Triche et plagiat à l`école Triche et plagiat à l`école

Transcription

Triche et plagiat à l`école Triche et plagiat à l`école
Triche et
plagiat à l’école
Les formes de triches scolaires ont
évolué en partie avec les nouvelles
4
Regard
de François Lombard
sur le plagiat
8
Regards croisés
sur la triche
et le plagiat
6
Regard
de François Guénard
sur la triche
9
La bibliographie
de la Documentation
pédagogique
technologies. Dès lors, il semblait
intéressant de traiter le sujet dans un
mini-dossier de rentrée. Avec internet, le
plagiat, forme particulière de la triche,
s’est répandu subrepticement, parfois
sans que les élèves aient conscience de
frauder. Ce dossier incite à réfléchir sur
un sujet relativement tabou.
Infos de la rentrée
A découvrir dès la page 42 les infos de la rentrée, avec
l’interview d’Oskar Freysinger, chef du DFS.
R egard de François Lombard
sur le plagiat
vail personnel contenant des sources
François Lombard est chargé d’enréférencées. Quant à ceux de la derseignement au TECFA (unité active
nière catégorie, j’ai bien peur qu’ils
dans le domaine des technologies
nous échappent définitivement, car
éducatives), rattaché à la FPSE (Fails auront toujours une longueur
culté de psychologie et des sciences
d’avance, même avec l’aide des oude l’éducation) de l’université de Getils technologiques de détection du
nève. Il enseigne également la bioloplagiat. Pour les autres – la majorité
gie au Gymnase Calvin et est forma– les enseignants peuvent faire
teur d’enseignants à l’IUFE. En surconfiance à leur flair pour repérer ce
fant sur internet pour trouver des
qui est suspect et accompagner les
références en lien avec les formes acélèves pour transformer ce qui n’est
tuelles de plagiat à l’école, il est aisé
François Lombard livre
encore qu’une erreur méthodolode trouver la page relative à un
quelques conseils pour
gique en une occasion d’apprendre
cours donné avec Jean-Pierre Blanc
apprendre aux élèves la
à citer.
sur ce thème (http://doiop.com/placulture de la citation.
giat). Le titre de ces notes a de quoi
interpeller: «Plagiat et internet: fautQu’est-ce qui change principalement
avec les nouvelles technologies en matière de plagiat?
il combattre ou éduquer?» Contacté pour en savoir
plus, François Lombard a accepté de répondre à cette
L’accès à l’information est beaucoup moins formel
interrogation centrale et de livrer quelques pistes de
qu’une bibliothèque, avec une illusion de l’anonymat
réflexion pouvant intéresser les lecteurs de Résoet un certain flou des sources dans une grande part
nances. Ses conseils sont en effet susceptibles d’être
d’internet. L’enseignant sait qu’un document sans autransposés à tous les degrés de la scolarité.
teur clairement identifiable n’est pas sérieux, cependant les élèves ne le savent souvent pas avant qu’on
leur apprenne les critères pour évaluer un document.
François Lombard, comment catégoriser les élèves qui
Aujourd’hui, ils ont un accès immédiat à énormément
plagient?
de documents de qualité extrêmement hétérogènes
Il y a celui qui plagie par flemme, il y a celui qui le fait
sans savoir comment se repérer. A nous enseignants de
par naïveté ou ignorance et le virtuose. Pour les élèves
les guider, ou mieux, de leur apprendre comment reappartenant aux deux premières catégories, les enpérer les sources qui sont fiables et les citer de maseignants peuvent les éduquer afin qu’ils prennent
nière pertinente.
conscience des avantages qu’il y a de présenter un tra-
Définition du plagiat
«Il y a plagiat quand un candidat soumet à l’évaluation des idées, des phrases, des textes ou un travail
empruntés à autrui et présentés sans mention des emprunts (citations, sources des citations, origine des travaux) comme s’il s’agissait du travail personnel du candidat (ou d’une partie de ce travail).»
