Rouge-Gorge, ne me quitte pas ! Cela fait dix jours que

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Rouge-Gorge, ne me quitte pas ! Cela fait dix jours que
Rouge-Gorge, ne me quitte pas !
Cela fait dix jours que Matthew a disparu.
Mon geôlier mystérieux, un slave qui s’appelle Emir, s’assure que je ne manque de rien, j’ai
de l'eau, de la nourriture, des couvertures. Il possède le charme de l'étranger, avec ses yeux
d'un bleu profond, de celui qui fait battre mon cœur. Il parle peu mais agit beaucoup.
Aujourd'hui, il m'a même permis de prendre une douche chaude.
Pendant que je prenais ma douche, je savais qu'il me regardait, derrière la porte, à travers le
judas. Comment je le sais ? Parce que je sentais ses yeux sur moi tout le temps. Je suppose
qu'il a même eu une érection, excité à la vue de mon corps nu et sans défense, tout mouillé et
enchaîné.
Mais il n'a pas dit un mot quand il est venu me chercher. Je crois qu’Emir joue le rôle de
geôlier protecteur, tandis que Matthew est plutôt celui qui pose problème, celui qui ne me
respecte pas.
Matthew, le grand lâche, celui qui est venu vers moi par hasard, en disant qu’il voulait être
mon petit ami ; celui de qui je suis presque tombée amoureuse, avant que tout cela n’arrive.
Je peux dire maintenant que tout était calculé.
Matthew m'a abordé d’une manière tout à fait charmante, petit à petit, pour que je puisse me
familiariser avec lui et que je lui fasse confiance. Il a fait tout cela pour pouvoir me kidnapper
facilement et sans éveiller les soupçons. Après tout, tout le monde à l’université savait que
Matthew et moi sortions ensemble.
Malheureusement, je me suis rendue compte trop tard que c’était un criminel.
Tandis que j’essaie de me souvenir de mon kidnapping, je n’arrive pas à me rappeler
comment tout cela est arrivé. Je ne me souviens pas si Matthew m'a conduite à Emir, ou si
nous avons été interceptés par la voiture d’Emir près de la rivière. Mais je me souviens qu'ils
m’ont donné une drogue et que je me suis évanouie sur le siège arrière.
Plus tard, pendant le trajet en voiture, à l'arrière, je pouvais les entendre parler de mon père et
de la somme qu’il allait leur remettre. Je crois qu’ils pensaient que je dormais. Étourdie par
les médicaments qu'ils me donnaient, je me suis réveillée au bout d’un moment et j’avais
l’impression d’être en plein cauchemar. Quelques heures plus tard, j’ai compris ce qu'il se
passait vraiment.
C’était réel, cette chaîne qui me tient fixée au mur de cette pièce sans fenêtre qui sent la
moisissure et le renfermé est réelle. Cette chambre est une cage, à l'intérieur de laquelle tout
peut arriver dans le noir et dans le silence.
Même si je suis la seule enfant d'une famille riche, mon père est un radin et je sais qu'il fera
tout ce qui est en son pouvoir pour éviter de payer la rançon. Je le connais très bien : il
n’aime pas négocier et il se sent toujours obligé de prouver qu'il est le plus fort. Il lui faudra
beaucoup de temps avant qu'il abandonne et accepte de payer. Si jamais il le fait.
C’est évident que je ne suis pas sa fille. Ma mère me l’a avoué lorsque j’ai eu dix-huit ans,
juste avant sa mort. Mon père le savait depuis le début et cela le rendait aigri, en particulier
parce que cela signifiait que ma mère l’avait trompé.
Depuis sa mort, mon père et moi ne nous parlions plus du tout. Nous n’en avions pas besoin.
Nous nous ignorions tout simplement et ça marchait plutôt bien jusqu’à présent. Mais
maintenant, tout cela est arrivé.
Ça va tout changer. Mes geôliers ignorent tout, bien sûr, je n’ai jamais parlé de ces choses
privées, même à Matthew. Et je peux le dire maintenant, ce n’était probablement pas une
bonne chose. Peut-être que je dois lui dire la vérité sur ma famille. Je dois lui révéler
l’inconfortable vérité.
Mais peut-être que je deviens juste folle. Ma solitude me tue.
Je voudrais parler à Emir, qui lui n’est pas autorisé à parler avec moi, selon les ordres de
Matthew. Il ne m’a jamais maltraitée, il se comporte comme un gentleman ; mais en même
temps, il ne veut pas me libérer. Après tout, il est complice d'un crime et je ne sais pas s’il se
rend même compte de la gravité de la situation.
Le voilà qui arrive ; je peux sentir sa présence derrière la porte de ma cellule, enfin.
« Bonjour », je le salue. Comme toujours, il ne répond pas. Il me tend un sandwich et une
bouteille d'eau, comme il a l'habitude de le faire. C’est la même chose tous les jours.
Je cherche à croiser son regard, dans l'espoir que, à son tour, il finirait par me regarder ; mais
il garde la tête baissée pour éviter tout contact visuel avec moi. Je sais qu'il est attiré par moi,
comme je le suis par lui. « Merci », dis-je.
Il feint l'indifférence, mais je peux sentir son angoisse, même sans paroles. Maintenant, il
atteint la porte.
« Attends ! », je l’appelle. Emir s’arrête à la porte et je retiens mon souffle. Quelques
secondes plus tard, Emir sort, calme et sensuel, de sa démarche féline.
Dans le noir, j’entends le bruit du verrou que l’on tire. Je suis seule, une fois de plus, dans
cette cage sans barreaux.
Je commence à pleurer doucement, comme je le fais tous les soirs depuis dix jours. Je ressens
le même sentiment de malaise que lorsque j’étais enfant, la peur de l'obscurité. Je ne sais pas
combien de temps je vais pouvoir tenir sans parler à personne, sans la chaleur d’un sourire ou
d’un câlin.
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