, on notera qu’un décret du
10 janvier 201115 est venu généraliser l’extension des droits des militaires mariés aux
militaires pacsés16. En certains domaines, cette extension était déjà de droit positif, mais il
était exigé pour cela que le PACS ait duré trois ans. C’était par exemple le cas s’agissant de
l’indemnité forfaitaire de congé des militaires. Le nouveau décret a pour effet de réduire cette
durée à deux ans. Ailleurs, comme par exemple s’agissant de l’indemnité de départ outre-mer,
les droits reconnus aux militaires mariés n’étaient pas applicables aux militaires pacsés et le
décret du 10 janvier leur étend ces droits, toujours à la condition que le PACS ait duré deux
ans.
Les limites au rapprochement entre PACS et mariage : les amendements repoussés
Le législateur est toutefois plus frileux dans son œuvre de rapprochement du PACS et du
mariage s’agissant de questions plus symboliques. On a pu le constater lors des débats ayant
précédé l’adoption de la loi no 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration
de la qualité du droit17. Ainsi, les sénateurs ont repoussé un amendement qui tendait à
accorder aux partenaires concluant un PACS un congé de quatre jours pour évènement
familial, à l’instar des « jeunes » mariés18. Il perdure donc une double différence : entre le
secteur privé et le secteur public, car les fonctionnaires bénéficient d’une autorisation
exceptionnelle d’absence qui peut aller jusqu’à cinq jours en cas de mariage ou de PACS, et
entre couples mariés et pacsés. Sur ce dernier point, la Haute autorité de lutte contre les
discriminations avait d’ailleurs identifié une discrimination19. La commission des affaires
sociales s’était dite défavorable à l’amendement soumis, pour deux raisons : les charges que
cela ferait peser sur les entreprises alors que l’économie est en crise, mais aussi une volonté
de maintenir une différence entre le PACS et le mariage. Pour cette dernière raison, le
Gouvernement s’était lui aussi dit défavorable à l’amendement, tout en rappelant que la
question peut faire l’objet d’accords entre partenaires sociaux20.
14
Cass. 1re civ., 23 mars 2011, inédit au Bulletin, pourvoi no 09-71.261.
Décret no 2011-38 du 10 janvier 2011 relatif à la prise en compte du pacte civil de solidarité dans le régime
indemnitaire des militaires et modifiant diverses dispositions relatives à la délégation de solde des militaires, JO
du 12 janvier 2011.
16
Sur ce point, V. S. VALORY, Un décret étend aux militaires pacsés les droits reconnus aux militaires mariés,
RJPF-2011-4/24.
17
JO du 18 mai 2011, p. 8537 s.
18
Art. L. 3241-1 C. trav.
19
Délibération de la HALDE no 2009-336 du 28 septembre 2009, JO du 14 mars 2010. V. B. BEIGNIER, Rapport
de la Halde, Dr. fam. 2010, comm. 56.
20
V. le compte-rendu intégral des débats de la séance du 13 décembre 2010.
15
3
Un autre amendement visait à poser une présomption de qualité pour pourvoir aux funérailles
en faveur du partenaire survivant. Il a finalement été retiré après discussion21, la proposition
étant assez malvenue. En effet, même en matière de mariage, une telle présomption n’est
posée par aucun texte. En cas de contestation quant à la personne la plus qualifiée pour
pourvoir à des funérailles, il appartient au juge d’instance de se prononcer sur la question.
Dans les faits, il désigne souvent le conjoint survivant22, sauf cas de mésentente notoire de
telle sorte qu’on peut affirmer qu’il existe une présomption de fait en ce sens. Il ne fait guère
de doute que si le défunt était pacsé, le juge, à la condition qu’on le saisisse, aurait un
raisonnement comparable et désignerait le partenaire survivant (sauf situation particulière),
d’autant que la jurisprudence se montre déjà ouverte à la désignation du concubin, de même
sexe ou non23. On notera d’ailleurs que depuis cette même loi de simplification du droit, l’acte
de décès d’une personne pacsée fera mention du nom de son partenaire comme le prévoit
désormais l’article 79 du Code civil.
Parution le 16 juin 2010 d’une circulaire relative aux nouvelles compétences du JAF
Penchons-nous maintenant sur les questions qui touchent plus particulièrement à la rupture
des couples non mariés. Au titre des innovations récentes, on se rappelle que l’article 14 de la
loi de simplification du droit du 12 mai 200924 avait fait du juge aux affaires familiales (JAF)
le juge de tous les contentieux patrimoniaux du couple, que celui-ci soit marié, pacsé ou en
concubinage. Rappelons notamment que le JAF est désormais compétent pour connaître du
fonctionnement des indivisions entre pacsés ou concubins, de la liquidation et du partage des
intérêts patrimoniaux entre pacsés et concubins, ainsi que des actions liées à la contribution
aux charges du PACS ou à la contribution à l’entretien des enfants25. La loi du 12 mai 2009
21
Idem.