Calvin, (2004) le Travail de Maturité, Brochure destinée aux élèves, Collège Calvin, Genève
(http://wwwedu.ge.ch/po/calvin/Administration/trav_
matu/trav_matu.htm)
Source de cette définition: http://doiop.com/plagiat
4
Le dossier en citations
France vs Angleterre
«Les Français sont-ils plus discrets quand ils trichent? Les
surveillants sont-ils plus laxistes en France? Ou la pression
pour entrer dans un établissement supérieur outre-Manche
est tellement grande qu’elle pousserait les élèves à la
faute? Dans tous les cas, on ne plaisante pas avec le
problème en Angleterre. Très friand de vidéosurveillance,
le pays avait envisagé de s’en servir pour les examens.»
www.letudiant.fr (Lutte contre la triche: comment les
autres pays s’en sortent)
Résonances - Mensuel de l’Ecole valaisanne - Septembre 2013
Vous privilégiez donc la piste de la prévention…
Evidemment, je suis enseignant, pas policier. Dans le jeu
des gendarmes et des voleurs, les jeunes sont fréquemment meilleurs que nous, aussi vaut-il mieux privilégier
la prévention. Si au terme de son enseignement, l’enseignant n’a que le choix entre punir ou fermer les yeux
sur un plagiat, c’est un échec du processus pédagogique. Pour sanctionner, il ne suffit pas de repérer, il
faut apporter la preuve du plagiat, ce qui est difficile et
quelquefois impossible malgré les soupçons. Il existe des
outils technologiques de détection du plagiat, qui doivent être utilisés, mais ne suffisent pas. En effet certains
d’entre eux proposent aussi leurs services payants aux
élèves, ajoutant les références à leurs textes et mettant
en évidence ce qui pourrait être repéré par les détecteurs de plagiat utilisés par les professeurs. Il serait donc
illusoire de se reposer exclusivement sur ces logiciels.
Oui, mais comment l’enseignant peut-il mettre en
place une stratégie préventive en classe?
Pour faire comprendre aux élèves l’importance du référencement des propos, il faut que les enseignants montrent l’exemple en citant leurs sources très régulièrement, par exemple quelques fois par leçon. Les élèves
doivent d’une part comprendre que la citation permet de
rendre à César ce qui appartient à César et d’autre part
qu’elle protège celui qui cite, en particulier lorsqu’il est
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Résonances - Mensuel de l’Ecole valaisanne - Septembre 2013
Pearltrees pour en savoir plus…
Un Pearltrees Triche et plagiat à l'école rassemble quelques perles pour en savoir plus sur le sujet. Vous y trouverez des documents, des articles de presse, des vidéos…
http://pear.ly/ceX9T
question de sujets controversés. En disant «d’après ce
qu’a dit x en 1994», je renvoie les critiques vers cet auteur, et tout au plus on peut me reprocher de ne pas
avoir recherché un expert plus pertinent ou actuel. Les
élèves ignorent souvent que référencer ses sources
contribue à l’argumentation et ajoute de la valeur au travail rendu, ceci du fait qu’ils ne sont pas confrontés régulièrement à une culture de la citation ni à l’école, ni dans
la société. Autre piste, rendre les élèves auteurs sur internet. Leur perception du plagiat évolue et ils réagissent en
général jalousement dès que quelqu’un les copie.
La culture de la citation est-elle suffisante pour que
les élèves modifient leur pratique?
Non, la deuxième stratégie à mettre en place, et probablement la plus importante, est un suivi régulier de
l’élève dans le processus d’écriture. L’enseignant peut
alors transformer une intuition de plagiat, donner des
chances à l’élève pour qu’il change d’attitude. Dès lors, il
est essentiel qu’un texte comporte des versions intermédiaires afin d’éviter que l’erreur méthodologique de départ ne devienne plagiat avéré. L’enseignant peut réagir
au premier soupçon, sans accuser, mais en demandant à
l’élève de préciser ses sources. En le questionnant sur son
texte, l’enseignant pourra faire apparaître si l’élève a
élaboré cette connaissance et s’apercevra très vite si c’est
juste du copié-collé. Ne sachant pas s’il a plagié volontairement ou involontairement, l’enseignant peut alors offrir une porte de sortie digne à l’élève. De manière légèrement ironique, il peut lui faire comprendre que, s’il
n’utilise pas les guillemets pour les passages empruntés,
il plagie et peut alors être sanctionné. N’oublions pas
que parfois ce dernier a pris du temps pour trouver des
citations intéressantes, les a intégrées dans un texte bien
construit et intéressant, mais n’a pas réalisé l’importance
de signaler les passages dont il n’était pas l’auteur.
Votre vision est assez indulgente en somme…
Je ne crois pas que les enseignants ont pour mission de
sanctionner les vilains, d’autant que tous les élèves
n’associent pas le plagiat à une tricherie. Souvent,
avec juste une incitation ferme mais encourageante,
on peut leur apprendre à rendre un travail, mêlant réflexion personnelle et citations, dont ils seront fiers. Et
nous le serons aussi bien plus qu’en sanctionnant,
puisque nous les aurons accompagnés dans un processus d’apprentissage respectueux des droits d’auteur.
