La compréhension des états épistémiques

Transcription

La compréhension des états épistémiques
François Lefebvre
La compréhension des états épistémiques :
ses ancêtres et ses étapes
MÉMOIRE DE DEA DE SCIENCES COGNITIVES
Préparé sous la direction de Jacqueline Nadel
Laboratoire de Psychobiologie du Développement — EPHE CNRS —
et de
Pascal Engel
Centre de Recherche en Epistémologie Appliquée
— Ecole Polytechnique CNRS —
juin 1998
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Remerciements
Je tiens à remercier Jacqueline Nadel pour son soutien indéfectible et pour les nouveaux horizons qu’elle a su me faire découvrir.
Mes remerciements s’adressent à Pascal Engel qui m’a guidé dans l’appréhension de la philosophie de l’esprit.
Enfin toute ma reconnaissance va à Daniel Andler qui m’a permis de m’engager et de persévérer dans le domaine des sciences cognitives.
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Als das Kind Kind war,
wußte es nicht, daß es Kind war,
alles war ihm beseelt,
und alle seelen waren eins.
Peter Handke, Lied vom Kindsein
Concours philosophique : 1° Anna Rouge a une fleur dans le chapeau.
2° Anna Fleur est Rouge. 3° Quelle est la couleur de la fleur ?
Kurt Schwitters, An Anna Blume
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SOMMAIRE
La compréhension des états épistémiques : ses ancêtres et ses étapes............... 6
La notion d'état mental........................................................................................................6
Son premier champ d'exploration .......................................................................................8
Extension de l’exploration phylogénétique à une exploration ontogénétique....................9
Paradigme emprunté ...................................................................................................................9
Paradigme créé..........................................................................................................................10
Y a-t-il un intérêt à une extension ontogénétique ? ..........................................................11
Statut particulier des états épistémiques parmi les états mentaux ....................................13
I. La compréhension des états épistémiques : ses ancêtres .................................................14
1. Les mécanismes prérequis selon Baron-Cohen ................................................................14
L’accès à la compréhension des états perceptifs ..............................................................14
L’accès à la compréhension d’états référentiels ...............................................................18
L’accès à la théorie de l'esprit...........................................................................................21
2. La préparation à la compréhension des états de croyance: l'apport de Wellman .............24
Le désir comme état interne..............................................................................................25
L’accès aux états de croyance-désir .................................................................................26
L’accès à une théorie représentationnelle de l'esprit ........................................................29
II. La compréhension des états épistémiques : ses étapes ...................................................30
1. Le jeu symbolique : Une première forme de métareprésentation selon Leslie.................30
Le découpleur ...................................................................................................................32
2. Le débat avec Perner : Le jeu symbolique est-il une première étape de la métareprésentation ou bien une étape de la représentation ?........................................................................33
3. L'accès à la métareprésentation : Coupure(s) épistémique(s) ou complexification représentationnelle? ......................................................................................................................37
1) Les conditions de l'inférence d'états épistémiques: accès informationnel direct et indirect ....................................................................................................................................37
Accès direct à la source informationnelle .................................................................................37
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Accès inférentiel à la source informationnelle à partir d'observables .......................................38
Imputation d'états mentaux à partir d'inobservables .................................................................39
2. Le problème du type d’imputation causale à manipuler dans l’attribution d’un état
mental à soi-même et à autrui. ..........................................................................................42
Attribuer un savoir à autrui sur la base de son accès direct à une source informationnelle......43
Attribuer un savoir à autrui sur la base de la construction d'inférences....................................45
Attribuer une fausse-croyance à autrui sur la base d'une inférence ..........................................48
4. En guise de synthèse : Le modèle de modularisation de Karmiloff-Smith. .....................52
III Méthodologies d’accès à une théorie de l'esprit .............................................................54
La position de Russell : le rôle de l’agentivité .....................................................................54
IV Projet de recherche ...........................................................................................................59
Equipes impliquées ...........................................................................................................60
Objectif de l'étude pluridisciplinaire: troubles de l'attribution intentionnelle et structures
anatomiques cérébrales .........................................................................................................61
Populations d'étude ...........................................................................................................62
Procédure ..........................................................................................................................63
Matériel.............................................................................................................................63
Le projet développemental et comparatif .............................................................................65
Justification du choix des âges .........................................................................................65
Procédure ..........................................................................................................................65
Bibliographie ...........................................................................................................................68
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LA COMPRÉHENSION DES ÉTATS ÉPISTÉMIQUES :
SES ANCÊTRES ET SES ÉTAPES
La notion d'état mental
Qu’appelle-t-on états mentaux ? De quel genre d’entité s’agit-il ? Voilà la première
question qui vient à qui s’apprête à mener une investigation du domaine de l’esprit. BaronCohen (1995) nous offre un préambule astucieux :
« Imaginez ce que serait votre monde si vous étiez conscient des objets physiques, mais aveugle à l’existence des objets mentaux. Aveugle aux objets mentaux,
c'est-à-dire aveugle aux objets tels que les pensées, les croyances, le savoir, les désirs
et les intentions qui constituent pour la plupart d’entre-nous la base des comportements. Faites marcher votre imagination et essayez de vous représenter le sens que
l’on peut donner à l’action humaine ou à toute action animée quelle qu’elle soit. Si, tel
un behavioriste, vous n’avez pas accès à une explication mentaliste. » (p. 1 traduction
française 1998, Nadel & Lefebvre).
A l’instar des objets physiques, nous manipulons dans notre vie quotidienne des objets
mentaux. Mais comment les perçoit-on ? Le terme percevoir permet une analogie, nous nous
faisons plus ou moins une idée précise de ce qu’est la cécité et ses conséquences. Mais nous
sommes-nous déjà interrogé sur ce que serait que de ne plus attribuer de croyances, de pensées, d’intentions aux autres ? Que deviendrait notre vie dans un tel cas de cécité mentale ? Il
s’ensuit que les entités mentales ont quelques accointances avec les entités physiques. Elle
posséderaient des propriétés, seraient soumises à des lois, à une causalité, etc. L’apprentissage
de la causalité mentale suit-il les mêmes règles que l’apprentissage de la physique ? Acquérons-nous une psychologie naïve au même titre que nous sommes détenteur d’une physique
élémentaire ? Quelle approche permettrait de cerner le caractère doxatique de nos états mentaux ? Si les croyances et le sens commun paraissent si intimement intriqués dans notre mode
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de représentation, il serait aisé de se fier à un certain bon sens dicté par la psychologie naïve.
La psychologie ordinaire constitue une formulation adéquate du caractère intentionnel des
croyances. Elle est conforme à l’expérience quotidienne et s’en nourrit, mais représente-t-elle
pour autant une théorie ? Si cela est le cas, il s’agit d’une théorie empirique dont les lois sont
modulables à souhait. Dennett (1987) propose d’utiliser la psychologie ordinaire comme outil,
dans cette optique, il prône une stratégie intentionnelle. Les implications physiques des
croyances nous sont obscures, alors pourquoi ne pas accepter que « parce qu’il fait beau je
vais à la plage ». En outre, Jacob (1997) rappelle dès les première page de Pourquoi les choses ont-elles un sens ? que l’esprit humain recèle au moins deux catégories d’états mentaux.
En effet, les états mentaux cités par Baron-Cohen appartiennent à la catégorie des attitudes
propositionnelles. Il est possible à la suite de Jacob de faire allusion à une autre catégorie : les
sensations ou expériences conscientes. Nous n’aborderons pas le domaine des sensations pour
nous concentrer sur la compréhensions des interactions entre états mentaux qui font que nous
sommes capables de lire l’esprit, comme le dirait Baron-Cohen.
Le débat sur la notion de théorie liée à l’attribution d’états mentaux est né il y a maintenant vingt ans. Dans l'article fondateur de Premack et Woodruff (1978) : « Does the chimpanzee have a theory of mind ? », un expérimentateur est présenté sur vidéo, engagé dans une
situation problématique. Le chimpanzé a alors le choix entre différentes photographies illustrant diverses solutions, dont une correcte. Parmi les séquences à compléter, on montre au
singe un personnage en train d’essayer d’atteindre une banane hors de sa portée, une série
plus complexe met en scène un personnage prisonnier d’une cage verrouillée, en train de grelotter près d’un radiateur en panne ou démuni face à un tourne-disque débranché. Pour parvenir à une réponse adéquate, l’animal doit être capable de comprendre la solution en termes de
problèmes sous-tendus par un état mental volitionnel. Il reste à déterminer sur quelle base
informationnelle peut s’effectuer cette compréhension. « Dans l'acception des auteurs, l'aptitude à comprendre les conduites suppose d'inférer que ces conduites sont induites par des
états mentaux et implique de ce fait une théorie de l'esprit : il y a théorie parce que des prédictions peuvent être formulées qui permettent de tester des hypothèses concernant des inobservables; et il s'agit d'une théorie de l'esprit puisque les inobservables inférés sont des états
mentaux » (Nadel et Melot 1998, p. 395).
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Son premier champ d'exploration
Les expériences de Premack et Woodruff (1978) ont inspiré nombre d’expériences en
approfondissement à ce thème nouveau. Cette impulsion venue de la primatologie suggère
qu’un chimpanzé soit capable d’attribuer des états mentaux. Pour cela, le singe a besoin
d’avoir un système théorique lui permettant d’inférer à partir des comportements des états
(inobservables) tels que la croyance, le désir, l’intention, le savoir, le faire-semblant etc.
L’idée pratique qui prévaut est que le chimpanzé fait preuve d’une forme de capacité hypothético-déductive. A la question « le chimpanzé a-t-il une théorie de l’esprit ? », on peut substituer « le chimpanzé est-il poppérien ? ». Sans vouloir parler d’invalidation théorique, il effectue des tests concernant des hypothèses sur des inobservables. En d’autres termes, il y a
prédiction par inférence, ce qui implique une réponse en retour qui permet de corroborer ou
d’infirmer les hypothèses. Cependant, prêter au chimpanzé des aptitudes mentalistes ne laisse
pas de contrarier certains. En effet, ne pourrait-on pas, pour ne point trop agir selon le principe de charité, lui accorder un simple caractère comportementaliste ? Dès lors, le chimpanzé,
loin de toute théorie, agirait en termes d’essais-erreurs et de renforcement. Cette position
n’est évoquée que comme contradicteur. La question de la constitution d’une théorie mentaliste s’est avérée particulièrement fertile notamment dans le domaine développemental.
Cet article princeps a suscité à l’époque un large débat qui dépasse le seul domaine de
la primatologie. Contribuant à cette discussion, Dennett (1978) objecta que les expériences
menées par Premack et Woodruff (1978) n’établissaient pas la preuve indiscutable que le
singe possédait une quelconque théorie de l’esprit. Les primates réagiraient, d’après lui, bien
plus en fonction d’observables directement saisissables, tels que des mimiques ou des postures. Dès lors le singe perdait tout accès à une théorie de l'esprit pour devenir un simple behavioriste. Sensibles aux diverses remarques et critiques qui leur ont été présentées, Woodruff et
Premack (1979) ont mis en place une nouvelle série d’expériences destinée à bien asseoir le
caractère mentaliste des comportements des primates. La réplique est alors apparue avec un
nouveau protocole qui a comme axe la tromperie tactique. Le chimpanzé est soumis à deux
types de situations : dans l’une, il doit communiquer avec un expérimentateur coopératif, dans
l’autre, avec un expérimentateur concurrent. La communication intentionnelle s’établit au
sujet d’un objet convoité, mais caché. Lors de ses différentes interactions avec les deux types
d’expérimentateur, le chimpanzé apprend à partager les indices informationnels avec le personnage coopérant, et à tromper le personnage concurrent pour l’obtention de l’objet. Ces
résultats encouragent Woodruff et Premack à conclure en faveur de la capacité du chimpanzé
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à différencier les comportements en fonction de l’intention inférée du partenaire et donc à
participer à une communication intentionnelle, à distinguer les états mentaux grâce à une
théorie ad hoc, la théorie de l'esprit.
Extension de l’exploration phylogénétique à une exploration ontogénétique
Il existe une double filiation des travaux de Premack et Woodruff. Le lien le plus flagrant est lexical comme l’atteste la pérennité du terme « théorie de l'esprit ». D’un point de
vue empirique, il faut souligner l’apport paradigmatique des expériences de tromperie tactique dans le secteur d'étude développemental de la psychologie de l'esprit. Un exemple est
fourni par la tâche de la fenêtre (windows task) créée par Russell et al. (1991).
Paradigme emprunté
Pour cette tâche, des enfants âgés entre 3 et 4 ans sont assis à côté d’un expérimentateur
coopératif (E1) et en face d’un autre expérimentateur concurrent (E2). E1 indique à l’enfant
qu’il y a deux boîtes en carton, similaires ; l’une contient un chocolat, mais aucun joueur ne
sait laquelle. La règle du jeu est pour l’enfant de pointer du doigt l’une des boîtes pour « dire
à E2 où regarder ». Si le concurrent trouve le chocolat, il peut le garder pour lui, mais, si la
boîte est vide, l’enfant gagne le chocolat. Cette première partie comporte 15 essais, avant lesquels E1 rappelle à l’enfant qu’il peut obtenir le chocolat en dirigeant le concurrent vers la
boîte vide. Au cours d’une seconde partie, les boîtes avec des fenêtres ont remplacé les boîtes
précédentes. Elles diffèrent de ces dernières par une ouverture de cellophane transparent sur
un côté. L’ouverture se présente à l’enfant pour qu’il puisse clairement voir le chocolat, tandis
que le concurrent ne perçoit que le côté aveugle. Après avoir présenté les boîtes avec les fenêtres à l’enfant, E1 souligne qu’il sera à présent plus facile de faire se tromper le concurrent.
Cette partie du test comporte 20 essais. Avant chaque essai, E1 rappelle à l’enfant qu’il doit
pointer de telle sorte que E2 n’obtienne pas le chocolat. Afin de mesurer la perception par
l’enfant de son comportement de tromperie, E1 pose la question de savoir pourquoi il a désigné telle boîte. E1 demande aussi pourquoi E2 croyait que le chocolat était dans telle ou telle
boîte. Systématiquement, les enfants de trois ans désignent la boîte contenant le chocolat,
tandis que ceux de quatre ans font preuve d’une capacité de tromperie tactique en désignant la
boîte vide.
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La notion de tromperie implique que l’on provoque une croyance qui ne correspond pas
à la réalité du monde. Dans le cas de la tromperie tactique, la fausse-croyance est sciemment
induite chez l’autre, elle revêt un caractère utilitaire pour celui qui l’instille. En tant qu’état
mental, la fausse-croyance est détectée par inférence par un individu. En bref, une face de
Janus serait la création d'une fausse-croyance. L’autre face de Janus serait la fausse-croyance,
inférée sur base informationnelle. Il revient à Wimmer et Perner (1983) d’avoir conçu le test
fondateur en réponse aux suggestions de Dennett sur ce que serait un bon test de faussecroyance : il s'agirait d'un test qui fasse cohabiter deux représentations de la réalité dont la
fausse doit pouvoir être conçue et attribuée à l'autre par celui qui tient la vraie.
Paradigme créé
Un test classique de fausse-croyance dérivé de celui de Wimmer et Perner est celui de
Sally et Ann exposé par Baron-Cohen, Leslie et Frith (1985) et destiné, comme la « tâche de
la fenêtre », à des enfants autistes, des enfants trisomiques et des enfants normaux de 3 à 4
ans. Ce test est une application simplifiée du test fondateur de fausse-croyance de Wimmer et
Perner (1983). Le test propose à des enfants une historiette dont les protagonistes sont des
marionnettes, Sally et Ann. Sally possède une bille et la place dans son sac. Ensuite elle décide de s’absenter, alors Ann déplace la bille dans son panier. Les enfants doivent alors désigner l’endroit où Sally cherchera sa bille à son retour. Ils doivent inférer qu’étant donné que
Sally était absente lors du déplacement, elle se dirigera nécessairement vers le lieu originel.
Ainsi, à la question « Où Sally va-t-elle chercher sa bille ? », la grande majorité des enfants
normaux de plus de quatre ans indiquent avec justesse l’endroit d’origine, alors que la majorité des enfants de trois ans échouent.
Le test du type « Sally et Ann » constitue un patron pour une série de tests sur le transfert inattendu de lieu. Un autre test repose quant à lui sur le transfert inattendu de contenu,
comme le « test des Smarties » présenté par Wimmer et Hartl (1991) et mène au même pattern de conclusion. Lors de cette tâche, on montre à un enfant une boîte de Smarties et on lui
demande « Qu’est-ce que tu penses qu’il y a dedans ? » L’enfant infère qu’il y a des Smarties
alors que la boîte contient en réalité des crayons. Une fois que l’enfant a constaté ce contenu,
l’expérimentateur, la boîte refermée, lui pose deux questions sur ses croyances. On pose une
question relative à sa croyance antérieure, ce qu’il croyait qu’il y avait dans la boîte la pre-
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mière fois qu’il l’a vue. Les enfants normaux de quatre ans répondent justement à cette interrogation en se référant à la première fausse-croyance : des « Smarties », tandis que les trois
ans répondent en fonction de l’état réel des choses : des crayons. Une deuxième question de
fausse-croyance est posée à propos de la croyance d’un autre enfant — appartenant à la même
maternelle, mais n’ayant pas encore subi le test — sur le contenu supposé de la boîte de
Smarties. Cette fois encore l’enfant de quatre ans se réfère à la fausse-croyance et indique
verbalement des Smarties, alors que l’enfant de trois ans déclare que l’autre pensera qu’il y a
des crayons. Les enfants de trois ans ne parviennent pas à saisir l’état de fausse-croyance, et
se réfèrent invariablement à la réalité.
