vers une legitimite… du chef de service educatif - CEDIAS
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vers une legitimite… du chef de service educatif - CEDIAS
Institut des Sciences et Pratiques d’Education et Formation (I.S.P.E.F.) Collège Coopératif Rhône Alpes (C.C.R.A.) VERS UNE LEGITIMITE… DU CHEF DE SERVICE EDUCATIF Une logique éducative parmi d’autres logiques Mémoire déposé en vue de l’obtention du Diplôme des Hautes Etudes des Pratique Sociale (D.H.E.P.S.) Directeur de recherche Philippe BERNOUX Présenté par : Dominique DORBEC LYON 2006 Remerciements Merci à tous ceux et toutes celles qui m’ont accompagnée sur tout ou partie de cette recherche qui a été pour moi un laborieux mais captivant parcours : Annick Marnas et Philippe Bernoux Les directeurs des deux établissements qui ont bien voulu avec une partie de leurs personnels se prêter au jeu de l’entretien L’ensemble des formateurs, les membres du jury blanc et les secrétaires du collège coopératif Rhône-Alpes Mes collègues de promotion et notamment Muriel, Françoise, Raymonde, Florence, Jean-Michel pour nos repas partagés, parfois animés, toujours passionnants, voire réconfortants…. Ma famille pour leur accueil et leur soutien (merci à Anne-Françoise) Guillaume et Joris pour leur patience Olivier sans qui, ce travail n’aurait jamais vu le jour … « Au lieu d’offrir, la permanence, le cadre de l’institution offre sur fond de permanence des ouvertures vers l’extérieur, des brèches de toutes sortes (par exemple des séjours hors établissement). A travers cette oscillation d’un lieu à l’autre peut émerger un sujet s’interrogeant sur ce qu’il veut. » Extrait « Education impossible » de Maud MANNONI Sommaire Autobiographie 1 Introduction générale 6 Première partie Histoire de construction 11 1 : Construction identitaire des MECS 12 1.1 Maison d’enfants à caractère social : émergence historique 1.2 Maison d’enfants à caractère social : l’ouverture vers l’extérieur 1.3 Maison d’enfants à caractère social : Perspectives novatrices 12 16 20 2 : La fonction de chef de service éducatif en question 26 2.1 Le statut de chef de service éducatif 2.2 Notre rôle à la MECS 2.3 Les enjeux du service éducatif : logiques d’action et conflits de pouvoir 26 31 36 3 : Construction d’une légitimité 42 3.1 Les concepts de légitimité, pouvoir et autorité 3.2 Etat des lieux des légitimités 3.3 Logiques collectives en interaction 42 45 48 Conclusion 52 Deuxième partie Histoires institutionnelles et professionnelles 54 1 : En quête de légitimité et d’articulation de logiques 55 1.1 L’approche méthodologique 1.2 Les démarches d’investigation 1.3 Traitement des données 55 57 60 2 : Biographie de chefs de service 63 2.1 Recrutement en interne ou externe 2.2 Positionnement du chef de service 2.2.1 Distance par rapport aux anciens collègues 2.2.2 Distance par rapport aux enfants 2.3 Formation pour accéder au poste 2.4 Expériences 63 65 65 67 69 71 3 : La fonction du poste de chef de service 74 3.1 Histoires institutionnelles 3.2 Histoires et statut du poste de chef de service éducatif 3.2.1 Sa création 3.2.2 Sa dénomination 3.3 Son rôle 3.3.1 Répartition des tâches 3.3.2 Fonctions attendues 3.3.3 Les incontournables 74 75 75 77 79 79 80 82 4 : Fonctionnement 88 4.1 Cohérence 4.2 Conflits de pouvoir 4.3 Circonstances favorisant ou non la cohérence 4.3.1 Difficultés 4.3.2 Facilités 88 92 96 96 99 Conclusion 102 Troisième partie Du concept de légitimité au fonctionnement institutionnel 103 1 : Articulation des logiques et légitimité 104 1.1 Reconnaissance de légitimité 1.2 Logiques collectives 1.3 Un service éducatif pour la démocratie 104 108 111 2 : Autorité et logiques isolées 114 2.1 Autorité 2.2 Logiques isolées 2.3 Organisation formelle pour un pouvoir archaïque 114 117 119 3 : Passer du conflit de pouvoir à la légitimité : une nouvelle étape dans le statut des chefs de service éducatif 125 3.1 Un service éducatif 3.2 Une reconnaissance du titre 3.3 Une stratégie d’évaluations 3.3.1 Une démarche qualité pour une évaluation du service éducatif 3.3.2 Un management situationnel pour une évaluation individuelle 125 126 127 128 128 Conclusion générale 129 Bibliographie Référence bibliographique 135 Bibliographie générale 138 Annexes 1 Autobiographie C’est en septembre 1980, au retour d’un voyage en Afrique, [nous avions traversé la Haute Volta (actuellement le Burkina-fazo) le Niger et l’Algérie en camion, taxi brousse et autocar] que nous commencions notre première vraie expérience dans l’éducation spécialisée. Durant cette année scolaire 1980-1981, nous découvrions à l’école expérimentale de Bonneuil/Marne1 le monde de la psychose. Les adultes, professionnels expérimentés et de notoriété incontestable qui composaient l’équipe nous avaient acceptée comme stagiaire. Ce stage de découverte sur les pratiques éducatives fut pour nous un passage comme dans les rites initiatiques des peuples que nous venions de rencontrer. Nous quittions un milieu familial confortable pour partir dans le parcours professionnel que nous avions choisi. L’école de Bonneuil/Marne est expérimentale pour tous, les professionnelles nous ont inculqués un discours, un regard sur l’autre qui n’est pas normatif. Malgré les difficultés de chacun, les usagers communiquent comme ils peuvent, tout est langage, il n’y a pas que les mots. Par contre, usagers et intervenants reçoivent le discours de l’autre avec leurs propres grilles de lecture. Une école comme celle-ci est unique, on ne pourrait la reproduire ailleurs, mais des ailleurs sont possibles, uniques à leur tour. Pleine de grands discours et d’expériences très enrichissantes, nous commencions l’école d’éducatrice spécialisée à Montrouge (I.Fo.P.E.S)2. Trois années de formation que nous voulions utiliser pour nous enrichir le plus possible d’expériences et de théories variées et ainsi, ne pas nous enfermer dans une pratique particulière. Il n’était pas, pour nous, l’heure de nous spécialiser dans un domaine d’usagers en difficulté, mais de nous équiper d’outils nous permettant de nous adapter à toutes sortes de prises en charge. Les cours sur l’analyse institutionnelle3 nous ont beaucoup apporté ainsi que l’écriture de notre mémoire sur les liens entre un enfant polyhandicapé et sa mère : 1 Lieu d’accueil qui a été créé par Maud MANNONI Institut de Formation Professionnelle d’Educateur Spécialisé 3 Nous avons retrouvé ce type d’approche lors de notre formation en D.S.T.S. :« L’institution est un corps d’usage, de normes sociales, de règles juridiques régissant un groupe, une ethnie, une cité, un Etat ou une Nation. C’est à la fois une organisation formelle qui a un caractère de durée dans le temps. Exemple : l’ Education Nationale ; L’analyse institutionnelle est une mise à plat qui demande de remonter dans le temps; Savoir où on en est dans l’histoire de l’institution, ça introduit du sens. » Joël CADIERE, cours CCRA, du 7.03.06 2 2 « histoire déliée »4. Ce travail porte sur le premier lien de tout enfant avec sa mère, ce qui est un repère important dans l’élaboration des projets personnalisés des enfants. Après l’obtention du diplôme, nous cherchions du travail dans le sud-est de la France. Nous étions décidée à quitter la région Parisienne, sa vie stressante. Nous pensions également éviter de travailler avec des cas sociaux, dans un internat que nous nous représentions comme trop normatif, pas assez innovant. Mais nous étions en 1984, la majorité des postes vacants se trouvait en internat, car c’était l’époque de la décentralisation, avec l’application des schémas départementaux et donc du réaménagement de ces structures, qui n’avaient pas bonne presse dans leur forme traditionnelle. Devant cette réalité du marché du travail, notre premier poste fut en internat mais dans une belle région, les Hautes-Alpes. Nous avons donc travaillé presque deux ans dans un établissement qui accueillait des enfants en Institut Médico Educatif 5 avec école et restaurant d’application. Comme le recrutement était insuffisant pour équilibrer le budget, l’administration avait décidé d’ouvrir un quatrième groupe, avec l’habilitation Maison d’Enfants à Caractère Social, pour accueillir 15 adolescentes de 13-18 ans ; après avoir hésité entre ce choix et la création d’un golf…Certes le cadre géographique était magnifique, mais institutionnellement déplorable. Ces jeunes filles, Marseillaises pour la plupart (80%), étaient placées là en vue de les éloigner de leur milieu d’origine (famille et quartier). Elles se retrouvaient à la montagne au milieu d’une population d’I.M.E. Nous nous comparions à une gardienne de coffre-fort. Les filles fuguaient chaque nuit et lorsqu’elles arrivaient après une absence prolongée, l’économe et le directeur se réjouissaient des prix de journée qui rentraient ! Nous découvrions alors l’intérêt d’être en adéquation avec le projet de l’établissement et de travailler sur les bases d’un cadre clairement défini. Nous options pour une démission et après une brève période de chômage, nous renoncions à cette belle région pour celle de l’Isère où un établissement au projet intéressant nous proposait un poste. Dans ce foyer, les enfants n’étaient que 8 par groupe, vivaient dans des appartements ou pavillons sur un modèle familial, intégrés à 4 Dominique DORBEC. Histoire déliée : La relation mère enfant polyhandicapé. Montrouge IFoPES, DEES, juin 1984, 84 pages 5 I.M.E dorénavant dans le texte. 3 la vie d’un quartier. L’idée était l’immersion dans un cadre réel de vie. On allait même jusqu’à inscrire les jeunes dans des activités de leur quartier d’origine pour favoriser leur retour. Puis ce fut la crise institutionnelle, l’équipe d’éducateurs devint très solidaire face à un directeur qui imposait des conditions de travail et d’horaires de plus en plus difficiles. Nous fûmes alors propulsée comme déléguée du personnel. Nous réalisions qu’une vision globale et la plus objective possible pouvait éviter les conflits inutiles. Nous prenions confiance en nous et en nos valeurs à exploiter. Le directeur termina en garde à vue après l’agression de membres du conseil d’administration. Parallèlement, dans notre vie personnelle, nous nous engagions dans une vie de couple et cherchions un nouveau travail. Une transition de 7 mois pour éviter le chômage fut nécessaire dans une Maison d’Enfants où nous confirmions notre idée de la nécessité d’un cadre et d’un projet cohérent, avec une équipe saine et innovante, pour éviter l’usure. Puis le directeur fondateur charismatique d’une Maison d’Enfants nous recrutait et là, les critères minima nous semblaient largement réunis. Nous nous retrouvions alors dans une équipe ancienne dans laquelle il fallait faire sa place en prouvant ses capacités à s’adapter, à se former mais également, à enrichir l’équipe de son savoir faire. C’était un travail que nous qualifions de très professionnel, car en plus de la prise en charge quotidienne des 12 enfants du groupe, nous prenions les enfants en référence dans leur contexte familial. Des entretiens familiaux avec la psychologue de l’établissement ponctuaient cette prise en charge. Une formation à la thérapie familiale devenait indispensable. Nous avons donc suivi, pendant trois ans, la formation à l’approche systémique6 et à la thérapie familiale. Nous avons appris un autre regard sur des systèmes, non plus dans le « pourquoi » des 6 « L’évolution de la pensée scientifique moderne nous dégage d’une vision mécaniciste et cartésienne du monde. Elle met l’accent sur l’importance d’une approche écologique considérant chaque élément d’un ensemble comme relié à un environnement donné qui fait système et à des influences multiples en interaction les unes par rapport aux autres. Elle nous porte à comprendre les phénomènes observés comme issus de processus relationnels, dynamiques, évolutifs. L’approche systémique qui traduit cette évolution nous permet de resituer l’individu dans ses différents liens familiaux, historiques, et sociaux et d’intervenir sur ces interactions. Appliquée au champ social et au champ thérapeutique, elle devient ainsi un outil privilégié pour penser et soutenir des pratiques créatives et alternatives adaptées à la complexification des prises en charge ». Source : plaquette de présentation de la formation à l’approche systémique de l’Association pour le Développement de la Recherche et de l’Enseignement en Travail Social (Adrets). 4 symptômes mais dans le « comment ça fonctionne ». Nous étions, dès lors, spécialisée dans l’éducation en internat de jeunes en difficulté dans leur famille. Comme notre compagnon signait un nouveau contrat qui l’obligeait à habiter à proximité de son lieu de travail, nous avons dû nous éloigner de Lyon. Nous avons donc décidé avec la naissance de notre deuxième fils de prendre un congé parental d’éducation. Cette pause a duré cinq ans pendant lesquels, entre autres, nous avons préparé le concours de professeur des écoles car nous ne nous voyions pas reprendre un poste en internat classique, comme ils existent autour de chez nous. Après l’échec au concours, renonçant à faire une carrière d’institutrice spécialisée en SEGPA dans l’éducation nationale, mais décidée à reprendre une activité professionnelle, nous avons essayé un poste d’éducatrice spécialisée, dans un grand internat (80 places) d’une grosse association. Une semaine après, nous dénoncions notre contrat pour ne pas être témoin de plus d’anomalies institutionnelles que celles déjà rencontrées. Puis, suite à l’envoi de Curriculum Vitae en candidature libre, nous avons obtenu un entretien avec la directrice d’une Maison d’enfants. Très intéressée par notre expérience et notre formation en systémie, elle nous a proposé un poste de chef de service. Les postes à responsabilités ne nous attiraient pas, car nous les voyions surtout sous leurs aspects ingrats : nécessité d’être disponible 24 heures sur 24, en dépit de votre vie privée, et conquête de pouvoir faisant abstraction de finalités éducatives. Mais l’occasion était trop belle, nous acceptions et découvrions un nouveau métier. Le projet de l’établissement est axé sur un travail avec les familles avec beaucoup d’aspects innovateurs, qui sont bien en adéquation avec nos idées professionnelles. Notre expérience et nos connaissances antérieures étaient nécessaires, en tant que chef de service, auprès des éducateurs, pour les soutenir dans leur travail au quotidien. Au niveau de l’équipe de direction composée de trois personnes - la directrice, la psychologue et nous-même - notre collaboration pour donner de l’information et réfléchir au sens des choix institutionnels s’est révélée au bout de trois ans assez délicate. La dimension de reconnaissance et d’échange de compétences, que nous avions trouvée dans nos autres expériences, n’existait pas dans ce lieu-ci. Pourquoi ? Etions-nous aux frontières de notre savoir ou pouvoir faire ? Lors de notre première année, une formation en systémie avait été dispensée aux six éducateurs, la directrice et nous-même pour répondre à la demande : comment 5 appliquons-nous nos acquis systémiques, dans nos prises en charge et notre quotidien ? Les formateurs nous avaient alors encouragés à utiliser ce que l’on appelle « des objets flottants »7 qui favorisent la communication entre les membres d’une même famille. Forte de ces bons conseils et de notre expérience antérieure, nous lancions quelques tentatives, pour utiliser ces outils systémiques. Ceux-ci furent remis en question car dangereux, « nous risquons d’aller trop loin » nous disent éducateurs et directrice. Pour rester dans le sens du projet de l’établissement, nous nous sommes contrainte à abandonner. Dans notre dernier poste d’éducatrice, le suivi des entretiens avec les familles était à la charge des éducateurs référents, ce qui n’est pas le cas dans notre établissement actuel car le choix a été fait de scinder le thérapeutique et l’éducatif. C’est la psychologue qui réalise seule le suivi des familles, pour assurer la neutralité du thérapeutique. Elle ne se mêle pas, en théorie, de l’institutionnel. Par contre, nous avons, la directrice et nousmême, des « réunions famille », avec les éducateurs référents, où nous abordons les questions éducatives de prise en charge au quotidien des enfants, leur projet personnalisé et les orientations d’avenir. Lors de ces réunions, nous devons être vigilants à ne pas empiéter sur des questions qui pourraient fausser le travail fait en thérapie familiale. La question de la séparation entre le thérapeutique et l’éducatif est une question que nous avons proposée comme débat au niveau de l’équipe de direction. Cette question a déjà été abordée avant notre arrivée, nous devons l’accepter comme une règle institutionnelle. Sinon nous touchons, semble-t-il à des enjeux de pouvoirs pour lesquels notre position de chef de service serait remise en cause. Nous comprenons alors qu’il est difficile, de notre place de chef de service arrivant dans la maison d’enfants, de remettre en question certaines bases posées comme immuables, alors qu’il nous semblerait intéressant que cet établissement accepte certains débats contradictoires qui pourraient lui permettre d’évoluer vers un travail plus professionnel, plus éducatif. Nous avons alors réalisé que nous avions besoin d’éléments plus scientifiques pour mieux comprendre le rôle et les compétences que peut développer un chef de service éducatif. 