Propos recueillis par Nadia Revaz
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R egard de François Guénard
sur la triche
François Guénard, professeur au Département de Mathématiques d’Orsay (université de Paris-Sud), est l’auteur de La fabrique des tricheurs (Jean-Claude Gawsewitch Editeur, 2012). Dans son ouvrage, en se basant
sur son expérience d’examinateur, il a recensé plus de
60 types de fraudes, en incluant évidemment les nouvelles méthodes impliquant les outils technologiques
contemporains. Il estime que se donner les moyens
pour se prémunir de la triche permettrait de ramener
le phénomène à un taux résiduel acceptable. Si sa
recherche a été menée au niveau universitaire, ses
conseils pratiques, en grande partie faciles à mettre en
œuvre, peuvent être utiles à tous les degrés de la scolarité et concerner tous les acteurs et partenaires de
l’école. Quelques aspects sont spécifiques à la situation française, mais la plupart des suggestions sont valables aussi pour l’Ecole valaisanne.
François Guénard, quelles sont les différentes formes
de triche?
Il y a trois natures de triche, celle avant l’examen pour
essayer d’avoir le sujet, celle pendant et celle qui intervient après. Cette dernière, qui correspond principalement à l’usurpation de diplômes, est la plus dévastatrice pour l’institution. Au niveau des formations universitaires, il serait utile que l’on ait – au moins au
niveau européen – un serveur des diplômés, de façon
à ce que tout employeur puisse aisément vérifier les titres qui lui sont présentés. Certaines triches ne sont
pas du ressort de l’enseignant, mais relèvent de l’administration, notamment l’organisation matérielle des
épreuves et le stockage des données, sachant que certains élèves sont prêts à pirater les serveurs pour modifier les notes transmises par les jurys. Aujourd’hui, imprimer un faux diplôme est par ailleurs très simple,
aussi il conviendrait d’accroître la vigilance, de façon à
enrayer cette plaie qu’est l’usurpation des titres de
formation, en particulier de niveau universitaire, mais
pas seulement. Pour les étudiants qui travaillent et
font des efforts, savoir que d’autres fraudent en toute
impunité a de quoi les démotiver. C’est pourquoi l’on
se doit de réagir.
Les enseignants et les institutions scolaires et universitaires sont-ils suffisamment au courant des formes
de triche actuelles pour lutter efficacement?
Non, et c’est pour cette raison que j’ai rédigé cet ouvrage qui était d’abord destiné à la formation des professeurs. J’avais constaté que nombre d’entre eux ne
surveillaient pas comme il l’aurait fallu les épreuves,
ignorant totalement les stratégies déployées par les
étudiants pour tricher. J’ai commencé par recenser les
types de fraude sous forme de mémo. Ensuite, après
les divers scandales qui ont éclaté en cascade lors des
épreuves du baccalauréat et dans les universités françaises, l’éditeur
m’a sollicité pour en faire
un livre. De fait, pour
être en mesure de lutter
contre les fraudes, les enseignants débutants, à
tous les degrés de la formation, doivent s’informer sur les méthodes utilisées.
Les enseignants chevronnés ont-ils pour autant
conscience des formes de
triche avec les nouvelles
technologies?
Pas toujours. Certains se
cachent par exemple derrière le fait que les télé-
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Résonances - Mensuel de l’Ecole valaisanne - Septembre 2013
phones portables sont interdits, ce qui est une réaction
naïve. Ceux-ci peuvent être dissimulés, permettant aux
élèves de photographier discrètement le sujet et de recourir à des complices externes pour les aider. La solution du détecteur est coûteuse et partiellement efficace, dès lors il est préférable que les épreuves importantes se déroulent dans des salles isolées du réseau,
comme les cages de Faraday.
Ne faudrait-il pas plutôt éduquer à ne pas tricher, et
ce dès les premiers degrés de la scolarité et donc peutêtre évoquer davantage cet aspect en classe?
En parler pour rappeler les règles oui, mais jouer sur le
sentiment moral ne marche plus. Dans les universités,
entre 2 et 5% des jeunes sont tentés par la triche et
ceux-là ne s’arrêteront pas après un discours de prévention. Ils vont calculer le bénéfice/risque et c’est
pour cela que le mieux est de les empêcher de frauder.
Il faut prendre conscience que la triche, avec le téléphone portable, a profondément changé de nature.