Ces travaux semblent attester une coupure épistémique qui intervient entre trois et quatre ans, ce qui ne signifie pas que d’un coup de baguette magique, le jour de son quatrième
anniversaire, l’enfant soit, soudainement, en mesure de réussir les différentes tâches de
fausse-croyance. On peut arguer du fait qu’il existe des différences entre les enfants. Le point
d’achoppement majeur réside dans l’inférence qu’ils doivent pratiquer. Ainsi, la capacité de
produire une double inférence se manifeste tardivement.
Y a-t-il un intérêt à une extension ontogénétique ?
L'idée d'une, voire de plusieurs coupures épistémiques est loin d'être admise par l'ensemble des auteurs. L’approche développementaliste de la théorie de l'esprit suscite un débat
toujours vif à propos de l’idée de stades. Les objections épistémologiques se situent du point
de vue innéiste que défendent des auteurs comme Fodor ou Premack. Fodor (1992) défend
une position selon laquelle « les données expérimentales n’offrent aucune raison de croire que
la théorie de l'esprit d’un enfant de trois ans diffère de manière fondamentale de la psychologie naïve (folk psychology) d’un adulte ». Les présupposés fodoriens expliquent une réfutation aussi radicale. Il considère que les bases cognitives du traitement de l’information sur les
états mentaux sont présentes dès le plus jeune âge, mais que le bébé n’a pas accès à toutes ses
ressources computationnelles. C’est l’accès qui augmente avec l’âge et non les bases cognitives qui se développent. Un exercice facile consiste à transposer ceci en des termes chers à
Chomsky : Il s’agit d’un problème de performance et non de compétence cognitive. Le postulat de Fodor qui sert de fondement à sa critique est l’existence d’une base de données innée et
modulaire qui constitue notre psychologie naïve.
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Le postulat nativiste revendiqué par Fodor est partagé par Premack et Premack (1995)
au sein d'une conception modulaire optant pour une compétence humaine précâblée. Ils partent de la faculté phylogénétique de l’humain à réagir à des invariants physiques. L’humain
possède une compétence modulaire à expliquer les phénomènes physiques ; un module de la
causalité physique régit cette compétence. De manière similaire, nos explications du monde
social reposent sur un module de la causalité humaine. Cette compétence se fonde sur la perception d’objets autopropulsés. La particularité de l’humain par rapport à l’animal est non
seulement de percevoir des caractéristiques du monde, mais à partir de celles-ci, d’être capable de former des théories. Les objets ainsi perçus sont englobés dans des catégories, et à ces
objets s’appliquent des caractéristiques qu’il s’agit d’expliquer par une analyse causale adéquate (physique ou sociale). La perception et la discrimination du mouvement propre sont
l’origine de la distinction d’un agent probable. La théorie de la compétence humaine est constituée de trois composantes qui peuvent être assimilées à des niveaux computationnels, à des
modules interconnectés. Le premier — intentionnel — interprète les objets autopropulsés et
dirigés vers un but comme intentionnels. Le second — social — attribue des propriétés aux
interactions entre ces objets. Enfin le troisième— théorie de l'esprit — explique ces propriétés en termes d’états mentaux.
La critique innéiste des théories développementales s’organise majoritairement autour
de l’argument modulaire. Le débat qui s’ouvre alors peut se traduire dans les termes qui sont
ceux de Karmiloff-Smith (1992) qui soutient contre Fodor (1983) 1 : « (1) que l’étude du développement cognitif est essentiel aux sciences cognitives, (2) que la dichotomie entre traitement modulaire et traitement central est trop rigide, et (3) que l’esprit ne commence pas avec
des modules préspécifiés, mais que le développement implique un processus graduel de modularisation ». Selon ce dernier point, bien que le développement admette la notion de spécificité de domaine, il ne peut pas se mettre en route tout en étant strictement modulaire. En
revanche, l’esprit peut véritablement se « modulariser » progressivement avec le développement.
1
Karmiloff-Smith se réfère au modèle de Fodor de 1983. Notons que dans son article de 1992, peut-être en ré-
ponse à Karmiloff-Smith (1992), Fodor admet une entrée du modulaire dans les systèmes centraux.
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Statut particulier des états épistémiques parmi les états mentaux
Parmi les états mentaux, les états épistémiques sont ceux dont la compréhension est la
plus difficile du fait qu'elle porte sur des inobservables. L'abord développemental de la théorie
de l'esprit met particulièrement l'accent sur les ancêtres, prérequis et étapes de cette catégorie
d'états mentaux.
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I. La compréhension des états épistémiques : ses ancêtres
1. Les mécanismes prérequis selon Baron-Cohen
Parmi les développementalistes, Baron-Cohen offre une vision originale de l’accès à la
théorie de l'esprit, qui allie le cadre évolutionniste à l’intérêt neuropsychologique. Il suggère
de façon empirique la présence de quatre sous-systèmes appartenant au système de lecture des
états mentaux (mindreading system) dont trois sont des préalables. Chaque sous-système ou
mécanisme correspond à un stade développemental. La théorie de Baron-Cohen comporte une
triple dimension : développementale, neurologique et évolutionniste. Les trois premiers mécanismes développementaux constituent des préalables à une compréhension des états épistémiques, qui apparaissent avec le quatrième mécanisme. Avant 9 mois, l’accès se fait aux
états volitionnels, entre 9 et 18 mois s’établit l’accès aux états référentiels, et à partir de quatre ans on observe le passage à la théorie de l'esprit qui inclut les états épistémiques.
L’accès à la compréhension des états perceptifs
Baron-Cohen conçoit cet accès comme assuré par ID — le détecteur d’intentionnalité
(Intentionality Detector). D’un point de vue évolutionniste, ce mécanisme est primitif, il
donne une interprétation volitionnelle du mouvement. L’information traitée par ID est très
large, puisqu’il ne possède pas de filtre très élaboré, il lui suffit qu’une forme se déplace par
elle-même pour qu’il soit alerté. A première vue, ID serait un mécanisme essentiellement perceptif, cependant Baron-Cohen souligne son caractère amodal : il est aussi sollicité par des
entrées sensorielles comme le toucher ou l’audition. ID interprète alors très facilement les
déplacements autonomes d’un objet quelconque comme un but ou un désir, il lui prête le statut d’agent. Ce manque de finesse dans la discrimination est explicable d’après un certain bon
sens évolutionniste selon lequel il est préférable de se méfier à tort plutôt que d’ignorer un
adversaire. Remarquons que ID a, sous différents rapports, une ressemblance certaine avec le
sous-système de Premack et Premack (1995) qui est destiné à traduire tout mouvement auto-
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propulsé en termes de désir et de but. Baron-Cohen admet lui-même l'influence des Premack
sur sa conception.
Baron-Cohen rend compte de différents travaux qui corroborent les hypothèses émises
sur l’existence de ID. Phillips, Baron-Cohen et Rutter (1992) ont effectué des tests sur les
bébés, qui montrent que ceux-ci sont sensibles au changement de but d’un adulte. Ils font, par
exemple, la différence entre « pour de vrai » et « pour de rire ». A ces données, nous en ajouterons de plus récentes. Gergely et collègues (1995) montrent que les enfants entre 9 et 12
mois peuvent interpréter le comportement de formes géométriques sur ordinateur en termes
d’actions rationnelles dirigées vers un but. Plus récemment, des éléments en faveur de
l’attribution d’une finalité à une action non aboutie ont été découverts par Csibra, Gergely,
Brockbanck, Biró et Koos (1997), toujours d’après un script se fondant sur des formes géométriques présentées sur ordinateur. Les enfants de 12 mois peuvent inférer un but hypothétique d’après des critères implicites de rationalité, ce qui pourrait suggérer une attribution
d’agentivité. L’action est pertinente relativement au but par rapport à l’action non terminée.
On peut même y ajouter des expériences qui vont dans le même sens. Spelke, Phillips et
Woodward (1995) ont mené une expérience très convaincante, d’après un protocole
d’habituation, au cours de laquelle on présente à des bébés deux séries de situations. Dans la
première, un objet mobile entre en collision avec un objet immobile, ce qui provoque le mouvement de ce dernier. Puis toujours un objet mobile s’approche d’un objet immobile et
s’arrête, à ce moment ce dernier se met en mouvement. La deuxième série présente un pattern
similaire, mais avec des personnages : un garçon va à la rencontre d’une fille, la heurte, cette
dernière s’éloigne alors. Ensuite un garçon s’approche d’une fille, s’arrête, et celle-ci
s’éloigne. Les bébés ont d’abord été habitués à un dispositif neutre, puis soumis à une des
séries. Les bébés soumis à la série présentant des objets inanimés ont regardé plus longuement
la condition sans contact, tandis que pour ceux soumis à la série comportant des personnages
aucune préférence significative n’est observable. D’après ces expériences, les chercheurs ont
conclu que les enfants de 7 mois n’appliquent pas aux personnes le principe selon lequel le
contact produit le mouvement. Les bébés semblent capables de considérer que les personnes
sont douées de la propriété de mouvement propre.
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Pour les données neuropsychologiques, Baron-Cohen s’appuie sur la découverte de cellules du lobe temporal de singes qui répondent sélectivement à la vision d’un animal de face,
même s’il est perçu de profil. Baron-Cohen est tenté d’inclure ces cellules à ID parce qu’elle
détecteraient le but de l’animal (avancer de front). Dans le même ordre d’idées, Brothers et
collègues (1990) ont isolé un neurone situé dans l’amygdale médiane de macaques adultes,
qui réagit à la vue de mouvements des membres typiques au déplacement.
Le quatrième argument, emprunté à Warrington et Shallice (1984), plaide en faveur
d’une localisation de ID et d’une dissociation de celui-ci des autres parties du système cognitif. Cette hypothèse se fonderait sur le fait que certains patients atteints d’une lésion focale du
cerveau ont perdu la capacité spécifique de catégoriser les choses comme animées ou inanimées.
Les états perceptifs purement visuels sont pilotés par le détecteur de direction des yeux
— EDD (Eye Direction Detector). EDD, à la différence de ID, est plus spécialisé, ses entrées
sont uniquement visuelles. Baron-Cohen distingue trois fonctions fondamentales de EDD:
« Il détecte la présence des yeux ou tout stimulus pouvant ressembler à des yeux ; il
évalue si les yeux sont dirigés vers lui ou ailleurs ; enfin il infère par référence à sa
propre expérience que, si un autre organisme a ses yeux dirigés vers un objet, c’est
qu’il voit cet objet. Cette dernière fonction est importante puisqu’elle permet au bébé
d’attribuer un état perceptif à un autre organisme (par exemple ‘Maman me voit’). »
EDD se borne à interpréter les stimuli auxquels il réagit en termes de ce que voit
l’agent. Baron-Cohen apporte plus d’éléments expérimentaux probants en faveur de ce mécanisme qu’il ne l’a fait pour le précédent. Différentes manipulations convergent pour montrer
que le bébé manifeste dès deux mois un intérêt pour les yeux comme partie la plus regardée et
préférée du visage — Haith, Bergman et Moore (1977) et Hainline (1978). Ensuite, les bébés
de six mois regardent deux à trois fois plus longtemps un visage qui les regarde qu’un visage
qui regarde ailleurs (Papousek et Papousek 1979). Il est vrai que ces données prêtent à
controverse par rapport à des recherches plus récentes qui ne mettent pas en évidence une
priorité apportée au regard (Symons, Hains, Sisca et Muir 1998).
La sensation émotionnelle produite par le contact œil à œil s’explique par une stimulation physiologique. Baron-Cohen cité en argument des données indiquant que les réponses
galvaniques de la peau augmentent avec le contact oculaire mutuel. Par ailleurs, on a pu ob-
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server une activation de la région du tronc cérébral chez le singe en réponse aux stimuli
« yeux ».
Enfin le contact œil à œil est interprété comme une indication que chacun voit l’autre,
que « l’agent me voit » et que « je vois l’agent ». Le bébé a déjà une expérience de la distinction entre voir et ne pas voir, entre voir un objet A et voir un objet B. Par analogie, cette
même expérience peut être prêtée par le bébé à un autre individu.
L’accès à la compréhension d’états référentiels
ID et EDD créent des représentations que l’on appelle dyadiques, en ce sens qu’elles
portent sur la relation intentionnelle qui existe entre deux agents (dont le sujet) ou un agent et
un objet. Le troisième mécanisme d’attention partagée crée des représentations plus complexes, c'est-à-dire triadiques, sur la base de ce que perçoit l’autre. Ces représentations portent
sur les relations entre un agent, le sujet et un autre objet ou agent. Le mécanisme d’attention
partagée — SAM (Shared-Attention Mechanism) repère la direction du regard, si quelqu’un
nous regarde et si cet agent regarde la même chose. Il possède une capacité de comparaison
entre ce que l’autre regarde et ce que l’on regarde. L’accès à l’attention partagée constitue un
saut qualitatif dans le développement de l’enfant.
A
S
Figure 2
Description illustrée de la représentation triadique. Reproduit d’après BaronCohen 1994b.
19
Deux aspects distincts et successifs de SAM dans le développement sont à souligner.
SAM permet de repérer l’attention de l’autre et de s’y joindre. Plus tard, il permet de provoquer l’attention de l’autre et de s’y joindre. Il pilote le changement d’état mental de l’autre en
faisant changer le point d’intérêt. Selon la première acception, les expériences de Scaife et
Bruner (1975) et de Butterworth (1991), le bébé fait des va-et-vient entre le regard de l’autre
personne et l’objet cible pour vérifier que tous les deux regardent la même chose, ont une
attention conjointe sur le même objet. Selon la seconde acception, le jeune enfant a recours au
pointage protodéclaratif (Bates et al. 1979), il s’agit alors d’une attention conjointe active et
explicite. Cette manifestation active de SAM a été observée par Tremblay-Leveau et Nadel
(1996) dès l’âge de onze mois chez des bébés capables de piloter le regard de l’autre sans
pointage protodéclaratif, mais par le contact oculaire. En outre, un jeune enfant peut aussi
amener les objets dans le champ visuel de l’autre (Lempers et al. 1977). Dans ces exemples
de manipulation du regard, SAM est lié de manière privilégiée à EDD.
D’après ce qui précède, lorsque SAM construit une représentation triadique par la voie
de EDD, la relation est nécessairement visuelle. Cependant, EDD peut bénéficier d’une entrée
de ID, ce qui rend la relation volitionnelle : « le but est de prendre X ». Le fait que EDD soit
lié à ID par SAM implique une forme spéciale d’état volitionnel, outre le désir et le but : la
référenciation, c'est-à-dire « le but est de se référer à X ». Cette possibilité que les enfants
infèrent des états mentaux à partir de la direction du regard a été testée par Phillips, BaronCohen et Rutter (1992). On soumet des enfants âgés entre 9 et 18 mois à deux types d’actions,
l’une ambiguë, l’autre univoque. Par exemple, l’ambiguïté peut résider dans le fait de couvrir
de ses mains celles d’un enfant engagé dans une activité manuelle, ou reprendre immédiatement un objet que l’on vient d’offrir à un enfant. La majorité des enfants répondent à l’action
ambiguë en regardant immédiatement les yeux de l’adulte, tandis qu’une minorité agit de
même pour l’action univoque. Cette réaction implique que les yeux sont le premier endroit où
l’enfant cherche des indices informationnels.
Cette coordination de ID avec SAM est attestée par Baldwin (1991, 1994) et Tomasello
(1988) qui on montré que les bébés de 18 mois sont sensibles au regard comme cible de la
référenciation. Il existe une gradation à l’intérieur du mécanisme d’attention partagée entre ce
que regarde l’autre et l’utilisation de son regard pour contrôler un état mental (manipulation
implicite).
20
Le rôle informationnel du regard est confirmé par l’expérience de « Charlie et les quatre
chocolats » élaborée par Baron-Cohen (1995). Dans cette expérience, on présente quatre chocolats et le visage symbolisé d’un personnage, Charlie, qui regarde l’un d’eux. On pose à des
enfants entre 3 et 4 ans une série de questions faisant chacune appel à un type d’état mental.
La première question fait appel à la compréhension du but : Quel bonbon Charlie va-t-il prendre ? La deuxième question concerne le désir : Quel bonbon veut Charlie ? Enfin on pose à
l’enfant une question sur la référenciation : De quel bonbon Charlie parle-t-il ? A ces trois
interrogations, les enfants entre trois et quatre ans répondent facilement par inférence à partir
de la direction du regard. Les résultats de la seconde question sur le désir ne sont pas altérés
par l’introduction d’un distracteur, une grosse flèche qui pointe vers un chocolat autre que
celui fixé par Charlie.
Figure 3. Le dispositif présenté aux enfants de 3-4 ans, à qui l’on demande :
« quel chocolat va prendre Charlie ? ». D’après Baron-Cohen (1995)
Il ressort de cette expérience que ces différentes inférences d’états mentaux sont possibles simultanément même si elles requièrent des mécanismes différents. L’expérience permet
de mettre en évidence le glissement d’un état perceptif vers un état référentiel sans
qu’intervienne de question d’âge. Le lien référentiel ouvre la voie à des inférences telles que
« voir mène à savoir », inférences épistémiques appartenant au domaine de ToMM.
21
L’accès à la théorie de l'esprit
L’architecture proposée par Baron-Cohen ne saurait être complète sans un quatrième et
dernier mécanisme : le mécanisme de la théorie de l’esprit — ToMM. Ce mécanisme est issu
directement de la théorie de Leslie (1994). L’exposition de ToMM constitue une véritable
rupture dans l’harmonie de la théorie de Baron-Cohen. ToMM surgit comme pour combler un
vide épistémologique, à tel point que l’auteur se réfère entièrement à Leslie et à Wellman
pour ce qui est des arguments. Baron-Cohen transforme son exposé en véritable rébus, puisqu'il faut se référer aux deux auteurs cités pour que l'architecture proposée par le modèle soit
achevée. Clairement, ce qui intéresse Baron-Cohen ce sont les mécanismes nécessaires à la
mise en place et au fonctionnement d'un quatrième mécanisme, indépendant des 3 autres en ce
qu'ils ne sont pas suffisants pour son instauration, même s'ils sont nécessaires.Nous aborderons les perspectives de Wellman et de Leslie par la suite et nous contenterons ici de quelques
remarques sur les liens que Baron-Cohen établit dans son modèle entre ToMM et les autres
mécanismes.