7 Exemple d’objets flottants : blason, génogramme, jeu de l’oie. Les familles ou groupes utilisent ces supports concrets pour les adapter à leurs réalités de vie et ainsi permettre une étude de leur héritage. C’est une forme de thérapie familiale. 6 Introduction générale C’est en 2000 que nous avons pris nos fonctions de chef de service éducatif, dans une maison d’enfants à caractère social. Pour expliciter notre intention de recherche, nous nous intéresserons à l’origine des maisons d’enfants, ce qui nous fera apparaître que l’établissement pour lequel nous œuvrons actuellement aurait bien suivi l’évolution historique. Il a su se donner les moyens d’une efficience8 institutionnelle depuis sa restructuration en 1992 concrétisée par l’écriture d’un projet d’établissement solide et compétitif au regard des nouvelles mesures imposées pour mettre l’usager au cœur du dispositif social. Notre parcours professionnel d’éducatrice spécialisée dans différents internats nous a apporté une expérience riche. Nous pensons ainsi, avoir acquis une perception assez lucide du travail éducatif. Nous utilisons alors tout notre savoir faire d’ancienne éducatrice spécialisée. Mais nous devrons convenir que le poste de chef de service qui est un poste intermédiaire où la conciliation peut-être gênante, ne met pas toujours dans un rôle confortable. Il demande des compétences techniques autres que celle de l’éducateur de groupe, qu’il est nécessaire d’acquérir pour passer à cette autre fonction. Ainsi, pour mener à bien notre mission, nous devons mettre en oeuvre notre compétence de chef de service éducatif à travers sept fonctions principales, stipulées sur notre fiche de poste : planification, gestion, animation, écriture, participation, collaboration et coordination. Dans notre poste, nous sommes responsable du bon fonctionnement du service éducatif. Nous veillons à ce qu’il n’y ait pas de défaillances. Mais notre cadre opérationnel n’est pas très précis, concernant nos logiques d’action. Nous introduisons de nouvelles logiques, en voulant responsabiliser davantage les éducateurs, ce qui provoque plus de dysfonctionnements car un temps d’adaptation est nécessaire pour faire concorder les actions. Nous devons alors prendre en compte qu’à 8 C’est la mesure du rapport entre résultats obtenus et moyens mis en œuvre. 7 travers nos fonctions de planification, gestion, animation, écriture, nous devons être bien au clair avec les objectifs institutionnels. Car le choix de planifier de telle ou telle manière va dépendre dans certains cas, des choix institutionnels que l’on va mettre en priorité. Et, avec nos fonctions de participation, collaboration et coordination ce sont les marges de manœuvre, ou le pouvoir faire du chef de service éducatif qui peuvent être remis en question. L’inconfort de ce poste d’intermédiaire ne semble pas être qu’un problème de choix stratégiques. Dans certaines situations, il arrive que la logique éducative, qui s’appuie sur les compétences, les capacités, ce que sait faire une famille pour instaurer une relation de confiance, se heurte à la logique de psychologie clinique, qui développe les capacités de transformation d’une famille à partir d’injonctions, débouchant parfois sur un conflit de pouvoir. Confrontée à une telle situation de conflit dans notre établissement, nous avons tenté un recours à l’autorité pour le résoudre. Face à la décision de l’autorité de rester à l’écart, nous nous interrogerons sur la possibilité de rester garante, en tant que chef de service, du bon fonctionnement du service éducatif. Comment, les chefs de service dans une MECS, qui se trouvent forcément en présence de ces deux logiques, parviennent-ils à exercer leurs fonctions en limitant les dysfonctionnements ? D’après la sociologie des organisations, c’est l’accès au concept de légitimité qui aide à réguler les relations de pouvoir en permettant un travail de collaboration. Cela nous invitera d’une manière plus générale à nous interroger sur la légitimité du chef de service éducatif dans une MECS. D’où la question qui sera au centre de ce travail de recherche : Qu’est ce qui permet au chef de service éducatif de construire sa légitimité dans une MECS? Nous tenterons donc de déconstruire dans un premier temps le concept de légitimité à travers son étymologie, et le champ de la sociologie des organisations, où la légitimité se définit par le fait que l’inférieur accepte d’obéir aux ordres du supérieur. Autorité et 8 pouvoir sont englobés dans ce concept de légitimité. Nous les analyserons également pour nous permettre de comprendre que si nous jouons de notre pouvoir et de notre autorité, les conflits seront sans fin, alors que si nous reconnaissons à l’autre la possibilité de penser différemment, une entente peut être trouvée. La condition, pour que cet accord soit réalisable, est que la légitimité de chaque logique soit reconnue. Nous appuyant sur le quatrième type idéal que les sociologues contemporains ajoutent aux trois proposés par Max WEBER, pour définir la légitimité, celui de la légitimité professionnelle liée à un savoir plus spécialisé d’expert, nous verrons que le métier de chef de service éducatif n’est pas reconnu légitime, comme le sont d’autres métiers. Nous rejoindrons Hélène HATZFELD s’inspirant également des travaux de Max WEBER pour les adapter au travail social en distinguant la légitimité institutionnelle, démocratique et de compétence, pour montrer que c’est plus particulièrement cette dernière qui paraît la plus difficile mais la plus centrale. Ce qui semblerait pouvoir être complété par les analyses de Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG qui repèrent quatre sources de légitimité : la maîtrise des relations avec l’environnement du marginal sécant de Michel CROZIER ne nous concernera pas, nous nous attarderons plus sur la communication, l’utilisation des règles opérationnelles et la possession d’une compétence. Alors comment le chef de service éducatif peut-il valider sa légitimité de compétence, source fragile qui tient à la possession d’une spécialisation fonctionnelle? Conduite, dès lors, à interroger la légitimité éducative, nous verrons avec Philippe BERNOUX que ce sont moins les qualités d’expertise éducatives en tant que telles, que la possibilité de les faire accepter, qui importent. En mobilisant Renaud SAINSAULIEU, nous pourrons penser que la logique collective de l’équipe éducative peut être un support à la légitimité du chef de service éducatif en ce qu’elle peut permettre l’interaction avec d’autres logiques, comme nous le dit Hélène HATZFELD « La légitimité se construit donc, dans une interaction qui met en jeu différentes logiques selon les acteurs concernés et selon la situation dans laquelle ils se trouvent. »9. 9 Hélène HATZFELD. Construire de nouvelles légitimités en travail social. Paris, Dunod, 1998, p.123 9 Ainsi nous pourrons faire l’hypothèse que : «La légitimité du chef de service éducatif dans une MECS repose sur sa légitimité éducative qui n’est reconnue que si la logique éducative s’articule avec les autres logiques en présence ». Dans une seconde partie de cette recherche, nous confronterons cette hypothèse aux réalités du terrain. Nous irons à la recherche de la légitimité du chef de service éducatif et la reconnaissance des logiques éducatives dans deux établissements du même modèle que celui dans lequel nous travaillons. Nous fixerons des critères préalables de choix qui pourront, avec la recevabilité de notre démarche, contribuer à conserver deux établissements parmi ceux interrogés par téléphone. Nous retiendrons les méthodes d’étude d’écrits et d’entretien semi-directif auprès d’un échantillon des personnes concernées par l’articulation des logiques éducatives : directeur, chef de service, psychologue et éducateurs. Le recueil de ces données constituera un corpus que nous diviserons en thèmes et sous-thèmes. Ce classement nous permettra un traitement des discours à des niveaux différents de séparation que nous présenterons en deuxième et troisième chapitres de la deuxième partie. Ce traitement montrera que l’histoire de ces deux établissements, a des similitudes dans leur aspect chaotique et l’apparition du poste de chef de service éducatif. Les deux professionnels qui occupent ce statut actuellement, ont été recrutés pour leurs expériences, sans formation spécifique. La communication et la confiance occupent une place importante dans les attentes des professionnelles des deux établissements. Ce sont également les ingrédients de base pour la cohérence des établissements avec le respect, la circularité et la présence de lieux et/ou de personnes ressources. Le chef de service éducatif se trouve au cœur du système de communication et du bon fonctionnement de ces établissements, pour lesquels, il apporte son savoir et pouvoir faire. Des différences dans la cohérence du fonctionnement des deux établissements et dans leur approche conceptuelle de la fonction du chef de service éducatif avec le type de délégation utilisé, apparaissent en cette fin de partie. A la suite de cela, pour la troisième partie, nous mettrons en regard les résultats obtenus, afin de dégager les invariants et les évolutions. C’est à partir de cette analyse que nous 10 en arriverons à confirmer notre hypothèse initiale pour ensuite la dépasser. Nous en viendrons à formuler l’idée qu’au-delà de la légitimité du chef de service éducatif, c’est la légitimité de l’établissement qui est reconnue par un service éducatif, grâce à un système démocratique. L’identification de ce service rend fonctionnel l’éducatif qui est reconnu parmi les logiques de l’établissement dont la mission devient alors opérationnelle. Puis nous poursuivrons notre réflexion, à la lumière des résultats de l’enquête, et nous comprendrons qu’une forme de management s’appuyant surtout sur le pouvoir et d’autorité empêche la circularité des logiques qui se retrouvent isolées. Ces logiques isolées feront apparaître une organisation formelle dans laquelle toute rationalité risquerait de disparaître au profit d’un pouvoir archaïque. Ce travail de recherche, en proposant en quelque sorte une déconstruction des concepts liés au pouvoir du chef de service éducatif, pourrait permettre de franchir l’étape de la légitimité, à travers l’amélioration des pratiques institutionnelles. 11 Deuxième partie Histoires institutionnelles et professionnelles 12 1 : Construction identitaire des MECS 1.1 Maison d’enfants à caractère Social10 : émergence historique Nous allons porter un regard sur l’histoire et sur les grandes idées qui ont conduit les différentes étapes de la construction identitaire des maisons d’enfants à caractère social11. Celle de l’institution pour laquelle nous travaillons en illustre bien les transformations. Cette longue épopée a contribué à la mise en place des enjeux dans les relations. Les MECS sont des institutions sociales depuis la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales qui assurent en internat l’éducation spéciale aux personnes mineures. Elles accueillent des enfants dont les familles se trouvent en difficulté et ne peuvent plus temporairement assumer l’éducation. En France, du début de notre ère à la Révolution, l’assistance aux pauvres existe sous trois formes : les hôpitaux généraux et les « renfermeries » pour les vagabonds, l’aumône individuelle pour les mendiants et les compagnies de charité organisées autour des paroisses pour les « pauvres honteux ». Le caractère charitable prédomine et l’Eglise en est le maître d’œuvre. Il est communément admis de citer Vincent de Paul 1 Ces établissements d’accueil d’enfants à caractère social, par opposition à sanitaire, sont aussi appelés « foyer de l’enfance » ; ils remplacent les anciens « orphelinats ». 11 MECS dorénavant dans le texte. 13 (1581-1660) comme le père de l’assistance moderne en France. Il a fondé son œuvre des enfants trouvés en 1638, ancêtre probable de l’Aide sociale à l’enfance. Il sépare ainsi le traitement des enfants abandonnés et vagabonds des adultes mendiants, clochards, handicapés. Il a été le premier moteur d’un système social autour d’un problème touchant l’enfance et la jeunesse. Des institutions charitables existaient auparavant mais elles ne bénéficiaient ni de réglementation, ni de financement et reposaient toutes sur le bénévolat. Vincent de Paul, dénommé Monsieur Vincent, a su mobiliser pour les enfants abandonnés les riches dames de la société et, en bon gestionnaire, a su orienter leurs investissements pour cette cause. Selon Jacques DONZELOT12, ces formes d’assistances sont considérées comme inefficaces car elles entretiennent et font proliférer la pauvreté plutôt que de l’éteindre, en concourrant toutes à en fausser la perception, une mutation est nécessaire. Avec les recherches de l’historien Philippe ARIES (1914-1984), après FREUD (18561939) et ROUSSEAU (1712-1778) qui écrit dans l’Emile ou de l’éducation (1762) « Le mal ne se trouve pas dans l’enfant, il lui vient de l’extérieur, l’enfant n’est pas un adulte en miniature, il possède un développement propre », on ne peut plus penser l’enfant comme avant. C’est ainsi qu’Henri PESTALOZZI (1746-1827) qui est l’un des ancêtres de l’éducation nouvelle a pu écrire : « Reconnaître, maintenir et promouvoir en chaque être la dignité de la personne, c’est là toute l’éducation à l’humanité. » Créé le 21 janvier 1790 le « comité pour l’extinction de la mendicité » va s’atteler au problème de l’assistance. Suite aux différents rapports de ce comité, la loi du 19 mars 1793 proclame trois principes fondamentaux : Droit du pauvre à être satisfait. Obligation pour l’Etat de fournir l’assistance aux pauvres. Unicité du système des secours publics C’est alors que l’assistance devient un devoir de la collectivité, elle est un acte de justice sociale et non plus seulement de charité ou de police. Jusqu’alors, seuls les enfants abandonnés à la naissance bénéficiaient de prises en charge officielles. Ceux qui l’étaient par la suite étaient assimilés aux mendiants et aux vieillards. Ils se retrouvaient 12 Jacques DONZELOT. La police des familles. postface de Gilles DELEUZE. Paris, les éditions de minuit, 1977, 220 p ; 14 comme eux dans les hospices et les hôpitaux. Le décret du 19 janvier 1811 en constituant la première charte des enfants assistés, différencie cette population d’enfants de celle des autres catégories d’errants. En ce début du XIXe siècle, une nouvelle catégorie d’enfants est prise en compte : « les enfants moralement abandonnés» de plus de 12 ans, ils sont dénommés « délinquants ». En 1851, avec la loi invitant l’initiative privée à prendre en charge les mineurs délinquants dans des établissements destinés à les moraliser et à leur inculquer de saines habitudes de travail, les patronages de l’enfance et de l’adolescence se sont multipliés. La loi de 1904 dégage un principe essentiel, celui de l’intérêt de l’enfant avec un devoir de protection et de tutelle envers lui. Mais les œuvres qui effectuent des placements se plaignent de la situation inconfortable où elles se trouvent à l’égard des familles qui peuvent à tout moment user de leur souveraineté. « Les lois de 1889, 1898 et 1912 vont organiser progressivement un transfert de souveraineté de la famille « moralement insuffisante » vers le corps de notables philanthropes, des magistrats et des médecins spécialisés dans l’enfance. »13 La loi de 1898 accorde au juge le pouvoir de confier la garde d’un enfant soit à l’assistance publique, soit à une personne ou une société charitable, et cela dans tous les cas de « délits ou de crimes commis par des enfants ou sur des enfants ». Ce qui modifiait complètement le rapport que les œuvres pouvaient entretenir avec les familles. C’est dans ce contexte que commence l’histoire de l’institution pour laquelle nous travaillons. En 1834, une congrégation de religieuses reçoit en don une maison avec grange, dépendances et pré. Le premier accueil des enfants se fait par l’ouverture de classes en 1837. C’est ensuite l’ouverture d’un pensionnat