Une société sans guerre

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Une société sans guerre
Une société sans guerre
Une société sans guerre est parfaitement concevable aujourd’hui. Elle
serait même à portée de la main si les idées reçues en matière de sécurité et de
« défense nationale », et les politiques qui en résultent, n’étaient encore
profondément archaïques et inadaptées. C’est dire que la disparition de la guerre
comme moyen de relations internationales dépend des idées que nous en avons.
La question est donc de savoir si ces idées peuvent être changées, modernisées
et devenir plus efficaces que celles qui règnent encore.
Les idées reçues.
Les arguments en faveur de l’éternité du phénomène « guerre » sont sans
doute très impressionnants.
Tous les États, et en particulier les principales puissances, continuent
d’entretenir des armées puissantes et sophistiquées. Les politiques étrangères et
de sécurité ont encore pour objet, comme au XIXe siècle, la protection des
frontières des nations. Le monde connaît aujourd’hui un grand nombre de
guerres qu’il semble impossible d’arrêter. Le conflit israélo-palestinien s’est
soudain aggravé et entraîne des destructions dans toute la région et l’insécurité
permanente en Israël et dans les territoires palestiniens. Les guerres civiles se
développent en Irak, en Afghanistan, au Sri Lanka, en Colombie, en Somalie, au
Soudan, en Côte d’Ivoire, et dans de nombreux autres pays. Les attentats
terroristes continuent de menacer les pays développés. L’extension de quelques
uns de ces conflits, par exemple au Moyen Orient, à la Syrie et à l’Iran, reste
menaçante. Enfin l’idée de guerre préventive reste très présente dans la politique
américaine. Pourquoi pas demain la Corée du Nord ou tout autre pays dont
l’armement et le comportement pourraient sembler dangereux ? Tout se passe
comme si, en laissant ce climat de guerres se développer, on risquait, sans
autrement s’en inquiéter, de s’orienter vers une quatrième guerre mondiale.
La transformation de cette situation peut donc paraître impossible. Les
efforts de « maintien de la paix » ou de « rétablissement de la paix », sous
l’égide de l’ONU ou de l’OTAN sont dérisoires et inefficaces. Le « Livre blanc
français » de 1994, publié sous un gouvernement Balladur, constate, pour
commencer son analyse, que « pour la première fois dans l’histoire, la France
n’a plus de menaces auprès de ses frontières ». Une telle constatation aurait pu
et dû conduire à une révision fondamentale de notre politique militaire. Or le
même livre blanc continue de préconiser la même politique de financement et
d’entretien du même type d’armée. En contradiction avec sa première
affirmation sur la disparition des menaces, il justifie sa position par la dispersion
dans le monde de territoires appartenant à la France, et par le fait que le monde
est plein de périls qui pourraient concerner les intérêts de notre pays.
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La thèse est donc qu’en raison de l’imprévisibilité de la situation
mondiale, il faut continuer de conserver une réponse militaire. En d’autres
termes, on ne sait jamais : les menaces peuvent venir d’ailleurs, il ne faut surtout
pas « baisser la garde » et il est du devoir de tout responsable politique de
maintenir une armée moderne et sophistiquée capable de répondre à tout ce qui
peut mettre en question l’indépendance du pays.
Cette philosophie, qui se croit réaliste, s’appuie sur l’expérience de plus
de 6 000 ans d’histoire. Elle a été formulée depuis longtemps dans trois
proverbes : « Si tu veux la paix, prépare la guerre », « Il y aura toujours des
guerres » et enfin la célèbre formule de Clausewitz : « la guerre est la
continuation de la politique par d’autres moyens ». C’est ce que l’on appelle « la
sagesse des nations ». Cette vision des choses a aussi des fondements
sentimentaux profonds : la tradition de respect pour les défenseurs de la patrie,
combinée d’ailleurs avec l’admiration pour les « grands conquérants » du passé
qui ont assuré la “gloire de la France” ou celle de l’Angleterre ou de tout autre
grand pays. L’identité nationale se confond donc dans les esprits et dans les
cœurs avec sa volonté de défense. Une armée moderne et forte semble
indissociable de la notion même de patrie. Et ceux qui oseraient critiquer une
telle vision des choses risquent fort d’être accusés soit de lâcheté soit de
trahison.