Ce n’est plus une antisèche sur laquelle on notait une
formule qu’il fallait encore savoir utiliser pour peutêtre gagner un point sur vingt, aujourd’hui les techniques de triche sont à une autre échelle. Le danger
pour la société est d’avoir des diplômés incompétents.
Avez-vous le sentiment que certains enseignants
choisissent d’ignorer la triche et le plagiat de leurs
élèves?
J’ai des collègues qui ne veulent pas voir la réalité et
d’autres qui sanctionnent sévèrement. Personnellement, et notamment pour le plagiat, ce sont des attitudes qui me paraissent inappropriées, car certains
jeunes sont étonnés quand on les accuse de fraude,
n’ayant pas conscience de la nature des exigences at-
Le dossier en citations
Outils numériques vs outils
traditionnels
«Les outils numériques se substituent-ils finalement
aux formes traditionnelles de tricherie que sont
l’antisèche ou la calculatrice? Les résultats de cette
recherche montrent qu’il n’en est rien, même si la
fréquence de la tricherie avec un téléphone portable
et le plagiat de documents sur Internet ne sont pas
négligeables. Les lycéens ont généralement
expérimenté les formes traditionnelles lorsqu’ils
étaient au collège et les nouvelles techniques de
tricherie apparaissent davantage comme des outils
complémentaires que des substituts.»
Christophe Michaut in Les nouveaux outils de la
tricherie scolaire au lycée (Recherches en Education n°16 - Juin 2013)
Avec «La fabrique des tricheurs», François
Guénard propose un manuel anti-fraude utile aux
enseignants et aux administrations scolaires.
tendues dans le cadre d’un travail académique. Si l’on
est bien organisé, on détecte facilement la triche, mais
c’est un peu plus compliqué pour le plagiat, car c’est
davantage relatif. Pour exemple, dans la presse, les
journalistes utilisent les dépêches sans citer systématiquement leurs sources. Un prof de maths va régulièrement reprendre des démonstrations et il est admis
qu’il n’ait pas à mentionner les ouvrages qui lui ont
servi de référence. Dès lors, il n’est pas toujours évident de savoir où commence le plagiat. Et pour que les
étudiants perçoivent la frontière entre ce qui est légal
et ce qui est illégal, il faudrait commencer par leur expliquer les règles de la reprise d’informations en général et sur internet en particulier.
Les sanctions peuvent-elles être utiles dans certains
cas?
Les sanctions sont à mes yeux un échec du système scolaire et de l’enseignement et c’est pour les éviter que
je préfère une organisation qui prenne en compte la
problématique. Il y a une contradiction qui me dérange profondément dans le système de formation.
Dans le primaire et le secondaire, les sanctions sont
quasi inexistantes. Ensuite, dans l’enseignement supérieur, elles sont lourdes, allant jusqu’à l’interdiction de
tout établissement public pendant plusieurs années.
Et souvent les jeunes n’ont pas conscience du changement de règlement, ce qui rend la punition injuste.
Quelles sont les mesures qui vous semblent prioritaires pour enrayer la triche?
Je suis d’avis que l’on ne peut pas se plaindre de la
fraude si l’on ne fait rien pour l’éviter. A mon sens, il
est primordial que les enseignants soient attentifs pour
ne pas laisser aux élèves des possibilités de tricher. De
leur côté, les administrations doivent prendre leurs responsabilités au niveau de la sécurisation des serveurs,
sachant que les notes des jurys peuvent être trafiquées
après avoir été transmises par les enseignants.
Propos recueillis par Nadia Revaz
Résonances - Mensuel de l’Ecole valaisanne - Septembre 2013
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R egards croisés
sur la triche et le plagiat
Jean-François Lovey, chef du Service de l’enseignement
(SE), Michel Beytrison, adjoint au SE, Michel Délitroz,
responsable de l’Office de l’enseignement spécialisé,
Daniel Cordonier, directeur de l’Office de l’orientation
scolaire et professionnelle du Valais romand, ainsi que
Danièle Tissonnier, collaboratrice pédagogique au SE,
ont accepté de raconter une anecdote en lien avec la
thématique et de donner leur point de vue pour savoir
si l’école est suffisamment consciente des techniques
actuelles de triche et de plagiat scolaire afin d’avoir les
moyens de lutte nécessaires.
