doc-phono-fr-445
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«Le souffle du doudouk» Դուդուկի շունչը Araïk BARTIKYAN Արայիկ ԲԱԽՏԻԿՅԱՆ Arménie Araïk BARTIKYAN Ara Bartikian est né en 1962. Son grand-père Ousta Haïrik, était un maître de la région de Sévan, joueur de doudouk, zourna, sering et clarinette. Son père, Serioja, tenait le bourdon lorsque son grand-père jouait. Ainsi, il a grandi dans une atmosphère musicale, où le son des instruments à vent était omniprésent. Ses parents l’encouragent à prendre des cours d’accordéon dont son oncle paternel jouait. Mais ses attirances sont ailleurs et, à douze ans, il apprend tout seul à jouer du shevi (flûte à bec) et c’est sa mère qui l’incite à découvrir le doudouk. A seize ans son grand-père l’amène auprès du grand maître Djivan Gasparian, qui habitait le même quartier. »Tu joues bien, mais il faut réapprendre toutes les bases » lui annoncent-t-il. Au début, pour travailler la souplesse des lèvres, c’est lui qui tient l’instrument et Araïk qui souffle. Ainsi débute des années d’apprentissage auprès de celui qui restera son seul maître. En 1982 il est admis au Conservatoire Komitas de Erevan dirigé par Ghazaros Sarian et dont le responsable de la section des instruments traditionnels est Khatchadour Avédissian. Il y reçoit une formation classique complète (harmonie, contrepont, musique d’ensemble) et obtient son grand prix en 1987 avec une pièce de Komitas pour harpe et doudouk. C’est la période du démantèlement de l’Union Soviétique et de tous les ensembles d’Etat où se sont produits des générations de musiciens traditionnels. Au carrefour des transformations politiques de son pays, tout juste sorti du conservatoire, avec une solide formation de l’école musicale soviétique, il n’eut pas l’occasion de pratiquer la musique traditionnelle en grande formation. Cela contribuera à forger sa personnalité musicale et le place à l’avant-garde des nouvelles générations d’instrumentistes. Sa première participation à un ensemble est au sein de Piunik dans les années quatre-vingt-dix, sous la direction de Krikor Arakélian, violoncelliste, compositeur et arrangeur, qui instaure une véritable réappropriation du patrimoine musical traditionnel. Pour le festival de Kiev en 1991, Avet Terterian le choisit pour interpéter sa troisième symphonie (pour orchestre symphonique, doudouk, et zourna, créée avec Djivan Gasparian en 1975). Il a depuis donné plusieurs fois cette œuvre, en concert ou au disque et a multiplié les collaborations avec des compositeurs contemporains. Il a joué notamment sous la direction de Mourad Annamamedov, John Carewe, Hans Leenders, Diego Masson, Perre Dominique Ponnelle, Pascal Rophé, Alexandrer Slatkowski, Volodymyr Sirenko, Edouard Topdjian, …. Durant ces dix dernières années, Ara Bartikian à donné de nombreux concerts au sein de différentes formations tels que Musicatreize, The Gorgian Polyphonic Banquet (avec l’ensemble Anchiskhati et G. Mouradian), Trio Chemirani…. Et c’est en 2006, qu’il remporte le 1 er Prix au Festival International d’Eisteddod avec l’ensemble Ochagan dirigé par Krikor Arakélian. Son nouveau spectacle Dans « Monodiques », son nouvel album solo, Ara Bartikian propose un répertoire couvrant un large panorama des possibilités expressives du doudouk : mourams de source iranienne, pièces transposées de la liturgie, improvisations pures ou compositions contemporaines. Le mouram iranien est une grille d’improvisations réglées sur un mode donnée. Il a diffusé au cours des siècles dans toute la région, et à chaque peuple y a apporté sa propre couleur [1]. Beaucoup de chants populaires arméniens sont dédiés aux travaux des champs. Ici ce chant de la région de Lori a été relevé par Komitas (1869-1935) au début du XXe siècle [2, Loru Koutan Yerk], comme cet hommage à celles qui ramènent le pain aux champs [12, Koutan hats yém péroum]. La grande lignée des troubadours du Caucase reste marquée par la figure de Sayat-Nova (1717-1795) [3]. Les pièces transposées de la liturgie ou d’inspiration mystique sont particulièrement bien adaptées au jeu du doudouk