khhhhh… » et « tsk-tsss »

Transcription

khhhhh… » et « tsk-tsss »
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Un film eXplicite
me rappelle
que les films
faisaient « khhhhh… » et « tsk-tsss »
Fin de journée, arrivée tardive à l’hôtel, bonsoir, bonsoir Monsieur, une chambre au nom
de Arthaud, certainement Monsieur, chambre 109, au premier étage, l’ascenseur est derrière
vous, à droite ? à gauche ! j’enfiche la clef, j’ouvre, je tâtonne, interrupteurs — c’est l’entrée qui
s’éclaire, les chiottes, la salle de bains… Ah ! la chambre — pose le sac à dos, jette le manteau sur
le fauteuil, le Rodolphe sur le lit, prend la télécommande sur la table de nuit.
Zap… (série américaine)
Zap… (affaire criminelle)
Zap… (foot)
Zap… (film d’action)
Zap… (débat sur ?)
Zap… (pub)
Zap… (docu sur ?)
Zap… (jeu, « on a tout donné ça m’a beaucoup apporté je ne regrette rien », ils ont perdu)
Zap… (pub en allemand)
Zap… (tennis)
Zap… (clip)
Zap… (niouzes)
Zap… (XXL)
À l’écran, un sexe comme personne n’en a donne à une femme irréelle un plaisir qui
n’existe pas. Oh yeah ! Oh yeah ! Oh yeah ! On ne s’est pas donné la peine de tout traduire, mais
cela ne nuit pas. L’enchaînement est conforme aux usages : bouche, con, cul, conclusion faciale.
Je me rappelle l’époque où le porno était nouveau, rare, et surtout crypté. Il y avait sur Canal+ un film par mois. J’avais une vingtaine d’années, notre télévision noir et blanc n’avait qu’une
diagonale de vingt-deux centimètres ; moi, même pas. Bien que nous n’eussions pas de décodeur,
l’image restait lisible. Brouillé, le son n’était plus qu’un chuintement modulé aux reflets métalliques mais, quand l’action démarrait, le « khhh… » continu se structurait, un rythme binaire en
émergeait et accompagnait l’acte d’un « tsk-tsss-tsk-tsss-tsk-tsss » mécanique, assez approprié.
On voyait peu, on entendait moins encore. C’était bien.
Aujourd’hui, je m’ennuie.
Zap… (CNN)
Zap… (Al Jazeera)
Zap… (variétés en espagnol)… (en italien)… ()…()…()… ()… ()…
J’ai le souvenir de m’être émerveillé de tout, quand j’étais enfant.
C’est la fin.
Le monde s’émousse.
*
Ce matin, une hôtesse d’accueil se penche sur son comptoir pour saisir mes papiers. Sous
le chandail qui baille, ses seins invitent le regard. J’entrevois son entre-seins.
Ce soir, à la maison, ℂ aux seins si pleins m’attend.
Je me sens vivant.
C’est la faim.
Le monde mousse.