vers une legitimite… du chef de service educatif - CEDIAS

Transcription

vers une legitimite… du chef de service educatif - CEDIAS
Institut des Sciences et
Pratiques d’Education
et Formation (I.S.P.E.F.)
Collège Coopératif
Rhône Alpes
(C.C.R.A.)
VERS UNE LEGITIMITE…
DU CHEF DE SERVICE
EDUCATIF
Une logique éducative parmi d’autres logiques
Mémoire déposé en vue de l’obtention du Diplôme
des Hautes Etudes des Pratique Sociale (D.H.E.P.S.)
Directeur de recherche
Philippe BERNOUX
Présenté par :
Dominique DORBEC
LYON 2006
Remerciements
Merci à tous ceux et toutes celles qui m’ont accompagnée sur tout ou partie de cette recherche
qui a été pour moi un laborieux mais captivant parcours :
 Annick Marnas et Philippe Bernoux
 Les directeurs des deux établissements qui ont bien voulu avec une partie de leurs
personnels se prêter au jeu de l’entretien
 L’ensemble des formateurs, les membres du jury blanc et les secrétaires du collège
coopératif Rhône-Alpes
 Mes collègues de promotion et notamment Muriel, Françoise, Raymonde, Florence,
Jean-Michel pour nos repas partagés, parfois animés, toujours passionnants, voire
réconfortants….
 Ma famille pour leur accueil et leur soutien (merci à Anne-Françoise)
 Guillaume et Joris pour leur patience
 Olivier sans qui, ce travail n’aurait jamais vu le jour …
« Au lieu d’offrir, la permanence, le cadre de l’institution offre sur fond de permanence des
ouvertures vers l’extérieur, des brèches de toutes sortes (par exemple des séjours hors
établissement). A travers cette oscillation d’un lieu à l’autre peut émerger un sujet
s’interrogeant sur ce qu’il veut. »
Extrait « Education impossible » de Maud MANNONI
Sommaire
Autobiographie
1
Introduction générale
6
Première partie
Histoire de construction
11
1 : Construction identitaire des MECS
12
1.1 Maison d’enfants à caractère social : émergence historique
1.2 Maison d’enfants à caractère social : l’ouverture vers l’extérieur
1.3 Maison d’enfants à caractère social : Perspectives novatrices
12
16
20
2 : La fonction de chef de service éducatif en question
26
2.1 Le statut de chef de service éducatif
2.2 Notre rôle à la MECS
2.3 Les enjeux du service éducatif : logiques d’action et conflits de pouvoir
26
31
36
3 : Construction d’une légitimité
42
3.1 Les concepts de légitimité, pouvoir et autorité
3.2 Etat des lieux des légitimités
3.3 Logiques collectives en interaction
42
45
48
Conclusion
52
Deuxième partie
Histoires institutionnelles et professionnelles
54
1 : En quête de légitimité et d’articulation de logiques
55
1.1 L’approche méthodologique
1.2 Les démarches d’investigation
1.3 Traitement des données
55
57
60
2 : Biographie de chefs de service
63
2.1 Recrutement en interne ou externe
2.2 Positionnement du chef de service
2.2.1 Distance par rapport aux anciens collègues
2.2.2 Distance par rapport aux enfants
2.3 Formation pour accéder au poste
2.4 Expériences
63
65
65
67
69
71
3 : La fonction du poste de chef de service
74
3.1 Histoires institutionnelles
3.2 Histoires et statut du poste de chef de service éducatif
3.2.1 Sa création
3.2.2 Sa dénomination
3.3 Son rôle
3.3.1 Répartition des tâches
3.3.2 Fonctions attendues
3.3.3 Les incontournables
74
75
75
77
79
79
80
82
4 : Fonctionnement
88
4.1 Cohérence
4.2 Conflits de pouvoir
4.3 Circonstances favorisant ou non la cohérence
4.3.1 Difficultés
4.3.2 Facilités
88
92
96
96
99
Conclusion
102
Troisième partie
Du concept de légitimité au fonctionnement institutionnel
103
1 : Articulation des logiques et légitimité
104
1.1 Reconnaissance de légitimité
1.2 Logiques collectives
1.3 Un service éducatif pour la démocratie
104
108
111
2 : Autorité et logiques isolées
114
2.1 Autorité
2.2 Logiques isolées
2.3 Organisation formelle pour un pouvoir archaïque
114
117
119
3 : Passer du conflit de pouvoir à la légitimité : une nouvelle étape dans le
statut des chefs de service éducatif
125
3.1 Un service éducatif
3.2 Une reconnaissance du titre
3.3 Une stratégie d’évaluations
3.3.1 Une démarche qualité pour une évaluation du service éducatif
3.3.2 Un management situationnel pour une évaluation individuelle
125
126
127
128
128
Conclusion générale
129
Bibliographie
Référence bibliographique
135
Bibliographie générale
138
Annexes
1
Autobiographie
C’est en septembre 1980, au retour d’un voyage en Afrique, [nous avions traversé la
Haute Volta (actuellement le Burkina-fazo) le Niger et l’Algérie en camion, taxi brousse
et autocar] que nous commencions notre première vraie expérience dans l’éducation
spécialisée.
Durant cette année scolaire 1980-1981, nous découvrions à l’école expérimentale de
Bonneuil/Marne1 le monde de la psychose. Les adultes, professionnels expérimentés et
de notoriété incontestable qui composaient l’équipe nous avaient acceptée comme
stagiaire. Ce stage de découverte sur les pratiques éducatives fut pour nous un passage
comme dans les rites initiatiques des peuples que nous venions de rencontrer. Nous
quittions un milieu familial confortable pour partir dans le parcours professionnel que
nous avions choisi. L’école de Bonneuil/Marne est expérimentale pour tous, les
professionnelles nous ont inculqués un discours, un regard sur l’autre qui n’est pas
normatif. Malgré les difficultés de chacun, les usagers communiquent comme ils
peuvent, tout est langage, il n’y a pas que les mots. Par contre, usagers et intervenants
reçoivent le discours de l’autre avec leurs propres grilles de lecture. Une école comme
celle-ci est unique, on ne pourrait la reproduire ailleurs, mais des ailleurs sont possibles,
uniques à leur tour.
Pleine de grands discours et d’expériences très enrichissantes, nous commencions
l’école d’éducatrice spécialisée à Montrouge (I.Fo.P.E.S)2. Trois années de formation
que nous voulions utiliser pour nous enrichir le plus possible d’expériences et de
théories variées et ainsi, ne pas nous enfermer dans une pratique particulière. Il n’était
pas, pour nous, l’heure de nous spécialiser dans un domaine d’usagers en difficulté,
mais de nous équiper d’outils nous permettant de nous adapter à toutes sortes de prises
en charge. Les cours sur l’analyse institutionnelle3 nous ont beaucoup apporté ainsi que
l’écriture de notre mémoire sur les liens entre un enfant polyhandicapé et sa mère :
1
Lieu d’accueil qui a été créé par Maud MANNONI
Institut de Formation Professionnelle d’Educateur Spécialisé
3
Nous avons retrouvé ce type d’approche lors de notre formation en D.S.T.S. :« L’institution est un corps
d’usage, de normes sociales, de règles juridiques régissant un groupe, une ethnie, une cité, un Etat ou une
Nation. C’est à la fois une organisation formelle qui a un caractère de durée dans le temps. Exemple : l’
Education Nationale ; L’analyse institutionnelle est une mise à plat qui demande de remonter dans le
temps; Savoir où on en est dans l’histoire de l’institution, ça introduit du sens. » Joël CADIERE, cours
CCRA, du 7.03.06
2
2
« histoire déliée »4. Ce travail porte sur le premier lien de tout enfant avec sa mère, ce
qui est un repère important dans l’élaboration des projets personnalisés des enfants.
Après l’obtention du diplôme, nous cherchions du travail dans le sud-est de la France.
Nous étions décidée à quitter la région Parisienne, sa vie stressante. Nous pensions
également éviter de travailler avec des cas sociaux, dans un internat que nous nous
représentions comme trop normatif, pas assez innovant. Mais nous étions en 1984, la
majorité des postes vacants se trouvait en internat, car c’était l’époque de la
décentralisation, avec l’application des schémas départementaux et donc du
réaménagement de ces structures, qui n’avaient pas bonne presse dans leur forme
traditionnelle. Devant cette réalité du marché du travail, notre premier poste fut en
internat mais dans une belle région, les Hautes-Alpes.
Nous avons donc travaillé presque deux ans dans un établissement qui accueillait des
enfants en Institut Médico Educatif 5 avec école et restaurant d’application. Comme le
recrutement était insuffisant pour équilibrer le budget, l’administration avait décidé
d’ouvrir un quatrième groupe, avec l’habilitation Maison d’Enfants à Caractère Social,
pour accueillir 15 adolescentes de 13-18 ans ; après avoir hésité entre ce choix et la
création
d’un
golf…Certes
le
cadre
géographique
était
magnifique,
mais
institutionnellement déplorable. Ces jeunes filles, Marseillaises pour la plupart (80%),
étaient placées là en vue de les éloigner de leur milieu d’origine (famille et quartier).
Elles se retrouvaient à la montagne au milieu d’une population d’I.M.E. Nous nous
comparions à une gardienne de coffre-fort. Les filles fuguaient chaque nuit et
lorsqu’elles arrivaient après une absence prolongée, l’économe et
le directeur se
réjouissaient des prix de journée qui rentraient ! Nous découvrions alors l’intérêt d’être
en adéquation avec le projet de l’établissement et de travailler sur les bases d’un cadre
clairement défini.
Nous options pour une démission et après une brève période de chômage, nous
renoncions à cette belle région pour celle de l’Isère où un établissement au projet
intéressant nous proposait un poste. Dans ce foyer, les enfants n’étaient que 8 par
groupe, vivaient dans des appartements ou pavillons sur un modèle familial, intégrés à
4
Dominique DORBEC. Histoire déliée : La relation mère enfant polyhandicapé. Montrouge IFoPES,
DEES, juin 1984, 84 pages
5
I.M.E dorénavant dans le texte.
3
la vie d’un quartier. L’idée était l’immersion dans un cadre réel de vie. On allait même
jusqu’à inscrire les jeunes dans des activités de leur quartier d’origine pour favoriser
leur retour.
Puis ce fut la crise institutionnelle, l’équipe d’éducateurs devint très solidaire face à un
directeur qui imposait des conditions de travail et d’horaires de plus en plus difficiles.
Nous fûmes alors propulsée comme déléguée du personnel. Nous réalisions qu’une
vision globale et la plus objective possible pouvait éviter les conflits inutiles. Nous
prenions confiance en nous et en nos valeurs à exploiter. Le directeur termina en garde à
vue après l’agression de membres du conseil d’administration. Parallèlement, dans notre
vie personnelle, nous nous engagions dans une vie de couple et cherchions un nouveau
travail.
Une transition de 7 mois pour éviter le chômage fut nécessaire dans une Maison
d’Enfants où nous confirmions notre idée de la nécessité d’un cadre et d’un projet
cohérent, avec une équipe saine et innovante, pour éviter l’usure.
Puis le directeur fondateur charismatique d’une Maison d’Enfants nous recrutait et là,
les critères minima nous semblaient largement réunis. Nous nous retrouvions alors dans
une équipe ancienne dans laquelle il fallait faire sa place en prouvant ses capacités à
s’adapter, à se former mais également, à enrichir l’équipe de son savoir faire. C’était un
travail que nous qualifions de très professionnel, car en plus de la prise en charge
quotidienne des 12 enfants du groupe, nous prenions les enfants en référence dans leur
contexte familial. Des entretiens familiaux avec la psychologue de l’établissement
ponctuaient cette prise en charge.
Une formation à la thérapie familiale devenait indispensable. Nous avons donc suivi,
pendant trois ans, la formation à l’approche systémique6 et à la thérapie familiale. Nous
avons appris un autre regard sur des systèmes, non plus dans le « pourquoi » des
6
« L’évolution de la pensée scientifique moderne nous dégage d’une vision mécaniciste et cartésienne du
monde. Elle met l’accent sur l’importance d’une approche écologique considérant chaque élément d’un
ensemble comme relié à un environnement donné qui fait système et à des influences multiples en
interaction les unes par rapport aux autres. Elle nous porte à comprendre les phénomènes observés
comme issus de processus relationnels, dynamiques, évolutifs. L’approche systémique qui traduit cette
évolution nous permet de resituer l’individu dans ses différents liens familiaux, historiques, et sociaux et
d’intervenir sur ces interactions. Appliquée au champ social et au champ thérapeutique, elle devient ainsi
un outil privilégié pour penser et soutenir des pratiques créatives et alternatives adaptées à la
complexification des prises en charge ». Source : plaquette de présentation de la formation à l’approche
systémique de l’Association pour le Développement de la Recherche et de l’Enseignement en Travail
Social (Adrets).
4
symptômes mais dans le « comment ça fonctionne ». Nous étions, dès lors, spécialisée
dans l’éducation en internat de jeunes en difficulté dans leur famille.
Comme notre compagnon signait un nouveau contrat qui l’obligeait à habiter à
proximité de son lieu de travail, nous avons dû nous éloigner de Lyon. Nous avons donc
décidé avec la naissance de notre deuxième fils de prendre un congé parental
d’éducation. Cette pause a duré cinq ans pendant lesquels, entre autres, nous avons
préparé le concours de professeur des écoles car nous ne nous voyions pas reprendre un
poste en internat classique, comme ils existent autour de chez nous. Après l’échec au
concours, renonçant à faire une carrière d’institutrice spécialisée en SEGPA dans
l’éducation nationale, mais décidée à reprendre une activité professionnelle, nous avons
essayé un poste d’éducatrice spécialisée, dans un grand internat (80 places) d’une grosse
association. Une semaine après, nous dénoncions notre contrat pour ne pas être témoin
de plus d’anomalies institutionnelles que celles déjà rencontrées.
Puis, suite à l’envoi de Curriculum Vitae en candidature libre, nous avons obtenu un
entretien avec la directrice d’une Maison d’enfants. Très intéressée par notre expérience
et notre formation en systémie, elle nous a proposé un poste de chef de service. Les
postes à responsabilités ne nous attiraient pas, car nous les voyions surtout sous leurs
aspects ingrats : nécessité d’être disponible 24 heures sur 24, en dépit de votre vie
privée, et conquête de pouvoir faisant abstraction de finalités éducatives. Mais
l’occasion était trop belle, nous acceptions et découvrions un nouveau métier. Le projet
de l’établissement est axé sur un travail avec les familles avec beaucoup d’aspects
innovateurs, qui sont bien en adéquation avec nos idées professionnelles. Notre
expérience et nos connaissances antérieures étaient nécessaires, en tant que chef de
service, auprès des éducateurs, pour les soutenir dans leur travail au quotidien. Au
niveau de l’équipe de direction composée de trois personnes - la directrice, la
psychologue et nous-même - notre collaboration pour donner de l’information et
réfléchir au sens des choix institutionnels s’est révélée au bout de trois ans assez
délicate. La dimension de reconnaissance et d’échange de compétences, que nous
avions trouvée dans nos autres expériences, n’existait pas dans ce lieu-ci. Pourquoi ?
Etions-nous aux frontières de notre savoir ou pouvoir faire ?
Lors de notre première année, une formation en systémie avait été dispensée aux six
éducateurs, la directrice et nous-même pour répondre à la demande : comment
5
appliquons-nous nos acquis systémiques, dans nos prises en charge et notre quotidien ?
Les formateurs nous avaient alors encouragés à utiliser ce que l’on appelle « des objets
flottants »7 qui favorisent la communication entre les membres d’une même famille.
Forte de ces bons conseils et de notre expérience antérieure, nous lancions quelques
tentatives, pour utiliser ces outils systémiques. Ceux-ci furent remis en question car
dangereux, « nous risquons d’aller trop loin » nous disent éducateurs et directrice. Pour
rester dans le sens du projet de l’établissement, nous nous sommes contrainte à
abandonner.
Dans notre dernier poste d’éducatrice, le suivi des entretiens avec les familles était à la
charge des éducateurs référents, ce qui n’est pas le cas dans notre établissement actuel
car le choix a été fait de scinder le thérapeutique et l’éducatif. C’est la psychologue qui
réalise seule le suivi des familles, pour assurer la neutralité du thérapeutique. Elle ne se
mêle pas, en théorie, de l’institutionnel. Par contre, nous avons, la directrice et nousmême, des « réunions famille », avec les éducateurs référents, où nous abordons les
questions éducatives de prise en charge au quotidien des enfants, leur projet
personnalisé et les orientations d’avenir. Lors de ces réunions, nous devons être
vigilants à ne pas empiéter sur des questions qui pourraient fausser le travail fait en
thérapie familiale. La question de la séparation entre le thérapeutique et l’éducatif est
une question que nous avons proposée comme débat au niveau de l’équipe de direction.
Cette question a déjà été abordée avant notre arrivée, nous devons l’accepter comme
une règle institutionnelle. Sinon nous touchons, semble-t-il à des enjeux de pouvoirs
pour lesquels notre position de chef de service serait remise en cause.
Nous comprenons alors qu’il est difficile, de notre place de chef de service arrivant dans
la maison d’enfants, de remettre en question certaines bases posées comme immuables,
alors qu’il nous semblerait intéressant que cet établissement accepte certains débats
contradictoires qui pourraient lui permettre d’évoluer vers un travail plus professionnel,
plus éducatif. Nous avons alors réalisé que nous avions besoin d’éléments plus
scientifiques pour mieux comprendre le rôle et les compétences que peut développer un
chef de service éducatif.
7
Exemple d’objets flottants : blason, génogramme, jeu de l’oie. Les familles ou groupes utilisent ces
supports concrets pour les adapter à leurs réalités de vie et ainsi permettre une étude de leur héritage.
C’est une forme de thérapie familiale.
6
Introduction générale
C’est en 2000 que nous avons pris nos fonctions de chef de service éducatif, dans une
maison d’enfants à caractère social.
Pour expliciter notre intention de recherche, nous nous intéresserons à l’origine des
maisons d’enfants, ce qui nous fera apparaître que l’établissement pour lequel nous
œuvrons actuellement aurait bien suivi l’évolution historique. Il a su se donner les
moyens d’une efficience8 institutionnelle depuis sa restructuration en 1992 concrétisée
par l’écriture d’un projet d’établissement solide et compétitif au regard des nouvelles
mesures imposées pour mettre l’usager au cœur du dispositif social.
Notre parcours professionnel d’éducatrice spécialisée dans différents internats nous a
apporté une expérience riche. Nous pensons ainsi, avoir acquis une perception assez
lucide du travail éducatif. Nous utilisons alors tout notre savoir faire d’ancienne
éducatrice spécialisée. Mais nous devrons convenir que le poste de chef de service qui
est un poste intermédiaire où la conciliation peut-être gênante, ne met pas toujours
dans un rôle confortable. Il demande des compétences techniques autres que celle de
l’éducateur de groupe, qu’il est nécessaire d’acquérir pour passer à cette autre fonction.
Ainsi, pour mener à bien notre mission, nous devons mettre en oeuvre notre
compétence de chef de service éducatif à travers sept fonctions principales, stipulées
sur notre fiche de poste : planification, gestion, animation, écriture, participation,
collaboration et coordination. Dans notre poste, nous sommes responsable du bon
fonctionnement du service éducatif. Nous veillons à ce qu’il n’y ait pas de défaillances.
Mais notre cadre opérationnel n’est pas très précis, concernant nos logiques d’action.
Nous introduisons de nouvelles logiques, en voulant responsabiliser davantage les
éducateurs, ce qui provoque plus de dysfonctionnements car un temps d’adaptation est
nécessaire pour faire concorder les actions. Nous devons alors prendre en compte qu’à
8
C’est la mesure du rapport entre résultats obtenus et moyens mis en œuvre.
7
travers nos fonctions de planification, gestion, animation, écriture, nous devons être
bien au clair avec les objectifs institutionnels. Car le choix de planifier de telle ou telle
manière va dépendre dans certains cas, des choix institutionnels que l’on va mettre en
priorité. Et, avec nos fonctions de participation, collaboration et coordination ce sont
les marges de manœuvre, ou le pouvoir faire du chef de service éducatif qui peuvent
être remis en question.
L’inconfort de ce poste d’intermédiaire ne semble pas être qu’un problème de choix
stratégiques. Dans certaines situations, il arrive que la logique éducative, qui s’appuie
sur les compétences, les capacités, ce que sait faire une famille pour instaurer une
relation de confiance, se heurte à la logique de psychologie clinique, qui développe les
capacités de transformation d’une famille à partir d’injonctions, débouchant parfois sur
un conflit de pouvoir. Confrontée à une telle situation de conflit dans notre
établissement, nous avons tenté un recours à l’autorité pour le résoudre. Face à la
décision de l’autorité de rester à l’écart, nous nous interrogerons sur la possibilité de
rester garante, en tant que chef de service, du bon fonctionnement du service éducatif.
Comment, les chefs de service dans une MECS, qui se trouvent forcément en présence
de ces deux logiques, parviennent-ils à exercer leurs fonctions en limitant les
dysfonctionnements ?
D’après la sociologie des organisations, c’est l’accès au concept de légitimité qui aide à
réguler les relations de pouvoir en permettant un travail de collaboration. Cela nous
invitera d’une manière plus générale à nous interroger sur la légitimité du chef de
service éducatif dans une MECS. D’où la question qui sera au centre de ce travail de
recherche :
Qu’est ce qui permet au chef de service éducatif de construire sa légitimité dans une
MECS?
Nous tenterons donc de déconstruire dans un premier temps le concept de légitimité à
travers son étymologie, et le champ de la sociologie des organisations, où la légitimité
se définit par le fait que l’inférieur accepte d’obéir aux ordres du supérieur. Autorité et
8
pouvoir sont englobés dans ce concept de légitimité. Nous les analyserons également
pour nous permettre de comprendre que si nous jouons de notre pouvoir et de notre
autorité, les conflits seront sans fin, alors que si nous reconnaissons à l’autre la
possibilité de penser différemment, une entente peut être trouvée. La condition, pour
que cet accord soit réalisable, est que la légitimité de chaque logique soit reconnue.
Nous appuyant sur le quatrième type idéal que les sociologues contemporains ajoutent
aux trois proposés par Max WEBER, pour définir la légitimité, celui de la légitimité
professionnelle liée à un savoir plus spécialisé d’expert, nous verrons que le métier de
chef de service éducatif n’est pas reconnu légitime, comme le sont d’autres métiers.
Nous rejoindrons Hélène HATZFELD s’inspirant également des travaux de Max
WEBER pour les adapter au travail social en distinguant la légitimité institutionnelle,
démocratique et de compétence, pour montrer que c’est plus particulièrement cette
dernière qui paraît la plus difficile mais la plus centrale. Ce qui semblerait pouvoir être
complété par les analyses de Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG qui repèrent
quatre sources de légitimité : la maîtrise des relations avec l’environnement du marginal
sécant de Michel CROZIER ne nous concernera pas, nous nous attarderons plus sur la
communication, l’utilisation des règles opérationnelles et la possession d’une
compétence.
Alors comment le chef de service éducatif peut-il valider sa légitimité de compétence,
source fragile qui tient à la possession d’une spécialisation fonctionnelle?
Conduite, dès lors, à interroger la légitimité éducative, nous verrons avec Philippe
BERNOUX que ce sont moins les qualités d’expertise éducatives en tant que telles, que
la possibilité de les faire accepter, qui importent. En mobilisant Renaud
SAINSAULIEU, nous pourrons penser que la logique collective de l’équipe éducative
peut être un support à la légitimité du chef de service éducatif en ce qu’elle peut
permettre l’interaction avec d’autres logiques, comme nous le dit Hélène HATZFELD
« La légitimité se construit donc, dans une interaction qui met en jeu différentes
logiques selon les acteurs concernés et selon la situation dans laquelle ils se trouvent. »9.
9
Hélène HATZFELD. Construire de nouvelles légitimités en travail social. Paris, Dunod, 1998, p.123
9
Ainsi nous pourrons faire l’hypothèse que : «La légitimité du chef de service éducatif
dans une MECS repose sur sa légitimité éducative qui n’est reconnue que si la
logique éducative s’articule avec les autres logiques en présence ».
Dans une seconde partie de cette recherche, nous confronterons cette hypothèse aux
réalités du terrain. Nous irons à la recherche de la légitimité du chef de service éducatif
et la reconnaissance des logiques éducatives dans deux établissements du même modèle
que celui dans lequel nous travaillons. Nous fixerons des critères préalables de choix
qui pourront, avec la recevabilité de notre démarche, contribuer à conserver deux
établissements parmi ceux interrogés par téléphone. Nous retiendrons les méthodes
d’étude
d’écrits
et
d’entretien
semi-directif
auprès
d’un
échantillon
des
personnes concernées par l’articulation des logiques éducatives : directeur, chef de
service, psychologue et éducateurs. Le recueil de ces données constituera un corpus que
nous diviserons en thèmes et sous-thèmes. Ce classement nous permettra un traitement
des discours à des niveaux différents de séparation que nous présenterons en deuxième
et troisième chapitres de la deuxième partie.
Ce traitement montrera que l’histoire de ces deux établissements, a des similitudes dans
leur aspect chaotique et l’apparition du poste de chef de service éducatif. Les deux
professionnels qui occupent ce statut actuellement, ont été recrutés pour leurs
expériences, sans formation spécifique. La communication et la confiance occupent une
place importante dans les attentes des professionnelles des deux établissements. Ce sont
également les ingrédients de base pour la cohérence des établissements avec le respect,
la circularité et la présence de lieux et/ou de personnes ressources. Le chef de service
éducatif se trouve au cœur du système de communication et du bon fonctionnement de
ces établissements, pour lesquels, il apporte son savoir et pouvoir faire. Des différences
dans la cohérence du fonctionnement des deux établissements et dans leur approche
conceptuelle de la fonction du chef de service éducatif avec le type de délégation utilisé,
apparaissent en cette fin de partie.
A la suite de cela, pour la troisième partie, nous mettrons en regard les résultats obtenus,
afin de dégager les invariants et les évolutions. C’est à partir de cette analyse que nous
10
en arriverons à confirmer notre hypothèse initiale pour ensuite la dépasser. Nous en
viendrons à formuler l’idée qu’au-delà de la légitimité du chef de service éducatif, c’est
la légitimité de l’établissement qui est reconnue par un service éducatif, grâce à un
système démocratique. L’identification de ce service rend fonctionnel l’éducatif qui est
reconnu parmi les logiques de l’établissement dont la mission devient alors
opérationnelle. Puis nous poursuivrons notre réflexion, à la lumière des résultats de
l’enquête, et nous comprendrons qu’une forme de management s’appuyant surtout sur le
pouvoir et d’autorité empêche la circularité des logiques qui se retrouvent isolées. Ces
logiques isolées feront apparaître une organisation formelle dans laquelle toute
rationalité risquerait de disparaître au profit d’un pouvoir archaïque. Ce travail de
recherche, en proposant en quelque sorte une déconstruction des concepts liés au
pouvoir du chef de service éducatif, pourrait permettre de franchir l’étape de la
légitimité, à travers l’amélioration des pratiques institutionnelles.
11
Deuxième partie
Histoires institutionnelles et
professionnelles
12
1 : Construction identitaire des MECS
1.1 Maison d’enfants à caractère Social10 : émergence historique
Nous allons porter un regard sur l’histoire et sur les grandes idées qui ont conduit les
différentes étapes de la construction identitaire des maisons d’enfants à caractère
social11. Celle de l’institution pour laquelle nous travaillons en illustre bien les
transformations. Cette longue épopée a contribué à la mise en place des enjeux dans les
relations.
Les MECS sont des institutions sociales depuis la loi du 30 juin 1975 relative aux
institutions sociales et médico-sociales qui assurent en internat l’éducation spéciale aux
personnes mineures. Elles accueillent des enfants dont les familles se trouvent en
difficulté et ne peuvent plus temporairement assumer l’éducation.
En France, du début de notre ère à la Révolution, l’assistance aux pauvres existe sous
trois formes : les hôpitaux généraux et les « renfermeries » pour les vagabonds,
l’aumône individuelle pour les mendiants et les compagnies de charité organisées autour
des paroisses pour les « pauvres honteux ». Le caractère charitable prédomine et
l’Eglise en est le maître d’œuvre. Il est communément admis de citer Vincent de Paul
1
Ces établissements d’accueil d’enfants à caractère social, par opposition à sanitaire, sont aussi appelés
« foyer de l’enfance » ; ils remplacent les anciens « orphelinats ».
11
MECS dorénavant dans le texte.
13
(1581-1660) comme le père de l’assistance moderne en France. Il a fondé son œuvre des
enfants trouvés en 1638, ancêtre probable de l’Aide sociale à l’enfance. Il sépare ainsi le
traitement des enfants abandonnés et vagabonds des adultes mendiants, clochards,
handicapés. Il a été le premier moteur d’un système social autour d’un problème
touchant l’enfance et la jeunesse. Des institutions charitables existaient auparavant mais
elles ne bénéficiaient ni de réglementation, ni de financement et reposaient toutes sur le
bénévolat. Vincent de Paul, dénommé Monsieur Vincent, a su mobiliser pour les enfants
abandonnés les riches dames de la société et, en bon gestionnaire, a su orienter leurs
investissements pour cette cause. Selon Jacques DONZELOT12, ces formes
d’assistances sont considérées comme inefficaces car elles entretiennent et font
proliférer la pauvreté plutôt que de l’éteindre, en concourrant toutes à en fausser la
perception, une mutation est nécessaire.
Avec les recherches de l’historien Philippe ARIES (1914-1984), après FREUD (18561939) et ROUSSEAU (1712-1778) qui écrit dans l’Emile ou de l’éducation (1762) « Le
mal ne se trouve pas dans l’enfant, il lui vient de l’extérieur, l’enfant n’est pas un adulte
en miniature, il possède un développement propre », on ne peut plus penser l’enfant
comme avant. C’est ainsi qu’Henri PESTALOZZI (1746-1827) qui est l’un des ancêtres
de l’éducation nouvelle a pu écrire : « Reconnaître, maintenir et promouvoir en chaque
être la dignité de la personne, c’est là toute l’éducation à l’humanité. »
Créé le 21 janvier 1790 le « comité pour l’extinction de la mendicité » va s’atteler au
problème de l’assistance. Suite aux différents rapports de ce comité, la loi du 19 mars
1793 proclame trois principes fondamentaux :

Droit du pauvre à être satisfait.

Obligation pour l’Etat de fournir l’assistance aux pauvres.

Unicité du système des secours publics
C’est alors que l’assistance devient un devoir de la collectivité, elle est un acte de justice
sociale et non plus seulement de charité ou de police. Jusqu’alors, seuls les enfants
abandonnés à la naissance bénéficiaient de prises en charge officielles. Ceux qui
l’étaient par la suite étaient assimilés aux mendiants et aux vieillards. Ils se retrouvaient
12
Jacques DONZELOT. La police des familles. postface de Gilles DELEUZE. Paris, les éditions de
minuit, 1977, 220 p ;
14
comme eux dans les hospices et les hôpitaux. Le décret du 19 janvier 1811 en
constituant la première charte des enfants assistés, différencie cette population d’enfants
de celle des autres catégories d’errants.
En ce début du XIXe siècle, une nouvelle catégorie d’enfants est prise en compte : « les
enfants moralement abandonnés» de plus de 12 ans, ils sont dénommés « délinquants ».
En 1851, avec la loi invitant l’initiative privée à prendre en charge les mineurs
délinquants dans des établissements destinés à les moraliser et à leur inculquer de saines
habitudes de travail, les patronages de l’enfance et de l’adolescence se sont multipliés.
La loi de 1904 dégage un principe essentiel, celui de l’intérêt de l’enfant avec un devoir
de protection et de tutelle envers lui. Mais les œuvres qui effectuent des placements se
plaignent de la situation inconfortable où elles se trouvent à l’égard des familles qui
peuvent à tout moment user de leur souveraineté. « Les lois de 1889, 1898 et 1912 vont
organiser progressivement un transfert de souveraineté de la famille « moralement
insuffisante » vers le corps de notables philanthropes, des magistrats et des médecins
spécialisés dans l’enfance. »13 La loi de 1898 accorde au juge le pouvoir de confier la
garde d’un enfant soit à l’assistance publique, soit à une personne ou une société
charitable, et cela dans tous les cas de « délits ou de crimes commis par des enfants ou
sur des enfants ». Ce qui modifiait complètement le rapport que les œuvres pouvaient
entretenir avec les familles.
C’est dans ce contexte que commence l’histoire de l’institution pour laquelle nous
travaillons. En 1834, une congrégation de religieuses reçoit en don une maison avec
grange, dépendances et pré. Le premier accueil des enfants se fait par l’ouverture de
classes en 1837. C’est ensuite l’ouverture d’un pensionnat en 1881. En 1886, l’école
communale dirigée par les sœurs devient école libre et fonctionne jusqu’en 1902. Les
sœurs doivent quitter l’école qui rouvre en 1915 avec des sœurs sécularisées. Elles
reprennent leurs costumes religieux en 1940. Résultante d’une histoire, la plupart des
équipements spécialisés sont de nature privée, gérés par des associations (loi 1901) à
but social non lucratif. La période 1920-1940 est semble-t-il constitutive de ce secteur
13
Jacques DONZELOT. La police des familles : postface de Gilles DELEUZE. Paris, les éditions de
minuit, 1977, p.80
15
par le fait, par exemple que nombre d’associations voient le jour. Ce mouvement va se
poursuivre pendant la guerre, et surtout à partir de 1947-1948. Malgré ce vaste
mouvement de sécularisation engagé depuis la période révolutionnaire, les œuvres
privées continuent à avoir le monopole sur l’enfance malheureuse par le biais de
nombreux internats de toutes sortes, où des générations entières de jeunes garçons et
plus nombreuses encore de jeunes filles14 plus ou moins délaissées par leur famille
verront leur jeunesse enfermée jusqu’à la mise au travail, sinon la majorité. Ces
institutions privées n’échappent pas à la logique de l’enfermement et de ses excès. Le
chemin qui mène à des conceptions éducatives est encore long. La création de la
sécurité sociale en 1945 représente un tournant considérable qui va faire basculer le
concept de charité vers celui de l’assistance, c’est ainsi que la morale et le sens de la
dette envers les orphelins, les enfants mal traités vont s’institutionnaliser. L’ordonnance
du 2 février 1945 complète et approfondie la loi du 22 juillet 1912 qui séparait
officiellement le sort des mineurs délinquants de celui des adultes, en créant des
tribunaux pour enfants et la fonction de juge pour enfants. La création de tels magistrats
spécialisés va permettre le développement de la notion d’assistance éducative auprès de
mineurs en danger. Ces mesures seront confirmées par l’ordonnance du 23 décembre
1958 qui avec la loi de 1889 sont repris dans la loi du 4 juin 1970 sur l’autorité
parentale. Le juge des enfants doit traiter deux types de dossiers :

Dossiers de mineurs délinquants

Dossiers d’assistance éducative (mineurs en danger)
Le nombre d’enfants recueillis temporaires augmentant, se pose le nouveau problème de
leur placement. La mortalité des jeunes enfants en internat y était très forte, c’est ainsi
qu’apparaissent entre 1920 et 1930 des placements à la campagne chez des nourrices
mais ce placement familial des recueillis temporaires reste minoritaire et limité aux
enfants de moins de 4 ans. Ce n’est que vers 1960 que le placement familial sera prôné
de manière beaucoup plus large et systématique. Les mentalités ont alors évolué,
affirmant la supériorité du milieu familial sur le milieu collectif. Les préoccupations
financières n’ont pas tardé à pousser dans le même sens.
14
Jean-Jacques BODEVIN. L’internat comme milieu ouvert ou la gestion du paradoxe protectioninsertion. Grenoble IEP, DSTS, décembre 1989, 111 pages.
16
C’est ainsi que dans notre établissement, entre 1960 et 1968, le petit pensionnat
composé alors de 10 à 12 pensionnaires, reçoit quelques recueillis temporaires qui
représentaient une aubaine pour compléter l’effectif de l’école des filles, afin de pouvoir
garder les contrats scolaires. En fin de mois, comme le faisaient les familles agréées par
la DASS, le pensionnat envoyait à l’ASE, les factures des frais de chaque enfant. Avant
les jeux olympiques de 1968, le syndicat d’initiative de Grenoble demande aux enfants
des écoles du département d’envoyer des dessins pour égayer les chambres des
journalistes. Cela contribue à faire connaître le petit pensionnat de campagne, ses
enfants épanouis et son ambiance chaleureuse. De nouveaux bâtiments sont construits et
le préfet, sur proposition du directeur Départemental de l’Action Sanitaire et Sociale,
fixe le premier prix de journée à partir de septembre 1967. Les travaux se terminent en
septembre 1968. Le pensionnat peut recevoir 31 enfants (filles de 5 à 14 ans). Le préfet
établit une convention avec l’association de l’enseignement privée (AEP).
1.2 Maisons d’enfants à caractère Social : L’ouverture vers l’extérieur
Autour des années 1970, s’est développé un premier mouvement d’ouverture. Les
congrégations religieuses passèrent la gestion des établissements à des associations
laïques de statut privé. Après 1970, quand l’environnement le permettait, la scolarité ne
se dispensait plus au sein de l’établissement. A cette époque toute la vie du jeune était
concentrée à l’intérieur de l’institution. Le « tout à l’intérieur » correspondait
parfaitement à la demande première du placement, c’est à dire la protection. L’enfant
arrivait au centre d’accueil et suivait le parcours obligé, déterminé par le projet
institutionnel.15 De nombreux internats auto-légitimaient alors des pratiques dites de
rééducation par une opposition à une influence familiale nocive, oisive, objet de la plus
vive réprobation. Afin de favoriser cette position et de lui donner toute chance
d’aboutir, la pratique administrative imposait arbitrairement le secret sur les origines.
15
Christian SZWED. La métamorphose des MECS… Penser l’avenir. In, Action juridique et sociale,
n°213, mars 2002, p 28 à 43
17
Les dossiers ne parvenaient pas aux Maisons d’enfants, la pratique du secret maintenait
des non-dits entre les enfants et les éducateurs. Les équipes confinées dans
l’enfermement, l’ignorance et le secret, travaillaient exclusivement en interne, centrées
sur le groupe au détriment des individus, leur histoire et leur appartenance. Le secret
autour de la question des raisons du placement (l’accès était limité à la direction)
alimentait les propres fantasmes du personnel renvoyant consciemment ou non
l’opposition entre parents mauvais, indignes et l’institution qui ne pouvait être
autrement que bonne !
Ainsi, c’est en 1973 que l’association de l’enseignement privé passe la gestion à une
Association laïque pour laquelle nous travaillons. Cette association organise et gère
trois établissements :