ToMM permet de lier les concepts d’états mentaux (le volitionnel, le perceptif et
l’épistémique) en un ensemble cohérent. Selon Baron-Cohen, « Il a la double fonction de représenter l’ensemble des états mentaux épistémiques et de changer tout ce savoir mental en
une théorie utilitaire ». Les trois premiers mécanismes postulés par Baron-Cohen constituent
des préalables à la théorie de l'esprit. ToMM permet la coordination de la compréhension des
états.
Comment le lien entre ces différents mécanismes s’effectue-t-il ? Il est intéressant à ce
sujet de se reporter au tableau 1 qui illustre la manière dont s’organisent les quatre mécanismes. ToMM reçoit ses entrées de SAM. On distingue différents stades développementaux. De
la naissance à 9 mois, le bébé est en possession de ID et des fonctions de base de EDD ; les
représentations ainsi produites sont dyadiques. De 9 à 18 mois, SAM entre en scène, ce qui
permet l’élaboration de représentations triadiques et, donc, l’attention conjointe et un début de
partage de référent. A ce stade, la direction du regard peut être perçue en termes d’états mentaux de base grâce à la conjonction de ID et EDD instaurée par SAM. De 18 à 48 mois, le jeu
de faire-semblant annonce ToMM suscité par SAM. L’enfant commence alors à prendre conscience de ses propres états mentaux ainsi que de ceux des autres. Il débute par la maîtrise du
faire-semblant pour progresser petit à petit vers des états plus complexes de croyance puis de
fausse-croyance ; ce parcours s’effectue avec la construction de M-Représentations.
22
ID
EDD
SAM
ToMM
+
+
+
+
+
+
+
+
-
+
-
+
+
+
+
+
+
+
+
-
+
+
+
+
+
+
+
+
+
-
+
+
+?
-
-
(A) Humains biologiquement sains
(i) > 4 ans
(ii) 9-18 mois
(iii) < 9 mois
(B) Humains avec des pathologies
(iv) enfants et adultes congénitalement aveugles
(v) enfants autistes (sous-groupe A)
(vi) enfants autistes (sous-groupe B)
(vii) enfants et adultes avec un handicap mental,
âge mental > 4 ans
(viii) enfants et adultes avec un trouble
spécifique du langage, âge mental > 4 ans
(C) Animaux non-humains
(ix) primates supérieurs
(x) de nombreux animaux "inférieurs"
Tableau 1 : Présence (+) ou Absence (-) de chaque composante du système métacognitif,
pour 10 populations.
Quid du tableau qui précède ? La première population est divisée en stades développementaux dont il sera question plus avant dans l’exposé. L’étude des humains avec des pathologies et celle des animaux non-humains fournissent des indices sur, respectivement, l’aspect
ontologique et phylogénétique du développement des mécanismes prônés par Baron-Cohen.
Cette vision synthétique suggère que, d’un point de vue développemental, l’apparition de
SAM ne requiert pas la présence simultanée de ID et EDD. L'absence de EDD ou son déficit
peuvent être palliés, du moins contournés, comme l’illustre le cas des aveugles congénitaux.
En revanche, il est vérifié que ToMM nécessite la présence de SAM, comme l’attestent les
deux sous-groupes d’enfants autistes. Il y a une succession naturelle dans le développement
des mécanismes, mais seul SAM constitue un prérequis, en l’occurrence pour ToMM. En
termes phylogénétiques, le fait que ID et EDD soient complémentaires, mais non interdépen-
23
dants se trouve confirmé par le groupe des animaux « inférieurs » qui présentent EDD sans
ID.
Il est utile de se concentrer plus spécifiquement sur les performances des enfants autistes impliquées dans différentes tâches. Le fait que Baron-Cohen dans sa « taxinomie » fasse la
distinction entre deux sous-groupes d'autistes n’entrera pas en ligne de compte dans ce qui
suit. Dans l'expérience de « Charlie et les quatre chocolats », les enfants autistes se réfèrent de
la même manière que les enfants normaux à la direction du regard et répondent correctement
à la question sur le désir de Charlie. Cependant, si l'on introduit le distracteur (une grosse flèche), ils se laissent tromper, ignorant la direction du regard. Ce résultat apporte un argument
quant à l'incapacité des enfants autistes à faire des inférences sur les états mentaux volitionnels.
D’un point de vue développemental, ID, EDD et SAM illustrent sur des bases expérimentales et neuropsychologiques différents stades d’accès à la théorie de l'esprit. Ces trois
mécanismes se conçoivent comme accès à la compréhension des états mentaux non épistémiques. La capacité de comprendre les états épistémiques implique la maîtrise de la méreprésentation (misrepresentation), alors que SAM ne joue que sur du savoir vrai. C’est ToMM qui
ouvre l’accès à la capacité à concevoir plusieurs vérités possibles. En d’autres termes, avec
ToMM, on observe le passage d’une théorie mentaliste rudimentaire à une théorie plus active,
dont l’enfant a conscience et qui peut l’amener à concevoir une variété de représentations
mentales.
24
2. La préparation à la compréhension des états de croyance: l'apport de Wellman
Wellman (1990) comme Baron-Cohen a élaboré un schéma développemental de l'accès de
l'enfant à une compréhension des états mentaux. Mais à la différence de Baron-Cohen, les
aspects neuropsychologiques et évolutionnistes sont absents de sa théorie. Son effort descriptif se fonde sur trois étapes distinctes marquées par des sauts qualitatifs. Pour développer sa
théorie, Wellman a besoin de prendre comme base l'accès de l'enfant au réel. En d'autre termes, la distinction entre les choses et les pensées sont pour lui le point d'ancrage du développement d'une théorie de l'esprit. Dans une série d'expériences à la fois simples et convaincantes, Wellman montre que les enfants de trois ans peuvent faire la distinction entre des entités
réelles et des entités mentales (Wellman 1990). Par exemple, si on leur dit qu’un garçon possède un cookie et qu'un autre garçon rêve d’un cookie, ils peuvent dire lequel des deux cookies peut être mangé, partagé, etc.
Wellman pose la question de savoir s’il n’y aurait pas une étape entre trois et cinq ans
au cours de laquelle les enfants évolueraient vers un certain « réalisme subtil » (subtle realism). L’idée de réalisme dans cette acception renvoie à l’hypothèse selon laquelle toute entité
serait ramenée à la réalité physique. On a vu que les enfants entre trois et cinq ans pouvaient
discriminer les entités mentales des entités physiques tangibles (par exemple un cookie), mais
sont-ils capables de distinguer les entités mentales des entités physiques intangibles comme
« une ombre » ou « de la fumée » ? Afin de tester cette éventualité, les explications de jeunes
enfants on été suscitées à partir d’histoires comprenant soit des entités mentales (penser, rêver, se souvenir), soit des objets physiques solides (une balle réelle, une bicyclette, etc.), soit
des imposteurs (l’ombre d’un arbre, de la fumée, etc.). Les questions posées étaient de savoir
si l’enfant pouvait toucher, voir avec ses yeux, cacher sous son lit l’entité dont il était question. Les résultats obtenus ont confirmé qu’à tout âge les enfants étaient aptes à différencier
les entités physiques des entités mentales. Les entités invisibles ou intangibles n’ont pas provoqué de confusion. Il faut néanmoins indiquer que les enfants de trois ans ont commis certaines erreurs, imputables selon Wellman au fait que les entités mentales impliquent une représentation (une pensée) et un référent (au sujet d’un objet). Il y aurait confusion chez les
trois ans entre la représentation et le référent. On peut penser en marge de Wellman que ces
enfants n’ont pas encore accès à l’état référentiel, mais comme nous le verrons par la suite,
ces différents stades ne semblent pas pertinents pour Wellman.
25
Il est aussi intéressant de mener l’investigation sur la compréhension par les jeunes enfants des propriétés et des caractéristiques des phénomènes mentaux. Pour ce faire, on étudie
les réponses données par des enfants de trois à cinq ans au sujet d’un objet réel, d’un objet
réel caché inaccessible (dans une boîte par exemple) et d’une image mentale de cet objet.
L’hypothèse est que si les enfants conçoivent que les images mentales sont réelles, mais inaccessibles, ils répondront de la même manière aux questions sur les images mentales et sur les
objets inaccessibles. En effet, les enfants ont jugé différemment les images mentales et les
objets réels, qu’ils soient cachés ou non.
Le véritable caractère paradigmatique de ces expériences point avec le fait que distinguer pratiquement le réel de l'imaginaire n'implique pas que les enfants entre trois et cinq ans
aient une conception de l'esprit. Pouvoir attribuer des états mentaux suggère que l'on soit capable de manipuler et de comprendre ses propres représentations et celles des autres dans une
relation causale, donc de posséder une description interne utilitaire de l'esprit. La théorie proposée par Wellman suppose trois étapes marquées par une redescription des états mentaux en
termes de désir et de croyance. Parmi ces trois étapes, deux font figure d’ancêtre à la théorie
de l'esprit dont l’estampille est le plein accès à l’état de croyance.
Le désir comme état interne
Toute théorie de l'esprit, aussi rudimentaire soit-elle, se fonde sur l’appréhension de
deux aspects du monde : l’imaginaire et la causalité. Wellman conditionne les premiers signes
d’une théorie de l'esprit à l’accès à une compréhension en termes de désir et de croyance.
Cette étape primaire ne se manifeste pas avant trois ans. On est alors en droit de se demander
quel serait l’ancêtre de cette étape intermédiaire, ce qui amène à considérer la compréhension
causale de l’enfant de deux ans. Wellman appelle cette compréhension du monde psychologie
du désir (desire psychology). Le jeune enfant de deux ans n’a pas d’accès mental à la
croyance et ne peut concevoir que de manière simple et immédiate l’état de désir. Le désir
constitue un état interne non représentationnel. En effet, il ne s’agit pas d’une attitude propositionnelle qui implique une représentation, mais plutôt d’une attitude à propos d’un objet
réel. Le sujet doit avoir une connaissance minimale de son environnement de façon à pouvoir
produire des inférences sur ce qui peut remplir ses attentes (désirs). Wellman souligne qu’un
état intentionnel n’est pas nécessairement représentationnel. L’enfant est dans ce contexte
tourné vers l’obtention d’un objet réel disponible ; de ce point de vue il est réaliste et le désir
est dispositionnel.
26
Lors d’une expérience, on présente à des enfants de deux ans un personnage, Sam, qui
veut retrouver son lapin caché dans deux lieux possibles. Dans une version, soit Sam choisit
le bon endroit, soit il échoue. Dans une autre version, il rencontre un chien dans l’endroit où il
cherche son lapin. On demande aux enfants d’inférer son état émotionnel : « Est-il content ou
triste ? ». Une version supplémentaire concerne plus particulièrement l’action. Sam veut amener son lapin à l’école. Une fois qu’il a regardé dans l’un des deux endroits, on demande à
l’enfant ce que fera Sam, « Que va-t-il faire maintenant, va-t-il regarder dans l’autre endroit
ou va-t-il aller à l’école ? » Les enfants ont correctement inféré la réaction émotionnelle de
Sam. De la même manière ils ont pu prédire l’action de Sam sur la base de son désir et inférer
s’il allait poursuivre ou arrêter sa recherche. Ces réponses fournissent un argument en faveur
de leur capacité à produire des inférences justes sur la relation entre le désir et son résultat
externe.
L’accès aux états de croyance-désir
La psychologie du désir utilisée avant trois ans est remplacée par une compréhension en
termes de désir et de croyance (belief-desire psychology). L’inférence à partir du désir ne
s’établit désormais que s’il y a une référence à la croyance. L’argumentation de Wellman
prend assise sur les explications verbalisées des enfants. Il argumente cette proposition à partir d’une série de tests destinée à susciter une explication verbale de la part des enfants à propos de l’action menée par un personnage fictif. Par exemple, « Jane cherche son chaton sous
le piano. Pourquoi penses-tu que Jane fait cela ? ». Les explications peuvent être orientées par
l’introduction d’une information déroutante sur l’action. Dans le cas de la croyance, par
exemple « Jane cherche son chaton. Le chaton est sous une chaise, mais Jane le cherche sous
le piano. Pourquoi penses-tu qu’elle fait ça ? ». Pour le désir, l’histoire pourra être du type
« Jane déteste les grenouilles, mais elle cherche une grenouille sous le piano. Pourquoi penses-tu que Jane fait ça? ». On remarque, d’après les explications données par les enfants,
qu’ils utilisent les termes mentalistes de croyance et de désir pour motiver l’action des personnages (« parce qu'elle croit que son chat est sous le piano » ; « parce qu'elle ne veut pas
de grenouilles dans la maison »), même si parfois la verbalisation n’a pas été spontanée, mais
suscitée par une réponse forcée, ou même si l'indice en faveur d’une première compréhension
des fausses croyances reste superficiel. Le désir revêt dans ce cadre une dimension ontologique autre que celle illustrée dans le cas des enfants de deux ans. Le désir, comme le suggère
la question au sujet de Jane, ne peut pas être dissocié de la croyance de l’agent au sujet de
27
celle du personnage ; la relation devient dyadique, et donc, représentationnelle. L’enfant qui
répond en termes de désir le fait sur la base d’une inférence implicite de croyance. Cela devrait impliquer que l’enfant est déjà à l’aise en ce qui concerne les états de référentiation. En
effet, quel sens cela aurait-il de demander à un enfant de trois ans « pourquoi X regarde-t-il à
tel endroit », s’il n’a pas encore saisi que « voir mène à savoir » ? On est tenté d’interpréter la
capacité des enfants de trois ans à accomplir des tâches en fonction de leur accès aux états
perceptifs et référentiels, ainsi qu’à leur aptitude à pratiquer l’inférence de croyances sur la
base de tels états. Wellman revendique donc pour les enfants de trois ans une capacité à pratiquer des inférences perceptives, saisissant le lien entre voir et croire.
La position de Wellman contredit de nombreuses données théoriques, telles que celles
de Wimmer et Perner (1983), ou Wimmer, Hogrefe et Sodian (1988). Wimmer défend l’idée
que les enfants de trois ans ne comprennent pas le lien épistémique entre la perception et la
croyance, de la même manière il suggère que l’inférence de croyances leur est étrangère (ces
expériences seront abordées plus précisément lors de la seconde partie). Il est utile de
confronter l’expérience de Wimmer, Hogrefe et Sodian (1988) sur la compréhension de
l’accès à l’information visuelle comme origine de la connaissance avec une expérience sur
l’inférence de croyance pratiquée par Wellman (1990).
Dans l’expérience de Wimmer, Hogrefe et Sodian (1988), deux enfants sont face à face
devant une table. A chaque essai l’un sert de sujet et doit estimer la connaissance de l’autre
enfant ainsi que la sienne propre à propos du contenu d’une boîte fermée. La boîte est placée
au milieu de la table et contient (sans indice) un objet familier (peigne, crayon, chocolat). La
question type est : « Est-ce que X sait ce qui est dans la boîte ou bien ne le sait-il pas ? » et
« Sais-tu ce qui est dans la boîte ou bien ne le sais-tu pas ? » Avant ces questions, soit X, soit
le sujet a accès au contenu de la boîte visuellement. Les enfants se faisant face, chacun perçoit
l’information transmise. L’erreur la plus fréquente est de nier la connaissance de l’autre — X
— (“no” bias pattern), quand ce dernier a eu accès à l’information visuelle, d’où la conclusion que l’accès visuel ne conduit pas nécessairement à la croyance vraie.
Wellman oppose à ce type d’expérience, d’autres tâches d’inférence de croyance. Ces
expériences se fondent sur des historiettes où l’enfant doit inférer la croyance d’un personnage. On présente ainsi la scène : « Il y a des crayons magiques dans le bureau et il y a des
crayons magiques sur l’étagère. Ce matin, Jane a vu ses crayons magiques dans le bureau,
mais elle ne les a pas vus sur l’étagère. Maintenant, elle veut ses crayons magiques. Où va-t-
28
elle les chercher ? ». Quatre-vingt-huit pour-cent des enfants de trois ans infèrent la croyance
de Jane correctement. Ce résultat prouve d’après Wellman que les enfants de trois ans, malgré
le fait que les objets se trouvent dans deux endroits distincts, peuvent prédire l’action de Jane
sur la base de son accès visuel. Toutefois Wellman reconnaît qu'à la différence de Wimmer et
collègues, il n'a pas posé de question concernant la croyance, mais seulement sur l’action prévue du personnage.
Le passage d’une théorie réaliste à une théorie mentaliste s’opérerait donc vers les trois
ans, si tant est qu'on s'accorde avec Wellman sur le fait que ces expériences concernent bien
l'inférence de croyance. A cet âge l’explication ne se ferait plus à l’aune du désir comme à
deux ans où l’inférence implicite se fait en termes dispositionnels et non propositionnels :
« Marie va chercher une glace chez le glacier/elle veut une glace ». On hésite à mettre à cette
phrase un lien logique explicite, l’explication se fait par rapport à l’accès à la chose désirée.
Ce que souligne Wellman est que, durant la deuxième étape, une nouvelle théorie prend place
qui remplace la précédente par un enrichissement conceptuel incluant le rapport croyancedésir. A cette période, la croyance fournit le cadre du désir : « Pierre veut une pomme » nécessite une croyance sur un certain état interne concernant Pierre ; dès lors la simple corrélation désir/accessibilité est devenue caduque.