par leur essence monodique [9,11]. Avet Terterian (1929-1994) a été le premier compositeur contemporain à réserver des voix aux instruments traditionnels au sein de l’orchestre symphonique [8]. Krikor Arakélian a exploré toutes les époques de la musique arménienne, et en particulier les plus anciennes ; il en assure une continuité dans une coloration bien actuelle [10]. Dans sa pièce Seeman Orchesterlied III, le compositeur Torsten Rasch juxtapose doudouk voix et orchestre ; ici ses thèmes réapparaissent en variations dans Achraroum [3]. L’instrument Le doudouk est un hautbois à tuyau cylindrique fait en bois d'abricotier ou de mûrier et percé de huit trous. L'anche double, « ramish » en roseau, est volumineuse et se fixe à l'extrémité du tuyau. Le musicien place la hanche entre ses lèvres, et l’on obtient un seul mode vibratoire, ce qui limite la tessiture du doudouk à une octave et une tierce. Cette anche est munie d'une bague permettant de jouer en faisant varier son ouverture, ainsi que d'un bouchon qui permet de refermer l'anche et donc de lui conserver sa forme quand on ne joue pas. Il existe plusieurs sortes de doudouk, suivant la longueur du corps qui varie de 25 à 40 cm environ. Le son du doudouk est grave et chaud et rappelle un peu celui de la clarinette dans le registre bas ou du cor anglais. Le doudouk est l'un des instruments les plus répandus en Arménie. Le doudouk est le plus authentique des instruments traditionnels arméniens, il a été classé par l’UNESCO « patrimoine immatériel de l’humanité » en septembre 2005. Le répertoire La musique liturgique L’adoption du christianisme en Arménie au Vème siècle, la création de l’alphabet et de la traduction de la Bible en arménien sont à l’origine du riche répertoire liturgique composé de chants, d’hymnes, de cantiques. Le Grabar, la langue arménienne classique devient le point de départ d’une littérature accompagnée du développement d'une tradition de musique liturgique spécifique. A l'origine, la musique sacrée était chantée à une voix, à l'unisson, en terme musical monodique, au fil des siècles elle deviendra polyphonique. Les plus anciennes références sur la notation arménienne datent du Ve siècle. Les Charagans (Xème siècle) sont organisés en modes qui répondent à des formules mélodiques particulières. Le système de notation des neumes a été transcrit par le révérend Père Komitas, éminent compositeur et ethnomusicologue. La musique traditionnelle Le doudouk est instrument d'orchestre et surtout instrument soliste. On le trouve dans tous les genres du répertoire : dans la chanson paysanne proprement dite faite de légendes, de chants d'amour, de labeur, d'émigrés, de mariage, chants accompagnés de danses... dans les chansons citadines, il accompagne ou remplace la voix. Une manière traditionnelle consiste à jouer la mélodie sur un doudouk tandis qu'un second doudouk effectue un "bourdon" (note tenue, appelée "dam"). Dans l’usage populaire, le doudouk est présent pour chaque événement familial ou sociétal. Pour l’accompagnement des chants de troubadours (Goussans puis Achoughs) qui ont circulé dans tout le Proche-Orient à partir du XVIIème siècle. Il semblerait qu’au fil des âges, le doudouk soit resté un véritable instrument traditionnel du terroir, essentiellement joué par les bergers ; les troubadours ne l’auraient utilisé que tardivement. Le doudouk est aujourd’hui l’instrument emblématique de la musique arménienne. La musique contemporaine Avet TERTERIAN (1924-1994) incarne aux yeux de toute une génération de musiciens arméniens l’audace et l’inventivité de l’acte créateur dans un contexte politique de République socialiste soviétique plutôt « répressif. Son œuvre est reconnue et appréciée autant dans le domaine de la musique traditionnelle que dans le domaine de la musique contemporaine, où elle s’inscrit dans une certaine forme d’avant-garde. En effet, sa musique emprunte au folklore par le biais des instruments traditionnels ; ceux-ci sont utilisés pour la richesse de leurs timbres et pour générer un univers sonore particulier, et non comme processus de