L’établissement d’enfants à caractère social (24 enfants). Et ses annexes, deux
accueils de jour pour enfants à caractère social (10 enfants)

Un établissement de soins de suite et de réadaptation (52 lits)16

Un établissement de personnes âgées (41 lits)
Le projet associatif qui a été modifié en 2002, stipule ainsi sa vocation :
« Apporter, à toutes les périodes de la vie, son aide aux personnes ayant besoin d’un
soutien matériel, moral ou sanitaire dans un esprit d’écoute, de respect, de qualité,
d’indépendance et de désintéressement financier.
Plus particulièrement, l’association a pour but d’assurer la continuité et le
développement d’œuvres inspirées ou créées par les sœurs de la congrégation à l’origine
de l’établissement. »
Nous notons que le passage d’une gestion religieuse à une gestion laïque s’inscrit dans
la continuité des valeurs de la congrégation dont l’établissement est issu. Nous avons
retrouvé dans les écrits laissés par les sœurs17 que : « le manque de salles, une salle à
manger et une salle de groupe, favorisait l’ambiance familiale : une famille de 31
enfants qui, avec leurs deux éducatrices, la cuisinière, la lingère et la directrice,
assumaient toutes les tâches ménagères comme dans toutes familles du village. Elles
16
Nous avons gardés le terme de lit, tel qu’il est stipulé dans le projet associatif. Ce terme traduit bien
l’aspect médicalisé des deux autres structures gérées par l’association.
17
Voir annexe 1
18
participaient à la vie du village comme tout un chacun. Les filles des familles de la
commune étaient scolarisées avec elles. Ce mélange dans les classes entre les filles de
l’internat et celles du village, auquel les familles étaient favorables car elles
considéraient ces jeunes comme les enfants du pays, contribuèrent grandement à leur
épanouissement». Malgré l’augmentation des effectifs, l’établissement préserve son
aspect d’intégration dans le village où il est implanté et ne sombre pas dans le « tout
dedans ». Il est même moteur d’ouverture puisqu’au cours de l’année 1973, pour que
l’école publique du bas de la commune (une classe de garçons) ne ferme pas, les sœurs
proposèrent d’inscrire les filles à l’école publique. L’école libre ne garda qu’une classe :
section enfantine et cours préparatoire. Et en septembre 1977, afin de séparer maison
d’enfants et école, cette classe s’installe à l’extérieur.
La création et le fonctionnement des établissements et services privés relèvent de la loi
du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, qui organise le
support juridique des institutions. Elle vient confirmer la reconnaissance de ce vaste
mouvement professionnel associatif, tout en prévoyant les moyens de contrôle
nécessaires à la tutelle publique pour en maîtriser le développement. A partir de 1982,
l’Etat transfère certaines compétences, avec les moyens financiers correspondants, aux
collectivités
locales
ou
territoriales
(communes,
départements,
régions);
les
départements sont maintenant chargés de l’Aide Sociale. Les élus locaux deviennent
donc des partenaires obligés pour les personnels sociaux et éducatifs.
Avant la décentralisation, les internats étaient sous la tutelle d’une administration
centralisée. Le directeur de la DASS, sous le contrôle du préfet, ordonnait les dépenses,
veillait à l’application de la réglementation et en référait directement au ministère. Le
conseil général engageait sa part de financement sans véritable pouvoir de décision. Les
institutions éducatives étaient ainsi contrôlées plus qu’évaluées. Lorsque les normes
étaient respectées, l’administration jugeait que tout allait bien. Le contrôle était d’ordre
administratif et réglementaire, l’impact local était relativement peu considéré, sauf en
cas de problème grave avec l’environnement. La décentralisation est venue bouleverser
ce système. Elle a défini des territoires, des pouvoirs et des compétences. Les élus du
département sont les décideurs et les financeurs. Les repères d’évaluation changent, la
19
réglementation passe au second plan. Emergent au premier plan deux critères
essentiels :

Le coût de l’internat dans le budget du département. « L’aide Sociale à l’enfance
représente, au plan national le principal poste des dépenses sociales des
départements, à savoir le tiers d’environ 83 milliards de francs en 1999 (12,653
milliards d’euros) soit 27,8 milliards de francs (4,238 milliards d’euros) » (source :
observatoire de l’action sociale décentralisée)18

Le service rendu aux jeunes du département mis en rapport avec l’ensemble des
interventions sociales existantes vis à vis de ce public.
La loi du 22 juillet 1983, entrée en vigueur le 1 janvier 1984, semble avoir eu pour
objectif d’appliquer de réelles politiques de réduction des dépenses avec les schémas
départementaux entre autres. C'est-à-dire d’outils d’observation et de diagnostic des
besoins sociaux permettant de prendre des orientations et de favoriser une plus grande
cohérence dans la mise en œuvre des différentes politiques publiques susceptibles de
concourir aux mêmes objectifs sur le territoire du département.
La loi du 6 janvier 1986 modifiant le code de la famille et de l’action sociale a donné
l’obligation pour le département de financer des mesures confiées à des tiers autres que
l’ASE. Les rapports entre l’Etat et l’initiative privée, les pouvoirs publics et le
mouvement associatif restent toujours problématiques. L’articulation entre ces
différentes instances n’est pas aisée. Une M.E.C.S. est financée par des fonds publics
tout en appartenant à une association privée. Sont-elles semi publiques ou encore semi
privées ? Dans la lignée du rapport Bianco-Lamy (publié en 1980, demandé en 1978 par
madame VEIL) et de la note sur le travail social de Nicole QUESTIAUX, une loi du 6
juin 1984 viendra consacrer les droits des familles dans leur relation avec les services
chargés de la protection de l’enfance. Droit d’être informées sur les conditions et les
conséquences de l’intervention sociale, droit d’être accompagnées par une personne de
son choix dans toutes les démarches auprès du service, droit pour les parents de
participer aux décisions essentielles concernant leur enfant, obligation de recueillir
18
Isère conseil général, direction de la santé et de la solidarité, Schéma départemental des équipements et
services sociaux pour l’enfance et l’adolescence 2000/2005, août 2000, p.9
20
l’avis de l’enfant, droit de faire appel et enfin la révision régulière des situations, au
moins une fois par an.
1.3 Maisons d’enfants à caractère Social : perspectives novatrices
Après les premiers écrits de René SPITZ (1887-1974) sur l’hospitalisme, les travaux de
John BOWLBY et Jenny AUBRY, la considération de l’enfant placé en MECS change
totalement le regard porté par les intervenants : la tristesse de l’enfant, sa dépression, la
sidération des enfants en institutions, les troubles de conduite et de comportement
interpellent les éducateurs d’internat. « Ce qu’il y a de nouveau et de spécifiquement
efficace avec la psychanalyse, c’est l’établissement d’une procédure de circularité entre
les deux pratiques d’expertise (jugement) et de confession (récit de vie) »19 L’action
menée sur les enfants et leurs familles par les MECS à partir de 1989 va prendre en
compte progressivement des perspectives novatrices. Elle révolutionne leurs pratiques :
la suppléance au lieu de la substitution, le respect au lieu du déni de droit, le projet
individuel au lieu du projet collectif, l’ouverture au lieu de la fermeture, le travail avec
les familles au lieu de la relégation des familles…
Car, compte tenu des nouvelles représentations à l’œuvre concernant la famille et
l’école, l’internat traditionnel est de plus en plus mal considéré dans le monde de la
rééducation : on préfère les placements familiaux, les structures d’accompagnement et
les thérapies familiales. Cependant, la théorie des systèmes et l’analyse systémique vont
apporter une lecture nouvelle et une compréhension radicalement différente des
organisations et des communications entre les personnes au sein des groupes et des
entreprises. Ces nouvelles approches vont aider à rénover l’internat et lui redonner du
sens, car il existe de fait et répond à la réalité d’un besoin social : Le nombre total
d’enfants placés en établissement dans l’Isère au 31 décembre est de 1077 enfants en
1995 et de 1059 enfants en 199820.
19
20
Jacques DONZELOT. La police des familles : postface de Gilles DELEUZE. Paris, les éditions de minuit, 1977, p.190
Isère conseil général, direction de la santé et de la solidarité, Schéma départemental des équipements et
services sociaux pour l’enfance et l’adolescence 2000/2005, août 2000.
21
En juin 2000, le rapport de l’IGAS21 consacré à la protection de l’enfance et aux
placements des jeunes à l’Aide Sociale à l’Enfance présente un ensemble de
propositions pour mieux coordonner les actions de l’institution judiciaire et des conseils
généraux, développer la prévention et replacer les parents concernés au cœur du
dispositif, afin de préserver les liens entre l’enfant et sa famille; et le pari de Ségolène
Royal, ministre déléguée à la Famille, de diminuer de moitié, par de simples mesures de
bon sens, le nombre d’enfants placés est en partie à l’origine d’une réforme de l’action
sociale. La loi 2002-2 réforme la loi 75-535 du 30 juin 1975. Jusqu’alors, les institutions
étaient au centre du dispositif, au service des populations qui exprimaient des besoins.
Désormais, ce sont les personnes qui sont au centre des préoccupations. Au passage, le
champ de l’action sociale rénovée s’élargit ; les partenariats suggérés deviennent
nécessités ; le cadre est plus contraignant, mais les contraintes sont pour tous les acteurs
et le schéma devient le pivot de l’organisation, il s’agit d’une entreprise de
rationalisation de l’action sociale autour des schémas, de l’observation et de
l’évaluation.
C’est ainsi que, dans la maison d’enfants pour laquelle nous travaillons, située en plein
cœur d’un village rural, l’arrivée (en 1988) d’un nouveau directeur formé à l’analyse
systémique - et qui s’inscrit dans les nouvelles représentations de la famille et de
l’enfant - aboutit en 1991-1992 à une restructuration : la création de deux unités de vie
indépendantes, (un nouveau bâtiment est construit pour accueillir le deuxième groupe)
est réalisée ainsi que l’écriture et la mise en oeuvre d’un nouveau projet
d’établissement. Son implantation lui permet d'exploiter les avantages de la campagne
(environnement, ouverture sur l'extérieur.....) et d'une petite structure puisqu'elle
accueille 24 enfants âgés de 4 à 14 ans. On peut penser que cette évolution de
l’établissement a probablement été une aubaine pour le maintien de cette petite
structure.
21
Rapport rédigé par Pierre Naves, inspecteur général des affaires sociales, et Bruno Cathala, inspecteur
des services judiciaires, à la demande de Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité, et
Elisabeth Guigou, ministre de la justice. Juin 2000.
22
L'établissement fonctionne en service continu, 24 h/24 h et toute l'année. Les 24 enfants
de l'internat sont répartis en deux groupes autonomes de 12 enfants chacun. Ces groupes
sont verticaux et mixtes, ce qui favorise l'accueil des fratries. La Maison d’Enfants se
veut un lieu interactif avec l’extérieur et a pour objectif de reconstituer un cadre et des
liens de parentalité suffisamment structurés pour permettre une réintégration de l’enfant
dans sa famille.
La mission de l'établissement est double :

accueillir temporairement des enfants pour sauvegarder leurs droits à l'éducation,

tout mettre en oeuvre pour que les parents soient conduits à s'intéresser activement à
l'évolution de leurs enfants ; les aider également à réfléchir sur leurs attitudes
éducatives ; leur proposer les changements nécessaires pour que le climat familial
s'améliore.
L’enfant ne doit pas vivre en « vase clos » à l’internat. La scolarité s’organise donc à
l’extérieur. Les loisirs sont également encouragés par l’inscription à des associations
sportives et culturelles. De plus, les camps, centres aérés et gîtes d’enfants, permettent
aux enfants de découvrir d’autres milieux de vie.
Pour mettre en œuvre son projet, l’institution dispose actuellement, au niveau des postes
de cadre, d’une directrice, d’une chef de service et d’une psychologue. Cette dernière
assure le suivi individuel des enfants quand il est jugé nécessaire par un bilan qu’elle
effectue en début d’année et quand il n’y a pas de prise en charge thérapeutique
extérieure engagée avant le placement. Elle participe aux réunions de synthèse. De plus,
la psychologue de l’établissement propose aux parents et à leur(s) enfant(s) des
entretiens familiaux qui peuvent permettre d’activer un processus dans lequel la famille
pourra observer, expérimenter, introduire des changements dans son fonctionnement.
Ces suivis sont toujours dans l’esprit d’une pensée systémique, porteur du sens dans
l’établissement. Cet espace donné à la famille lui appartient et est différencié des
rencontres autour du projet de l’enfant.
Au niveau du personnel qui n’a pas la charge directe des enfants, il y a deux secrétaires
à mi-temps : une plus particulièrement chargée de l’administratif et l’autre de la
23
comptabilité, deux hommes d’entretien et/ou chauffeurs, un médecin qui assure une
permanence d’une heure par semaine, une institutrice spécialisée pour du soutien
scolaire à raison de trois heures par semaine, une femme de ménage qui entretient les
locaux administratifs.
Les enfants sont encadrés, au sein des groupes de vie, par une équipe éducative
composée de trois éducateurs, et de cinq maîtres ou maîtresses de maison. Les
personnes ayant la fonction de maître ou maîtresse de maison sont considérées comme
faisant partie intégrante de l'équipe éducative dans cet établissement, puisque à travers
le support de l'entretien, ménage, cuisine ou lingerie, elles sont impliquées dans
l'élaboration du projet personnalisé des enfants et, sont actives dans des temps
individualisés auprès des jeunes. L’équipe de l’établissement est pluridisciplinaire,
chaque fonction étant bien définie et articulée avec celles des autres membres de
l’équipe. Tous les membres de l’équipe savent qu’ils font partie d’une institution qui
effectue de la suppléance
familiale et qu’ils ont, à leur niveau, un rôle éducatif.
L’établissement travaille sur le rôle de la complémentarité de fonction de chacun. Des
différenciations sont mises en place au niveau des moniteurs éducateurs et éducateurs
spécialisés. Celles-ci ne se situent pas dans le quotidien ni au niveau de la référence
mais se situent davantage en termes de responsabilités. Une fiche de répartition des
responsabilités est remplie chaque début d’année scolaire. Les tâches incombant à
chaque poste sont pré-établies. Chaque professionnel peut dans son domaine choisir des
responsabilités.
La vie institutionnelle est régulée par de nombreuses réunions. Nous avons calculé qu’il
existe actuellement onze types de réunion que nous avons listées dans un tableau :
24
Réunions
concernant :
Dénomination
admission
Enfants et
familles
synthèse22
Projet
personnalisé23
Fonctionnement
informations
L’institutionnel
A thème
éducateurs24
La régulation
Equipe éducative25
Dénomination
Repas
Par
commissions
Transport
Week-end
Par supervision
supervision
Participants
Directrice, chef de service,
éducateur référent, famille,
travailleur social.
Directrice, psychologue, chef de
service, éducateur référent,
travailleur social
Chef de service, équipe
éducative d’un groupe
Directrice, chef de service,
équipe éducative d’un groupe
Fréquence
1 × /enfant
2×
/an/enfant
3×
/an/enfant
3 × /an
Directrice et tout le personnel
2 ou 3 × /an
des trois structures
Directrice, chef de service et une
3 × /an
des catégories professionnelles
ensemble
Chef de service ½ h et les
1 ×/semaine
éducateurs d’un groupe
L’équipe éducative d’un groupe
1 ×/semaine
Participants
Fréquence
Directrice ou chef de service,
1 × entre
maîtresses de maison, maître de
chaque
maison, éducateur, un enfant
vacances
volontaire
Chef de service, un éducateur de
Sur
chaque groupe, enfants
demande
concernés
Chef de service, les deux maîtres
1 × entre
de maison de nuit, maîtresse de
chaque
maison chargée du ménage, un
vacances
éducateur par groupe
Une pour chaque groupe par
équipe éducative et une
1 ×/mois
individuelle pour chef de service
22
L’objectif des réunions de synthèse, animées par la directrice est, d’examiner la situation de chaque enfant. A partir
des observations et des réflexions qui ont fait l’objet d’un rapport écrit envoyé au travailleur social référent en amont
de la synthèse, les questions à aborder sont développées afin d’affiner des réponses à mettre en place conformément
aux objectifs définis en début de placement.
23
Lors de la première réunion de projet personnalisé, animée par le chef de service, se dégagent les principaux
objectifs sur lesquels nous avons à travailler, à l’aide d’un référentiel d’observation de compétences sociales (élaboré
en interne), des éléments apportés par les familles ainsi que les conclusions des bilans psychologiques et les objectifs
de placement. Deux autres réunions de projet personnalisé, toujours animées par la chef de service, sont programmées
sur l’année scolaire dans un souci d’ajustement des moyens et méthodes éducatives mises en œuvre en fonction de
l’évolution de l’enfant.
24
Les éducateurs de chaque groupe sont responsables de son organisation et de son contenu, l’un étant responsable
de son animation. Elle a pour but : l’échange d’informations concernant la vie ou la situation des enfants, la
préparation d’activités, la réflexion sur certaines difficultés rencontrées avec les enfants ou leur famille, réflexions qui
doivent déboucher sur des actions à mettre en œuvre, l’organisation de la semaine.
25
La majorité de ces réunions ont pour rôle de permettre d’établir un maximum de liens
transversaux entre les différents membres du personnel. Les lieux de réunion qui
permettent une construction et une élaboration stratégique pour les situations familiales
sont moins nombreux. Cette répartition a évolué au cours de l’année 2005-2006 :

L’absence de la direction à la réunion des éducateurs n’est plus d’actualité. D’une
présence du chef de service limitée à une demi-heure pour échanger des
informations, nous sommes passée à une présence continue. Cette évolution a été
demandée par les éducateurs. Ils ont appuyé leur demande sur la volonté d’un œil
extérieur pour leur permettre de prendre du recul dans les situations et pour assurer
de la transparence dans leur travail.

Un échange sur les situations en présence de la psychologue est possible en plus des
deux synthèses par an. Des rencontres entre éducateur référent, directrice, chef de
service et psychologue ont été mises en place. Une première a lieu en début d’année
et une deuxième entre les deux synthèses. Elles permettent d’ajuster la cohérence du
projet global de chaque situation.
Il est ressorti du bilan de juin 2006 avec les deux équipes que ces évolutions avaient été
appréciées. Elles ont permis d’échanger, de réajuster les pratiques et de donner aux
éducateurs un dynamisme d’ensemble plus cohérent. Dans cette nouvelle distribution,
nous relevons la participation plus importante du chef de service éducatif, seul, auprès
des équipes. Cette augmentation n’est pas neutre dans son accompagnement auprès des
éducateurs. Nous verrons au chapitre suivant cette question de la fonction du chef de
service éducatif et ses enjeux.
25
Elle est animée par un éducateur spécialisé. A cette réunion sont abordées : les questions d’organisation concernant
la mise en place du projet, la répartition des moyens mis en œuvre pour les sorties, certaines difficultés relatives aux
enfants pouvant être traitée lorsqu’elles concernent l’ensemble de l’équipe.
26
2: La fonction de chef de service éducatif en question
2.1 Le statut du chef de service éducatif :
Quand apparaît la notion de chef de service ? Le seul écrit que nous ayons trouvé pour
faire l’historique de la profession est un texte
26
qui dénonce l’absence quasi totale
d’écrits. Ce texte s’appuie sur un échange avec Maurice CAPUL. D’après celui-ci, la
dénomination d’éducateur chef est apparue après la deuxième guerre mondiale dans
l’éducation surveillée, seul et unique organisme structuré dans le champ social. Au fur
et à mesure que se développait le secteur de l’enfance inadaptée, il empruntait à
l’éducation surveillée les fondements de ses propres structures, y compris pour le
personnel. Ainsi en est-il de la notion d’éducateur chef.
Il n’existe pas aujourd’hui de définition précise ni de cadre légal unique, mais plusieurs
définitions conventionnelles et statutaires. En ce qui concerne notre situation de travail
dans une MECS associative27, cette dénomination ne deviendra celle de chef de service
éducatif, semble-t-il, qu’à partir des années 1950-1960 où elle prendra sa forme
définitive lors de la signature de la convention collective nationale de travail des
établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées de 1966. D’après
l’annexe 3 de cette convention, peut être chef de service « un éducateur spécialisé
justifiant d’au moins cinq années de fonction en cette qualité ». Il « assume les
26
Christian GAU, Jean-Pierre MARTY, Georges SANS .Le chef de service éducatif : de l’ambivalence
de la fonction à l’identité de la profession. EMPAN N°5, juin 1991, p.64 à 72
27
Nous nous situons dans le champ des associations privées ; pour le secteur public, l’évolution des
dénominations se joue différemment.
27
responsabilités éducatives, administratives dans le cadre de missions ou de directives
fixées par son supérieur hiérarchique. Il est chargé notamment de la mise en œuvre et du
suivi des objectifs éducatifs collectifs et/ou individualisés définis par le projet
pédagogique de la structure concernée ».
Ancien éducateur spécialisé qui excellait dans le domaine de la relation, le nouveau chef
de service éducatif est passé, du vif de l’intervention auprès des usagers, à
l’organisation et au hiérarchique. Sans formation, sans travail particulier et parfois sans
aide. La relation de l’éducateur de groupe rend bien particulière l’action éducative,
comme nous le dit, Michel LEMAY28. Il partage un vécu quotidien par l’intermédiaire
de multiples petits actes concrets et s’engage dans un « ici et maintenant » avec le jeune,
sa famille et le milieu social environnant. L’ancien éducateur, qui était en contact direct
avec la population accueillie, dans une dynamique de groupe journalière, perd beaucoup
en quantité et qualité relationnelle lorsqu’il devient chef de service et qu’il doit prendre
une autre position. Car le chef de service doit se démarquer de cette relation que les
éducateurs ont avec les usagers. La fonction du chef de service ne le situe plus dans la
prise en charge directe des jeunes, les accompagnant dans le déroulement de leur
journée. La prise de distance par rapport à ces actes quotidiens doit permettre au chef de
service de proposer aux éducateurs une organisation qui facilite leur travail. Il doit avoir
connaissance de l’histoire de chaque enfant et des évènements vécus au quotidien afin
d’aider l’équipe éducative à élaborer un pensée éducative à propos de chaque jeune, en
cohérence avec le contexte du placement. Il doit être garant du cadre et faire respecter
les règles de la vie institutionnelle. Ainsi le passage d’un poste d’éducateur de terrain
qui partage son bureau avec ses pairs à celui de chef de service, seul dans son bureau,
peut-être vécu douloureusement.
Les aspirations à devenir cadre découlent du désir de pouvoir être soi-même, d’être
autonome et stratégique dans le temps et l’espace, de pouvoir développer des projets
nous expliquent Bernard DOBIECKI et Daniel GUAQUERE. Pour ce profil de poste,
ils pensent que « la logique du métier d’origine reste très présente, ceux-ci combinent à
la fois les fonctions hiérarchiques ou pour le moins organisationnelles et l’intervention
28
Sous la direction de Jean-Luc MARTINET, Les éducateurs aujourd’hui. Dunod, Paris, 1999, 207p.
28
directe auprès des publics »29. Mais un chef de service éducatif ne doit pas être le plus
compétent dans tous les domaines. Cependant il doit l’être suffisamment pour
comprendre les stratégies, les langages et les objectifs du groupe d’éducateurs, afin de
pouvoir non seulement coordonner leurs actions mais aussi être capable de concrétiser
les différents projets institutionnels.
La situation actuelle de la plupart des chefs de service éducatif, entre la direction et
l’équipe éducative, semble difficile à assumer. Il a encore de nombreux contacts avec le
terrain mais il doit prendre suffisamment de distance pour informer objectivement la
direction. Il sert comme on l’entend parfois de courroie de transmission ou de lien entre
les niveaux de communication. Cette contradiction entre la prise de distance dans la
position relationnelle et l’intervention directe sur le terrain, est-elle à mettre en relation
avec la proportion importante de chefs de service qui ne restent pas en poste ? Nous
n’avons pas de chiffres officiels appuyant une telle affirmation mais le nombre de chefs
de service éducatif qui sont passés à la MECS pour laquelle nous travaillons est assez
significatif :
Chef de
service
sexe
recruté
Mois/année
durée
motif
1
M
Externe
09/78 au 12/78
4 mois
démission
2
M
Externe
10/80 au 04/81
7 mois
démission
3
M
Externe
11/81 au 12/81
2 mois
essai non concluant
4
M
Externe
09/82 au 10/82
2 mois
essai interrompu
5
M
Externe
09/84 au 12/84
4 mois
essai interrompu
6
M
Externe
02/87 au 07/92
5 ans, 6 mois
démission
7
F
Interne
01/93 au 01/98
5 ans
Autre poste interne
8
F
Interne
12/95 au 08/96
9 mois
congé parental
9
F
Interne
07/98 au 06/00
1 an, 11 mois
démission
La réalité de terrain représentée sur ce tableau, nous permet de constater que le fait que
ce soient des hommes ou des femmes, qu’ils soient issus de la maison d’enfants ou de
29
Bernard DOBIECKI. Daniel GUAQUERE. Etre cadre dans l’action sociale et médico-sociale. Paris,
Seuil, 2001, p.28
29
l’extérieur ne change rien au phénomène : ils sont tous partis rapidement excepté un
homme (6) qui a démissionné pour incompatibilité d’humeur avec le nouveau directeur
et une femme (7) qui a accédé par la suite au poste de directrice. Par ailleurs, la
discontinuité des dates s’explique par la présence de la femme du directeur (de janvier
79 à août 86) et d’une sœur de la congrégation religieuse anciennement gestionnaire (de
novembre 68 à septembre 89) qui occupaient les fonctions de secrétaire et secrétaire
comptable et qui faisaient office de chef de service en l’absence de candidat. Pour la
période suivante, le chaos des dates se justifie par la maladie du directeur qui l’obligeait
à prendre des congés thérapeutiques.
Ce malaise, inhérent à ce poste, s’exprime d’ailleurs à travers de nombreuses
expressions : «nous sommes assis entre deux chaises, pris entre le marteau et
l’enclume»30 comme le souligne le résultat d’une enquête menée auprès d’une vingtaine
de chef de service. Dans cet article31 , les auteurs concluent qu’une reconnaissance
officielle de la fonction de chef de service, impliquant : formation uniforme, diplôme
national et statut professionnel, n’est pas suffisante pour lever l’ambivalence. En effet,
cela ne résout pas la position qu’il doit, ou qu’on lui permet d’adopter.
Héritiers des éducateurs chefs, les chefs de service possèdent encore un statut trouble,
un positionnement parfois complexe de cadres intermédiaires. Ils ne sont pas soumis,
comme nous venons de le citer, à une formation obligatoire, qui sanctionnerait ce
passage à une nouvelle fonction. « Les cadres, chefs de service, sont tantôt rattachés à
la catégorie des personnels d’encadrement, tantôt à celle des personnels éducatifs et
sociaux, tantôt aux catégories relevant de la direction. Ces différences traduisent bien le
mouvement permanent et l’incertitude de positionnement pour cette catégorie regroupée
sous le vocable « cadres intermédiaires », tantôt à proximité du terrain et de l’action
opérationnelle, tantôt auprès de la direction, voire en situation de suppléance de cette
dernière. »32
30
Christian GAU, Jean-Pierre MARTY, Georges SANS .Le chef de service éducatif : de l’ambivalence
de la fonction à l’identité de la profession. EMPAN N°5-juin 1991, p.65
31
EMPAN N°5, op.cit
32
Patrick LEFEVRE k. Guide de la fonction chef de service dans les organisations sociales et médicosociales. Dunod. Paris. 2001. p.5
30
« Le chef de service éducatif doit sortir de la position d’intermédiaire pour devenir, le
diplôme aidant, un véritable cadre de direction faisant partie de l’équipe de direction
avec laquelle il aura à réfléchir, dans le domaine de ses compétences, à la mise en place
de la politique institutionnelle »33. Jérome HOUDIN propose de ne pas rester dans
l’espace flou de ces cadres intermédiaires mais de l’orienter vers ce qui peut être
l’intérêt de cette position : la proximité. « Cette notion semble productive pour
actualiser, valoriser et tirer la meilleure efficience de ce type de fonction.»34. Dans le
terme d’intermédiaire (du latin inter, entre, et medius, qui est au milieu) il y a une
connotation négative que l’on retrouve dans ce que Michel CROZIER appelle « Des
cadres-facteurs, se contentant de faire monter et descendre des informations et des
décisions »35. Car, avec le terme d’ « intermédiaire » est introduit la notion de
« compromis » qui confine à la « compromission », « action, parole par laquelle on est
compromis »36 notion piégeante car chargée de connotations négatives. Pourtant le
compromis « convention par laquelle les parties, dans un litige, recouvrent à l’arbitrage
d’un tiers »37 est donc le résultat d’une négociation, d’un échange qui demande un
véritable savoir faire d’autorité négociée. Les cadres intermédiaires devraient être alors
reconnus dans une fonction qui assure une jonction, une communication, une
transmission. Mais Jérome HOUDIN nous explique que la société n’a conscience que
de la connotation négative, car elle a contourné le terme d’intermédiaire pour y
substituer celui de médiation.
Le débat se trouve également posé pour une seconde raison, celle d’un phénomène
d’aspiration. Depuis une vingtaine d’années, les exigences accrues de l’environnement
ont fait considérablement évoluer la fonction directoriale, (re) plaçant le directeur dans
sa véritable fonction de chef d’entreprise : faire autrement avec moins et si possible
mieux. Ce dernier se trouve dès lors beaucoup plus absorbé qu’auparavant par la
dimension stratégique, les relations publiques, la communication, mais aussi la gestion.
33
Christian GAU, Jean-Pierre MARTY, Georges SANS .Le chef de service éducatif : de l’ambivalence
de la fonction à l’identité de la profession. EMPAN N°5, juin 1991, p.72
34
Les cadres de proximité entre légitimité et désertion. In, Management Sanitaire et Social. Sous la
direction de Jérôme HOUDIN, N°7, septembre 2001, p.12
35
Jean-René LOUBAT. Le cadre moderne est avant tout un coach. In, Management Sanitaire et Social.
Sous la direction de Jérôme HOUDIN, N°7, septembre 2001, p.27
36
Le PETIT ROBERT.2004, dictionnaire de la langue française.
37
Le PETIT ROBERT.2004, op. cit.
31
Les principales préoccupations managériales du directeur ne se situent plus dans
l’établissement mais s’élargissent à un niveau associatif. Il convient de raisonner en
termes de projet, de stratégie ; de qualité, de recrutement, de communication. Ce
recentrage permet l’abandon de la fonction paternaliste et charismatique que le directeur
pouvait occuper auparavant, et crée derrière lui, un appel d’air qui peut être occupé par
les chefs de service, qui deviennent alors de véritables adjoints de direction, puisqu’ils
sont amenés à remplacer les directeurs dans certaines circonstances. La fonction de chef
de service a longtemps constitué un passage, une transition dans une trajectoire
professionnelle et un système d’accès à la fonction de directeur. Mais comme l’écrit
Patrick LEFEVRE : « cela n’est plus complètement le cas aujourd’hui dans la mesure
où tous n’accèdent pas au métier de directeur et que peu à peu se sont esquissées une
légitimité durable et une surface identitaire des chefs de service. Cela s’explique aussi
par le fait que la complexification du secteur a engendré une configuration nouvelle des
cadres au sein des équipes de direction, que par ailleurs la socialisation professionnelle
de ces acteurs a développé leurs compétences au-delà de leurs qualités professionnelles
en en faisant des cadres de direction dotés d’une délégation tant stratégique que
technique. »38 Nous conclurons alors que le statut du chef de service éducatif gagnerait
à être conçu dans une position plus stratégique d’élaboration de projets, pour lesquels il
devra toujours être extrêmement clair, sur les finalités de son action et de son type de
délégation.
2.2 Notre rôle à la MECS
A la maison d’enfants, nous occupons le poste de chef de service pour lequel nous
avons signé un contrat qui spécifie que « Nous sommes responsable de la bonne marche
du service éducatif dans toutes ses dimensions et nous rendons compte de l’ensemble
des évènements et informations importants qui doivent être communiqués à la
directrice ». Nous recevons du conseil d’administration, la responsabilité d’une tâche,
d’une mission, d’un service pour lesquels nous devons rendre compte à la directrice ;
nous n’avons pas de délégation. Il est noté dans le contrat de la directrice qu’ «elle peut,
38
Patrick LEFEVRE. Guide de la fonction chef de service dans les organisations sociales et médicosociales. Dunod. Paris. 2001. p.6.
32
sous sa responsabilité, déléguer certaines de ses attributions à des membres qualifiés du
personnel après approbation du conseil…La directrice est responsable de la mise en
œuvre permanente des actions éducatives, médicales, pédagogiques ou techniques pour
lesquelles l’établissement est autorisé. Notamment, elle élabore, après consultation de
son équipe, les projets pédagogiques et thérapeutiques dont elle est le garant ». Nous
sommes bien dans le cas de figure où la directrice dispose de toutes les délégations de
pouvoir du conseil d’administration pour gérer l’établissement. Elle en assume la
responsabilité générale.
Au sein d’une équipe de direction, le directeur et le chef de service occupent un espace
commun qui configure d’ailleurs l’espace de direction. Au-delà, chacun doit pouvoir se
situer dans une responsabilité propre, même si celle du directeur sera toujours existante
en ce qui concerne la délégation faite au chef de service. Dans notre rôle de cadre
intermédiaire, nous ne pouvons agir une délégation claire que si nous-même nous
disposons d’un cadre clair avec des données précises.
D’après le PETIT ROBERT, « déléguer », mot dérivé du latin « delegare », signifie
« Charger quelqu’un d’une fonction, d’une mission en transmettant son pouvoir ». Mais
la responsabilité finale de cette mission revient à celui qui a délégué : « la délégation est
une forme d’organisation et de répartition du pouvoir. Elle englobe le fait de contrôler
ce qui peut être délégué »39 C’est pourquoi nous pensons que déléguer est la
concrétisation de la gestion dynamique du pouvoir au sein de l’établissement. Elle
rappelle à chacun qu’il ne peut pas tout faire, qu’il ne doit pas tout faire et plus encore,
qu’il ne sait pas tout faire. Le problème essentiel de la délégation est « celui de
l’autonomie et du contrôle, deux termes a priori paradoxaux, pour autant essentiels :
l’hypothèse étant que la contrainte du cadre de la délégation (la précision sur son
étendue …) rend plus libre les acteurs » nous disent Bernard DOBIECKI et Daniel
GUAQUERE40. Un directeur ne pourrait dire au chef de service de prendre des
responsabilités, de faire preuve d’initiatives, sans préciser de façon formelle le cadre de
la délégation.
39
Patrick LEFEVRE. Guide de la fonction chef de service dans les organisations sociales et médicosociales. Dunod. Paris. 2001. p.125.
40
op.cit p.146
33
D’après Jean-René Loubat41, un management charismatique dominé par l’affectif et
l’idéologique se caractérise par des réseaux relationnels en étoile qui ne favorisent
nullement l’émergence de cadre intermédiaire ; une idéologie du devoir et de la
déférence, caractérisée par l’absence d’un organigramme précis42 ; une philosophie de
la vérité détenue et entretenue par le leader qui ne procède pas par projet d’action (ce
qui exclut tout partage de pouvoir) ; des sous-chefs qui sont adoubés par le père
supérieur pour leur qualité d’abnégation mais ne possèdent aucun champ d’initiatives ni
délégations véritables : ils sont les voix de leur maître.
A la lecture de ces caractéristiques nous évaluons que nous ne sommes pas dans une
forme pure de management charismatique, mais notre fonctionnement institutionnel en
est encore largement marqué. Dans ce contexte, nous pouvons rapidement être vécue
comme perturbatrice des vérités héritées, et par la directrice actuelle qui a occupé
auparavant les postes d’éducatrice puis de chef de service, et par la psychologue avec
qui le directeur fondateur a restructuré l’établissement en 1992.
Notre cadre
opérationnel n’est pas très précis, concernant nos logiques d’action indépendantes. Dans
notre petite structure le mode de coopération est plutôt sociofamilial et la notion de
délégation est difficile à faire valoir comme l’explique Patrick LEFEVRE43. C’est ainsi
que nous pouvons énoncer que dans nos fonctions et nos tâches, nous nous trouvons
dans une situation de « responsabilité opérationnelle » sans être pour autant en
possession d’une pleine « délégation opérationnelle ». Car ce qui différencie la
responsabilité de la délégation est que la délégation pose d’entrée la question du niveau
d’autonomie de décision et du rendre compte.
Notre cadre de travail comme chef de service éducatif se trouve donc dans
l’opérationnel. Si, nous étudions notre fiche de poste44 nous constatons qu’elle est
divisée en quatre chapitres correspondant à nos responsabilités. Ce sont nos devoirs
41
Jean-René LOUBAT. Le cadre moderne est avant tout un coach. In, Management Sanitaire et Social,
Sous la direction de Jérôme HOUDIN, N°7, septembre 2001, p.23
42
Voir annexe 2
43
Patrick LEFEVRE. Guide de la fonction chef de service dans les organisations sociales et médicosociales. Dunod, Paris, 2001, p.6.
44
Voir annexe 3
34
faire. Une première responsabilité appelée « générale » reprend les termes de notre
contrat de travail, c’est notre mission légale, notre finalité. Pour la mener à bien, nous
avons à notre charge trois autres responsabilités vis-à-vis d’autrui. Une première se
situe vers le personnel et comprend trois fonctions spécifiques :

Planifier : Il s’agit de planifier les différentes réunions, le prévisionnel des vacances
et week-end à venir, l’organisation des week-end et vacances scolaires, les suivis et
bilans des enfants en début d’année chez les spécialistes, la mise à jour des
informations (téléphone des familles, adresses, calendrier des sorties, permanence de
la direction…)

Animer : Nous animons les réunions de projets personnalisés et de certaines familles
suivant la stratégie de travail définie entre l’éducateur référent, le chef de service et
la directrice.

Ecrire : Nous prenons des notes et éventuellement rédigeons les comptes-rendus des
réunions à thème, des synthèses, des fonctionnements d’équipe, des réunions
familles. Nous relisons les comptes-rendus éducatifs.
Deux autres fonctions sont communes avec la deuxième responsabilité qui concerne
l’extérieur :

Gérer : En interne nous gérons les absences du personnel. En externe, tout ce qui
concerne l’accueil des stagiaires et le lien avec les travailleurs sociaux référents des
services placeurs.