en 1881. En 1886, l’école communale dirigée par les sœurs devient école libre et fonctionne jusqu’en 1902. Les sœurs doivent quitter l’école qui rouvre en 1915 avec des sœurs sécularisées. Elles reprennent leurs costumes religieux en 1940. Résultante d’une histoire, la plupart des équipements spécialisés sont de nature privée, gérés par des associations (loi 1901) à but social non lucratif. La période 1920-1940 est semble-t-il constitutive de ce secteur 13 Jacques DONZELOT. La police des familles : postface de Gilles DELEUZE. Paris, les éditions de minuit, 1977, p.80 15 par le fait, par exemple que nombre d’associations voient le jour. Ce mouvement va se poursuivre pendant la guerre, et surtout à partir de 1947-1948. Malgré ce vaste mouvement de sécularisation engagé depuis la période révolutionnaire, les œuvres privées continuent à avoir le monopole sur l’enfance malheureuse par le biais de nombreux internats de toutes sortes, où des générations entières de jeunes garçons et plus nombreuses encore de jeunes filles14 plus ou moins délaissées par leur famille verront leur jeunesse enfermée jusqu’à la mise au travail, sinon la majorité. Ces institutions privées n’échappent pas à la logique de l’enfermement et de ses excès. Le chemin qui mène à des conceptions éducatives est encore long. La création de la sécurité sociale en 1945 représente un tournant considérable qui va faire basculer le concept de charité vers celui de l’assistance, c’est ainsi que la morale et le sens de la dette envers les orphelins, les enfants mal traités vont s’institutionnaliser. L’ordonnance du 2 février 1945 complète et approfondie la loi du 22 juillet 1912 qui séparait officiellement le sort des mineurs délinquants de celui des adultes, en créant des tribunaux pour enfants et la fonction de juge pour enfants. La création de tels magistrats spécialisés va permettre le développement de la notion d’assistance éducative auprès de mineurs en danger. Ces mesures seront confirmées par l’ordonnance du 23 décembre 1958 qui avec la loi de 1889 sont repris dans la loi du 4 juin 1970 sur l’autorité parentale. Le juge des enfants doit traiter deux types de dossiers : Dossiers de mineurs délinquants Dossiers d’assistance éducative (mineurs en danger) Le nombre d’enfants recueillis temporaires augmentant, se pose le nouveau problème de leur placement. La mortalité des jeunes enfants en internat y était très forte, c’est ainsi qu’apparaissent entre 1920 et 1930 des placements à la campagne chez des nourrices mais ce placement familial des recueillis temporaires reste minoritaire et limité aux enfants de moins de 4 ans. Ce n’est que vers 1960 que le placement familial sera prôné de manière beaucoup plus large et systématique. Les mentalités ont alors évolué, affirmant la supériorité du milieu familial sur le milieu collectif. Les préoccupations financières n’ont pas tardé à pousser dans le même sens. 14 Jean-Jacques BODEVIN. L’internat comme milieu ouvert ou la gestion du paradoxe protectioninsertion. Grenoble IEP, DSTS, décembre 1989, 111 pages. 16 C’est ainsi que dans notre établissement, entre 1960 et 1968, le petit pensionnat composé alors de 10 à 12 pensionnaires, reçoit quelques recueillis temporaires qui représentaient une aubaine pour compléter l’effectif de l’école des filles, afin de pouvoir garder les contrats scolaires. En fin de mois, comme le faisaient les familles agréées par la DASS, le pensionnat envoyait à l’ASE, les factures des frais de chaque enfant. Avant les jeux olympiques de 1968, le syndicat d’initiative de Grenoble demande aux enfants des écoles du département d’envoyer des dessins pour égayer les chambres des journalistes. Cela contribue à faire connaître le petit pensionnat de campagne, ses enfants épanouis et son ambiance chaleureuse. De nouveaux bâtiments sont construits et le préfet, sur proposition du directeur Départemental de l’Action Sanitaire et Sociale, fixe le premier prix de journée à partir de septembre 1967. Les travaux se terminent en septembre 1968. Le pensionnat peut recevoir 31 enfants (filles de 5 à 14 ans). Le préfet établit une convention avec l’association de l’enseignement privée (AEP). 1.2 Maisons d’enfants à caractère Social : L’ouverture vers l’extérieur Autour des années 1970, s’est développé un premier mouvement d’ouverture. Les congrégations religieuses passèrent la gestion des établissements à des associations laïques de statut privé. Après 1970, quand l’environnement le permettait, la scolarité ne se dispensait plus au sein de l’établissement. A cette époque toute la vie du jeune était concentrée à l’intérieur de l’institution. Le « tout à l’intérieur » correspondait parfaitement à la demande première du placement, c’est à dire la protection. L’enfant arrivait au centre d’accueil et suivait le parcours obligé, déterminé par le projet institutionnel.15 De nombreux internats auto-légitimaient alors des pratiques dites de rééducation par une opposition à une influence familiale nocive, oisive, objet de la plus vive réprobation. Afin de favoriser cette position et de lui donner toute chance d’aboutir, la pratique administrative imposait arbitrairement le secret sur les origines. 15 Christian SZWED. La métamorphose des MECS… Penser l’avenir. In, Action juridique et sociale, n°213, mars 2002, p 28 à 43 17 Les dossiers ne parvenaient pas aux Maisons d’enfants, la pratique du secret maintenait des non-dits entre les enfants et les éducateurs. Les équipes confinées dans l’enfermement, l’ignorance et le secret, travaillaient exclusivement en interne, centrées sur le groupe au détriment des individus, leur histoire et leur appartenance. Le secret autour de la question des raisons du placement (l’accès était limité à la direction) alimentait les propres fantasmes du personnel renvoyant consciemment ou non l’opposition entre parents mauvais, indignes et l’institution qui ne pouvait être autrement que bonne ! Ainsi, c’est en 1973 que l’association de l’enseignement privé passe la gestion à une Association laïque pour laquelle nous travaillons. Cette association organise et gère trois établissements : L’établissement d’enfants à caractère social (24 enfants). Et ses annexes, deux accueils de jour pour enfants à caractère social (10 enfants) Un établissement de soins de suite et de réadaptation (52 lits)16 Un établissement de personnes âgées (41 lits) Le projet associatif qui a été modifié en 2002, stipule ainsi sa vocation : « Apporter, à toutes les périodes de la vie, son aide aux personnes ayant besoin d’un soutien matériel, moral ou sanitaire dans un esprit d’écoute, de respect, de qualité, d’indépendance et de désintéressement financier. Plus particulièrement, l’association a pour but d’assurer la continuité et le développement d’œuvres inspirées ou créées par les sœurs de la congrégation à l’origine de l’établissement. » Nous notons que le passage d’une gestion religieuse à une gestion laïque s’inscrit dans la continuité des valeurs de la congrégation dont l’établissement est issu. Nous avons retrouvé dans les écrits laissés par les sœurs17 que : « le manque de salles, une salle à manger et une salle de groupe, favorisait l’ambiance familiale : une famille de 31 enfants qui, avec leurs deux éducatrices, la cuisinière, la lingère et la directrice, assumaient toutes les tâches ménagères comme dans toutes familles du village. Elles 16 Nous avons gardés le terme de lit, tel qu’il est stipulé dans le projet associatif. Ce terme traduit bien l’aspect médicalisé des deux autres structures gérées par l’association. 17 Voir annexe 1 18 participaient à la vie du village comme tout un chacun. Les filles des familles de la commune étaient scolarisées avec elles. Ce mélange dans les classes entre les filles de l’internat et celles du village, auquel les familles étaient favorables car elles considéraient ces jeunes comme les enfants du pays, contribuèrent grandement à leur épanouissement». Malgré l’augmentation des effectifs, l’établissement préserve son aspect d’intégration dans le village où il est implanté et ne sombre pas dans le « tout dedans ». Il est même moteur d’ouverture puisqu’au cours de l’année 1973, pour que l’école publique du bas de la commune (une classe de garçons) ne ferme pas, les sœurs proposèrent d’inscrire les filles à l’école publique. L’école libre ne garda qu’une classe : section enfantine et cours préparatoire. Et en septembre 1977, afin de séparer maison d’enfants et école, cette classe s’installe à l’extérieur. La création et le fonctionnement des établissements et services privés relèvent de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, qui organise le support juridique des institutions. Elle vient confirmer la reconnaissance de ce vaste mouvement professionnel associatif, tout en prévoyant les moyens de contrôle nécessaires à la tutelle publique pour en maîtriser le développement. A partir de 1982, l’Etat transfère certaines compétences, avec les moyens financiers correspondants, aux collectivités locales ou territoriales (communes, départements, régions); les départements sont maintenant chargés de l’Aide Sociale. Les élus locaux deviennent donc des partenaires obligés pour les personnels sociaux et éducatifs. Avant la décentralisation, les internats étaient sous la tutelle d’une administration centralisée. Le directeur de la DASS, sous le contrôle du préfet, ordonnait les dépenses, veillait à l’application de la réglementation et en référait directement au ministère. Le conseil général engageait sa part de financement sans véritable pouvoir de décision. Les institutions éducatives étaient ainsi contrôlées plus qu’évaluées. Lorsque les normes étaient respectées, l’administration jugeait que tout allait bien. Le contrôle était d’ordre administratif et réglementaire, l’impact local était relativement peu considéré, sauf en cas de problème grave avec l’environnement. La décentralisation est venue bouleverser ce système. Elle a défini des territoires, des pouvoirs et des compétences. Les élus du département sont les décideurs et les financeurs. Les repères d’évaluation changent, la 19 réglementation passe au second plan. Emergent au premier plan deux critères essentiels : Le coût de l’internat dans le budget du département. « L’aide Sociale à l’enfance représente, au plan national le principal poste des dépenses sociales des départements, à savoir le tiers d’environ 83 milliards de francs en 1999 (12,653 milliards d’euros) soit 27,8 milliards de francs (4,238 milliards d’euros) » (source : observatoire de l’action sociale décentralisée)18 Le service rendu aux jeunes du département mis en rapport avec l’ensemble des interventions sociales existantes vis à vis de ce public. La loi du 22 juillet 1983, entrée en vigueur le 1 janvier 1984, semble avoir eu pour objectif d’appliquer de réelles politiques de réduction des dépenses avec les schémas départementaux entre autres. C'est-à-dire d’outils d’observation et de diagnostic des besoins sociaux permettant de prendre des orientations et de favoriser une plus grande cohérence dans la mise en œuvre des différentes politiques publiques susceptibles de concourir aux mêmes objectifs sur le territoire du département. La loi du 6 janvier 1986 modifiant le code de la famille et de l’action sociale a donné l’obligation pour le département de financer des mesures confiées à des tiers autres que l’ASE. Les rapports entre l’Etat et l’initiative privée, les pouvoirs publics et le mouvement associatif restent toujours problématiques. L’articulation entre ces différentes instances n’est pas aisée. Une M.E.C.S. est financée par des fonds publics tout en appartenant à une association privée. Sont-elles semi publiques ou encore semi privées ? Dans la lignée du rapport Bianco-Lamy (publié en 1980, demandé en 1978 par madame VEIL) et de la note sur le travail social de Nicole QUESTIAUX, une loi du 6 juin 1984 viendra consacrer les droits des familles dans leur relation avec les services chargés de la protection de l’enfance. Droit d’être informées sur les conditions et les conséquences de l’intervention sociale, droit d’être accompagnées par une personne de son choix dans toutes les démarches auprès du service, droit pour les parents de participer aux décisions essentielles concernant leur enfant, obligation de recueillir 18 Isère conseil général, direction de la santé et de la solidarité, Schéma départemental des équipements et services sociaux pour l’enfance et l’adolescence 2000/2005, août 2000, p.9 20 l’avis de l’enfant, droit de faire appel et enfin la révision régulière des situations, au moins une fois par an. 1.3 Maisons d’enfants à caractère Social : perspectives novatrices Après les premiers écrits de René SPITZ (1887-1974) sur l’hospitalisme, les travaux de John BOWLBY et Jenny AUBRY, la considération de l’enfant placé en MECS change totalement le regard porté par les intervenants : la tristesse de l’enfant, sa dépression, la sidération des enfants en institutions, les troubles de conduite et de comportement interpellent les éducateurs d’internat. « Ce qu’il y a de nouveau et de spécifiquement efficace avec la psychanalyse, c’est l’établissement d’une procédure de circularité entre les deux pratiques d’expertise (jugement) et de confession (récit de vie) »19 L’action menée sur les enfants et leurs familles par les MECS à partir de 1989 va prendre en compte progressivement des perspectives novatrices. Elle révolutionne leurs pratiques : la suppléance au lieu de la substitution, le respect au lieu du déni de droit, le projet individuel au lieu du projet collectif, l’ouverture au lieu de la fermeture, le travail avec les familles au lieu de la relégation des familles… Car, compte tenu des nouvelles représentations à l’œuvre concernant la famille et l’école, l’internat traditionnel est de plus en plus mal considéré dans le monde de la rééducation : on préfère les placements familiaux, les structures d’accompagnement et les thérapies familiales. Cependant, la théorie des systèmes et l’analyse systémique vont apporter une lecture nouvelle et une compréhension radicalement différente des organisations et des communications entre les personnes au sein des groupes et des entreprises. Ces nouvelles approches vont aider à rénover l’internat et lui redonner du sens, car il existe de fait et répond à la réalité d’un besoin social : Le nombre total d’enfants placés en établissement dans l’Isère au 31 décembre est de 1077 enfants en 1995 et de 1059 enfants en 199820. 19 20 Jacques DONZELOT. La police des familles : postface de Gilles DELEUZE. Paris, les éditions de minuit, 1977, p.190 Isère conseil général, direction de la santé et de la solidarité, Schéma départemental des équipements et services sociaux pour l’enfance et l’adolescence 2000/2005, août 2000. 21 En juin 2000, le rapport de l’IGAS21 consacré à la protection de l’enfance et aux placements des jeunes à l’Aide Sociale à l’Enfance présente un ensemble de propositions pour mieux coordonner les actions de l’institution judiciaire et des conseils généraux, développer la prévention et replacer les parents concernés au cœur du dispositif, afin de préserver les liens entre l’enfant et sa famille; et le pari de Ségolène Royal, ministre déléguée à la Famille, de diminuer de moitié, par de simples mesures de bon sens, le nombre d’enfants placés est en partie à l’origine d’une réforme de l’action sociale. La loi 2002-2 réforme la loi 75-535 du 30 juin 1975. Jusqu’alors, les institutions étaient au centre du dispositif, au service des populations qui exprimaient des besoins. Désormais, ce sont les personnes qui sont au centre des préoccupations. Au passage, le champ de l’action sociale rénovée s’élargit ; les partenariats suggérés deviennent nécessités ; le cadre est plus contraignant, mais les contraintes sont pour tous les acteurs et le schéma devient le pivot de l’organisation, il s’agit d’une entreprise de rationalisation de l’action sociale autour des schémas, de l’observation et de l’évaluation. C’est ainsi que, dans la maison d’enfants pour laquelle nous travaillons, située en plein cœur d’un village rural, l’arrivée (en 1988) d’un nouveau directeur formé à l’analyse systémique - et qui s’inscrit dans les nouvelles représentations de la famille et de l’enfant - aboutit en 1991-1992 à une restructuration : la création de deux unités de vie indépendantes, (un nouveau bâtiment est construit pour accueillir le deuxième groupe) est réalisée ainsi que l’écriture et la mise en oeuvre d’un nouveau projet d’établissement. Son implantation lui permet d'exploiter les avantages de la campagne (environnement, ouverture sur l'extérieur.....) et d'une petite structure puisqu'elle accueille 24 enfants âgés de 4 à 14 ans. On peut penser que cette évolution de l’établissement a probablement été une aubaine pour le maintien de cette petite structure. 