création en tant que tel, ou comme expression purement « folkloriste ». Sa musique évoque autant les steppes d’Asie Centrale que les hautes montagnes d’Arménie. La Troisième Symphonie d’Avet TERTERIAN a été composée en 1975. Créée, interprétée, et également enregistrée dans les pays de la CEI, (Arménie, Ukraine, Russie) elle a été jouée récemment en Hollande et en Allemagne, avec comme soliste, le musicien Araïk BARTIKYAN accompagné par de prestigieux orchestres, comme par exemple le London Symphonieta. La presse en parle… Le doudouk à l’heure de la musique contemporaine. Musicatreize et Araïk BARTIKYAN dans une création de Philippe Gouttenoire Depuis longtemps le doudouk est considéré comme l’instrument incontournable de la musique traditionnelle arménienne. Depuis quelque temps il hante également les studios où la « world music » s’essaye à tous les mélanges. Mais son potentiel musical et expressif le destine à des développements bien plus enrichissants. Ainsi Philippe Gouttenoire a composé une pièce pour seize voix et doudouk sur le poème de Kévork Témizian (1945-1999), « Tes mots… ». Cette œuvre a été donnée en création mondiale à Marseille le 5octobre dernier, par le groupe vocal Musicatreize sous la direction de Roland Hayrabédian avec Araïk BARTIKYAN comme soliste au doudouk. Philippe Gouttenoire (né en 1962 à Lyon) a notamment reçu l’enseignement du remarquable organiste-improvisateur Raffi Ourgandjian puis de Gilbert Amy avant de suivre les séminaires de Klaus Huber ou György Kurtàg. Il s’est très vite ouvert aux musiques extra-européennes avec les cours d'ethnomusicologie de Jean-Louis Florentz. Il définit ainsi les enjeux de sa nouvelle composition : «Comment mêler cet instrument traditionnel multimillénaire, à un ensemble de seize voix ? Comment rendre cette rencontre fertile, non décorative, sans exotisme facile ? Sans non plus réduire l'étrangeté, la distance ? Laisser l'instrument être lui-même tout en modelant les points de rencontre, un jeu presque sensuel de frôlements, de dialogues… Son écriture, qui intègre une part d'improvisation propre aux musiques traditionnelles, ambitionne un peu cette action démiurgique que le poème interroge : "Tes mots peuvent-ils…". Car le texte aussi nous parle de la diversité, du pluriel spatial et temporel, de tout ce qui sépare et disperse. Cette multiplicité, qui peut mener à l'éparpillement, au chaos, peut aussi construire une universalité, une rencontre humaine à travers la communauté des sentiments : "le globe terrestre, tel un coeur brûlant". » C’est Araïk BARTIKYAN qui a assuré la partie de doudouk lors de cette création. Il vient de signer un disque fascinant où le doudouk apparaît en solo absolu (sans aucun bourdon, « dam ») dans un répertoire qui va du Xe au XXe siècle : « Monodiques » (label Emouvance). Au cours de ces deux concerts, on aura pu également entendre le chœur Musicatreize sous la direction de Roland Hayrabédian qui abordait pour la première fois des pièces de Komitas : un véritable renouvellement de ce répertoire avec – enfin diront certains, hélas diront les autres ! - une interprétation qui s’en tient à la partition évacuant tout le « pathos » qui a fini parfois à éloigner ces musiques de leur véritable essence. À rapprocher de la troublante recréation de Tigran Mansurian. Autant d’expériences qui revivifient enfin ce qu’il est convenu d’appeler la musique « traditionnelle » arménienne, la libérant du simple cadre figé du témoignage patrimonial. Discographie ARMENIE Sources, volume 1 Avec Yéghiché MANOUKIAN, Gaguik MOURADYAN, Collection «Musiques du Monde» 1994. N° 92610-2 Araïk BAKHTIKYAN duduk Armenian traditional instruments Muse-Art Production Ltd. MAP 0022 Armenia 2000 MUSIC FROM TAJIKISTAN GEORGIA AZERBEIJAN Avet TERTERIAN Arte Nova Classics 2003 Dresdner Sinfoniker 476 126 -3 MEIN HERZ BRENNT Torsten Rasch Orcheterlieder nach Texten und Musik der Gruppe Rammstein MONODIQUES Doudouk solo Emouvance N° 1024 / 2006 Trip to Anatolia Orchestre Symphonique de Dresden Dresdner Sinfoniker ECM / Sortie Mondiale Juin 2012 Double coffret CD - DVD ARMENIA