Jean-François Lovey
Regard sur la triche: «Au “pougnon
traditionnel“ se sont ajoutées des
formes sophistiquées de triche. A mon
sens, l’Ecole valaisanne a conscience
du phénomène et lutte de manière
adaptée, mais en même temps il faut
faire preuve d’humilité et savoir que toute institution
aura toujours un temps de retard dans la vigilance et
dans la détection par rapport à certains tricheurs particulièrement rusés. Pour qu’il y ait une morale, nous devons espérer que ces derniers ne deviennent pas un jour
ceux qui nous dirigent. Pour le solde, la société doit ma
foi vivre avec. Les cas de plagiat me semblent nettement plus inquiétants, car certains élèves n’ont aucun
scrupule. Et comment devenir avocat, médecin ou professeur avec un tel comportement?»
Anecdote: «Je n’ai jamais été tricheur, non pas en raison d’une honnêteté exemplaire, mais parce que je
manquais du culot minimal pour le faire et que j’aurais été maladroit au point de rendre visible ma nervosité. Par contre, j’ai un souvenir particulièrement marquant en tant que jeune enseignant dans un CO. Mes
collègues m’avaient confié une délicate mission, à savoir prendre sur le fait un jeune qui à l’évidence trichait. Voulant relever le défi, je m’étais fait un point
de fierté de pincer cet élève. Cependant, malgré ma
surveillance, je n’ai jamais réussi à connaître le stratagème qu’il utilisait. Nous étions tous convaincus qu’il
trichait, en raison d’indices concordants, sans pouvoir
le prouver. De manière immorale, son habileté et la
maîtrise qu’il avait de lui-même suscitaient presque
notre admiration, avant de faire évidemment place à
la désapprobation.»
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Michel Beytrison
Regard sur la triche: «Avec les possibilités technologiques actuelles que
nous n’avions pas, j’imagine qu’il y a
un peu plus de triche. Cependant, je
doute que cela ait une influence sur
le passage d’une année à l’autre, car
l’enseignant n’est pas dupe et interviendra, en fonction de son curseur personnel, pour
empêcher l’escalade. Il me semble préférable de sanctionner l’attitude pour que les élèves comprennent
que tricher n’est pas la solution, plutôt que de mettre
un zéro. Le plagiat dans le cadre des travaux de mémoires me paraît davantage problématique, car internet a modifié le rapport aux sources. Autrefois, le fait
de citer des auteurs en mettant des citations entre
guillemets était valorisant. Aujourd’hui, beaucoup
compilent en faisant croire que c’est leur réflexion,
sans avoir forcément conscience qu’ils commettent
une malhonnêteté.»
Anecdote: «Pendant la scolarité obligatoire, je ne me
rappelle pas avoir triché. A l’Ecole normale, je me suis
très occasionnellement “inspiré” du travail du voisin.
En cours de psychologie, régulièrement nous devions
répondre à des questions développées en classe. Aussi
il suffisait de rédiger les trois questions/réponses et
d’opérer un échange standard entre la feuille de préparation et celle de l’examen. Si l’évaluation est peu
stimulante, la tentation de la triche est plus grande. Il
m’est donc arrivé de tricher un peu par sport, mais pas
vraiment pour gagner des points.»
Daniel Cordonier
Regard sur la triche: «Ma vision philosophique sur la triche est assez
ambivalente. D’un côté, si je raisonne en termes de capacités, celui
ou celle qui est capable de tricher
sans se faire attraper et sans prétériter l’acquisition globale de ses connaissances a développé une compétence. De plus, il doit faire preuve de
créativité. Ainsi il peut y avoir des petites triches “intelligentes” qui permettent d’acquérir des aptitudes
utiles au monde professionnel. D’un autre côté, si l’on
se focalise sur la notion d’effort nécessaire à l’appren-
Résonances - Mensuel de l’Ecole valaisanne - Septembre 2013
tissage, c’est une attitude contre-productive et moralement fausse, puisqu’au lieu de transpirer, l’élève
cherche la solution de facilité.»
Anecdote: «En 1re année du collège, le prof de géographie nous avait demandé de rédiger un dossier sur un
pays et j’avais choisi les Etats-Unis, parce que le sujet
me passionnait. La joie du 5,5 avait été balayée par
l’ajout d’un commentaire écrit mettant en doute le
fait que je puisse être le rédacteur de ce travail. En
mathématiques, j’avoue avoir occasionnellement triché au collège par désespoir, en copiant sur un camarade. A l’oral final, j’ai par contre eu une note qui correspondait à ma valeur réelle. Ensuite, lors de mes
études de psychologie, j’ai renoué avec les mathématiques, ayant compris leur utilité.»