Et ce sauf mésentente notoire entre les époux. Voir par ex. Cass. 1re civ., 2 fév. 2010, Bull. civ. I, no 24, RLDC
2010/70, no 3790, note E. POULIQUEN. La veuve du défunt avec qui il a vécu pendant trente ans, dont il a eu
quatre enfants et avec laquelle il avait des liens affectifs non contestables a été jugée plus indiquée pour
organiser ses funérailles que la mère du défunt qui lui contestait cette qualité.
23
Sur la question, V. J. SEGURA, La crémation, objet de conflits familiaux, in La crémation et le droit en Europe,
B. PY (ss dir.), Presses universitaires de Nancy, 2008, p. 129 s.
24
Loi no 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et de simplification des
procédures, JO du 13 mai 2009, p. 7920 s.
25
Art. L. 213-3 COJ : « Dans chaque tribunal de grande instance, un ou plusieurs magistrats du siège sont
délégués dans les fonctions de juge aux affaires familiales.
Le juge aux affaires familiales connaît :
1° De l'homologation judiciaire du changement de régime matrimonial, des demandes relatives au
fonctionnement des régimes matrimoniaux et des indivisions entre personnes liées par un pacte civil de
solidarité ou entre concubins, de la séparation de biens judiciaire, sous réserve des compétences du président du
tribunal de grande instance et du juge des tutelles des majeurs ;
2° Du divorce, de la séparation de corps et de leurs conséquences, de la liquidation et du partage des intérêts
patrimoniaux des époux, des personnes liées par un pacte civil de solidarité et des concubins, sauf en cas de
décès ou de déclaration d'absence ;
3° Des actions liées :
a) A la fixation de l'obligation alimentaire, de la contribution aux charges du mariage ou du pacte civil de
solidarité et de la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants ;
b) A l'exercice de l'autorité parentale ;
c) A la révision de la prestation compensatoire ou de ses modalités de paiement ;
d) Au changement de prénom ;
e) A la protection à l'encontre du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin
violent ou d'un ancien conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin violent ;
f) A la protection de la personne majeure menacée de mariage forcé ».
22
4
avait été suivie d’un décret paru le 17 décembre 200926, et ces dispositions sont entrées en
vigueur le 1er janvier 2010.
Le 16 juin 2010, une circulaire de présentation de certaines d’entre elles est parue27. Elle ne
brosse pas toutes les modifications intervenues mais se concentre sur les compétences du JAF
en matière de régimes matrimoniaux, et, ce qui nous intéressera plus particulièrement,
d’indivisions.
La première partie de la circulaire ne fait qu’apporter des précisions. On y lit par exemple que
dans le cadre de l’indivision, le JAF est compétent pour autoriser un acte auquel un indivisaire
pacsé ou concubin ne peut consentir faute de pouvoir manifester sa volonté ou lorsque son
refus met l’intérêt commun en péril.
Sur certaines questions plus délicates, la circulaire prend position. Ainsi, il lui semble possible
que le contentieux d’ordre patrimonial en son ensemble soit soumis au JAF, et ce même pour
les actions qui ne seraient pas expressément visées par les textes. Le JAF pourrait ainsi
connaître, par exemple, des actions en enrichissement sans cause formées entre ex-concubins,
ou encore de celles qui tendent à la reconnaissance d’une société créée de fait sous réserve,
naturellement, que le contentieux en question ne relève pas de la compétence exclusive d’une
autre juridiction (compétence du juge d’instance en matière de crédit, par exemple).
Toutefois, et toujours selon la circulaire, les actions en responsabilité liées à une rupture
fautive ne relèveraient pas de la compétence du JAF, sauf à se rattacher au partage de
l’indivision. Cette interprétation semble contraire à la lettre du texte qui prévoit, de manière
générale, que le JAF connaît de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des
pacsés et des concubins. Il a été avancé en doctrine que l’action en responsabilité entre pacsés
ou concubins serait de la compétence du JAF, spécialement lorsqu’un préjudice économique
est invoqué28.
Il appartiendra à la jurisprudence de prendre position sur la question, et, pour les raisons
invoquées, il n’est pas certain qu’elle suive toutes les préconisations de la circulaire.