Participer : Nous participons à des réunions internes et externes où nous récupérons
de l’information et dans lesquelles nous apportons notre regard, depuis notre place
de cadre intermédiaire et de représentant de notre établissement. Nous discourons
alors, sur le monde dont nous nous occupons avec une représentation, la nôtre.
Depuis notre participation plus importante aux réunions d’éducateurs et l’existence
d’échanges supplémentaires sur les situations des enfants avec la psychologue, cette
fonction a pris de l’importance. Elle interroge sur la place de chaque professionnel
et l’enjeu de son discours.
Dans notre responsabilité vis-à-vis de l’extérieur, une fonction est spécifique :

Collaborer : Elle est spécifiée dans le lien avec nos différents partenaires, puisque la
collaboration en interne est inhérente à notre contrat de travail.
35
Une dernière fonction intéresse nos deux types de responsabilités déjà citées, mais
également la dernière vis-à-vis de la directrice :

Coordonner : Nous coordonnons les passages d’informations à tous les niveaux de
l’établissement. Nous nous situons au centre du système de communication : en
interne, avec l’ensemble du personnel et la direction ; en externe, avec tous nos
partenaires y compris les familles des enfants accueillis. Nous utilisons
majoritairement l’écrit (courriers, cahiers de liaison, notes) car les informations
orales ne sont pas fiables, nous les utilisons en réunions lorsque le récepteur de
l’information peut les prendre en note. Notre coordination est également essentielle
avec la directrice pour tout ce qui concerne le fonctionnement des équipes, de
l’établissement, les réflexions et orientations, l’ambiance des salariés, les projets en
cours ou à venir… Une coordination est demandée également pour les réflexions
plus larges sur les orientations et les adéquations des moyens aux besoins des
enfants. Elle a lieu au niveau des cadres de l’établissement qui regroupent un cadre
opérationnel (le chef de service), un cadre expert (la psychologue), un cadre
responsable (la directrice). Ces rencontres avec la directrice et les trois cadres ne
sont pas régulières. Elles se font plus à la demande de l’un des cadres et en fonction
des évènements. Là, encore, nous nous interrogeons à propos des enjeux de ce lieu
de parole.
Ainsi, pour mener à bien notre mission, nous devons mettre en oeuvre notre compétence
de chef de service éducatif à travers ces sept fonctions principales. Nous utilisons alors
tout notre savoir faire d’ancienne éducatrice spécialisée. C’est une obligation pour
occuper le poste de chef de service dans la convention de 1966. C’est d’ailleurs, en lien
avec notre expérience éducative et notre formation systémique que la directrice nous
avait proposé ce poste. Nous avons l’expérience de terrain et nous nous en servons pour
étayer les équipes éducatives dans leur travail au quotidien. Dans les tâches attribuées à
nos fonctions, nous avons rencontré quelques difficultés, en ce qui concerne
l’organisation. Ce travail est surmontable grâce à la mise en place d’une bonne
méthodologie et avec le cumul d’une expérience qui permettent une meilleure maîtrise
des informations.
C’est ensuite des secteurs sensibles aux enjeux institutionnels que nous avons
découverts à travers les autres tâches. Le chef de service éducatif doit dépasser
36
l’organisation opérationnelle pour adopter un management stratégique en lien avec le
contexte. Il est passé « d’une représentation fonctionnaliste à une représentation
constructiviste des organisations dans lesquelles les acteurs doivent traiter et résoudre
cognitivement les différentes contraintes et les flux d’informations. »45
2.3 Les enjeux du service éducatif : logiques d’action et conflits de pouvoir.
Au regard de notre fonction, nous sommes garante du bon fonctionnement du service
éducatif. Autrement dit, nous conduisons les orientations éducatives tout en veillant à
ce qu’il n’y ait pas de défaillances. C’est un positionnement de responsabilités pour
maintenir l’institution dans une situation idéale. Cette position doit nous permettre de
tendre vers l’amélioration des pratiques, en renonçant au règne de la maîtrise et du
parfait. Or, dans notre démarche de chef de service éducatif, nous voulons
responsabiliser davantage les éducateurs, leur donner plus d’autonomie et plus de
moyens pour prendre de la distance avec leur quotidien. Nos options dans les
plannings sont portées, tant que possible, vers ce choix. Mais, la direction précédente
avait habitué à ce que l’organisation soit planifiée dans ses moindres détails. Par
exemple, pour les enfants restant le week-end, les tapisseries des chambres dans
lesquelles ils devaient dormir étaient précisées sur le planning. Nous n’avons pas voulu
reprendre ce système que nous percevions comme trop cadrant et inhibant. « Le
recours répétitif à un pur savoir d’ordre technique précis se révèle par ailleurs irréaliste
et aveugle à cause de son idéalisation excessive, vraiment improductive »46. Nous
avons voulu par là replacer l’éducateur dans sa fonction de responsable du groupe qu’il
gère seul, dans un temps donné, responsable de la dynamique qu’il installe. C’est une
nouvelle logique d’action que nous créons, ce qui provoque de l’incertitude par le
changement qu’elle nécessite. De plus, ce changement amène à ses débuts plus de
dysfonctionnements, car un temps d’adaptation est nécessaire pour faire concorder les
actions.
45
Bernard DOBIECKI.Daniel GUAQUERE. Etre cadre dans l’action sociale et médico-sociale. Paris,
Seuil, 2001, p.117
46
Sous la direction de Jean-Luc MARTINET. Les éducateurs aujourd’hui. Dunod, Paris, 1999, p.122
37
Dans le domaine de la planification, les règles peuvent sembler claires : c’est
programmé et ça marche, ce n’est pas programmé et ça ne peut pas marcher. Lorsque
l’établissement fonctionnait de manière assez directive, le responsable était vite trouvé.
C’est à travers cette logique rationnelle que la première réaction de la directrice a été
de mettre en doute notre fiabilité : nos plannings, notre organisation n’étaient pas assez
fins, car des erreurs apparaissaient. La directrice supporte mal que cette autre logique
soit mise en œuvre, car elle rend plus compliqué le contrôle de tous et comme elle a la
responsabilité globale de l’établissement, elle ne veut pas une institution à l’image
défaillante. Dans ce type de situation, quand la directrice interfère dans notre volonté
d’établir un accompagnement auprès des éducateurs47, elle ne reconnaît pas nos prises
d’initiatives à propos du management des équipes. Nous devons alors prendre en
compte qu’au travers de nos fonctions de planification, gestion, animation, écriture,
nous devons être bien au clair avec les objectifs institutionnels. Car le choix de
planifier de telle ou telle manière va dépendre, dans certains cas, des choix
institutionnels que l’on va mettre en priorité. Avec nos fonctions de participation,
collaboration et coordination, ce sont les marges de manœuvre, ou le pouvoir faire du
chef de service éducatif, qui sont en question. Nous avons relevé dans l’étude de notre
fiche de poste que lors de notre participation aux réunions et rencontres, ainsi que lors
de notre coordination avec la directrice et la psychologue, les enjeux des différents
discours nous interrogeaient, dans le sens où tous les professionnels n’avaient pas la
même reconnaissance.
C’est ainsi que des situations de conflit existent dans l’interaction entre le
thérapeutique et la pratique éducative. En voici un exemple : pour un suivi
thérapeutique familial, il était convenu entre la famille et la psychologue que seule la
mère viendrait au rendez-vous, pendant que son fils placé vaquerait à ses occupations
dans son groupe, à quelques mètres de l’endroit où, avait lieu le rendez-vous. Nous
étions informée de cette condition. Quelques heures avant la rencontre, la mère nous
appelle au téléphone pour demander l’autorisation d’apporter quelques affaires
chaudes à son fils. Avec l’éducateur référent, nous convenons qu’il nous paraît tout à
47
Nous les accompagnons dans leur rôle éducatif pour leur permettre de se responsabiliser dans le suivi
des enfants auprès des partenaires extérieurs.
38
fait sain, d’un point de vue éducatif, que la mère ait le souci des premiers froids et
profite de sa venue pour équiper son fils. Dans ce système familial existe un réseau
compliqué de fonctions qui se renforcent réciproquement et qui cristallisent les
relations en rôles stéréotypés au détriment d’expériences et d’informations nouvelles et
différenciées, vécues comme trop menaçantes pour l’équilibre familial. Il en découle
entre cette mère et son fils une confusion entre l’espace personnel, lieu de définition de
chacun à l’intérieur de soi, et l’espace interactif, lieu des échanges négociés avec
l’extérieur. Dans la logique de la psychologue systémicienne, le lieu de rencontre
thérapeutique avec cette mère lui permet de travailler sur cette séparation effective. En
lui faisant vivre cette injonction de « venir sans son fils », elle lui permet d’avancer
sur sa capacité de transformation du système familial. Dans la logique éducative, nous
répondons favorablement à la demande de la mère pour lui signifier que notre intention
n’est pas de nous approprier son enfant. Cette venue est l’occasion d’un espace
informel de communication où la famille peut se sentir reconnue et ainsi faire émerger
une relation de confiance entre nous et cette mère culpabilisée du placement de son
fils. Dans une représentation thérapeutique des choses, la mère avait réussi à nous
duper pour voir son fils.
A travers les zones d’incertitudes qui « rentrent dans le jeu des acteurs dont elles
renforcent ou diminuent l’autonomie et par là le pouvoir »48 nous cherchons à
comprendre l’enjeu. L’appel téléphonique de la mère, fait partie des incertitudes, dans
cette situation, un élément nouveau que nous devons intégrer. Ce que nous avons fait.
Dans notre jeu d’acteur éducatif nous n’avons pas de technique, mais nous nous
inscrivons dans l’évènement qui est à créer tous les jours. Alors que le thérapeutique
ne veut pas d’autre mandat que la demande du sujet. Ils ne travaillent que sur ce que
leurs patients veulent bien leur fournir. Or dans ce cas précis, la cliente devait venir à
la rencontre thérapeutique, en respectant l’injonction qui permettait de la faire avancer
dans son lien avec son fils. Ce qui n’a pas pu avoir lieu, du fait, de la logique éducative
qui est venue s’interposer.
48
Philippe BERNOUX. La sociologie des organisations : Initiation théorique suivie de douze cas
pratiques. Paris, Seuil, 1985, p.149
39
Dans le fonctionnement de notre institution, la conception de l’accueil de l’enfant
s’appuie sur un projet global qui définit les grands axes de la prise en charge éducative
et thérapeutique en lien avec les attendus du placement :

Concernant le thérapeutique, des aides sont mises en place face à des difficultés
particulières constatées chez un enfant : séances de psychomotricité, orthophonie.
Quant à la psychologue de l’établissement, nous rappelons qu’elle intervient à
plusieurs niveaux : elle fait partie des cadres de la direction et à ce titre, elle est
consultée sur un grand nombre de questions institutionnelles comme l’orientation
des enfants, mais aussi sur les stratégies à adopter envers le personnel. Et elle
effectue, pour tous les enfants, un bilan systématique, une à deux fois par an. Ce
bilan a une visée d’aide à l’élaboration du travail éducatif qui, faute de concept, n’a
pas de discours propre. Il emprunte tout aux autres disciplines (psychologie,
sociologie, psycho-sociologie…). Certains enfants sont suivis une fois par semaine
en entretiens psychologiques de soutien après l’évaluation du bilan. Des suivis
d’entretiens familiaux sont systématiquement proposés à toutes les familles.

Concernant le travail éducatif, il vise à inscrire le sujet dans une structure normée,
il est axé sur le développement de l’autonomie matérielle et corporelle. Les enfants
sont encadrés, comme nous l’avons déjà dit, par des éducateurs spécialisés ou
moniteurs éducateurs, et des maîtres et maîtresses de maison, qui font parties
intégrantes de l’équipe éducative, puisqu’à travers leurs tâches, ils sont impliqués
dans l’élaboration du projet personnalisé qui définit les objectifs éducatifs pour
chaque enfant dans les différents domaines : scolarité, loisirs, famille…La finalité
est de sauvegarder et mettre en œuvre le droit à l’éducation des enfants accueillis
en collaboration avec leurs familles. Les éducateurs rencontrent régulièrement les
familles autour du projet de l’enfant avec la directrice et/ou le chef de service.
Les rencontres avec les familles qui peuvent être facultatives dans le cadre
thérapeutique et, dans le cadre éducatif, imposées, doivent être différenciées afin de ne
pas perdre de leur cohérence auprès des familles. Cette distinction, dans la théorie,
s’opère par un contenu thérapeutique lors des rencontres avec la psychologue et par un
contenu éducatif lors de rencontres qui s’appuient sur les projets personnalisés des
enfants. Dans leur réalité, les difficultés des familles restent les mêmes, qu’elles soient
40
avec une psychologue ou un éducateur. Pourtant dans notre établissement, tous les
professionnels ont une formation à l’analyse systémique, outil performant dans ce type
de rencontre qui pourrait faciliter la communication mais qui au contraire rajoute de la
rivalité entre les deux pratiques. La baisse de participation aux entretiens familiaux
psychologiques49 est trop récente pour avancer une hypothèse, mais si elle devait se
confirmer, la direction estime que les rencontres dans le cadre éducatif, font trop
souvent barrage pour accéder au thérapeutique. La participation aux deux types de
rencontre multiplie les rendez-vous des familles, mais lorsqu’ elles éprouvent un réel
désir de sortir de leur situation de crise, elles font l’effort de venir. L’autre explication
se trouverait dans le travail autour des projets personnalisés des enfants qui apporte
beaucoup d’éléments qui permettent de faire évoluer les situations familiales. De ce
fait, les familles ne ressentiraient pas le besoin d’aller plus loin dans leur mise au
travail en rencontrant également la psychologue.
Nous constatons que la circularité n’existe pas vraiment entre le thérapeutique et
l’éducatif qui bénéficie de l’éclairage théorique de la psychologue sans que les
éducateurs puissent pour autant partager leur pratique quotidienne, en retour. Le
contenu des rencontres thérapeutiques demeurant secret par respect déontologique, un
échange sur les rencontres avec les familles reste superficiel. Et enfin, entre le
thérapeutique dont la visée dominante est d’analyser les émotions et, la visée éducative
qui met en œuvre des moyens propres à assurer le développement d’un être humain, en
s’appuyant sur ses compétences, la distinction est marquée dans les discours respectifs.
Ils engagent des représentations dans des perspectives différentes. « Disons que
psychiatres et éducateurs prenaient le processus éducatif en sens rigoureusement
inverse et ne pouvaient donc pas s’entendre »50. Chaque discours emprunte à sa vision
des moyens nécessaires pour assurer le fonctionnement de l’ensemble, comme nous
l’explique Philippe BERNOUX : « cette vision différente entraîne des stratégies pas
toujours concordantes. Il y a conflit de pouvoir. »51 C’est bien ce type de conflit qui
49
En 2004-2005, 5 familles sur 18 ont accepté ces suivis, en 2005-2006 seulement 3 familles adhèrent
à ce travail.
50
Jacques DONZELOT. La police des familles : postface de Gilles DELEUZE. Paris, les éditions de
minuit, 1977, p.130
51
Philippe BERNOUX. La sociologie des organisations : Initiation théorique suivie de douze cas
pratiques. Paris, Seuil, 1985, p.156
41
existe dans notre établissement entre le thérapeutique et l’éducatif. Devant cette
situation de conflit, nous avons tenté de faire appel à l’autorité pour le résoudre. Car, à
son niveau, la directrice dispose d’un pouvoir formel avec une autonomie de décision.
Pour Philippe BERNOUX, la définition du pouvoir est la suivante : « le pouvoir de A
sur B est la capacité de A d’obtenir que, dans sa relation avec B, les termes de
l’échange lui soient favorables ». Il n’en est pas de même pour la psychologue qui n’a
pas de position hiérarchique au-dessus de la nôtre. Elle est comme nous, soumise à
l’autorité de la directrice, laquelle a souhaité rester à l’écart de notre différent, mais
nous a recommandé d’être particulièrement vigilantes à ne pas reproduire ce type de
situation.
Dans l’organisation d’un établissement, les chefs de service éducatif sont garants du
bon fonctionnement de l’éducatif. Ainsi, les chefs de service éducatif composent avec
plusieurs acteurs, ils sont donc en présence d’autres logiques qui peuvent entraver leurs
fonctions. Or, les dysfonctionnements sont fréquents quand les choix éducatifs sont
sujets à discorde ou que les choix stratégiques du chef de service éducatif ne sont pas
reconnus. D’après la sociologie des organisations, c’est le concept de légitimité qui
aiderait à réguler ces relations de pouvoir. C’est pourquoi d’une manière plus générale
nous nous interrogeons sur la légitimité du chef de service éducatif dans une MECS.
D’où la question centrale de ce travail de recherche :
Qu’est ce qui permet au chef de service éducatif de construire sa légitimité dans une
MECS ?
42
3 : Construction d’une légitimité
3.1 Les concepts de légitimité, pouvoir et autorité
Il existe une interrogation entre les compétences attendues dans notre fonction de chef
de service éducatif et nos choix stratégiques qui ne sont pas validés. Notre cadre
opérationnel ne permet pas que notre discours éducatif soit reconnu, ce qui nous
conduit vers du conflit de pouvoir. Le concept de légitimité aiderait à réguler ces
relations de pouvoir et à obtenir un travail de collaboration entre les différents acteurs
dont est responsable pour une grande part le chef de service éducatif dans ses fonctions.
Nous allons donc tenter de donner une définition de la légitimité, puis d’analyser les
fondements de sa construction. « Le terme de légitimité évoque le fondement du
pouvoir et la justification de l’obéissance qui lui est due. »52
L’étymologie de « légitimité » du mot latin désignant la « loi », « lex, legis », a donné
« legitimus » : « conforme à la loi ». Cette racine fournit une première approche qui a
évolué depuis. A la fin du Moyen Age selon les affirmations des théories des droits
naturels, la légitimité peut, ou non, s’opposer à la notion de légalité pour signifier la
qualité de ce qui est tenu pour juste. Alors que la légalité est l’expression des règles et
des principes qui sont acceptés ou non par les gouvernés selon la hiérarchie des valeurs
qu’ils effectuent, la légitimité a une dimension relative. Si c’est légal, nous sommes
52
source : Encyclopédie Universalis multimédia
43
dans la contrainte, et ce n’est plus obligatoirement légitime. Les deux termes ont dû se
distinguer dès lors que l’histoire a fait la preuve qu’un ordre pouvait être légal, mais
injuste. Dans une maison d’enfant, il est interdit par la loi de donner des claques aux
enfants. Le règlement de vie de la maison d’enfants confirme bien cet interdit légal. Si,
dans la prise en charge de certains enfants, un adulte donne une claque, ne trouvant pas
d’autres moyens pour mettre fin à la violence verbale d’un jeune, cet adulte est alors
dans la légitimité de défense mais il n’est plus dans la légalité. Notre poste de chef de
service est bien légal au regard des règles de la convention nationale de 66, de
l’habilitation de l’établissement avec son personnel pour l’organisme financeur, de notre
contrat de travail.
Dans le champ de la sociologie des organisations, la légitimité est définie de la façon
suivante : « Il n’y a pas de pouvoir sans légitimité, c'est-à-dire sans acceptation par
l’exécutant de la domination exercée par l’autorité investie du pouvoir formel. »53 C’est
le fait que l’inférieur accepte d’obéir aux ordres du supérieur. Nous constatons qu’en
sociologie les frontières de la légitimité sont proches de celles du pouvoir et de
l’autorité. Si nous allons plus loin dans notre exemple à propos de la claque : suite à ce
type d’évènement, la famille prévenue de l’altercation est en droit de porter plainte
contre l’établissement. Le directeur peut alors utiliser son pouvoir légal pour mettre une
sanction à l’adulte responsable qui reconnaîtra son erreur et la légitimité de la sanction,
dans la mesure où le directeur agit pour que l’adulte ne soit plus la cible de propos
diffamatoires, sinon la sanction pourrait être vécue comme un abus de pouvoir
autoritaire. Ces termes sont des concepts sociologiques dont l’élaboration est souvent
associée au sociologue allemand Max Weber (1864-1920). Celui-ci distingue trois types
idéaux de domination légitime :

La légitimité traditionnelle qui repose sur la croyance dans le caractère sacré des
coutumes et dans la légitimité des gouvernants.

La légitimité charismatique qui trouve sa source dans la croyance aux qualités
exceptionnelles d’un individu et en la nécessité de se soumettre à l’ordre qu’il a
créé.
53
Philippe BERNOUX. La sociologie des entreprises. Paris, Seuil, 1995, p.116
44

La légitimité rationnelle-légale a pour fondement la croyance dans la légalité des
règles établies et dans la légitimité de ceux qui assurent cette domination
conformément à la loi.54
Le concept de légitimité englobe bien les deux autres concepts de pouvoir et d’autorité
qu’il nous faut à leur tour analyser. Pour Max Weber, le pouvoir trouve ses deux
sources dans la légitimité et dans la contrainte. Nous trouvons comme définition du
pouvoir en sociologie : « capacité, au sein de relations sociales asymétriques, d’exercer
une emprise ou une influence sur des individus »55. Le pouvoir est la capacité de faire
agir une autre personne. Il se situe dans une relation d’obéissance et nous choisissons de
le réserver à la fonction des dirigeants. C’est un concept qui se situe dans la hiérarchie
lui donnant la capacité de faire obéir. Dans notre exemple de conflit de pouvoir, le
conflit se situe entre deux instances qui n’ont pas la même approche de l’enfant et
surtout qui n’ont pas de relation hiérarchique entre elle. Cette situation reste stérile
quand les deux parties jouent de leur influence du côté du pouvoir pour casser le travail
de l’autre.
Un autre moyen pour faire agir des individus est l’autorité. Elle fait partie des sources
de la capacité à faire obéir, mais contrairement au pouvoir, que l’on soit dans une
relation hiérarchique, ou pas. Etymologiquement, autorité dérive du verbe latin
« augere » qui signifie augmenter, c’est l’art de diriger et de manager. A de l'autorité
celui qui est capable de faire agir un groupe en bien ou en mal. À partir d'Hannah
ARENDT, on pourrait définir l'autorité comme l'obéissance volontaire de quelqu'un
sans qu'il soit nécessaire de mettre en place une coercition externe. L’autorité ne
découle pas forcément d’une relation égalitaire car « l’autorité implique une obéissance
dans laquelle les hommes gardent leur liberté »56. En ce qui nous concerne dans notre
établissement, notre position de chef de service, qui est posée comme étant au-dessus
des éducateurs, fait autorité auprès des enfants. Lorsque certains enfants enfreignent les
règles de vie de leur groupe, les éducateurs interviennent pour leur permettre de les
54
Source dictionnaire de sociologie. Sous la direction de Raymond BOUDON, Larousse, Aubin
imprimeur, Poitiers, 1989, p.114
55
Dictionnaire de sociologie. LE ROBERT, Seuil, 1999, p.581
56
Hannah ARENDT. La crise de la culture : Huit exercices de pensée politique, Gallimard, 1972, p.136
45
intégrer. Par exemple un enfant qui va manquer de respect à un autre enfant, ou un
adulte, sera vu par les éducateurs pour un rappel à l’ordre. Il sera alors puni et devra
réaliser une réparation envers la personne offensée. Mais suivant la gravité des faits
et/ou leurs circonstances, il sera décidé que l’enfant doit être vu par le chef de service
éducatif qui lui rappellera alors les règles institutionnelles. Si avec l’équipe éducative,
nous le jugions nécessaire, l’enfant pourrait être vu par la directrice. C’est dans un
accord et un arbitrage entre les éducateurs, le chef de service et la directrice que va se
décider comment on peut aux yeux des enfants, asseoir la légitimité de la punition. Ici,
l’autorité n’est pas liée au pouvoir hiérarchique qui permet alors de renforcer son
importance.
De cette analyse des concepts il découlerait que soit nous jouons de pouvoir et
d’autorité ce qui rendrait un conflit sans fin, soit nous reconnaissons à l’autre le droit de
penser différemment. Les deux concepts de pouvoir et d’autorité sont donc bien du côté
de la contrainte, de la persuasion alors que la légitimité est du côté de l’acceptation. Il
faut que les deux parties trouvent un accord, une entente qui réponde à ce type de
situation. Pour que cet accord soit réalisable, il est indispensable que la légitimité de
chaque partie soit reconnue.
3.2 Etat des lieux des légitimités
Dans les deux premiers chapitres, nous avons pu relever que, si la construction
identitaire des MECS avait pu s’élaborer à travers les aléas historiques, sociaux,
éducatifs et politiques, il n’en était pas de même pour la reconnaissance du métier de
chef de service éducatif. Nous insistons sur l’utilisation du terme de « métier » plutôt
que celui de « profession » pour un chef de service éducatif ou un éducateur car « Si
les deux termes sont couramment employés l’un pour l’autre, il est cependant utile de
les distinguer en vue de la réflexion sur les légitimités. Tous les métiers (savoir-faire)
ne sont donc pas des professions ou plus exactement, tous les métiers n’acquièrent pas
46
le statut de profession ».57 Une profession, comme celle de médecin, notaire, ingénieur,
a ses propres lois qui lui permettent de valider et éventuellement de sanctionner ses
membres. Une profession détient sa propre légitimité qui lui vient par sa
reconnaissance professionnelle. « Aux trois types idéaux de légitimité proposés par
Max Weber, les sociologues contemporains en ajoutent un quatrième, celui de la
légitimité fondée sur l’expertise et connue sous le nom de légitimité professionnelle.
Compte tenu des progrès de la technologie et de la division sociale du travail plus
poussée dans de nombreuses sociétés contemporaines, certaines personnes peuvent
obtenir un niveau de légitimité en raison de l’acquisition d’un savoir plus spécialisé et
plus important que les autres. « Ainsi, dans un domaine tel que la science, les médecins
tirent une certaine légitimité de leur niveau d’expertise. »58
Les psychologues ont une légitimité professionnelle, leurs connaissances sont très
attendues dans le milieu éducatif qui peut élaborer à partir de cet éclairage de
spécialiste, voire d’expert. Dans notre établissement, cet apport psychologique est
renforcé et indispensable au vu de l’aggravation de la santé psychique des enfants
accueillis. Depuis l’année 2002, le besoin en suivi psychologique, après une
augmentation conséquente, reste identique. Voici le tableau récapitulatif des enfants
bénéficiant d’un suivi psychologique ces dernières années :
Années
scolaires
1998-1999
Nombre d’enfants
en Suivi interne
16 enfants
Nombre d’enfants en
Suivi externe
3 enfants
Total sur 24
enfants
19 enfants
2002-2003
20 enfants
3 enfants
23 enfants
2003-2004
21 enfants
3 enfants
24 enfants
2004-2005
21 enfants
3 enfants
24 enfants
2005-2006
21 enfants
3 enfants
24 enfants
Nous ne pouvons pas faire le même constat de légitimité dans notre métier de chef de
service, comme nous l’avons expliqué dans le chapitre 2.
57
58
Hélène HATZFELD. Construire de nouvelles légitimités en travail social. Paris, Dunod, 1998, p.13
Encyclopédie Encarta. 2003, Microsoft Corporation.
47
Hélène HATZFELD s’est inspirée des travaux de Max WEBER en les adaptant à la
pratique du travail social, dans laquelle il est possible de distinguer trois types de
légitimité correspondant aux situations le plus fréquemment rencontrées.59

Une légitimité institutionnelle : à caractère formel, fondée sur des règles de droit.
C’est l’appartenance à l’institution et possibilité de la représenter.

Une légitimité démocratique, fondée sur le soutien du peuple et de manière courante
sur une partie de celui-ci. Son idéal est celui de l’union, de la société intégratrice.

Une légitimité de compétence, fondée sur un ensemble de connaissances théoriques
et pratiques, et de capacités relationnelles permettant de caractériser une situation de
formuler des propositions adaptées pour la résoudre.
Ces types de légitimité se rencontrent rarement seules. Elles entretiennent des rapports
étroits, cherchant à renforcer leur valeur en s’imbriquant. Une situation donnée peut
permettre d’accéder à plusieurs types de légitimité. Comme lors du pilotage d’un projet,
le fait de le mener constitue une légitimité démocratique et le fait d’atteindre l’objectif,
une légitimité de compétence. A travers ces trois grands types de légitimité du
travailleur social évoqués par Hélène HATZFELD, on peut donc conclure, en ce qui
concerne les légitimés, qu’on peut être légitimé à l’égard de l’établissement, et ne pas
l’être vis-à-vis des liens avec les collègues, ou des compétences.
Au regard de notre place dans la maison d’enfants, notre légitimité institutionnelle a été
acquise rapidement, à ce titre nous disposons d’un pouvoir légal, l’appellation de chef
de service étant bien repérée dans le contexte social. Notre légitimité démocratique s’est
construite par une reconnaissance de notre personne, de nos valeurs. Le facteur temps a
été important. Nous devons être vigilante à la maintenir, en signifiant notre volonté
d’être à l’écoute et juste envers chacun pour étayer l’équipe, à être claire dans nos
objectifs et porteuse de projets. C’est la légitimité de compétence qui est plus difficile à
valider en toutes circonstances, nos propositions pour résoudre une situation n’étant pas
retenues. Et pourtant sans cette légitimité de compétence, les autres légitimités restent
faibles.
59
Hélène HATZFELD. Construire de nouvelles légitimités en travail social, Paris, Dunod, 1998, p.118
48
Nous sommes alors au vif de notre questionnement : comment le chef de service peut-il
valider sa légitimité de compétence ? Selon Philippe BERNOUX, sa validation renvoie
à deux types de difficultés :
« La première est de savoir ce que l’on entend par résolution des problèmes cruciaux…
L’expertise confère du pouvoir si elle est liée à une situation stable et reconnue dans
l’organisation. »60 Il convient donc de parler de compétence éducative car dans les
institutions, l’expertise demandée au chef de service est de l’ordre de l’éducatif.
« La seconde question posée par l’expertise concerne l’adhésion du groupe aux
conclusions de l’expert. Celui-ci peut bien proposer de bonnes solutions. Si ceux qui
sont chargés de les mettre en application ne les acceptent pas, elle resteront lettre
morte »61 Au regard de cette seconde question, ce n’est pas la qualité de nos logiques
éducatives que nous devons interroger mais davantage la capacité de les faire accepter.
3.3 Logiques collectives en interaction
Nous pouvons alors poser la question : pourquoi la légitimité éducative du chef de
service éducatif serait-elle reconnue ? Poser cette question revient à poser celle de la
source de la légitimité dans les organisations. Michel CROZIER et Erhard
FRIEDBERG en énumèrent quatre, d’après Philippe BERNOUX :

« La première, la plus immédiatement perceptible, est celle qui tient à la possession
d’une compétence ou d’une spécialisation fonctionnelle difficilement remplaçable.
L’expert est le seul qui dispose du savoir faire, des connaissances et de l’expérience
du contexte qui lui permettent de résoudre certains problèmes cruciaux pour
l’organisation. »62 Nous avons abordé cette question lorsque nous avons expliqué la
différence entre le métier et la profession et la difficulté inhérente au statut du chef
de service qui n’avait pas un métier d’expert.

La deuxième source réside dans la maîtrise des relations avec l’environnement.
« C’est le fameux marginal sécant de Michel CROZIER : partie prenante dans
60
Philippe BERNOUX. La sociologie des organisations : Initiation théorique suivie de douze cas
pratiques. Paris, Seuil, 1985, p.163
61
Philippe BERNOUX. op.cit. p.164
62
Philippe BERNOUX. op.cit., p.162
49
plusieurs systèmes d’action en relation les uns avec les autres ».63 Les postes de
chef de service en MECS ne sont pas concernés par cette source, leur fonction ne
les plaçant pas dans différentes organisations.

La troisième source proche de cette dernière est la communication. « La
communication d’information a toujours une grande valeur stratégique. Elle
s’effectue donc en fonction des objectifs des individus et de ceux qu’ils prêtent à
leurs correspondants. » Comme nous l’avons dit, les chefs de service éducatif
coordonnent les passages d’informations à tous les niveaux des établissements. Ils
sont au centre du système de communication avec l’ensemble du personnel et la
direction, ainsi qu’avec les familles des enfants accueillis et tous les partenaires
extérieurs. L’utilisation des différents supports de l’écrit aide à des informations
plus fiables qu’avec l’oral. Les apports de formations, comme en systémie,
management ou en médiation, permettent de travailler sur un positionnement
facilitant la communication stratégique.

