Outsourcing IT. Ne pas externaliser sa responsabilité

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Outsourcing IT. Ne pas externaliser sa responsabilité
DOSSIER
NE PAS
EXTERNALISER SA
RESPONSABILITÉ
OUTSOURCING IT
Le succès d’une opération d’outsourcing se mesure au degré de préparation
et d’implication des parties concernées. Mieux vaut donc faire preuve de pragmatisme
et utiliser certaines méthodes. Tout en gardant à l’esprit que la délégation de service
ne doit pas rimer avec l’externalisation de responsabilité.
Texte Thierry Raizer Photos Julien Becker
« Il est souhaitable
que le client ait
fait son ménage avant d’externaliser
certaines activités. »
Comme tout terme d’usage courant, l’outsourcing
fait l’objet d’interprétations quant à son historique. Il est en effet difficile de trouver une seule
date d’origine du phénomène dénommé « externalisation » en français. Certaines littératures font
mention des années 70 avec le recours aux
premiers services de payroll, d’autres sources
évoquent les années 80 et le début des services IT.
Plus étonnant, des sociétés actives dans ce créneau estiment même que le phénomène remonte
aux années 1900 autour de services de sécurité.
Peu importe la bataille des dates, le phénomène
Marc Payal (Fujitsu Technology Solutions Luxembourg)
de l’outsourcing n’a fait que prendre de l’ampleur
depuis les trois dernières décennies. « L’outsourcing est le transfert de tout ou partie d’une activité ou
d’un service de l’entreprise vers un prestataire externe,
principalement pour des raisons de coûts ou d’amélioration de la qualité du service », déclare Alexandre
Fiévée, counsel au sein du cabinet Elvinger, Hoss &
Prussen. Le mouvement de fond en faveur de
l’outsourcing a été alimenté par trois facteurs
importants, eux-mêmes influencés par l’évolution
de l’économie : la volonté des sociétés de se recentrer sur leur cœur de métier, une recherche
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DOSSIER
Le phénomène
n’a fait que prendre
de l’ampleur depuis
les trois dernières
décennies.
accrue de maîtrise des coûts et le souci de
bénéficier de meilleurs services. Souvent évoquée par les spécialistes du secteur, la notion de
coût apparaît comme déterminante, mais ne
doit toutefois pas éluder l’objectif général de la
mise en place d’un contrat d’outsourcing entre
une entreprise client et un prestataire : la création de valeur. « La notion de coûts est importante,
mais il ne faut pas uniquement considérer ce facteur
pour créer de la valeur via une opération d’outsourcing, déclare Pascal Denis, managing director
d’Accenture Luxembourg. Il faut aussi s’assurer
que le prestataire peut faire preuve de flexibilité, de
rapidité d’exécution pour répondre aux besoins du
marché tout en accompagnant le client durant le
processus de changement. Il s’agit en effet d’une profonde transformation. »
Faire le ménage
Avant de sceller une relation de travail qui
s’étendra sur une période moyenne de cinq à sept
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ans, un travail préparatoire doit être mené par la
société voulant externaliser un processus, un service ou un département. « Il est souhaitable que
le client ait fait son ménage avant d’externaliser
certaines activités, déclare Marc Payal, managing
director de Fujitsu Technology Solutions Luxembourg. Sous-traiter un problème l’a rarement réglé,
mais souvent renforcé. Il est préférable de se parler
ouvertement avant le début du projet afin d’éviter
trop de surprises pendant la phase de ‘due diligence’ ». Dans le même temps, la mise en place
d’un cahier des charges précis, précédent l’appel
d’offres et la phase de négociations, apparaît
comme un élément indispensable, particulièrement en matière de risques. Ceux-ci sont en effet
devenus indissociables d’une opération d’externalisation, a fortiori concernant des données
personnelles. « Il convient de réaliser une étude de
risque qui consiste à analyser la gravité de l’événement redouté par rapport à la probabilité de la
menace que celui-ci se produise, et ce, afin de prioriser la gestion des risques », note Alexandre Fiévée
qui préconise une approche pragmatique vis-àvis d’un contrat d’outsourcing.
Sur le plan contractuel, trois grandes catégories
de clauses s’appliquent dans ce type d’opération :
les clauses techniques, juridiques et économiques.
« Un bon contrat traduit le cahier des charges précis
de l’entreprise et donc traduit juridiquement les
besoins de l’entreprise. Il faut choisir le prestataire
qui répond le mieux aux exigences de l’entreprise. »
Sur le plan opérationnel, une opération d’outsourcing se compose en trois phases : la transition,
la réalisation et la réversibilité. Chacune doit être
méthodiquement préparée afin d’assurer une relation équilibrée. À commencer par la phase de
transition qui implique le transfert de tout ce qui
est nécessaire pour que le prestataire puisse
accomplir sa mission. « Cette phase permet aussi
de réaliser des livrables comme le plan d’assurance
qualité, qui va synthétiser les moyens et ressources
mis en œuvre par le prestataire pour répondre à ses
engagements. Le plan de réversibilité est aussi fixé
durant cette étape », ajoute Alexandre Fiévée.