Ainsi donc la tradition, les sentiments identitaires, le patriotisme, l’idée
que l’on se fait du courage au combat, la conviction qu’il faut “être réaliste” se
combinent pour maintenir, quels qu’aient pu être les changements, les politiques
de défense nationale qui ont été conduites dans le passé, même si elles risquent
de conduire à des résultats de même type dans l’avenir. Aucun effort n’est fait,
ni ne paraît même possible, pour essayer d’identifier les types de menaces qui
peuvent subsister, ni pour inventer une réponse adéquate. Nul ne semble
imaginer que les menaces nouvelles sont très différentes de celles qui ont existé
dans le passé, ni qu’elles requièrent une réponse plus politique que militaire, ni
que, s’il faut encore une réponse militaire, elle puisse exiger une révision totale
des moyens de défense.
En d’autres termes les transformations fondamentales qui se sont
produites dans la seconde moitié du XXe siècle dans la conception de la sécurité
internationale semblent tout d’un coup oubliées. L’appel solennel que le général
Eisenhower, qui était orfèvre en la matière, a lancé à son peuple, en quittant la
présidence des États-Unis, contre les dangers que représentait ce qu’il a appelé
le « complexe militaro-industriel », n’a pas été entendu. La politique des ÉtatsUnis d’Amérique a en effet consisté, après le démantèlement de l’URSS à
mettre à l’écart le processus de négociations de la CSCE, qui avait conduit à
accepter une réduction importante des armements, et à renforcer l’OTAN. En
transformant la CSCE en une organisation permanente (OSCE) on a en fait
supprimé le processus de négociation qui avait donné de brillants résultats et on
l’a confiné en des activités secondaires (contrôle d’élections, droits de l’homme,
médiations dans de rares cas). En renforçant l’OTAN on a redonné aux
militaires et au développement des armements le rôle principal.
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Et ce retour en arrière vers le militarisme traditionnel a été suivi par les
Européens, à qui les Américains ont même réussi à donner mauvaise conscience
en les accusant d’être un “nain militaire” par comparaison avec la toute
puissante armée des États-Unis. Ce tour de force a même été complété par
l’invention d’un nouvel ennemi ; “Nous vous avons privé d’ennemi” avait dit
aux Américains un politologue soviétique Arbatov au temps de la politique
Gorbatchev. Les budgets militaires risquant de beaucoup souffrir d’une telle
absence, il était urgent d’en réinventer un. Les attentats du 11 septembre ont
facilité la tâche des militaristes. Et c’est ainsi qu’est né le “terrorisme
international”. En le présentant comme une organisation unique, démoniaque et
qui a juré la mort de la civilisation occidentale (Al Quaida), on a parfaitement
remplacé l’ancien “communisme international” et il est possible de retourner à
la course aux armements et à la prospérité des marchands d’armes ; on n’a
même pas besoin de se demander si les armes produites (chars, avions, ou
missiles) peuvent avoir quelque efficacité contre des attentats de kamikazes, ni
de se préoccuper de savoir si les attentats ne sont pas les fruits des fanatismes les
plus divers provoqués par la misère, l’ignorance, le désespoir, et l’arrogance
même des occidentaux.
Il a été ainsi très facile de manipuler des esprits qui ne demandaient en
quelque sorte qu’à retourner au confort intellectuel des idées reçues. Pour lancer
la guerre en Irak l’administration américaine a cru toutefois nécessaire de
recourir au mensonge d’État en affirmant que le dictateur Sadam Hussein
détenait des armes de destruction massive ce qui s’est révélé entièrement faux.
Mais la découverte de ce mensonge n’a pas empêché le Congrès américain de
voter plus de 400 milliards de dollars de crédits pour une guerre qui se révèle un
désastre absolu, mais un pactole pour le complexe militaro-industriel.
En définitive les idées reçues et les politiques qui en résultent peuvent
donc sembler assurer pour longtemps encore un « bel avenir » à la guerre.
La marche lente mais irrésistible vers la paix.
En fait cette vision du problème relève d’un faux réalisme et ignore la
nature même du changement qui est en train de se produire au sein de la société
mondiale. La phase de militarisme que nous vivons aujourd’hui, ne représente
que les derniers sursauts d’une philosophie périmée. L’influence des idées
archaïques des États-Unis d’Amérique est déjà déclinante et l’adoption d’une
philosophie nouvelle est en train, lentement mais sûrement de remplacer celle
qui règne encore. La fin de l’ère militaire est sans aucun doute une très grande
révolution, mais elle est maintenant devenue inévitable.