Dernière source de légitimité répertoriée par nos auteurs : « l’utilisation des règles
organisationnelles. Les membres d’une organisation sont d’autant plus gagnants
dans une relation de légitimité qu’ils maîtrisent la connaissance des règles et savent
les utiliser. » Les chefs de service éducatif, à travers les plannings, les horaires,
instaurent et utilisent un grand nombre de règles qu’ils peuvent maîtriser grâce à la
mise en place d’une bonne méthodologie et avec le cumul d’une expérience qui
permet une meilleure anticipation.
A travers cette analyse des sources de la légitimité nous pouvons conclure que la
légitimité de chef de service éducatif découle de deux des sources envisagées. La
source qui reste la plus difficile est pourtant la plus centrale tient à la possession
d’une spécialisation fonctionnelle. Les travaux de Philippe BERNOUX apportent un
éclairage intéressant à ce sujet : l’auteur affirme en effet qu’« une logique d’action
naît du sens que l’individu donne à l’action qu’il entreprend, dépendant de la
situation d’action. »64 mais aussi que « le concept de logique d’acteur65 est
63
Philippe BERNOUX. La sociologie des organisations : Initiation théorique suivie de douze cas
pratiques. Paris, Seuil, 1985, p.165
64
Philippe BERNOUX. La sociologie des entreprises. Paris, Seuil, 1995, p.250
50
développé surtout par Renaud SAINSAULIEU, qui l’utilise pour expliquer certaines
réactions collectives de différents groupes à base professionnelle, créant ou
défendant leur identité dans l’entreprise… Les logiques d’acteur sont des attitudes
de groupes sociaux fondées sur une culture née de la pratique du travail et des
relations de travail d’une part, de la difficulté d’accéder au pouvoir de l’autre. ».66
Nous comprenons alors que le chef de service éducatif pourrait faire reconnaître sa
compétence en s’appuyant sur une logique collective. Les compétences du chef de
service éducatif peuvent être acceptées si elles sont portées par une logique
collective,
c'est-à-dire
une
logique
de
l’équipe
éducative.
Or,
Renaud
SAINSAULIEU67 explique qu’il existe quatre modalités principales d’accès à la
reconnaissance de soi et des autres donc à une identité collective qui renforce
l’assurance des logiques professionnelles :
1-« La plus ancienne qui est celle de l’appartenance ». Le salarié est reconnu car il
appartient à telle maison. Dans notre milieu social, cette appartenance est reconnue
lorsqu’il s’agit d’associations qui ont réputation sur leur secteur. Notre établissement est
reconnu car son travail avec les familles est apprécié par les travailleurs sociaux
référents qui en informent les tutelles.
2-« Une deuxième, tout aussi ancienne, repose sur la réalisation d’une œuvre
individuelle ou collective ». La maison d’enfants cultive cet aspect et revendique son
action innovante de travail avec les familles mise en place dès 1992, lors du nouveau
projet d’établissement. Cette dynamique est poursuivie par la directrice actuelle qui est
soutenue par le conseil général dans l’ouverture de nouvelles structures.
3-« La troisième expérience identitaire correspond à une réalité de trajectoire. Elle porte
sur ce que l’individu a fait de sa vie en matière de promotion hiérarchique mais aussi en
termes de mobilité géographique ou fonctionnelle. »L’équipe éducative de la MECS est
composée à 70 % (5 éducateurs sur 7) de personnes qui n’ont que très peu (stages de
formation) voire pas d’autres expériences que la maison d’enfants.
65
Nous précisons que Philippe BERNOUX préfère utiliser le terme de logique d’action d’après le
principe que l’action crée l’acteur. Avec l’action une évolution est possible ce qui n’est pas inclus dans
une stratégie d’acteur qui serait prédéterminée par son histoire.
66
Philippe BERNOUX. La sociologie des entreprises. Paris, Seuil, 1995, p.257
67
Renaud SAINSAULIEU. Comprendre les organisations : Culture et identité : La construction des
identités au travail. In, Sciences humaines, hors série, mars-avril 1998, p.41
51
4-« La quatrième renvoie à la résistance contre toute forme de domination imposée dans
le travail. L’individu est reconnu pour sa capacité et son courage à dire non, je ne suis
pas d’accord dans une situation ». Et comme nous l’avons souligné avec Jean-René
LOUBAT68, dans une institution où le charisme est dominant, les éducateurs ne peuvent
mettre en oeuvre que de faibles ressources stratégiques car ce type d’institution procède
de la logique d’action qui décline du chef d’établissement. Le type de collaboration
demandé à la MECS est de type participatif, les décisions sont présentées comme prises
en commun. Les situations de conflits ou de débats sont évitées.
Il semblerait donc, d’après Renaud SAINSAULIEU, qu’il serait possible de faire
reconnaître la légitimité éducative en développant une logique collective. Dans notre
établissement, cette logique de l’équipe éducative apparaît faible du fait du peu
d’expérience des éducateurs. Le chef de service éducatif, qui n’a pas la responsabilité
du recrutement du personnel, n’a pas la maîtrise de cet impact de l’expérience sur
l’identité professionnelle. Par contre, la quatrième modalité d’accès à une identité
collective, qui se trouve dans la capacité de l’équipe à prendre des positions
déterminées, lui est accessible69. Il peut, dans sa fonction, aider les éducateurs à affirmer
leur point de vue, au risque de se confronter à d’autres idées, car c’est de la
confrontation que se développera leur reconnaissance. Ce qui nous permet de faire le
lien avec une légitimité éducative qui doit se construire dans une interaction mettant en
jeu des logiques différentes, éducatives, thérapeutiques…
Ce constat nous mène à élaborer l’hypothèse suivante :
«La légitimité du chef de service éducatif dans une MECS repose sur sa légitimité
éducative qui n’est reconnue que si la logique éducative s’articule avec les autres
logiques en présence. »
68
Jean-René LOUBAT. Le cadre moderne est avant tout un coach. In, Management Sanitaire et Social,
sous la direction de Jérôme HOUDIN, N°7, septembre 2001,
69
Dans le cadre de notre projet d’action demandé pour la formation du DSTS, nous avons réalisé
l’adaptation des projets personnalisés de la maison d’enfants. Nous avons permis à l’équipe éducative
d’affirmer ses valeurs et ses objectifs éducatifs à travers l’élaboration d’une nouvelle grille d’observation
établie d’après un référentiel d’observation des compétences sociales (ROCS de Jacques DANANCIER.
1998. Le projet individualisé dans l’accompagnement éducatif. Paris, Dunod.)
52
Conclusion
Dans cette première partie, nous avons vu que l’évolution des MECS s’est réalisée en
lien avec l’histoire des contextes socio-politiques. Leur émergence se situe dans le
bénévolat et la charité, puis évolue vers le devoir de protection, pour aboutir aux droits
de l’enfant et sa famille. A travers les siècles, la considération et la représentation de
l’enfant et de ses besoins ont considérablement évolué. Les MECS ont vu le jour puis
ont dû s’adapter aux évolutions de nouvelles conceptions éducatives. Leur ouverture
vers l’extérieur a été une première fois salvatrice. Aujourd’hui, c’est une grande
adaptabilité qui leur est nécessaire pour actualiser le processus de leurs prises en charge.
Avec la loi 2002, le processus doit s’inverser. Ce ne sont plus les familles qui
s’adressent aux institutions en fonction de leurs besoins. Elles doivent être au centre des
préoccupations des structures qui s’adaptent à la mesure des besoins.
L’histoire de la MECS pour laquelle nous travaillons illustre bien cette épopée. La
présentation de son fonctionnement nous révèle que, même si elle a su s’adapter aux
exigences toujours plus accrues de son contexte, la réalité de son organisation interne
actuelle présente quelques incohérences.
Nous avons continué à poser le contexte de notre recherche avec les particularités
inhérentes au poste de chef de service et les enjeux de l’éducatif de l’établissement dans
lequel nous travaillons. Le poste de chef de service a un statut trouble, un
positionnement parfois complexe de cadre intermédiaire. Les chefs de service éducatif
ne sont pas soumis à une formation obligatoire : équipés de leur expérience de terrain,
ils doivent passer à l’organisation et la planification.
Dans notre poste, nous sommes responsable du bon fonctionnement du service
éducatif. Nous sommes dans une situation de responsabilité opérationnelle qui se
différencie de la délégation opérationnelle qui demanderait que soit posée d’entrée la
question du niveau d’autonomie. Dans ce cadre opérationnel de notre fiche de poste, de
nos devoirs faire de chef de service éducatif, nous utilisons tout notre savoir faire. Nos
compétences acquises par l’expérience, nos formations et une méthodologie nous
permettent d’étayer les équipes éducatives.
Nous observons alors que nos choix
53
stratégiques dépendent dans certains cas, des priorités institutionnelles. Ce constat
demanderait un dialogue qui n’est pas toujours possible. A travers l’exemple de la
confrontation des logiques entre le thérapeutique et la pratique éducative, nous mettons
en évidence un conflit de pouvoir. Dans ce type de situation, une entente n’est plus
envisageable. Nous nous confrontons alors à notre légitimité de chef de service
responsable opérationnel qui n’est pas validée.
Nous nous situons dans le champ de la sociologie des organisations qui définit la
légitimité par le fait qu’une personne accepte d’obéir aux ordres. En poursuivant la
déconstruction de ce concept, étroitement lié à ceux du pouvoir et d’autorité, nous
arrivons au constat que si l’autorité n’est pas dans la hiérarchie, contrairement au
pouvoir, ces deux concepts restent du côté du faire faire à la différence de la légitimité
qui, dans un cadre de hiérarchie ou non, se trouve dans la capacité à faire accepter.
Dans notre exemple, pour mettre fin au conflit de pouvoir entre l’éducatif et le
thérapeutique, il faut arriver à ce que la légitimité de chaque partie soit reconnue. Les
psychologues ont une profession légitimée du fait de leur compétence d’expertise très
attendue dans le milieu éducatif. Notre métier de chef de service éducatif en pleine
construction identitaire doit aussi faire accepter sa légitimité. Nous explorons alors
l’état des lieux de nos légitimités et leurs difficultés à être validées. Ce qui nous amène
à la conclusion que c’est la légitimité de compétence qui est la plus difficile à valider et
pourtant, sans elle, les autres sources restent faibles.
La compétence demandée au chef de service est de l’ordre de l’éducatif. Nous passons
ainsi de « légitimité de compétence » à « légitimité éducative ». Nous comprenons que
nous pourrions faire reconnaître notre légitimité éducative en développant une logique
collective. La logique éducative du chef de service est en lien avec la logique collective
des équipes éducatives et ces équipes ont une identité faible comme nous l’expliquons
par la typologie de Renaud SAINSAULIEU. La construction de la légitimité éducative
du chef de service doit passer par la reconnaissance de la logique de l’équipe éducative
car le chef de service doit être perçu comme quelqu’un qui porte l’éducatif, qui le
représente. En rendant légitime le travail de cette équipe, il alimente sa propre légitimité
qui permet une mise en commun.
54
Deuxième partie
Histoires institutionnelles et
professionnelles
55
1 : En quête de légitimité et d’articulation de logiques
1.1 L’approche méthodologique
Il existe une tension entre les compétences attendues dans notre fonction et les
compétences acquises antérieurement qui correspondent mais ne suffisent pas à nous
légitimer dans ce poste. Ce constat nous amène à tenter de donner une définition de la
légitimité puis d’analyser les fondements de sa construction. Nous avons saisi que notre
légitimité se construisait sur notre légitimité éducative, attachée à des logiques
collectives que nous partageons avec les éducateurs. Mais cette logique éducative vient
se heurter à d’autres logiques, comme celle du thérapeutique, ce qui entraîne des
conflits de pouvoir sans fin. Pour que les confrontations ne soient plus des obstacles
mais des outils au service de la construction de notre légitimité, nous pensons qu’elle
doit être alimentée par une capacité à combiner les différentes logiques entre elle.
Pour répondre à la question : Qu’est ce qui permet au chef de service éducatif de
construire sa légitimité dans une MECS ? nous avançons l’hypothèse : «La légitimité
du chef de service éducatif dans une MECS repose sur sa légitimité éducative qui
n’est reconnue que si la logique éducative s’articule avec les autres logiques en
présence. »
Nous devons apporter des éléments de compréhension quant à cette position. Il est bien
certain que cette hypothèse ne peut, à elle seule, apporter une réponse quant à la
56
légitimité du chef de service dans une MECS. Il y a également nécessité de prendre
conscience qu’il s’agit d’un métier pour lequel l’appui sur une formation est bénéfique,
qu’en dehors des compétences éducatives il faut acquérir des capacités en organisation,
rigueur, communication et en connaissance des règles et usages d’une institution.
La légitimité doit concerner un ensemble de tâches quotidiennes dans lesquelles chaque
secteur a le droit de réagir, de penser. Elle ne doit pas être la justification d’une
domination. Si notre hypothèse est confirmée, nous pourrons conclure que les
éducateurs dans une MECS participent à la légitimité du chef de service éducatif quand
il y a une articulation de la logique éducative avec les autres logiques.
La seconde partie de notre recherche nous permet de vérifier sur le terrain le bien fondé
de notre propos et de pouvoir ainsi tester notre hypothèse. Nous sommes allée à la
recherche de la légitimité de chef de service, la reconnaissance des logiques éducatives,
le contrôle des zones d’incertitudes, les conflits de pouvoir.
Au regard de l’inter-dépendance entre les différents secteurs qui peuvent être compris
dans une MECS nous avons choisi de nous rendre dans des établissements qui sont du
même modèle que celui dans lequel nous travaillons. En effet, la place de l’éducatif en
tant que spécialité est plus ou moins légitimée suivant les autres domaines en présence
dans l’institution. Une institution qui comprend, au sein de son projet, un secteur
éducatif et d’autres secteurs, comme l’enseignement ou le médical, connaît des tensions,
des conflits de pouvoir qui vont influencer le degré de légitimité de chaque partie. C’est
pourquoi nous avons fait le choix préalable que ces MECS soient composées
uniquement de groupes éducatifs dont les enfants sont scolarisés à l’extérieur. D’autre
part, elles doivent disposer d’un poste de psychologue et hiérarchiquement être
composées d’un directeur et d’un chef de service, la présence d’un autre cadre
intermédiaire est un critère de non sélection.
Dans une liste régionale des MECS, nous avons sélectionné celles qui sont situées hors
du département dans lequel nous travaillons, pour éviter d’éventuelles interférences
avec nos partenaires institutionnels. Parmi celles que nous avions sélectionnées, nous
57
nous sommes fixé d’en retenir deux comme lieux d’investigation. Nous en avons
interrogé 18 par téléphone sur la composition de l’équipe de direction, sur l’age de la
population accueillie et sur la présence ou non d’une école en interne. Lors de cette
première prise de contact, nous en avons éliminé 14, pour lesquelles au moins un des
critères ne correspondait pas à notre choix préalable. Pour les quatre restantes, nous
avons demandé à parler au directeur. Un des directeurs peu enclin à investir du temps
dans cette démarche, devait nous rappeler après en avoir parlé avec son chef de service
ce qu’il n’a jamais fait. Un deuxième a montré une grande méfiance vis-à-vis des termes
que nous avons employés démarche d’enquête, logiques éducatives, organigramme…
avant de refuser notre demande. Donc seul, deux directeurs ont répondu favorablement
pour une démarche d’enquête, dans leur établissement, sur les moyens mis en œuvre
pour construire une logique éducative. Dans l’un de ces deux établissements un nouvel
élément que nous n’avions pas prévu dans nos critères est apparu, puisque cet
établissement comporte un poste de psychologue et de médecin psychiatre. Nous avons
considéré que ce poste supplémentaire venait renforcer le secteur thérapeutique et qu’il
ne venait pas ajouter une inter-dépendance par rapport au poste de chef de service
éducatif. Nous avons donc conservé cet établissement dans notre liste.
1.2 Les démarches d’investigation
Au regard de notre problématisation et de notre hypothèse, nous avons privilégié les
méthodes d’étude de documents écrits et d’entretiens. Ces méthodes nous permettent de
recueillir des discours sur une pratique que nous complétons par la lecture des projets
d’établissement pour y étudier l’organisation telle qu’elle est prévue afin d’éclairer
notre hypothèse. L’enquête a donc pour objet de rechercher comment la logique
éducative est mise en œuvre ainsi que les légitimités du chef de service éducatif.
L’analyse des discours dans cette double dimension doit nous permettre de mieux
comprendre l’interdépendance des logiques pour pouvoir s’en saisir en tant qu’acteur en
institution.
Nous renonçons à l’entretien directif dont les indicateurs construits d’avance pourraient
nous faire manquer des données auxquelles nous n’aurions pas forcément pensé. Ainsi
58
qu’à l’entretien non directif pour lequel nous craignons d’être envahie par des propos
hors sujet. Nous avons procédé par entretien semi directif avec le support de
l’organigramme existant (ou un autre à élaborer en cours d’entretien) pour créer un
stimulus, pour que l’interviewé parle de son propre cadre de référence et concrètement,
aborde naturellement comment ça se passe, ses facilités et ses difficultés. Nous avons
demandé à rencontrer, dans les deux établissements volontaires, chacun des acteurs
directement concernés par la mise en oeuvre des logiques éducatives et thérapeutiques.
L’échantillon des personnes à rencontrer se composait donc du directeur, du chef de
service, du psychologue et d’un éducateur par groupe d’enfants constitué dans
l’établissement.
Dans le premier établissement que nous nommerons « A », nous avons eu un premier
entretien avec la directrice qui nous a permis, ensuite, de prendre contact directement
avec le psychologue, le médecin psychiatre et le chef de service. Ce dernier a convenu
également avec nous, de rendez-vous avec un éducateur de chacun des trois groupes de
l’établissement. Nous nous sommes rendue à l’établissement pour des entretiens
nominatifs qui se sont déroulés dans les bureaux respectifs de chaque personne
rencontrée, la psychiatre utilisant le bureau du psychologue et les éducateurs soit leur
bureau d’équipe, soit leur salle commune de groupe, sur des temps de permanence. La
directrice nous a remis le projet d’établissement écrit en juin 2003 et le livret d’accueil.
Les personnes que nous avons rencontrées avaient été informées de notre démarche par
la directrice, qui nous présentait comme un chef de service en formation. Nous avons
été vigilante, lors de l’entretien avec la directrice, à ne pas dévoiler un autre statut que
celui d’étudiante, mais, prise dans une certaine anxiété qui accompagnait la conduite de
ce premier enregistrement, nous avons, en fin de rencontre, évoqué notre expérience en
tant que chef de service.
Dans le deuxième établissement que nous nommerons « B », lors de notre premier
contact téléphonique avec le directeur, nous étions convenu avec celui-ci de deux
matinées sur lesquelles il se rendrait disponible, ainsi que le personnel que nous
sollicitions pour nos entretiens. Nous nous sommes présentée à l’établissement pour une
matinée d’entretien prévue lors d’une journée consacrée à des réunions. Pour nous
59
rencontrer, les éducateurs volontaires, ainsi que les cadres de l’établissement, ne
participaient donc pas à la réunion institutionnelle ou d’équipe simultanée. Le directeur
nous a donné un exemplaire du livret d’accueil, s’excusant pour le projet
d’établissement encore inexistant, qu’il prévoit d’élaborer prochainement. Nous avons
rencontré un éducateur de chacun des groupes sur cette première matinée, dans le
bureau du chef de service. L’un d’eux s’est rendu disponible à la place du psychologue
qui a refusé d’être absent d’une réunion institutionnelle. Il était en instance de départ de
cet établissement, mais a accepté que nous reprenions rendez-vous pour plus tard, dans
son bureau au CMP où il exerce. Lors de la deuxième matinée, nous avons rencontré le
directeur dans son bureau et nous avons dû reprendre rendez-vous avec le chef de
service, qui n’était pas disponible dans l’immédiat et préférait nous rencontrer un autre
jour de la semaine, sans réunion concomitante. Les personnes interviewées n’avaient
pas connaissance de notre statut professionnel.
Les entretiens se sont déroulés entre le 13 octobre et le 28 novembre 2005, ils ont duré
entre 25 et 92 minutes70, cependant la moyenne est proche d’une heure. L’entretien
excessivement court de 25 minutes s’explique par le peu de disponibilité du médecin
psychiatre de l’établissement « A » qui n’intervient que 3 heures par semaine. Les
entretiens ont parfois été entrecoupés par des appels téléphoniques comme pour les
éducateurs de « A », qui étaient de permanence. Le chef de service de « B » nous a fait
visiter l’établissement. Nous n’avons pas visité l’établissement « A » ; la directrice nous
a laissé la possibilité de reprendre rendez-vous pour le faire.
Avant d’annoncer la raison de notre enquête, nous avons installé le matériel pour
enregistrer, en précisant que l’anonymat de la personne et de l’institution serait respecté
dans notre travail, mais que pour des raisons méthodologiques, nous sommes obligée de
passer par l’enregistrement. Après avoir expliqué que nous faisions un travail de
recherche sur la mise en œuvre des logiques éducatives et leurs articulations avec les
autres logiques dans une maison d'enfants, nous avons demandé dans un premier temps
à la personne de nous présenter simplement son parcours, sa formation initiale, ses
éventuelles formations complémentaires, comment elle avait accédé à son poste. Il est
70
Le lecteur trouvera en annexe 4 la retranscription d’un entretien auprès d’un éducateur
60
apparu que, lors des entretiens avec les éducateurs et les deux chefs de service, nous
avons dû insister sur le fait que nous allions poser des questions pour guider l’entretien,
afin de rassurer ces personnes qui n’avaient pas réfléchi au préalable à cette question
des logiques. Le démarrage par le parcours professionnel a permis à tous de se
détendre en discourant sur des faits concrets. Nous pouvions ensuite les interroger sur
leur travail et le fonctionnement de l’établissement. Seul le chef de service de « A »
n’est pas passé à un discours sur sa pratique professionnelle actuelle. Nous expliquons
ce frein par une prise de poste toute récente, puisqu’elle est chef de service depuis deux
mois. Nous avons été surprise par la rapidité et la systématisation pour accéder, de
façon plus ou moins explicite, à des « tragédies » passées ou actuelles des
établissements. Le médecin psychiatre (5) est resté très extérieur à ces questions
institutionnelles, se positionnant, jusque dans son discours sur sa pratique, dans son
rôle d’expert : « l’histoire de l’institution, la directrice la connaît beaucoup, beaucoup
mieux que moi »
Dans la logique du recueil de discours sur une pratique professionnelle, nous n’avions
pas élaboré de guide d’entretien à proprement parler, mais un guide71 qui nous
permettait de ne pas oublier les points importants à identifier, afin d’avoir une trame,
pour nos relances. Ce guide s’est élaboré à partir des réflexions apparues lors de la
rédaction de la première partie de ce travail, et principalement des outils de la sociologie
des organisations.
1.3 Traitement des données
L’existence d’un projet d’établissement dans un seul des deux établissements ne nous
permet pas de l’utiliser comme méthode d’investigation, nous nous sommes restreinte à
l’étude des livrets d’accueil pour ne pas mettre un décalage dans notre étude et la
rendre moins significative. La lecture de ce document nous a
permis
une
compréhension plus rapide de l’organisation de ces maisons d’enfants et un support
concret lors des entretiens réalisés.
71
Voir annexe 5
61
Les treize entretiens ont été enregistrés et retranscrits dans leur totalité avec le souci
d’indiquer les intonations, les rires, les silences, les hésitations et les éventuelles
interruptions. Le corpus ainsi obtenu représente 200 pages (sur la base d’un interligne
simple). Nous avons premièrement, réalisé un tableau72 à partir des informations
obtenues, au sujet du parcours des personnes interrogées, pour repérer leurs principales
caractéristiques. A chacune d’elle, nous avons attribué un numéro, compris entre 1 et
13, pour classer les entretiens dans l’ordre où nous les avons effectués. Nous avons
également procédé à un relevé de tous les extraits de discours que nous appelons
« items ». Dans chaque entretien retranscrit, chaque item identifié produisant
objectivement du cohérent a fait l’objet d’un copier-coller afin de le saisir sur un
traitement de texte regroupant ainsi transversalement tous les items (précédés par la
fonction et la lettre de l’établissement auquel la personne est identifiable) par sousthèmes et non plus par personne interviewée. Les sous-thèmes sont ensuite classés dans
des sous-chemises qui sont à leur tour regroupées dans une chemise par thème. Par
exemple l’item « Et puis l’anticipation pour moi, un chef de service ce n’est pas un
éducateur chef, ça n’a rien à voir… » est rapporté au sous-thème de l’appellation chef
de service/éducateur-chef qui appartient au thème des fonctions du poste. Dans les cas
où le discours de la personne interrogée ne comprenait pas d’item dans une souscatégorisation nous l’avons précisé par un : « Rien dit ». Ce relevé nous a permis de
classer au fur et à mesure, de la lecture des entretiens, tout ce qui a du sens et d’élaborer
la grille d’analyse thématique73 qui comprend ainsi trois grands thèmes et quelques
sous-thèmes que nous auront à relier avec notre hypothèse en troisième partie:

Biographies de chef de service : ce thème comprend tout ce qui a trait aux trajets
individuels avant l’accès au poste de chef de service : recrutement, positionnement,
expérience, formation

fonctions du poste : nous avons regroupé dans ce thème les histoires
institutionnelles avec les histoires et statut du poste, leur création, leur dénomination
et leur rôle.
72
73
Voir annexe 6
Voir annexe 7
62

