« Jacques Chirac et les responsabilités de l`État français ».

Transcription

« Jacques Chirac et les responsabilités de l`État français ».
Etude de document
Terminale S
Sujet : L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France.
Consigne : À l’aide de ce document et de vos connaissances, montrez l’évolution de la mémoire
juive de la 2ème guerre mondiale en France : entre oubli, lente affirmation et reconnaissance officielle.
« Jacques Chirac et les responsabilités de l’État français ».
« Il est dans la vie d’une nation des moments qui blessent la mémoire et l’idée que l’on se fait de son
pays (...). Il est difficile de les évoquer, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire,
et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée
par des Français, par l’État français. Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et
gendarmes, sous les autorités de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis (...). La France,
patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là,
accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux
(…).Suivront d’autres rafles, d’autres arrestations. 74 trains partiront vers Auschwitz. 76 000 déportés
juifs de France n’en reviendront pas. Nous conservons à leur égard, une dette imprescriptible (...).
Reconnaître les fautes du passé et les fautes commises par l’Etat. Ne rien occulter des heures
sombres de notre histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’Homme, de sa liberté et de
sa dignité (....).
Je veux me souvenir que cet été 1942, qui révèle le vrai visage de la « collaboration », dont le
caractère raciste, après les lois anti-juives de 1940, ne fait plus de doute, sera aussi, pour beaucoup
de nos compatriotes, celui du sursaut, le point de départ d’un mouvement de résistance, par l’action
héroïque (...) de nombreuses familles françaises (…). Cette France n’a jamais été Vichy (...). Elle est
présente, dans le cœur de ces Français, ces « Justes» qui, au péril de leur vie, comme l’écrit Serge
Klarsfeld, ont sauvé les trois-quarts de la communauté juive de France (...). »
Discours de M. Jacques Chirac, prononcé le 16 juillet 1995, lors des cérémonies commémorant la rafle
du Vel’ d’Hiv’.
® Comprendre la consigne
Le document proposé, figure comme texte de référence incontournable, et sa portée est
censée être connue des candidats.
Il s’agit du discours prononcé par Jacques Chirac, (élu peu de temps auparavant président de la
République), à l’occasion de la commémoration de la rafle du Vél’ d’Hiv, (1942), date à laquelle les
autorités françaises ont organisé la déportation de juifs vers les camps de la mort. Par ce
discours et pour la première fois, un chef de l’État reconnaît la participation de l’État
français à la Shoah. Ce texte marque donc un tournant, et la consigne concernant « l’évolution
de l’attitude de l’État français vis-à-vis de la mémoire de la Shoah » nous invite donc à regarder en
amont et en aval, afin de comprendre comment on en est arrivé à cette reconnaissance tardive.
® Mobiliser ses connaissances
L’événement central est la rafle du Vél’ d’Hiv Durant l’été 1942, Pétain à la tête de l’État
français et son Premier ministre Pierre Laval sont engagés dans une politique de
collaboration active avec l’Allemagne nazie. C’est dans ce contexte qu’ils font procéder à
des arrestations, par les forces de l’ordre françaises, sur l’ordre des allemands, de 12 800
juifs, dont des femmes et des enfants, qui sont acheminés dans des bus parisiens jusqu’au
Vélodrome d’Hiver de Paris dans l’attente de leur déportation.
® Procéder par étapes
Pour rédiger votre réponse, il faut utiliser vos connaissances de cours à propos de l’évolution
de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale en France, et plus précisément en ce qui
concerne le rôle de l’État. Cela vous permettra de repérer dans le texte ce qui se rapporte
au sujet et ainsi d’éviter de produire un travail juste mais hors sujet car ne se rattachant
pas suffisamment au document qui doit être au centre de votre analyse.
Introduction :
Lors des cérémonies du 53e anniversaire de la rafle du Vél’ d’Hiv, le 16 juillet 1995, commémorant l’épisode
tragique où 12 800 juifs, hommes, femmes, enfants, sont acheminés dans des bus parisiens jusqu’au Vélodrome
d’Hiver de Paris dans l’attente de leur déportation par les allemands, le Président de la République, Jacques
Chirac, prononce un discours public qui marque un tournant majeur dans l’évolution de la mémoire de la Shoah.
En effet, en tant que chef de l’Etat, il reconnaît officiellement la responsabilité de la France dans ce drame,
responsabilité jusqu’alors, occultée.
Pourquoi Jacques Chirac a-t-il pris la décision d’opérer ce revirement du discours étatique ?
Dès le début de son discours JC explique les raisons pour lesquelles la collaboration des autorités du régime de
vichy avec l’Allemagne Nazie est longtemps restée taboue et occultée. En effet il est, selon lui « des moments
difficiles à évoquer ». Ainsi, dès 1945, pour oublier « ces moments qui blessent » gaullistes et communistes,
les deux principales forces politiques du pays, s’entendent pour promouvoir une autre version de l’Histoire, plus
héroïque et consensuelle, plus unificatrice et visant à la réconciliation nationale. C’est ainsi que naît le mythe
résistancialiste qui veut que l’immense majorité des Français ait résisté à l’occupant. On présente alors les
Français collaborateurs comme une minorité, et le régime de Vichy comme ne représentant pas l’Etat français
républicain. Cette fiction historique a été reprise par les présidents successeurs de De Gaulle, jusqu’à F.