C’est en Europe que cette nouvelle approche du problème de la sécurité
est née, en raison de la nécessité pour les Européens de tirer les leçons des deux
guerres mondiales. Cette nouvelle philosophie politique de la sécurité a été
inventée et mise en pratique par Jean Monnet dans les années 1 945 – 1 950.
Robert Schuman, de Gaulle, Adenauer et quelques autres hommes politiques ont
confirmé cette orientation qui consistait essentiellement à chercher à s’attaquer
aux causes des guerres afin de les éviter. Au lieu de toujours préparer la guerre
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pour avoir la paix, elle cherche au contraire à “préparer la paix en supprimant les
causes du recours à l’agressivité”. Et ce faisant elle a fait faire de grands progrès
dans la connaissance de ces causes de guerre et dans les méthodes qui devraient
permettre de les éviter.
Il est sans doute normal qu’une approche aussi nouvelle et aussi
révolutionnaire ait rencontré d’énormes obstacles avant d’être adoptée, et
notamment ceux dressés contre elle par les intérêts investis dans les appareils
militaires, ainsi que par la paresse d’esprit. Mais les conditions de sa naissance
et de ses premiers succès démontrent comment elle a pu renverser les obstacles
qui ont été dressés contre son développement.
C’était évidemment un acte politique de première grandeur que de
commencer à lancer entre 1945 et 1950 la construction d’une entité
supranationale en Europe. Cette tentative reposait sur la conviction que les
guerres en Europe avaient été dues pour l’essentiel aux frustrations identitaires
subies par les peuples, qu’il fallait créer une situation telle qu’elles ne puissent
plus se reproduire, et que cet objectif était accessible en organisant la
coopération entre nations sur un pied d’égalité. Cette vision des choses
s’opposait à la philosophie dite de « sécurité collective » que l’on tentait par
ailleurs d’instituer dans le cadre de l’ONU, et qui fondée sur la répression
militaire des agressions, devait démontrer très rapidement son inefficacité
absolue. Au contraire, comme l’on sait, l’établissement de la Communauté puis
de l’Union européenne a eu pour effet, alors même que cette construction n’est
pas terminée, de transformer en zone de paix un continent dont les dissensions
avaient depuis plus de mille ans produit d’innombrables guerres, dont
notamment les deux guerres mondiales. Les risques de guerre entre les “grandes
puissances” européennes, aussi bien qu’entre de plus petits pays ont disparu. Le
livre blanc de 1994 déjà cité a raison : aucun pays européen n’a plus désormais
de menaces auprès de ses frontières. Les vœux des poilus de 1914-1918 qui
avaient voulu que la première guerre mondiale soit la dernière des guerres ont
été enfin réalisés, avec une guerre mondiale de retard. Il est difficile de dire qu’il
ne s’agit pas d’une révolution. Jean Monnet et ceux qui l’ont suivi ont réalisé ce
prodige incroyable, longtemps considéré comme utopique.
Cette nouvelle sagesse européenne ne s’est sans doute pas étendue
immédiatement au reste du monde, mais en fait tous les pays développés ont
adopté les uns à l’égard des autres des politiques de paix qui durent depuis 1945.
Les peuples riches n’ont plus envie de se faire la guerre, ni d’en subir les
dévastations et les millions de morts. Ils aiment davantage construire que
détruire. Et la notion de “conquête territoriale “est devenue ridicule. Cette
conséquence de la prospérité économique est aussi une révolution qui mérite
quelque attention. Et ce devrait être aussi un élément important de l’approche
politique de la paix.