La mise en place d’un dispositif de protection contre les violences au sein du couple commun
à toutes les formes de conjugalité
S’agissant toujours de la compétence du JAF, on signalera également que depuis une loi du
9 juillet 201029 entrée en vigueur le 1er octobre 2010, il est compétent pour rendre une
ordonnance de protection en cas de violences au sein du couple. La loi a été suivie d’un décret
d’application du 29 septembre 201030 et d’une circulaire du 1er octobre 201031. Ont été insérés
dans le Code civil les articles 515-9 et s., et dans le Code de procédure civile les articles
26
Décret no 2009-1591 du 17 décembre 2009 relatif à la procédure devant le juge aux affaires familiales en
matière de régimes matrimoniaux et d'indivisions, JO du 20 décembre 2009, p. 22025 s.
27
Circulaire no CIV/10/10 du 16 juin 2010. Pour un commentaire détaillé de la circulaire,
V. V. LARRIBAU-TERNEYRE, Les nouvelles compétences du juge aux affaires familiales : cadrage ou
verrouillage ? . - (à propos de la circulaire du 16 juin 2010 (no CIV/10/10) ayant pour objet la présentation de
l'article 14 de la loi no 2009-526 du 12 mai 2009 et du décret no 2009-1591 du 17 décembre 2009), Dr. fam.
2011, étude 5.
28
Idem, spéc. no 14.
29
Loi no 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au
sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, JO du 10 juillet 2010, p. 12762 s.
30
Décret no 2010-1134 du 29 septembre 2010 relatif à la procédure civile de protection des victimes de
violences au sein des couples, JO du 30 septembre 2010, p. 17738 s.
31
Circulaire no CIV/13/10.
5
1136-3 et s., applicables depuis le 1er octobre 2010. La littérature sur cette question est
abondante32.
Notons tout d’abord que la loi du 9 juillet 2010 a mis en place un système de protection
commun à toutes les formes de couple. Le « référé-violence », comme le nommait la pratique
et aujourd'hui disparu de l’article 220-1 du Code civil, ne concernait que les couples mariés,
de sorte que les victimes non mariées ne pouvaient y recourir et devaient se tourner vers le
droit commun.
Lorsqu’un compagnon ou ancien compagnon exerce des violences mettant en danger sa
compagne ou un ou plusieurs enfants, le JAF peut délivrer une ordonnance de protection. Le
JAF est saisi par le biais d’une requête déposée au greffe du TGI, ou d’une assignation de
l’auteur des violences en la forme des référés33. La procédure est orale, et la représentation par
avocat n’est pas obligatoire. En outre, toute association qualifiée peut accompagner la victime
durant la procédure.
S’il constate des raisons sérieuses de croire que les violences alléguées sont avérées et que le
danger est réel, le JAF saisi par la victime rend une ordonnance de protection assortie de
divers types de mesures énumérées dans une liste limitative et qui peuvent être de nature
civile ou pénale. On relèvera entre autres la possibilité d’attribuer la jouissance du domicile
conjoint à la victime ainsi que d’interdire à l’auteur d’entrer en contact avec elle. La durée des
mesures est indiquée par le JAF dans la limite de quatre mois, et à défaut elles durent quatre
mois. Toutefois, si une procédure en divorce ou en séparation de corps est en cours ou est
engagée avant l’expiration du délai de quatre mois, les mesures peuvent être prolongées
jusqu’à ce que la décision de divorce ou de séparation de corps soit passée en force de chose
jugée.
Durant le temps des mesures, le JAF est compétent pour supprimer, alléger ou renforcer les
mesures initialement prononcées, ou en prononcer de nouvelles (pour une durée pouvant aller
jusqu’à quatre mois) à la demande du ministère public ou de l’une ou l’autre des parties.
Des sanctions pénales sont prévues en cas de violation de l’ordonnance de protection34.
Ce texte appelle plusieurs remarques. D’un côté, il faut se féliciter de l’adoption d’un texte
qui permet une protection accrue de la victime de violences indépendamment de son statut
conjugal. La détresse psychologique et le danger physique subis par la victime sont
naturellement les mêmes, qu’elle soit mariée ou non.