Quelles sont les modalités de ce passage ? La section précédente a illustré ce dont
l’enfant de trois ans était capable, en quoi cela constituait un changement théorique. Il faut à
présent s’interroger sur la façon dont ce changement s’opère, préparant un nouveau saut qualitatif. Les croyances des enfants de trois ans sont déterminées par leur accès perceptif. Leurs
représentations sont le produit de la perception de la réalité. Dans cette optique, ils font
preuve d’une compréhension représentationnelle de l’esprit. Il s’agit d’une représentation en
tant que décalque de la réalité présente ici et maintenant, c’est pourquoi Wellman appelle les
enfants de trois ans des « théoriciens de la copie directe » (direct copy theorists). L’exemple
déroutant de Jane cherchant son chat sous le piano alors qu’il est sous la chaise ne démontre
pas, si l’on veut être rigoureux, un premier accès à la compréhension de fausses croyances,
mais bien plutôt une première aspérité dans la théorie de la copie directe du réel. La théorie
pourra être rejetée puisque falsifiée. C’est l’accès à cette falsifiabilité qui rend compte du passage de la psychologie du désir à la psychologie croyance-désir.
29
L’accès à une théorie représentationnelle de l'esprit
Dans l’optique de Wellman, l’enfant de trois ans a déjà recours à une psychologie naïve,
du même type que l’adulte, ce qui implique de différencier la croyance du désir et de les relier
dans le raisonnement causal.
Ces assertions sembleront abstraites si nous ne recourons pas à des exemples concrets.
Qu’en est-il de la tâche des Smarties de Wimmer et Hartl (1991) sous l’angle de la théorie de
la copie ? 2 . La conclusion à laquelle aboutissent Wimmer et Hartl est que les enfants de trois
ans échouent dans la compréhension de fausses croyances et se réfèrent invariablement à
l’état réel des choses. Ces données se prêtent totalement à la lecture théorique de la réalité
comme copie représentationnelle, l’enfant ne raisonne que d’après l’instant présent. La théorie en vigueur est que la croyance est une représentation de la réalité, et donc une copie directe de la réalité. L’inférence pratiquée dans le cadre de cette théorie est simple : « S’il y a
un crayon dans la boîte de Smarties, alors X croit que la boîte contient un crayon ». Cette
théorie devra faire place à une autre pour que la double inférence puisse être produite et pour
permettre une compréhension de la fausse-croyance.
Passé trois ans et jusqu’à six ans, cette psychologie doit encore s’affiner par un saut
qualitatif que l’on observe vers les 4 ans / 4ans et demi. L’enfant développe une capacité de
compréhension interprétative de la représentation. Cette notion a quelque chose à voir avec
celle de diversité représentationnelle (representational diversity) développée par Forguson et
Gopnik (1988). Les enfants arrivent à saisir la variété des relations informationnelles, ce
qu’ils ne faisaient pas avant, ne procédant que par copie représentationnelle. La compréhension interprétative, en rompant avec la copie représentationnelle, ouvre la porte à une pleine
théorie de l'esprit. Wellman n'entre pas dans le détail de cette sous-étape. Comme BaronCohen, il est plus préoccupé de décrire les ancêtres d'une théorie de l'esprit que son plein développement, ce qui justifie la place qu'il occupe, en première partie, dans cet exposé.
2
Tâche présentée page 7
30
II. La compréhension des états épistémiques : ses étapes
Dans cette section, sont réunis les modèles qui proposent des étapes dans le développement de la compréhension des états épistémiques. La théorie de l'esprit consiste en la compréhension des conduites induites par des états mentaux, c'est-à-dire par des inobservables.
1. Le jeu symbolique : Une première forme de métareprésentation selon Leslie
L’imaginaire chez Leslie (1987), sous la forme du faire-semblant (pretense), serait un
des premiers états mentaux épistémiques compris par l’enfant et constituerait une manière
d’admettre la confrontation entre la représentation de la réalité et la réalité elle-même.Pour
Leslie (1987), les enfants entre 18 et 24 mois illustrent ce découplage entre la représentation
de la réalité et la réalité elle-même par leur capacité à raisonner sur des situations hypothétiques: par exemple, une banane peut être prise comme téléphone, sans que le jeune enfant ne
se méprenne sur l’identité véritable de l’objet. Le faire-semblant est une manifestation de
l’imaginaire dans le sens de « faire comme si ». De nombreux comportements enfantins semblent correspondre à cette catégorie. Aucun parent ne s’inquiète quand son enfant, armé d’un
quelconque bout de bois, met en joue le chat de la voisine. Dans cette représentation imaginaire, le bout de bois devient un fusil, et le chat de la voisine est transformé en tigre du Bengale. L’enfant pratique dans ce cas un jeu symbolique par rapport au morceau de bois et par
rapport au chat : l’un est substitué à un fusil, l’autre à un tigre. Cette substitution imaginaire
d’objet constitue une des trois formes fondamentales du faire-semblant que l’on rencontre.
Dans le jeu symbolique l’enfant attribue aussi des propriétés imaginaires à un objet (le bâton
tire des balles), imagine un objet absent (faire mine de tenir une petite cuillère et de la tourner
dans sa tasse), ou prête des propriétés à un objet fictif. Le jeu symbolique doit être distingué
du jeu fonctionnel qui repose sur l' utilisation d'un objet réel dans sa fonction conventionnelle.
Le faire-semblant est un état mental déjà assez complexe : l’enfant ne prend pas le morceau de bois pour un fusil, l’attitude n’est pas dispositionnelle — « c’est un fusil ». Il prétend
que le morceau de bois est un fusil, ce qui implique une attitude propositionnelle du type « X
fait semblant que P ».
Leslie fait remarquer que les expressions englobant des états mentaux épistémiques ont
des propriétés similaires à celles du faire-semblant: opacité référentielle, pas de valeur de vérité, pas d’exigence de réalité. L’opacité référentielle peut être comparée à la substitution
d’objet : Si Jean croit que « La princesse des Ursins était une intrigante », il peut nier que
31
« Madame de la Trémoille était une intrigante ». D’après Frege (1892) : « La dénotation d’un
nom propre 3 est l’objet même que nous désignons par ce nom ; la représentation que nous y
joignons est entièrement subjective; entre les deux habite le sens, qui n’est pas subjectif
comme l’est la représentation, mais qui n’est pas non plus l’objet lui-même ». Ainsi l’opacité
référentielle porte sur le sens. On accepte facilement l’idée que l’on puisse avoir une représentation différente de la princesse des Ursins ; il s’agit dans ce cas d’une image mentale, de
ce qui est perçu. La dénotation est l’objet, disons sans étiquette. Le sens correspond quant à
lui à l’étiquette de l’objet, ce que l’on peut rendre par des guillemets. A une même dénotation
sont associés différents sens. D’où, à la dénotation (Marie-Anne de la Trémoille, née à Paris
en 1642, décédée en 1722) correspondent deux sens, « Madame de la Trémoille » et « La
princesse des Ursins ». Il y a opacité référentielle quand différents sens ayant la même dénotation ne sont pas tous reliés à cette dénotation commune. En ce qui concerne la valeur de
vérité, il est possible de croire que Pablo Neruda était un chanteur mexicain. La condition
d’existence, de la même façon, peut être enfreinte dans une proposition, par exemple :
« Pierre croit que Utopia se situe au large des Canaries ».
Le lien entre le faire-semblant et l’opacité référentielle est le système de représentation
qu’ils impliquent. Le mot représentation est de nouveau pris à présent dans sa connotation
intentionnelle, qui diffère de l’acception frégéenne évoquée plus haut. Pour Leslie, les représentations primaires sont transparentes, elles font appel à une représentation des objets et à un
état de choses univoques, et se rattachent au monde réel. En termes frégéens, le lien entre sens
et dénotation est respecté. L’opacité institue une dissociation. Les représentations dans le jeu
de faire-semblant sont opaques comme pour les propositions. De ce point de vue, il ne s’agit
plus de représentation du monde, mais de représentations de représentations, ce qui amène
Leslie à parler de métareprésentation. Wellman pourrait dans une certaine mesure parler lui
aussi de métareprésentations avec la notion de compréhension interprétative. Néanmoins là
s’arrête l’analogie car la capacité interprétative se manifeste beaucoup plus tard que le jeu de
faire-semblant chez Leslie.
3
Pour Frege, un nom propre peut être un mot, un signe, une combinaison de signes, une expression.
32
Le découpleur
Si le mot « dissociation » a été employé précédemment en ce qui concerne l’opacité référentielle, ce n’est pas de manière fortuite. En effet, cette idée est voisine de la notion de
découplage utilisée par Leslie dans son modèle de jeu de faire-semblant illustré ci-dessous.
DÉCOUPLEUR
PROCESSUS
PRODUCTEUR
PERCEPTIFS
D’EXPRESSION
“c’est une
SYSTÈMES
banane”
COGNITIFS
CENTRAUX
MANIPULATEUR
JE FAIS SEMBLANT QUE
INTERPRETE
“cette banane
ACTION
est un téléphone”
Figure 4 : modèle du découpleur du faire-semblant. D’après Leslie (1987)
Le modèle de découplage est constitué de trois composantes principales. Les processus
perceptifs (perceptual processes) apportent des représentations de la situation actuelle aux
processus centraux. Ensuite, un ensemble de processus est appelé systèmes cognitifs centraux
(central cognitive systems). Ils comprennent des structures correspondant à la situation perçue, à savoir les systèmes de mémoire (par exemple la connaissance générale), les systèmes
de planification de l’action, etc. Le troisième élément, et le plus important, est le découpleur
(decoupler) qui se compose de trois éléments : le producteur d’expression (expression raiser),
le manipulateur (manipulator) et l’interprète (interpreter).
La tâche du producteur d’expressions est de copier les représentations primaires des
systèmes centraux. Par découplage, il produit des copies dans un contexte opaque. La copie
33
de l’expression première est ainsi extraite de ses relations contextuelles normales pour former
le noyau d’une métareprésentation. Le manipulateur doit tranformer les expressions découplées en intégrant l’information de la mémoire. De cette façon, le manipulateur fournit le
contexte « Agent fait semblant que ». L’interprète relie les expressions découplées à la représentation perceptive réelle.
D’après ce processus, Leslie donne l’exemple d’une représentation réelle qui est c’est
une banane. Cette représentation est découplée en « c’est une banane ». Cette copie suspend
le contenu sémantique normal, ce qui permet de manipuler librement l’expression hors de son
contexte. L’expression « c’est une banane » peut être transformée en « cette banane est un
téléphone ».
2. Le débat avec Perner : Le jeu symbolique est-il une première étape de la métareprésentation ou bien une étape de la représentation ?
Perner (1988) tout comme Leslie (1987) propose un schéma explicatif de la compréhension de l’esprit par les enfants à partir des propriétés sémantiques des états représentationnels.
Perner ne remet pas d’emblée en question la similitude entre métareprésentation et jeu imaginaire en ce qui concerne l’opacité référentielle, mais lui applique une lecture divergente de
celle de Leslie. Nous analyserons cette divergence dans les paragraphes qui suivent. La description développementale de Perner s’appuie sur trois stades distincts :
« (1) Le bébé a un modèle mental du monde (base de connaissance) mais n’a pas de
conscience sémantique de la manière dont il se rapporte au monde. (2) Le jeune enfant
développe une conscience pratique de la sémantique par sa capacité à utiliser les procédures sémantiques pour construire des modèles mentaux alternatifs détachés de la
réalité et y avoir recours. Grâce à cela, l’enfant peut penser à des divergences de la réalité et conceptualiser le faire-semblant et la croyance en associant les personnes avec
des situations divergentes (théoriciens de l’attitude propositionnelle — propositional
attitude theorist —). Enfin, (3) vers quatre ans, l’enfant devient capable de métareprésentation en modélisant explicitement la relation sémantique entre un modèle mental
et la situation modélisée (théoricien de l’état représentationnel — representational
state theorist —). » pp. 167-168.
Cette longue citation de Perner fournit différents indices sur son désaccord avec la conception
métareprésentationnelle de Leslie. Leur divergence apparaît clairement du point de vue déve-
34
loppemental. Perner ne relie pas directement la capacité de jeu symbolique à la métareprésentation, d’ailleurs la capacité métareprésentationnelle se manifeste tardivement, vers quatre
ans. Le jeune enfant dans son jeu de faire-semblant est dans les termes de Perner un théoricien de l’attitude propositionnelle, la capacité sous-jacente est purement représentationnelle
et non métareprésentationnelle.
Il est à présent nécessaire de considérer les fondements théoriques à la source de ces
deux points de vue. Il faut rappeler que Perner et Leslie ne donnent pas le même contenu sémantique au mot métareprésentation. Cette différence de définition se retrouvera en filigrane
dans les arguments respectifs des deux auteurs. En bref, Perner (1993) reproche à Leslie de
dévoyer la définition simple et fondamentale de Pylyshyn (1978) de métareprésentation
comme « représentation d’une représentation ». Cette définition n’implique pas qu’il y ait de
copie décontextualisée de la réalité selon le modèle de découplage. Perner préfère se fonder
sur le médium représentationnel qui agit comme métareprésentation. Perner use d’une analogie photographique pour soutenir son propos. Il faut, d’après lui, clairement différencier trois
entités : le médium (la photo en tant que papier imprimé), la relation représentationnelle (le
fait d’être la représentation de) et le contenu représentationnel (l’objet représenté). Il s’ensuit
le schéma :
médium
[relation représentationnelle]
contenu
C’est le troisième terme évoqué par Perner qui importe chez Leslie ; la copie ou plutôt le découplage n’est possible que d’après un contenu précis (par exemple la banane). Dans
l’optique de Perner, on peut ajouter que c’est le médium qui est la marque de l’intentionnalité,
il est à propos de quelque chose, il s’agit de l’aboutness décrite par Dennett.
Chez Perner, il y a une conception en trois stades de l’accès à la métareprésentation.
1. La présentation — Le premier stade, que Perner appelle la présentation, a quelques
accointances avec le premier stade de Wellman. Lors de cette étape, le très jeune enfant est
avant tout réaliste, sa connaissance est entièrement déterminée par l’entrée perceptuelle qui
produit un modèle mental du monde (psychologie du désir). On peut penser à la représentation primaire évoquée par Leslie, mais Perner insiste sur le fait qu’il s’agit d’un modèle et non
d’une représentation étant donné que le lien causal avec la réalité n’est pas perçu. Ce modèle
est un simple reflet de la réalité, l’aspect cognitif en est absent.
35
2. La re-présentation — Cette étape apparaît vers la première année, l’enfant commence
à manipuler des informations symboliques, à faire semblant. Les premières inférences sont
possibles. Perner suggère un mécanisme de représentations mentales fondé sur la manipulation de modèles. Le jeune enfant possède un modèle mental (base de connaissance) qui présente la réalité à l’esprit. Par manipulation symbolique (sémantique), il crée des modèles alternatifs. La base de connaissance permet à l’enfant de tester les assertions linguistiques, en
ce sens il s’agit bien d’un modèle. Néanmoins le modèle mental est entièrement dépendant de
la réalité telle qu’elle est perçue. Dit autrement, les liens inférentiels entre la base de connaissance et les modèles alternatifs linguistiques sont perceptifs. Par exemple, le jeune Paul à qui
l’on affirme que le marchand de glaces est sur la place, alors qu’il se trouve près de l’église,
pourra attester du contraire. Perner affirme que le jeune enfant, face à des assertions fausses,
ne réagit pas verbalement à propos de l’inadéquation entre la représentation exprimée verbalement et la situation représentée, mais à propos de l’inadéquation entre deux situations. La
première situation est décrite par la fausse assertion et la seconde est celle véritablement perçue. Les état mentaux sont appréhendés propositionnellement et non de manière représentationnelle. Comme le souligne Perner, ce cas n’illustre pas une forme quelconque de métareprésentation comme le prétend Leslie. Il s’agit d’une comparaison entre deux situations et non
d’un modèle représentant une situation et un autre modèle, lui-même représentant un modèle
représentant cette situation. Ce modèle de représentation duale se fonde sur la comparaison
entre la base de connaissance et le modèle alternatif en termes de vrai ou de faux. La compréhension du faire-semblant est directement liée à celle de sa nature contrefactuelle qui peut être
lue en termes de vrai ou de faux.
3. La métareprésentation — C’est aux alentours de quatre ans que, toujours selon Perner, les enfants utilisent le concept de représentation dans leur théorie de l'esprit. C’est à ce
stade que l’esprit est compris comme médium représentationnel. L’enfant peut alors concevoir la manière dont l’esprit est relié au monde extérieur. La compréhension de l’accès à la
connaissance est directement liée à l’aptitude métareprésentationnelle. L’enfant construit un
modèle de la situation externe et un autre modèle métareprésentationnel de l’état mental, qui
est lui-même un modèle de la situation externe. Pour cela l’enfant doit être conscient des
sources informationnelles, l’inférence devient alors explicite.
36
Perner fait remarquer qu’au stade re-présentationnel, il est possible de faire un rapprochement entre la base de connaissance et la représentation primaire de Leslie ainsi qu’entre
la manipulation de modèles mentaux et les représentations secondaires de Leslie. Néanmoins
Perner appuie sur le fait que les modèles mentaux ne peuvent pas, dans sa logique, être découplés, c'est-à-dire détachés de la réalité. D’autre part, la confusion avec la réalité est intrinsèquement évitée car ce sont des modèles séparés de la base de connaissance, alors que Leslie
doit par le découplage les isoler des représentations primaires. En conclusion, il y a un désaccord sur le processus d’accès à la métareprésentation. Le fait que Leslie s’attache aux contenus représentationnels lui permet de définir le faire-semblant comme la manipulation de ces
contenus (découplage). Perner quant à lui sépare le faire-semblant de la métareprésentation.