Cohérence de fonctionnement : les personnes abordent assez facilement les conflits
de pouvoir dans le concret de leur fonctionnement avec ses difficultés liées à de la
résistance, de l’usure, de la fermeture, des logique isolées et des facilités données
par la confiance, la communication, la reconnaissance, la transversalité.
Nous avons ainsi, obtenu un découpage qui prend du sens suivant le comparatif que
nous pouvons faire entre des locuteurs différents, par leur établissement d’appartenance
et/ou par leur statut. Dans les trois chapitres suivants chaque sous-thème a été présenté
en fonction de ce qui ressortait comme logique de séparation. Même si nous avons
découpé et ordonné la parole des personnes pour construire une présentation qui reflète
notre propre compréhension de ce qui nous était dit, nous avons choisi de citer des
passages importants de la parole des personnes, source directe de connaissances.
Ainsi, nous restituerons le contenu des discours des personnes interrogées en trois
chapitres : biographies de chef de service, les fonctions du poste, le fonctionnement des
établissements, en essayant de repérer la légitimité du chef de service éducatif et
l’articulation de sa logique éducative avec les autres logiques.
63
2 : Biographies de chef de service
Cette biographie concerne la restitution des propos concernant les préalables à la venue
d’un nouveau chef de service éducatif et ses éventuels effets sur sa légitimité. Seuls, les
deux thérapeutes de l’établissement « A », qui se situent hors champ institutionnel, ne
disent rien sur cet aspect qui est largement abordé par les autres personnes.
2.1 Recrutement en interne ou externe
Nous constatons que l’association est concernée, dans les deux lieux, par le choix d’un
recrutement en interne ou en externe, comme nous le dit (10) « elle m’a proposé
effectivement dans cette maison le poste de chef de service en lien avec l’association
bien sûr. ». (7) nous précise d’ailleurs qu’un principe de départ peut être adopté « La
directrice de l’association, qui est très ouverte, aussi, et qui part du principe qu’elle
préfère faire une promotion en interne, plutôt que de prendre des gens de l’extérieur. ».
Cependant, les modalités de recrutement (interne et externe) se sont présentées de
manière inversée dans chacun des établissements : les deux établissements en sont à leur
deuxième recrutement de chef de service, le premier chef de service de l’établissement
«A»
venant de l’extérieur et le deuxième de l’intérieur, et réciproquement pour
l’établissement « B ». Toutefois cette préférence s’est faite en fonction du contexte du
personnel et de l’institution au moment de l’embauche.
64
L’établissement « A » a fait le choix d’une première personne de l’extérieur. D’après
(7), « c’était une création de poste donc là il n’y a pas de… mémoire, il n’y a pas eu de
proposition en interne. Ils ont pris effectivement quelqu’un de l’extérieur » pour les
qualités de la personne, qui avait une expérience d’éducateur. Après le départ de cette
personne qui n’a pas pleinement satisfait, l’association, avec la directrice, a recruté
différemment, nous explique (1) « Et là, nous, on a privilégié la compétence,
l’expérience, la connaissance de la maison, du réseau, des autorités de placement, des
horaires dans la maison des sensibilités de chacun, etc. » Le contexte institutionnel et
les qualités d’une personne en interne ont orienté le choix pour (1) « On a vu des
personnes de l’extérieur aussi, hein, non, non, c’est quelqu’un qui a toujours été, bon
qui a de la bouteille, et qui a toujours été très active et très sensible à cette synergie74. »
Pour l’établissement « B » on ne peut pas parler à proprement parler d’embauche à la
création du poste, mais d’une promotion interne qui permettait le glissement vers un
poste de chef de service, nous précise (4) « Oui, je l'ai connu comme éducateur,
éducateur un petit peu « chef » entre guillemets ; je dis entre guillemets, parce que
c'était une période un peu bizarroïde, où, justement, il avait été mis éducateur, enfin
responsable de l'équipe mais à mi-temps. » Puis ce poste a été disponible car le chef de
service est devenu directeur après le départ de la directrice. Après un temps de vacance,
le choix de recruter un chef de service venant de l’extérieur a été fait, en lien avec
l’absence en interne d’une personne élue, comme le directeur l’avait été par sa
directrice : (10) : « Elle (la directrice de l’époque) m’a un peu conforté dans le fait
d’être quelque part, oui, on peut tout mettre sur le dauphin tout ce qu’on veut, à être à
cette place là, c’est sûr. Mais je n’aurais pas rejoué, j’aurais pu rejouer cette chose là
avec quelqu’un avec qui effectivement on aurait été vraiment en phase, et ce n’était pas
le cas. » C’est ainsi que, comme nous l’explique, le deuxième chef de service (11), il a
été recommandé par un des directeurs de l’association pour son expérience aux
fonctions d’éducateur. « Elle me dit vous savez je vous ai reçue parce que je vous avez
convoquée mais je n’ai
pas fait attention à votre ancienneté je ne peux pas me
permettre de vous embaucher comme éducatrice, par contre, dans l’association, ils
cherchent un chef de service pour cette institution. Vous pouvez téléphoner, moi, je vous
recommanderai. Vous pouvez téléphoner de ma part et envoyer un CV de ma part. »
74
Le travail en synergie avec les autres services de l’établissement est l’objectif actuel de l’établissement
« A ».
65
Les discours font apparaître qu’il serait plus opportun d’avoir un recrutement en interne
quand cela est possible, ce qui facilite la continuité dans les objectifs de travail à
condition que le poste soit bien repéré. Sinon l’embauche d’une personne extérieure est
nécessaire pour faciliter le marquage de territoire en cas de poste nouveau. Car comme
nous explique (10) « La position et le positionnement à un moment est toujours plus
délicat. Beaucoup plus que lorsque vous arrivez dans quelque chose, vous voyez des
choses qui ne vont pas. « Me Untel et Mr Truc, on fait comme ça, point barre. », il
serait plus facile, en arrivant dans quelque chose de nouveau, de voir les choses qui ne
vont pas et d’imposer comment il faut faire.
Les associations gérantes sont bien concernées par le poste de chef de service éducatif.
Le recrutement d’un candidat s’effectue en interne, ou en externe, en fonction du
contexte du personnel de l’établissement. Il y a une préférence pour l’opportunité
interne, qui facilite la continuité dans un même esprit de travail. L’embauche externe
ressort comme utile lorsqu’il est nécessaire de marquer le territoire du poste.
2.2 Positionnement du chef de service
Si cette connaissance préalable est considérée comme un facteur aidant à la prise de
pouvoir, elle interroge sur le positionnement du chef de service éducatif et son autorité
avec les enfants et les éducateurs, qui peuvent être d’anciens collègues.
Nous avons dénombré vingt-neuf items sur cette question de la bonne distance, ou non,
du chef de service éducatif.
2.2.1 Distance par rapport aux anciens collègues
Dans une situation, le positionnement avec les éducateurs pose problème en amont de la
prise de poste. Ce que le chef de service de l’établissement « A » (7) évoque clairement
par « Et des fois on se dit : « Même ceux, dont on est persuadé qu’il n’y aura pas de
soucis, forcément ça créé une différence » et pire « le seul point noir qui m’inquiétait
éventuellement, c’était les personnes avec qui j’étais en conflit en tant qu’éducatrice,
quand je serais de l’autre côté de la barrière, je me disais : « Ca ne peut qu’augmenter
66
parce que ce sont des personnes qui, pour moi, bouffent du patron. ». Après l’analyse
de l’expérience d’un collègue, dans un autre établissement, qui était devenu chef et à qui
les éducateurs avaient fait payer ce passage de l’autre côté, il se rassure en se disant
qu’il doit être possible de rester « dans la même lignée », si la personne garde « ses
valeurs, ce qu’elle porte ». Et finalement depuis trois mois que ce chef de service est en
poste, ses inquiétudes se dissipent « je ne peux pas dire, même de la part des collègues
avec qui on était en bisebille, qu’ il y ait des choses particulières. Les gens sont… Moi
je n’ai pas l’impression non plus d’avoir changé d’habitudes, je veux dire… j’ai
vraiment l’impression d’être resté égal à moi-même. C’est pas pour autant que j’ai mis
une distance et que les collègues… Je veux dire on est toujours en lien. » La directrice
(1) de cet établissement confirme par « On n’évitera pas des réticences de un ou deux
ou trois collègues mais qui jouent le jeu ». Ce qui fait écho au commentaire d’une
éducatrice (13) « Je crois que c’est très difficile dans une maison d’avoir été éduc, et de
se retrouver chef de service. Moi je crois que c’est pas évident. Et pour les collègues
moi je ne le ferais pas dans le même établissement. /Pourtant vous appréciez d’avoir
une ancienne collègue ?75 /Oui j’apprécie parce que bon je pense que j’apprécie la
personne. Mais pour mes collègues je ne serais pas chef de service. »
Les interlocuteurs de l’établissement « B » dénoncent également cette difficulté, du fait
de cette connaissance mutuelle, comme c’est le cas pour (4) « Mais le directeur reste
pour moi un ancien collègue, donc c’est vrai que ça créé des liens qui ne sont pas
toujours évidents. ». Ce sont des choses complexes qui se jouent, rajoute (10) : « Les
difficultés je crois, elles sont tout simplement très, très fines dans le quotidien. C'est-àdire, vous êtes éducateur et, un jour, vous avez des positions à prendre vis-à-vis des
mêmes éducateurs. »
Le chef de service de l’établissement « B », qui n’a pas connu les éducateurs de
l’établissement comme des collègues, connaît lui des tensions actuelles avec certains
éducateurs : « L’idée d’un chef de service qui jouerait les commandeurs et… ça ne
m’intéresse du tout, non plus. Moi je ne suis pas dans des trucs comme ça, donc c’est
bien mal me connaître que…/Il y a des gens dans l’équipe qui vous vivent comme
ça ?/Oui. Enfin, qui m’ont vécu, enfin ça a évolué aussi… il y a des traces, des traces
qui sont, j’ai l’impression, indélébiles. » Ceci nous permet d’avancer qu’il aurait peut
75
Les italiques gras dans les retranscriptions indiquent nos relances.
67
être gagné à être connu dans une fonction d’éducateur, pour lui éviter de jouer un rôle
dont il ne veut pas. Ce que nous confirme les interlocuteurs de l’établissement « A »,
qui voient des points positifs dans ce passage d’éducateur à chef de service « Avec une
sensibilité différente… à l’ancien chef de service, pas la même approche non plus, et
puis des méthodes complètement différentes, une grande rigueur » nous explique un
éducateur (6), ancien collègue du même groupe, auprès de qui les preuves sont faites,
comme auprès d’une ancienne éducatrice (13) « Elle était éduc dans l’établissement,
donc c’est vrai que pour moi,
ça m’est plus facile ». Il permet également un
positionnement plus fin vis-à-vis des partenaires, nous précise (1) « et là, nous, on a
privilégié la compétence, l’expérience, la connaissance, de la maison, du réseau, des
autorités de placement, des horaires dans la maison, des sensibilités de chacun ».
Dans les deux établissements, cette question de distance avec les collègues éducateurs,
anciens ou pas, reste donc un véritable débat. L’ancienne éducatrice, qui a pu faire ses
preuves auprès de ses anciens collègues, ne connaît pas les situations de conflits, tant
redoutées. Le nouveau chef de service qui débarque sans preuves de sa bonne foi, se
retrouve victime de la méfiance de l’équipe (11) « qu’est ce que c’étai, que cette
femme, qui arrivait encore, qui allait nous demander des comptes, qui arrivait avec ses
projets individualisés « mais qu’est ce que c’est que ça ? » Nous conclurons ici que le
positionnement du chef de service avec ses collègues éducateurs n’est jamais évident,
mais qu’il peut être facilité par une connaissance préalable des sensibilités de chacun, et
du réseau d’appartenance de l’établissement. Dans ce type d’embauche, il est nécessaire
que le candidat soit reconnu comme potentiellement compétent parmi les autres
membres de l’équipe.
2.2.2 Distance par rapport aux enfants
Le positionnement, vis-à-vis des enfants, peut être très varié, puisque, pour le chef de
service de l’établissement « A » (7), « les enfants ont vraiment fait la différence parce
que quand je remplaçais l’ancien chef de service, ceux du groupe B essentiellement,
parce que ils ne me voyaient plus, enfin ils me voyaient différemment, ils venaient, on
discutait, alors que, depuis le 1 septembre, ça ne se passe pas : ils viennent me dire
bonjour, il n’y a pas de soucis et tout, mais je veux dire, ils ont vraiment fait la
différence du remplacement, et de la titularisation du poste, finalement, parce qu’ils
68
viennent juste dire bonjour ». Donc, clairement, les enfants ont d’eux-mêmes pris de la
distance. Cet avis n’est pas partagé par une éducatrice (13) qui nous dit : « Pourtant les
enfants, souvent, savent faire la différence. Ils se repèrent vite/ Les jeunes que l’on
reçoit ici, je trouve qu’ils ont tous un problème générationnel, ils ont tous ce côté-là, où
on est tous copains. Ils ont du mal un peu à… Et c’est vrai que le chef de service est, en
plus, quelqu’un qui a un caractère drôle et gai avec les enfants. Et c’est vrai que la voir
maintenant dans une position de chef de service avec une certaine autorité, pour
certains, il y a quelque chose de l’ordre d’un décalage, il y a quelque chose qui n’est
pas évident je pense./ Il fait partie des repères, il avait sa place/ Oui je trouve. Mais il
s’en sort bien (rires) ». Elle confirme l’importance de cette prise de distance, qui n’est
pas forcément évidente, suivant la relation que l’on pouvait avoir comme éducatrice
avec les enfants, qui le vivent comme une perte de repère. Ce manque permet également
de marquer le changement de statut, au sein de l’établissement, ce qui, comme tout
changement, demande du temps, poursuit notre interlocutrice (13) : « Pour mes
collègues je ne serai pas chef de service. Mais aussi pour les enfants parce que
justement je pense qu’il n’y a pas ce recul-là. Pour les enfants qui vont arriver après, je
pense que ça sera peut être plus facile. »
Dans l’établissement « B », le chef de service (11) s’intéresse aux enfants, pas dans le
quotidien, mais pour les accompagner dans leur projet de vie « Il y a quelque chose qui
m’intéresse de cultiver ici, concernant les enfants. …Je les reçois en entretien, quand
les éducateurs me signalent qu’il faudrait que je vois un enfant. C’est toujours en
relation avec les éducateurs. Quoique, des fois, pour des engueulades …/Vous les voyez
en direct/ Oui, (en riant) Pas besoin des éducateurs. Mais pour rendre un petit peu
l’enfant acteur de sa vie, de son placement de son… faire des projets avec lui, voir
comment l’aider, je reçois toujours les enfants régulièrement en entretien. »
Positionnement qui fait réagir les éducateurs, nous explique (12) « parce que, bon, du
point de vue des éducateurs, l’éducatrice chef, elle est déjà quelqu’un qui, comment
dire, elle rencontre aussi des enfants donc elle peut leur demander des c… c’est pas des
comptes, mais elle a un regard, quand même sur leur action éducative, donc elle les
interroge là-dessus. » Le chef de service a mis de la distance dans la prise en charge au
quotidien des enfants, mais il ne délègue pas complètement l’accompagnement éducatif,
en recevant les enfants en entretien, avec leur éducateur. (11) « Parce que j’ai un enfant,
69
un adolescent qui m’a demandé si je pouvais lui trouver une ferme pour aller de temps
en temps en séjour, parce qu’il avait envie de connaître ce que c’était que le boulot de
paysan ; alors je lui dis : « je crois que je vais pouvoir te trouver quelque chose », et il
va chez une dame et il se régale, il se régale et il veut y retourner. »
Le fait que le chef de service soit originaire de l’interne ou de l’externe ne l’inscrit pas
d’office dans un positionnement de proximité ou pas. Le chef de service éducatif de
l’établissement « B » a pris ses distances dans la prise en charge quotidienne des
enfants, mais garde une proximité à travers l’accompagnement du projet individualisé,
qu’il conduit directement auprès des enfants. Pour ce chef de service qui vient de
l’extérieur, cet accompagnement, assez proche des enfants, n’empêche pas une position
d’autorité, quand cela est nécessaire. Le chef de service de l’établissement « A » tient à
la distance marquée par les enfants eux-mêmes. Cette position l’aide certainement dans
une prise d’autorité qu’il n’avait pas forcément en tant qu’éducateur. Cette distance par
rapport aux enfants doit les aider à se repérer dans les relations intergénérationnelles.
Elle peut se restreindre, si elle n’altère pas l’autorité, mais ce serait aux dépens de
l’action éducative des éducateurs.
Qu’est ce que nous disent les personnes interrogées à propos de la formation, qui
pourrait éclairer les candidats au poste de cadre intermédiaire sur ces questions de
positionnement et, ainsi, les aider dans leur autorité ?
2.3 Formations pour accéder au poste
Les deux chefs de service interrogés ont accédé à leur poste respectif par opportunité,
comme le dit (11) « Et c’est comme ça que je n’allais pas à la recherche d’un poste de
chef de service et c’est comme ça que, donc, j’ai été embauché ici et je ne le regrette
pas. »
La décision de (11), qui a été recruté en externe, s’appuie sur son parcours
professionnel, pour y puiser les ressources de son assurance : « Mon vrai travail
d’éducateur, je l’ai appris avec ces jeunes, ces ados, parce que je vous assure, il fallait
tenir, et puis il fallait supporter d’être le mauvais, le méchant. Après, c’est la
découverte du champ social. La conjonction des deux a fait que j’étais prêt finalement
70
pour avoir un poste comme ça. Au sortir de L’IR, je crois que je n’aurais pas pu, car je
ne connaissais pas le fonctionnement des maisons d’enfants ».
Tandis que (7), qui a été recruté en interne, a plutôt été motivé par sa connaissance de
l’institution : « J’avais cette envie en me disant : « C’est vrai, c’est du pain béni, tu
connais l’association, tu sais qu’elle tient la route, ils défendent des valeurs auxquelles
tu adhères. Tu as une équipe qui est stable et solide, tu connais les gamins. ». Je gérais
déjà les horaires, l’annualisation et donc c’est des choses qui roulaient pour moi. ».
Ils n’ont pas de formation spécifique, et n’évoquent pas la possibilité d’en faire une,
comme dans la non réponse de (11). « D’autant plus seule, si vous voulez que ce poste
j’ai dû le bâtir/ Avec vos repères habituels ; vous n’avez pas de formation autre
qu’éducatrice ?/ Conseiller conjugal et familial. Oui c’est ça, j’ai dû le structurer ce
poste. ». Ils sont trop occupés dans leurs nouvelles tâches pour l’envisager, ou trop
hésitants à se lancer dans de nouvelles fonctions qui demandent un bouleversement dans
leurs habitudes, comme (7) le commente « Ca a commencé un peu par de la
coordination et puis ça cheminait et puis je me disais : « Oh là, là, non ». La directrice
générale me disait : « C’est quand que vous allez prendre un
poste de chef de
service ?...je lui dis : « Moi j’aime bien les horaires d’internat». »
Pour deux éducateurs qui prévoient d’en suivre une, c’est l’assurance de prendre de
l’aisance afin de postuler en dehors de l’établissement, comme nous dit (4) «J’avais
toutes les qualités mais je n’ai pas été prise car j’étais interne à la maison. J’ai eu
d’autres propositions de poste à responsabilité, mais il me manque tout de même la
formation. Je sens que je n’ai pas l’aisance qu’il faudrait, même si au niveau de ce
qu’il y a à faire, je m’y retrouverais, mais je pense qu’il faut une base, une formation
qui permette plus au niveau de l’encadrement des équipes. »
Cette question de la formation est abordée par les deux directeurs comme un apport
théorique qui peut se faire dans un deuxième temps, comme nous le précise (1) « Pour
moi, c’est par l’expérience, la sensibilité, la rigueur de quelqu’un qu’on peut venir
suppléer un temps à la formation, la formation est garante d’un certain nombre
d’acquis surtout théoriques. » Pour le directeur de « B » qui avait pris le poste de chef
de service avec « un certificat aux fonctions de l’encadrement » qui complétait sa
formation de base de moniteur éducateur, il n’a été légitimé dans ses fonctions de
responsable éducatif que lorsqu’il a, par la suite, obtenu son diplôme d’éducateur
71
spécialisé « après effectivement avoir fait quand même quelque part une formation de
cadre, même s’il elle n’était pas reconnue comme l’est une formation de directeur ou
autre. C’était un peu revenir, mais en même temps, tout ça était très intéressant, dans la
formation elle-même bien évidemment. C’est toujours intéressant dans le fait de valider
quelque chose et de marquer aussi. A partir du moment où j’ai eu mon diplôme
d’éducateur spécialisé, j’étais officiellement beaucoup plus reconnu comme chef de
service/ Ca a aidé à votre légitimé, votre diplôme ?/Ah oui, complètement. C'est-à-dire,
au niveau de l’association et puis d’un parcours aussi, la légitimité était entachée par le
fait que je n’étais pas éducateur spécialisé ». C’est alors la nécessité du diplôme
d’éducateur spécialisé qui apporte la reconnaissance officielle, alors qu’une formation
d’encadrement donnerait des repères théoriques. Il semble que cette reconnaissance par
le diplôme d’éducateur spécialisé confirme notre étude du concept de légitimité de
compétence qui s’appuie sur une logique collective. Ici, ce serait celle des éducateurs
spécialisés.
Nous retenons que la formation de chef de service éducatif n’est pas prioritaire, elle est
remplacée par une assurance puisée dans les expériences antérieures et/ou la
connaissance de l’établissement. La formation de chef de service peut être un plus, pour
aider dans des acquis théoriques qui peuvent faciliter la candidature dans un
établissement extérieur. Il est à souligner, par contre, que la formation d’éducateur
spécialisé est indispensable à la reconnaissance officielle d’une responsabilité éducative.
Nous nous arrêtons alors sur les propos recueillis sur cette expérience indispensable à la
prise de fonction d’un poste à pouvoir
2.4 Expériences
Cette question est naturellement abordée dans les discours des personnes interrogées qui
utilisent le mot « expérience » 14 fois, dans les trente items identifiés.
Il y a l’expérience qui élargit l’horizon comme pour (11) « Alors là , c’était vraiment,
ça m’a ouvert des portes…mon champ professionnel s’est ouvert d’un coup parce que
j’ai rencontré des partenaires dont j’entendais parler mais que je n’avais jamais eu
l’occasion de rencontrer. », et plus précisément l’expérience qui permet une
72
confrontation permettant de réajuster la perception des choses pour (7) « C’était
vraiment enrichissant parce qu’on est confronté à des tas de choses et puis c’est vrai
que des fois on a des idées un peu toutes faites et puis que, du coup, ça permet soimême de changer un peu sa façon de voir les choses. », et ce surplus d’expérience est à
considérer comme une évolution et un enrichissement, et non comme de l’instabilité :
« Oui, oui, c’est vrai j’ai pas mal vadrouillé, mais ce n’était pas de l’instabilité, je crois
que c’était vraiment cette soif, effectivement, de voir différentes choses, de s’enrichir et
puis c’est vrai que c’est en côtoyant différents domaines qu’on peut évoluer soi-même. »
nous précise (7). Car effectivement, dans ces expériences, il y a la découverte de lieux
nouveaux, avec d’autres façons de faire qui sont à prendre ou à laisser, nous explique
(10) « Je pense que honnêtement elle m’a appris beaucoup du métier, on a fait un
parcours, bon, ben, avec les aléas de toutes les institutions. J’ai beaucoup apprécié ce
temps-là et je pense que j’ai beaucoup puisé et creusé dans tout ça, dans un ancien
fonctionnement, dans des choses dont moi j’avais envie, et que je ne pouvais pas
forcément mettre en place et qu’ensuite j’ai pu me nourrir de tout ça, d’un ancien
passé. »
Les formations peuvent permettre d’acquérir une expérience dans d’autres domaines,
pour ne pas rester éducateur en internat toute sa carrière, nous explique (7) : « est ce que
tu fais chef de service ? Est ce que tu vas faire une formation ? Et puis je savais que je
ne finirais pas éduc en internat enfin moi je ne me voyais pas finir comme çà. Donc, en
même temps, j’ai fait cette formation de tutelles en me disant ça peut être une voie de
sortie »
Il y a enfin l’expérience uniquement en interne, où le parcours laisse un unique héritage,
et l’expérience externe, où « les envies » de la personne peuvent se vérifier dans
d’autres lieux permettant ainsi plusieurs modèles : « Alors lui, il a des modèles, je pense
que lui, il a plus de modèles, que n’a pas le directeur parce qu’il a tout fait ici. Lui, il en
a, lui, le directeur peut s’en construire, en même temps, parce qu’il fait des
remplacements, mais voilà... », nous explique (12)
Cette expérience est donc bien primordiale dans un préalable à la prise de fonction de
chef de service éducatif. Elle est plus probante lorsqu ‘elle s’appuie sur plusieurs
modèles possibles.
73
Conclusion
Dans ces biographies, nous retenons comme idées fortes, du discours des personnes
interviewées : premièrement, la formation à l’encadrement n’est pas prioritaire.
Deuxièmement, la reconnaissance d’un chef de service éducatif passe par la formation
incontournable d’éducateur spécialisé et troisièmement, des expériences dans des lieux
multiples sont valorisées.
La légitimité institutionnelle du chef de service éducatif de ces deux établissements est
reconnue par les associations qui sont engagées dans leurs recrutements. Le recrutement
en interne est apprécié parce qu’il rend possible la continuité dans un même esprit de
travail, et parce qu’il facilite le positionnement du chef de service éducatif qui connaît,
dès sa prise de fonction, tout le contexte institutionnel. Le revers de cette connaissance
est la proximité vécue avec les enfants et les anciens collègues, qui peut nuire à
l’autorité nécessaire du chef de service. Ce changement de posture se fait plus ou moins
facilement, suivant la personnalité de la personne embauchée. Lorsque, dans
l’établissement, les professionnels ne sont pas habitués à fonctionner avec un chef de
service, une embauche en externe permet de marquer plus facilement le territoire du
poste. Dans cette situation, le chef de service peut être en difficulté dans son
positionnement vis-à-vis des éducateurs qui se méfient, surtout quand le nouveau chef
de service fait preuve d’autorité auprès des enfants, avec une proximité qui peut gêner
l’action éducative des éducateurs.
74
3 La fonction du Poste de chef de service
Nous allons maintenant à travers les histoires institutionnelles et plus particulièrement
les histoires du poste de chef de service éducatif, avec leur création, leur dénomination
et le rôle du chef de service, ainsi qu’à travers la répartition des tâches, dans laquelle la
communication et la confiance sont incontournables, étudier l’impact sur les profils des
postes qu’occupent aujourd’hui les chefs de service dans les deux établissements et,
donc, leur capacité à faire.
3.1 Histoires institutionnelles
Le dernier changement de direction, dans les deux établissements où nous avons
enquêté, est lié à un état de crise. Sur cet aspect historique, le psychologue de
l’établissement « A » s’est exprimé car, sur ses 15 ans d’ancienneté dans la maison, il a
connu un statut plus institutionnel qu’aujourd’hui. (8) « Je faisais quelque chose qui
était à la fois…, je ne faisais pas de la thérapie, ce n'était pas possible puisque je devais
à la fois rencontrer les équipes et avoir un travail institutionnel. Mais c’était comme
ça... (Voix à bout de souffle) C'est une création… ». Nous interpréterons sa voix par une
position assez inconfortable occupée à cette époque. Il se sort de cette souffrance par
l’évocation de la création qui s’en suivit : « Il y a des moments, les pulsions de mort
sont particulièrement actives et que, du coup, il y a crise, il y a véritablement crise,
mais si on arrive à transformer, si on arrive à tirer des conclusions et à repartir, ces
crises sont toujours bénéfiques. »
75
Ce qui semble avoir été possible dans l’établissement « A », comme l’analyse le
psychologue (8) « Mais c’est vrai que cette crise-là a permis de refondre beaucoup et
de reprendre l’existant et de le transformer. » ; Mais l’a moins été dans l’établissement
« B », pour lequel le psychologue (12) dénonce les « fantômes » : « C'est des trucs, les
fantômes, on ne les dégote pas toujours, ils ne sortent pas toujours de leur placard.
Moi, il y en a quelques-uns, que je connaissais bien, comme celui de la directrice, que
j'arrivais à repérer. Mais le sien, on va dire moins facilement, plus difficilement, j'ai pu
moins mettre le doigt dessus. Il y a eu… si, sur les histoires de formation, il y avait eu
des positions d'anciens éducateurs qui se mettaient en position de mettre en échec ce
que le directeur décidait, par exemple, ou de dire : « mais il n'y a rien de décidé ».
C'est-à-dire, il prenait une décision et juste derrière il y avait quelqu'un qui disait : «
mais il n'y a rien... » Ca revenait à dire : « mais il n'y a pas de directeur ». Alors que si,
il y en avait un. Moi je me disais : « c'est incroyable, il y a une volonté de ne pas voir ce
qu'il a fait alors qu’effectivement, il a posé plusieurs actes, pris des décisions. ». » Ce
que nous percevons alors, c’est que la qualité réelle des gens peut être masquée par le
rôle que l’institution, en fonction de son histoire, veut leur faire jouer, comme nous
l’explique (12) « Et justement, je pense que le développement de son métier est entravé
par ce contexte qui n'est pas valable. » Cette inhibition fait apparaître un aspect négatif,
attaché à la promotion interne.
Les deux établissements ont connu un état de crise avec le départ d’un directeur. Seul
l’établissement « A »
en a tiré bénéfice par la transformation de l’existant.
L’établissement « B » reste perturbé par cet épisode qui empêche encore, aujourd’hui,
l’émergence des compétences du directeur.
3.2 Histoires et statut du poste de chef de service éducatif
3.2.1 Sa création
Dans les deux situations, la création du poste de chef de service est assez récente, 1993
puis 2001 pour l’établissement « B », la première période restant floue, comme nous dit
une éducatrice (4) : « Au départ c’est le directeur actuel qui a été choisi mais un peu élu
par la directrice comme chef de service alors qu’il n’était pas formé à l’époque, c’était
un membre de l’équipe. Il est passé en temps que chef de service, mais pas de façon
officielle. Il faisait quelques trucs pour aider un petit peu la directrice. Après, de son
76
statut de chef de service, il a été un peu élu pour être le directeur. Donc c’est quelque
chose qui a un peu faussé le poste et, vraiment, c’est récent, depuis l’arrivée du chef de
service actuel, ça remonte à quoi 3-4 ans. Donc là il y a vraiment eu un poste en
fonction de chef de service qui s’est mis en place. » Ce qui est confirmé par un
éducateur (2) tout récent : «C’était un poste qui n’existait pas, je crois, il y a quatre ans.
C’est le directeur qui l’a créé, donc c’était une chose qui n’existait pas ». Pour
l’établissement « A », c’est également en 2001.
Cette création a été précédée, pour les deux établissements, par une période où le
directeur était seul, nous disent (1) « Donc j’ai fonctionné deux ans sans chef de service,
seule » et (10) « Oui, j’étais seul, depuis des mois et j’ai continué d’être seul. » Les
postes de chef de service ont donc été créés pour soulager les directeurs de leur masse
de travail et pour apporter une professionnalisation supplémentaire auprès des directeurs
en poste, qui succédaient à des directeurs partis dans des conditions particulières.
« Quand je suis arrivée, j’ai été très, très surprise. Très surprise de… Je sentais des
équipes apeurées, encore bouleversées de choses qui s’étaient passées », nous
commente (11).
Pour les anciens éducateurs, cette création de poste a apporté un changement que
certains voient comme une simple différence dans leur travail, nous explique (6) « Donc
il a fallu réorganiser tout ça, il a fallu aussi s’approprier aussi, au niveau des
éducateurs, le nouveau fonctionnement, nouvelle prise en charge des jeunes. Travail
différent, puisqu’il y avait un autre intermédiaire, en l’occurrence un chef de service. »
D’autres le perçoivent comme quelque chose en plus comme le dit (9) « Donc c’était
difficile et je crois que l’introduction du chef de service a permis d’avoir un peu plus
d’aisance. D’avoir une prise en charge de meilleure qualité dans la mesure où on
arrivait à prendre le temps d’organiser, et puis de parler que de l’éducatif avec une
personne. » Chez les plus anciens, ce changement peut être perçu comme une
dépossession. C’est le cas pour (4) : « chaque équipe qui venait de se constituer avait
enfin la possibilité de devenir responsable. Donc nous, on y est allé à fond, on était
vraiment dans les décisions, dans la réflexion pour les enfants. Là-dessus arrive un chef
de service qui nous dépossède de tout, en disant « c’est moi qui vient décider ». » C’est
un sentiment de perte de contrôle qui peut se négocier suivant les affinités avec la
personne en poste, nous précise (13) : « C’est vrai qu’avec le chef de service, on se
77
connaît depuis tellement longtemps, il y a des choses qu’elle peut aussi déléguer,
qu’elle ne demandera pas forcément à une collègue qui débarque, parce que je
connais. »
La
construction de poste s’affine toujours puisque, sur l’établissement « A », le
deuxième chef de service succède à une personne qui avait quatre ans d’ancienneté et la
directrice (1) nous confie « c’est la deuxième chef de service, et avec la responsabilité
de créer le service éducatif, parce qu’à mon sens il ne l’était pas ». Sur l’établissement
« B » le psychologue nous dit : « Mais, je pense que, historiquement, ça, ça vient du fait
que le... Parce que c'est une maison où il y a eu un pseudo éducateur chef, puis un
éducateur chef qui n'avait jamais, lui-même, je crois été éducateur chef, donc le truc se
crée, il y a personne qui a porté. » Nous soulignerons cependant la distinction entre
l’établissement « A » qui crée son service éducatif et l’établissement « B » qui bâtit le
poste de chef de service éducatif « D’autant plus seul, si vous voulez, que ce poste j’ai
dû le bâtir »
La création des postes de chef de service éducatif est assez récente, puisqu’on peut la
considérer vieille de 4 ans dans les deux structures. Cette création semble emprunter les
mêmes aléas, car dans les deux cas, la demande des directeurs est liée à une surcharge
de travail et la conséquence sur les éducateurs est un changement dans leur fonction
avec, plus ou moins, une perte de contrôle. A cette étape de notre étude, nous
retiendrons cette différence entre les termes de « service éducatif » et « bâtir le poste de
chef de service éducatif » utilisés.
3.2.2 Sa dénomination
L’appellation de « chef de service éducatif » est bien adoptée au niveau des discours des
professionnels des établissements. Nous avons noté la seule reprise par le psychologue
(12) de l’établissement « B » « un psychologue dans l'institution pour travailler avec le
directeur, le chef éduca..., l'éducatrice-chef et l'équipe » qui a, par ailleurs utilisé au
cours de notre entretien neuf fois ce seul terme d’ « éducatrice-chef », malgré nos
répétitions du terme « chef de service », alors que le psychologue (8) de « A » a
prononcé dix fois uniquement le terme de « chef de service » et le médecin psychiatre
(5) deux fois uniquement celui de « chef de service éducatif ». Nous nous permettons
une comparaison entre ces thérapeutes, car ils côtoient tous les trois dans d’autres
78
services des médecins chef, comme la psychiatre qui se dénomme elle-même, médecin
chef de service d’un centre hospitalier. La confusion du psychologue viendrait donc
confirmer une représentation de poste de chef de service qui est encore reconnu comme
occupant des fonctions d’éducateur et pourtant « Pour moi, c’est clair et ça je l’ai posé
dès le premier jour. Un chef de service il est cadre, il fait partie de la direction. » nous
dit le directeur (10) qui distingue bien ces deux appellations. « Elle est chef de service,
c’est à dire qu’elle est cadre dans cette maison. Je sais que ça fait grincer des dents
aussi, parce que certains aimeraient bien que ce soit autrement, mais elle est chef de
service/Comment ça autrement ?/C’est à dire que quand on est éduc chef on peut être
plus du côté… des équipes éducatives. Ca peut être ça, un éduc chef, il est plus proche
de l’équipe, il fait un peu l’intermédiaire mais quand même du côté de l’équipe, pas du
côté de la direction » Le chef de service (11) se met bien du côté de la direction «Tout
le monde, dans la vie doit rendre des comptes, moi y compris, moi je rends des comptes
à mon directeur », mais se met aussi du côté des enfants, comme nous l’avons déjà
souligné dans le paragraphe sur le positionnement par rapports aux enfants : «Le chef de
service voit aussi régulièrement les enfants, alors ça peut être, c’est souvent quand ça
ne va pas bien…pour les projets individualisés (silence) voilà », nous explique (4). Ceci
peut induire en erreur sur ses fonctions, ce qui expliquerait la confusion entre les termes
du psychologue, qui est dénoncée par l’autre directeur (1) « Et puis l’anticipation pour
moi, un chef de service ce n’est pas un éducateur chef, ça n’a rien à voir et, donc, pour
être chef de service, il faut qu’il y ait un service, par définition, alors que pour être
éducateur chef, pas forcément, c’est le super éducateur, moi j’ai besoin d’un service
éducatif voilà. Donc qui gère, coordonne, anime, le travail éducatif entrepris dans la
maison ». Le chef de service s’occupe d’une équipe qui éduque les enfants, comme le
souligne le chef de service (7) à propos du chef de service précédent « La directrice, ce
qu’elle dit souvent : « elle voulait un chef de service qui s’occupe d’une équipe qui
gère une équipe éducative ». »
Cette distinction dans les termes de « éducateur chef » ou de « chef de service éducatif »
reflète bien, les représentations qui peuvent exister. L’éducateur chef serait du côté des
équipes, pour faire l’intermédiaire entre les éducateurs et la direction, c’est le super
éducateur. Le chef de service éducatif est du côté de la direction pour décider, dans
l’établissement « B », gérer le service éducatif, dans l’établissement « A ». Dans les
79
deux situations nous retrouvons bien une volonté de donner au poste de chef de service
une dimension stratégique de pouvoir faire.
3.3 Son rôle
De ce statut créé dans chacun des établissements, va dépendre en partie le rôle des chefs
de service.
3.3.1 Répartition des tâches
Avec la création du poste de chef de service éducatif, les tâches qui étaient réparties
entre le directeur et les éducateurs se sont, par la force des choses, redistribuées
différemment, avec plus ou moins de tensions, comme nous l’avons vu dans le
paragraphe sur la création du poste. Ce qui nous intéresse dans ce paragraphe, c’est la
logique de cette répartition entre les dirigeants. Dans les deux lieux, l’accent est mis sur
l’importance de bien définir les domaines de chaque partie, comme nous explique (10)
« Et c’est vrai qu’à des moments il y a des choses que je ne fais pas et qu’un éducateur
a à faire : c’est sa partie, et si ce n’est pas la sienne, c’est le chef de service. Donc
après non je ne dirais pas plus difficile, mais plus délicat, au niveau des deux cadres, on
n’est pas quinze non plus, de pouvoir justement, se répartir nos différentes tâches. »
Dans l’établissement « B » cette distinction se fait par le domaine des compétences « Le
directeur, dites vous, n’est pas présent lors des synthèses et dans l’élaboration des
projets individualisés, du coup j’ai envie de vous poser la question : vos tâches et
fonctions sont bien séparées, bien déterminées, bien claires ?/Bien délimitées, en tout
cas le domaine des compétences/Vous êtes bien dans l’éducatif et lui dans
l’administratif ?/ La gestion, le financier. ». Elle se fait même par leur rôle, nous
commente (11) « J’aimerais vraiment pas être directrice quoi, non pas pour la
responsabilité que ça engage, c’est pas ça, parce que je me sens vraiment responsable à
part entière de ma fonction, dans ma fonction, mais pour l’argent, le…tout ce qui est
administratif. Ce serait une catastrophe (rire) je ferais sombrer une institution. » Ils
sont alors bien clairs dans des territoires distincts et dans leur rôle comme le préconise
la directrice (1) « une définition claire et précise des rôles et des territoires de chacun.
Parce qu’ on ne peut pas parler d’articulation et de synergie sans avoir préalablement,
bien défini le rôle, la place, la fonction, la mission de chaque secteur, de chaque secteur
80
d’activité et de chaque professionnel. » La différence entre ces deux structures est que
pour l’établissement « B » la séparation par domaine de compétence peut poser
problème lorsqu’il y a chevauchement comme le reconnaît (10) : « Tout ça est, à mon
avis, assez structuré pour que, justement, il ait son domaine de compétence à lui, sans
que je lui marche dessus, sur ses plates-bandes. Alors, des fois, il y a des moments,
j’interviens pour des choses, mais on essaye à mon avis ce respect mutuel. Et puis, à
des moments, lui aussi, à des moments, il me relance : « attendez, là, je ne peux plus, je
ne sais pas, j’ai besoin de vous », et on en parle ». Alors que pour (1) cette séparation
est productrice de sens : « il arrivera qu’à certaines audiences, il y ait le chef de
service, l’éducateur référent et moi, étant donné que nos territoires sont bien définis, on
représente des choses différentes. »
La répartition des tâches est importante dans les deux établissements, car l’accent est
mis sur la définition du rôle de chacun des dirigeants, afin que chacun puisse agir
librement. Cependant, la logique qui accompagne cette séparation est différente
puisque, chez « B », elle se fait par domaine de compétence, l’éducatif pour le chef de
service et l’administratif pour le directeur, qui participe donc uniquement aux réunions
institutionnelles, pour éviter la confusion que la présence des deux cadres aux autres
réunions pourrait générer ; alors que, chez « A », la logique de séparation se situe au
niveau des responsabilités différentes, la directrice participant à toute les réunions
institutionnelles et éducatives, où les compétences de chacun se complètent et
s’articulent.
Nous nous proposons maintenant d’étudier ce que nous disent les interlocuteurs sur les
fonctions attendues par les éducateurs et les cadres, dans les deux lieux d’investigation.
3.3.2 Fonctions attendues
Les éducateurs, qu’ils aient toujours fonctionné avec un chef de service, ou connu la
création du poste de chef de service, en attendent des choses précises. Alors quelles sont
ces attentes ? Pour les anciens comme pour les nouveaux éducateurs, elles se situent au
niveau :

de la communication : passage d’information, centralisation, coordination, écriture,
planification des horaires, validation des organisations proposées par les éducateurs
81

de la conduite des projets et idées « Je crois que c'est le rôle aussi du chef de service
de repréciser certaines choses, le cadre, et puis de repréciser l'esprit. » nous dit (6)

de la confiance : fiabilité (fait ce qu’elle dit), rigueur, disponibilité, écoute, autorité
garantissant les limites autorisées, soutien des équipes dans leur travail.

de la cohérence : avec le cadre institutionnel, avec les équipes ; les aide dans la
réflexion (ne décide pas seul), permet d’anticiper.
Et pour les nouveaux, les attentes sont aussi au niveau

de la présence physique : rassure, interlocuteur direct des éducateurs et aussi des
familles

du recadrage : avec pertinence, sur les écrits, les choix éducatifs, en lien avec
l’histoire de l’enfant et de sa famille

de l’instruction : sur la profession, le positionnement professionnel
dans les
situations de premier poste.
Ces attentes se situent essentiellement à un niveau fonctionnel et peu dans la gestion
dynamique d’une équipe, ce qui, du point de vue de la légitimité, reste faible. C’est dans
le vocabulaire utilisé par les cadres, directeurs et chefs de service ; mais également
psychologue, que nous avons trouvé des dimensions plus stratégiques à la fonction de
chef de service éducatif.
Dans l’établissement « A », les compétences du chef de service sont caractérisées en des
termes supposant une dynamique de faire accepter qui prédisposerait le poste à être
reconnu :

porter l’équipe éducative

articuler tout le travail entrepris au service du projet personnalisé de l’enfant, le
travail de partenariat, les horaires.

faire circuler les informations par des supports écrits.
Dans l’établissement « B » elles se déclinent dans le registre plus formel du « faire
faire » qui indiquerait une orientation du poste vers plus de contraintes :

Partager, travailler en équipe,

avoir un partenariat avec les éducateurs

avoir en charge l’équipe éducative

demander un travail bâti ensemble, de concert.

permettre aux enfants de se repérer, d’avoir un cadre, une éducation
82

Etre médiateur entre l’éducateur et l’enfant

Donner confiance en eux, aux éducateurs.

organiser ; ordonner les réunions avec l’extérieur en accord avec les juges,
assistantes sociales, parents et en fonction des urgences des situations.

Faire fonctionner les horaires, l’organisation, les projets de vacances, les camps…
Il nous faut réunir les attentes des éducateurs et des cadres pour faire apparaître toutes
les responsabilités d’un chef de service avec leur rôle stratégique. Le positionnement
hiérarchique des interlocuteurs explique cette différence, car les éducateurs sont les
premiers bénéficiaires du concret de l’action de leur chef de service, alors que les cadres
sont dans la philosophie de l’action. L’approche conceptuelle de la fonction entre le
« faire accepter » et le « faire faire » creuse un écart entre les deux lieux.
L’établissement « A » fait ressortir plus de prédisposition à la légitimité, contrairement
à l’établissement « B » qui se soucie plus du pouvoir de son chef de service éducatif.
Nous allons maintenant étudier de plus près les discours sur la communication, la
confiance et la délégation qui ressortent comme des valeurs incontournables dans ces
attentes.
3.3.3 Les incontournables
Communication
Nous avons trouvé 36 items qui traitent de cette notion. En latin, « communiquer » c’est
« communicare : être en relation avec ». La communication c’est « dans un sens large,
toute opération de transfert ou d’échange d’informations entre un « émetteur » et un «
récepteur ». Dans ce sens, la communication ne se réduit pas à l’échange verbal,
puisqu’il existe bien d’autres systèmes de communication, aussi bien humains
(l’écriture Braille, la signalisation routière, les cartes, etc.), que non humains (par
exemple, la danse des abeilles). Quel que soit le type de communication, le transfert
d’informations n’est possible que si émetteur et récepteur partagent, au moins
partiellement, le code (c’est-à-dire le système de signes) dans lequel a été transcrit le
message. »76 Nous comprenons alors qu’au delà du code, plus les personnes qui
communiquent partagent de choses, plus leurs transferts d’informations seront riches.
76
Encyclopédie Microsoft Encarta. 2003. 1993-2002 Microsoft Corporation.
83
Nos interlocuteurs confirment qu’une proximité entre les personnes favorise la
communication, entre pairs, nous dit (11) « c’est une question que je vais débattre très
prochainement avec mes collègues, chef de service de l’association ». Elle est d’ailleurs
évoquée comme un signe de bonne cohérence, entre les personnes ou les services, nous
précise (1) « C’est très bien repéré et on n’est pas du tout l’une et l’autre dans le
bureau de l’autre tout le temps, mais tout le monde sait qu’on communique bien. Alors
qu’avant, souvent les éducateurs venaient aussi vérifier si j’étais d’accord avec ce qui
leur avait été dit. »
Il est important de passer par des lieux prévus, comme les réunions, ou alors par une
communication écrite, qui rend compte de ce qu’on fait, et qui est en cohérence avec ce
qu’on a dit. « Le rapport est écrit et toujours relu par moi, et la conclusion rédigée avec
moi. Parce que c’est aussi, en terme de communication, une vitrine de la qualité du
travail qui est fait» pour (1). Car, oralement, elle peut se perdre, d’après (7) « les choses
étaient dites verbalement et que forcément, ça se perd » Les outils de ce type de
communication existent dans les deux lieux : cahier de liaison, feuillet de message… Ils
servent également pour un gain de temps avec les personnes qui sont peu présentes,
comme le médecin psychiatre.
Un directeur précise qu’il faut être joignable, mais ne pas en devenir corvéable, car la
communication a aussi ses travers. On peut communiquer pour ne rien dire, ou dire des
choses fausses, d’après (9) «plus vite il est rectifié mieux ça vaut, plutôt qu’il y a des
bruits de couloir » car quand on peut se parler sans détruire, elle est un outil intéressant
qui enlève de la pression à tout le monde, explique (7) « c’est que les choses soient dites
et posées parce que il y a que comme ça qu’on peut avancer, en tout cas à mon avis à
moi, sereinement. Je travaille beaucoup la porte ouverte » Cet outil de la
communication est également important, car il permet de passer par une triangulation
qui met une circulation et évite le piège du sens unique, comme celui de parler sans être
entendu, ou ne pas arriver à se parler. Ces situations, où la communication est entravée,
empêchent toute élaboration : «ce groupe là n'arrivait pas à se parler et à élaborer sa
pratique éducative », d’après (12). Cet aspect de la communication est à souligner car,
d’après Paul WATZLAWICK, « Toute communication présente deux aspects : le
contenu et la relation, tel que le second englobe le premier et par suite est une méta
84
communication.»77. Dans ce type de communication où la parole ne passe plus, il reste
l’aspect de la relation qui contient du sens. Comme nous le dit encore (12) d’une autre
manière « Mais quand même l'idée, c'était un groupe de grands : un groupe
d'éducateurs qui n'arrivent pas à se parler à leur sujet et qui faisait que les problèmes
qu'ils auraient pu parler entre eux, ou les critiques qu'ils auraient pu s’émettre les uns
les autres, au sujet de la façon de faire avec leur groupe d'enfants, ils les laissaient
faire. Ils les exposaient et ils les laissaient montrer du doigt par le psychologue ou
l'éducatrice chef par exemple. »
La communication est incontournable, mais elle peut construire ou détruire. Elle est
facilitée par une reconnaissance entre les communicants, et elle facilite leur cohérence, à
condition qu’ils respectent certaines règles. La communication doit être écrite, plutôt
qu’orale, elle doit respecter des lieux, des temps prévus, et la disponibilité des
personnes. Elle suscite de l’intérêt pour un responsable quand elle sert d’intermédiaire,
en permettant de faire du lien, et du coup enlève des tensions. Dans les situations de non
communication orale, il reste du sens, sous forme d’une relation, que WATZLAWICK
appelle méta communication. « On ne peut pas, ne pas communiquer »78, cette formule
pragmatique de la communication doit être un outil pour les chefs de service qui
peuvent décoder un certain nombre de messages implicites, et ainsi remettre du sens et
du lien. Elle est alors, un outil stratégique qui renforce les compétences du chef de
service éducatif, car elle permet d’énoncer les problèmes, de faire circuler de
l’information sur les faits, les valeurs et les points de vue.
Confiance et délégation
Nous étudions alors le contenu des discours sur cet aspect de la confiance qui semble
indispensable pour que la communication entre les acteurs puisse continuer à produire
du lien. Toutes les personnes interrogées confirment dans 43 items que la confiance est
nécessaire dans le lien qui unit les différents partenaires. La confiance se construit
réciproquement, explique (10) « les gens sentent cette confiance qui peut être témoignée
de l'équipe de cadres à son personnel, donc confiance après réciproque quand ça
fonctionne » Même si elle doit prendre son temps pour s’instaurer, nous démontre
(11) : « Les trucs de bases n’étaient pas acquis chez les enfants/Et chez les adultes non
77
Paul WATZLAWICK, Janet HELMICK BEAVIN, Don D JACKSON
Une logique de la communication. Seuil, Paris, 1972, p 52
78
Paul WATZLAWICK, Janet HELMICK BEAVIN, Don D JACKSON.op.cit.p.48
85
plus, pour que vous les posiez ?/Hé ?/Et chez les adultes non plus pour les poser? Il
n’y a pas d’adultes non plus pour les poser/Non, non. Il y avait une confusion dans les
places de chacun, c’était assez impressionnant ». Nous comprendrons que c’est difficile
pour cette chef de service (11) de faire confiance au personnel éducatif et que lors de
l’enquête, l’équipe devait encore apporter ses preuves à (11) « Moi je regarde
systématiquement tous les cahiers des éducateurs, je les lis en long en large et en
travers, le cahier de liaison collectif ». Par contre, lorsqu’elle est acquise, elle le reste, à
condition qu’une des parties ne fasse pas alliance avec une autre personne qui n’inspire
pas confiance, comme nous le dit (4) « Oui, j’avais beaucoup confiance, qui m’a
beaucoup déçu, ça c’est clair. Mais bon, qui est quand même une personne humaine de
valeur et de qualité, par contre, pris dans la relation avec le chef de service qui ne
fonctionne plus du tout, quoi », ou que personne ne se sente trahi, d’après (9) : « les
gens ne se sentaient plus en confiance, ce sont des mots qui ont pu être dits : « Je ne
sais pas ce que tu pourrais aller dire un jour » ». La confiance permet d’aller vers
l’autre pour exprimer ses idées, elle apporte de la sérénité, précise (12) : « Elle avait
assez confiance en moi, donc je pense qu'elle arrivait à peu près à naviguer là-dedans.
Mais elle pouvait assez vite imaginer qu'on voulait prendre ce pouvoir ». Un lien entre
respect et confiance peut être établi, la confiance peut se définir par un respect mutuel,
nous dit (1) : « dans le mot respect, il y a le mot confiance ».
Les deux directeurs ne se situent pas de la même façon sur les limites à donner à cette
confiance. Nous touchons alors à leurs responsabilités, et à leur conception de la
délégation. Le directeur de « B » (10) a une confiance totale en la personne à qui il
délègue, que ce soient éducateurs ou chef de service : « Il assumera son rôle qui est
celui de représentant permanent du directeur en son absence. Ce pourquoi, et ça aussi
on en a beaucoup parlé entre nous, il n’empêche que sa décision qu’il aura prise à ce
moment là, je ne lui dirai pas « vous avez pris, débrouillez vous », j’assumerai et je
prendrai en compte, en tant que responsable quand même de cette maison, que cette
décision, je l’assume même en mon absence ». La délégation est pour lui un outil pour
responsabiliser : « C’est à dire que déléguer, on peut le faire de plein de formes, on
peut déléguer pour se décharger, on peut le faire pour plein de choses. Et moi je le fais
pour responsabiliser les gens. ». Le directeur de « A » (1) ne délègue pas toute sa
responsabilité, il reste garant de l’institution : « Alors, comme mot clef, je rajouterais,
86
quand je mets « participation », en sous chapitre je mettrais « délégation ». C'est-à-dire
que tout se tient quoi, quand on est cohérent au service d’une même mission que chacun
connaît bien, là où commence et où finit ses responsabilités son territoire, sa fonction,
ça veut dire qu’il est au clair avec les délégations aussi. Donc c’est pas moi qui fait
tout, je suis garant de ce qui se fait, mais voilà, j’impulse… ». Mais il permet un partage
des tâches sous son contrôle : «En étroite collaboration avec le directeur dans des
délégations claires nettes très précises, rigoureuses avec une organisation interne du
service éducatif qui veut dire qu’on peut anticiper ». Une dernière particularité
commune aux deux établissements est que le directeur communique nettement sa façon
de déléguer, comme nous pouvons le voir dans l’établissement « A », à travers le
commentaire de (1) : « D’un enfant à l’autre, d’un éducateur à l’autre, d’une situation
à l’autre, les choses se répartissent différemment », qui fait écho au commentaire de
l’éducatrice (13) : « il y a des choses que le chef de service peut aussi déléguer, qu’il ne
demandera pas forcément à une collègue qui débarque parce que je connais, depuis le
temps que je travaille ici. » Cette dernière remarque explique également l’absence de la
notion de délégation dans le discours du chef de service (7). La confiance envers les
éducateurs n’est pas encore pleinement assurée, comme nous l’avons vu, ce qui semble
peu compatible avec une responsabilisation totale, comme le directeur de cet
établissement l’accorde au chef de service. La délégation est bloquée à son niveau, ce
que confirme une éducatrice (4) : « Quand le chef de service dit : « c’est moi qui m’en
occupe », on ne peut pas passer outre ».
La confiance s’instaure réciproquement et doucement, les preuves sont à faire et, elle
peut disparaître dans certaines situations de trahison. Elle permet de créer du lien,
d’échanger. On peut la mettre en lien avec les notions de respect mais aussi de
délégation. Notions qui ne sont pas approchées tout à fait de la même manière dans les
deux établissements ; mais qui démontrent bien que la façon de déléguer part du
directeur et se poursuit en cascade sur le même mode d’approche, ou s’arrête, quand la
confiance n’est plus. « Effectivement pour les sociologues, la détermination des
comportements seulement à partir des stratégies des acteurs ne permet pas
d’appréhender avec suffisamment de précision la création ou l’acceptation de la
coopération. D’où aussi la question du lien social, qui passe par la confiance »79. Ainsi,
79
Philippe BERNOUX. La sociologie des entreprises. Paris, Seuil, 1995, p.177
87
la confiance se gagne, s’entretient, elle est bien un outil indispensable pour le chef de
service éducatif qui veut faire accepter ses décisions.
Conclusion
Les deux établissements ont connu une crise, suite au départ d’un directeur, dont l’un a
su bénéficier, l’autre pas. L’établissement « A », qui a repris son projet, connaît une
construction qui se poursuit vers la création d‘un service éducatif. Dans l’établissement
« B », qui n’a pas, au moment de l’enquête, réécrit son projet, le chef de service
continue à bâtir le poste. La création de ces deux postes (ou services) de chef de service
éducatif se fait dans les mêmes périodes et dans des conditions similaires. La
dénomination d’éducateur chef est bien cernée dans les deux établissements qui
souhaitent, en définissant bien la répartition des tâches entre les cadres, donner à leur
chef de service éducatif une position stratégique de « pouvoir faire ». Les différences se
situent premièrement dans la dimension donnée au « faire » du « pouvoir faire », qui est
« pouvoir décider » dans l’établissement « B » et « pouvoir gérer » dans l’établissement
« A » ; deuxièmement dans la logique de séparation, qui se fait au niveau des
compétences, pour l’établissement « B », avec le chevauchement qui est nommé comme
un inconvénient, et qui se fait au niveau des responsabilités, pour l’établissement « A »,
qui vit cette séparation de territoire comme une richesse de sens. L’incidence de ces
différences sur les stratégies menées par les chefs de service éducatif éclaire également
l’écart dans l’approche conceptuelle de la fonction, qui se situe plus dans le formel pour
l’établissement « B », et plus dans le fonctionnel pour l’établissement « A », qui fait
ressortir ainsi sa prédisposition à la légitimité.
Nous avons vu que les fonctions attendues du chef de service tournent beaucoup autour
des questions de communication, confiance, délégation, dans les deux établissements.
La communication est essentielle dans le discours des personnes interrogées car elle
permet le maintien du lien quand certaines conditions sont respectées, comme la
confiance entre les interlocuteurs. La confiance est aussi un élément indispensable dans
la délégation. Ces notions sont des outils stratégiques indispensables aux chefs de
service qui veulent renforcer leurs compétences et ainsi leur légitimité.
Nous allons maintenant repérer dans les discours ce qui est dit au sujet du
fonctionnement dans sa cohérence, ses difficultés et ses facilités.
88
4 Fonctionnement
Après, la restitution des caractéristiques apparues autour de la légitimité des chefs de
service éducatif de ces deux établissements, nous allons poursuivre notre analyse, en
nous attachant à l’articulation des logiques, à travers la cohérence des fonctionnements,
l’étude des conflits de pouvoir et des difficultés ou facilités qu’ils peuvent rencontrer.
4.1 Cohérence
Dans nos choix de support d’investigations nous avons demandé l’accès au projet
d’établissement, mais seul le livret d’accueil de chaque établissement a pu nous être
remis. Il nous semble opportun dans l’étude du fonctionnement, de nous y référer.
En ce qui concerne l’établissement « A » nous trouvons inscrit, comme la loi le stipule,
les missions de l’association et de l’établissement qui sont rédigées ainsi :
« La mission de l’association est de participer à l’éducation des enfants et des
adolescents, en difficulté dans leur milieu familial, et d’héberger et de réinsérer des
femmes seules avec leurs enfants. » et « La mission de l’établissement est d’assurer, au
bénéfice des jeunes, les fonctions d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement
éducatif. ». Celle-ci est beaucoup plus détaillée dans le projet d’établissement où elle
occupe une trentaine de lignes. Si nous mettons ces missions, qui reflètent les
orientations de la loi 2002-2 en inscrivant l’usager au coeur des pratiques, en lien avec
les propos des personnes qui les mettent en acte, nous constatons de la cohérence à
beaucoup d’endroits :
89

Entre la vie de groupe et la mission comme l’explique (1) « On est là ensemble,
personnel de l’établissement au service d’une même mission, même si la notion de
groupe est indispensable dans l’organisation au quotidien pour créer une intimité »

Entre la prise en charge des enfants et la mission, nous commente (8) : « c’est un
établissement, ici, qui n’est pas un établissement thérapeutique, c’est un
établissement éducatif ; donc, dans ce sens-là, qui s’est doté d’une enveloppe. Donc,
moi, quand je vous parle de la direction, que ce soit cette direction-là ou une autre
direction, ce n’est pas un psychiatre et quand bien même il serait psychiatre, il
serait dans une fonction éducative, parce que c’est le fondement même du pacte
narcissique, de l’institution avec la société, c’est celui-là. » ou encore (8) « Ici on
vise à la démocratie psychique. Et si on veut la démocratie psychique, il faut que la
démocratie institutionnelle existe, donc il faut qu’il y ait un moi, un ça et un surmoi
bien différenciés, donc il faut qu’il y ait des instances de décisions. Il y a des
protocoles, des rituels, il faut qu’ils soient suffisamment en place et cohérents pour
que l’enfant ne se sente pas objet de l’emprise. »

Entre le travail au quotidien et le projet de l’établissement, nous dit (7) « Mais je
crois qu’elle a vraiment réussi à instaurer quelque chose de serein et de
relativement harmonieux pour qu’on puisse travailler avec nos idées avec le désir
de porter le projet d’établissement. C’est que depuis, du coup, il a été aussi réécrit.
Donc on a été associé à ça, c’est vrai que tout ça, eh bien ça porte et ça donne envie
de travailler, d’aller de l’avant ».