21 Rapport rédigé par Pierre Naves, inspecteur général des affaires sociales, et Bruno Cathala, inspecteur des services judiciaires, à la demande de Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité, et Elisabeth Guigou, ministre de la justice. Juin 2000. 22 L'établissement fonctionne en service continu, 24 h/24 h et toute l'année. Les 24 enfants de l'internat sont répartis en deux groupes autonomes de 12 enfants chacun. Ces groupes sont verticaux et mixtes, ce qui favorise l'accueil des fratries. La Maison d’Enfants se veut un lieu interactif avec l’extérieur et a pour objectif de reconstituer un cadre et des liens de parentalité suffisamment structurés pour permettre une réintégration de l’enfant dans sa famille. La mission de l'établissement est double : accueillir temporairement des enfants pour sauvegarder leurs droits à l'éducation, tout mettre en oeuvre pour que les parents soient conduits à s'intéresser activement à l'évolution de leurs enfants ; les aider également à réfléchir sur leurs attitudes éducatives ; leur proposer les changements nécessaires pour que le climat familial s'améliore. L’enfant ne doit pas vivre en « vase clos » à l’internat. La scolarité s’organise donc à l’extérieur. Les loisirs sont également encouragés par l’inscription à des associations sportives et culturelles. De plus, les camps, centres aérés et gîtes d’enfants, permettent aux enfants de découvrir d’autres milieux de vie. Pour mettre en œuvre son projet, l’institution dispose actuellement, au niveau des postes de cadre, d’une directrice, d’une chef de service et d’une psychologue. Cette dernière assure le suivi individuel des enfants quand il est jugé nécessaire par un bilan qu’elle effectue en début d’année et quand il n’y a pas de prise en charge thérapeutique extérieure engagée avant le placement. Elle participe aux réunions de synthèse. De plus, la psychologue de l’établissement propose aux parents et à leur(s) enfant(s) des entretiens familiaux qui peuvent permettre d’activer un processus dans lequel la famille pourra observer, expérimenter, introduire des changements dans son fonctionnement. Ces suivis sont toujours dans l’esprit d’une pensée systémique, porteur du sens dans l’établissement. Cet espace donné à la famille lui appartient et est différencié des rencontres autour du projet de l’enfant. Au niveau du personnel qui n’a pas la charge directe des enfants, il y a deux secrétaires à mi-temps : une plus particulièrement chargée de l’administratif et l’autre de la 23 comptabilité, deux hommes d’entretien et/ou chauffeurs, un médecin qui assure une permanence d’une heure par semaine, une institutrice spécialisée pour du soutien scolaire à raison de trois heures par semaine, une femme de ménage qui entretient les locaux administratifs. Les enfants sont encadrés, au sein des groupes de vie, par une équipe éducative composée de trois éducateurs, et de cinq maîtres ou maîtresses de maison. Les personnes ayant la fonction de maître ou maîtresse de maison sont considérées comme faisant partie intégrante de l'équipe éducative dans cet établissement, puisque à travers le support de l'entretien, ménage, cuisine ou lingerie, elles sont impliquées dans l'élaboration du projet personnalisé des enfants et, sont actives dans des temps individualisés auprès des jeunes. L’équipe de l’établissement est pluridisciplinaire, chaque fonction étant bien définie et articulée avec celles des autres membres de l’équipe. Tous les membres de l’équipe savent qu’ils font partie d’une institution qui effectue de la suppléance familiale et qu’ils ont, à leur niveau, un rôle éducatif. L’établissement travaille sur le rôle de la complémentarité de fonction de chacun. Des différenciations sont mises en place au niveau des moniteurs éducateurs et éducateurs spécialisés. Celles-ci ne se situent pas dans le quotidien ni au niveau de la référence mais se situent davantage en termes de responsabilités. Une fiche de répartition des responsabilités est remplie chaque début d’année scolaire. Les tâches incombant à chaque poste sont pré-établies. Chaque professionnel peut dans son domaine choisir des responsabilités. La vie institutionnelle est régulée par de nombreuses réunions. Nous avons calculé qu’il existe actuellement onze types de réunion que nous avons listées dans un tableau : 24 Réunions concernant : Dénomination admission Enfants et familles synthèse22 Projet personnalisé23 Fonctionnement informations L’institutionnel A thème éducateurs24 La régulation Equipe éducative25 Dénomination Repas Par commissions Transport Week-end Par supervision supervision Participants Directrice, chef de service, éducateur référent, famille, travailleur social. Directrice, psychologue, chef de service, éducateur référent, travailleur social Chef de service, équipe éducative d’un groupe Directrice, chef de service, équipe éducative d’un groupe Fréquence 1 × /enfant 2× /an/enfant 3× /an/enfant 3 × /an Directrice et tout le personnel 2 ou 3 × /an des trois structures Directrice, chef de service et une 3 × /an des catégories professionnelles ensemble Chef de service ½ h et les 1 ×/semaine éducateurs d’un groupe L’équipe éducative d’un groupe 1 ×/semaine Participants Fréquence Directrice ou chef de service, 1 × entre maîtresses de maison, maître de chaque maison, éducateur, un enfant vacances volontaire Chef de service, un éducateur de Sur chaque groupe, enfants demande concernés Chef de service, les deux maîtres 1 × entre de maison de nuit, maîtresse de chaque maison chargée du ménage, un vacances éducateur par groupe Une pour chaque groupe par équipe éducative et une 1 ×/mois individuelle pour chef de service 22 L’objectif des réunions de synthèse, animées par la directrice est, d’examiner la situation de chaque enfant. A partir des observations et des réflexions qui ont fait l’objet d’un rapport écrit envoyé au travailleur social référent en amont de la synthèse, les questions à aborder sont développées afin d’affiner des réponses à mettre en place conformément aux objectifs définis en début de placement. 23 Lors de la première réunion de projet personnalisé, animée par le chef de service, se dégagent les principaux objectifs sur lesquels nous avons à travailler, à l’aide d’un référentiel d’observation de compétences sociales (élaboré en interne), des éléments apportés par les familles ainsi que les conclusions des bilans psychologiques et les objectifs de placement. Deux autres réunions de projet personnalisé, toujours animées par la chef de service, sont programmées sur l’année scolaire dans un souci d’ajustement des moyens et méthodes éducatives mises en œuvre en fonction de l’évolution de l’enfant. 24 Les éducateurs de chaque groupe sont responsables de son organisation et de son contenu, l’un étant responsable de son animation. Elle a pour but : l’échange d’informations concernant la vie ou la situation des enfants, la préparation d’activités, la réflexion sur certaines difficultés rencontrées avec les enfants ou leur famille, réflexions qui doivent déboucher sur des actions à mettre en œuvre, l’organisation de la semaine. 25 La majorité de ces réunions ont pour rôle de permettre d’établir un maximum de liens transversaux entre les différents membres du personnel. Les lieux de réunion qui permettent une construction et une élaboration stratégique pour les situations familiales sont moins nombreux. Cette répartition a évolué au cours de l’année 2005-2006 : L’absence de la direction à la réunion des éducateurs n’est plus d’actualité. D’une présence du chef de service limitée à une demi-heure pour échanger des informations, nous sommes passée à une présence continue. Cette évolution a été demandée par les éducateurs. Ils ont appuyé leur demande sur la volonté d’un œil extérieur pour leur permettre de prendre du recul dans les situations et pour assurer de la transparence dans leur travail. Un échange sur les situations en présence de la psychologue est possible en plus des deux synthèses par an. Des rencontres entre éducateur référent, directrice, chef de service et psychologue ont été mises en place. Une première a lieu en début d’année et une deuxième entre les deux synthèses. Elles permettent d’ajuster la cohérence du projet global de chaque situation. Il est ressorti du bilan de juin 2006 avec les deux équipes que ces évolutions avaient été appréciées. Elles ont permis d’échanger, de réajuster les pratiques et de donner aux éducateurs un dynamisme d’ensemble plus cohérent. Dans cette nouvelle distribution, nous relevons la participation plus importante du chef de service éducatif, seul, auprès des équipes. Cette augmentation n’est pas neutre dans son accompagnement auprès des éducateurs. Nous verrons au chapitre suivant cette question de la fonction du chef de service éducatif et ses enjeux. 25 Elle est animée par un éducateur spécialisé. A cette réunion sont abordées : les questions d’organisation concernant la mise en place du projet, la répartition des moyens mis en œuvre pour les sorties, certaines difficultés relatives aux enfants pouvant être traitée lorsqu’elles concernent l’ensemble de l’équipe. 26 2: La fonction de chef de service éducatif en question 2.1 Le statut du chef de service éducatif : Quand apparaît la notion de chef de service ? Le seul écrit que nous ayons trouvé pour faire l’historique de la profession est un texte 26 qui dénonce l’absence quasi totale d’écrits. Ce texte s’appuie sur un échange avec Maurice CAPUL. D’après celui-ci, la dénomination d’éducateur chef est apparue après la deuxième guerre mondiale dans l’éducation surveillée, seul et unique organisme structuré dans le champ social. Au fur et à mesure que se développait le secteur de l’enfance inadaptée, il empruntait à l’éducation surveillée les fondements de ses propres structures, y compris pour le personnel. Ainsi en est-il de la notion d’éducateur chef. Il n’existe pas aujourd’hui de définition précise ni de cadre légal unique, mais plusieurs définitions conventionnelles et statutaires. En ce qui concerne notre situation de travail dans une MECS associative27, cette dénomination ne deviendra celle de chef de service éducatif, semble-t-il, qu’à partir des années 1950-1960 où elle prendra sa forme définitive lors de la signature de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées de 1966. D’après l’annexe 3 de cette convention, peut être chef de service « un éducateur spécialisé justifiant d’au moins cinq années de fonction en cette qualité ». Il « assume les 26 Christian GAU, Jean-Pierre MARTY, Georges SANS .Le chef de service éducatif : de l’ambivalence de la fonction à l’identité de la profession. EMPAN N°5, juin 1991, p.64 à 72 27 Nous nous situons dans le champ des associations privées ; pour le secteur public, l’évolution des dénominations se joue différemment. 27 responsabilités éducatives, administratives dans le cadre de missions ou de directives fixées par son supérieur hiérarchique. Il est chargé notamment de la mise en œuvre et du suivi des objectifs éducatifs collectifs et/ou individualisés définis par le projet pédagogique de la structure concernée ». Ancien éducateur spécialisé qui excellait dans le domaine de la relation, le nouveau chef de service éducatif est passé, du vif de l’intervention auprès des usagers, à l’organisation et au hiérarchique. Sans formation, sans travail particulier et parfois sans aide. La relation de l’éducateur de groupe rend bien particulière l’action éducative, comme nous le dit, Michel LEMAY28. Il partage un vécu quotidien par l’intermédiaire de multiples petits actes concrets et s’engage dans un « ici et maintenant » avec le jeune, sa famille et le milieu social environnant. L’ancien éducateur, qui était en contact direct avec la population accueillie, dans une dynamique de groupe journalière, perd beaucoup en quantité et qualité relationnelle lorsqu’il devient chef de service et qu’il doit prendre une autre position. Car le chef de service doit se démarquer de cette relation que les éducateurs ont avec les usagers. La fonction du chef de service ne le situe plus dans la prise en charge directe des jeunes, les accompagnant dans le déroulement de leur journée. La prise de distance par rapport à ces actes quotidiens doit permettre au chef de service de proposer aux éducateurs une organisation qui facilite leur travail. Il doit avoir connaissance de l’histoire de chaque enfant et des évènements vécus au quotidien afin d’aider l’équipe éducative à élaborer un pensée éducative à propos de chaque jeune, en cohérence avec le contexte du placement. Il doit être garant du cadre et faire respecter les règles de la vie institutionnelle. Ainsi le passage d’un poste d’éducateur de terrain qui partage son bureau avec ses pairs à celui de chef de service, seul dans son bureau, peut-être vécu douloureusement. Les aspirations à devenir cadre découlent du désir de pouvoir être soi-même, d’être autonome et stratégique dans le temps et l’espace, de pouvoir développer des projets nous expliquent Bernard DOBIECKI et Daniel GUAQUERE. Pour ce profil de poste, ils pensent que « la logique du métier d’origine reste très présente, ceux-ci combinent à la fois les fonctions hiérarchiques ou pour le moins organisationnelles et l’intervention 28 Sous la direction de Jean-Luc MARTINET, Les éducateurs aujourd’hui. Dunod, Paris, 1999, 207p. 28 directe auprès des publics »29. Mais un chef de service éducatif ne doit pas être le plus compétent dans tous les domaines. Cependant il doit l’être suffisamment pour comprendre les stratégies, les langages et les objectifs du groupe d’éducateurs, afin de pouvoir non seulement coordonner leurs actions mais aussi être capable de concrétiser les différents projets institutionnels. La situation actuelle de la plupart des chefs de service éducatif, entre la direction et l’équipe éducative, semble difficile à assumer. Il a encore de nombreux contacts avec le terrain mais il doit prendre suffisamment de distance pour informer objectivement la direction. Il sert comme on l’entend parfois de courroie de transmission ou de lien entre les niveaux de communication. Cette contradiction entre la prise de distance dans la position relationnelle et l’intervention directe sur le terrain, est-elle à mettre en relation avec la proportion importante de chefs de service qui ne restent pas en poste ? Nous n’avons pas de chiffres officiels appuyant une telle affirmation mais le nombre de chefs de service éducatif qui sont passés à la MECS pour laquelle nous travaillons est assez significatif : Chef de service sexe recruté Mois/année durée motif 1 M Externe 09/78 au 12/78 4 mois démission 2 M Externe 10/80 au 04/81 7 mois démission 3 M Externe 11/81 au 12/81 2 mois essai non concluant 4 M Externe 09/82 au 10/82 2 mois essai interrompu 5 M Externe 09/84 au 12/84 4 mois essai interrompu 6 M Externe 02/87 au 07/92 5 ans, 6 mois démission 7 F Interne 01/93 au 01/98 5 ans Autre poste interne 8 F Interne 12/95 au 08/96 9 mois congé parental 9 F Interne 07/98 au 06/00 1 an, 11 mois démission La réalité de terrain représentée sur ce tableau, nous permet de constater que le fait que ce soient des hommes ou des femmes, qu’ils soient issus de la maison d’enfants ou de 29 Bernard DOBIECKI. Daniel GUAQUERE. Etre cadre dans l’action sociale et médico-sociale. Paris, Seuil, 2001, p.28 29 l’extérieur ne change rien au phénomène : ils sont tous partis rapidement excepté un homme (6) qui a démissionné pour incompatibilité d’humeur avec le nouveau directeur et une femme (7) qui a accédé par la suite au poste de directrice. Par ailleurs, la discontinuité des dates s’explique par la présence de la femme du directeur (de janvier 79 à août 86) et d’une sœur de la congrégation religieuse anciennement gestionnaire (de novembre 68 à septembre 89) qui occupaient les fonctions de secrétaire et secrétaire comptable et qui faisaient office de chef de service en l’absence de candidat. Pour la période suivante, le chaos des dates se justifie par la maladie du directeur qui l’obligeait à prendre des congés thérapeutiques. Ce malaise, inhérent à ce poste, s’exprime d’ailleurs à travers de nombreuses expressions : «nous sommes assis entre deux chaises, pris entre le marteau et l’enclume»30 comme le souligne le résultat d’une enquête menée auprès d’une vingtaine de chef de service. Dans cet article31 , les auteurs concluent qu’une reconnaissance officielle de la fonction de chef de service, impliquant : formation uniforme, diplôme national et statut professionnel, n’est pas suffisante pour lever l’ambivalence. En effet, cela ne résout pas la position qu’il doit, ou qu’on lui permet d’adopter. Héritiers des éducateurs chefs, les chefs de service possèdent encore un statut trouble, un positionnement parfois complexe de cadres intermédiaires. Ils ne sont pas soumis, comme nous venons de le citer, à une formation obligatoire, qui sanctionnerait ce passage à une nouvelle fonction. « Les cadres, chefs de service, sont tantôt rattachés à la catégorie des personnels d’encadrement, tantôt à celle des personnels éducatifs et sociaux, tantôt aux catégories relevant de la direction. Ces différences traduisent bien le mouvement permanent et l’incertitude de positionnement pour cette catégorie regroupée sous le vocable « cadres intermédiaires », tantôt à proximité du terrain et de l’action opérationnelle, tantôt auprès de la direction, voire en situation de suppléance de cette dernière. »32 30 Christian GAU, Jean-Pierre MARTY, Georges SANS .Le chef de service éducatif : de l’ambivalence de la fonction à l’identité de la profession. EMPAN N°5-juin 1991, p.65 31 EMPAN N°5, op.cit 32 Patrick LEFEVRE k. Guide de la fonction chef de service dans les organisations sociales et médicosociales. Dunod. Paris. 