Si le faire-semblant peut s’observer très tôt chez l’enfant, c’est qu’il constitue une simple
comparaison de modèles et non pas une manipulation de modèles. En outre, la métareprésentation implique plus, en tant que médium représentationnel, puisque les objets ne sont pas
simplement déplacés, manipulés, mais mis en relation explicite. Il y a intentionnalité, ce qui
implique que les relations épistémiques soient comprises par les enfants qui, de ce point de
vue, doivent pouvoir avoir accès à l’origine informationnelle de leur croyance.
Avoir une théorie de l'esprit ne consiste pas en une simple manipulation de symboles. Si
cela était le cas, on se trouverait tous peu ou prou dans la situation peu enviable du prisonnier
de la chambre chinoise condamné à brandir des symboles en réponse à d’autres symboles selon une syntaxe définie, mais sans accès à la sémantique. Cependant, un accès au contenu
sémantique des symboles linguistiques suffit-il pour parler de théorie de l'esprit ? Il semble
que non, un accès explicite aux relations symboliques est nécessaire. La question se pose
alors de la nature de ces relations. Etant donné que nous avons affaire à des attitudes propositionnelles, les relations en jeu sont épistémiques, donc leurs liens inférentiels. Si Pierre croit
que Marie est chez elle, alors il lui téléphonera. L’inférence doit permettre la lecture des états
épistémiques dans des situations où différents états du monde sont illustrés. Dans l’optique de
Perner, le jeu symbolique est une étape qui précède la métareprésentation. Ce qui manque
encore à l’enfant, c’est l'accès explicite à une base informationnelle autorisant des inférences
conscientes.
37
3. L'accès à la métareprésentation : Coupure(s) épistémique(s) ou complexification
représentationnelle?
On pourrait à présent être tenté de clore le débat. Tout les éléments nécessaires semblent réunis pour permettre d’avancer qu’il y aurait un saut qualitatif majeur, une rupture
épistémique qui se produirait vers les quatre ans. Ce dernier stade est en relation avec une
conception des états mentaux non plus comme simplement représentationnels, mais comme
métareprésentationnels, dont une caractéristique est leur nature propositionnelle.
Pourtant, cette description développementale demande à être encore précisée. Les processus cognitifs qui prévalent dans l’attribution d’états mentaux reposent sur des inférences.
Ce constat reste bien flou si l’on ne s’interroge pas sur les différentes dénotations de
l’inférence. L’enfant se dote d’une vision perspective des états épistémiques. Les modèles
représentationnels peuvent être librement manipulés par l’enfant conscient des bases informationnelles sous-jacentes et des liens inférentiels qui peuvent être établis. On retrouve
l’inférence à deux niveaux distincts. D’une part, l’inférence joue le rôle de médium représentationnel avec des propriétés causales. D’autre part, l’inférence constitue une base informationnelle, à partir de laquelle on peut être capable d’attribuer à l’autre un état épistémiqueà
partir d’une source disponible.
Certains états épistémiques seraient plus faciles à concevoir et à attribuer que d'autres,
soit parce que les conditions de leur inférence sont plus directes et plus évidentes, soit parce
que les conditions de leur imputation inférentielle sont moins conflictuelles. Lorsque sont
combinés ces deux critères, toute une série de gradations dans l'accès à la compréhension des
états épistémiques peut être mise en évidence. Nous en rendrons compte en distinguant les
deux types d'inférence — en tant que dérivation et l’inférence en tant qu’attribution — et
l'évolution de leur accès.
1) Les conditions de l'inférence d'états épistémiques: accès informationnel direct et indirect
Accès direct à la source informationnelle
Des auteurs comme O'Neill et Gopnik (1991), Wimmer, Hogrefe et Perner (1988), Sodian & Wimmer (1987), Pillow (1989), Pratt et Bryant (1990), Baron-Cohen (1995) s'accordent pour proposer la perception comme première base dans l'établissement de la notion d'état
épistémique. Le premier état reconnu et inféré serait l'état épistémique de savoir et son corol-
38
laire l'état d'ignorance, construits sur la base de la référenciation selon un axiome central de la
théorie mentaliste: « voir mène à savoir » (Baron-Cohen, 1995, traduction française de Nadel
& Lefebvre, 1998). Il faut ici s'arrêter un instant pour évoquer la définition polysémique de
savoir qui recouvre l’aspect dispositionnel et non dispositionnel. L'importante acquisition est
la compréhension d'un rapport causal entre un événement perceptif et un événement mental
compris comme conséquence de l'événement perceptif. Cette acquisition est faite aux alentours de 3 ans 1/2 à 4 ans dans les expériences concordantes de Pillow (1989), et Pratt &
Bryant (1990): quand le personnage regarde à l'intérieur de la boîte, il sait ce qu'il y a dedans,
et quand il touche la boîte en regardant ailleurs, il ignore ce qui est à l'intérieur. Cette acquisition est centrale pour définir ce que Wimmer, Hogrefe et Sodian (1993) nomment le stade
référentiel. Baron-Cohen et Goodhart (1994) ont testé sur des enfants autistes l'axiome « voir
mène à savoir ». Le fait que seul un tiers des enfants autistes réussissent ce test, tandis que
deux tiers des déficients mentaux de même niveau cognitif le réussissent est un critère important qu'utilise Baron-Cohen pour montrer que même SAM est atteint chez nombre d'autistes.
Tous les auteurs s'accordent pour dire qu'il n'y a pas ici un cas de métareprésentation.
Accès inférentiel à la source informationnelle à partir d'observables
Mais si l'accès est indirect? s'il faut déduire l'information à partir d'indices? en d'autres
termes, s'il y a nécessité d'un recours inférentiel? alors il faut attendre un an de plus, vers 4
ans 1/2, pour que les enfants soient capables de conclure à un état de savoir ou d'ignorance
concernant des observables non observés.
Les expériences menées par O'Neill et Gopnik (1991) pour évaluer la capacité des enfants de trois ans et demi et quatre ans et demi à identifier la source de leur savoir sont à cet
égard très informatives. Leur protocole compare les capacités référentielles et les capacités
inférentielles des mêmes enfants. L’expérience porte sur 120 enfants répartis en deux groupes
d'âges eux-même divisés selon des ordres contrebalancés de présentation du protocole. L'enfant et l’expérimentateur sont face à face devant une table, un tunnel rouge est placé en face
de l’enfant. L’expérimentateur donne des instructions différentes selon la source informationnelle. Pour l’accès direct (par exemple visuel), il dit : « Il y a quelque chose dans le tunnel. Tu
peux soulever le tunnel. » Les enfants voient alors l’objet (un jouet ou une boîte de crayons),
ensuite le tunnel est replacé sur l’objet. Pour l'accès indirect, il montre aux enfants un indice
(par exemple une boîte à oeufs vide) leur permettant de deviner ce qui est à l'intérieur du tun-
39
nel (un oeuf) en ajoutant « Ce qui est à l’intérieur fait partie de ceci. » Dans tous les cas, l'enfant se voit poser la question: « alors, qu'est-ce qui est à l’intérieur du tunnel? », puis une
question de choix forcé sur l’origine du savoir : « est-ce que tu l'as vu ou est-ce que tu l'as
deviné? ». Les réponses des enfants de trois ans et demi dans les conditions d’inférence ne
diffèrent pas du hasard, ce qui n’est pas vrai pour les quatre ans et demi, lesquels ont malgré
tout des difficultés à résoudre cette tâche. Sodian (1988) montre que c'est aussi vers quatre
ans 1/2 que les enfants deviennent capables d'admettre leur ignorance quand l'accès inférentiel
est ambigu.
En résumé, l’inférence en tant que lien causal s'opère directement sur la base de la référenciation chez le jeune enfant entre 36 et 48 mois qui reconnaît le lien entre voir et savoir
(Pratt et Bryant 1990). L’inférence porte alors sur un objet directement disponible, observable.
Imputation d'états mentaux à partir d'inobservables
Dans le cas d'inférence sur des inobservables en tant que source informationnelle, le
processus d’inférence implique une boucle récursive, ce qui veut dire se représenter une représentation, en l’occurrence une représentation d’état épistémique, une représentation de
représentation. La qualité explicite de la métareprésentation est fondamentale. Partant, en ce
qui concerne les états épistémiques, les inférences qui conduisent à leur compréhension doivent être de la même manière explicites. De surcroît, si l’on définit les états épistémiques
comme des états inférentiels, l’objet de l’inférence, l’inféré, demande à être reconnu. Ces
deux critères rassemblés font que l’inférence doit être comprise comme source de l’accès à la
connaissance. Ce présupposé devrait s’appliquer d’un point de vue métareprésentationnel aux
états épistémiques, qu’ils dénotent une croyance vraie ou une fausse croyance. Ces deux états
épistémiques illustrent un état d’inférence vraie ou un état d’inférence fausse.
Notons que même dans le cas de l'inférence de fausse-croyance, il se pourrait bien que
les enfants puissent tout d'abord fonctionner à partir d'une inférence sur la base d'un accès
informationnel à des observables. Par exemple, dans le test des Smarties, où Wimmer et Hartl
montrent à un enfant un tube de Smarties et lui demandent ce qu'il y a à l'intérieur, alors qu'ils
ont construit chez l'enfant une fausse-croyance en organisant un contenu inattendu (des
crayons), l'enfant peut convenir d'une fausse-croyance sur la base du constat observable
("non, il y a des crayons"). Mais la construction de l'état de fausse-croyance, durant le stade
de la check procedure, ne résiste pas à la question suivante: " et qu'est-ce que tu croyais qu'il
40
y avait avant?". Le conflit entre la conception de l'état mental comme reflet de la réalité et la
conception de l'état mental comme construction de la réalité n'est pas résolu. On verra dans la
partie suivante que lorsqu'il l'est, la conception métareprésentationnelle des états épistémiques
(et d'autres états aussi, comme les états volitionnels qui peuvent se concevoir de ce point de
vue également, mais cette question est hors thème) s'applique avec autant d'aisance à soi et à
autrui, du moins dans l'état actuel des données de la psychologie développementale.
Il est à présent permis de revenir à l’idée de gradation abordée plus haut. Cette idée serait que l’inférence sur la référenciation est plus facile que l’inférence sur l’inférence.
L’affirmation qui s’ensuit serait que l’inférence de référenciation vraie est plus facile que
l’inférence de référenciation fausse. Et, enfin, l’inférence d’inférence vraie serait plus facile
que l’inférence d’inférence fausse, ce qui revient à dire que l’inférence sur du savoir est plus
simple que l’inférence sur des fausses croyances ou sur la tromperie tactique.
Un élément en faveur de cette suggestion peut être trouvé dans l'étude récente de Nadel et
Melot (sous presse). En recherchant les relations d'implication hiérarchique entre compréhension de l'origine informationnelle du savoir et compréhension de la fausse-croyance, ces auteurs ont pu montrer qu'il n'y a pas d'enfant capable de réussir un scénario vivant de type Sally
et Ann (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985) s'il ne maîtrise pas l'origine du savoir, alors que
la relation n'est pas réversible.
Source de la connaissance
-
+
Scénario
-
22
19
vivant
+
4
35
= 15,2
p< .001
Tableau 2 : Répartition des scores binaires pour l'origine du savoir et l'inférence de
fausse-croyance
Ceci fait pencher vers l'hypothèse d'une gradation entre formation de l'état épistémique
de savoir inférentiel et formation de l'état épistémique de fausse-croyance. Pourtant, lorsque
les mêmes enfants sont soumis au script de Sally et Ann, on s'aperçoit que 20% d'entre eux
41
sont capables d'inférer une fausse-croyance chez Sally alors qu'ils n'ont pas une compréhension métareprésentationnelle de l'état épistémique de savoir.
A la suite de cette expérience, Nadel et Melot ont porté leur investigation sur
l’hypothèse d’un traitement cognitif différent pour les deux tâches de fausse croyance, le scénario vivant construit sur le patron du script, et le script. La manipulation s’est déroulée avec
le concours de 80 enfants de quatre groupes d’âges différents : quatre ans, quatre ans et demi,
cinq ans et cinq ans et demi, étudiés en deux groupes d'ordre contrebalacé pour l'administration des deux tâches. Les résultats montrent que la tâche de Sally et Ann apparaît être plus
facile que le scénario vivant, quel que soit l’ordre des tâches.
Scénario vivant
Sally &
Ann
-
+
-
30
3
+
11
36
Tableau 3 : Répartition des scores de réussite et d’erreur dans les deux tâches de fausse croyance.
D’après Nadel et Melot (sous presse).
Ajoutons que le fait de réussir la tâche du scénario vivant implique fortement la réussite
de la tâche Sally et Ann, tandis que réussir Sally et Ann implique plus faiblement le fait de
réussir la tâche du scénario vivant. D’après l’expérience précédente, la compréhension de la
fausse croyance implique celle de l’origine informationnelle. A présent, il apparaît que la
compréhension de la source informationnelle est une condition importante pour la réussite de
la tâche du scénario vivant, alors que ce n’est pas le cas pour Sally et Ann. Nadel et Melot ont
montré que les explications verbales fournies par les enfants pour le scénario vivant sont très
souvent épistémiques, ce qui n’est pas le cas pour Sally et Ann. Les deux tâches de fausse
croyance impliquent deux types de traitement cognitif différent. Le fait que « Sally et Ann »
ne fasse pas nécessairement intervenir de réponses en termes épistémiques suggère que ce test
puisse être accompli d’une autre façon. En effet, il est possible de résoudre cette tâche sans
recours à l’inférence comme source de la connaissance. Dans ce cas, l’inférence pratiquée par
les enfants est référentielle, elle se fonde sur l’aspect purement perceptuel en jeu dans cette
42
tâche. L’heuristique nécessaire est la connaissance explicite que « voir mène à savoir ». Pour
le scénario vivant une telle heuristique n’est plus adéquate, la seule façon de résoudre le problème posé par la tâche est d’inférer des états épistémiques, le recours à la métareprésentation
est rendu obligatoire. Dans cette optique on peut avancer que le scénario vivant constitue seul
une véritable tâche de fausse croyance en ce qu’il est métareprésentationnel. La tâche de Sally
et Ann est représentationnelle — re-présentationnelle pour reprendre l’orthographe de Perner.
« Sally et Ann » serait plutôt de l’ordre de la méreprésentation (misrepresentation) : les erreurs instillées par ce test se fondent sur le monde perceptif et non métareprésentationnel. La
méreprésentation peut être comprise comme la jonction entre représentation et métareprésentation et entre croyance vraie et croyance fausse. On pourrait dire que la méreprésentation est
un cas de mauvaise croyance vraie et non à proprement parler un problème de fausse
croyance.
Wimmer et collègues (1988) proposent deux stades dans l’accès à la métareprésentation. Ce modèle paraît confirmé par les données expérimentales disponibles. On s’aperçoit
que l’accès à la compréhension des états épistémiques est étroitement lié à la représentation
explicite de l’origine informationnelle et des liens inférentiels qui y sont dévolus. Ce n’est
que tardivement, vers six ans, que les enfants peuvent produire des inférences sur des inobservables. A partir de là il est compréhensible que le script de la tâche de Sally et Ann soit
traité de manière adéquate vers quatre ans. En effet, les enfants peuvent dès cet âge donner
une réponse correcte sur la base d’inférences sur des observables (ils voient où est la bille, et
ils constatent que Sally n'a pas pu voir le transfert ) selon une vérification de l’accès direct
pour employer les termes de Wimmer et collègues. Il faudra cependant attendre encore pour
que cet accès direct soit remplacé par un accès étendu, c'est-à-dire que tous les liens inférentiels soient compris ainsi que leur source informationnelle.
2. Le problème du type d’imputation causale à manipuler dans l’attribution d’un état mental
à soi-même et à autrui.
Un deuxième critère qui peut mener à faire l'hypothèse d'une hiérarchie dans l'accès à la
compréhension des états épistémiques concerne les conditions de leur imputation inférentielle. Imputer à soi-même devrait, du moins selon une proposition intuitive, être plus aisé que
d'imputer à autrui parce qu'il s'ajoute, dans le cas d'imputation à autrui une clause inférentielle
supplémentaire née de l'absence de l'expérience à la première personne. Sans parler des cas
les plus fréquents où la source informationnelle est contradictoire pour soi et pour autrui (je
43
sais, il ne sait pas; j'ignore, il sait), il se pourrait qu'il soit plus difficile d'imputer à autrui qu'à
soi, même dans le cas où l'information est partagée. C'est ce que nous allons examiner maintenant.
Attribuer un savoir à autrui sur la base de son accès direct à une source informationnelle
Wimmer, Hogrefe et Sodian (1993) ont montré que les enfants de moins de quatre ans
sont incapables d’attribuer du savoir à autrui sur la base de son accès direct et constatable à
une source informationnelle. La tâche implique deux enfants assis face à face devant une table. Sur cette table est disposée une boîte contenant un objet usuel (peigne, crayon, chocolat).
Un seul enfant est sujet dans l'expérience. Deux cas peuvent se présenter pour lui: soit il a
accès visuel au contenu de la boîte, soit c'est l'autre enfant. On pose deux questions successives à l’enfant-sujet: « Est-ce que X (l’autre enfant) sait ce qui est dans la boîte ou bien ne le
sait-il pas ? » et « Sais-tu ce qui est dans la boîte ou bien ne le sais-tu pas ? ». La question sur
le savoir de l’autre enfant doit permettre de vérifier si l’enfant a conscience de l’accès à
l’origine du savoir. La question sur son propre savoir permet de tester l’inférence directe, le
recours à la référenciation. Il est intéressant de contraster deux formes d’erreurs. L’erreur la
plus fréquente chez les trois ans et chez quelques quatre ans est de nier la connaissance de
l’autre (“no” bias pattern) alors que celui-ci a eu accès à l’information. Par contre,
l’affirmation de sa connaissance dans le cas de son propre accès est réalisée sans difficulté.