La découverte de l’arme nucléaire a aussi entraîné une transformation
fondamentale des mentalités. Les chercheurs qui avaient mis cette arme au point
avaient pensé qu’elle rendrait la guerre impossible. Niels Bohr disait en 1943 :
« la nouvelle arme exigera de l’humanité de transcender son habitude ancestrale
de faire la guerre” ». et Bunch Brodie écrivait en 1946 : « Jusqu’à maintenant,
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les objectifs essentiels de l’establishment militaire ont été de gagner les guerres,
dorénavant l’objectif sera de les éviter ». Ce n’est pas exactement ce qui s’est
passé, mais cette arme a eu pour effet non négligeable d’empêcher la
transformation de la guerre dite “froide” entre l’Est et l’Ouest en une guerre
véritable. Elle a même suscité l’invention de processus nouveaux de négociation
entre ennemis, qui, eux aussi, ont été éminemment révolutionnaires. Il y a
d’abord eu les accords dits de “maîtrise des armements”. Ces accords (entre les
États-Unis et l’URSS) de 1972 (SALT I (ABM)) et de 1979 (Salt II) limitaient
non seulement le nombre des missiles intercontinentaux porteurs d’armes
nucléaires que chaque partenaire pouvait entretenir, mais limitaient aussi les
moyens de défense contre ces missiles. Ils prévoyaient enfin la vérification de
leur observation par des “moyens techniques nationaux” (c’est-à-dire par les
satellites d’observation). Il s’agissait du premier renversement du principe du
secret de l’information sur les activités de l’adversaire. Il s’agissait avant tout
d’éviter qu’un accident de déclenche la terreur nucléaire.
Ce que l’on a appelé la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en
Europe (CSCE ou processus d’Helsinki) est venu accroître encore l’ensemble
des mesures de protection contre l’éventualité d’une guerre. Ces négociations,
engagées dans le scepticisme le plus général à Helsinki en 1972, entre tous les
pays des deux camps et non plus seulement entre leurs deux leaders, ont été
poursuivies sans discontinuité pendant un quart de siècle et ont abouti à détruire
les principes sacrés de la souveraineté absolue, du secret en matière militaire, et
de la guerre comme moyen normal de la politique. Ces négociations ont eu pour
originalité :
 de définir le type de gages que l’on pouvait se donner mutuellement
dans le domaine de la sécurité militaire, mais aussi dans ceux des droits
de l’homme et de l’économie (c’est ce que l’on a appelé les trois
corbeilles),
 d’instituer des « mesures de confiance et de sécurité », militairement
significatives, politiquement contraignantes, vérifiables et applicables
dans une zone s’étendant de l’Atlantique à l’Oural. Ces mesures
comportaient la notification quarante deux jours à l’avance de toute
activité militaire impliquant plus de 13 000 hommes ou 300 chars de
combat, l’échange de calendriers annuels d’activités militaires,
l’institution de mesures d’inspection sur place, l’invitation
d’observateurs aux manœuvres, etc. Il s’agissait donc de démontrer que
l’on n’avait réciproquement que des intentions pacifiques.
Cette nouvelle approche, qui consistait à continuer d’entretenir des
appareils militaires puissants et sophistiqués, mais en faisant en sorte qu’ils ne
puissent pas être utilisés les uns contre les autres, devait naturellement conduire
à prendre au sérieux la réduction des armements. Et c’est effectivement ce qui
s’est passé, à partir de 1985, avec l’arrivée de Michaël Gorbatchev au pouvoir.
Entre 1986 et 1995 ont été signés une dizaine de traités de réduction des
armements dont l’énumération complète serait fastidieuse, mais qui portaient sur
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la réduction, atteignant 30 puis 60 %, des charges nucléaires à usage stratégique
(START I et START II), sur le retrait d’Europe de toutes les armes nucléaires
tactiques, sur la réduction des armes conventionnelles en Europe (FCE), sur
l’interdiction des armes chimiques, sur le survol réciproque par des avions de
reconnaissance non armés des pays de l’OTAN et du pacte de Varsovie (traité
Ciel Ouvert), etc.
Il est difficile de contester que le développement de cette culture de
vérification réciproque, de coopération dans tous les domaines et de réduction
des armements représente une révolution totale dans les relations entre les
peuples. Il était même prévu, et il eut été normal, qu’elle s’étende à l’ensemble
du monde : d’où les projets d’établir une Conférence sur la sécurité et la
coopération en Méditerranée (CSCM) et la proposition de Michaël Gorbatchev
d’en faire autant pour l’Asie (CSCA). Ainsi en 1995 on aurait pu espérer que la
marche vers la paix mondiale, c’est-à-dire ers la civilisation allait se poursuivre
pour le bonheur de l’humanité.
