Quand la a craqué

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Quand la a craqué
Questembert vient de passer sous une pluie d’actes violents. Entre janvier
et avril, des groupes de jeunes ont semé la peur sous les anciennes halles
du centre-ville. Cette petite cité rurale a découvert une forme nouvelle de
délinquance. Des actes que certains spécialistes estiment symptomatiques
des profondes mutations démographiques du sud-Morbihan.
VIOLENCES A QUESTEMBERT
Quand la
petite
cité
a craqué
uestembert, samedi 12 avril.
Il est 10 h, les habitants
couvrent de leurs allées
et venues les pavés
du vieux bourg. Entre
deux averses et quelques courses, curieux
et avertis s’arrêtent
un moment sous les
anciennes halles, où
feuilles et stylos passent
étrangement de main
en main.
Des élus et des
commerçants viennent tout juste d’y installer des
tréteaux et des tables. Tout le
monde est invité à signer une
pétition, lancée à l’initiative de
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Damien Le Boudouil, un commerçant agressé par un groupe de
jeunes une semaine plus tôt. La
population demande au préfet
que des moyens soient mis en
œuvre pour « répondre à l’insécurité à Questembert » (lire p.24).
Si la colère gronde ce matin-là, ce
n’est pas seulement à cause d’une
agression. Le texte de la pétition,
destinée au préfet du Morbihan,
est formel. Les habitants sont
excédés par une escalade d’agitations dont Questembert est le
théâtre depuis janvier. « Un petit
groupe de voyous se croit tout
permis : tapages nocturnes, beuveries, dégradations des biens,
provocations, agressions verba-
les », peut-on lire sur la pétition.
Ce qui semble effrayer la population, c’est que, depuis janvier,
ces faits se sont mués en actes
de violences.
Violences gratuites
et systématiques
Les médias commencent à relater cette montée en puissance en
mars. Le 17 au soir, un commercial
de 38 ans circule tranquillement au
volant de sa voiture dans le centreville. Il est subitement agressé par
un groupe de jeunes. L’homme est
sorti manu militari de la voiture.
Il se fait voler son blouson, son
portable, son portefeuille tout en
essuyant des coups.
mes pénètrent dans le magasin
de Damien Le Boudouil, près des
halles. « Cela faisait une demiheure que j’étais ouvert. J’avais
passé quelques clients. Ils ont
commencé à me voler des DVD,
j’ai dit stop. » Un coup de poing
dans l’œil puis les agressions
verbales et les coups de pied
pleuvent. « Ils m’ont jeté dans les
présentoirs. Pendant ce temps,
d’autres fauchaient du tabac, des
jeux à gratter, des couteaux… »
C’est une cliente, tapie au fond
du magasin, qui appelle les
gendarmes. Restée marquée par
les faits, elle est encore suivie
psychologiquement aujourd’hui.
Damien Le Boudouil, lui, ne
comprend toujours pas. « Trois
d’entre eux étaient clients du
magasin, je n’avais jamais eu de
problèmes avec eux. »
R. Joly
La surenchère
« Face à la bande surexcitée »,
les gendarmes doivent se mettre
en retrait et appeler des renforts
pour interpeller trois personnes
« en état d’ivresse », armées d’un
pistolet à grenaille et d’une réplique de sabre.
Ce même soir, à quelques mètres
de là, un garçon de 18 ans est lui
aussi victime de violences lors
d’une bagarre au couteau. Après
avoir été soigné au centre hospitalier de Vannes, la victime quitte les
lieux, vole une voiture pour rentrer chez sa mère à Q
­ uestembert
puis l’abandonne avant d’y mettre
le feu.
Samedi 5 avril ensuite. Il est
7 h 30 quand sept jeunes hom-
C’est la surenchère. Les garçons
semblent insaisissables. Le calme
ne revient pas dans la cité malgré les arrestations et les gardes
à vue successives. Le soir de la
signature de la pétition, un jeune
manifestement en état d’ivresse,
entouré de sa bande, tente de
voler l’arme d’un gendarme lors
d’un contrôle.
Début avril, les riverains recensent également une tentative de
cambriolage dans une crêperie de
Larré, le blocage d’un camion de
presse à Muzillac et l’agression
d’une livreuse de journaux dans la
même ville. Les auteurs présumés,
âgés de 18 à 25 ans, se répartissent dans plusieurs « bandes »,
indiquent les enquêteurs. La plupart sont sans emploi. Ils squattent
souvent les halles pour ingurgiter
quelques packs de bières.