2001. p.5 30 « Le chef de service éducatif doit sortir de la position d’intermédiaire pour devenir, le diplôme aidant, un véritable cadre de direction faisant partie de l’équipe de direction avec laquelle il aura à réfléchir, dans le domaine de ses compétences, à la mise en place de la politique institutionnelle »33. Jérome HOUDIN propose de ne pas rester dans l’espace flou de ces cadres intermédiaires mais de l’orienter vers ce qui peut être l’intérêt de cette position : la proximité. « Cette notion semble productive pour actualiser, valoriser et tirer la meilleure efficience de ce type de fonction.»34. Dans le terme d’intermédiaire (du latin inter, entre, et medius, qui est au milieu) il y a une connotation négative que l’on retrouve dans ce que Michel CROZIER appelle « Des cadres-facteurs, se contentant de faire monter et descendre des informations et des décisions »35. Car, avec le terme d’ « intermédiaire » est introduit la notion de « compromis » qui confine à la « compromission », « action, parole par laquelle on est compromis »36 notion piégeante car chargée de connotations négatives. Pourtant le compromis « convention par laquelle les parties, dans un litige, recouvrent à l’arbitrage d’un tiers »37 est donc le résultat d’une négociation, d’un échange qui demande un véritable savoir faire d’autorité négociée. Les cadres intermédiaires devraient être alors reconnus dans une fonction qui assure une jonction, une communication, une transmission. Mais Jérome HOUDIN nous explique que la société n’a conscience que de la connotation négative, car elle a contourné le terme d’intermédiaire pour y substituer celui de médiation. Le débat se trouve également posé pour une seconde raison, celle d’un phénomène d’aspiration. Depuis une vingtaine d’années, les exigences accrues de l’environnement ont fait considérablement évoluer la fonction directoriale, (re) plaçant le directeur dans sa véritable fonction de chef d’entreprise : faire autrement avec moins et si possible mieux. Ce dernier se trouve dès lors beaucoup plus absorbé qu’auparavant par la dimension stratégique, les relations publiques, la communication, mais aussi la gestion. 33 Christian GAU, Jean-Pierre MARTY, Georges SANS .Le chef de service éducatif : de l’ambivalence de la fonction à l’identité de la profession. EMPAN N°5, juin 1991, p.72 34 Les cadres de proximité entre légitimité et désertion. In, Management Sanitaire et Social. Sous la direction de Jérôme HOUDIN, N°7, septembre 2001, p.12 35 Jean-René LOUBAT. Le cadre moderne est avant tout un coach. In, Management Sanitaire et Social. Sous la direction de Jérôme HOUDIN, N°7, septembre 2001, p.27 36 Le PETIT ROBERT.2004, dictionnaire de la langue française. 37 Le PETIT ROBERT.2004, op. cit. 31 Les principales préoccupations managériales du directeur ne se situent plus dans l’établissement mais s’élargissent à un niveau associatif. Il convient de raisonner en termes de projet, de stratégie ; de qualité, de recrutement, de communication. Ce recentrage permet l’abandon de la fonction paternaliste et charismatique que le directeur pouvait occuper auparavant, et crée derrière lui, un appel d’air qui peut être occupé par les chefs de service, qui deviennent alors de véritables adjoints de direction, puisqu’ils sont amenés à remplacer les directeurs dans certaines circonstances. La fonction de chef de service a longtemps constitué un passage, une transition dans une trajectoire professionnelle et un système d’accès à la fonction de directeur. Mais comme l’écrit Patrick LEFEVRE : « cela n’est plus complètement le cas aujourd’hui dans la mesure où tous n’accèdent pas au métier de directeur et que peu à peu se sont esquissées une légitimité durable et une surface identitaire des chefs de service. Cela s’explique aussi par le fait que la complexification du secteur a engendré une configuration nouvelle des cadres au sein des équipes de direction, que par ailleurs la socialisation professionnelle de ces acteurs a développé leurs compétences au-delà de leurs qualités professionnelles en en faisant des cadres de direction dotés d’une délégation tant stratégique que technique. »38 Nous conclurons alors que le statut du chef de service éducatif gagnerait à être conçu dans une position plus stratégique d’élaboration de projets, pour lesquels il devra toujours être extrêmement clair, sur les finalités de son action et de son type de délégation. 2.2 Notre rôle à la MECS A la maison d’enfants, nous occupons le poste de chef de service pour lequel nous avons signé un contrat qui spécifie que « Nous sommes responsable de la bonne marche du service éducatif dans toutes ses dimensions et nous rendons compte de l’ensemble des évènements et informations importants qui doivent être communiqués à la directrice ». Nous recevons du conseil d’administration, la responsabilité d’une tâche, d’une mission, d’un service pour lesquels nous devons rendre compte à la directrice ; nous n’avons pas de délégation. Il est noté dans le contrat de la directrice qu’ «elle peut, 38 Patrick LEFEVRE. Guide de la fonction chef de service dans les organisations sociales et médicosociales. Dunod. Paris. 2001. p.6. 32 sous sa responsabilité, déléguer certaines de ses attributions à des membres qualifiés du personnel après approbation du conseil…La directrice est responsable de la mise en œuvre permanente des actions éducatives, médicales, pédagogiques ou techniques pour lesquelles l’établissement est autorisé. Notamment, elle élabore, après consultation de son équipe, les projets pédagogiques et thérapeutiques dont elle est le garant ». Nous sommes bien dans le cas de figure où la directrice dispose de toutes les délégations de pouvoir du conseil d’administration pour gérer l’établissement. Elle en assume la responsabilité générale. Au sein d’une équipe de direction, le directeur et le chef de service occupent un espace commun qui configure d’ailleurs l’espace de direction. Au-delà, chacun doit pouvoir se situer dans une responsabilité propre, même si celle du directeur sera toujours existante en ce qui concerne la délégation faite au chef de service. Dans notre rôle de cadre intermédiaire, nous ne pouvons agir une délégation claire que si nous-même nous disposons d’un cadre clair avec des données précises. D’après le PETIT ROBERT, « déléguer », mot dérivé du latin « delegare », signifie « Charger quelqu’un d’une fonction, d’une mission en transmettant son pouvoir ». Mais la responsabilité finale de cette mission revient à celui qui a délégué : « la délégation est une forme d’organisation et de répartition du pouvoir. Elle englobe le fait de contrôler ce qui peut être délégué »39 C’est pourquoi nous pensons que déléguer est la concrétisation de la gestion dynamique du pouvoir au sein de l’établissement. Elle rappelle à chacun qu’il ne peut pas tout faire, qu’il ne doit pas tout faire et plus encore, qu’il ne sait pas tout faire. Le problème essentiel de la délégation est « celui de l’autonomie et du contrôle, deux termes a priori paradoxaux, pour autant essentiels : l’hypothèse étant que la contrainte du cadre de la délégation (la précision sur son étendue …) rend plus libre les acteurs » nous disent Bernard DOBIECKI et Daniel GUAQUERE40. Un directeur ne pourrait dire au chef de service de prendre des responsabilités, de faire preuve d’initiatives, sans préciser de façon formelle le cadre de la délégation. 39 Patrick LEFEVRE. Guide de la fonction chef de service dans les organisations sociales et médicosociales. Dunod. Paris. 2001. p.125. 40 op.cit p.146 33 D’après Jean-René Loubat41, un management charismatique dominé par l’affectif et l’idéologique se caractérise par des réseaux relationnels en étoile qui ne favorisent nullement l’émergence de cadre intermédiaire ; une idéologie du devoir et de la déférence, caractérisée par l’absence d’un organigramme précis42 ; une philosophie de la vérité détenue et entretenue par le leader qui ne procède pas par projet d’action (ce qui exclut tout partage de pouvoir) ; des sous-chefs qui sont adoubés par le père supérieur pour leur qualité d’abnégation mais ne possèdent aucun champ d’initiatives ni délégations véritables : ils sont les voix de leur maître. A la lecture de ces caractéristiques nous évaluons que nous ne sommes pas dans une forme pure de management charismatique, mais notre fonctionnement institutionnel en est encore largement marqué. Dans ce contexte, nous pouvons rapidement être vécue comme perturbatrice des vérités héritées, et par la directrice actuelle qui a occupé auparavant les postes d’éducatrice puis de chef de service, et par la psychologue avec qui le directeur fondateur a restructuré l’établissement en 1992. Notre cadre opérationnel n’est pas très précis, concernant nos logiques d’action indépendantes. Dans notre petite structure le mode de coopération est plutôt sociofamilial et la notion de délégation est difficile à faire valoir comme l’explique Patrick LEFEVRE43. C’est ainsi que nous pouvons énoncer que dans nos fonctions et nos tâches, nous nous trouvons dans une situation de « responsabilité opérationnelle » sans être pour autant en possession d’une pleine « délégation opérationnelle ». Car ce qui différencie la responsabilité de la délégation est que la délégation pose d’entrée la question du niveau d’autonomie de décision et du rendre compte. Notre cadre de travail comme chef de service éducatif se trouve donc dans l’opérationnel. Si, nous étudions notre fiche de poste44 nous constatons qu’elle est divisée en quatre chapitres correspondant à nos responsabilités. Ce sont nos devoirs 41 Jean-René LOUBAT. Le cadre moderne est avant tout un coach. In, Management Sanitaire et Social, Sous la direction de Jérôme HOUDIN, N°7, septembre 2001, p.23 42 Voir annexe 2 43 Patrick LEFEVRE. Guide de la fonction chef de service dans les organisations sociales et médicosociales. Dunod, Paris, 2001, p.6. 44 Voir annexe 3 34 faire. Une première responsabilité appelée « générale » reprend les termes de notre contrat de travail, c’est notre mission légale, notre finalité. Pour la mener à bien, nous avons à notre charge trois autres responsabilités vis-à-vis d’autrui. Une première se situe vers le personnel et comprend trois fonctions spécifiques : Planifier : Il s’agit de planifier les différentes réunions, le prévisionnel des vacances et week-end à venir, l’organisation des week-end et vacances scolaires, les suivis et bilans des enfants en début d’année chez les spécialistes, la mise à jour des informations (téléphone des familles, adresses, calendrier des sorties, permanence de la direction…) Animer : Nous animons les réunions de projets personnalisés et de certaines familles suivant la stratégie de travail définie entre l’éducateur référent, le chef de service et la directrice. Ecrire : Nous prenons des notes et éventuellement rédigeons les comptes-rendus des réunions à thème, des synthèses, des fonctionnements d’équipe, des réunions familles. Nous relisons les comptes-rendus éducatifs. Deux autres fonctions sont communes avec la deuxième responsabilité qui concerne l’extérieur : Gérer : En interne nous gérons les absences du personnel. En externe, tout ce qui concerne l’accueil des stagiaires et le lien avec les travailleurs sociaux référents des services placeurs. Participer : Nous participons à des réunions internes et externes où nous récupérons de l’information et dans lesquelles nous apportons notre regard, depuis notre place de cadre intermédiaire et de représentant de notre établissement. Nous discourons alors, sur le monde dont nous nous occupons avec une représentation, la nôtre. Depuis notre participation plus importante aux réunions d’éducateurs et l’existence d’échanges supplémentaires sur les situations des enfants avec la psychologue, cette fonction a pris de l’importance. Elle interroge sur la place de chaque professionnel et l’enjeu de son discours. Dans notre responsabilité vis-à-vis de l’extérieur, une fonction est spécifique : Collaborer : Elle est spécifiée dans le lien avec nos différents partenaires, puisque la collaboration en interne est inhérente à notre contrat de travail. 35 Une dernière fonction intéresse nos deux types de responsabilités déjà citées, mais également la dernière vis-à-vis de la directrice : Coordonner : Nous coordonnons les passages d’informations à tous les niveaux de l’établissement. Nous nous situons au centre du système de communication : en interne, avec l’ensemble du personnel et la direction ; en externe, avec tous nos partenaires y compris les familles des enfants accueillis. Nous utilisons majoritairement l’écrit (courriers, cahiers de liaison, notes) car les informations orales ne sont pas fiables, nous les utilisons en réunions lorsque le récepteur de l’information peut les prendre en note. Notre coordination est également essentielle avec la directrice pour tout ce qui concerne le fonctionnement des équipes, de l’établissement, les réflexions et orientations, l’ambiance des salariés, les projets en cours ou à venir… Une coordination est demandée également pour les réflexions plus larges sur les orientations et les adéquations des moyens aux besoins des enfants. Elle a lieu au niveau des cadres de l’établissement qui regroupent un cadre opérationnel (le chef de service), un cadre expert (la psychologue), un cadre responsable (la directrice). Ces rencontres avec la directrice et les trois cadres ne sont pas régulières. Elles se font plus à la demande de l’un des cadres et en fonction des évènements. Là, encore, nous nous interrogeons à propos des enjeux de ce lieu de parole. Ainsi, pour mener à bien notre mission, nous devons mettre en oeuvre notre compétence de chef de service éducatif à travers ces sept fonctions principales. Nous utilisons alors tout notre savoir faire d’ancienne éducatrice spécialisée. C’est une obligation pour occuper le poste de chef de service dans la convention de 1966. C’est d’ailleurs, en lien avec notre expérience éducative et notre formation systémique que la directrice nous avait proposé ce poste. Nous avons l’expérience de terrain et nous nous en servons pour étayer les équipes éducatives dans leur travail au quotidien. Dans les tâches attribuées à nos fonctions, nous avons rencontré quelques difficultés, en ce qui concerne l’organisation. Ce travail est surmontable grâce à la mise en place d’une bonne méthodologie et avec le cumul d’une expérience qui permettent une meilleure maîtrise des informations. C’est ensuite des secteurs sensibles aux enjeux institutionnels que nous avons découverts à travers les autres tâches. Le chef de service éducatif doit dépasser 36 l’organisation opérationnelle pour adopter un management stratégique en lien avec le contexte. Il est passé « d’une représentation fonctionnaliste à une représentation constructiviste des organisations dans lesquelles les acteurs doivent traiter et résoudre cognitivement les différentes contraintes et les flux d’informations. »45 2.3 Les enjeux du service éducatif : logiques d’action et conflits de pouvoir. Au regard de notre fonction, nous sommes garante du bon fonctionnement du service éducatif. Autrement dit, nous conduisons les orientations éducatives tout en veillant à ce qu’il n’y ait pas de défaillances. C’est un positionnement de responsabilités pour maintenir l’institution dans une situation idéale. Cette position doit nous permettre de tendre vers l’amélioration des pratiques, en renonçant au règne de la maîtrise et du parfait. Or, dans notre démarche de chef de service éducatif, nous voulons responsabiliser davantage les éducateurs, leur donner plus d’autonomie et plus de moyens pour prendre de la distance avec leur quotidien. Nos options dans les plannings sont portées, tant que possible, vers ce choix. Mais, la direction précédente avait habitué à ce que l’organisation soit planifiée dans ses moindres détails. Par exemple, pour les enfants restant le week-end, les tapisseries des chambres dans lesquelles ils devaient dormir étaient précisées sur le planning. Nous n’avons pas voulu reprendre ce système que nous percevions comme trop cadrant et inhibant. « Le recours répétitif à un pur savoir d’ordre technique précis se révèle par ailleurs irréaliste et aveugle à cause de son idéalisation excessive, vraiment improductive »46. Nous avons voulu par là replacer l’éducateur dans sa fonction de responsable du groupe qu’il gère seul, dans un temps donné, responsable de la dynamique qu’il installe. C’est une nouvelle logique d’action que nous créons, ce qui provoque de l’incertitude par le changement qu’elle nécessite. De plus, ce changement amène à ses débuts plus de dysfonctionnements, car un temps d’adaptation est nécessaire pour faire concorder les actions. 