et moi, je ne me sens pas très bien
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et moi, je ne me sens pas très bien
Regard d’ESPERANCE N°291 - Décembre 2014 Editorial - Yvon Charles « ... et moi, je ne me sens pas très bien ! » « ... j’ai bien peur de vous décevoir... » Alors qu’il faisait une conférence sur le théâtre, George Bernard Shaw, dramaturge irlandais, prix Nobel de littérature, poursuivit : « ...Euripide est mort. Shakespeare est mort ! Molière est mort ! Et, moi je ne me sens pas très bien. » L’avenir du théâtre lui semblait très sombre ! Son trait d’humour paraissait quelque peu outrancier, et l’on peut sourire en notant son habileté à se glisser parmi les grands du passé. C’était certes de l’humour, et au premier degré, il provoquait les rires... Mais au-delà d’une première lecture, au second degré, ne pouvait-on pas y discerner une constante de l’être humain ? Et n’est-ce pas peu ou prou la propension de l’homme de considérer les événements et les temps, les choses et les êtres au travers des “ lunettes ” de sa personne, de ses expériences, de ses états d’âme ? Ce dramaturge célèbre, peut-être plus que ne laissait penser sa répartie pleine d’humour, ne révélait-il pas là, son analyse, très subjective de la situation du théâtre ? Il aurait peut-être nié une telle conclusion... mais consciemment ou non, n’était-il pas grandement influencé par ses pensées et peut-être son état de santé ? Sans nous étendre sur cette tendance très répandue à appréhender toutes choses en fonction de soi et de ses connaissances – ou absence de connaissances – ses a priori et affinités ou rejets, et à juger trop rapidement et parfois d’une manière primaire ce qui est autre (le « Comment peut-on être persan » de Montesquieu qui peut se traduire selon les cas : Comment peut-on être breton... ou écolo... ou de droite ou de gauche... ou chrétien...), nous devons reconnaître que la subjectivité nous guette tous, et plus encore si nous l’ignorons ou voulons l’ignorer ! Le savoir, et en tenir compte, est déjà un pas vers la sagesse. Et plus encore si cette approche de la modestie, ou mieux de l’humilité, nous conduit à relativiser nos raisonnements et nos jugements, en prêtant attention aux réflexions et aux expériences des autres. Les personnes trop sûres d’elles, et imperméables à toutes remises en question, voire à toutes interpellations, sont redoutables... qu’elles sévissent dans leurs familles, leurs lieux de travail, les clubs ou partis, comme dans toutes entités ou à la tête des nations... Certes, lorsque l’on est calmement convaincu de ses conclusions nourries de méditations, d’études diverses, de saines confrontations, d’expériences objectives, il est normal et juste de les maintenir, et de s’y maintenir. Mais hélas trop de conflits, de querelles, de drames parfois, naissent d’attitudes bornées ou de crispations primaires, ou de simples incompréhensions, ou d’une incapacité à se mettre à la place de l’autre, ne fût-ce qu’un moment. Sans oublier les multiples problèmes et souffrances qu’engendrent de mauvaises dispositions de cœur : jalousie, méchanceté, désir de nuire, etc. Mais ce n’est pas le sujet de notre réflexion, je ne m’attarderai donc pas sur cet aspect... Revenant à George Bernard Shaw, outre son regard très personnalisé sur le théâtre, ne voulait-il pas avec sa causticité souvent présente, amener ses auditeurs à réfléchir et à s’interroger sur eux-mêmes ? Il est souvent conseillé de ne prendre aucune décision importante quand on est très fatigué ou déprimé... l’analyse et les conclusions risqueraient d’être influencées par l’état physique et psychique passager. « La nuit porte conseil », enseigne l’expérience séculaire... Temps indispensable de recul et de réflexion, mais aussi de repos... le lendemain les choses paraissent souvent différentes. Il en est de même quand la maladie, la souffrance, des déceptions ou les atteintes non assumées de l’âge, menacent de fausser le jugement. Réfléchir, rechercher un conseil, auprès de gens sages et compétents, aide à échapper à cet engrenage négatif. Il faut bien se connaître, être lucide sur soi-même, comme sur les courants et us et coutumes de ce monde... sans pessimisme, sans naïveté, sans optimisme béat. Il sera alors plus facile de faire le point sereinement, de bien se situer, en apportant, si cela se justifie, les correctifs nécessaires. Non ! le théâtre n’allait pas mourir parce que Euripide, Shakespeare, Molière et autres avaient disparu, ni parce que George Bernard Shaw avouait « ne pas se sentir très bien » ! Pas plus que, en d’autres domaines et à diverses échelles, les choses disparaîtront avec tel ou telle. Demain le soleil se lèvera... et l’espoir pourra renaître et se perpétuer. Recevons les leçons de l’Histoire... et plus encore de l’histoire des hommes, éclairée par la lumière d’en haut, par les enseignements de la Bible... Il n’y aura plus alors ni découragement, ni euphorie inadéquate, mais un regard clair et une espérance qui demeure. Noël et le message de l’Évangile illuminent notre marche.