Les citoyens ont senti la tension
monter à Questembert et aux
alentours. « A plusieurs reprises,
nous avons signalé cette dégradation du climat local, sans que
nos observations soient prises en
compte, jusqu’à ces évènements
récents qui ont donné lieu à des
interventions efficaces des forces de gendarmerie », révèle le
texte de la pétition, couché sur
des feuilles blanches imprimées
par centaines.
Dans les rangs s’élèvent des voix
impatientes. Frédéric Vimare habite
derrière l’église. Il ne comprend
pas « pourquoi ces voyous ne sont
pas derrière les barreaux ».
Les auteurs présumés sont
pourtant convoqués, au comptegoutte, devant les juges. Mais
la population a du mal à comprendre. « Nous attendons une
réponse ferme du tribunal et cela
devient urgent ! » Selon Frédéric
Vimare, une trentaine de personnes seraient déjà prêtes à faire
justice elles-mêmes en formant
une pseudo « milice », maniant
« l’autodéfense ». « Certains vont
acheter des armes. Ils veulent
organiser des rondes de nuit. »
Plus à l’abri
de la délinquance
Comment en est-on arrivé là ?
Dans la population, l’incompréhension est accentuée par le
caractère inhabituel des délits
commis. Le phénomène apparaît
d’autant plus surprenant que la
bourgade de 7 022 habitants est
d’ordinaire paisible. On est à la
campagne mais la petite cité tranquille n’est plus. Q
­uestembert
a évolué. Dopée par des prix
Un groupe de jeunes tente
de s’approprier les halles de
Questembert. Ils demandent
à chaque visiteur un droit de
passage de 2 €.
« Certains vont acheter des armes.
Ils veulent se défendre seuls »
Frédéric Vimare, un habitant
de l’immobilier attractifs, elle a
changé de statut. Le bourg rural
est devenu une cité périurbaine.
Avec son corollaire d’avantages et
d’inconvénients.
Dans le Morbihan, la croissance
démographique des communes
situées au nord de l’axe LorientNantes ne les mettraient plus à l’abri
d’une évolution de la délinquance.
Des actes que certains spécialistes
estiment symptomatiques des profondes mutations démographiques
du sud-Morbihan. « Les prix de
l’immobilier sur la côte repoussent
les gens vers la campagne, constate une magistrate vannetaise. Il
s’agit de populations nouvelles qui
peuvent connaître des difficultés.
La délinquance suit ces mouvements, cela n’a rien d’étonnant. »
Un officier de police est plus prudent. En l’absence de faits similaires constatés dans la première
couronne vannetaise, il ne préfère
pas parler « de déplacement
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A SAVOIR
Dernière minute
Commerçants et élus
souhaitent remettre
leur pétition de
protestation en
main propre au
préfet du Morbihan
« lorsqu’il nous
aura proposé une
entrevue ». Tous se
disent « impatients
de tourner la page ».
Laurent Cayrel
vient justement
de proposer
une réunion le
5 mai, en mairie
de Questembert,
au maire, aux
gendarmes,
commerçants
et, sous réserve
d’acceptation, au
parquet. A l’heure
où nous écrivons ces
lignes, la pétition
a recueilli plus de
2 400 signatures.
Affaire à suivre.
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de la délinquance ».
Voire. Car la forme des délits
constatés évolue, jusqu’à prendre la forme de violences dites «
urbaines ». Loïck Villerbu, directeur de l’Institut de criminologie
de ­Rennes, définit celles-ci comme
« une délinquance se déroulant
dans des rues passantes, commerçantes. La notion de représentation, de spectacle est aussi à
prendre en compte. Les violences
peuvent être faites individuellement ou en groupe, en bande ».
C’est le cas de Questembert.
Quartier cherche proprio
Loïck Villerbu s’interroge sur les
capacités d’accueil des nouvelles
populations dans ces petites cités
dites « rurales ». « Avec la construction de logements sociaux, on
a tout à coup une masse de jeunes
qui se retrouvent. Cette nouvelle
population tranche avec le reste
de la population jusqu’ici plus
âgée. Dans ce contexte, il faut
absolument que suive un encadrement de la part de la municipalité
et des gendarmes. »
Les dires du criminologue sont
sans équivoque. L’objectif, lorsque
les violences s’opèrent en groupe,
est de s’approprier un territoire.