Comme nous l’avons dit ci dessus, cette marche a été interrompue par
l’archaïsme des conceptions américaines à ce sujet, sous l’influence du
complexe militaro-industriel. Les illusions sur le « maintien de la paix par la
force » continuent de régner à l’ONU et ailleurs. L’un des arguments des
manipulateurs qui préconisent la course aux armements est que nous serions
entrés dans une “guerre des cultures”. En diabolisant l’ensemble des peuples
islamiques, on conforte ainsi et on étend l’image de ce nouvel ennemi dont les
marchands d’armes ont besoin. L’on peut encore croire, au vu de la politique de
l’administration Bush au sujet de la prolifération nucléaire, que nous sommes
entrés dans une nouvelle période de “montée des périls”, très comparable à
celles qui se sont conclues dans l’histoire par des cataclysmes.
C’est donc de l’Europe que dépend en définitive le sort de la paix. Mais
ce serait une erreur de croire qu’elle n’a aucune chance de faire accepter sa
nouvelle philosophie au niveau planétaire.
Un renversement des politiques étrangères actuellement suivies est en
effet probable parce que les échecs des politiques militaristes ne peuvent qu’en
démontrer l’absurdité. Les raisons pour lesquelles le combat pour la paix sera
finalement gagné sont les suivantes :
1. La nature des menaces par rapport au siècle précédent a complètement
changé. Il n’y a plus aujourd’hui, comme nous l’avons vu, de menaces de
guerre entre pays développés. Les guerres qui se poursuivent sont toutes
situées dans le Tiers-monde et proviennent soit d’oppositions tribales, soit
de la misère et de l’exploitation, soit de l’agressivité des pays riches, soit
de ces causes combinées. Et s’ajoute à tout cela le risque majeur encore
sous estimé de la pression migratoire que les masses pauvres exercent
aujourd’hui sur les pays riches. Les chiffres à cet égard sont
incontestables : il existe aujourd’hui 6 milliards de pauvres contre
1 milliard de riches, il y en aura 7 en 2 020 et 8 en 2030, alors que le
nombre des riches ne sera pas accru.
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2. Il n’est pas plus difficile de résoudre le problème de la paix au niveau
planétaire aujourd’hui que ne l’a été celui de la paix en Europe au
lendemain de la deuxième guerre mondiale. Les échecs répétés des
politiques actuelles en Irak, au Moyen Orient, en Afghanistan, en
Colombie et ailleurs finiront, s’ils se poursuivent ou s’aggravent, par
ouvrir les yeux de quelques hommes d’État.
3. L’expérience historique a permis de découvrir que :
 ce sont les frustrations identitaires qui conduisent les peuples aux folies
collectives et à la violence ; c’est quand les peuples se sentent méprisés
ou injustement traités qu’ils cherchent des compensations dans les
régimes forts et l’agressivité,
 c’est la pauvreté et l’ignorance qui engendrent les fanatismes, - la
prospérité au contraire rendant les peuples plus pacifiques parce qu’ils
ont d’autres champs d’ambition que la guerre et la conquête,
 le résultat le plus évident de l’inégalité entre pays riches et pays pauvres
est l’énorme pression migratoire qui continue de grandir. L’attraction
irrésistible que la richesse des pays développés exerce sur les masses de
l’Afrique, de l’Amérique latine et de l’Asie va s’accroître de façon
exponentielle. C’est une illusion absolue que de croire que la protection
des frontières et le renvoi dans leurs pays des immigrants pourront
permettre d’arrêter ces flux. Il suffit de consulter les prévisions
démographiques pour s’en convaincre,
 les véritables menaces proviennent de ces effets combinés.
 l’accroissement de l’aide aux peuples pauvres, seule solution au
problème de l’invasion migratoire -, pourrait être facilement permis par
les économies qui seraient réalisées par la réduction négociée des
armements
4. Les idées soutenues surtout par les États-Unis au sujet de la sécurité sont
simplement en train de devenir ridicules. Il n’est évidemment pas vrai que
les occidentaux et les États-Unis d’Amérique en particulier soient plus
sages que les autres pays parce que plus puissants. Le traité de nonprolifération nucléaire est l’exemple le plus clair de ce genre de stupidité,
selon laquelle : seuls les pays riches auraient le droit de détenir l’arme
atomique, parce qu’ils seraient les seuls capables de résister à la tentation
de s’en servir. L’attitude aujourd’hui à l’égard de l’Iran à ce sujet comme
si l’on voulait oublier qu’il est un grand pays, héritier d’une grande
civilisation, est caractéristique de ce genre d’arrogance qui ne pourra
évidemment pas perdurer.