Certaines dispositions appellent plus de critiques. Tout d’abord, une critique générale. On
peut regretter que le texte se montre finalement assez peu exigeant quant aux preuves requises
pour obtenir l’ordonnance de protection. En effet, il ne requiert pas, pour que l’ordonnance
soit délivrée et les mesures prononcées, que les faits de violence soient établis. Le juge doit
vérifier s’il « existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission
32
Sur l’ordonnance de protection, V. E. BAZIN, Les nouveaux pouvoirs du JAF en matière de violences au sein
des couples, JCP 2010, éd. G, no 39, 957. - E. BAZIN, Violences dans les couples : procédure aux fins de mesures
de protection des victimes. - À propos du décret du 29 septembre 2010, JCP 2010, éd. G, no 41, 986. A. BOURRAT GUEGUEN, Vers l’instauration d’un dispositif efficace de lutte contre les violences au sein du
couple ? À propos de la loi du 9 juillet 2010, JCP 2010, éd. G, no 30, 805. - F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, Les
aspects civils de la loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, RLDC 2010/75, no 3970. M. DOUCHY-OUDOT, Quelle protection contre les violences au sein des couples ?, Procédures 2010, étude 9. N. FRICERO, Protection des victimes de violences au sein des couples : le cadre procédural, RJPF-2010-11/11. G. PITTI, L’ordonnance de protection instituée par la loi du 9 juillet 2010, Gaz. Pal. 19 août 2010, p. 8 s. V. également le dossier consacré à la question dans la revue AJ fam. 2010, p. 513 s.
33
La victime peut à certaines conditions dissimuler son adresse qui n’apparaîtra alors pas dans l’acte introductif
d’instance contrairement à ce que prévoit l’art. 56 C. proc. civ. En ce cas, la victime informe son avocat ou le
procureur de la République de son adresse et élit domicile chez celui-ci.
34
Art. 227-4-2 s. C. pén.
6
des faits de violence allégués et le danger auquel la victime est exposée ». Il y a là un risque
d’erreur judiciaire qui a été dénoncée en doctrine35. Il faut espérer que la jurisprudence se
montre stricte dans l’appréciation de ces conditions et notamment qu’elle vérifie
systématiquement qu’un danger est prouvé, comme elle le faisait autrefois en matière de
référé-violence36. D’après un premier bilan de la jurisprudence, il semblerait que les juges
tendent à exiger pour délivrer une ordonnance de protection des dossiers solides, étayés par
plusieurs plaintes antérieures voire des condamnations37.
Ensuite, une critique propre aux couples non mariés. Les mesures prévues par l’ordonnance
de protection ne peuvent être prolongées que dans le cas d’une procédure en divorce ou en
séparation de corps. En d’autres termes, il n’existe pour les pacsés et les concubins aucune
possibilité de prolongation. Or, si ceux-ci n’ont certes pas recours au juge pour se désunir, ils
peuvent toutefois continuer à s’affronter devant lui pour régler les conséquences financières
de leur séparation ou encore la question de l’autorité parentale sur les enfants communs. Bien
souvent, la séparation n’est pas instantanée et passe par un processus ! On sait par exemple
que le délai moyen entre la saisine du JAF et l’audience dépasse les quatre mois, de sorte
qu’une possibilité de renouvellement des mesures de protection aurait été la bienvenue…
après quatre mois, le compagnon violent peut ainsi réapparaître au domicile familial. Des
amendements avaient pourtant été proposés pour permettre la prolongation des mesures
durant une éventuelle instance entre concubins ou pacsés, ou encore en attendant une décision
pénale. La commission des lois s’y est opposée et ils ont été retirés38. Si à l’expiration des
mesures le compagnon commet de nouvelles violences, la victime peut saisir à nouveau le
JAF pour demander que de nouvelles mesures, sans doute plus rigoureuses, soient
prononcées. Le juge pénal pourrait également reprendre une partie des mesures de protection
comme l’interdiction d’entrer en contact avec la victime.
De la difficulté de procéder à un règlement satisfaisant des intérêts patrimoniaux des
ex-concubins : illustrations jurisprudentielles récentes
Le « déconcubinage », on le sait, pose souvent d’épineux problèmes en termes de liquidation
des intérêts patrimoniaux du couple. Les décisions sont assez nombreuses, puisque, pour
reprendre le mot d’un auteur, « quand on aime on ne compte pas, quand on n’aime plus on
commence à compter39 » !
Quelques arrêts rendus ces derniers mois témoignent encore une fois de l’imparfaite
adaptation des mécanismes de droit commun à la question de la rupture du concubinage.
Bien souvent, les règles de l’enrichissement sans cause sont invoquées devant les juges afin
de fonder une demande en remboursement envers l’ancien concubin, par exemple lorsqu’il a
profité d’améliorations apportées à l’un de ses biens ou du travail de l’autre.
Afin que la demande puisse prospérer, deux conditions devront notamment être réunies. En
premier lieu, il faudra respecter le caractère subsidiaire de l’action de in rem verso, qui ne
peut être exercée qu’à défaut d’autre action dont disposerait l’appauvri. Ensuite, il conviendra
de prouver, au fond, un enrichissement sans cause et un appauvrissement corrélatif.