45 Bernard DOBIECKI.Daniel GUAQUERE. Etre cadre dans l’action sociale et médico-sociale. Paris, Seuil, 2001, p.117 46 Sous la direction de Jean-Luc MARTINET. Les éducateurs aujourd’hui. Dunod, Paris, 1999, p.122 37 Dans le domaine de la planification, les règles peuvent sembler claires : c’est programmé et ça marche, ce n’est pas programmé et ça ne peut pas marcher. Lorsque l’établissement fonctionnait de manière assez directive, le responsable était vite trouvé. C’est à travers cette logique rationnelle que la première réaction de la directrice a été de mettre en doute notre fiabilité : nos plannings, notre organisation n’étaient pas assez fins, car des erreurs apparaissaient. La directrice supporte mal que cette autre logique soit mise en œuvre, car elle rend plus compliqué le contrôle de tous et comme elle a la responsabilité globale de l’établissement, elle ne veut pas une institution à l’image défaillante. Dans ce type de situation, quand la directrice interfère dans notre volonté d’établir un accompagnement auprès des éducateurs47, elle ne reconnaît pas nos prises d’initiatives à propos du management des équipes. Nous devons alors prendre en compte qu’au travers de nos fonctions de planification, gestion, animation, écriture, nous devons être bien au clair avec les objectifs institutionnels. Car le choix de planifier de telle ou telle manière va dépendre, dans certains cas, des choix institutionnels que l’on va mettre en priorité. Avec nos fonctions de participation, collaboration et coordination, ce sont les marges de manœuvre, ou le pouvoir faire du chef de service éducatif, qui sont en question. Nous avons relevé dans l’étude de notre fiche de poste que lors de notre participation aux réunions et rencontres, ainsi que lors de notre coordination avec la directrice et la psychologue, les enjeux des différents discours nous interrogeaient, dans le sens où tous les professionnels n’avaient pas la même reconnaissance. C’est ainsi que des situations de conflit existent dans l’interaction entre le thérapeutique et la pratique éducative. En voici un exemple : pour un suivi thérapeutique familial, il était convenu entre la famille et la psychologue que seule la mère viendrait au rendez-vous, pendant que son fils placé vaquerait à ses occupations dans son groupe, à quelques mètres de l’endroit où, avait lieu le rendez-vous. Nous étions informée de cette condition. Quelques heures avant la rencontre, la mère nous appelle au téléphone pour demander l’autorisation d’apporter quelques affaires chaudes à son fils. Avec l’éducateur référent, nous convenons qu’il nous paraît tout à 47 Nous les accompagnons dans leur rôle éducatif pour leur permettre de se responsabiliser dans le suivi des enfants auprès des partenaires extérieurs. 38 fait sain, d’un point de vue éducatif, que la mère ait le souci des premiers froids et profite de sa venue pour équiper son fils. Dans ce système familial existe un réseau compliqué de fonctions qui se renforcent réciproquement et qui cristallisent les relations en rôles stéréotypés au détriment d’expériences et d’informations nouvelles et différenciées, vécues comme trop menaçantes pour l’équilibre familial. Il en découle entre cette mère et son fils une confusion entre l’espace personnel, lieu de définition de chacun à l’intérieur de soi, et l’espace interactif, lieu des échanges négociés avec l’extérieur. Dans la logique de la psychologue systémicienne, le lieu de rencontre thérapeutique avec cette mère lui permet de travailler sur cette séparation effective. En lui faisant vivre cette injonction de « venir sans son fils », elle lui permet d’avancer sur sa capacité de transformation du système familial. Dans la logique éducative, nous répondons favorablement à la demande de la mère pour lui signifier que notre intention n’est pas de nous approprier son enfant. Cette venue est l’occasion d’un espace informel de communication où la famille peut se sentir reconnue et ainsi faire émerger une relation de confiance entre nous et cette mère culpabilisée du placement de son fils. Dans une représentation thérapeutique des choses, la mère avait réussi à nous duper pour voir son fils. A travers les zones d’incertitudes qui « rentrent dans le jeu des acteurs dont elles renforcent ou diminuent l’autonomie et par là le pouvoir »48 nous cherchons à comprendre l’enjeu. L’appel téléphonique de la mère, fait partie des incertitudes, dans cette situation, un élément nouveau que nous devons intégrer. Ce que nous avons fait. Dans notre jeu d’acteur éducatif nous n’avons pas de technique, mais nous nous inscrivons dans l’évènement qui est à créer tous les jours. Alors que le thérapeutique ne veut pas d’autre mandat que la demande du sujet. Ils ne travaillent que sur ce que leurs patients veulent bien leur fournir. Or dans ce cas précis, la cliente devait venir à la rencontre thérapeutique, en respectant l’injonction qui permettait de la faire avancer dans son lien avec son fils. Ce qui n’a pas pu avoir lieu, du fait, de la logique éducative qui est venue s’interposer. 48 Philippe BERNOUX. La sociologie des organisations : Initiation théorique suivie de douze cas pratiques. Paris, Seuil, 1985, p.149 39 Dans le fonctionnement de notre institution, la conception de l’accueil de l’enfant s’appuie sur un projet global qui définit les grands axes de la prise en charge éducative et thérapeutique en lien avec les attendus du placement : Concernant le thérapeutique, des aides sont mises en place face à des difficultés particulières constatées chez un enfant : séances de psychomotricité, orthophonie. Quant à la psychologue de l’établissement, nous rappelons qu’elle intervient à plusieurs niveaux : elle fait partie des cadres de la direction et à ce titre, elle est consultée sur un grand nombre de questions institutionnelles comme l’orientation des enfants, mais aussi sur les stratégies à adopter envers le personnel. Et elle effectue, pour tous les enfants, un bilan systématique, une à deux fois par an. Ce bilan a une visée d’aide à l’élaboration du travail éducatif qui, faute de concept, n’a pas de discours propre. Il emprunte tout aux autres disciplines (psychologie, sociologie, psycho-sociologie…). Certains enfants sont suivis une fois par semaine en entretiens psychologiques de soutien après l’évaluation du bilan. Des suivis d’entretiens familiaux sont systématiquement proposés à toutes les familles. Concernant le travail éducatif, il vise à inscrire le sujet dans une structure normée, il est axé sur le développement de l’autonomie matérielle et corporelle. Les enfants sont encadrés, comme nous l’avons déjà dit, par des éducateurs spécialisés ou moniteurs éducateurs, et des maîtres et maîtresses de maison, qui font parties intégrantes de l’équipe éducative, puisqu’à travers leurs tâches, ils sont impliqués dans l’élaboration du projet personnalisé qui définit les objectifs éducatifs pour chaque enfant dans les différents domaines : scolarité, loisirs, famille…La finalité est de sauvegarder et mettre en œuvre le droit à l’éducation des enfants accueillis en collaboration avec leurs familles. Les éducateurs rencontrent régulièrement les familles autour du projet de l’enfant avec la directrice et/ou le chef de service. Les rencontres avec les familles qui peuvent être facultatives dans le cadre thérapeutique et, dans le cadre éducatif, imposées, doivent être différenciées afin de ne pas perdre de leur cohérence auprès des familles. Cette distinction, dans la théorie, s’opère par un contenu thérapeutique lors des rencontres avec la psychologue et par un contenu éducatif lors de rencontres qui s’appuient sur les projets personnalisés des enfants. Dans leur réalité, les difficultés des familles restent les mêmes, qu’elles soient 40 avec une psychologue ou un éducateur. Pourtant dans notre établissement, tous les professionnels ont une formation à l’analyse systémique, outil performant dans ce type de rencontre qui pourrait faciliter la communication mais qui au contraire rajoute de la rivalité entre les deux pratiques. La baisse de participation aux entretiens familiaux psychologiques49 est trop récente pour avancer une hypothèse, mais si elle devait se confirmer, la direction estime que les rencontres dans le cadre éducatif, font trop souvent barrage pour accéder au thérapeutique. La participation aux deux types de rencontre multiplie les rendez-vous des familles, mais lorsqu’ elles éprouvent un réel désir de sortir de leur situation de crise, elles font l’effort de venir. L’autre explication se trouverait dans le travail autour des projets personnalisés des enfants qui apporte beaucoup d’éléments qui permettent de faire évoluer les situations familiales. De ce fait, les familles ne ressentiraient pas le besoin d’aller plus loin dans leur mise au travail en rencontrant également la psychologue. Nous constatons que la circularité n’existe pas vraiment entre le thérapeutique et l’éducatif qui bénéficie de l’éclairage théorique de la psychologue sans que les éducateurs puissent pour autant partager leur pratique quotidienne, en retour. Le contenu des rencontres thérapeutiques demeurant secret par respect déontologique, un échange sur les rencontres avec les familles reste superficiel. Et enfin, entre le thérapeutique dont la visée dominante est d’analyser les émotions et, la visée éducative qui met en œuvre des moyens propres à assurer le développement d’un être humain, en s’appuyant sur ses compétences, la distinction est marquée dans les discours respectifs. Ils engagent des représentations dans des perspectives différentes. « Disons que psychiatres et éducateurs prenaient le processus éducatif en sens rigoureusement inverse et ne pouvaient donc pas s’entendre »50. Chaque discours emprunte à sa vision des moyens nécessaires pour assurer le fonctionnement de l’ensemble, comme nous l’explique Philippe BERNOUX : « cette vision différente entraîne des stratégies pas toujours concordantes. Il y a conflit de pouvoir. »51 C’est bien ce type de conflit qui 49 En 2004-2005, 5 familles sur 18 ont accepté ces suivis, en 2005-2006 seulement 3 familles adhèrent à ce travail. 50 Jacques DONZELOT. La police des familles : postface de Gilles DELEUZE. Paris, les éditions de minuit, 1977, p.130 51 Philippe BERNOUX. La sociologie des organisations : Initiation théorique suivie de douze cas pratiques. Paris, Seuil, 1985, p.156 41 existe dans notre établissement entre le thérapeutique et l’éducatif. Devant cette situation de conflit, nous avons tenté de faire appel à l’autorité pour le résoudre. Car, à son niveau, la directrice dispose d’un pouvoir formel avec une autonomie de décision. Pour Philippe BERNOUX, la définition du pouvoir est la suivante : « le pouvoir de A sur B est la capacité de A d’obtenir que, dans sa relation avec B, les termes de l’échange lui soient favorables ». Il n’en est pas de même pour la psychologue qui n’a pas de position hiérarchique au-dessus de la nôtre. Elle est comme nous, soumise à l’autorité de la directrice, laquelle a souhaité rester à l’écart de notre différent, mais nous a recommandé d’être particulièrement vigilantes à ne pas reproduire ce type de situation. Dans l’organisation d’un établissement, les chefs de service éducatif sont garants du bon fonctionnement de l’éducatif. Ainsi, les chefs de service éducatif composent avec plusieurs acteurs, ils sont donc en présence d’autres logiques qui peuvent entraver leurs fonctions. Or, les dysfonctionnements sont fréquents quand les choix éducatifs sont sujets à discorde ou que les choix stratégiques du chef de service éducatif ne sont pas reconnus. D’après la sociologie des organisations, c’est le concept de légitimité qui aiderait à réguler ces relations de pouvoir. C’est pourquoi d’une manière plus générale nous nous interrogeons sur la légitimité du chef de service éducatif dans une MECS. D’où la question centrale de ce travail de recherche : Qu’est ce qui permet au chef de service éducatif de construire sa légitimité dans une MECS ? 42 3 : Construction d’une légitimité 3.1 Les concepts de légitimité, pouvoir et autorité Il existe une interrogation entre les compétences attendues dans notre fonction de chef de service éducatif et nos choix stratégiques qui ne sont pas validés. Notre cadre opérationnel ne permet pas que notre discours éducatif soit reconnu, ce qui nous conduit vers du conflit de pouvoir. Le concept de légitimité aiderait à réguler ces relations de pouvoir et à obtenir un travail de collaboration entre les différents acteurs dont est responsable pour une grande part le chef de service éducatif dans ses fonctions. Nous allons donc tenter de donner une définition de la légitimité, puis d’analyser les fondements de sa construction. « Le terme de légitimité évoque le fondement du pouvoir et la justification de l’obéissance qui lui est due. »52 L’étymologie de « légitimité » du mot latin désignant la « loi », « lex, legis », a donné « legitimus » : « conforme à la loi ». Cette racine fournit une première approche qui a évolué depuis. A la fin du Moyen Age selon les affirmations des théories des droits naturels, la légitimité peut, ou non, s’opposer à la notion de légalité pour signifier la qualité de ce qui est tenu pour juste. Alors que la légalité est l’expression des règles et des principes qui sont acceptés ou non par les gouvernés selon la hiérarchie des valeurs qu’ils effectuent, la légitimité a une dimension relative. Si c’est légal, nous sommes 52 source : Encyclopédie Universalis multimédia 43 dans la contrainte, et ce n’est plus obligatoirement légitime. Les deux termes ont dû se distinguer dès lors que l’histoire a fait la preuve qu’un ordre pouvait être légal, mais injuste. Dans une maison d’enfant, il est interdit par la loi de donner des claques aux enfants. Le règlement de vie de la maison d’enfants confirme bien cet interdit légal. Si, dans la prise en charge de certains enfants, un adulte donne une claque, ne trouvant pas d’autres moyens pour mettre fin à la violence verbale d’un jeune, cet adulte est alors dans la légitimité de défense mais il n’est plus dans la légalité. Notre poste de chef de service est bien légal au regard des règles de la convention nationale de 66, de l’habilitation de l’établissement avec son personnel pour l’organisme financeur, de notre contrat de travail. Dans le champ de la sociologie des organisations, la légitimité est définie de la façon suivante : « Il n’y a pas de pouvoir sans légitimité, c'est-à-dire sans acceptation par l’exécutant de la domination exercée par l’autorité investie du pouvoir formel. »53 C’est le fait que l’inférieur accepte d’obéir aux ordres du supérieur. Nous constatons qu’en sociologie les frontières de la légitimité sont proches de celles du pouvoir et de l’autorité. Si nous allons plus loin dans notre exemple à propos de la claque : suite à ce type d’évènement, la famille prévenue de l’altercation est en droit de porter plainte contre l’établissement. Le directeur peut alors utiliser son pouvoir légal pour mettre une sanction à l’adulte responsable qui reconnaîtra son erreur et la légitimité de la sanction, dans la mesure où le directeur agit pour que l’adulte ne soit plus la cible de propos diffamatoires, sinon la sanction pourrait être vécue comme un abus de pouvoir autoritaire. Ces termes sont des concepts sociologiques dont l’élaboration est souvent associée au sociologue allemand Max Weber (1864-1920). Celui-ci distingue trois types idéaux de domination légitime : La légitimité traditionnelle qui repose sur la croyance