Entre ce qui est écrit et ce qui est fait, nous confirme (1) « Alors, la demande
d’admission : quand le travailleur social, il envoie un dossier, il vient, il a une
rencontre comment ça se passe ? A la première rencontre, qui vient ?/ Oui alors
vous allez avoir dans le projet toute la procédure d’admission. » Dans la rédaction
de la procédure, nous pouvons lire « Dans un second temps, le jeune participe à un
entretien avec le médecin psychiatre de l’établissement », ce que nous confirme
cette personne ((5) : « je vois tous les enfants au moment de leur admission, quand
je dis « au moment de leur admission », c’est un petit peu large : c’est dans le mois
de leur admission »
90
Pour l’établissement « B », nous trouvons noté que « L’Association milite dans ses
engagements auprès des enfants qui rencontrent de grandes difficultés. Sa volonté est de
permettre leur résolution en associant à chaque fois que c’est possible les parents, les
familles, dans un esprit de coopération et de complémentarité ». Cette mission se centre
davantage sur l’enfant, qui peut être isolé de sa famille, alors que dans le livret
d’accueil, la fiche concernant le séjour à l’établissement débute par « Actuellement la
situation de tes parents est difficile ». Nous soulevons d’emblée la question de la
cohérence entre « l’enfant en grandes difficultés » et « la situation des parents qui est
difficile ». Rien n’est écrit sur la mission de l’établissement, juste, sous le titre de
« population accueillie », nous lisons : « La maison (nom de l’établissement) est une
maison d’enfants à caractère social, qui accueille 25 enfants, garçons et filles de 5 à 18
ans, en difficulté familiale importante ». Nous rappelons que cet établissement prévoit
d’écrire son projet et qu’alors leur mission pourra être stipulée. En ce qui concerne les
propos recueillis nous constatons également une cohérence défaillante dans :

La mission « Auprès d’enfants qui rencontrent de grandes difficultés…permettre
leur résolution » et les propos d’un éducateur (4) « C’est vrai qu’on ne sait pas trop
y faire, je crois non plus, avec des enfants en grandes difficultés, quand on est
justement face à des enfants qui sont violents. On a quand même évincé beaucoup
d’enfants (rire moqueur) cette année. Tous les départs, c’est quand même beaucoup
d’enfants qui ont posé des problèmes et qui ne sont plus là ».

La procédure d’admission inscrite ainsi : « Après réponse favorable, une rencontre
avec l’enfant et sa famille est organisée en présence du travailleur social. A cette
rencontre est présent l’éducateur référent de l’enfant » et le discours du directeur
(10) Parce que dans ces admissions, il y a des familles et des enfants. Elles le
vivent comment la présence d’un psy à ce moment là ? Elles le savent ?/On le
présente toujours. Non ça se passe assez bien. Les gens qui arrivent dans des
maisons d’enfants, ils savent qu’il y a tout un entourage. On essaye de ne pas mettre
tous les éducateurs qui ont les enfants, on essaye qu’il n’y ait pas dix personnes en
face des parents. Ca fait moi-même, enfin le chef de service, moi-même, le
psychologue et un éducateur ou éducatrice, ça fait 4 personnes »

Le paragraphe intitulé « ton projet personnalisé », dans le livret d’accueil, utilise
dans son contenu le terme de « projet individuel » : « C’est ce qu’on appelle un
91
projet individualisé. Chaque année, à l’occasion de l’audience, ou de la commission
éducative, ton projet sera réévalué ». Ces appellations de « personnalisé » et
« individualisé » ne sont pas distinctes alors qu’elles font l’objet d’un débat80. Et
dans cet écrit apparaît la notion de réévaluation, ce qui n’est pas du tout le cas, dans
la réalité, puisque l’écrit n’est pas ressorti du placard, et ceci est dénoncé (4) : « Ce
qu’il y a, en plus, ces projets individualisés ne sont pas réévalués, donc, pour
l’instant. Par exemple dans trois mois on va pas reprendre chaque projet en disant
bon ben voilà, il y a trois mois on en était là, où on en est par rapport à l’enfant
qu’est ce qu’on change ? Donc un an après, en fait on en fait un nouveau. (rire)
Sans évaluation avec l’enfant, ça ne sert pas à grand-chose ».
La cohérence est défaillante dans l’établissement « B » à
plusieurs niveaux et en
premier lieu par rapport à sa mission initiale, ce qui fait cascade avec les autres niveaux.
Dans l’établissement « A » une bonne cohérence existe avec les écrits fondateurs. Or,
cette cohérence aide à l’articulation des logiques car elle oblige à un accord, pour un
même projet « On est là ensemble, personnel de CD au service d’une même mission et
si la notion de groupe est indispensable dans l’organisation au quotidien pour créer
une intimité qui se traduit par la manière dont on choisit les meubles, la répartition,
bon, c’est quand même les mêmes règles de vie pour l’institution. Moi, quand je suis
arrivée, il y a six ans, il n’y avait pas de règlement, dans la maison, et chaque groupe
avait ses règles de vie, qui n’étaient pas du tout les mêmes ; donc, il y a eu tout un
travail à faire pour que… il peut y avoir des règles de vie propres à chaque groupe,
dans des domaines très précis, mais n’empêche qu’elles sont toutes fédérées par un
même projet, la loi de l’établissement ». S’ il n’y avait pas d’accord possible, chacun,
avec sa vision différente, tenterait d’entraîner en faveur de la stratégie qui a sa
préférence. L’importance de conflits de pouvoir dans une organisation traduit son
incapacité à articuler les logiques entre elles.
80
Jean-René LOUBAT écrit dans le lien social du 16 janvier 2003 « La notion d’individu
(étymologiquement ce qui ne peut être divisé) exprime une idée d’unité, tandis que celle de personne (du
latin persona : masque, et par extension : caractère, rôle) rend compte d’une singularité, d’une figure. Par
conséquent la personnalisation n’exprime pas du tout la même idée que celle d’individualisation, c'est-àdire l’action de réduire à une unité indivisible, mais celle d’identifier à une personne, de saisir sa
singularité. »
92
4.2 Conflits de pouvoir
Nous allons donc explorer à travers les conflits de pouvoir de chaque établissement leur
capacité à articuler les logiques.
Pouvoir dans l’établissement « A »
Les organigrammes hiérarchique et fonctionnel existent. Ils ont été pensés en cohérence
avec le projet de l’établissement et s’attachent à définir la place et la fonction de chacun.
L’organigramme fonctionnel81 concrétise bien les territoires et responsabilités de
chacun. Si bien que le rajout d’un coordinateur entre le chef de service et les éducateurs,
dans des temps occasionnels de prise de congé par exemple, n’est pas vécu comme un
problème « Donc ça a commencé par un poste de coordination, où il n’y a pas les
mêmes responsabilités que le chef de service mais où on est quand même plus en lien
avec nos partenaires. Et, bon, on est plus à distance des enfants », nous explique (7)
C’est l’occasion pour des éducateurs qui ont de l’expérience et qui se projettent vers un
poste de cadre, de prendre quelques responsabilités supplémentaires. La psychiatre et le
psychologue sont bien mis à part du management, même si leur statut les autorise à une
autonomie dans leur organisation propre. Ils sont vécus comme un apport technique par
la directrice (1) « La psychiatre est considérée comme un partenaire, une collègue de
travail, elle n’a pas de pouvoir hiérarchique sur moi. Elle n’est pas là pour nous dire ce
qu’on a, à faire ou pas faire. C’est vraiment un éclairage technique, le psychologue
également, c’est la même place ». Par contre pour le psychologue, l’organisation
hiérarchique permet que les informations redescendent et circulent mais surtout la
différenciation du rôle de chacun donne du sens « le rôle de la direction et du chef de
service est extrêmement important,et de la psychiatre aussi parce que ce n’est pas un
face à face, ça triangule » Ce qui est confirmé ar les éducateurs,qui apprécient la
hiérarchie également pour son rôle régulateur (6) « Ce n'est pas que la hiérarchie d'un
point de vue management. On est aussi à un moment donné, à réfléchir sur les mêmes
bases, on est à des niveaux certes différents, mais on est là pour la même cause. » Ainsi,
les accords peuvent se trouver dans cet établissement, dans lequel nous n’avons ressenti
aucune tension à travers les organigrammes. Dans l’étude des zones d’incertitudes nous
avons pu déceler des difficultés entre certains éducateurs et la direction car pour la
81
Voir annexe 8
93
directrice et le chef de service, les zones d’incertitudes se situent au niveau des bruits de
couloir sur les groupes où se traitent aux dépens des enfants des questions qui devraient
se débattre dans les lieux appropriés. Les conflits se retrouvent également entre les
services généraux et éducatifs, dont les missions se heurtent par moments, nous dit (9)
« Les services généraux regardent beaucoup ce qu’on fait et critiquent beaucoup, ils
critiquent positivement, mais très négativement le travail qu’on peut faire ». Les
comparaisons d’un groupe à l’autre sont fréquentes avec des sentiments d’injustice, la
directrice (1) le dénonce également au niveau des enfants : « on voit des enfants qui
peuvent dire : « ho ben toi, t’as pas de chance, t’es sur tel groupe, le mien il est mieux »
et même des adultes « Notre petit groupe, il est bien ». Même s’ils existent, ces conflits
sont bien repérés par la direction et le personnel. Ils sont vécus comme des sonnettes
d’alarme qui permettent la mise en place de dispositifs permettant la réflexion, afin
d’améliorer le fonctionnement de l’établissement.
Pouvoir dans l’établissement « B »
Les organigrammes n’existent pas. Lorsque nous évoquons devant le chef de service
(11) la nécessité de les faire figurer dans le futur projet, nous obtenons un soupir, puis
un commentaire à propos du directeur général représenté dans une position hiérarchique
très directive et pyramidale : « le directeur général c’est quelqu’un qui collecte tout,
tout au niveau des lois, de tout. Quand il nous réunit, il nous fait part des décrets, de la
façon dont on va s’y prendre pour s’acheminer vers les orientations définies par la loi,
etc, etc…mais c’est quelqu’un qui est dans le… même s’il oriente de façon directive
parce que on ne peut pas y échapper de toute façon, il est dans le dialogue bien
évidemment, c’est le grand directeur mais il fait bien suivre les informations, c’est bien,
ça descend » Le directeur (10) nous dit ne pas avoir réfléchi à cette question et
n’élabore pas dessus car il sait qu’il va la travailler avec le projet d’établissement « un
travail surtout du projet d’établissement qui va reprendre tout ça bien sûr,
organigramme et autre et donc ce qu’on fait au jour d’aujourd’hui, et qu’est ce qu’on
peut faire, ce qu’on va devenir, ce qu’on voudrait devenir, et ainsi de suite... Ce qui est
le but d’un projet d’établissement » Par contre le chef de service a une fiche de poste
qui le place au dessus des éducateurs et pas dans un entre deux, comme l’a connu à ses
dépens le directeur actuel, quand il était au poste de chef de service. Il a une réelle
94
capacité à pouvoir faire comme nous l’avons déjà souligné. Effectivement, les
éducateurs de cet établissement placent tellement bien le chef de service au dessus
d’eux, que l’un d’eux, (3), le voit au dessus du directeur « Le directeur se fait mener par
le chef de service qui a une très forte personnalité ». Alors que pour le directeur (10), la
place de chacun est claire : « un chef de service n’est pas un directeur, un directeur
n’est pas chef de service » Le débat autour de cette question de hiérarchie permet de
découvrir un conflit entre les éducateurs et la direction, conflit qui se confirme quand
une éducatrice (4) nous confie : « Et des impossibilités, en fait de la présence d’un
cadre constante qui ne permet pas de développer certaines autres choses, puisqu’en
présence d’un cadre nous on fait des constats par rapport aux enfants mais on ne se
permet pas forcément d’aller plus loin ». L’absence de base organisationnelle a pour
conséquence la présence de nombreuses zones d’incertitude. Nous énumérons ainsi les
conflits de pouvoir qui en découlent illustrés par des items :

Chef de service et éducateurs « Il y avait des équipes éducatives, je ne pouvais pas
m’approcher du travail qui s’y faisait. il y avait comme un veto de la part des
équipes éducatives, donc ça était loin parce que j’ai dû, j’ai dû/Un bras de
fer ?/Oui, oui. Maintenant je crois que les choses sont comprises »(11)

Educateurs entre eux et/ou entre groupe « Chacun est identifié à son groupe, on
est amené à travailler avec des collègues le soir ; mais il y a un lieu commun qui est
le bureau des éducateurs. Je peux mieux connaître les éducateurs des autres
groupes avec qui je travaille que mes collègues avec qui je ne travaille pas »(2)

Educateur et personnel de service « Je veux dire que c’est vrai, il y a quelque
chose à organiser maintenant autour d’une rencontre régulière autour de ces
personnes. Il y a eu des rencontres comme ça, une fois tous les… Mais c’était assez
nul car ça tournait en eau de boudin, parce que c’était des rencontres du personnel
de toute l’institution y compris le cuisinier…/Des réunions institutionnelles. Ce
qu’on appelait réunion institutionnelle./Voilà. Donc dans laquelle le personnel de
service posait des revendications à l’encontre des éducateurs. Ca tournait autour de
la vaisselle, des poubelles, qui vidait les poubelles, les poubelles qui n’étaient pas
vidées, les éducateurs qui laissaient des plats dans l’évier … »(11)

Educateur et veilleur de nuit « Mais ça c’est pareil, ça va être à discuter, une
veilleuse de nuit me faisait part l’autre jour que le lien ne passe pas avec les
95
éducateurs, c’est à dire que des fois le matin, « je ne sais pas qu’il ne faut pas
réveiller tel enfant alors, je vais le réveiller ». Sur des trucs quand même essentiels
les éducateurs ne transmettent pas l’information. »(11)

Chef de service et secrétaires « Une maîtresse de maison avait des reproches de la
part des secrétaires concernant le ménage qui n’était pas suffisamment fait à tel
endroit, du temps qu’elle prenait avec les enfants, alors que c’était organisé avec
moi. Enfin il y avait…ça créait une rivalité, non seulement une rivalité. Mais en plus
ce n’est pas leur job, ce n’est pas leur job. Je l’ai dit après ça, à la secrétaire/Sans
le directeur? /Sans le directeur. Et après j’en ai parlé au directeur, j’en ai reparlé
au directeur »(11)

Chef de service et directeur « « Donc réellement physiquement, même
géographiquement
vous
avez
dû
faire
votre
place ?/
Physiquement,
géographiquement j’ai du m’imposer./ Vis-à-vis des équipes, mais vis à vis du
directeur aussi ?/Oui aussi, parce qu’il n’avait pas l’habitude de travailler, là où
était mon attente. Mon attente, c’est vraiment partager, moi j’aime travailler en
équipe. » nous explique le chef de service (11), ce qui est confirmé par le propos
d’une éducatrice (4) « Donc vous dites il y a aucune communication entre le chef
de service et le directeur ?/Non parce que des fois on a même des avis contraires,
des désaccords mais qui nous sont renvoyés à nous ».
Les conflits sont nombreux, repérés avec l’aide du chef de service qui souhaite y
remédier en dénonçant chaque point pour que des solutions soient trouvées. « Mais
demain on revoit toutes ces petits points qui finalement détériorent l’ambiance d’une
maison d’enfants on va revoir ça en réunion d’éducateurs. On revoit ça avec le
directeur ». Alors que nous ne pouvons que constater les grandes lacunes de cet
établissement pour articuler les différentes stratégies, l’éducateur (3) le formule très
clairement dans son propos « les manières de voir les choses, c’est pas simple, c’est
souvent houleux, on ne comprend pas bien pourquoi l’autre fait comme ça, et les
espaces entre les groupes, ça demande souvent des discussions, des trucs compliqués »
Nous comprenons que c’est la stratégie de l’autorité avec le soutien du directeur que le
chef de service va faire jouer, pour permettre d’améliorer l’ambiance de la maison
d’enfants.
96
C’est ainsi que nous proposons de relever les raisons abordées par nos interlocuteurs au
sujet des difficultés et des facilités rencontrées dans leur établissement pour assurer une
bonne cohérence.
4.3 Circonstances favorisant ou non la cohérence
4.3.1 Difficultés
Les premières difficultés qui viennent à l’esprit des personnes interrogées sont liées à la
résistance au changement. Les raisons de cette résistance s’expliquent par des peurs :

De perdre quelque chose ou quelqu’un, nous explique (12) «ça pouvait faire peur
aux éducateurs de réduire leur groupe, être avec des collègues et pas avec les
autres. Voilà, tout ce qui est de l'ordre du choix, de la restriction, mais pour avoir
un plus, un moins pour un plus »

De ne plus comprendre la finalité des choses, nous dit (4) « c’était tellement fermé
dans des petits tiroirs qui répondaient à une commande en fait par rapport aux
tutelles et au conseil général. Que nous on ne pouvait pas en fait développer la
pratique, ce qu’on faisait dans l’établissement, donc c’était un peu vide de sens ».

D’être uniformisé, nous explique (13) : « Chaque groupe avait un peu sa
particularité, son fonctionnement, aujourd’hui il faut uniformiser ou presque ».
Ces peurs amènent à une fermeture pour se protéger, nous dit (1) :« on voit de la part
des anciens éducateurs surtout, des réflexes de se refermer sur son petit groupe ». Les
motivations de cette résistance s’expliquent alors, dans des choses simples qui ne
remettent pas en cause le fonctionnement ou l’utilisation des locaux existants, nous
commente le chef de service (11), qui a dû géographiquement marquer son territoire,
rencontrant beaucoup de résistances : « Au début, donc, mon bureau était là et le jeudi,
les réunions d’éducateurs avaient lieu dans mon bureau. Ce qui fait qu’il y avait une
invasion d’éducateurs. J’étais obligé de pousser mes affaires. Ca me… c’était
insupportable. J’ai assez rapidement demandé que mon bureau reste mon bureau, je ne
supportais pas cette intrusion ! / Surtout que c’était les trois groupes, du coup, qui
venaient ?/Oui donc les réunions d’éducateurs, enfin, institutionnelles, se font dans le
petit préfabriqué là-bas. Dans une salle qui était intouchable, elle n’ était utilisée que le
97
soir parce qu’elle correspondait au soutien scolaire des enfants, donc, dans la journée,
elle était libre ; mais c’était la pièce où on n’entre pas !». Car le changement, obligerait
à transformer les manières de faire. Un éducateur dénonce ainsi la lassitude des actes du
quotidien (6) «Je pense que vraiment si je parle de résistance, c’est plus du confort de
travail et puis d’une lassitude d’avoir toujours le groupe. C’est plus propre à des gens
qui sont là depuis pas mal de temps avec un mode de fonctionnement particulier ».
Ainsi qu’un chef de service (7) qui rappelle la nécessité de se remettre en question
« pour certaines personnes, il y a de la résistance, car cette flemme je ne sais quel
terme employer, de modifier des choses ou en tout cas de les réinterroger ». Et si cette
résistance devait s’installer, le risque serait alors que les choses soient acceptées comme
impossibles à remettre en question, nous dit (11) : « Leur poste n’était pas bien défini.
J’en avais parlé plusieurs fois au directeur qui n’avait pas relevé, qui me disait « c’est
un état de fait », et il ne reste alors qu’un pas, pour rendre responsables des individus de
cet état de fait, ce qui peut conduire à un déplacement de la cause réelle sur une
personne « C’était les affaires de Me X (chef de service) ce n’était pas la loi 2002 » ou,
sur des organisations-vérités « On ne pouvait pas toucher à l'organisation c'était comme
si toucher à cette organisation, on touchait à une vérité » qui peuvent aboutir à des
croyances uniques, voire des positions totalitaires, nous dit (8) : « Ca s’entretient, la
démocratie, si ça s’entretient pas, on régresse à des formes beaucoup plus archaïques
de groupement qui sont la dictature ou autres, quoi ». Même si, dans des cas extrêmes,
les thérapeutes l’expliquent à travers des incapacités (12) : « Finalement ses capacités
d’adaptation n'étaient pas assez grandes pour changer », voire des structures de
personnalité (5) : « mais il peut se faire dans d’autres institutions que ce soit la
psychorigidité de tel ou tel interlocuteur qui rend les choses difficiles, beaucoup plus
que la différence des cultures à mon avis, parce que ça, ça peut toujours se travailler ».
Les autres difficultés évoquées sont d’ordre organisationnel : soit, tout simplement dans
des questions d’espace nous dit (9) : « L’antagonisme, les réticences, elles sont plus
ciblées sur un groupe quand même. On parle du groupe C qui en plus est à l’opposé des
deux autres groupes. Premier étage, groupe B, deuxième étage, groupe V, et à l’autre
bout, il y a l’aile où il y a le groupe C. Et bien le lien est plus difficile, et c’est ce petit
groupe là bas où il y a tous les jeunes en plus », soit, dans la répartition des enfants en
groupes verticaux ou horizontaux, comme le vit (6) : « le problème, on a plus de pré
98
ados, des garçons, les petits ils ne supportent pas. On leur fait violence quand on leur
dit : « on va manger là-bas ». Donc on essaye de casser, on invite les adolescents
parfois ; mais on ne peut pas faire ça tout le temps non plus, on perd l’âme de la
verticalité », soit dans la mixité des équipes nous dit encore (6) : « je dirais l'autre
point noir, c'est qu'il y a peu d'hommes dans cette maison. Vous verrez beaucoup de
femmes sur les équipes qu'un éducateur et par groupe on est quatre ou cinq personnes.
Donc, ça fait 14 éducateurs au total et il y a trois hommes. C'est peu, sachant qu’on a
actuellement plus de garçons que de jeunes filles, avec des problématiques justement de
mère isolée ou autre, absence du père. Moi je trouve que les jeunes nous sollicitent de
plus en plus et c'est ce qui conduit certains jeunes à dire : « c'est mon éducateur » plus
que : « c'est mon éducatrice », il se l'approprie ».
Ces difficultés organisationnelles renforcent effectivement la complexité du travail,
citée par (5) « C’est toujours un travail extrêmement complexe parce que les exigences
éducatives sont différentes, peuvent même parfois, être contradictoires avec le soin. »
car ce ne sont pas les caractéristiques d’un individu, mais la capacité des gens à
coopérer (7) : « « mais tu n’es pas sur mon groupe » et pour que des gamins disent ça
c’est que forcément ils le ressentent chez les adultes » en s’adaptant aux circonstances
« ce qui est important c’est que les choses qui ont pu être travaillées puissent leur être
restituées, mais à leur niveau, avec leurs mots, on emploie du vocabulaire technique
aux réunions de synthèse »
Les premières difficultés se situent dans la résistance au changement qui s’explique par
la peur de perdre quelque chose, ou quelqu’un, la finalité des actions menées ou encore
la peur d’être uniformisé. Elle mène à un repli pour se protéger en limitant l’action
comme sur le groupe d’appartenance qui permet un meilleur contrôle. Cette forme de
difficulté amène au risque que les pensées deviennent rigides avec des systèmes de bouc
émissaire, et au pire, des organisations archaïques de groupement.
D’autres difficultés sont d’ordre organisationnel, soit de configuration de lieu, de
groupes d’enfants ou de parité entre les hommes et les femmes composant les
professionnels, ce qui n’arrange pas la complexité du travail qui doit
faciliter la
coopération entre les gens. Ces difficultés sont donc stratégiques, elles doivent être
99
connues pour permettre l’articulation des logiques, sinon l’établissement court le risque
de fonctionner avec des logiques isolées.
4.3.2 Facilités
Face à ces difficultés nous trouvons effectivement, dans les propos recueillis, des
solutions vécues par ces acteurs de terrain. Elles passent par une énergie renouvelée
grâce à l’accueil de jeunes professionnels, nous dit (6) « il y a des tas d’ateliers qui sont
mis en place, et qui accueillent des enfants de tous les groupes ; ça a beaucoup été
insufflé par des éducateurs qui sont arrivés ces 5 dernières années », également de
stagiaires, nous précise (13) « Les vieux comme nous c’est bien que les jeunes nous
renvoient des choses, parce que je crois que des fois on a tendance à rester un petit peu
sur ses acquis et sa façon de fonctionner ; mais c’est aussi l’intérêt des stagiaires ».
Mais, également, par une façon de travailler en équipe où chacun trouve sa place,
comme le reconnaît (4) : « Du jour au lendemain il a fallu tout relâcher de nouveau
quoi, alors que, vraiment, enfin, on trouvait une façon de bosser qui nous
correspondait. Donc c’est plus ça qui a créé des tensions ». Ces solutions passent aussi
par le biais de nombreux lieux d’échanges qui favorisent la circulation d’informations,
nous explique (11) : « les cahiers, je pense qu’ils ont été faits juste avant mon arrivée ;
sinon, avant, je ne sais pas comment ils communiquaient, ça devait être un gros bazar,
pour ne pas dire autre chose… » et qui encouragent l’expression des malaises et
insatisfactions dans le respect et la confiance de l’autre, grâce à un souci de
professionnalisation, nous dit (1) : « Le pôle logistique qui peut trouver que les
éducateurs ne font pas assez attention à ce que les enfants respectent leur travail ». Ces
lieux d’échanges permettent ainsi l’élaboration commune pour rechercher des solutions
vers un minimum commun, pour avoir des projets de création, pour améliorer
l’harmonie institutionnelle dans une idée d’appartenance et de synergie. « Je crois que
l'avantage du chef de service, c'est que ça a permis, justement de lancer un sentiment
d'appartenance, de synergie, de lancer vraiment ce fonctionnement, mais qui a du mal à
se mettre en place. Il fonctionne, ça fonctionne de fait, mais pas dans l'âme, pas dans
l'esprit », nous dit (6).
Donc de nombreuses réunions doivent être organisées par des personnes compétentes et
dans un souci de transparence, nous commente (7) : « Donc vraiment ces modules ça a
100
été un lieu où les gens ont pu livrer leur ressenti et où ça a pu être parlé et où il y a pas
eu de jugement de valeurs et je pense que vraiment, là, ça a apporté aux gens qui ont
participé, à chacun, ça a beaucoup apporté, parce qu’ on s’est vu sous des angles
différents ». Les supervisions ou analyses de la pratique sont bien appréciées pour la
cohérence qu’elles apportent, nous dit (6) : « alors c'est vrai qu'en analyse de la
pratique, on ne parle que de notre pratique au sein de notre groupe, ou de l'institution.
De manière que l'on puisse échanger et que ça ne soit pas un déversoir, ou autre, de
revendications particulières. Parce que là, de toute façon elle nous... Quand ça dérape,
elle remet le cadre de. C'est quelque chose qui permet de bien réguler, de bien
travailler en cohérence avec l'établissement ». Cette diversité de lieux et d’éclairages
permet de différencier symboliquement les lieux, ce qui facilite l’autonomie de chacun,
nous explique (8) : « Ensuite est arrivée une psychiatre, donc ça fait du poids, donc les
réunions ont commencé à s’organiser autrement, se différencier, et puis ensuite il y a eu
l’arrivée du chef de service et l’arrivée de la psychologue pour l’analyse de la pratique,
ça s’est fait en même temps. Et du coup les choses se sont petit à petit différenciées ».
Car les facilités d’une articulation se trouvent dans la compréhension de la nécessité des
choses, dit (1) : « il y a bien un moment où il faut se poser et raccrocher toutes ces
urgences à une ossature, c’est à dire à un service, on sait exactement ce qui se passe
pour le soin, ce qui se passe pour les écoles, qu’est ce qu’on met en place ». Une des
façons pour les comprendre est d’entreprendre une formation comme (10) : « j’ai
énormément apprécié cette formation. Parce que là on est vraiment dans l’action, on
n’est pas dans le fait d’absorber des choses, on est dans quelque chose de l’ordre du
partage avec des gens hyper-pointus en terme de droit, de compta, de management, en
terme de plein de choses qui vous font mais avancer ». Car le sens des choses, on le
croise surtout dans l’élaboration de l’édifice de l’établissement, nous explique (5) :
« des réunions où l’on aborde tous les problèmes généraux de l’institution, certains qui
me sont un peu étrangers, d’autres qui sont plus proches de ma fonction, qui ont trait
justement à la construction de l’édifice éducatif, et ça a une influence directe sur la vie
psychique des enfants. Et là, j‘y suis très intéressée, je veux dire simplement les règles
de base, les règles de vie de base », car il est important qu’entre les différents points de
vue une entente puisse se faire, nous raconte (10) : « Il y a des choix qui s’entrecroisent
entre, même si le directeur et le chef de service ont des fonctions bien distinctes, ils
101
peuvent aussi se rencontrer, et le psychologue est là aussi pour trouver une solution
commune » ainsi, les différences deviennent une complémentarité, comme l’a découvert
(4) : « En fait, de nos différences, on en a fait une complémentarité et une richesse.
Alors qu’avant, toutes différences c’était une horreur entre nous et c’est ce qui fait
maintenant la force de notre équipe », et pour que ça puisse se faire il faut pouvoir un
minimum s’identifier à l’autre, explique (8) : « Ce qui ne veut pas dire que les
identifications éducatives vont être celles à partir desquelles l’on travaille dans le cadre
de la thérapie ; mais si, moi, je n’ai pas une représentation, si je ne peux pas
m’identifier au monde éducatif, si j’ai pas idée de ce que je peux faire bouger, ce que je
peux demander en terme d’investissement, d’ennui, de tracas à un éducateur, je ne
peux pas rencontrer l’éducateur. »
Les solutions trouvées par les acteurs de terrain se trouvent dans un apport de regards
neufs mais aussi dans la multiplication de lieux qui favorisent la communication et donc
les liens, les projets communs. Les nombreuses réunions sont donc un outil essentiel, à
condition, qu’elles permettent la diversification des compétences pour mieux
comprendre et organiser le travail des établissements. Dans ces temps de rencontre, la
diversité des points de vue peut alors devenir une richesse.
Conclusion
La cohérence dans les établissements impulse l’articulation des logiques qui, en
diminuant les zones d’incertitudes, limite la fréquence des conflits de pouvoirs.
L’établissement « A » connaît une organisation cohérente où les rares conflits sont
considérés comme des indicateurs de point à surveiller. Pour l’établissement « B », où
la cohérence est défaillante, les conflits de pouvoirs sont nombreux et le chef de service
conscient de ces dysfonctionnements propose de les réguler par sa logique d’autorité.
Les origines des difficultés de fonctionnement se répertorient dans la résistance au
changement qui s’explique par des peurs ou par des problèmes organisationnels au
niveau des espaces, des compositions de groupe, ce qui entraverait une synergie. C’est
pourquoi les solutions proposées se situent dans tout ce qui favorise la circularité, avec
des outils permettant des apports diversifiés et riches, pour permettre un fonctionnement
avec une bonne cohérence où l’articulation des compétences serait possible.
102
Conclusion
Les récits des 13 personnes rencontrées dans le cadre de notre investigation montrent
que l’histoire de ces deux établissements est jalonnée de chaos, que chacun d’eux a
négocié différemment. Ces histoires se distinguent en première lecture, par la présence
d’un projet dans un seul établissement. Nous notons aussi que dans les deux
établissements, les chefs de service ont eu accès à leur poste sur la base de leurs
expériences. Leur légitimité institutionnelle est reconnue, ce qui semble moins évident
pour la légitimité démocratique du chef de service dans l’établissement « B ». Cette
prédisposition à la légitimité dans l’établissement « A » se confirme par l’approche
conceptuelle des responsabilités du chef de service qui est pratiquée. Mais nous allons
revenir sur ces questions.
La communication, la confiance et délégation sont les ingrédients stratégiques
indispensables aux chefs de service qui veulent renforcer leurs compétences et ainsi leur
légitimité. Arrivée à cette étape, nous découvrons que la cohérence facilite l’articulation
des logiques dans le fonctionnement des établissements. Les conflits de pouvoir qui
sont attachés aux zones d’incertitude sont plus ou moins nombreux suivant l’élaboration
de l’organisation. C’est ainsi que les conflits de pouvoir peuvent se réguler dans une
logique d’acceptation ou une logique de contrainte, suivant le contexte dans lequel se
situe la capacité du chef de service à se faire obéir.
103
Troisième partie
Du concept de légitimité au
fonctionnement institutionnel
« Plus le manager est capable de faire émerger un mode d’organisation résultant des
attentes des clients et des compétences de son système, plus est grand son pouvoir alors
qu’il paraît y avoir renoncé »
Isabelle ORGOGOZO
Les paradoxes du management : Des châteaux forts aux cloisons mobiles
104
1 : Articulation des logiques et légitimité
Nous allons tenter de relier le concept de légitimité à nos observations de la deuxième
partie en montrant en quoi l’articulation des logiques entre elles peut permettre la
reconnaissance de la légitimité du chef de service éducatif.
1.1 Reconnaissance de légitimité
A partir de notre recherche sur le concept de légitimité, nous avons retenu qu’il y avait
quatre sources de la légitimité dans les organisations, d’après Michel CROZIER82.
Nous ne conservons pas la source concernant la maîtrise des relations avec
l’environnement qui est très peu présente au regard du poste de chef de service éducatif.