35
E. BAZIN, Violences dans les couples : procédure aux fins de mesures de protection des victimes. - À propos
du décret du 29 septembre 2010, chron. préc., spéc. nos 19 s.
36
Idem.
37
Ordonnance de protection : premier bilan, RJPF-2011-6/6.
38
V. le compte-rendu intégral des débats de la séance du 23 juin 2010.
39
J. HAUSER, RTD civ. 2010, p. 306.
7
S’agissant de la subsidiarité de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause, deux décisions
rendues le 6 octobre et le 9 décembre 201040 sont venues apporter quelques précisions. Dans
la première affaire, la concubine invoquait l’existence d’une société de fait entre elle et son
concubin d’alors. Subsidiairement, elle fondait sa demande sur l’enrichissement sans cause.
Dans la seconde affaire, la concubine invoquait un prêt consenti à son ex-concubin, et
subsidiairement un enrichissement sans cause à son détriment.
La première concubine a été admise à faire valoir les règles de l’enrichissement sans cause.
Faute d’appauvrissement, sa demande n’a toutefois pas abouti. En revanche, la seconde
concubine a vu sa demande écartée comme irrecevable en raison du principe de subsidiarité
de l’action de in rem verso.
On peut donc en tirer les enseignements suivants : le concubin qui entend présenter une
demande fondée sur l’enrichissement sans cause ne peut le faire qu’à défaut de présenter une
demande principale fondée sur un contrat en bonne et due forme, comme en l’espèce un
contrat de prêt. Il peut en revanche former une demande principale tendant à la
reconnaissance d’une société de fait et, si celle-ci échoue, sa demande fondée sur
l’enrichissement sans cause pourra être examinée.
Outre la condition de subsidiarité, plusieurs conditions doivent, au fond, être réunies.
Notamment, l’industrie ou les sommes apportées par le concubin doivent excéder largement la
contribution aux dépenses de la vie courante, sans pouvoir être vues comme la contrepartie
des avantages que le concubin retirait de la vue commune41.
On en trouve un exemple dans l’affaire tranchée par la Cour d’appel de Pau le 1er mars
201042. Un concubin avait effectué des travaux dans des locaux appartenant à la concubine,
transformant un local de remise agricole en un local d’habitation de 93 m². Selon une
expertise, il a travaillé pour ce faire plus de 1200 heures. Sa demande de remboursement
fondée sur l’enrichissement sans cause a été admise, l’ampleur du travail déployé excédant
largement une contribution normale aux dépenses de la vie courante, sans que les avantages
tirés de la vie commune ne viennent les compenser.
Les plaideurs qui ne sont pas admis à se tourner vers l’enrichissement sans cause cherchent
parfois une solution dans les règles relatives à l’accession. L’hypothèse suppose que des
concubins bâtissent une construction sur un terrain n’appartenant qu’à l’un d’eux, et qu’ils
n’aient pas conclu de convention réglant le sort de la construction. Par le mécanisme de
l’accession, le propriétaire du sol devient également propriétaire de la construction. Mais
l’article 555 du Code civil, sous certaines conditions, un droit à indemnisation pour le tiers qui
a construit sur le terrain d’autrui. On se souvient que la Cour de cassation décide que l’article
555 a vocation à s’appliquer entre concubins43. Le succès de l’action ainsi engagée par celui
qui prétend avoir la qualité de tiers au sens de la disposition visée dépendra des circonstances
de fait, mais aussi, visiblement, de la juridiction territorialement compétente pour connaître du
litige.
40
Cass. 1re civ., 6 octobre 2010, inédit au Bulletin, pourvoi no 09-68.657 ; RJPF 2001-1/20 obs. F. VAUVILLE ;
RTD civ. 2011, p. 107 s. (1re espèce), obs. J. HAUSER. - Cass. 1re civ., 9 décembre 2010, inédit au Bulletin,
pourvoi no 09-16.795, RTD civ. 2011, p. 107 s. (2nde espèce), obs. J. HAUSER.
41
En outre, la preuve d’une intention libérale du concubin exclut toute possibilité de condamnation à
rembourser.
42
CA Pau, 1er mars 2010, Dr. fam. 2010, comm. 124, note V. LARRIBAU-TERNEYRE.
43
V. notamment Cass. 3e civ., 2 oct. 2002, inédit au Bulletin, pourvoi no 01-00.002 ; Defrénois 2003, p. 116 s.,
note J. MASSIP ; Dr. fam. 2002, comm. 141, note M. FARGE : « la cour d'appel a retenu, à bon droit, que l'article
555 du Code civil avait vocation à régir les rapports entre concubins […] ».