Mitterrand. Selon Jacques Chirac, la volonté d’oubli de ces « heures noires » résulte aussi du fait qu’elles «
souillent à jamais notre histoire ». En effet, la Collaboration, apparaît comme en rupture avec la tradition
française issue de 1789 et de la déclaration des Droits de l’homme, et elle est à ce titre « une injure à notre
passé et à nos traditions », en ternissant l’image de la France « patrie des Lumières et des Droits de
l’Homme, terre d’accueil et d’asile », comme le souligne à juste titre JC. C’est la raison pour laquelle, les
autorités françaises, de 1945 à 1995, ont préféré occulter cet épisode peu glorieux plutôt que l’assumer. C’est
précisément contre cette attitude de déni que Jacques Chirac va se positionner en ce jour de juillet 1995.
En Effet, ce 16 juillet 1995, JC reconnait officiellement que des hommes, garants de la liberté et du droit,
« policiers et gendarmes », obéissaient aux ordres de leurs « leurs chefs » engagés dans la collaboration. Ainsi,
pour la première fois de l’histoire de « ces années sombres », un président de la République, admet qu’il faut
« reconnaître les fautes du passé et les fautes commises par l’Etat » : la collaboration n’était donc pas le
simple fait du régime de Vichy, mais bien de l’État français dans son ensemble, ses policiers et son
administration. Et cette reconnaissance est d’autant plus forte qu’elle vient du chef de l’État lui-même.
Néanmoins, la reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans la déportation de juifs résulte aussi de
l’affirmation lente et progressive de la mémoire juive (dès les années 60) : ainsi, en 1961 le procès Eichmann
en Israël permet de donner la parole aux survivants. Elle est aussi le fruit du travail des Historiens tels que
Robert Paxton (dans les années 70) qui remettent en cause le mythe « résistancialiste ». Elle est enfin ravivée
par des citoyens et associations auxquels Jacques Chirac rend hommage à la fin de son discours, en citant Serge
Klarsfeld, fils de déportés, qui crée en 1979, l’Association des filles et fils de déportés juifs de France. Son
association à alors pour but de rechercher les acteurs du génocide et elle se mobilise dans les années 1980 pour
lutter contre le négationnisme. Des cinéastes, à l’image de Claude Lanzmann, réalisateur de Shoah (1985), ont
aussi participé à la médiatisation de cette mémoire juive, en rappelant « l’horreur de celles et ceux qui ont
vécu la tragédie ». Dans ce contexte, le silence de l’État sur son implication devient de plus en plus intenable,
même si ce silence s’inscrivait dans la tradition gaullienne. C’est pourquoi en 1995, le moment semble enfin
venu d’en finir avec le déni et le président Chirac déclare haut et fort que « oui, la folie criminelle de l’occupant
a été secondée par des Français, par l’État français ».
Cependant, Jacques Chirac ne se contente pas de reconnaître la « collaboration » de l’État français. Il prend
aussi bien soin d’insister sur le fait que, dans le même temps, d’autres Français « de nombreuses familles
françaises » s’étaient engagés dans des « mouvements de résistance », Il ne s’agit pas pour lui de réactiver le
mythe résistancialiste, mais de montrer le véritable visage d’une France, durant la guerre, profondément divisée.
Reprenant le discours de De Gaulle dont il se réclame en politique, Chirac insiste pour dire « que la France de
Vichy n’est pas toute la France ». Il faut donc aussi commémorer le souvenir des Français qui ont par leur
« action héroïque » lutté contre Vichy (et en premier lieu, le Général de Gaulle). Il termine d’ailleurs son
discours en rappelant que « les trois quarts de la communauté juive résidant en France » ont survécu, grâce
à l’action de Français, les « 24 000 Justes parmi 46 nations» (en 1953 selon la Knesset, le parlement Israélien)
qui, cachant des Juifs, fournissant des faux papiers, ont mis leur vie en danger pour les sauver. Ainsi, sans nier
l’existence de la France de Vichy, c’est à cette France là que Jacques Chirac se rattache et appelle à « se
souvenir », sans pour autant occulter le sombre bilan de cette époque, dont la Rafle du Vel’ D’Hiv’ demeure
l’un des symboles les plus marquants.
Conclusion
Avec ce discours, Jacques Chirac inaugure donc un nouveau rapport de l’État avec son histoire.
Convaincu de la nécessité de regarder le passé « bien en face », et ne rien « occulter » il estime que le déni est
contre-productif. Mieux vaut reconnaître les errements du passé pour ensuite mieux le valoriser et mettre en
exemple l’attitude héroïque du « vaste mouvement de résistance » qui fait aussi partie de la France de cette
époque, de ce qu’elle a de meilleur.
Cette prise de position officielle contribue à l’apaisement de la mémoire juive de la 2de GM, puisque cet épisode
douloureux pour la France, va faire l’objet de commémorations et de réparations par la suite, sous l’impulsion
de l’Etat français.