Et à Questembert, les halles sont,
depuis des années, « le » point
de rassemblement des jeunes.
« Pour défendre leur territoire, ils
terrorisent le quartier. Le groupe
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doit montrer qu’il est là avec une
certaine agressivité. »
Comment ces jeunes ont-ils pu
glisser des incivilités à la violence ?
Pour une magistrate du tribunal
de grande instance de Vannes,
l’alcool, le manque de repères
sociaux, la perte d’un travail font
partie des éléments déclencheurs.
Interlocuteurs du monde judiciaire,
universitaires, travailleurs sociaux :
tout le monde s’accorde à dire que
l’oisiveté est la mère de tous les
vices. Une cause que l’on retrouve
aussi à Questembert, une commune qui aurait également grandi
plus vite que ses équipements.
Le bâtonnier Arnaud Colon
de 
Franciosi, avocat du garçon
soupçonné d’avoir volé l’arme
d’un gendarme, insiste sur la
situation d’isolement de son
client. « Le déficit des services
publics contribue à l’apparition
de ces violences. Ces jeunes sans
travail et sans revenus sont laissés
pour compte, abandonnés le long
du chemin. Il faut donc encadrer »
pour prévenir la délinquance
« sans oublier de réprimer ».
Une patrouille
pour vingt-deux communes
Outre le malaise des victimes, de
tels actes troublent la tranquillité
d’une population absolument pas
habituée à cela. De quoi alimenter
un « malaise social » et nourrir un
sentiment d’insécurité dopé par la
Archives MGM
E.Bannier
SOCIETE
télévision. « Ce qui est perçu est
comparé à ce qui se passe dans
les banlieues très chaudes et très
agitées, explique Loïck Villerbu.
Ce qui est positif, c’est que ce sentiment fait se regrouper les habitants. Ils signent des pétitions, ils
communiquent à nouveau. Le côté
négatif, c’est que cette sociabilité
est essentiellement nourrie par
l’inquiétude. La population s’en
remet aux autorités, mais, sans
réponse adaptée, elle pourrait
décider de prendre en main son
propre sort. »
Quelle réponse publique peut-on
apporter face à cette donne ? Principale difficulté pour « l’autorité » :
la population augmente dans les
campagnes sans que les effectifs
de gendarmes suivent sur le terrain.
Ainsi, la communauté de brigades
de gendarmerie de Questembert
couvre vingt-deux communes, de
Saint-Laurent-sur-Oust à Elven.
Un officier avoue son embarras.
« Lorsqu’une équipe de nuit est en
patrouille à ­Monterblanc et qu’elle
doit se rendre sur le champ pour
une intervention à Questembert, il
faut compter au moins vingt-cinq
minutes de route ! »
Dans ce contexte, le militaire fait
remarquer qu’il faut aussi que les
élus se mobilisent. Un point de
PRESSÉ
d’avoir l’info ?
vue partagé par le criminologue :
« Ils doivent rassurer la population. » Loïck Villerbu voit la vidéosurveillance comme un début de
solution, même s’il tient à nuancer sa vision : « La vidéo-protection crée de la sécurité mais elle
déplace l’insécurité. »
Malgré la pression, Paul Paboeuf,
« Les élus doivent
Ci-dessus. Les gendarmes de
la communauté de brigade de
Questembert partent, chaque
soir, pour quatre heures de
patrouille nocturne.
Page de gauche. Paul Paboeuf,
maire de Questembert, a passé
une matinée à discuter avec
les habitants, venus signer une
pétition le 12 avril.
rassurer la population
»
Toute l’actu
du sud-Morbihan
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Loïck Villerbu, directeur de l’Institut de criminologie de Rennes
maire PS de Questembert, n’est
pas pour cette option. Il rappelle
qu’en 2001, il avait souhaité
mettre en place un contrat local
de sécurité. « On percevait déjà
des tensions à cette époque. »
Malheureusement pour le premier
magistrat, la réponse de la préfecture et des autorités avait été
négative. Sa cité avait été jugée
trop calme et trop petite pour
bâtir un contrat local de sécurité,
pourtant censé prévenir et lutter
contre la délinquance en fédérant
les différents acteurs publics.
Elodie Bannier
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