dans le caractère sacré des coutumes et dans la légitimité des gouvernants. La légitimité charismatique qui trouve sa source dans la croyance aux qualités exceptionnelles d’un individu et en la nécessité de se soumettre à l’ordre qu’il a créé. 53 Philippe BERNOUX. La sociologie des entreprises. Paris, Seuil, 1995, p.116 44 La légitimité rationnelle-légale a pour fondement la croyance dans la légalité des règles établies et dans la légitimité de ceux qui assurent cette domination conformément à la loi.54 Le concept de légitimité englobe bien les deux autres concepts de pouvoir et d’autorité qu’il nous faut à leur tour analyser. Pour Max Weber, le pouvoir trouve ses deux sources dans la légitimité et dans la contrainte. Nous trouvons comme définition du pouvoir en sociologie : « capacité, au sein de relations sociales asymétriques, d’exercer une emprise ou une influence sur des individus »55. Le pouvoir est la capacité de faire agir une autre personne. Il se situe dans une relation d’obéissance et nous choisissons de le réserver à la fonction des dirigeants. C’est un concept qui se situe dans la hiérarchie lui donnant la capacité de faire obéir. Dans notre exemple de conflit de pouvoir, le conflit se situe entre deux instances qui n’ont pas la même approche de l’enfant et surtout qui n’ont pas de relation hiérarchique entre elle. Cette situation reste stérile quand les deux parties jouent de leur influence du côté du pouvoir pour casser le travail de l’autre. Un autre moyen pour faire agir des individus est l’autorité. Elle fait partie des sources de la capacité à faire obéir, mais contrairement au pouvoir, que l’on soit dans une relation hiérarchique, ou pas. Etymologiquement, autorité dérive du verbe latin « augere » qui signifie augmenter, c’est l’art de diriger et de manager. A de l'autorité celui qui est capable de faire agir un groupe en bien ou en mal. À partir d'Hannah ARENDT, on pourrait définir l'autorité comme l'obéissance volontaire de quelqu'un sans qu'il soit nécessaire de mettre en place une coercition externe. L’autorité ne découle pas forcément d’une relation égalitaire car « l’autorité implique une obéissance dans laquelle les hommes gardent leur liberté »56. En ce qui nous concerne dans notre établissement, notre position de chef de service, qui est posée comme étant au-dessus des éducateurs, fait autorité auprès des enfants. Lorsque certains enfants enfreignent les règles de vie de leur groupe, les éducateurs interviennent pour leur permettre de les 54 Source dictionnaire de sociologie. Sous la direction de Raymond BOUDON, Larousse, Aubin imprimeur, Poitiers, 1989, p.114 55 Dictionnaire de sociologie. LE ROBERT, Seuil, 1999, p.581 56 Hannah ARENDT. La crise de la culture : Huit exercices de pensée politique, Gallimard, 1972, p.136 45 intégrer. Par exemple un enfant qui va manquer de respect à un autre enfant, ou un adulte, sera vu par les éducateurs pour un rappel à l’ordre. Il sera alors puni et devra réaliser une réparation envers la personne offensée. Mais suivant la gravité des faits et/ou leurs circonstances, il sera décidé que l’enfant doit être vu par le chef de service éducatif qui lui rappellera alors les règles institutionnelles. Si avec l’équipe éducative, nous le jugions nécessaire, l’enfant pourrait être vu par la directrice. C’est dans un accord et un arbitrage entre les éducateurs, le chef de service et la directrice que va se décider comment on peut aux yeux des enfants, asseoir la légitimité de la punition. Ici, l’autorité n’est pas liée au pouvoir hiérarchique qui permet alors de renforcer son importance. De cette analyse des concepts il découlerait que soit nous jouons de pouvoir et d’autorité ce qui rendrait un conflit sans fin, soit nous reconnaissons à l’autre le droit de penser différemment. Les deux concepts de pouvoir et d’autorité sont donc bien du côté de la contrainte, de la persuasion alors que la légitimité est du côté de l’acceptation. Il faut que les deux parties trouvent un accord, une entente qui réponde à ce type de situation. Pour que cet accord soit réalisable, il est indispensable que la légitimité de chaque partie soit reconnue. 3.2 Etat des lieux des légitimités Dans les deux premiers chapitres, nous avons pu relever que, si la construction identitaire des MECS avait pu s’élaborer à travers les aléas historiques, sociaux, éducatifs et politiques, il n’en était pas de même pour la reconnaissance du métier de chef de service éducatif. Nous insistons sur l’utilisation du terme de « métier » plutôt que celui de « profession » pour un chef de service éducatif ou un éducateur car « Si les deux termes sont couramment employés l’un pour l’autre, il est cependant utile de les distinguer en vue de la réflexion sur les légitimités. Tous les métiers (savoir-faire) ne sont donc pas des professions ou plus exactement, tous les métiers n’acquièrent pas 46 le statut de profession ».57 Une profession, comme celle de médecin, notaire, ingénieur, a ses propres lois qui lui permettent de valider et éventuellement de sanctionner ses membres. Une profession détient sa propre légitimité qui lui vient par sa reconnaissance professionnelle. « Aux trois types idéaux de légitimité proposés par Max Weber, les sociologues contemporains en ajoutent un quatrième, celui de la légitimité fondée sur l’expertise et connue sous le nom de légitimité professionnelle. Compte tenu des progrès de la technologie et de la division sociale du travail plus poussée dans de nombreuses sociétés contemporaines, certaines personnes peuvent obtenir un niveau de légitimité en raison de l’acquisition d’un savoir plus spécialisé et plus important que les autres. « Ainsi, dans un domaine tel que la science, les médecins tirent une certaine légitimité de leur niveau d’expertise. »58 Les psychologues ont une légitimité professionnelle, leurs connaissances sont très attendues dans le milieu éducatif qui peut élaborer à partir de cet éclairage de spécialiste, voire d’expert. Dans notre établissement, cet apport psychologique est renforcé et indispensable au vu de l’aggravation de la santé psychique des enfants accueillis. Depuis l’année 2002, le besoin en suivi psychologique, après une augmentation conséquente, reste identique. Voici le tableau récapitulatif des enfants bénéficiant d’un suivi psychologique ces dernières années : Années scolaires 1998-1999 Nombre d’enfants en Suivi interne 16 enfants Nombre d’enfants en Suivi externe 3 enfants Total sur 24 enfants 19 enfants 2002-2003 20 enfants 3 enfants 23 enfants 2003-2004 21 enfants 3 enfants 24 enfants 2004-2005 21 enfants 3 enfants 24 enfants 2005-2006 21 enfants 3 enfants 24 enfants Nous ne pouvons pas faire le même constat de légitimité dans notre métier de chef de service, comme nous l’avons expliqué dans le chapitre 2. 57 58 Hélène HATZFELD. Construire de nouvelles légitimités en travail social. Paris, Dunod, 1998, p.13 Encyclopédie Encarta. 2003, Microsoft Corporation. 47 Hélène HATZFELD s’est inspirée des travaux de Max WEBER en les adaptant à la pratique du travail social, dans laquelle il est possible de distinguer trois types de légitimité correspondant aux situations le plus fréquemment rencontrées.59 Une légitimité institutionnelle : à caractère formel, fondée sur des règles de droit. C’est l’appartenance à l’institution et possibilité de la représenter. Une légitimité démocratique, fondée sur le soutien du peuple et de manière courante sur une partie de celui-ci. Son idéal est celui de l’union, de la société intégratrice. Une légitimité de compétence, fondée sur un ensemble de connaissances théoriques et pratiques, et de capacités relationnelles permettant de caractériser une situation de formuler des propositions adaptées pour la résoudre. Ces types de légitimité se rencontrent rarement seules. Elles entretiennent des rapports étroits, cherchant à renforcer leur valeur en s’imbriquant. Une situation donnée peut permettre d’accéder à plusieurs types de légitimité. Comme lors du pilotage d’un projet, le fait de le mener constitue une légitimité démocratique et le fait d’atteindre l’objectif, une légitimité de compétence. A travers ces trois grands types de légitimité du travailleur social évoqués par Hélène HATZFELD, on peut donc conclure, en ce qui concerne les légitimés, qu’on peut être légitimé à l’égard de l’établissement, et ne pas l’être vis-à-vis des liens avec les collègues, ou des compétences. Au regard de notre place dans la maison d’enfants, notre légitimité institutionnelle a été acquise rapidement, à ce titre nous disposons d’un pouvoir légal, l’appellation de chef de service étant bien repérée dans le contexte social. Notre légitimité démocratique s’est construite par une reconnaissance de notre personne, de nos valeurs. Le facteur temps a été important. Nous devons être vigilante à la maintenir, en signifiant notre volonté d’être à l’écoute et juste envers chacun pour étayer l’équipe, à être claire dans nos objectifs et porteuse de projets. C’est la légitimité de compétence qui est plus difficile à valider en toutes circonstances, nos propositions pour résoudre une situation n’étant pas retenues. Et pourtant sans cette légitimité de compétence, les autres légitimités restent faibles. 59 Hélène HATZFELD. Construire de nouvelles légitimités en travail social, Paris, Dunod, 1998, p.118 48 Nous sommes alors au vif de notre questionnement : comment le chef de service peut-il valider sa légitimité de compétence ? Selon Philippe BERNOUX, sa validation renvoie à deux types de difficultés : « La première est de savoir ce que l’on entend par résolution des problèmes cruciaux… L’expertise confère du pouvoir si elle est liée à une situation stable et reconnue dans l’organisation. »60 Il convient donc de parler de compétence éducative car dans les institutions, l’expertise demandée au chef de service est de l’ordre de l’éducatif. « La seconde question posée par l’expertise concerne l’adhésion du groupe aux conclusions de l’expert. Celui-ci peut bien proposer de bonnes solutions. Si ceux qui sont chargés de les mettre en application ne les acceptent pas, elle resteront lettre morte »61 Au regard de cette seconde question, ce n’est pas la qualité de nos logiques éducatives que nous devons interroger mais davantage la capacité de les faire accepter. 3.3 Logiques collectives en interaction Nous pouvons alors poser la question : pourquoi la légitimité éducative du chef de service éducatif serait-elle reconnue ? Poser cette question revient à poser celle de la source de la légitimité dans les organisations. Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG en énumèrent quatre, d’après Philippe BERNOUX : « La première, la plus immédiatement perceptible, est celle qui tient à la possession d’une compétence ou d’une spécialisation fonctionnelle difficilement remplaçable. L’expert est le seul qui dispose du savoir faire, des connaissances et de l’expérience du contexte qui lui permettent de résoudre certains problèmes cruciaux pour l’organisation. »62 Nous avons abordé cette question lorsque nous avons expliqué la différence entre le métier et la profession et la difficulté inhérente au statut du chef de service qui n’avait pas un métier d’expert. La deuxième source réside dans la maîtrise des relations avec l’environnement. « C’est le fameux marginal sécant de Michel CROZIER : partie prenante dans 60 Philippe BERNOUX. La sociologie des organisations : Initiation théorique suivie de douze cas pratiques. Paris, Seuil, 1985, p.163 61 Philippe BERNOUX. op.cit. p.164 62 Philippe BERNOUX. op.cit., p.162 49 plusieurs systèmes d’action en relation les uns avec les autres ».63 Les postes de chef de service en MECS ne sont pas concernés par cette source, leur fonction ne les plaçant pas dans différentes organisations. La troisième source proche de cette dernière est la communication. « La communication d’information a toujours une grande valeur stratégique. Elle s’effectue donc en fonction des objectifs des individus et de ceux qu’ils prêtent à leurs correspondants. » Comme nous l’avons dit, les chefs de service éducatif coordonnent les passages d’informations à tous les niveaux des établissements. Ils sont au centre du système de communication avec l’ensemble du personnel et la direction, ainsi qu’avec les familles des enfants accueillis et tous les partenaires extérieurs. L’utilisation des différents supports de l’écrit aide à des informations plus fiables qu’avec l’oral. Les apports de formations, comme en systémie, management ou en médiation, permettent de travailler sur un positionnement facilitant la communication stratégique. Dernière source de légitimité répertoriée par nos auteurs : « l’utilisation des règles organisationnelles. Les membres d’une organisation sont d’autant plus gagnants dans une relation de légitimité qu’ils maîtrisent la connaissance des règles et savent les utiliser. » Les chefs de service éducatif, à travers les plannings, les horaires, instaurent et utilisent un grand nombre de règles qu’ils peuvent maîtriser grâce à la mise en place d’une bonne méthodologie et avec le cumul d’une expérience qui permet une meilleure anticipation. A travers cette analyse des sources de la légitimité nous pouvons conclure que la légitimité de chef de service éducatif découle de deux des sources envisagées. La source qui reste la plus difficile est pourtant la plus centrale tient à la possession d’une spécialisation fonctionnelle. Les travaux de Philippe BERNOUX apportent un éclairage intéressant à ce sujet : l’auteur affirme en effet qu’« une logique d’action naît du sens que l’individu donne à l’action qu’il entreprend, dépendant de la situation d’action. »64 mais aussi que « le concept de logique d’acteur65 est 63 Philippe BERNOUX. La sociologie des organisations : Initiation théorique suivie de douze cas pratiques. Paris, Seuil, 1985, p.165 64 Philippe BERNOUX. La sociologie des entreprises. Paris, Seuil, 1995, p.250 50 développé surtout par Renaud SAINSAULIEU, qui l’utilise pour expliquer certaines réactions collectives de différents groupes à base professionnelle, créant ou défendant leur identité dans l’entreprise… Les logiques d’acteur sont des attitudes de groupes sociaux fondées sur une culture née de la pratique du travail et des relations de travail d’une part, de la difficulté d’accéder au pouvoir de l’autre. ».66 Nous comprenons alors que le chef de service éducatif pourrait faire reconnaître sa compétence en s’appuyant sur une logique collective. Les compétences du chef de service éducatif peuvent être acceptées si elles sont portées par une logique collective, c'est-à-dire une logique de l’équipe éducative. Or, Renaud SAINSAULIEU67 explique qu’il existe quatre modalités principales d’accès à la reconnaissance de soi et des autres donc à une identité collective qui renforce l’assurance des logiques professionnelles : 1-« La plus ancienne qui est celle de l’appartenance ». Le salarié est reconnu car il appartient à telle maison. Dans notre milieu social, cette appartenance est reconnue lorsqu’il s’agit d’associations qui ont réputation sur leur secteur. Notre établissement est reconnu car son travail avec les familles est apprécié par les travailleurs sociaux référents qui en informent les tutelles. 2-« Une deuxième, tout aussi ancienne, repose sur la réalisation d’une œuvre individuelle ou collective ». La maison d’enfants cultive cet aspect et revendique son action innovante de travail avec les familles mise en place dès 1992, lors du nouveau projet d’établissement. Cette dynamique est poursuivie par la directrice actuelle qui est soutenue par le conseil général dans l’ouverture de nouvelles structures. 3-« La troisième expérience identitaire correspond à une réalité de trajectoire. Elle porte sur ce que l’individu a fait de sa vie en matière de promotion hiérarchique mais aussi en termes de mobilité géographique ou fonctionnelle. »L’équipe éducative de la MECS est composée à 70 % (5 éducateurs sur 7) de personnes qui n’ont que très peu (stages de formation) voire pas d’autres expériences que la maison d’enfants. 65 Nous précisons que Philippe BERNOUX préfère utiliser le terme de logique d’action d’après le principe que l’action crée l’acteur. Avec l’action une évolution est possible ce qui n’est pas inclus dans une stratégie d’acteur qui serait prédéterminée par son histoire. 