Ces résultats confirment qu’à trois ans les enfants sont dépendants d’un stade référentiel, et
qu’à partir de quatre ans ils commencent à percevoir explicitement l’aspect inférentiel du savoir. Il s’agit là du premier type d’inférences produites, ces inférences sont encore implicites
et fermement ancrées dans la réalité perceptible. Wimmer et collègues distinguent deux types
d’heuristiques qui prévalent dans la compréhension de l’origine référentielle. Les enfants de
trois ans procèdent par interrogation de leur base de connaissance, sans considération de
l’origine informationnelle. Il s’agit d’une procédure de vérification de la réponse (answer
check procedure). L’heuristique qui permet aux enfants plus âgés de parvenir à la bonne réponse se fonde sur la vérification de l’accès informationnel de l’autre. De ce point de vue, il
s’agit d’une procédure de vérification de l’accès direct (direct access check procedure).
Le stade référentiel ne prend en compte qu’un type restreint d’inférences, celles directement accessibles comme la communication verbale et la perception sensorielle et particulièrement visuelle. L’enfant est de ce point de vue encore de plain-pied dans l’univocité de la
44
réalité, un autre saut qualitatif lui est encore nécessaire pour pouvoir appliquer aux autres
l'axiome « voir mène à savoir », qu'il applique pour lui-même. Pourquoi? C'est qu'en fait il n'a
pas à proprement parler à appliquer l'inférence puisqu'il a fait l'expérience de l'information à
la première personne. Le fait que l'enfant de moins de 4 ans échoue à attribuer à autrui un
savoir issu d'un accès direct à l'information, même lorsque l'accès est partagé, en est une
bonne illustration. La compréhension métareprésentationnelle de l'état épistémique de savoir
est plus tardive comme le montre l'expérience qui suit.
Nadel et Melot (sous presse) ont répliqué avec des enfants de quatre à cinq ans l'expérience du tunnel de O’Neill et Gopnik (1991). Toutefois, Nadel et Melot ont supprimé le recours aux réponses à choix forcé. Pour ces auteurs, les réponses à choix forcé renseignent sur
les capacités de l'enfant à distinguer des sources informationnelles différentes (« oui, je l'ai
vu.... non tu ne me l'as pas dit ») mais ne donnent aucune garantie sur leur compréhension de
la relation entre source informationnelle et formation de l'état épistémique de savoir, donc sur
l’accès effectif à la compréhension métareprésentationnelle de la connaissance. Par contre, la
question ouverte : « comment tu le sais ? » permet de contrôler cet accès. Suivant le modèle
de Wimmer et collègues (1988), lorsque les enfants sont capables d'expliquer la source de leur
savoir (« parce que je l'ai vu...parce que tu me l'as dit »), ils ont atteint le stade inférentiel, et
peuvent résoudre avec autant d'aisance les questions qui concernent le savoir d'autrui. C'est ce
que vérifient Nadel et Melot (sous presse). Deux protocoles présentés en ordre contrebalancé
avec deux expérimentateurs différents sont proposés aux enfants. Dans un des protocoles,
l’enfant doit se prononcer sur l’origine de son propre savoir à partir de la question ouverte:
« qu'est-ce qu'il y a sous le tunnel ?......Comment tu le sais ? ». Dans l'autre protocole, l'enfant
assiste en témoin à une scène où l'expérimentateur soit permet à la poupée Lisa de regarder
sous le tunnel, sans que l'enfant témoin ait lui-même accès visuel à l'information, soit chuchote à l'oreille de Lisa après avoir prévenu tout haut : « dans le tunnel il y a.... », l'enfant
étant privé de l'information chuchotée indiquant l'objet caché. La question posée ensuite à
l’enfant est : « est-ce que Lisa sait ce qu'il y a dans le tunnel?....Comment elle le sait? ».
Source chez les autres
-
+
45
Source
pour soi
-
18
0
+
1
23
Tableau 4 : Répartition binaire des scores pour la compréhension de la source informationnelle chez
soi et chez les autres. D’après Nadel et Melot (sous presse).
D’après le tableau qui précède, un seul enfant sur 42 a un score différent pour soi et
pour les autres. Cela indique que la compréhension de sa propre source de connaissance est
un bon indicateur de la compréhension de la source de la connaissance chez les autres, et inversement. Toujours sur une base informationnelle indirecte, l’enfant pourrait déduire une
mauvaise déduction chez l’autre, ce qui est un cas de méreprésentation (misrepresentation).
La compréhension de ce que l'inférence peut conduire au savoir (ou à l'ignorance quand l'accès inférentiel est ambigu) est donc de niveau supérieur à la compréhension de la formation
du savoir lorsque la source est directement accessible. Des modèles comme celui de Wimmer,
Hogrefe et Sodian (1988) postulent d'ailleurs que la compréhension de la fausse-croyance
n'est qu'une manifestation particulière de la compréhension des effets épistémiques qu'a l'accès informationnel sur un esprit humain. Pourtant, l'accès informationnel inférentiel porte
dans ce cas non plus sur des perçus mais sur des inobservables.
Attribuer un savoir à autrui sur la base de la construction d'inférences
La première question qui se pose pour traiter du problème plus complexe de la compréhension des états mentaux comme construits sur la base d'inférences, est celle de l'attribution
de l’inférence comme source de la connaissance. Ce problème a été étudié par Sodian et
Wimmer (1987). Trente-deux enfants de quatre ans et 32 autres de six ans ont été soumis à
une tâche destinée à tester leur compréhension de l’inférence. On présente à un enfant soit
une poupée nommée Susan, soit un expérimentateur ; chacun est placé face à face par rapport
à une table, un écran opaque séparant les deux côtés. Au début de la tâche, l’écran est ouvert
et une boîte transparente est placée sur la table. On demande au sujet si la boîte contient des
balles de couleur unique ou de plusieurs couleurs. Puis on l’interroge pour savoir si Susan a
vu aussi ce qu’il y avait dans la boîte. Après cela l’écran opaque est fermé laissant la boîte du
côté du sujet ou du côté de Susan. Alors l’expérimentateur informe la personne ne pouvant
46
pas voir la boîte qu’il est en train de placer une des balles de la boîte dans un sac opaque, ce
que voit l’autre. On ouvre ensuite l’écran pour que la personne privée de la vue du transfert
puisse voir la boîte ainsi que le sac opaque. A ce moment, on pose à l’enfant une question sur
sa connaissance ainsi qu’une question sur la connaissance de l’autre: « Est-ce que Susan
connaît la couleur de la balle dans le sac ? ». Chaque sujet est soumis de façon contrebalancée
à quatre tâches en croisant les éléments : balles d’un seul type de couleur ou de deux types,
transfert visible ou invisible. On peut regrouper les résultats des réponses données dans un
tableau qui permet d’illustrer la capacité à comprendre l’inférence simple comme source de
connaissance.
Tableau 5 : Fréquence des patterns de réponse pour l’expérience (d’après Sodian et Wimmer 1987)
Tâches
Personne et âge
P
+
-
+
-
I
+
+
-
-
4
6
4
6
correct
o
o
o
n
4
24
19
27
inférence ignorée
o
n
o
n
23
8
1
1
Surestimation du« oui »
o
o
o
o
4
0
11
4
Pattern de réponse
Autre
Soi-même
Note : P = accès perceptif, I = accès inférentiel, +/- = accès présent ou absent, o/n = réponse affirmative
(oui) ou négative (non) à la question de la connaissance.
Le tableau dressé par Sodian et Wimmer (1987) est composé de deux parties à examiner
séparément. La partie de droite ne fournit aucun résultat, mais présente le patron des réponses
selon les quatre tâches. Pour l’ensemble des tâches un patron correct s’illustre par une réponse affirmative quant à la connaissance de la couleur de la balle cachée à chaque fois qu’il
y a au moins un accès inférentiel ou perceptif. L’ignorance de l’inférence repose sur la négation de la connaissance en l’absence de tout accès perceptif. La surestimation du « oui » équivaut à affirmer systématiquement la connaissance quels que soient les accès informationnels
disponibles ou non. La partie droite du tableau fournit les données chiffrées des résultats aux
réponses quant à soi et à autrui, selon les différents patrons. On observe que les enfants de
quatre ans ont une bonne estimation de leur propre connaissance (19), tandis qu’ils ont tendance à ignorer l’inférence comme origine du savoir chez l’autre (23). Une seconde erreur
commise par les enfants de quatre ans est la surestimation de leur connaissance ; ils sont 11 à
affirmer connaître la couleur de la balle cachée en l’absence de tout accès informationnel. En
47
ce qui concerne les enfants de six ans, les réponses correctes prédominent tant pour euxmêmes (27), que pour les autres (24). Parmi les réponses erronées, seule une minorité ignore
l’accès inférentiel pour autrui (8). L’aspect métacognitif de la compréhension semble faire
défaut aux enfants de quatre ans. La plupart des quatre ans, mais peu de six ans ont négligé
l’inférence. Ils ont nié que l’autre personne savait, quand en fait l’autre savait par inférence
dans le cas d’absence d’accès à l’information visuelle. L’inférence reste pour les quatre ans
au stade purement référentiel: si l’autre voit que la balle est transférée, alors il sait. La compréhension explicite de l’accès inférentiel est acquise assez tard. Les plus jeunes enfants se
trompent systématiquement dans leur estimation de la connaissance dans une situation
d’accès inférentiel sur des inobservables. En termes d’heuristiques, les enfants de quatre ans
ont un accès qui dépend toujours de la vérification directe, alors que les enfants de six ans ont
recours à un autre type d’heuristique. Wimmer et collègues appellent cette heuristique la vérification d’accès étendue (extended access check). On peut modéliser cette heuristique comme
suit :
1 L’autre a-t-il un accès perceptif au contenu du sac ?
2 Si oui, alors il en connaît le contenu. Si non, alors (3).
3 L’autre a-t-il accès à l’information qui lui permet de déterminer le contenu ?
4 Si oui, alors l’autre connaît le contenu. Si non, alors, il ne le connaît pas.
Ce procédé heuristique permet à l’enfant de surmonter l’impasse de l’absence d’accès perceptif et lui ouvre l’accès à la compréhension de l’inférence comme source de savoir. Il est possible à présent de dresser le tableau illustrant les étapes correspondant aux différents âges et
aux heuristiques en jeu.
Stade
Arguments
48
Stade 0 (3 ans)
L’accès informationnel fonctionne comme origine, mais n’est pas compris en tant que tel.
L’attribution de connaissance ne dépend pas de
l’accès informationnel, mais de l’aptitude à fournir une réponse correcte.
Stade 1 (4 et 5 ans)
Compréhension de l’accès verbal et perceptif.
La connaissance de l’autre n’est plus attribuée à
partir de l’aptitude de l’autre à fournir une réponse
correcte, mais par l’accès à de l’information verbale ou perceptive.
Stade 3 (6 ans et plus)
Les origines indirectes des informations et leur
qualité sont comprises.
Par delà l’accès direct, la présence d’accès informationnels et leur qualité sont vérifiées dans
l’attribution de connaissance à l’autre.
Tableau 6 : Trois stades de la compréhension de l’accès informationnel comme origine du savoir. D’après Wimmer, Hogrefe et Sodian 1988.
Revenons à l’hypothèse qu’une hiérarchie prévaudrait dans le traitement cognitif des
états épistémiques. Partant de là, il serait tout à fait logique de supposer que le traitement de
la croyance vraie précède d’un point de vue développemental celui de la fausse croyance.
Avant cela, quels sont les éléments en main à propos du traitement de la croyance vraie ? A la
lumière des études expérimentales jusqu’ici présentées, on ne peut véritablement parler de
théorie de l'esprit qu’à partir de trois ans. A cet âge, l’origine perceptive de la connaissance
est identifiée explicitement. Vers six ans l’identification de l’origine de la connaissance est
étendue aux inobservables. A partir de cette distinction entre deux stades par Wimmer et collègues (1988), on peut s’interroger sur l’imputation causale dans le cas de fausse-croyance.
Attribuer une fausse-croyance à autrui sur la base d'une inférence
Les travaux de Nadel et Melot (sous presse) montrent l'importance de la reconnaissance
explicite de la source informationnelle dans la capacité à s'attribuer et à attribuer aux autres
des fausses croyances. Du moins est-ce le cas pour l'une des deux tâches de fausse-croyance,
celle dite du scénario vivant qui implique les enfants en tant qu'auteurs de la fausse-croyance.
Contre-intuitivement en effet, c'est la tâche postulée la plus facile, parce qu'elle consiste à
faire jouer aux enfants les rôles de Sally et Ann, qui se révèle la plus exigeante d'un point de
vue métareprésentationnel, puisqu'elle implique la compréhension explicite de la source du
savoir. Arrêtons-nous sur ce point un moment pour bien peser les conséquences des résultats.
Nadel et Melot (sous presse) proposent deux tâches à des enfants entre 4 et 6 ans. L'une est la
réplique exacte du test de transfert inattendu de Sally et Ann (Baron-Cohen, Leslie et Frith,
1985), qui comprend deux situations, l'autre est un scénario vivant, logiquement analogue au
test de Sally et Ann, qui comprend 4 situations. Le scénario vivant se déroule avec la partici-
49
pation de deux enfants. Les deux enfants entrent dans une salle de leur école avec deux expérimentateurs. Ils trouvent dans cette salle Minnie hésitant entre deux magasins pour aller
acheter des vêtements. Ils choisissent ensemble un magasin pour Minnie et l'y placent. Et ainsi de suite pour les autres situations (Pépito, le joueur de foot qui doit se protéger de la pluie,
soit dans la maison de sa grand-mère, soit dans la maison de son copain, etc...). Chaque enfant
joue tour à tour pour deux situations successives le rôle d'Ann, c'est-à-dire qu'il réalise sur
suggestion de l'expérimentateur (E1) un transfert de lieu de l'objet en l'absence de l'autre enfant, sorti se promener avec l'expérimentateur 2 (E2). L'expérimentateur ne fait aucun commentaire sur le but du transfert,et ne manifeste aucun signe qu'il s'agit d'une farce, de façon à
ne pas donner d'indices de tromperie tactique à l'enfant acteur du transfert (contrairement aux
expériences de Chandler qui sont critquables sur ce point). E1 demande à l'enfant où son copain va aller chercher l'objet, et, après la réponse, pourquoi. Il ne fait aucun commentaire sur
la réponse.Tour à tour également, les enfants jouent le rôle de Sally, en ce qu'ils forment une
fausse-croyance sur l'emplacement actuel de l'objet qu'ils ont eux-mêmes placé dans le lieu X
et que, de retour dans la salle, ils vont naturellement chercher dans le mauvais lieu. Ainsi sont
constitués deux groupes de sujets, F1 et F2. Les sujets F2 ont joué le rôle de Sally au départ,
et ont été trompés deux fois sur l'emplacement de l'objet avant d'être dans la situation d'opérer
le transfert eux-mêmes et de répondre à la question de E1: « où est-ce que ton copain va aller
chercher l'objet? », et « pourquoi ? » Ils ont fait l'expérience à la première personne d'une
fausse-croyance et ceci devrait faciliter l'imputation de fausse-croyance chez autrui, par comparaison avec les sujets F1, qui sont naïfs puisqu'ils reçoivent en premier la question de prédiction du comportement de l'autre. Or il n'en est rien. Trompé deux fois avant d'être confronté à une prédiction inférant une fausse-croyance, le groupe des F2 ne présente pas de meilleures performances que le groupe F1 (les deux groupes étant équivalents par ailleurs pour leurs
performances à Sally et Ann).Ceci est vrai jusqu'à l'âge de 5 ans 1/2, où enfin les performances des F2 deviennent supérieures à celles des F1: l'expérience de la tromperie tactique à la
première personne facilite alors l'accès à l'inférence de fausse-croyance comme conséquence
de l'induction de tromperie tactique chez autrui. Cette datation coïncide avec celle à laquelle
les enfants, dans l'expérience de Wimmer et Hartl (1991), sont capables de reconnaître qu'ils
ont construit une représentation fausse de la réalité (« avant, je croyais qu'il y avait des Smarties, mais il y a des crayons »). La conclusion au regard de ces résultats convergents est que
rien ne sert de l'expérience si elle n'est pas indexée de façon métareprésentationnelle.
50
Que dire alors des cas plus complexes où l’inférence d’un état de croyance s’établit sur
la base d’une volonté de croire, d’une croilonté (Engel, 1998)? Nul doute que l’accès à ce
type d’inférence est encore plus tardif que l’accès à l’inférence de fausse-croyance, puisqu’elle implique d’admettre que les croyances ne sont pas simplement des dispositions au
comportement mais aussi « des dispositions au comportement étant donné d’autres états mentaux, tels que des désirs, des intentions, ou d’autres croyances » (Engel, 1998, p.118). A notre
connaissance, aucune donnée développementale ne nous renseigne sur le développement de
l’accès à cette catégorie d’attribution.
Avec cette restriction, nous proposons un tableau récapitulatif des stades ou étapes de la
compréhension des états épistémiques selon les auteurs et une synthèse prenant pour point
d'ancrage la perspective de Karmiloff-Smith sur la modularisation (1992).