8
En effet, deux décisions récentes se sont prononcées dans des sens différents alors que les
faits étaient comparables. L’une d’entre elles a été rendue par la Cour d’appel de Pau le 31
janvier 201144. Après avoir construit une maison sur un terrain appartenant à Mademoiselle, le
couple de concubins se sépare. Monsieur demande à être indemnisé du temps passé par son
entreprise de bâtiment sur le chantier, factures à l’appui, sur le fondement de l’article 555. La
décision de première instance avait fait droit à cette demande, à tort selon la Cour d’appel.
Celle-ci infirme la décision de première instance et rejette la demande de Monsieur, au motif
qu’il n’est pas intervenu seul sur le chantier et que la plupart des matériaux avaient été achetés
par Mademoiselle. Selon la Cour d’appel, l’article 555 ne trouvait donc pas application au cas
particulier. On peut donc en déduire que, dans le raisonnement des conseillers de la Cour de
Pau, l’article 555 ne pourrait être utilement invoqué qu’à la condition que le concubin non
propriétaire du terrain soit seul ou quasiment seul à édifier la construction et à avoir financé
les matériaux. La solution est bien restrictive et n’est pas partagée par la Cour d’appel
d’Orléans.
En effet, la Cour d’Orléans s’est prononcée en sens inverse dans une décision rendue le 10
janvier 201145. Les faits, très similaires, n’empêchaient pas selon la Cour qu’il soit fait
application de l’article 555. En d’autres termes, la circonstance que le concubin non
propriétaire de l’édifice n’ait participé que partiellement à la construction ne l’empêche pas
d’être qualifié de possesseur des travaux, ce qui lui ouvre droit à indemnisation au prorata de
son intervention dans la construction.
Des conditions restrictives auxquelles la responsabilité pour rupture fautive du PACS peut
être engagée
S’agissant ensuite de la question de la responsabilité pour rupture fautive, il faut signaler un
arrêt récemment rendu non en matière de concubinage cette fois, mais de PACS, par la Cour
d’appel de Montpellier le 4 janvier 201146.
La demanderesse avançait que son ancien partenaire avait rompu le PACS et l’avait donc
abandonnée alors qu’elle était malade, et qu’il avait ainsi manqué à son obligation
d’assistance. Elle soutenait en outre qu’il lui avait été infidèle. Sur ce dernier point, la Cour
d’appel se contente de rappeler sobrement que les parties n’étaient pas mariées, rappelant
implicitement l’absence d’obligation de fidélité en dehors du mariage. Elle prend également la
peine de souligner que le partenaire n’avait jamais fait de promesse de fidélité. Cela
sous-entend qu’une telle promesse, à la condition d’être prouvée, aurait pu avoir une
incidence sur la solution. On notera tout de même que la Cour de Montpellier se montre
moins audacieuse que d’autres juridictions. Le Tribunal de grande instance de Lille47, par
exemple, avait décelé une obligation de fidélité en PACS fondée sur l’obligation d’exécuter
de bonne foi les conventions48.
S’agissant de la violation alléguée de l’obligation d’assistance réciproque, la décision est plus
surprenante. En effet, la Cour raisonne en termes de responsabilité civile délictuelle, alors que
la demande était fondée sur la violation du devoir d’assistance qui fait pourtant partie des
obligations contractuelles nées du PACS49. Pour en venir à ce fondement délictuel, la Cour
44
CA Pau, 31 janvier 2011, Dr. fam. 2011, comm. 69, note V. LARRIBAU-TERNEYRE.
CA Orléans, 10 janvier 2011, Dr. fam. 2011, comm. 90, note V. LARRIBAU-TERNEYRE.
46
CA Montpellier, 4 janvier 2011, Dr. fam. 2011, comm. 89, note V. LARRIBAU-TERNEYRE.
47
TGI Lille, ord. réf. 5 juin 2002, D. 2003, p. 515 s., note X. LABBEE ; Dr. fam. 2003, comm. 57, note
B. BEIGNIER ; RTD civ. 2003, p. 870 s., obs. J. HAUSER.
48
Art. 1134, al. 3 C. civ.
49
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision relative au PACS tel qu’inséré dans le Code civil en 1999 (Cons.
const., 9 nov. 1999, no 99-419 DC), avait évoqué la possibilité d’engager la responsabilité de celui qui romprait
45
9
affirme qu’il n’existe pas entre partenaires pacsés d’obligation d’assistance, ce qui étonne,
cette obligation ayant été imposée par la loi du 23 juin 2006 alors que la rupture avait eu lieu
en 2008.