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« Un bon contrat traduit
le cahier des charges
précis de l’entreprise
et traduit juridiquement
les besoins de
l’entreprise. »
Alexandre Fiévée (Elvinger, Hoss & P russen)
RÉGLEMENTATION
En confiance
Le départ vers l’étranger de certaines
fonctions de back-office, notamment
au sein du secteur bancaire, pourrait
avoir des conséquences importantes
en termes de perte d’emploi. Le
Luxembourg entend, en revanche, se
positionner sur le terrain de la valeur
ajoutée grâce à l’expérience de la
place financière. L’un des principaux
secteurs économiques du pays s’est
en effet progressivement doté, via des
circulaires émises par la Commission
de surveillance du secteur financier,
d’un cadre réglementaire relatif à
l’outsourcing correspondant à ses
exigences, notamment en matière
de sécurité. Ce qui a entraîné une
incidence sur le niveau des projets
d’outsourcing dans le secteur. « Les
projets liés au secteur financier ont
un niveau de maturité plus élevé,
plutôt tournés sur des questions
d’infrastructure », relève à ce sujet
Pascal Denis d’Accenture. La création
de la certification de Professionnel du
secteur financier (PSF) peut en effet
être perçue comme une volonté de
proposer un outsourcing autour de la
notion de confiance induite par des
services réglementés. Le récent projet
de réglementation autour de
l’archivage électronique et la notion
de « prestataire de services de
dématérialisation ou de conservation »
(PSDC) s’inscrit dans cette même
démarche de positionner le pays
comme centre de compétences et
d’outsourcing haut de gamme. T. R.
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Reste que cette phase de transition ne doit pas
rimer avec un désengagement de la part de l’entreprise cliente qui doit s’assurer jusqu’au bout
que son prestataire dispose des données et des
moyens suffisants pour réaliser sa mission.
« Si la transition est mal effectuée, le contrat débutera mal et la situation risque d’empirer en raison
d’une perte de connaissance, déclare Frédéric Robin,
outsourcing services director d’Accenture Luxembourg. Il est donc nécessaire d’avoir un engagement
fort de la part du management de l’entreprise cliente
ainsi qu’un alignement des objectifs individuels de
part et d’autre. »
Durant la phase d’exploitation, des garde-fous
sous la forme de reporting ou de comités réunissant les différentes parties permettront de s’assurer que le prestataire respecte ses engagements.
Une défaillance pourra être sanctionnée par des
pénalités. À l’inverse, des bonus peuvent être
mis en place pour récompenser une « surperformance ». En cas de non-reconduction du contrat
avec le prestataire, la phase de réversibilité est,
quant à elle, marquée par un double transfert –
prestations / connaissances et données – de la
part du prestataire qui doit, en même temps,
continuer à réaliser ses missions jusqu’à la fin du
contrat. Ce transfert, mené vers un autre prestataire ou vers l’entreprise cliente en cas de décision de retourner vers un traitement interne, aura
dû être prévu dès le contrat initial. Il s’agit en effet
de clarifier au plus tôt le format utilisable par l’entreprise qui récupérera les données, sans oublier
la question de la propriété intellectuelle. « Toutes
les opérations réalisées par le prestataire, dont des
développements, doivent être couvertes par une
clause de propriété intellectuelle pour que les réalisations du prestataire restent la propriété du client, »
précise Alexandre Fiévée.
De l’externalisation
à la dématérialisation
L’avènement du cloud computing marque un
changement profond en matière d’outsourcing.
Les prestataires peuvent en effet développer leurs
propres services dits cloud ou recourir, en tant
qu’intégrateurs indépendants, à des solutions
qui leur permettent de remplir leurs missions.
DOSSIER
La phase de transition
ne doit pas rimer
avec un désangagement
de la part du client.
Dans les deux cas, la protection des données qui
peuvent être hébergées sur des serveurs physiques
localisés dans un ou plusieurs pays est essentielle.
« S’il s’agit d’un transfert en dehors de l’Union européenne et dans un pays n’assurant pas un niveau de protection adéquat, l’entreprise cliente doit demander une
autorisation à la Commission nationale pour la protection des données (CNPD, ndlr) pour réaliser l’opération, ajoute Alexandre Fiévée. La CNPD va ensuite
vérifier si les garanties présentées entre les différentes
parties en matière de sécurité et de confidentialité des
données sont suffisantes. » Juridiquement, l’entreprise
cliente est considérée comme responsable du traitement des données, le sous-traitant ne pouvant
agir que sur ses instructions.