« La première, la plus immédiatement perceptible, est celle qui tient à la possession
d’une compétence ou d’une spécialisation fonctionnelle difficilement remplaçable.
L’expert est le seul qui dispose du savoir faire, des connaissances et de l’expérience
du contexte qui lui permette de résoudre certains problème cruciaux pour
l’organisation. »
Cette source est conséquente pour le chef de service de l’établissement « A » comme
nous pouvons le lire à travers le propos du psychologue (8) : « le chef de service est
pour moi précieux, parce qu’au lieu d’aller voir individuellement les éducateurs, j’ai
une personne référente à qui m’adresser, que ce soit pour les rendez-vous avec les
parents, les informations concernant les horaires, tout ce qui fait la vie de mon travail,
tous les problèmes qui peuvent se poser, administratifs ou pas. C’est extrêmement
intéressant parce que je ne suis pas obligé d’attendre quand l’éducateur référent n’est
82
Philippe BERNOUX. La sociologie des organisations : Initiation théorique suivie de douze cas
pratiques Paris, Seuil, 1985, p.162
105
pas là ou de m’adresser à un collègue. En toute confiance, je vais parler au chef de
service, j’ai telle ou telle chose, qu’est ce que vous en pensez ? Et je sais que ça va
redescendre ». Nous retenons que les compétences fonctionnelles attachées à la fonction
du chef de service éducatif sont largement reconnues donc légitimées dans cet
établissement. Dans notre première partie, nous avons souligné que la compétence du
chef de service s’appuie beaucoup sur une logique collective, nous allons revenir sur cet
aspect dans notre chapitre suivant.
Pour le chef de service « B », les choses ne sont pas si simples. Dès ses prises de
fonction « quand je suis arrivée, donc, qu’est ce que c’était que cette femme qui arrivait
encore, qui allait nous demander des comptes, qui arrivait avec s(c)es projets
individualisés, « mais, qu’est ce que c’est que ça ? » (se demandaient les
éducateurs)/Pourtant ça avait été parlé à la démarche qualité ?/ Oui ça a été parlé à la
démarche qualité, mais entre le parler et le mettre en œuvre c’était pratiquement… si
vous voulez, le cadre de la loi 200283 n’avait pas encore été ingéré ici. » Ce champ de
compétences, elle est la seule à le posséder au départ. Depuis, le chef de service détient
bien la compétence de finaliser les projets personnalisés, cependant avec un bémol,
puisqu’on n’en reparle jamais. Cette spécialisation du chef de service n’est pas
difficilement remplaçable semble nous dire (3), qui nous répond lorsqu’on l’interroge
sur les projets : « Sur le groupe vous faites des projets individualisés ? Oui, C’est le
chef de service qui reçoit l’enfant avec l’éducateur référent, pour savoir (ce que pense
l’enfant des projets) les projets de l’année, l’aider, l’aiguiller, qu’il nous donne son
avis, nous, qu’on lui dise ce qu’on en pense. A ce moment là, c’est le chef de service qui
remplit la feuille. Le problème de ce truc là, c’est qu’en fait, ce projet, on ne le ressort
pas après. C’est un truc, c’est une feuille qu’on écrit. On reparle du projet, dans
l’année, mais sans en parler et sans ressortir la feuille », ce que reconnaît le chef de
service (11) qui se sent bien seul dans son champ de compétence mise en doute, à quoi
ça sert ? «Bon alors pour bâtir le projet individualisé je ne sais pas si je m’y prends
bien. Ca, c’est une question que je vais débattre très prochainement avec mes collègues
chef de service de l’association. Parce que je ne sais pas ce que vous en ont dit les
éducateurs mais, pour moi, le Projet Individualisé, c’est une base de travail qui doit
pouvoir être lue partout, par l’ensemble des éducateurs, même des autres équipes. ».
83
Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale et prescrivant une
obligation de démarche qualité aux établissements d’ici 2008.
106

La deuxième source qui concerne le poste de chef de service est la communication.
« La communication d’information a toujours une grande valeur stratégique. Elle
s’effectue donc en fonction des objectifs des individus et de ceux qu’ils prêtent à
leurs correspondants. »
Nous avions fait ressortir dans notre deuxième partie, cet aspect de la communication,
qui est un outil stratégique pour les chefs de service, car elle permet d’énoncer les
problèmes en décodant des messages implicites, de faire circuler de l’information sur
les évènements en remettant du sens et du lien. Cet outil semble bien utilisé dans
l’établissement « A », où la communication est une préoccupation capitale : « son poste
(le chef de service précédent), il ne l’a pas occupé pleinement, si je puis dire de ce
que j’en sais…/Ben oui, puisque il a été beaucoup sur le…/Questions d’infos surtout,
Passages d’infos/Passages d’infos oui, ça me (le chef de service actuel quand il était en
fonction d’éducateur) manquait aussi parce que j’ai une certaine rigueur, je pense
pouvoir dire (rire), c’est des choses qui manquaient, les choses étaient dites
verbalement et que forcément ça se perd. Et on demandait souvent en équipe
régulièrement que les choses… on a un feuillet tout bête de message, c’est pas très long,
en plus moi, j’en ai toujours sous le coude (sort un exemplaire du tiroir du bureau),
c’est des feuillets comme ça donc notés par… la date, qui on a eu, et puis on met dans le
casier, et du coup, ça, c’était pas fait, et je pense qu’il y a des passages d’infos qui
pouvaient manquer ». Ces propos recueillis auprès du chef de service (7) confirment
qu’il a bien conscience des enjeux stratégiques et ainsi cette source alimente sa
légitimité « Tout individu a besoin d’informations et il dépend pour elles de ceux qui les
détiennent. »84
Là encore, le chef de service de « B » n’est pas gagnant en légitimité, même s’il est
lucide sur les conséquences d’un manque d’informations, (11) : « Parce que les cahiers
je pense qu’ils ont été faits juste avant mon arrivée, sinon, avant je ne sais pas
comment ils communiquaient, ça devait être un gros bazar, un gros bazar… » et
depuis, il tente d’améliorer la communication et pourtant sa valeur stratégique ne
semble pas un point fort dans cet établissement, d’après l’éducateur (2) : « Le projet
doit tenir sur l’année ; il peut y avoir des évènements qui font que si des axes se sont
84
Philippe BERNOUX. La sociologie des organisations : Initiation théorique suivie de douze cas
pratiques. Paris, Seuil, 1985, p.165
107
retrouvés dans une impasse ou, peut être, qu’on a fait des mauvais choix, notamment
pour le travail avec les familles, dans ce cas là, on peut le retravailler ; mais c’est vrai
que ça ne va pas se faire de façon formelle, c'est-à-dire, le projet individualisé, on ne va
pas le notifier dessus le changement d’orientation, ça va se faire implicitement. Une
entrevue avec le chef de service suffit. » Nous voyons que l’information tacite, entre le
chef de service et un éducateur, suffit à modifier le projet d’un jeune sans que la
décision prise et rédigée à la base ne soit réécrite, elle a donc évolué mais reste la seule
référence.

Dernière source de légitimité répertoriée par nos auteurs : « l’utilisation des règles
organisationnelles. Les membres d’une organisation sont d’autant plus gagnants
dans une relation de légitimité qu’ils maîtrisent la connaissance des règles et savent
les utiliser. »
Pour le chef de service « B » ce n’est toujours pas une source de légitimité «Et vos
horaires ils sont établis par le chef de service ?/En fait au départ nous, on s’est
occupés de nos horaires, parce que le chef de service, c’est quelque chose qu’il ne
savait pas vraiment faire, il ne sait toujours pas vraiment faire », nous dit (4) ou
encore : « Non c’est le chef de service qui écrit en fait sur un W-E les enfants présents
ou les enfants absents. Donc généralement on sait le jeudi pour le W-E quels enfants
sont présents et si notre W-E est modifié ou pas./ Il n’y a pas de prévisionnel ?/ Aucun,
alors que les enfants sortent sur l’année de la même façon. Et ce n’est pas du tout
organisé. C’est pour ça qu’on est assez souple. Des fois on apprend le jeudi qu’on a 20
H en moins à faire le W-E et qu’on doit mettre ailleurs. 85 »
Alors que pour le chef de service « A », c’est une source supplémentaire, comme le dit
(1) : « Il a toujours été responsable des horaires avant d’être chef de service, avant
même que j’arrive dans la maison. C’est qu’ayant lui-même plus de dix ans
d’ancienneté, il connaît les moments… l’histoire d’abord de l’institution et les moments
clefs. »
Le résultat de cette analyse des sources de légitimité, vient bien confirmer nos
observations sur la légitimité du chef de service de l’établissement « A », qui lui sont
très propices. Pour le chef de service « B », sa légitimité institutionnelle reste
85
L’interlocuteur veut dire que les heures qu’il ne fera pas sur le week-end, il devra les faire sur une autre
plage horaire.
108
indiscutable, mais la faiblesse de ses autres sources de légitimité, fait, d’une part, que la
reconnaissance de sa personne, de ses valeurs n’est pas construite et, d’autre part, qu’il
ne peut pas faire accepter ses décisions.
1.2 Logiques collectives
Pour valider notre hypothèse, nous devons vérifier que si la logique éducative du chef
de service éducatif parvient à s’articuler avec les autres logiques, alors, la légitimité du
chef de service éducatif est reconnue. Nous venons de voir que nous avions un
établissement avec des logiques qui s’articulent, où le chef de service est légitimé, et un
autre établissement où il n’est pas légitimé avec des logiques qui ne s’articulent pas.
Si, nous utilisons, le matériau récupéré dans l’établissement où le chef de service
éducatif est légitimé, nous allons vérifier si cette reconnaissance se justifie par
l’articulation de sa logique éducative avec les autres logiques en présence dans cette
maison d’enfants.
D’entrée nous pouvons citer, la réponse de l’éducateur (6) : « C’est vrai qu’on a
beaucoup, dans cet établissement, comment dirais-je ?...de marge de manœuvre,
d’initiatives, de responsabilités. Ce qui est très intéressant, ce qui crée une dynamique
qui est intéressante./ Et qui est…, parce que c’est bien d’avoir des initiatives et une
marge de manœuvre mais qui recentre tout ça pour qu’il y ait une cohérence ?/ Donc
il y a un chef de service justement, c’est son boulot de coordonner toute l’action
éducative. »
Nous allons analyser un peu plus en profondeur les réalités de terrain sur la réflexion de
cet éducateur. Il nous dit que c’est le chef de service qui coordonne toute l’action
éducative pour une cohérence. Or, nous avons vu dans notre deuxième partie, comment
la cohérence impulse l’articulation des logiques et réciproquement, mais qu’en est-il de
la logique collective de cette action éducative ?
109
Nous confrontons à la réalité trouvée dans cet établissement « A », les quatre modalités
nécessaires à l’accès d’une identité collective, d’après la référence de Renaud
SAINSAULIEU86 déjà utilisée dans notre première partie

La modalité identitaire sur « la résistance contre toute forme de domination et la
capacité de l’individu à dire non » est en bonne place dans cet établissement car
nous avons vu que, pour le chef de service, la principale inquiétude par rapport à sa
prise de fonction se situait bien dans une capacité d’être en désaccord, ce que
certains collègues savent exprimer : « le seul point noir qui m’inquiétait
éventuellement, c’était les personnes avec qui j’étais en conflit en tant qu’éducateur,
quand je serais de l’autre côté de la barrière, je me disais : « ça ne peut que
augmenter », parce que ce sont des personnes qui pour moi « bouffent du patron » ;
pour moi il n’y a pas d’autres termes. »

L’expérience identitaire qui s’appuie sur la diversification des expériences a une
place importante. En annexe 2 du projet d’établissement, nous trouvons un descriptif
des compétences et des qualifications internes87 des différents pôles de
l’établissement, dont l’éducatif. Les promotions internes dans l’association sont
possibles, comme le prouve le chef de service. La formation est encouragée, l’un des
éducateurs (6) est inscrit pour une formation à l’encadrement. Le renouvellement du
personnel est un plus, pour la directrice présente depuis six ans sur cet
établissement : « C’est intéressant il y a des tas d’ateliers qui sont mis en place, et
qui accueillent des enfants de tous les groupes, ça a beaucoup été insufflé par des
éducateurs qui sont arrivés ces 5 dernières années. » Par contre, là aussi, l’équipe a
conscience d’une difficulté dans l’insuffisance de mixité de l’équipe d’encadrement,
comme nous l’avons vu dans le propos d’un éducateur (6).

Le résultat de l’action créatrice en entreprise d’un individu lui permet d’être
socialement reconnu est ici encore d’actualité, nous explique (6) : « Non le retour, il
est positif. C'est vrai qu'on a une tendance toujours à se mésestimer. Maintenant, on
a appris aussi à dire : « oui, on fait du bon boulot ». Ce n'est pas facile, pour des
éducateurs (rire). Donc, on reste un petit peu en retrait, humbles, mais on peut aussi
86
Renaud SAINSAULIEU. Comprendre les organisations : Culture et identité : La construction des
identités au travail. In, sciences humaines, hors série, mars-avril 1998, p.41
87
Annexe 9
110
rester humbles et puis dire que l'on fonctionne bien aussi. Je pense que là, en
l'occurrence... »

Et une quatrième, qui est la plus ancienne forme d’identité collective, celle de
l’appartenance à l’établissement. Cette appartenance est un véritable souci pour la
direction de cet établissement qui combat donc très justement le sentiment
d’appartenance des anciens qui l’accordent en priorité à leur groupe, nous dit la
directrice (1) : « On travaille au service des usagers, mais quand même dans une
synergie, bon on verra que l’établissement est formé de trois groupes, la notion de
groupe arrive bien après l’appartenance à l’établissement. Voilà, on est d’abord
personnel de « A » avant d’être éducateur de tel groupe. Le groupe, c’est
l’organisation concrète au quotidien. Ce qui n’existait pas quand je suis arrivée,
puisque les groupes étaient autonomes ». Elle nous confirme qu’un moyen pour
assurer la cohérence de l’ensemble est d’adopter, à l’arrivée de nouveaux, une
méthodologie qui permette la transmission d’une appartenance à l’établissement :
« Et donc, dans ce fonctionnement vous disiez vous parliez de cohérence, que
vous veillez à ça quels moyens vous mettez en œuvre pour veiller justement à ça ?
/Alors il y a déjà au départ, à l’arrivée d’un nouveau personnel dans la maison… la
distribution des documents de base. C'est-à-dire que toute personne qui arrive et
travaille à « A », qu’elle soit stagiaire ou titulaire d’un poste, se voit remettre le
projet d’établissement, le livret d’accueil, les règles de vie, les règles de
fonctionnement de la maison. Donc ça, ça me paraît déjà un signe de
reconnaissance et d’appartenance ».
Les principales modalités d’accès à la reconnaissance de la logique de l’équipe
éducative de cet établissement sont très positives. La compétence éducative est donc
une véritable valeur dans cet établissement. Nous renforçons notre propos par celui du
psychologue (8) « Donc, moi, quand je vous parle de la direction, que ce soit cette
direction là, ou une autre direction, ce n’est pas un psychiatre, et quand bien même il
serait psychiatre, il serait dans une fonction éducative, parce que c’est le fondement
même du pacte narcissique de l’institution avec la société ».
Comme le chef de service est au cœur de cette cohérence et que sa logique éducative
s’articule bien avec la logique de l’équipe éducative ainsi que les autres logiques, nous
111
pouvons nous permettre de confirmer notre hypothèse. Nous la vérifions également par
la contre hypothèse : dans l’établissement où les logiques ne s’articulent pas, le chef de
service n’est pas légitimé.
1.3 Un service éducatif pour favoriser la démocratie 88
Nous revenons un instant sur l’approche conceptuelle des responsabilités du chef de
service dans l’établissement « A », qui se situe dans un registre assez dynamique, avec
l’idée de faire accepter ses décisions, comme nous dit (1) : « C’est le chef de service
qui est le garant du projet personnalisé, c'est-à-dire qu’il articule tout le travail
entrepris au service du projet personnalisé de l’enfant, en lien étroit avec le référent ; il
est responsable de la cohérence du projet personnalisé par rapport à la mission, au
projet, aux choix associatifs ; il suit et articule le travail de partenariat ; il fait circuler
les informations par des supports écrits, articule les horaires et le suivi de
l’annualisation. » Dans ce discours, nous entendons le fait que la légitimité du chef de
service éducatif lui permet de faire accepter ses décisions parce qu’il parvient à faire
accepter sa logique. C’est le fondement de la légitimité.
Cependant, nous devons rappeler que dans la volonté de donner à son chef de service
une position stratégique de « pouvoir faire », qui est de l’ordre du pouvoir « gérer »
dans cet établissement, la directrice (1) précise : « J’ai besoin d’un service éducatif,
voilà. Donc qui gère, coordonne, anime le travail éducatif entrepris dans la maison.
Pour qu’il y ait des traces écrites, il y a toute une organisation qui n’existait pas avant,
le chef de service il est parti, ses armoires étaient vides. Pour moi c’est un signe, donc il
y a toute… il y a une documentation, oui, il y a des tas de choses qui montrent que le
service existe… Des fiches de suivi, d’anticipation, des documents écrits, voilà, et puis
cette anticipation dans le temps, il va y avoir les inscriptions en colo, il va y avoir les
vacances, il va y avoir la synthèse d’untel, les invitations, etc… C'est-à-dire, pas
seulement gérer le quotidien, parce que c’est une succession d’urgences. On dit
urgences en fait qui ne sont pas si urgentes que ça. Ce n’est pas à vous que je vais
apprendre ça. Et, il y a bien un moment où il faut se poser et raccrocher toutes ces
88
Nous utilisons ce terme dans le sens d’un système organisé suivant les principes de la démocratie.
112
urgences à une ossature, c’est à dire à un service, on sait exactement ce qui se passe
pour le soin, ce qui se passe pour les écoles, qu’est ce qu’on met en place ? qu’est ce
qui... » A travers, cette appellation de service éducatif la directrice entend une ossature
matérialisée par toute une documentation qui remplit les armoires. Cette formalisation
écrite permet, dit-elle, d’anticiper pour ne pas être dans l’urgence ce qui nous permet de
dépasser notre hypothèse de départ.
Dans un autre propos, la directrice (1) nous précise que l’anticipation qui permet
d’échapper à l’urgence a été facilitée par des supports écrits qui permettent de
s’organiser à l’avance par rapport aux évènements annuels : « Dans l’année, il y a des
moments clefs, donc il y a des supports qui ont été créés, au fil du temps, depuis que je
suis là, d’organisation, donc de « savoir à l’avance », en particulier pour les vacances,
les fiches, des choses comme ça : les mettre en circulation, veiller à ce qu’elles soient
remplies et bien remplies. C’est une organisation interne du service éducatif qui veut
dire qu’on peut anticiper, ce qui est très intéressant. » Cette organisation n’oblige pas à
rajouter des règles qui répondraient à l’imprévu, elle permet de mettre en circulation les
informations, c'est-à-dire d’utiliser stratégiquement la communication et d’établir des
relations sécurisantes et de confiance qui, encore une fois, renforcent la légitimité de
compétence du chef de service éducatif.
Un service éducatif concrétise donc le fonctionnement de l’éducatif. Ce service éducatif
fonctionnel est géré par un chef de service éducatif reconnu par sa logique éducative et
donc collective, qui s’articule avec les autres logiques. Dans ce type de fonctionnement,
la légitimité du chef de service est acceptée, ce qui rend opérationnel l’établissement.
Nous apportons quelques éclairages quant à ces conclusions. Dans notre deuxième
partie, à propos de la répartition des tâches entre la directrice et le chef de service, nous
avons vu que dans l’établissement « A », la logique de séparation se situe au niveau des
responsabilités permettant une complémentarité, qui a son tour est productrice de sens.
Nous avons également retenu que, pour le psychologue de cet établissement (8), « Du
fait qu’il n’y avait pas de chef de service, il n’y avait rien qui venait, il n’y avait pas de
triangulation. Il y avait deux cadres avec une logique éducative et une logique
clinique ». L’arrivée du chef de service a permis de structurer la vie de l’établissement
113
entre l’éducatif et le thérapeutique : « Donc, si vous voulez, la complémentarité n’ est
possible que si on est différencié ; autrement c’est de la confusion ».
C’est ainsi que pour la cohérence de cet établissement, la présence d’un projet et
d’organigrammes, dont un fonctionnel, participent à cette différenciation indispensable.
Comme nous l’avons relevé dans les solutions proposées par les personnes interrogées,
qui soulignent que les nombreuses réunions sont un outil essentiel, à condition que la
diversité des points de vue devienne une richesse par l’acceptation de l’autre. Il est donc
primordial que chacun ait la liberté de s’exprimer et de prendre des initiatives. Et pour
que cela soit possible, il faut qu’il y ait une organisation cohérente où chacun est repéré,
rajoute (8) : « ici on vise à la démocratie psychique. Et si on veut la démocratie
psychique, il faut que la démocratie institutionnelle existe, donc il faut qu’il y ait un
moi, un ça et un surmoi bien différenciés, donc il faut qu’il y ait des instances de
décisions. Il y a des protocoles, des rituels, il faut qu’ils soient suffisamment en place et
cohérents pour que les enfants ne se sentent pas objets de l’emprise » Nous
rajouterons : pour que les professionnelles ne se sentent pas objets de l’emprise, mais
acceptent sans contrainte les décisions de la direction, il faut que la démocratie
institutionnelle existe. Nous avons alors bien dépassé notre hypothèse de départ car la
création du service éducatif, en rendant fonctionnel l’éducatif, va à son tour être
reconnu parmi les logiques de l’établissement, dont la mission devient alors
opérationnelle, grâce à son système démocratique.
114
2 : logiques isolées et autorité
2.1 Autorité
Nous avons vu dans notre première partie que les concepts de pouvoir, légitimité et
autorité avaient des liens étroits. Nous allons maintenant confronter avec les fondements
du concept d’autorité, la stratégie de l’autorité que le chef de service éducatif de
l’établissement « B », soutenu par le directeur, met en place pour contrôler les zones
d’incertitude. A la différence du pouvoir, nous avons vu que l’autorité n’est pas
hiérarchique. Dans notre situation nous la rattachons à une position de cadre, de chef de
service, donc du côté du pouvoir où elle devient un art de manager. Dans les discours
recueillis nous retrouvons effectivement bien l’aspect de l’autorité décrit dans notre
première partie comme un moyen pour faire agir un groupe en bien ou en mal.
C’est un outil que le chef de service éducatif peut utiliser en bien pour organiser, nous
dit (9) : «le chef de service a dit : « pas de rendez-vous le mercredi après midi, sinon on
ne fonctionne pas. Maintenant on arrive à quelque chose d’intéressant » qui permet
ainsi, de diriger son personnel : « J’ai une autorité, mais avant tout ce qui me convient,
c’est ce travail : je continue de travailler en partenariat avec mes éducateurs, c’est ça
qui m’intéresse. Ce n’est pas avoir une autorité toute imbécile, je veux dire, je ne suis
pas comme ça/Partenariat avec vos éducateurs est ce que vous pouvez expliquer un
peu ce que vous mettez derrière ?/ Eh bien, que ce travail que l’on bâtit ensemble, c’est
un travail de concert. C’est pas moi qui impose, des fois je dis, bien évidemment, je dis
ce que je pense, je dis quand ce n’est pas souhaitable, des fois je dis non, parce que ce
n’est pas possible ». Et le fait de se positionner clairement en faisant preuve d’autorité
115
permet aux personnes d’en face de se positionner à leur tour et de conduire ainsi à des
conflits constructifs. : « ça a été l’objet d’un conflit finalement constructif, qui a conduit
à un entretien entre les Maîtresses de maison et le directeur, qui a conduit à regarder le
travail de chacune et de faire une fiche de poste ». Car dans certaines situations, le
recours à une forme d’autorité directive est d’actualité, comme nous l’avons déjà
souligné dans notre sous-chapitre sur la légitimité par notre exemple de gifle qui peut
être considérée légitime mais pas légale. Ce type d’autorité peut s’utiliser dans des cas
de parents récalcitrants au placement ou vis-à-vis de dérapages professionnels, comme
nous l’explique le directeur (10) : « Certains dysfonctionnements, horaires fantaisistes,
de choses comme ça que reprend le chef de service, bien évidemment, c’est dans son
rôle et dans son poste, par rapport à ça, il fait des remarques, ces remarques ne sont
pas entendues. On reçoit l’éducateur, on dit des choses mais ça fait des mois, voire des
années que ça dure. Ca s’enkyste ». On voit que ce mode d’autorité ne résout pas les
problèmes, les situations de débordements des règles persistent, elles s’enkystent quandmême.
Une autre forme d’autorité se situe au-delà de l’influence, dans la persuasion. Elle est à
sens unique, ce sont des idées qui descendent du chef, nous explique (7) : « la direction
d’avant était quand même…, fermait bien les choses, c’est à dire que… à la limite, il
fallait faire son boulot, s’il était bien fait, ben, ça allait et, bon, la parole ne circulait
pas beaucoup. Je veux dire, c’était quelqu’un quand même qui faisait régner un certain,
pas une certaine autorité, mais un certain autoritarisme ». Les propos de l’éducatrice
(4) positionnent son chef de service dans un management qui utilise ce type d’autorité.
Elle accompagne sa phrase d’un rire : « C’était débarrasser le directeur d’une somme
de travail, de planning, de choses matérielles, organisationnelles et pas de
management d’équipe ? Aujourd’hui est ce qu’il y a un management d’équipe ?/Oui,
oui, le chef de service fait ça très bien (rires moqueurs). Alors ça passe plus par des …
oui malgré tout par une autorité. C’est à lui que revient tout ce qui est de l’ordre de
l’organisation alors on est très vigilent parce que ça reste quand même. Si, si, il est
vraiment chef de service à tous les niveaux, il n’y a pas de souci ». Elle parle de
vigilance à avoir, car elle ne reconnaît pas son chef de service comme compétent en
terme d’organisation des horaires : « Et c’est pas du tout organisé, c’est pour ça qu’on
116
est assez souple. Des fois on apprend le jeudi qu’on a 20 heures en moins à faire le W-E
et qu’on doit mettre ailleurs. Mais là, pareil, on ne dit rien, on prend et puis voilà./Oui,
parce que vous ne pouvez pas discuter. » Elle dénonce ainsi cette autorité de la part de
son chef de service qui ne permet pas l’échange, mais décide, c’est tout, nous
commente (4) : «Souvent, c’est le chef de service justement qui décide du passage d’un
enfant. Pas forcément quand nous, on est prêt à le faire » Ces constats sont confirmés
par son collègue (3) : « Il nous corrige les écrits qu’on doit envoyer aux audiences. Il
est très… Il veut y mettre sa patte, il arrive parfois même, qu’il raye tout un truc et
qu’il refasse, parce que ça ne lui convient pas/ Il vous en parle ?/ Non, pas
spécialement. C'est-à-dire, qu’après on se retrouve avec des trucs tapés « mais, c’est
pas moi qui ai écrit, ça ! » alors il y a des éducateurs qui vont le voir, d’autres pas. Il y
a des éducateurs énervés, agacés./Vous avez une trame pour vos écrits ?/ J’ai la
mienne de l’école d’éduc, mais le chef de service ne nous en a pas donné. Ce sont
surtout les jeunes qui se font reprendre, pas trop les anciens, sauf un qui se fait bananer
à chaque fois…Le chef de service aime bien avoir la main mise, et il n’aime pas trop
avoir de résistance, donc lui, il résiste un peu, donc ça ne lui convient pas. Il est
maladroit. Je lui résiste aussi, mais j’utilise l’humour, par contre, quand je dis des
trucs, je ne gueule pas. »
Les propos du chef de service éducatif (11) confirment cette position autoritaire qu’il
doit prendre malgré lui : « Et puis, l’idée d’un chef de service qui jouerait les
commandeurs, ça ne m’intéresse du tout, non plus. Moi je ne suis pas dans des trucs
comme ça, donc c’est bien mal me connaître que… » mais qui le conduit à des impasses
qui rendent la communication difficile : « On ne prend aucune décision sans l’avis du
chef de service. Par contre quand on voit que les conversations commencent à virer un
peu et pourraient nous porter préjudice, on dit stop. Et on n’entre plus dans ce genre de
conflits. C’est d’accord, on n’a pas fait ce qu’il fallait, point barre ». Et pourtant cette
forte autorité lui permet aussi d’être reconnu, elle rassure, nous dit (3) : « C’est une
forte tête, très forte tête/ Qui a des qualités ?/ Oui, qui mène très bien son rôle de chef
de service. Il s’occupe très bien de tout ce qui est relation avec les assistantes sociales
et les parents. Il nous mâche le travail, ce qui nous facilite le travail avec les enfants.
On n’a pas les coups de téléphone, des trucs qui peuvent être envahissants. » Par son
117
autorité, il évite trop de zones d’incertitude, se conférant ainsi un pouvoir qui rejoindrait
le vieil adage « diviser pour mieux régner », consistant à ne pas mettre les qualités, les
compétences des autres en synergie. Et pourtant, ce chef de service (11) manifeste son
intérêt d’un travail en équipe : « J’ai une autorité mais avant tout ce qui me convient,
c’est ce travail… je continue de travailler en partenariat avec mes éducateurs. C’est ça
qui m’intéresse. Ce n’est pas avoir une autorité toute imbécile, je veux dire, je ne suis
pas comme ça. »
2.2 Logiques isolées
Cette position a contrario du chef de service s’explique par le contexte institutionnel,
comme nous l’avons déjà souligné par rapport à l’histoire de cet établissement. Le
projet n’est pas réécrit et le poste du chef de service doit être bâti, afin de marquer son
territoire. Cette notion de territoire est essentielle dans la philosophie de cet
établissement.
Nous avons déjà dit que la logique de séparation se fait au niveau des compétences pour
l’établissement « B » ; Cette séparation conduit à une véritable coupure, comme nous
l’illustre le propos de (2), qui répond à notre schéma représentant l’organigramme de
l’établissement, où nous positionnons le chef de service en dessous du directeur (cette
position fait rire notre interlocuteur) : « C’est quand même Mr Y, l’employeur. Il y a un
ordre hiérarchique, on peut dire qu’ils font partie de la catégorie des cadres. Moi, je
mettrais plutôt deux branches, c’est vraiment deux bras. C'est-à-dire, le directeur
s’occupe des questions institutionnelles et budgétaires, alors que le chef de service a
plus les compétences pour gérer les questions éducatives et la ligne de conduite des
équipes éducatives. ». L’éducateur (3), devant la question « Si vous deviez faire
l’organigramme comment vous le rédigeriez ? », ne comprend pas tout de suite notre
question. Nous devons insister par des « Qui fait quoi ? » ; « comment ça
s’organise ? » ; « qui gère quoi ? », pour finalement entendre un « D’accord »
indiquant que notre interviewé avait besoin d’un certain temps pour accéder à une
représentation de l’organisation hiérarchique qui est une question complexe voire
embarrassante, car après avoir commencé par « le directeur, lui, c’est tout ce qui est
administratif, tout ce qui est lié à l’argent. Tout… si il a besoin, si on a besoin pour un
118
enfant qui ne va vraiment pas bien, on se sert du directeur, sinon le directeur il …. ». Il
continue sur les qualités du directeur qui, en tant qu’ancien éducateur, sait ce que
peuvent faire ou ne pas faire les éducateurs dans l’application d’une punition. C’est plus
tard, lors d’une autre question, qu’il nous confirme cette véritable difficulté pour
répondre à nos questions sur l’ordre hiérarchique « Le conflit est évité quand même par
le directeur et le chef de service ?/ Oui, le directeur se fait mener par le bout du nez par
le chef de service qui a une très forte présence, une forte autorité. Le directeur, il
s’occupe de son administratif. De temps en temps, (…il intervient…) pour gueuler
après un gamin. Mais le directeur ne va jamais contre ce que dit le chef de service. »
Manifestement, pour les éducateurs de cet établissement, l’organisation hiérarchique
pose problème et ne peut se résumer que par une répartition très compartimentée des
compétences. Le directeur souhaite cette répartition pour ne pas nuire au pouvoir
décisionnel de son chef de service, qui aimerait lui, plus de travail en équipe (11) :
« Partager, travailler en équipe, avoir un partenariat avec les éducateurs ce qui
demande un travail bâti ensemble, en concert, sachant qu’une concertation est plus
souhaitable que des décisions imposées ; permettre aux enfants de se repérer, d’avoir
un cadre, une éducation, en étant médiateur entre l’éducateur et l’enfant ; donner
confiance en eux aux éducateurs ; organiser ; ordonner les réunions avec l’extérieur en
accord avec les juges, assistantes sociales, parents et en fonction des urgences des
situations. » Il se situe dans un positionnement que nous nommerons de médiateur qui
ordonne. Le discours du psychologue (12) confirme cette posture assez statique « le chef
de service est devant les équipes comme doit l’être un cadre, chacun dans son domaine.
Pour un éducateur chef, ce sera d’aider les équipes à se positionner entre la proximité
de leur tâche et le recul qu’il est nécessaire de prendre, pour une bonne lecture des
situations ». Il est devant, tel un guide, mais rien n’indique un mouvement de
circularité. L’incapacité de faire articuler les logiques entre elles a pour conséquence de
produire beaucoup de conflits de pouvoir. Par exemple, le chef de service nous explique
être le réalisateur du joli hall d’accueil de l’établissement, mais sans aucune
concertation avec le directeur qui, lui, a réalisé des panneaux indicateurs d’entrée pour
les visiteurs. Dans cette situation, les compétences de chacun dans son domaine ont bien
été complémentaires, l’un dans l’artistique, l’autre dans l’organisation. Le personnel,
lui, se situe encore dans un autre registre, car depuis sa réalisation, seul le chef de
119
service utilise le hall d’entrée, les cuisines restent l’entrée utilisée par tous. Dans cette
situation, nous considérons que nous sommes dans des discordances de points de vue
qui entraînent plus ou moins de dysfonctionnements. Les accords ne sont pas possibles
car chacun a sa vision différente des choses et se ferme dans son domaine. « Pour que
les processus
attendus puissent s’accomplir et pour que les situations puissent se
dérouler de manière correcte (par opposition aux situations perturbées qui sont
qualifiées, selon la discipline de référence, de pathologiques, dysfonctionnelles,
conflictuelles, etc…) pour que la situation soit justifiable d’un principe supérieur
commun, il faut que chaque être lui soit ajusté. La situation est dite naturelle. »89 Ce qui
veut dire que pour sortir de « chacun dans son domaine », il faut s’accorder sur un
principe supérieur commun.
Nous sommes alors dans des logiques isolées, comme nous l’explique (4) : « Mais
après, au niveau de l’institution, en plus, il y a ces groupes, quand mêm,e qui fait que
chacun tourne beaucoup sur son groupe, fonctionne beaucoup sur son groupe, réfléchit
beaucoup à travers son groupe. Donc après la dynamique institutionnelle. On n’essaye
pas d’être une institution performante (rire) chacun fait bien son travail … »
2.3 Organisation formelle pour un pouvoir archaïque
Dans leur ouvrage qui porte sur la relation entre accord et discorde, Luc BOLTANSKI
et Laurent THEVENOT analysent que nombre de disputes s’observent lorsque les
personnes ne trouvent pas concordance dans un monde de référence commun. Ainsi les
deux cadres font le même constat du manque de place dans la maison occupée par
l’établissement, mais chacun a sa solution dans sa logique. Ainsi le directeur veut
extérioriser des locaux et pense raccrocher cette orientation à la réflexion générale qui
doit se faire avec l’écriture du projet d’établissement : « Dans cette maison, on est un
peu à l’étroit. Quand je dis à l’étroit, ce n’est pas que simplement dans les murs. Il y a
des choses à réfléchir, il y a des espaces malgré tout géographiques, dont on a besoin.
Il n’ y a pas de salle pour les parents, il n’y a pas de bureau pour le psychologue, il n’y
a pas de lieu de rencontre, on fait ça dans les couloirs, on est encore dans un truc ou
89
Luc BOLTANSKI. Laurent THEVENOT. De la justification : Les économies de la grandeur, Paris,
Gallimard, 1991, p.58
120
des fois, c’est gênant de recevoir les parents alors que les autres sont là. Mais l’espace
des enfants aussi « Tiens deux groupes à chaque niveau ce serait plus intéressant que
d’avoir trois groupes sur deux ». Ce qui veut dire extérioriser, un autre groupe en
externe mais de quelle façon ? Une construction à droite, à gauche, à l’extérieur, des
chambres pour nos ados, une construction dans le parc ? » . Pour le chef de service, la
solution doit rester dans les murs existants «Mr Y m’a parlé de projets de construction,
de changement…/ Oui, enfin bon, c’est dans des années. Moi, si vous voulez…/ Vous
êtes plus au jour d’aujourd’hui/ c’est vrai, qu’il y a des bâtiments que j’aimerais voir
naître. J’aime bien cette petite institution, elle a un côté familial que je n’aimerais pas
perdre, elle a un côté cocooning que je n’aimerais pas quitter au profit de bâtiments
ultra-modernes avec une chambre pour chacun. Ce que j’aimerais moi, si vous voulez,
c’est des groupes de vie un peu autonomes. L’idéal, vous verrez comment c’est fait,
l’idéal ce serait un groupe de vie sur chaque étage avec une petite cuisine ». Nous
avons une solution dans le domaine politique par le directeur, une deuxième solution
par le chef de service de l’ordre de l’idéal, et la visite que nous avons faite nous a révélé
une troisième réalité. Chaque groupe n’occupe pas du tout le même espace pour un
même nombre d’enfants.
Groupe E
Groupe S
Groupe A
Nbre d’enfants
9
8
9
Nbrede chambres
6
5
4
Le groupe A occupe un espace réduit au niveau du nombre de chambres mais aussi de la
surface, concrètement, les mètres carrés sont trois fois moins importants que celui des
deux autres groupes90 qui disposent en plus des chambres, de salles de jeu très
spacieuses. « Vous verrez une pièce de jeu qui est magnifique » nous précise (11).
Chaque groupe dispose d’une salle à manger, celle du groupe A a une double fonction,
car elle est utilisée comme salle pour tout le personnel. Cette réalité traduit
effectivement le manque de place, mais cette fois de l’ordre organisationnel. Cette
réalité appartient tout à fait à l’ordre du formel, en l’absence de base fonctionnelle. La
90
Nous n’avons pas relevé les mètres exacts occupés par chaque groupe mais cette répartition est visible à
l’œil, c’est pourquoi nous nous sommes autorisée à la retranscrire dans le rapport proportionnel d’1/3.
121
forme importe plus que le contenu, qui avantage deux groupes au détriment d’un
troisième. Ces nombreux dysfonctionnements constatés sont minimisés par un
éducateur recruté depuis un an. Nous avons été frappée par la neutralité qu’il a adoptée,
nous n’avons pas réussi à le faire parler des tensions, il a évité nos relances en restant
dans un discours assez banal : «Vous connaissez des tensions par rapport au personnel
de la maison ?/ Et puis dans le personnel de maison il y a un cuisinier qui fait de la
cuisine maison ». Ces difficultés sont ciblées sur certaines personnes pour le directeur,
qui pense qu’elles sont inhérentes au fonctionnement d’un tel établissement : « Il y a un
peu de résistance aussi de la part des éducateurs. Il y a quelques arrêts maladies de
certains,
j’ai cru comprendre que../Aïe, ah voilà. On pourrait dire « c’est
symptomatique : quand un
établissement va pas bien, il y a beaucoup d’arrêts
maladie », ce qui n’est pas notre cas, nous, on en a très peu. Moi je vais dire deux
personnes/ J’allais dire ciblé sur une ou deux personnes/ C’est exactement ça, ciblé
sur une ou deux personnes. Pour qui, effectivement, de ma place et de notre place,
encore une fois, pour qui des dysfonctionnements repérés ont amené à poser des
sanctions de type avertissement. Donc ça, ça arrive dans tous les établissements, toutes
les institutions ». Il estime que l’établissement connaît moins de difficultés
qu’auparavant. Ce qui nous permet d’aller plus loin dans notre réflexion, car au-delà
d’une organisation formelle, le pouvoir peut prendre des formes archaïques. Le
psychologue (8) le dénonce dans son propos : « Ca s’entretient, la démocratie, si ça ne
s’entretient pas, on régresse à des formes beaucoup plus archaïques de groupement qui
sont, ben, la dictature ou autres, quoi. ». Ces formes archaïques peuvent se traduire par
des positions totalitaires, comme nous l’avons repéré dans les difficultés de cohérence
pour le fonctionnement d’un établissement.
Cet aspect d’une autorité extrême apparaît dans certains discours qui évoquent une
vérité qui ne se discute pas, mais qui doit être acceptée dans le sens de la contrainte,
comme l’établissement « B » a pu le connaître avec une ancienne directrice, nous
explique (12) : « C'est-à-dire, il fallait qu'elle décide toujours tout, mais que tout le
monde soit d'accord avec ce qu'elle décide. Ou alors elle ne pouvait pas décider, il
fallait que ce soit les autres qui lui disent : « voilà, c'est la décision qu'il faut prendre et
on est tous d'accord. » Comme si c'était la seule décision. En fait ce n'était pas des
122
décisions, c'était une vérité ». Cette autorité reflète une obéissance volontaire qui peut
avoir les travers de la soumission par la culpabilité, nous dénonce (11) : « un éducateur
a la référence de 2 ou 3 enfants. S’ ils ont la chance de tomber sur des enfants… « de
tomber » excusez moi du terme, je n’aime pas bien ça.. mais dont la situation est
relativement facile, tant mieux pour eux. S’ ils avaient en charge des enfants dont la
situation était extrêmement douloureuse et qu’ils n’arrivaient pas à la faire évoluer, il y
avait une culpabilisation énorme de la part de la directrice ». Cette
forme de
soumission est alors de l’ordre d’une position totalitaire, car la culpabilité est un outil
prégnant auprès de certains éducateurs, nous précise (12) : « Je pense que dans les
maisons éducatives, il y a des éducateurs qui se mènent une vie d’enfer et qui sont
malheureux, harassés par le fait que les enfants leur font penser qu’ils ne font jamais
bien les choses, et du coup aussi , d’ailleurs, je pense qu’ils ont des mouvements de
rejet et puis, à des moments, des mouvements assez violents pour rejeter ces sales
enfants qui les font autant souffrir, et en même temps, ils souffrent d’une culpabilité de
le faire ». Ce qui confirme l’énorme puissance que peut prendre un pouvoir managé par
autorité qui peut conduire à des formes archaïques du type : « Abus de pouvoir et
soumission à l’autorité, ou excès de pouvoir sur carence d’autorité, ou excès d’autorité
par prise de pouvoir »91
Dans l’établissement « B », les décisions autoritaires sont majoritaires pour préserver la
place et le pouvoir du chef de service, qui a la tâche d’organiser la vie des équipes et des
enfants. Ainsi, les territoires de compétences distincts entre le directeur et le chef de
service, conduisent cet établissement à des logiques isolées. Elles ont pour
conséquences de faire mener aux détenteurs du pouvoir une politique autoritaire qui,
faute de discordes annoncées, les mène à des dysfonctionnements qui rendent la réalité
de terrain formelle au détriment du fonctionnel. Du coup, le fonctionnement a du mal à
se mettre à jour et se rigidifie dans la forme, nous commente (4) : « Il n’y a rien qui est
mis en place pour soutenir les équipes dans leur travail. Les temps, ils sont institués,
voilà, point barre ».
91
Jean Claude BISSARDON. Cours sur Management en formation DSTS. Mars 2005. Source : comment
gérer ses subordonnées. G. DESAUNAY
123
Conclusion
Après avoir repéré quelles perceptions les personnes rencontrées avaient de la légitimité
vis-à-vis de leur chef de service éducatif, nous avons étudié les effets que cette autorité
du côté de la légitimité ou du côté du pouvoir provoquait sur le fonctionnement des
établissements, notamment en ce qui concerne l’éducatif. Nous avons essayé de
schématiser le processus que nous avons pu observer au cours de cette recherche afin de
mettre en lumière les articulations qui nous sont apparues entre légitimité, pouvoir,
autorité et contrainte, reconnaissance, ainsi que leurs conséquences. Notre schéma
axiologique fait apparaître en bleu ce que nous nommerons la « colonne vertébrale » du
poste de chef de service éducatif. C’est dans cet axe que nous retrouvons les éléments
nécessaires à la définition du statut de ce poste. Les deux autres couleurs différencient
les conséquences d’une posture tendant vers la reconnaissance ou la contrainte.
124
125
3 : Passer du conflit de pouvoir à la légitimité : une nouvelle
étape dans le statut des chefs de service éducatif
Au terme de ce travail de recherche, nous pouvons oser quelques préconisations, fruits
de nos observations et de notre réflexion. Nos propositions sont faites pour permettre de
réunir un maximum de conditions requises à la légitimité du chef de service. Elles se
situent dans la nécessité d’un service éducatif, une formation adéquate et donc une
démarche d’évaluation institutionnelle et individuelle.
3.1 Un service éducatif
Nous avons vu dans notre première partie qu’il existe un malaise inhérent à ce poste, du
fait de sa position entre la direction et les équipes éducatives. Sur les terrains explorés,
nous avons constaté que cette difficulté de positionnement de cadre intermédiaire n’en
était pas une. Car, dans chacun des établissements, nous avons perçu une véritable
volonté de donner à leur chef de service éducatif une définition claire de ses fonctions
qui lui permette d’assurer une jonction, une communication, une transmission. Ces
fonctions, comme nous l’avons vu avec Patrick LEFEVRE, demandent une délégation
stratégique que chacun des établissements visités donne à son chef de service éducatif.
Dans les deux lieux, ils ont une position de « pouvoir faire » stratégique. Patrick
LEFEVRE précise également qu’une délégation technique est nécessaire pour une
bonne définition d’actions. Cette délégation se concrétise dans le service éducatif de
l’établissement «A », où le chef de service dispose d’un plateau technique suivant la
volonté de la directrice (1) : « Une ossature, c’est à dire à un service, on sait
126
exactement ce qui se passe pour le soin, ce qui se passe pour les écoles, qu’est ce qu’on
met en place ». Cette préconisation est au centre de la nécessaire clarification de l’acte
éducatif. Elle donne à la prestation éducative un sens plus rationnel et lui permet d’être
mieux définie. Ainsi, l’équipe éducative, sous la responsabilité de son chef de service
éducatif, qui a délégation92 de la directrice, a la capacité de prendre des positions
déterminées, éclairées par la réalité rencontrée dans le quotidien et la conduite des
projets personnalisés. « Le service reçoit une définition ouverte, mobile, susceptible de
correspondre à une demande fluctuante et évolutive, il détermine la compétence et ses
caractéristiques au sein d’une organisation. »93
Un établissement qui inscrit dans son projet le service éducatif comme un outil
technique redonne toute sa dimension à la dénomination de chef de service éducatif, et
ouvre les portes sur sa reconnaissance dans l’articulation des logiques.
3.2 Une reconnaissance du titre
Le service éducatif offre l’avantage au chef de service éducatif d’être dans une position
plus technique et stratégique. Il devra alors développer des compétences lui permettant
d’assumer cette responsabilité. L’expérience antérieure reste inhérente à ces prises de
fonction mais risque d’être insuffisante pour des compétences adéquates à construire et
mener les projets nécessaires à l’évolution d’un tel service. Le diplôme d’éducateur
spécialisé et l’expérience suffisent à justifier la promotion vers un poste de chef de
service au regard de la convention collective de 1966. Cette convention est actuellement
révisée, comme la loi préconise de le faire, tous les cinq ans. Nous pouvons penser que,
dans la mise à jour qui s’annonce importante, la nécessité d’une formation spécifique
soit inscrite. Car le métier de chef de service éducatif, que nous distinguons, rappelons
le, de profession, pour des questions de légitimité, gagnerait dans la reconnaissance de
son titre. Cette préconisation est réaliste dans la mesure où, depuis septembre 2005, ont
démarré des formations préparant à un certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement
92
Selon nous la délégation est indispensable à condition que le responsable qui délègue demeure le garant
du projet ou, comme le dit Luc BOLTANSKI, du principe supérieur commun. Car le risque dans la
délégation est un effet pervers de repli sur soi-même.
93
Patrick LEFEVRE. Guide de la fonction chef de service dans les organisations sociales et médicosociales, Dunod, Paris, 2001, p.94
127
et de responsables d’unité d’intervention sociale94. C’est un diplôme du ministère des
affaires sociales dont les objectifs sont de développer des compétences dans les
domaines suivants :