51
Tableau 7 : Récapitulatif des différentes étapes selon les auteurs
Auteurs
Leslie
faire-semblant et métareprésentation
Perner
présentation
métareprésentation
re-présentation
Wellman
psychologie du désir
psychologie croyance-désir
copie représentation-
compréhension interprétative
nelle
Wimmer, Hogrefe
stade perceptif direct
stade inférentiel
stade référentiel
et Sodian
0
1
2
3
4
Ages
5
6
52
4. En guise de synthèse : Le modèle de modularisation de Karmiloff-Smith.
L’idée opérationnelle d’une redescription théorique au cours du développement ontogénétique de l’enfant permet de reconsidérer la relation entre la spécialisation et la généralité
quant au domaine. Si l’on suit Karmiloff-Smith (1992), le modèle de redescription représentationnel traduit le processus par lequel les représentations des enfants permettent un accès explicite à la connaissance à et la construction de théories. Connaître et produire des théories
nécessite, toujours d’après le modèle de redescription représentationnel, que les enfants puissent avoir des représentations qui se prêtent progressivement mieux à la manipulation et
soient plus flexibles. La redescription se fonde sur l’information et la représentation, l’une
dépendant de l’autre. L’information implicite devient une connaissance explicite. Cette proposition peut se lire en parallèle avec celle de Perner. En effet, la redescription est ce que Perner appelle la re-présentation, laquelle doit permettre d’accéder à la métareprésentation. Le
modèle de Perner stipule bien que les représentations sont confrontées de manière duale dans
le cadre contraignant de copies de la réalité, puis s’enrichissent pour être librement manipulées, agencées. Les deux critères de manipulation et de flexibilité sont exactement ceux de la
métareprésentation qui permet à l’esprit de se libérer d’un aspect univoque de la réalité. Karmiloff-Smith ajoute à ceci que l’accès implicite à l’information est circonscrit dans un domaine, tandis que l’accès explicite à l’information permet parfois des liens entre domaines.
Alors que le modèle de Perner est en termes d’étapes développementales, celui de KarmiloffSmith ne conçoit pas d’étapes du développement, mais des phases qui régissent le développement à travers les âges. Il s’agit d’un processus de domaine général, en ce qu’à l’intérieur
de chaque domaine le processus est le même. Karmiloff-Smith propose quatre niveaux de
représentations internes qui sous-tendent les phases du développement : implicite (I), explicite-1 (E1), explicite-2 (E2) et explicite-3 (E3). Au niveau I, les représentations correspondent
à des procédures destinées à l’analyse des stimuli environnementaux et à leur réponse. Le
niveau E1 implique des représentations qui puissent être manipulées et mises en relation avec
les autres représentations redécrites. Au niveau E2, les représentations sont disponibles pour
un traitement conscient mais non verbal. Le niveau E2 est une redescription du niveau 1, ainsi
du niveau E3 par rapport au niveau E2. Au dernier niveau (E3) la connaissance peut être stockée en termes de codes linguistiques.
53
Le niveau E 2/3 est particulièrement pertinent, c’est par l’utilisation des représentations
de niveau E 2/3 que l’enfant a accès à la métareprésentation. Il se représente de manière explicite la distinction entre attitude propositionnelle et contenu propositionnel. Le niveau E 2/3
jouerait alors un rôle déterminant dans la compréhension de la fausse-croyance, mais non
dans le jeu symbolique décrit par Leslie. Karmiloff-Smith postule que l’enfant de deux-trois
ans peut manipuler l’attitudes propositionnelles de faire-semblant plus aisément parce qu’il
implique des marques externes observables (changement de voix, mouvements exagérés,
etc.), ce qui rend la comparaison évidente à l’esprit de l’enfant. Le fait que l’enfant annonce :
« on dirait que », engage le niveau E1 de représentation de trois termes : agent, représentation
primaire et représentation découplée. En revanche, l’enfant de quatre ans doit pouvoir saisir
que les attitudes propositionnelles inobservables (pas de marques externes) comme croire et
penser, sont des prédicteurs des comportements d’autrui.
La notion centrale utilisée par Karmiloff-Smith est celle d’un changement représentationnel tout au long du développement. On peut comprendre ce changement représentationnel
comme une manifestation de la modularisation. Le phénomène de modularisation s’oppose à
l’idée de modules préspécifiés. La modularisation est concomitante au développement. Ce
processus se produit de manière répétée tout au long du développement. L’hypothèse serait
qu’avec le temps les circuits cérébraux sont progressivement sélectionnés pour différents domaines computationnels spécifiques.
54
III Méthodologies d’accès à une théorie de l'esprit
Sous-tendant l'accès à une compréhension et à une prédiction d'états mentaux quelle est
la méthodologie utilisée? Deux grands courants s'affrontent sur ce point, l'un, appellé "simulationnisme" postulant la précédence de l'expérience à la première personne qui permet la simulation des attitudes propositionnelles d'autrui, et le second, reconnu comme "théorie de la
théorie", postulant la mise en oeuvre d'une théorie psychologique naïve de la structure et du
fonctionnement de l'esprit qui active un ensemble de règles de manipulation de symboles sur
une base inférentielle.
Quelle réponse peut donner la consultation de la base de données développementales?
Avoir cherché à comparer la chronologie d'accès à l'imputation d'états mentaux épistémiques selon qu'ils sont attribuables à soi-même ou à un autre mène à deux constats. Tout
d'abord il n'y a pas à l'heure actuelle de données décisives en faveur de l'une ou l'autre méthodologie. Plus même, on tend à penser plutôt, comme Perner (1994) que tantôt l'utilisation de
l'expérience à la première personne et de la simulation qu'elle permet est nécessaire à l'attribution d'états mentaux, tantôt qu'elle ne l'est pas, et tantôt même qu'elle est impossible. Un
deuxième constat est que l'on fonctionne souvent, lorsque l'on compare les capacités d'imputation à la première et à la troisième personne, sur une double dénotation du savoir et de la
croyance selon que ces états épistémiques sont dispositionnels ou non-dispositionnels. Dans
tous les cas où ils sont dispositionnels, la compréhension de ces états mentaux est facilitée à
la première personne, ce qui n'est plus vrai lorsqu'ils ne sont pas dispositionnels: on assiste
alors à une concomitance de compréhension à la première personne et à la troisième personne.
Russell nous fournit une élégante explication de ce qui pourrait être considéré comme un paradoxe. Pour ce faire il s'appuie sur des données tout à la fois développementales et pathologiques.
La position de Russell : le rôle de l’agentivité
Comme le titre de son ouvrage, Agency, en fournit l’indice, Russell (1996) place
l’agentivité au centre de sa construction théorique. Il postule que seuls les agents peuvent
développer une conception du monde extérieur ainsi qu’une conception de l’esprit. Ces deux
55
aspects correspondent à l'accès à la permanence de l’objet et à la théorie de l'esprit. Par agentivité, Russell entend la capacité de modifier à volonté ses entrées perceptives de façon motrice ou attentionnelle. Il suffit de tourner la tête pour changer de spectacle visuel, de se déplacer pour amener un objet dans son champ visuel ou auditif.
La dimension paradigmatique de l’agentivité est sous tendue par quatre caractéristiques.
Les deux premières proposées par Russell ont trait au traitement de l’information et au
contrôle auquel doit parvenir l’agent. Les deux dernières se rattachent au type de connaissance de soi accessible à l’agent seul.
Tout d’abord, l’agent par son activité dans l’environnement est soumis à des flux constants qui alimentent ses entrées perceptives. Les changements perceptifs causés peuvent être
dus au monde environnant ou aux mouvements propres à l’agent. La distinction entre changements causés par l'environnement et changements causés par soi-même, en ce qu'elle est
repésentée à de très bas niveaux phylogénétiques, est considérée comme un acquis de l'évolution. Il est alors nécessaire de séparer les changements d’apparence des changements réels. La
nécessité de cette discrimination vient du fait qu’elle constitue un élément déterminant de la
relation duale entre le sujet et le monde. La discrimination entre ce qui vient du sujet et ce qui
vient du monde est un acquis de l’évolution alors que l’agentivité implique un pilotage de
l’action finalisée. L’agent doit pouvoir contrôler l’action puis prédire l’effet d’un mouvement
musculaire, le diriger vers une action finalisée et vérifier le résultat de son action. Le codage
est différent lorsque quelque chose est causé par le mouvement de notre corps ou par le mouvement du monde par rapport à notre corps.
La seconde caractéristique de l’agentivité découle de la première et peut être résumée
sous la forme d’un axiome : les séquences perceptives produites par l’action sont réversibles
parce qu’elles sont sous le contrôle de l’acteur, tandis que celles dont on fait l’expérience par
la perception sont irréversibles. Le contrôle de l’action permet à l’agent de savoir que le changement dans l’entrée perceptive est produit par lui-même. Seuls les agents peuvent faire la
distinction entre séquences perceptives réversibles et irréversibles. Les séquences réversibles
sont déterminées par le sujet, par exemple on peut regarder un objet avec des lunettes de soleil puis sans. En revanche les séquences déterminées par le monde ne sont pas réversibles,
par exemple la perception d’un chat qui traverse la rue ne peut être reprise sans les lunettes de
soleil. Dans ce dernier cas nous manquons du contrôle corporel requis pour qu’il y ait réversibilité.
56
A propos de cette distinction entre les deux types de perceptions, il est à noter ici que
les enfants autistes semblent souvent intéressés par l'expérience de la réversibilité. C'est le cas
fréquent de ceux qui se masquent un oeil, occluant ainsi un hémichamp visuel, puis agitent
rythmiquement un peigne devant l'autre oeil resté ouvert, ce qui produit une petite scène animée dans un champ circonscrit. Ensuite, ils masquent l'autre oeil et recommencent l'utilisation
rythmique du peigne, expérimentant à leur manière une réversibilité de la perception. Mais
comme ces enfants semblent souvent plus intéressés par des expériences de modification à
volonté et de réversibilité des perceptions que par l'observation des évènements extérieurs
produisant des perceptions non réversibles, il s'en déduit que la dictinction moi-monde pourrait être difficile à construire pour eux malgré leur capacité à éprouver le corps comme source
de perceptions.
La troisième caractéristique de l'agentivité concerne, ainsi que la suivante, l’implication
du sujet dans son lien avec le monde. La distinction moi-monde et la distinction entre perceptions réversibles venant de mon action, et perception irréversibles venant du monde extérieur,
mène à la construction de deux types de connaissances: celle, immédiate, que nous avons de
nous-mêmes en tant qu’agents et celle que nous avons à propos du monde, qui est acquise par
l'intermédiaire de diverses modalités. La connaissance de nos actions se fait immédiatement
sans inférence, elle n’est pas propositionnelle mais dispositionnelle. Il n’y a pas d’observation
de soi-même ou d’homoncule, les éléments représentationnels se présentent sous la forme « je
suis en train de faire X » et non sous une forme propositionnelle « je pense que je suis en train
de faire X ». Un passage est possible vers l’accès propositionnel, grâce à la troisième personne.
La dernière caractéristique de l'agentivité concerne une autre distinction moi-monde: les
observations sur l’agentivité des autres sont faillibles, alors que la connaissance de notre propre agentivité ne l’est pas. Russell introduit ici le problème du statut de la connaissance. En
d’autres termes, la connaissance par l’agent de son action dirigée vers un but se présente à la
première personne de la même façon que ses expériences sensorielles. Il s’ensuit que connaître immédiatement ce qu’est agir dans le monde ne peut pas être appréhendé par un traitement
à la troisième personne. En second lieu, de la même manière qu’il y a une différence entre
l’expérience de l'agentivité à la première personne et à la troisième personne, l’agentivité peut
aussi être considérée comme nécessaire à une distinction appropriée entre soi et autrui. Pour
Russell, le rôle de l’agentivité ne peut pas être séparé de l’expérience réflexive de son être
propre (self-hood), ce qui signifie que l’on se tient comme détenteur de ses propres expérien-
57
ces. Il s’ensuit qu’une propriété fondamentale de l’esprit est la capacité de contrôler nos expériences par l’action. Ce contrôle de l’action est illustré plus particulièrement par les deux dernières caractéristiques de l’agentivité. Il y a ce que l’on peut appeler une autorité de la première personne qui naît de l'infaillibilité et de l'infalsifiabilité de la connaissance à la première
personne.
Les deux dernières caractéristiques sont représentationnelles à la différence des deux
premières. Le simple aspect dispositionnel de l’agentivité recouvre "l'ineffable intime", l'expérience de soi agissant, la connaissance immédiate de soi comme le centre de responsabilité
de ses propres actions, tandis que le pilotage, la régulation, et la planification demandent un
médium représentationnel. L’aspect purement volitionnel et dispositionnel relève de ce que
l’on pourrait appeler une forme de solipsisme. En revanche, l'aspect représentationnel de
l’action est accessible à l'observateur aussi bien qu’à soi-même. L’aspect représentationnel
traduit le passage du dispositionnel au propositionnel et permet l’accès aux états mentaux. La
représentation rend accessible à autrui l’agentivité. Or pour Russell, la plupart des questions
posées en termes de Théorie de l'Esprit peuvent tout aussi bien l'être en termes de Théorie de
l'Agentivité, et concernent ce que Schopenhauer (1844/1992) appelle des motifs (motives),
c'est à dire la face représentationnelle de l'agentivité. Avoir une théorie de l'esprit, c'est comprendre que les agents agissent sur la base des motifs que sont les désirs et les croyances. Le
retour se fait à partir de là sur un modèle assimilable à celui de Wellman présenté plus haut,
mais alors que pour Wellman le passage critique est celui d'une théorie du désir à une théorie
du désir et de la croyance, pour Russell il est dans la maîtrise du double statut du désir, à la
fois non-représentationnel et représentationnel. La difficulté particulière étant qu'il est tout à
fait possible de traiter le désir comme une attitude propositionnelle, mais que le désir, à l'encontre de la croyance, n'a pas nécessité d'un contenu propositionnel. Ce serait à partir de ce
statut particulier du désir qu'évoluerait la compréhension de l'agentivité comme base métareprésentationnelle des comportements.
Les étapes d'accès à la pleine maîtrise des quatre caractéristiques de l'agentivité représentent pour Russell une alternative à l'idée de protothéories utilisée par ceux des théoriciens
de la théorie qui admettent un accès développemental à la métareprésentation. D’après le
schéma développemental classique, l’accès à la compréhension de la fausse croyance constitue une sorte d’aboutissement théorique. Théorie de l'Esprit rime alors avec théorie représentationnelle de l’esprit. Russell refuse cette conception théorique de la compréhernsion des
états mentaux qui considère équivalent l'accès à la compréhension des états mentaux des au-
58
tres et de soi-même. Cette option revient, pour lui, à concevoir la conscience de soi comme un
cas particulier de traitement de la relation entre tout agent, toute attitude et tout contenu, ce
qui ne saurait être, justement parce que la conscience de soi est basée sur cette connaissance
immédiate de soi comme ayant des volontés, connaissance qui ne peut qu'être médiate pour
les autres.
Plutôt que des protothéories successives, Russell postule deux étapes de réorganisation
mentale rendues possibles, à 3-4 ans, par un contrôle exécutif plus puissant sur ses représentations, et par une extension de la mémoire de travail, et à 6-7 ans, par un contrôle stratégique
sur les processus mentaux, en particulier sur la sélection des items d'information qui doivent
être tenus en mémoire: Autant dire que pour Russell les échecs des moins de 4 ans aux tests
de fausse-croyance sont non pas des échecs théoriques mais des échecs de contrôle exécutif.
Le problème à gérer, selon lui, on l'aura compris, est de type computationnel, et concerne plus
un domaine général que spécifique. Russell n'est pas modulariste, c'est un simulationniste
nativiste, séduit par le connexionnisme, et qui adhère en partie aux perspectives de modularisation proposées par Karmiloff-Smith (1992). Ses perspectives nous paraissent illustratives
d'un tournant dans les débats sur l'accès à la métareprésentation où s'affrontent généralistes/vs
modularistes, théoriciens /vs simulationnistes, et diverses combinaisons des deux. Un élément
devient central actuellement: celui du substrat neuropsychologique des modèles, et du statut
des données qui testent les modèles. De plus en plus souvent aujourd'hui, les données développementales sont insuffisantes pour trancher entre modèles. L'apport des données cliniques
est un complément nécessaire. Il s'agit alors de choisir le groupe clinique supposé déficitaire
dans la capacité étudiée mais non porteur d'autres déficits. Par exemple, tester le modèle de
Russell impliquerait de trouver un groupe capable de mentaliser dans des tâches qui ne mettent pas en jeu de processus exécutifs élevés, et échouant à des tâches qui mettent en jeu des
processus exécutifs mais sans nécessité de mentalisation. Ce groupe, qui peut mentaliser mais
a un mauvais contrôle exécutif devrait échouer aux tâches de mentalisation supposant des
stratégies exécutives comme les tâches d'attribution d'intentionnalité (ou d'agentivité).
Une difficulté du modèle de Russell est que les processus exécutifs sont très largement
en jeu dans un grand nombre de tâches. Un autre moyen de comparaison pourrait être d'égaliser les difficultés de contrôle exécutif des tâches et de différencier les tâches par le type de
mentalisation qu'elles supposent: référées ou non à l'intentionnalité (ou l'agentivité). C'est le
choix expérimental fait par le programme interdisciplinaire dans lequel s'inscrit mon programme de recherche..