Cette responsabilité juridique renvoie, plus
généralement, au rôle du client dans un contrat
d’outsourcing et de l’éventualité de son manque
d’expérience pour gérer un tel projet. Ce cas de
figure peut induire une surcharge de travail pour
le prestataire. « On n’externalise pas une responsabilité, note Frédéric Robin. Le prestataire se doit
d’avoir une contrepartie forte auprès du client pour
maintenir une relation équilibrée. Un contrat qui
débute sur des bases déséquilibrées aura du mal à
porter les fruits escomptés. » En disposant des ressources compétentes qui peuvent jouer le rôle
d’interlocuteur du prestataire, le client n’a que
partiellement atteint ses objectifs. L’autre grand
chantier se place sur le terrain de la communication interne. Le personnel d’une société qui
recourt à une externalisation de service peut en
effet éprouver des craintes d’ordre général, particulièrement en temps de crise. Il est donc important de l’impliquer dès le départ. « La communication
est également un élément clé, ajoute Frédéric Robin. Il
ne faut pas uniquement gérer cette communication au
sein de l’équipe projet, mais aussi auprès des clients
finaux, car la perception du service rendu est essentielle
pour le bon déroulement du contrat. »
Contrats de nouvelle génération
Mais l’évolution technologique sur le terrain du
cloud pose par ailleurs des questions contractuelles, voire quelques difficultés. On parle en
effet le plus souvent de contrats dits d’adhésion
dans lequel les conditions sont imposées par
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« Le prestataire se doit
d’avoir une contrepartie
forte auprès du client
pour maintenir une
relation équilibrée. »
Frédéric Robin (Accenture)
RESSOURCES HUMAINES
Multifacettes
Parmi leurs chantiers perpétuellement
ouverts, les fournisseurs d’outsourcing
doivent trouver des profils spécifiques
pour proposer leurs services,
combinant des notions techniques
avec un fort attrait pour les relations
commerciales. Des profils qui coïncident
souvent avec des collaborateurs seniors
qui sont d’anciens techniciens ou issus
de la promotion interne. Mais ces critères
de sélectivité doivent coïncider avec
le souci de rencontrer des contreparties
familières avec un projet d’outsourcing
au sein de l’entreprise cliente.
La considération des services de
support des entreprises comme des
« outsourceurs » internes fait partie
des éléments qui facilitent le dialogue
des deux côtés. Chacun employant
le même langage : celui du service au
client, qu’il soit interne ou externe. T. R.
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le fournisseur de services cloud. « Ce qui peut
poser un problème en matière de critères de protection des données, car il n’est pas possible de les imposer au sous-traitant en raison de la nature du
contrat, ajoute Alexandre Fiévée. Dans ce genre de
cas, le prestataire pourrait être considéré comme un
coresponsable de traitement, ce qui renforce ses prérogatives à l’égard des données. »
Chantiers volumineux nécessitant les efforts de
plusieurs mois de part et d’autre, les contrats
d’outsourcing semblent arriver à une phase d’évolution de leur maturité, à côté de celle induite par
l’évolution technologique. « La première génération de contrats avait tendance à privilégier les
fournisseurs, la seconde davantage les clients, relève
Marc Payal. Or il ne peut y avoir de bonne collaboration si une des parties se sent lésée. » Le terme de partenariat devrait, ici aussi, être de plus en plus
employé pour qualifier des contrats idéalement
clairs, équitables et compréhensibles par tous.
« Les parties doivent concentrer leur énergie sur l’activité et non sur l’interprétation des clauses. Il en est
de même pour la mesure des indicateurs de performance, trop d’indicateurs sont souvent un signe de
manque de confiance. »
Entre l’attente de normes ISO qui pourraient
servir de référentiel lors de négociations et le
besoin de plus de partenariats, le secteur de
l’outsourcing évolue en fonction du marché,
marqué par une règlementation accrue et un
besoin de transparence. « Une opération d’outsourcing qui n’apporterait pas de valeur est vouée à
l’échec, ajoute Pascal Denis. Pour démystifier
l’outsourcing, nous démontrons à nos clients que
des résultats peuvent être obtenus en adoptant une
approche proactive et décomplexée. » Préparation,
négociation et anticipation apparaissent comme
les maîtres mots recommandés par les spécialistes rencontrés pour mener une telle opération. L’outsourcing, ce terme devenu usuel dans
la sphère économique, recouvre désormais de
nombreuses acceptations, du contrat de nettoyage, en passant par les fonctions IT ou, plus
récemment, le business process outsourcing. Un
phénomène qui évolue justement de plus en
plus vers le transfert de l’ensemble d’un processus métier, d'où l’importance de la relation
pour, au-delà des aspects contractuels, permettre aux contractants de faire progresser,
voire de transformer l’entreprise.

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