5. Il en ira de même de l’absence de considération à l’égard des autres
cultures qui se manifeste par la faiblesse des efforts faits pour les
comprendre et pour engager avec elles le dialogue indispensable pour
trouver les bases d’un consensus minimum sur le rôle des religions, la
tolérance réciproque et la laïcité des États. La diabolisation de l’Islam qui
tente de s’imposer aujourd’hui en Occident deviendra inévitablement à la
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fois ridicule et odieuse. L’imposition de politiques économiques contraires
au développement des pays pauvres, qui est aussi caractéristique de
l’attitude de l’Occident aujourd’hui, démontrera rapidement son
irrationalité. Les politiques poursuivies dans les négociations de l’OMC,
les politiques d’ajustement toujours recommandées par le FMI, le
triomphe incontesté du néolibéralisme au niveau international vont à
l’encontre des besoins des pays en développement et de l’éradication de la
pauvreté et de l’ignorance que l’hypocrisie officielle persiste à prétendre
poursuivre. Un renversement de ces politiques s’avérera nécessaire
inévitablement.
L’hégémonie politique et militaire des États-Unis a atteint en effet ses
limites. De nombreux pays européens et non des moindres ont déjà refusé
à s’associer à la guerre en Irak, et ceux qui ont cru devoir le faire
commencent à retirer les troupes souvent symboliques qu’ils avaient
envoyées. Les politiques d’agression contre l’Iran et la Corée du Nord sont
contestées par de nombreux pays, ce qui rend difficile de les mettre en
œuvre. La politique américaine au Moyen Orient a démontré jusqu’ici son
inefficacité. L’Amérique latine enfin conteste de plus en plus le
colonialisme des États-Unis. Il est banal de constater que le monde
unipolaire issu de la fin de la guerre froide est en train de céder la place à
un monde multipolaire dans lequel il sera indispensable de résoudre les
problèmes planétaires – sécurité, environnement, commerce, économie par
la négociation et non par la force. Cette direction collective de la planète
devra inventer des institutions et des méthodes nouvelles pour y faire face.
L’élection de Barak Obama laisse espérer une réorientation vigoureuse
dans la bonne direction
Ce retour à une véritable sagesse, c’est-à-dire à la philosophie politique de
la paix, n’exige guère au surplus que des mesures relativement faciles à
imaginer : élargir le G8 aux grands pays du tiers-monde et en faire un
instrument sérieux de négociation, tripler l’aide publique au
développement, créer et développer des instances de discussion et de
compréhension réciproque entre cultures, redonner vie à des procédures de
confiance réciproque du type Conférence sur la sécurité et la coopération
(CSC.) dans les diverses régions du monde, poursuivre avec quelque
résolution la construction d’un super-Etat européen, internationaliser de
plus en plus les appareils militaires, en créant en particulier une véritable
armée européenne, reprendre la réduction des armements au niveau
mondial, en résumé adopter un comportement de confiance au lieu de celui
de méfiance qui règne actuellement.
Il ne fait aucun doute que le complexe militaro-industriel s’opposera à
cette évolution. Le plus grand danger pour la paix aujourd’hui est
évidemment l’armée américaine dont l’énorme puissance ne peut
s’accommoder d’un monde sans guerre. La fin de l’ère militaire exigera
beaucoup de prudence, et ne se fera pas sans mal.
C’est pourquoi les esprits qui se croient “réalistes” pensent qu’une telle
évolution n’a aucune chance de se produire, mais ils ont tort. Les « voix
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qui crient dans le désert » et les utopistes ont finalement souvent eu raison
dans le passé. Jean Monnet était un utopiste, ainsi que ceux qui croyaient
possible, il y a à peine un demi-siècle, la décolonisation. Il n’y a aucune
raison pour que la marche en avant vers la paix, c’est-à-dire vers la
civilisation, déjà sérieusement amorcée, ne reprenne pas demain. Un retour
au bon sens, actuellement oublié sous l’influence maléfique de l’archaïsme
des États-Unis est donc parfaitement possible. Il dépend de chacun d’entre
nous qu’il s’effectue.
Les seuls ennemis à combattre sont le sentiment ridicule et archaïque de
supériorité de l’Occident, et son égoïsme de nouveau riche. Mais il est possible e
penser que le combat pour leur destruction mobilisera suffisamment de bons
esprits pour que la victoire soit assurée.
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