Passons donc sur le fondement de la responsabilité. Pour la Cour, une rupture fautive est
nécessairement une rupture brutale. Elle considère que « la faute peut consister dans le fait de
créer, d'entretenir ou d'aggraver un état de dépendance du partenaire, pour ensuite
l'abandonner ». Or cela ne ressortait pas des éléments produits aux débats : le partenaire avait
soutenu la demanderesse durant la phase la plus dure de sa maladie et il l’avait quittée alors
qu’elle était plutôt en phase de rémission, en prenant soin, au demeurant, de ne pas la laisser
dans une situation financièrement difficile. Dans ces circonstances, son comportement ne
pouvait pas être qualifié de fautif, et la demande de condamnation à des dommages et intérêts
a donc été rejetée.
Les droits sociaux du partenaire ou du concubin survivant : le cas de la pension de réversion
On clôturera ces propos en disant quelques mots d’une question qui est appelée à se poser de
plus en plus souvent : celle de la situation du concubin survivant ou du partenaire survivant.
La question qui retiendra notre attention sera celle des droits sociaux du survivant, et plus
spécialement du droit à une pension de réversion.
La solution actuelle est claire : seuls les conjoints survivants ont droit à une pension de
réversion, à l’exclusion des concubins mais aussi des partenaires pacsés.
En 200650, le Conseil d’État avait affirmé que l’absence de droit à pension de réversion en
faveur du concubin de l’assuré n’était pas discriminatoire, car les concubins et les époux sont
placés dans des situations différentes. Il a repris cet argument dans une décision du 18 juin
201051 qui posait une question voisine, la problématique restant cependant la même. Était en
cause ici le mode de calcul de la répartition de la pension entre plusieurs conjoints survivants.
En l’espèce, le défunt avait vécu depuis 1980 en concubinage adultérin. Il avait divorcé en
1995, tout en poursuivant la vie commune avec sa concubine. Un mois environ avant son
décès, en 2005, il devait épouser sa concubine. Les dispositions en vigueur prévoient qu’en
cas de pluralité de mariages, la pension de réversion est partagée entre les conjoints au
prorata de la durée des mariages respectifs. La veuve n’avait été l’épouse du défunt que
durant quelques semaines, tandis que la première épouse lui avait été mariée pendant
plusieurs années. En application de la règle de l’arrondi prévue par les textes, la totalité de la
pension a été versée à la première épouse. La veuve a contesté cette décision devant le
Tribunal administratif de Limoges. Elle demandait que soit prise en compte, outre la durée de
son mariage, la durée de tout son concubinage pour calculer la part de la pension lui étant due.
Le Tribunal a fait partiellement droit à sa demande. Il a refusé de prendre en compte les
quinze années de concubinage durant lesquelles le défunt restait marié à sa première épouse.
Les conseillers ont en revanche jugé l’impossibilité de tenir compte du concubinage après le
divorce et jusqu’au remariage contraire à l’article 1 § 1 du premier protocole additionnel à la
de manière fautive par application de l’art. 1382 du Code civil. Ce fondement était parfaitement adapté en 1999,
en l’absence d’obligations personnelles réciproques entre les partenaires. Depuis la loi du 23 juin 2006 et
l’insertion d’obligations telle celle d’assistance réciproque, une responsabilité fondée sur la violation de ces
obligations devrait en bonne logique être de nature contractuelle, sauf à renoncer à l’analyse contractuelle du
PACS : V. en ce sens V. LARRIBAU-TERNEYRE, note préc. sous la décision évoquée.
50
CE, 6 décembre 2006, Madame Ligori, AJDA 2007, p. 142 s., concl. L. VALLEE ; Dr. fam. 2007, comm. 27,
note V. LARRIBAU-TERNEYRE.
51
CE, 18 juin 2010, AJDA 2010, p. 1237, obs. M.-C. de MONTECLER ; AJ fam. 2010, p. 328,
obs. V. AVENA-ROBARDET ; AJFP 2010, p. 258 s., note C. FORTIER ; Dr. fam. 2010, comm. 123, note
V. LARRIBAU-TERNEYRE ; RTD Civ. 2010, p. 764 s., obs. J. HAUSER.
10
Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit au respect des biens,
combiné avec l’article 14 prohibant la discrimination.
Le Conseil d’État a cassé cette décision au motif que la différence de traitement entre les
couples mariés et les couples de concubins au regard de la pension de réversion est justifiée
par une différence de situation. En effet, les époux sont tenus à un ensemble d’obligations
légales et à une solidarité financière auxquelles les concubins ne sont pas soumis. La pension
de réversion serait donc en quelque sorte le pendant post mortem de ces obligations. Le grief
tiré d’une violation de l’article 8 de la Convention garantissant le droit au respect de la vie
privée est lui aussi écarté.