Conception et conduite de projets.

Connaissance des grandes orientations des politiques sociales et de l’organisation
politique, juridique et administrative.

Management d’équipe et gestion des ressources humaines.

Gestion administrative et budgétaire.
La finalité de cette formation est de développer des compétences pour animer une unité
de travail et piloter l’action, dans le cadre d’un projet de service ou d’établissement.
Dans cette volonté de former des éducateurs à l’animation et au pilotage de projet de
service, le secteur social se dote d’experts qui auront les capacités de se faire
reconnaître et ainsi d’adopter une stratégie qui permette l’articulation des logiques avec
les autres champs.
3.3 Une stratégie d’évaluation
Le service éducatif, avec son contenu et les compétences d’expert du chef de service
éducatif, se doit d’être évolutif et de s’inscrire dans une démarche d’amélioration
continue de ses prestations dans la suite de l’histoire de ces établissements, qui ont
toujours su plus ou moins s’adapter aux contextes. Ce constat nous renvoie à une
nécessité d’évaluation. La définition neutre de l’évaluation est seulement « le rapport
aux valeurs ». A partir du moment où l’on définit quel est le rapport aux valeurs, on
entre dans un modèle d’évaluation. « C’est une chose que l’on a beaucoup oubliée et qui
a provoqué la confusion entre évaluer et contrôler »95. Dans l’évaluation, il y a nécessité
de mettre au travail trois pôles en tension: le pôle de la pratique, le pôle scientifique et le
pôle des valeurs. Ce travail doit produire de la connaissance praxéologique et
scientifique, sinon il n’y a pas d’évaluation96. Elle demande que les projets soient bien
94
CAFERUIS désormais dans le texte
Michel VIAL. Se former, pour évaluer : Se donner une problématique et élaborer des concepts
pédagogique en développement. Editions De Boeck université, 2001, Bruxelles, p.9
96
« Les trois fonctions de l’évaluation sont Cognitive : produire de la connaissance de premier degré puis
praxéologique et enfin scientifique. Normative : produire un jugement. Instrumentale : produire une aide
à la décision, une préconisation. » Christine MOLINA, cours CCRA du 08.04.05
95
128
fondés sur des visées et ordonnés par un plan ou une mise en forme logique de ce qui
est anticipé.
3.3.1 Une démarche qualité pour une évaluation du service éducatif
Avec la loi 2002-2 les établissements ont une obligation d’évaluation avant 2008. Cette
démarche d’amélioration continue de la qualité est un outil d’évaluation du projet. Ce
type d’évaluation doit permettre de constater si la mission a fonctionné, par de la
mesure. Le service éducatif devrait figurer dans les axes de travail retenus comme
prioritaires dans cette idée de mesurer la qualité, pour permettre son ajustement
permanent aux attentes et aux besoins des usagers.
3.3.2 Un management situationnel pour une évaluation individuelle
L’évaluation individuelle n’a pas encore de caractère obligatoire dans nos
établissements associatifs, où les résistances sont encore nombreuses. Ces résistances
sont liées à une crainte de contrôle qui déboucherait sur de la sanction. Or l’évaluation
ne se réduit pas au contrôle, comme nous l’avons dit avec Michel VIAL. C’est un outil
de management, qui va permettre d’évaluer par l’intermédiaire d’entretiens, la manière
dont on exerce. Les procédures d’entretien doivent être complètement transparentes au
niveau de l’établissement, écrites et élaborées en équipe. La direction est la première à
être évaluée, et ne peut pas conduire un entretien d’évaluation si elle n’a pas été
managée. Au terme d’un entretien, deux types d’objectifs concrets peuvent être fixés.
Premièrement les objectifs d’amélioration, ils sont liés à la mission initiale, pas toujours
entièrement suivie. Deuxièmement les objectifs de développement, dans le cas où les
premiers objectifs seraient tous atteints. Ce type d’évaluation managériale est donc un
véritable outil pour le chef de service qui veut mesurer où il en est dans son
fonctionnement, mais également pour améliorer la technicité de l’équipe éducative.
129
Conclusion générale
« A l’heure de l’ouverture des frontières nationales, l’essentiel à apprendre réside dans
l’art d’ouvrir d’autres frontières, mentales celles-là…Aucune d’entre elles n’est
rédhibitoire. Pluridisciplinarité, effort de connaissance et de compréhension, projets
communs peuvent faire tomber les murs les plus fortifiés. Cela ne veut pas dire qu’il n’y
aura plus concurrence, lutte, rivalité. Le dynamisme de la vie implique l’opposition, la
différenciation et le conflit, mais il impose aussi et simultanément l’union, la solidarité,
l’intercompréhension. »
«Les paradoxes du management. Des châteaux forts aux cloisons mobiles »
Isabelle ORGOGOZO
130
Notre autobiographie écrite en avant-propos trouve sa place dans son rapprochement
aux biographies trouvées, lors de notre enquête auprès de professionnels. Mais elle
retrace aussi notre questionnement de terrain, car dès notre arrivée dans l’établissement
où nous travaillons, riche de nos expériences professionnelles, nous avions perçu une
faible identité collective des éducateurs et des limites dans nos capacités de chef de
service éducatif. Nous étions cependant encore loin de pouvoir en comprendre le sens et
à en définir le contenu, le travail de recherche a permis de parcourir cette distance. A
l’occasion de notre conclusion nous rappelons les endroits explorés qui nous ont permis
de conduire ce mémoire.
La première partie de ce travail a donc permis une mise à jour de l’évolution des MECS
en lien avec les contextes socio-politiques. C’est une évolution considérable qui s’est
réalisée au fil des siècles, créant au fur et à mesure, de nouveaux concepts éducatifs
auxquels les MECS après avoir vu le jour, ont dû s’adapter. Ce processus vient d’être
conforté avec la loi du 2 janvier 2002, qui place les usagers au centre des dispositifs
avec devoir de s’adapter à leurs besoins. Notre établissement fait partie des MECS qui
savent suivre les exigences de ces réalités qui sont devenues socio-éco-politiques et qui
gardent dans leur sillage les références antérieures fondatrices. Nous avons rencontré les
traces de ces valeurs fondatrices à propos des particularités du poste de chef de service
éducatif. Ce statut est parfois trouble avec un positionnement complexe de cadre
intermédiaire. Dans notre propre situation, le fonctionnement institutionnel est encore
largement marqué par des caractéristiques charismatiques. La conséquence de ce type
de management est que, malgré nos responsabilités opérationnelles, nous ne sommes
pas en mesure de discuter de choix institutionnels. L’exemple du conflit de pouvoir
entre les logiques éducatives et thérapeutiques montre que dans ce contexte une entente
n’est pas concevable. Notre légitimité de chef de service éducatif n’est pas reconnue.
Notre recherche se situe donc dans le champ de la sociologie des organisations, qui
définit la légitimité par le fait que l’inférieur accepte d‘obéir aux ordres du supérieur. La
déconstruction de ce concept nous conduit à ceux de pouvoir et d’autorité qui lui sont
attachés. Nous choisissons de placer le pouvoir du côté de la direction dont les chefs de
service éducatif font partie. Ce concept de pouvoir est comme l’autorité dans le « faire
131
faire », contrairement à la légitimité qui se trouve dans le « faire accepter ». Donc, seule
la reconnaissance de la légitimité de chaque partie peut mettre fin aux conflits de
pouvoir. Notre légitimité de chef de service éducatif n’est pas construite face à celle
d’un thérapeute qui dispose de nombreuses références lui permettant d’accéder à un
statut d’expert attaché à sa profession. L’état des lieux de nos légitimités qui d’après
Hélène HATZFELD sont au nombre de trois dans le travail social, révèle une difficulté
à valider la légitimité de compétence, qui est pourtant la principale source de
légitimation. Notre compétence de chef de service éducatif se situe dans l’éducatif en
lien avec l’équipe éducative. Notre légitimité éducative dépend de la logique collective
de l’équipe éducative. Et cette logique collective dépend à son tour de l’identité
collective des éducateurs que le chef de service éducatif peut alimenter en permettant
une confrontation dans le sens d’une articulation de la logique éducative avec les autres
logiques en présence.
Notre deuxième partie correspond à notre enquête. Nous rappelons que nous avons fait
le choix préalable de sélectionner, dans une liste régionale, deux MECS, qui devaient
répondre à 3 critères obligatoires se situant dans la composition hiérarchique de la
direction, l’âge des enfants, l’absence en interne d’un autre secteur que l’éducatif. Après
sélection faite suivant nos conditions, il nous restait quatre établissements dont deux ont
bien voulu nous accueillir. Pour tenter d’apporter des éclairages à notre question, nous
avons rencontré 13 personnes dans ces deux établissements afin de leur demander de
nous raconter leur parcours avec leurs formations, après leur avoir expliqué que nous
faisions une recherche sur la mise en œuvre des logiques éducatives et leurs
articulations avec les autres logiques dans une MECS. Nous cherchions à comprendre la
construction de la légitimité du chef de service à travers l’articulation de sa logique
éducative avec les autres logiques.
Dans ces récits nous avons relevé trois grands thèmes qui traitent de la biographie des
chefs de service éducatif, des fonctions du poste et de la cohérence de fonctionnement.
Ces thèmes mettent en évidence des trajectoires historiques difficiles pour les deux
établissements, dont l’un a pu tirer des bénéfices, élaborant un projet adapté et fiable.
Pour l’autre, qui n’a toujours pas écrit son projet d’établissement, le fonctionnement
132
montre beaucoup d’incohérences. Le contenu des propos des personnes interrogées fait
apparaître que l’articulation des logiques facilite la cohérence, tandis que les difficultés
de fonctionnement sont liés à un manque de synergie. Concernant les postes de chef de
service éducatif, leur accès est inséparable de la formation d’éducateur spécialisé, mais
pas de celle de cadre. Par contre, l’expérience variée est fortement reconnue, ainsi que
le recrutement en interne quand le contexte l’autorise. L’abandon de l’appellation
« éducateur chef » se confirme au profit d’une appellation qui reflète la réalité des
responsabilités et du pouvoir faire du chef de service éducatif, qui est légitimé
institutionnellement. L’approche conceptuelle du pouvoir faire du chef de service
éducatif n’est pas abordée sous le même angle, ainsi que le type de délégation,
beaucoup plus large dans l’établissement « B », ce qui entrave une communication et
une confiance. Ces ingrédients sont indispensables pour renforcer la légitimité des chefs
de service. Un écart se creuse entre, d’un côté, une fonction plus formelle et, de l’autre,
plus fonctionnelle, donnant une prédisposition à la légitimité dans l’établissement « A »
et une tendance vers l’autorité dans l’établissement « B », où apparaissent de nombreux
conflits de pouvoir.
Un rapprochement entre le concept de légitimité, déconstruit en première partie, et les
observations relevées à travers notre enquête confirme les nombreuses ressources de
légitimité du chef de service de l’établissement « A ». Cette légitimité lui permet
également l’articulation de la logique éducative avec les autres logiques, puisque à
travers la création d’un service éducatif qui constitue la structure matérielle permettant
le lien de cette logique avec les autres, le chef de service évite trop de zones
d’incertitude et articule les logiques entre elles. Le service éducatif concrétise la
légitimité du chef de service éducatif. La logique éducative est reconnue parmi les
autres logiques. L’établissement devient opérationnel grâce à ce fonctionnement
démocratique. Notre hypothèse de départ est alors confirmée et l’analyse du matériau
recueilli nous permet de le confirmer encore une fois par une contre hypothèse : « Dans
l’établissement où les logiques ne s’articulent pas, le chef de service n’est pas
légitimé. ». Mais cette analyse nous permet également d’aller plus loin.
133
Le chef de service éducatif de l’établissement « B » n’est pas reconnu, il tente par son
autorité d’empêcher les conflits de pouvoir, en limitant les zones d’incertitude qui sont
la cause de beaucoup d’incohérences. Dans notre première partie, nous avons vu que
l’autorité avait des liens étroits avec le pouvoir et la légitimité. Dans les discours, nous
relevons qu’elle est utile à la fonction de cadre qui l’utilise pour organiser, diriger,
rassurer, voire sanctionner quand cela est nécessaire. Ce recueil de données confirme sa
forme stratégique de management pour un supérieur hiérarchique. Dans ce type de
management, composé du couple pouvoir et autorité, il existe un risque de ne gouverner
qu’avec la contrainte. Ce duo empêche alors les échanges constructifs avec des idées qui
descendent du chef. Ainsi le chef de service éducatif de « B » se trouve dans une
position paradoxale entre la nécessité de contrôler les zones d’incertitude et l’intérêt
qu’elle porte à un travail en concertation. Cette incapacité à faire circuler les logiques
trouve une explication dans la séparation des compétences au niveau hiérarchique. Cette
absence de liaison entre les logiques accentue l’isolement. La conséquence de cette
forme est qu’elle demande une organisation très formelle, sans ossature élaborée. Nous
sommes dans un système en boucle, où les dysfonctionnements entraînent des conflits
de pouvoir, donc des positions autoritaires, donc une impossibilité d’articuler les
logiques. Cette séparation par territoire, qui conduit au couple pouvoir autorité, peut
aller jusqu’à prendre des formes totalitaires de pouvoirs archaïques.
Concernant notre troisième partie, nous avons osé quelques préconisations qui
permettraient le passage de conflits de pouvoir à la reconnaissance des légitimités qui
permet l’articulation des logiques entre elles. Ces propositions concrètes recommandent
l’instauration dans le projet d’établissement d’un service éducatif, outil rationnel du
chef de service qui, à travers cette concrétisation fonctionnelle, dispose d’une
reconnaissance lui permettant d’articuler les logiques. Cette organisation requiert un
chef de service disposant de compétences pour le mener. C’est notre deuxième
recommandation : une formation qui s’inscrit, à l’occasion de la refonte de la
convention collective, comme une règle, et qui accompagne l’instauration du nouveau
diplôme CAFERUIS97. Ces dispositions concourent à une élévation du titre de chef de
service vers la notion d’expert. Enfin, une nécessité d’évaluation doit accompagner ces
97
Même si évidemment la légitimité de l’expert ne vient pas uniquement du diplôme.
134
solutions, car la légitimité comme la démocratie s’entretiennent, d’une part, et, d’autre
part, les MECS doivent poursuivre leur permanente remise en question. Celle-ci est
d’autant plus d’actualité qu’actuellement, leur coût et leur gestion humaine, avec tous
les travers inhérents aux collectivités, sont très décriés. Pourtant, leur utilité est
reconnue comme un des rares moyens spécialisés d’aménagement de la séparation,
suffisamment sécurisant pour aider l’enfant à grandir, à se construire et pour répondre à
la question fondamentale du besoin de protection. Mais nous ouvrons là un autre débat
qui mériterait une nouvelle recherche…
Expériences
Formation
Diplôme
RECONNAISSANCE
CONTRAINTE
Chef de
service
AUTORITE/
LEGITIMITE
Poste à pouvoir
communication
Confiance
manager
AUTORITE/
POUVOIR
Légalité,
Règles,
principes
Service
éducatif
Logiques
collectives
Fonctionnel
ACCEPTATION
Rend opérationnel
Démocratie
Articulation
des logiques
Conflits
Dysfonctionnement
Territoires de
compétences
Devoir,
Savoir,
Pouvoir,
Vouloir,
Faire :
Compétences
Formel
Logiques
isolées
Apparence
Pouvoir archaïque
135
Références Bibliographiques
ARENDT hannah.
1972. La crise de la culture : Huit exercices de pensée politique, Paris,
Gallimard, 380p.
AMBLARD Henri, BERNOUX Philippe, et autres.
1996 Les nouvelles approches sociologiques des organisations, Paris, Seuil,
245 p.
BERNOUX Philippe
1985 La sociologie des organisations : Initiation théorique suivie de douze
cas pratiques, Paris, Seuil, 390 p.
1995
La sociologie des entreprises, Paris, Seuil, 406 p.
2004
Sociologie du changement : Dans les entreprises et les organisations,
Paris, Seuil, 311 p.
BODEVIN Jean-Jacques
1989 L’internat comme milieu ouvert ou la gestion du paradoxe protectioninsertion. Grenoble IEP, DSTS, décembre, 111 pages.
BOLTANSKI Luc. THEVENOT Laurent
1991 De la justification : Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard,
483 p.
CAPUL Maurice
1990 L’apport de l’histoire dans le champ de l’éducation spéciale, In,
Empan N°5-juin, p.64 à 72.
CROZIER Michel. FRIEDBERG Erhard
1977 L’acteur et le système : Les contraintes de l’action collective. Point,
Paris, Le seuil, 412 p.
DOBIECKI Bernard. GUAQUERE Daniel
2001 Etre cadre dans l’action sociale et medico sociale : IdentitésLégitimités-Fonctions, Issy les Moulinaux, ESF éditeur, 232 p.
DONZELOT Jacques
1977 La police des familles : postface de Gilles DELEUZE. Paris, les
éditions de minuit, 220 p.
136
GAU Christian, MARTY Jean-Pierre, SANS Georges.
1991 Le chef de service éducatif : de l’ambivalence de la fonction à l’identité
de la profession. In, Empan N°5-juin, p.64 à 72
HATZFELD Hélène
1998 Construire de nouvelles légitimités en travail social, Dunod, Paris,
240 p.
HOUDIN Jérôme, Sous la direction de
2001 Les cadres de proximité entre légitimité et désertion. In, Management
Sanitaire et Social., N°7-septembre, p.12 à p.20
LEFEVRE Patrick
2001 Guide de la fonction chef de service dans les organisations sociales et
médico- sociales. Dunod, Paris, 265 p.
2001
L’entretien. In, Management Sanitaire et Social, N°7-septembre,
p.28 à 33
LOUBAT Jean-René.
2001 Le cadre moderne est avant tout un coach. In, Management Sanitaire et
Social. N°7-septembre, p.21 à 27
MARTINET Jean-Luc, sous la direction de
1999 Les éducateurs aujourd’hui. Dunod, Paris, 207p.
SAINSAULIEU Renaud
1977 L’identité au travail : Les effets culturels de l’organisation, Presses de
la fondation nationale des sciences politiques, Paris, 477p.
1998 Comprendre les organisations : Culture et identité : La construction
des identités au travail, In sciences humaines, hors-série, mars-avril
p.40
SZWED Christian
2002 La métamorphose des MECS…Penser l’avenir. In, Action juridique et
sociale, n°213-mars, p 28 à 43
TOSQUELLES françois
1999 Les éducateurs aujourd’hui : Savoirs et pratiques. Dunod, Paris, 122 p.
VIAL Michel
2001 Se former, pour évaluer : Se donner une problématique et élaborer des
concepts pédagogique en développement. Editions De Boeck université,
Bruxelles, p.9
WATZLAWICK Paul, HELMICK BEAVIN Janet, D JACKSON Don
1972 Une logique de la communication. Seuil, Paris, 276 p
137
WEBER Max
1971 Economie et société/1 : Les catégories de la sociologie. Collection
Agora Plon presse pocket, Paris, 411 p.
Dictionnaires :
DICTIONNAIRE DE SOCIOLOGIE
1989 sous la direction de Raymond BARDON, Larousse, Aubin imprimeur,
Poitiers.
DICTIONNAIRE SOCIOLOGIQUE
1999 Sous la direction de André AKOUN, Le Robert Seuil, Tours, , 581 p.
LE PETIT ROBERT,
2004 Dictionnaire de la langue française.
ENCYCLOPEDIE ENCARTA.
2003 Microsoft Corporation.
ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS.
1998
ENCYCLOPEDIE UNIVERSALIS multimédia
138
Bibliographie Générale
BIANCO J-L, LAMY P. Rapport présenté par
1980 L’aide à l’enfance demain : Contribution à une politique de réduction
des inégalités. Ministère de la santé et de la sécurité sociale, 218 pages.
BOUTINET Jean-Pierre
1985 Du discours à l’action : Les sciences sociales s’interrogent sur ellemême. Paris, L’harmattan, 406 p.
CAPUL Maurice. LEMAY Michel.
1997 De l’éducation spécialisée : L’éducation spécialisée au quotidien. Erès.
Les presses de l’université de Montréal, 488 p.
COULOMB Hervé
2001 Spécificité de la pratique socio-éducative dans un service hospitalier de
pédopsychiatrie : Proposition de définition du champ d’intervention
spécifique à la pratique socio-éducative dans un service hospitalier de
pédopsychiatrie. Université lumière Lyon II, ISPEF CCRA,Lyon,144 p.
FUSTIER Paul
1999 Le travail d’équipe en institution, clinique de l’institution medico
sociale et psychiatrique. Dunod, Paris, 216 p.
1993
Les corridors du quotidien : La relation d’accompagnement dans les
établissements spécialisés pour enfants. Collection l’autre et la
différence, PUL, Lyon, 195 p.
GHIGLIONE Rodolphe. MATALON Benjamin
1978 Les enquêtes sociologiques : Théorie et pratique. Armand Colin, Paris,
124 p.
KAUFMANN Jean-Claude. Sous la direction de : DE SINGLY François
2004 L’entretien compréhensif. Armand Colin,126 p.
LE BOTERF Guy
1994 De la compétence : Essai sur un attracteur étrange. Les éditions
d’organisation, Paris, 175p.
LOUBAT Jean-René
1997 Elaborer son projet d’établissement social et médico-social : Contexte,
méthodes, outils. Dunod, Paris, , 264 p.
139
MURACCIOLI Edith
2003 L’identité professionnelle entre idéal du moi et légitimité : La pratique
au quotidien dans un institut médico-éducatif comme support de
l’identité professionnelle. Université lumière Lyon II, ISPEF CCRA,
Lyon, 122 p.
ORGOGOZO Isabelle
1991 Les paradoxes du management : Des châteaux forts aux cloisons
mobiles. Les éditions d’organisation, Paris, 164 p.
THEVENET Amédée
1971 L’aide sociale aujourd’hui : Intégrant le code de l’action sociale et
des familles. 14° édition achevée, ESF éditeur, Issy les Moulinaux, 436
pages
WEBER Max
2003 Le savant et le politique : Une nouvelle traduction : La profession et la
vocation de savant : La profession et la vocation de politique. Préface,
traduction et notes de Catherine Colliot-Thélène, La découverte/poche,
Paris, 206p.
NOM DU CANDIDAT
PRENOM
DATE DU JURY
Madame DORBEC
Dominique
DIRECTEUR DE RECHERCHE
PRENOM
Monsieur BERNOUX
Philippe
SEPTEMBRE 2006
DIPLOME : Mémoire en vue de l’obtention du Diplôme de Hautes Etudes en Pratiques Sociales DHEPS
TITRE : VERS UNE LEGITIMITE… DU CHEF DE SERVICE EDUCATIF
SOUS-TITRE : Une logique éducative parmi d’autres logiques
RESUME : Le statut de chef de service éducatif est complexe, du fait de son positionnement de cadre
intermédiaire. Dans l’histoire des MECS, l’existence des chefs de service éducatif est récente. Elle est
soumise aux seules exigences d’un diplôme d’éducateur spécialisé avec un peu d’expérience. Pourtant,
leur fonction semble attendue au niveau de l’organisation et du fonctionnement de ces établissements.
Dans sa situation professionnelle, l’auteur est freiné, en tant que chef de service éducatif, dans son rôle
éducatif. Les conflits de pouvoir entre logiques éducatives et thérapeutiques, ne sont pas solubles sans
reconnaissance de sa légitimité.
A travers les discours des personnes interrogées dans deux établissements, il cherche à étudier la
construction de la légitimité des chefs de service éducatif et l’articulation de sa logique éducative avec
les autres logiques en présence. Cette étude confirme les liens étroits existants entre légitimité, autorité
et pouvoir. Le pouvoir conféré au poste de chef de service éducatif ne rend pas son autorité légitime
pour autant. Cet écart conceptuel entre autorité, pouvoir et légitimité a une incidence sur le
fonctionnement éducatif des établissements. Un chef de service légitimé peut articuler sa logique
éducative avec les autres logiques. Il a la capacité de faire accepter ses décisions à travers un service
éducatif et sa logique éducative fonctionnelle. L’établissement est opérationnel grâce à un
fonctionnement démocratique. Un chef de service non légitimé impose sa logique éducative. Ce
management autoritaire conduit à renforcer l’isolement des différentes logiques qui ont pour
conséquence des dysfonctionnements obligeant au formalisme. Le risque est alors de rendre impossible
les compromis entre les différentes rationalités et de fonctionner avec des modes de pouvoirs
archaïques.
La reconnaissance des légitimités des chefs de service éducatif permet de franchir l’étape des conflits de
pouvoir stériles pour l’amélioration des pratiques institutionnelles. Elle doit passer par la concrétisation
d’un service éducatif au sein des projets d’établissement, l’obligation d’un diplôme d’expert pour
accéder au poste, et la nécessité d’une évaluation tant individuelle que collective des services rendus.
MOTS-CLES : Autorité/légitimité, autorité/pouvoir, chef de service, logiques collectives, articulation.
Nombre de pages : 139
Volume des annexes : 34 pages
Centre de formation : COLLEGE COOPERATIF RHONE-ALPES (CCRA)
ANNEXES
Annexe 1
Historique de la maison d’enfants
Annexe 2
Organigramme
Annexe 3
Fiche de poste
Annexe 4
Retranscription d’un entretien
Annexe 5
Guide pour le recueil de discours sur la pratique professionnelle et
le fonctionnement de l’établissement
Présentation de départ :
« Dans le cadre de mes études, je suis chargée de faire une enquête sur l’articulation des
logiques éducatives parmi d’autres logiques. Je vous demanderais dans un premier temps
de me raconter votre parcours professionnel, votre formation initiale et l’accès à votre
poste, pour ensuite me parler de votre travail actuel et du fonctionnement de cet
établissement. »
Trame pour relances éventuelles avec les points à identifier :
/Poste : Formation initiale, complémentaire et continue
Ancienneté
Parcours professionnel
Type de management
Fonction -Projet
Accès au poste
/Organigramme : Liens hiérarchiques
Support
Liens fonctionnels
Concrètement ça se passe comment ? Facilités, difficultés ;
Relations de pouvoir
Règles implicites
Zones d’incertitudes
Reconnaissance de la fonction du chef de service : Légitimité
/Projet institutionnel : Mission mise en œuvre
Logiques d’action
Valeurs institutionnelles
Réunions
Outils promotionnels
Annexe 6
Tableau des caractéristiques des personnes
interrogées
Tableau des caractéristiques
Individu
Etab.t
Sexe
Statut
1
A
F
Directrice
2
B
M
3
B
M
4
B
5
Formation origine
Ancienneté établissement
Assistante-sociale
Ancienneté
professionnelle
Diplôme 1971
Educateur
Groupe S
Educateur
Groupe E
Histoire
Educateur-spécialisé
Economie
Educateur spécialisé
Licence pas validée
Diplôme 2004
1 an de fac (ennui)
Diplôme 2001
2004- 1 an
F
Educatrice
Groupe Z
Socio ethno
Educatrice-spécialisée
DEUG – 1 UV
Diplôme 1989
1991-15 ans
A
F
Medecinpsychiatre
Docteur en médecine
Medecin psychiatre
spécialisée pour les
enfants
6
A
M
Educateur
Groupe B
Educateur spécialisé
7
F
Chef de
service
Educatrice-spécialisée
8
A
Création du
poste en 2001
A
M
Psychologue
Psychologue clinicien
Bac + 5
9
A
M
Educateur
Groupe C
BTS Electronique
Educateur spécialisé
1996
Diplôme 2001
2001- 4 ans
10
B
M
Directeur
Moniteur-Educateur
Diplôme 1980
1985 Monit educ-8 ans
1993 chef de serv- 8 ans
2001directeur- 4 ans
11
F
Chef de
service
Educatrice-spécialisée
Diplôme 1976
2001-4 ans
12
B
Création du
poste en 1993
B
M
Psychologue
Economie
Psychologue clinicien
Maîtrise pas passée
DESS
1990- 15 ans (vient de
démissioner)
Orientation psychanalytique (10 ans
d’analyse)
Psychothérapie de groupe, familial
13
A
F
Educatrice
Groupe V
Monitrice éducatrice
Diplôme 1974
1992 groupe C ¾ tps
2002 groupe V tps plein
VAE éducatrice spécialisée en cours
Sept 1999-6 ans
2003- 2 ans (CDD jusqu’en juin
2007)
Autres formations
Management : gestion du conflit,
conduite de réunion, droit du travail.
Thérapie familiale systémie
Analyse transactionnelle
Ecole internationale de coaching
BAFA Centre de loisirs Avec ados
Vendeur de fruits et légumes pour
s’aérer la tête après sa form°. 8 mois
Tour du monde
Animatrice BAFA
Entre 1990 et 1995 plus de 10 ans,
ne peut pas me dire l’année
précisément
Concours de psychiatre des hôpitaux
Formation théorique à la
psychanalyse mais n’exerce pas
comme psychanalyste
Diplôme 1999
1998-7ans
Inscrit en CAFERUIS commence en
janvier 2006
Diplôme 1984
1995- 10 ans
Informatique
Massage
Prestations aux tutelles
Orientation psychanalytique
Psychothérapie de groupe
Formateur enseignant
1990- 15 ans
2004 DESS management des
structures sociales
Format° chef de serv Certificat 1993
Educateur-spécialisé Diplôme 2001
Expériences autres
Directrice depuis 1987
Stage secteur : toxico et errance
IMP pour IMC Long dans cet étab.
A travailler 2 ans sans diplôme dans
une MECS
Prévoit
CAFERUIS
Internat en psychiatrie adulte
Praticien hospitalier
Médecin chef de service depuis 3 ans
Activités salariés : IMPRO, foyer
adultes handicapés, MECS
successivement
Objecteur de conscience : directeur de
centre de loisir
Coordinateur été 2005
Poste de coordination dans l’étab
Remplacement chef de service dans
l’association
Psychothérapeute en CAMS
Chargé de cours
Superviseur en MECS, AEMO,
tutelle, médecin du monde, service
téléphonique
Poste en tant qu’élève éducateur :
IME, foyer occupationnel
Stage en prévention
Plusieurs emplois dans le milieu social
jamais dans l’ handicap
IME 3 ans
IR 20 ans
Accueil familial 18 mois
Stage de moniteur d’été en MECS
Travail en psychiatrie, gériatrie,
hôpital de jour pour autistes
IMP 1 an
MECS 7 ans
Break pour élever ses enfants 10 ans
Annexe 7
Grille d’analyse thématique
I. Biographie de chef de service éducatif
11- Recrutement interne externe
12- positionnement du chef de service/ enfants et/ou ex-collègues
13- Pour accéder au poste : Formation Assurance
14- Expériences
II. Fonctions du poste
21- Histoire institutionnelle
22- Histoire du poste
221Création
222 Dénomination
23- Rôle
231Répartition des tâches
232Fonctions attendues
III. Cohérence
31- Conflit de pouvoir
32- Difficultés
321 Résistance
322 Logiques isolées
33- Facilités
331 Confiance/ Délégation
332 Communication
IV. Les concepts liés à la fonction
41. Pouvoir
411- Zone d’incertitude
412- Organigramme
42. Autorité
43. Légitimité
Annexe 8
Organigramme fonctionnel de
l’établissement « A »
Annexe 9
Annexe 2
du projet d’établissement « A »