Michel Délitroz
Regard sur la triche: «L’enseignement spécialisé, de par son individualisation, n’est pas vraiment concerné par la triche et le plagiat. Souvent les élèves sont tellement de
bonne foi qu’ils vont jusqu’à se dénoncer spontanément. Des comportements, comme
des stratégies d’évitement pour ne pas se confronter
aux examens ou la négation de sa propre personnalité, sont nettement plus fréquents et alarmants. En
appui pédagogique intégré, on peut avoir affaire à
des enfants qui compensent certaines difficultés en
utilisant régulièrement des méthodes pas toujours licites et il arrive que ce soit un élément de signalement. Au niveau de la formation des enseignants, en
particulier avec les plagiats dans le cadre des mémoires, nous devrions par contre être certainement
plus attentifs que nous le sommes.»
Anecdote: «J’avais un prof d’allemand dont l’habitude
était de nous faire une petite feuille d’examen tous les
matins. Un jour, je n’avais pas eu le temps de préparer
ma fiche de vocabulaire, aussi je me suis assis au fond de
la classe, ouvrant mon livre sur le dos de mon copain de
classe devant moi. Depuis le pupitre du maître, ma stratégie était totalement efficace, par contre je n’avais pas
imaginé qu’il regarderait par la fenêtre et verrait le reflet de mon livre. J’ai donc eu un zéro, donné avec humour et en rimes. Profitant du vol d’un oiseau, le prof a
alors dit: “Oh oh Délitroz petit oiseau zéro.”» Mes camarades de classe ont ri et moi aussi, car la sanction n’a
pas été dramatisée. Cela a été une jolie leçon qui m’a
évité de m’installer dans un comportement de tricheur.»
Danièle Tissonnier
Regard sur la triche: «Dans une société qui valorise presque les malhonnêtetés et à tout le moins ne
sanctionne pas vraiment les formes
de triche et le plagiat, beaucoup
d’élèves n’ont plus conscience de
devoir respecter la propriété intellectuelle d’autrui.
Comme tout est accessible facilement sur internet,
nombre de jeunes et moins jeunes estiment que tout
peut être repris sans citer ses sources. Dans l’école aujourd’hui, il n’est pas facile de parvenir à faire prendre
conscience aux élèves que le mérite de leur travail a plus
de valeur que la note. A mon sens, la triche technologique va avoir une influence sur la manière d’enseigner
et d’évaluer pour qu’il y ait appropriation du savoir.»
Anecdote: «J’ai quelquefois aidé d’autres élèves à tricher. Je me rappelle néanmoins avoir triché une fois,
mais ensuite j’avais trouvé la bonne note reçue totalement imméritée, ce qui avait gâché mon plaisir. La
question, c’est de savoir à quoi ça sert de voler son résultat. Cet été, une jeune voisine, éprouvant notamment des difficultés pour rédiger ses dissertations,
m’expliquait qu’elle était fière, même si elle était en situation d’échec, de n’avoir pas, contrairement à d’autres, sollicité quelqu’un pour rédiger à sa place ou
acheté un travail en ligne. Cette étudiante a compris le
bénéfice qu’il y a à apprendre par soi-même. Et en se
confrontant à l’obstacle, sa réussite sera méritée.»
La bibliographie de la Documentation pédagogique
CESALLI F., ZENDALI M., Plagiat [Enregistrement vidéo]: est-ce
que copier c’est tromper?, «Tard pour bar», Genève, TSR
[prod.], 2011. Cote: 347.78 PLAG
FRANCE A., Apologie pour le plagiat, «La petite collection»,
Paris, les Ed. du Sonneur, 2013. Cote: En commande
GUÉNARD F., La fabrique des tricheurs: la fraude aux examens
expliquée au ministre, aux parents et aux professeurs, «Pédagogie formation. Synthèse», Paris, J.-C. Gawsewitch, 2012.
Cote: En commande
Résonances - Mensuel de l’Ecole valaisanne - Septembre 2013
MAUREL-INDART H., Petite enquête sur le plagiaire sans scrupules, «Documents », Paris, Léo Scheer, 2013. Cote: En commande
PECH M.-E., L’école de la triche: document, Paris: l’Editeur,
impr. 2011. Cote: 371.212 PECH
La ruse: entre la règle et la triche, «Cahiers du GERSE », Québec, Presses de L’Université du Québec (PUQ), 2012. Cote: En
commande
www.mediatheque.ch/valais/documentation-pedagogique
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