La solution n’a en soi rien de surprenant. La motivation de la décision laisse toutefois la porte
ouverte à une possible constatation de l’inconventionalité du défaut de droit à la réversion en
faveur du partenaire pacsé survivant. Si les concubins ne sont certes soumis à aucune
obligation légale particulière ni à une solidarité financière, c’est bien le cas des pacsés dont
nous avons d’ailleurs vu que la solidarité était désormais presque calquée sur celle des époux !
La question d’un éventuel alignement des droits des partenaires pacsés sur les droits des
époux en matière de pension de réversion revient régulièrement sur le devant de la scène.
Cette possibilité avait été écartée lors de l’adoption de la loi sur le PACS en 199952. Plusieurs
propositions de loi ont depuis été déposées en ce sens53, mais elles n’ont pas été adoptées. Il
était question de débattre sur ce point à l’occasion de la réforme des retraites, mais cela n’a
pas été fait. Les encouragements sont pourtant nombreux. Pêle-mêle et dans les dernières
années, signalons que la Cour de justice des communautés européennes a affirmé en 2008,
suite à une question préjudicielle, que le refus d’accorder au partenaire survivant de même
sexe une pension de réversion (dans le cadre d’un régime professionnel) peut constituer une
discrimination fondée sur l’orientation sexuelle au sens de la directive no 2000/78/CE qui vise
à combattre les discriminations en matière d’emploi et donc de rémunération. Cela
supposerait que l’identité de situations entre un conjoint et un partenaire de même sexe soit
retenue, ce qu’il appartient aux juridictions nationales d’apprécier54. Dans deux rapports
rendus en février 2010, la HALDE a identifié une discrimination dans la solution actuelle55.
Le Médiateur de la République s’est également prononcé pour une extension du droit à la
pension de réversion en faveur du partenaire survivant56. Le Conseil d’orientation des retraites
ne se dit pas opposé à une telle mesure57, qui a également été suggérée dans le rapport rendu à
52
On relèvera également que c’était une proposition du groupe de travail qui avait remis son rapport au Garde
des Sceaux le 30 novembre 2004 : V. F. GRANET-LAMBRECHTS, Trente-deux propositions pour une révision de
la loi du 15 novembre 1999 relative au pacs, Dr. fam. 2005, étude 9.
53
Proposition de loi visant à étendre le bénéfice du droit à pension de réversion aux couples liés par un pacte
civil de solidarité et aux concubins notoires, déposée devant le Sénat le 4 mars 2009. - Proposition de loi tendant
à renforcer les droits des personnes liées par un pacte civil de solidarité, déposée devant le Sénat le 16 juin 2009,
rejetée le 9 décembre 2009.
54
CJCE, 1er avril 2008, aff. C-267/06, Tadao Maruko c/ Versorgungsanstalt der deutschen Bühnen, Dr. fam.
2008, comm. 92, note A. DEVERS.
V. également, dans un sens comparable et sur la question de l’incidence du partenariat enregistré sur le mode de
calcul du montant de la pension de retraite (s’agissant toujours d’un régime professionnel) : CJUE, 10 mai 2011,
aff. C-147/08, Jürgen Römer c/ Freie und Hansestadt Hamburg.
55
Délibérations de la HALDE nos 2010-20 et 2010-21 du 1er février 2010, rapports spéciaux annexés, JO du 3
avril 2010, textes nos 113 et 114. V. B. BEIGNIER, Pensions de réversion pour les couples pacsés : la HALDE
publie deux rapports spéciaux, Dr. fam. 2010, comm. 69.
56
Rapport du Médiateur de la République, avril 2009, Des réformes nécessaires pour le 10e anniversaire du
PACS, no 46, p. 3. - Rapport du Médiateur de la République, juillet 2010, Retraites : réduire les inéquités, no 58,
p. 2.
57
V. Retraites : questions et orientations pour 2008, 4e rapport pour 2007, La documentation française, 2008,
p. 111 s.
11
la suite du dernier congrès des notaires de France58. On peut donc s’attendre à une évolution
prochaine sur ce point, bien que le coût évident d’une telle mesure soit naturellement de
nature à freiner son adoption en période de crise…
Dans le même sens, V. encore C. DOMEIZEL et D. LECLERC, Transparence, équité, solidarité : les trois objectifs
d’une réforme de la réversion, rapport au Sénat no 314 (2006-2007) qui propose d’étendre le droit à une pension
de réversion au profit du partenaire survivant mais à la condition que le PACS ait duré cinq ans.
58
Couple, patrimoine : les défis de la vie à deux, 106e congrès des notaires de France, ACNF, 2010, spéc.
p. 259 s.
12

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