59
Une autre difficulté du modèle est que son hypothèse est très englobante, puisqu'elle rejoint l'hypothèse frontale. Russell la spécifie cependant à l'examen de deux pathologies, la
schizophrénie et l'autisme, chez lesquelles il reconnaît des symptômes communs, d'accord en
cela avec Frith et Frith (1991). On pense aussitôt, bien sûr, à Damasio et Maurer (1978) pour
lesquels l'autisme est essentiellement un trouble préfrontal. L'ennui est que les déficits préfrontaux ne sont pas les seuls, ni même les plus clairement décrits récemment dans les cas
d'autisme. Pourtant, les déficits exécutifs sont très largement reconnus dans l'autisme en particulier depuis les travaux de l'équipe de Denver (Ozonoff, Rogers & Pennington, 1991; Rogers
& Pennington, 1991; Rogers, Bennetto, McEvoy & Pennington, 1996), mais comme ils
coexistent toujours avec des troubles métareprésentationnels, il n'est pas possible de s'assurer
s'ils sont primaires ou secondaires . En outre, ils ne sont pas spécifiques de cette pathologie
(ou de ces pathologies si l'on admet des sous-groupes dans l'autisme et le voisinage que représente l'Asperger) du moins tels qu'ils ont été étudiés, avec des tâches destinés aux patients
frontaux. Russell pense que l'on est au tout début de l'exploration des processus exécutifs dans
leurs différentes composantes. Et de fait il se pourrait, en raison de la multiplicité des sousprocessus impliqués dans les épreuves de fonction exécutive (comme le test de Wisconsin,
par exemple), que les échecs à une même tâche se produisent pour des raisons distinctes dans
des populations différentes (Plumet, Hughes, Tardif & Mouren-Siméoni, 1998).
Il reste donc intéressant de tester l'étendue des voisinages symptomatiques entre autisme
et schizophrénie, en particulier pour les transferts de connaissances qu'elle permettrait en ce
qui concerne les zones d'activation cérébrale dans différentes types de tâches impliquant le
même type de contrôle exécutif et des types différents de mentalisation. C'est l'objectif de
notre programme de recherche.
IV Projet de recherche
Le projet de recherche fait partie d'un programme plus vaste et pluridisciplinaire qui articule - pour une exploration des conditions d'accès à une théorie de l'esprit - une approche de
psychiatrie cognitive comparative, une approche neuropsychologique, et une approche de
psychopathologie développementale comparative. Le programme d'ensemble sera rapidement
60
présenté tout d'abord, et le projet particulier, portant sur l'étude développementale, sera détaillé ensuite.
Equipes impliquées
L'approche de psychiatrie cognitive comparative est représentée par l'équipe d'Yves
Sarfati (Hôpital Millot de Versailles, U Inserm 302) qui a conçu les bases du projet. Elle porte
sur les performances d'adultes schizophrènes comparés à des adultes sains pour des tâches de
complexité computationnelle équivalente (équivalence attestée par le nombre comparable de
réussites et le temps comparable de réponses d'une population contrôle), dont une seulement
met en jeu l'attribution d'intentionnalité. Il s'agit de montrer la spécificité du profil de performance des adultes schizophrènes par rapport aux normaux, et de les rapporter aux éventuels
spécificités de l'activité cérébrale qui la sous-tend.
L'étude fonctionnelle de l'activité cérébrale durant les tâches causales proposées est menée sous la responsabilité de Jean Decéty (U Inserm 280, Lyon) par tomographie à émission
de positons. La méthode utilisée est la méthode soustractive.
L'approche de psychopathologie développementale comparative est assurée par l'équipe
de Jacqueline Nadel (U 1595, CNRS, Paris) qui s'est adjointe la collaboration d'une équipe
anglaise de Goldsmith's College (University of London ) dirigée par Peter Smith, spécialiste
de la psychologie de l'esprit (Carruthers & Smith, 1996) et incluant John Swettenham, spécialiste de l'autisme (Charman, Swettenham, Baron-Cohen & Cox, 1997). Il s'agit en premier lieu
de tester avec des enfants sains d'âges différents l'équivalence computationnelle des trois tâches proposées. Cette évaluation concernera deux périodes qui correspondent à la fois à des
changements cérébraux et à des changements dans l'accès à la métareprésentation. Cette première phase terminée, on comparera les performances des enfants sains à celles des adultes
sains d'une part, et à celles d'enfants autistes d'autre part. Les performances des enfants autistes seront ausi comparées à celles des adultes schizophrènes. Pour l'instant, les règles éthiques
pour les jeunes enfants sains et les problèmes comportementaux pour les enfants autistes rendent délicat d'envisager de les soumettre à l'épreuve de la TEP. La question reste toutefois
ouverte.
61
Objectif de l'étude pluridisciplinaire: troubles de l'attribution intentionnelle et structures anatomiques cérébrales
La comparaison des capacités d'attribution intentionnelle dans différents types de populations a pour objectif d'explorer l'impact de la pathologie pour un groupe d'âge donné (adulte
ou enfants à plusieurs niveaux de maturation cérébrale), et l'impact de l'âge de développement
chez les sujets sains. Il permet également des comparaisons entre deux types de pathologies,
la schizophrénie et l'autisme, pour lesquelles plusieurs auteurs dont Frith (1992), et Russell
(1996) soulignent la proximité de certains symptômes et postulent, à partir de modèles divergents, une proximité des troubles de l'activité cérébrale.
Les liens entre les troubles de l'attribution intentionnelle et d'éventuelles anomalies d'activité cérébrale n'ont pas encore été étudiés chez les sujets schizophrènes. En revanche, quelques études ont analysé à l'aide de la tomographie par émission de positons, l’activité cérébrale sous tendant cette compétence chez le sujet sain et chez des adultes autistes de haut niveau ou des personnes atteintes du syndrome d'Asperger.
Baron-Cohen, S., Ring, H., Moriarty, J., Schmitz, B., Costa, D., & Ell, P. (1994) ont utilisé une tâche de décision sémantique pour localiser les régions cérébrales impliquées dans la
représentation des mots concernant l’esprit (penser, vouloir, rêver, etc.) par opposition aux
mots concernant le corps (bouche, sauter, artère, etc.). Le résultat a été une élévation du ratio
des débits régionaux fronto-orbitaires droits / fronto-polaires gauches. L’interprétation demeure difficile compte tenu des différences qualitatives entre les deux listes de mots, les uns
étant à l’évidence plus abstraits que les autres. Mais les auteurs concluent que la région fronto-orbitaire gauche jouerait un rôle fondamental dans la reconnaissance des termes mentaux,
et «pourrait être le siège, avec la région limbique, d’une “théorie de l’esprit”» (Baron-Cohen
et coll., 1994).
À l'aide d'histoires courtes lues à des adultes volontaires, Flechter, Happé et coll. (1995)
ont cherché à montrer l'effet de la compréhension de textes dont certains imposent l'attribution d’états mentaux par contraste avec d'autres qui constituent une simple causalité physique
ou encore une suite incohérente de phrases. Par soustraction des conditions d'activation, une
activation du gyrus médio-frontal gauche (aire 8 de Brodmann avec extension à l’aire 9 et au
gyrus cingulaire antérieur) a été relevée. De manière intéressante, cette région du cortex s’est
trouvée impliquée dans une tâche très différente évaluant la capacité à utiliser l’attribution
62
d’un savoir à autrui dans une inférence concernant l’utilisation pratique d’un objet inhabituel
(Goel, Grafman, Sadato, & Hallé, 1995).
Des études récentes utilisant le TEP suggèrent actuellement que la lecture mentale implique le cortex frontal médian dans le cas de sujets normaux, et que cette zone est sousactivée quand des adultes autistes de haut niveau ou des adultes atteints du syndrome d'Asperger sont en train de faire une lecture mentale (Happé, en cours). La tâche utilisée est une
tâche de compréhension d'histoires impliquant d'inférer l'état mental d'un personnage. Ce qui
est intéressant est qu'il s'agit de la région préfrontale adjacente au cortex fronto-orbitaire.
Populations d'étude
Quatre populations d'adultes et quatre populations d'enfants seront constituées.
1) Les adultes
Les quatre populations d'adultes seront composées de 40 adultes schizophrènes, dont 20
sont désorganisés et 20 ne le sont pas, selon les critères de l'ICD10 (OMS, 1992), de 10 déprimés présentant un épisode dépressif majeur avec caractéristiques psychotiques (selon
l’ICD 10), ayant un score à la MADRS supérieur à 25, et de 20 sujets sains.
Les deux groupes de sujets schizophrènes seront appariés pour le score à chacune des
sous-échelles de la PANSS (Kay et coll., 1987). Le degré de désorganisation sera évalué à
l'aide de l'échelle des troubles du langage et de la communication d'Andreasen (1979). Le
traitement psychotrope sera pris en compte. Les quatre groupes de sujets seront appariés pour
l’âge, le sexe; le niveau intellectuel (>.80); le nombre d’années d’études. Les patients seront
des sujets hospitalisés recrutés dans le service de psychiatrie du Professeur Chevalier, au Centre Hospitalier de Versailles. Les sujets sains seront des sujets recrutés parmi le personnel du
Centre Hospitalier de Versailles.
2) Les enfants
Les quatre populations d'enfants seront composées d'enfants sains de 2 groupes d'âge et
d'enfants autistes, diagnostiqués à l'aide du DSMIV (1996), du CARS (Schopler, Reichler &
Rochen-Renner, 1988) et de l'ADIr (Lord & Rutter, 1992) et dont l'évaluation mentale est
réalisée à l'aide du PEP-R (Schopler, E. (1979) et du KABC ( Pry & Guillain, 1994). Les en-
63
fants sains seront examinés dans deux écoles maternelle et élémentaire de Pantin. Les enfants
autistes seront examinés dans deux écoles, l'une à Viry-Chatillon, l'autre à Yvetot.
Procédure
Le principe général et commun des 3 tâches pour toutes les populations étudiées est le
suivant: le sujet testé lit une bande-dessinée de trois images successives, constituant une petite
histoire. Dans un deuxième temps, 3 cartons-réponse lui sont proposés. Le sujet doit désigner
spontanément et rapidement, parmi ces trois possibilités, laquelle constitue une fin logique à
l'histoire qui lui a été présentée (réponse à choix forcé). Une phase d’apprentissage préalable
portant sur 2 histoires permet au sujet de se familiariser avec chaque tâche.
Chacune des 3 tâches comporte 10 histoires. Les tâches sont divisées en deux soustâches de 5 bandes-dessinées, réparties par randomisation. Les histoires sont présentées par
sous-tâches alternées (séries de 5), dans un ordre contrebalancé par permutation circulaire
pour chaque groupe de sujets. L'ensemble de la présentation dure au plus 15 minutes.
Matériel
L’étude des zones impliquées dans l’attribution d’intentions se fera par comparaison de
trois tâches, de complexité équivalente, et élaborées pour permettre les soustractions des activités cérébrales au cours des trois types de conditions. Parmi les quelques tâches disponibles
pour évaluer la compétence d'attribution intentionnelle, la tâche en bandes-dessinées de Sarfati et collègues (Sarfati, Hardy-Baylé, Nadel, Chevalier & Widlöcher, 1997) semble une tâche
de référence pouvant être candidate aux contraintes de la neuro-imagerie fonctionnelle et
pouvant servir de modèle pour la construction des tâches de soustraction. Elle présente l'avantage d'être déjà validée chez les patients schizophrènes et d'autres groupes psychiatriques
(Sarfati, Hardy-Baylé, Besche & Widlöcher, 1997) et de se prêter à l'utilisation chez de jeunes
enfants maîtrisant peu le langage. Ayant été réalisée avec J. Nadel en référence d'une part aux
travaux développementaux sur la théorie de l'esprit, et d'autre part aux travaux de psychopathologie développementale concernant les déficits métareprésentationnels spécifiques de l'autisme, la tâche pourra aisément s'adapter aux contraintes liées au jeune âge ou aux déficits des
populations d'enfants.
64
Les 3 tâches (3 conditions d'activation) sont les suivantes :
1° une tâche d'attribution d'intention à autrui composée de 10 bandes-dessinées, extraites de la tâche de Sarfati et al. Le scénario-type met en scène un personnage, dont on peut
inférer l' intention à partir de l'expression faciale ou/et du comportement: ainsi dans l'exemple
joint, on voit un homme qui lit, manifestement agacé par le vol d'un moustique autour de lui.
Il arrête sa lecture, puis referme le livre, regardant le moustique qui s'est posé sur le dossier de
son fauteuil. Des trois cartons-réponse, seul un correspond à l'intention du protagoniste de
l'histoire et il s'agit de choisir entre un carton représentant le même personnage avec un oiseau
juché sur l'épaule, un carton où le personnage tape sur le moustique avec le livre, et un carton
où le personnage s'est remis à lire, le fauteuil tourné de biais.
2° une tâche de causalité comportementale non intentionnelle composée de 10 bandes dessinées, inspirées des tâches de Baron-Cohen et al. (1986) testant la compréhension de la causalité physique. Le scénario-type met en scène un petit personnage impliqué dans une séquence
d'interaction avec un objet à partir de laquelle on peut inférer une conséquence qui n'est pas
liée à une intention. Ainsi, en rampant un bébé s'approche du fil d'une lampe, s'enroule dedans, commence à entraîner la lampe déséquilibrée dans sa reptation. Il s'agit de choisir entre
trois cartons-réponse: soit un carton montrant la lampe brisée au sol, et le bébé libéré du fil
continuant sa reptation; ou un carton montrant le bébé libéré du fil continuant sa reptation
tandis que la lampe est revenue à sa place initiale; ou enfin un carton où la lampe est à sa
place et le bébé assis à côté dans un relax.
3° une tâche de causalité physique composée de 10 bandes-dessinées, constituées sur le patron de celles qui ont été testées chez les enfants autistes par Baron-Cohen, Leslie et Frith
(1986). Le scénario-type constitue une suite logique d'interactions entre objets mettant en jeu
des lois physiques et excluant toute intervention de théorie de l'esprit. Par exemple, un
petit camion s'avance vers un escalier, le dévale et commence à culbuter. Il faut ensuite choisir entre trois cartons-réponse, celui montrant le camion redressé en haut de l'escalier, celui
montrant le camion rangé sur une commode à côté d'une maquette d'avion, ou un troisième
montrant le camion renversé au bas de l'escalier.
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Le projet développemental et comparatif
Ce projet a plusieurs objectifs. Il s'agira d'abord d'adapter le matériel aux intérêts et
compétences des jeunes enfants et des enfants autistes, sans mettre en question la comparabilité des tâches pour les sujets adultes et enfants. Nous maintiendrons donc le niveau de complexité des stimuli en utilisant photoshop pour transformer les personnages ou les objets.
Une fois le matériel transformé, nous l'appliquerons aux enfants sains des deux groupes d'âge
sélectionnés.
Justification du choix des âges
La sélection des âges 3/4 ans et 6/7 ans s'est faite à la fois en fonction des données de la
littérature sur le développement des capacités métareprésentationnelles, et en référence à la
dynamique développementale cérébrale. En effet, des différences de vitesse de maturation
cérébrale ont été repérées chez des enfants autistes et des enfants sains à ces deux périodes.
Garreau (1998) montre par exemple qu'on observe au niveau des lobes frontaux chez des enfants autistes de 3/4 ans des valeurs de débits sanguins cérébraux nettement inférieures aux
valeurs des enfants sains de même âge. Ces différences ne sont plus observées vers 6/7 ans, ce
qui suggère une maturation métabolique frontale retardée. Or les connaissances actuelles
semblent indiquer que les modifications régionales rapides du métabolisme et du DSC correspondent à une période de synaptogenèse rapide qui se déclenche successivement dans les différentes régions corticales et coïncide avec l'émergence de nouvelles étapes du développement cognitif. Vers 6/7 ans, les anomalies des enfants autistes se retrouvent au niveau des
lobes temporaux. On sait que parmi les hypothèses sur les bases neurobiologiques de l'autisme, celles concernant le lobe temporal médian, et en particulier l'hippocampe et l'amygdale,
sont privilégiées. Mais cette dynamique peut expliquer des changements de symptomatologie
et devrait militer en faveur de performances plus voisines des normes après 6 ans chez les
enfants autistes dans des tâches cognitives (Nadel, 1998).
Procédure
Contrairement à l'étude de Baron-Cohen et al. (1986), la suite de la séquence est assurée
par choix forcé entre 3 cartons et non par la narration de la suite de l'histoire. Cela a l'avantage de supprimer les handicaps liés à la verbalisation chez les enfants plus jeunes (ils ont 4
66
ans 1/2 dans l'étude de référence) et les enfants autistes. Nos séquences d'apprentissages comportent seulement deux cartons-réponse et il s'agit donc d'opérer un choix par paire. Pour éviter la lassitude, il est envisagé de constituer deux séances de 10 minutes maximum séparées
par un quart d'heure de jeu.
Un objectif per se de l'étude développementale est d'estimer l'importance du contrôle
exécutif dans la réalisation des trois types de tâches. Une hiérarchie des réussites dans les
différentes tâches en fonction de l'âge pourrait fournir de précieuses indications. L'équivalence obtenue avec des adultes pourrait en effet ne refléter qu'un effet-plafond dû à la facilité
des tâches, quels que soient les processus impliqués. Cet apport développemental à l'analyse
des tâches pourrait contribuer à éprouver l'hypothèse de Russell sur les liens entre déficits
d'attribution d'intention (agentivité) et déficit de capacités exécutives. Dans ce but, nous projetons de faire intervenir d'autres tâches impliquant des fonctions exécutives. Il nous reste à
compléter cette partie de notre projet en tenant compte des critiques actuelles formulées à
l'encontre des tâches frontales. Cet apport bénéficierait également à la comparaison des similitudes postulées entre performances déficitaires des schizophrènes désorganisés et des autistes.
En ce qui concerne l'objectif comparatif, et compte-tenu des résultats des travaux de Baron-Cohen, Leslie et Frith (1986), de Happé (1994) qui montrent que les enfants autistes sont
incapables d'arranger une séquence d'images de façon à démontrer l'intention du personnage,
alors qu'ils sont très performants pour un arrangement de séquences dépeignant des relations
physiques causales, nous faisons l'hypothèse que, comme pour les schizophrènes désorganisés, la tâche d'attribution intentionnelle sera plus difficile que les deux autres pour les autistes
de 6/7 ans, tandis qu'elle sera aussi bien réussie que les deux autres par le groupe des enfants
les plus âgés.
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