66 Philippe BERNOUX. La sociologie des entreprises. Paris, Seuil, 1995, p.257 67 Renaud SAINSAULIEU. Comprendre les organisations : Culture et identité : La construction des identités au travail. In, Sciences humaines, hors série, mars-avril 1998, p.41 51 4-« La quatrième renvoie à la résistance contre toute forme de domination imposée dans le travail. L’individu est reconnu pour sa capacité et son courage à dire non, je ne suis pas d’accord dans une situation ». Et comme nous l’avons souligné avec Jean-René LOUBAT68, dans une institution où le charisme est dominant, les éducateurs ne peuvent mettre en oeuvre que de faibles ressources stratégiques car ce type d’institution procède de la logique d’action qui décline du chef d’établissement. Le type de collaboration demandé à la MECS est de type participatif, les décisions sont présentées comme prises en commun. Les situations de conflits ou de débats sont évitées. Il semblerait donc, d’après Renaud SAINSAULIEU, qu’il serait possible de faire reconnaître la légitimité éducative en développant une logique collective. Dans notre établissement, cette logique de l’équipe éducative apparaît faible du fait du peu d’expérience des éducateurs. Le chef de service éducatif, qui n’a pas la responsabilité du recrutement du personnel, n’a pas la maîtrise de cet impact de l’expérience sur l’identité professionnelle. Par contre, la quatrième modalité d’accès à une identité collective, qui se trouve dans la capacité de l’équipe à prendre des positions déterminées, lui est accessible69. Il peut, dans sa fonction, aider les éducateurs à affirmer leur point de vue, au risque de se confronter à d’autres idées, car c’est de la confrontation que se développera leur reconnaissance. Ce qui nous permet de faire le lien avec une légitimité éducative qui doit se construire dans une interaction mettant en jeu des logiques différentes, éducatives, thérapeutiques… Ce constat nous mène à élaborer l’hypothèse suivante : «La légitimité du chef de service éducatif dans une MECS repose sur sa légitimité éducative qui n’est reconnue que si la logique éducative s’articule avec les autres logiques en présence. » 68 Jean-René LOUBAT. Le cadre moderne est avant tout un coach. In, Management Sanitaire et Social, sous la direction de Jérôme HOUDIN, N°7, septembre 2001, 69 Dans le cadre de notre projet d’action demandé pour la formation du DSTS, nous avons réalisé l’adaptation des projets personnalisés de la maison d’enfants. Nous avons permis à l’équipe éducative d’affirmer ses valeurs et ses objectifs éducatifs à travers l’élaboration d’une nouvelle grille d’observation établie d’après un référentiel d’observation des compétences sociales (ROCS de Jacques DANANCIER. 1998. Le projet individualisé dans l’accompagnement éducatif. Paris, Dunod.) 52 Conclusion Dans cette première partie, nous avons vu que l’évolution des MECS s’est réalisée en lien avec l’histoire des contextes socio-politiques. Leur émergence se situe dans le bénévolat et la charité, puis évolue vers le devoir de protection, pour aboutir aux droits de l’enfant et sa famille. A travers les siècles, la considération et la représentation de l’enfant et de ses besoins ont considérablement évolué. Les MECS ont vu le jour puis ont dû s’adapter aux évolutions de nouvelles conceptions éducatives. Leur ouverture vers l’extérieur a été une première fois salvatrice. Aujourd’hui, c’est une grande adaptabilité qui leur est nécessaire pour actualiser le processus de leurs prises en charge. Avec la loi 2002, le processus doit s’inverser. Ce ne sont plus les familles qui s’adressent aux institutions en fonction de leurs besoins. Elles doivent être au centre des préoccupations des structures qui s’adaptent à la mesure des besoins. L’histoire de la MECS pour laquelle nous travaillons illustre bien cette épopée. La présentation de son fonctionnement nous révèle que, même si elle a su s’adapter aux exigences toujours plus accrues de son contexte, la réalité de son organisation interne actuelle présente quelques incohérences. Nous avons continué à poser le contexte de notre recherche avec les particularités inhérentes au poste de chef de service et les enjeux de l’éducatif de l’établissement dans lequel nous travaillons. Le poste de chef de service a un statut trouble, un positionnement parfois complexe de cadre intermédiaire. Les chefs de service éducatif ne sont pas soumis à une formation obligatoire : équipés de leur expérience de terrain, ils doivent passer à l’organisation et la planification. Dans notre poste, nous sommes responsable du bon fonctionnement du service éducatif. Nous sommes dans une situation de responsabilité opérationnelle qui se différencie de la délégation opérationnelle qui demanderait que soit posée d’entrée la question du niveau d’autonomie. Dans ce cadre opérationnel de notre fiche de poste, de nos devoirs faire de chef de service éducatif, nous utilisons tout notre savoir faire. Nos compétences acquises par l’expérience, nos formations et une méthodologie nous permettent d’étayer les équipes éducatives. Nous observons alors que nos choix 53 stratégiques dépendent dans certains cas, des priorités institutionnelles. Ce constat demanderait un dialogue qui n’est pas toujours possible. A travers l’exemple de la confrontation des logiques entre le thérapeutique et la pratique éducative, nous mettons en évidence un conflit de pouvoir. Dans ce type de situation, une entente n’est plus envisageable. Nous nous confrontons alors à notre légitimité de chef de service responsable opérationnel qui n’est pas validée. Nous nous situons dans le champ de la sociologie des organisations qui définit la légitimité par le fait qu’une personne accepte d’obéir aux ordres. En poursuivant la déconstruction de ce concept, étroitement lié à ceux du pouvoir et d’autorité, nous arrivons au constat que si l’autorité n’est pas dans la hiérarchie, contrairement au pouvoir, ces deux concepts restent du côté du faire faire à la différence de la légitimité qui, dans un cadre de hiérarchie ou non, se trouve dans la capacité à faire accepter. Dans notre exemple, pour mettre fin au conflit de pouvoir entre l’éducatif et le thérapeutique, il faut arriver à ce que la légitimité de chaque partie soit reconnue. Les psychologues ont une profession légitimée du fait de leur compétence d’expertise très attendue dans le milieu éducatif. Notre métier de chef de service éducatif en pleine construction identitaire doit aussi faire accepter sa légitimité. Nous explorons alors l’état des lieux de nos légitimités et leurs difficultés à être validées. Ce qui nous amène à la conclusion que c’est la légitimité de compétence qui est la plus difficile à valider et pourtant, sans elle, les autres sources restent faibles. La compétence demandée au chef de service est de l’ordre de l’éducatif. Nous passons ainsi de « légitimité de compétence » à « légitimité éducative ». Nous comprenons que nous pourrions faire reconnaître notre légitimité éducative en développant une logique collective. La logique éducative du chef de service est en lien avec la logique collective des équipes éducatives et ces équipes ont une identité faible comme nous l’expliquons par la typologie de Renaud SAINSAULIEU. La construction de la légitimité éducative du chef de service doit passer par la reconnaissance de la logique de l’équipe éducative car le chef de service doit être perçu comme quelqu’un qui porte l’éducatif, qui le représente. En rendant légitime le travail de cette équipe, il alimente sa propre légitimité qui permet une mise en commun. 54 Deuxième partie Histoires institutionnelles et professionnelles 55 1 : En quête de légitimité et d’articulation de logiques 1.1 L’approche méthodologique Il existe une tension entre les compétences attendues dans notre fonction et les compétences acquises antérieurement qui correspondent mais ne suffisent pas à nous légitimer dans ce poste. Ce constat nous amène à tenter de donner une définition de la légitimité puis d’analyser les fondements de sa construction. Nous avons saisi que notre légitimité se construisait sur notre légitimité éducative, attachée à des logiques collectives que nous partageons avec les éducateurs. Mais cette logique éducative vient se heurter à d’autres logiques, comme celle du thérapeutique, ce qui entraîne des conflits de pouvoir sans fin. Pour que les confrontations ne soient plus des obstacles mais des outils au service de la construction de notre légitimité, nous pensons qu’elle doit être alimentée par une capacité à combiner les différentes logiques entre elle. Pour répondre à la question : Qu’est ce qui permet au chef de service éducatif de construire sa légitimité dans une MECS ? nous avançons l’hypothèse : «La légitimité du chef de service éducatif dans une MECS repose sur sa légitimité éducative qui n’est reconnue que si la logique éducative s’articule avec les autres logiques en présence. » Nous devons apporter des éléments de compréhension quant à cette position. Il est bien certain que cette hypothèse ne peut, à elle seule, apporter une réponse quant à la 56 légitimité du chef de service dans une MECS. Il y a également nécessité de prendre conscience qu’il s’agit d’un métier pour lequel l’appui sur une formation est bénéfique, qu’en dehors des compétences éducatives il faut acquérir des capacités en organisation, rigueur, communication et en connaissance des règles et usages d’une institution. La légitimité doit concerner un ensemble de tâches quotidiennes dans lesquelles chaque secteur a le droit de réagir, de penser. Elle ne doit pas être la justification d’une domination. Si notre hypothèse est confirmée, nous pourrons conclure que les éducateurs dans une MECS participent à la légitimité du chef de service éducatif quand il y a une articulation de la logique éducative avec les autres logiques. La seconde partie de notre recherche nous permet de vérifier sur le terrain le bien fondé de notre propos et de pouvoir ainsi tester notre hypothèse. Nous sommes allée à la recherche de la légitimité de chef de service, la reconnaissance des logiques éducatives, le contrôle des zones d’incertitudes, les conflits de pouvoir. Au regard de l’inter-dépendance entre les différents secteurs qui peuvent être compris dans une MECS nous avons choisi de nous rendre dans des établissements qui sont du même modèle que celui dans lequel nous travaillons. En effet, la place de l’éducatif en tant que spécialité est plus ou moins légitimée suivant les autres domaines en présence dans l’institution. Une institution qui comprend, au sein de son projet, un secteur éducatif et d’autres secteurs, comme l’enseignement ou le médical, connaît des tensions, des conflits de pouvoir qui vont influencer le degré de légitimité de chaque partie. C’est pourquoi nous avons fait le choix préalable que ces MECS soient composées uniquement de groupes éducatifs dont les enfants sont scolarisés à l’extérieur. D’autre part, elles doivent disposer d’un poste de psychologue et hiérarchiquement être composées d’un directeur et d’un chef de service, la présence d’un autre cadre intermédiaire est un critère de non sélection. Dans une liste régionale des MECS, nous avons sélectionné celles qui sont situées hors du département dans lequel nous travaillons, pour éviter d’éventuelles interférences avec nos partenaires institutionnels. Parmi celles que nous avions sélectionnées, nous 57 nous sommes fixé d’en retenir deux comme lieux d’investigation. Nous en avons interrogé 18 par téléphone sur la composition de l’équipe de direction, sur l’age de la population accueillie et sur la présence ou non d’une école en interne. Lors de cette première prise de contact, nous en avons éliminé 14, pour lesquelles au moins un des critères ne correspondait pas à notre choix préalable. Pour les quatre restantes, nous avons demandé à parler au directeur. Un des directeurs peu enclin à investir du temps dans cette démarche, devait nous rappeler après en avoir parlé avec son chef de service ce qu’il n’a jamais fait. Un deuxième a montré une grande méfiance vis-à-vis des termes que nous avons employés démarche d’enquête, logiques éducatives, organigramme… avant de refuser notre demande. Donc seul, deux directeurs ont répondu favorablement pour une démarche d’enquête, dans leur établissement, sur les moyens mis en œuvre pour construire une logique éducative. Dans l’un de ces deux établissements un nouvel élément que nous n’avions pas prévu dans nos critères est apparu, puisque cet établissement comporte un poste de psychologue et de médecin psychiatre. Nous avons considéré que ce poste supplémentaire venait renforcer le secteur thérapeutique et qu’il ne venait pas ajouter une inter-dépendance par rapport au poste de chef de service éducatif. Nous avons donc conservé cet établissement dans notre liste. 1.2 Les démarches d’investigation Au regard de notre problématisation et de notre hypothèse, nous avons privilégié les méthodes d’étude de documents écrits et d’entretiens. Ces méthodes nous permettent de recueillir des discours sur une pratique que nous complétons par la lecture des projets d’établissement pour y étudier l’organisation telle qu’elle est prévue afin d’éclairer notre hypothèse. L’enquête a donc pour objet de rechercher comment la logique éducative est mise en œuvre ainsi que les légitimités du chef de service éducatif. L’analyse des discours dans cette double dimension doit nous permettre de mieux comprendre l’interdépendance des logiques pour pouvoir s’en saisir en tant qu’acteur en institution. Nous renonçons à l’entretien directif dont les indicateurs construits d’avance pourraient nous faire manquer des données auxquelles nous n’aurions pas forcément pensé. Ainsi 58 qu’à l’entretien non directif pour lequel nous craignons d’être envahie par des propos hors sujet. Nous avons procédé par entretien semi directif avec le support de l’organigramme existant (ou un autre à élaborer en cours d’entretien) pour créer un stimulus, pour que l’interviewé parle de son propre cadre de référence et concrètement, aborde naturellement comment ça se passe, ses facilités et ses difficultés. Nous avons demandé à rencontrer, dans les deux établissements volontaires, chacun des acteurs directement concernés par la mise en oeuvre des logiques éducatives et thérapeutiques. L’échantillon des personnes à rencontrer se composait donc du directeur, du chef de service, du psychologue et d’un éducateur par groupe d’enfants constitué dans l’établissement. Dans le premier établissement que nous nommerons « A », nous avons eu un premier entretien avec la directrice qui nous a permis, ensuite, de prendre contact directement avec le psychologue, le médecin psychiatre et le chef de service. Ce dernier a convenu également avec nous, de rendez-vous avec un éducateur de chacun des trois groupes de l’établissement. Nous nous sommes rendue à l’établissement pour des entretiens nominatifs qui se sont déroulés dans les bureaux respectifs de chaque personne rencontrée, la psychiatre utilisant le bureau du psychologue et les éducateurs soit leur bureau d’équipe, soit leur salle commune de groupe, sur des temps de permanence. La directrice nous a remis le projet d’établissement écrit en juin 2003 et le livret d’accueil. Les personnes que nous avons rencontrées avaient été informées de notre démarche par la directrice, qui nous présentait comme un chef de service en formation. Nous avons été vigilante, lors de l’entretien avec la directrice, à ne pas dévoiler un autre statut que celui d’étudiante, mais, prise dans une certaine anxiété qui accompagnait la conduite de ce premier enregistrement, nous avons, en fin de rencontre, évoqué notre expérience en tant que chef de service. Dans le deuxième établissement que nous nommerons « B », lors de notre premier contact téléphonique avec le directeur, nous étions convenu avec celui-ci de deux matinées sur lesquelles il se rendrait disponible, ainsi que le personnel que nous sollicitions pour nos entretiens. Nous nous sommes présentée à l’établissement pour une matinée d’entretien prévue lors d’une journée consacrée à des réunions. Pour nous 59 rencontrer, les éducateurs volontaires, ainsi que les cadres de l’établissement, ne participaient donc pas à la réunion institutionnelle ou d’équipe simultanée. Le directeur nous a donné un exemplaire du livret d’accueil, s’excusant pour le projet d’établissement encore inexistant, qu’il prévoit d’élaborer prochainement. Nous avons rencontré un éducateur de chacun des groupes sur cette première matinée, dans le bureau du chef de service. L’un d’eux s’est rendu disponible à la place du psychologue qui a refusé d’être absent d’une réunion institutionnelle. Il était en instance de départ de cet établissement, mais a accepté que nous reprenions rendez-vous pour plus tard, dans son bureau au CMP où il exerce. Lors de la deuxième matinée, nous avons rencontré le directeur dans son bureau et nous avons dû reprendre rendez-vous avec le chef de service, qui n’était pas disponible dans l’immédiat et préférait nous rencontrer un autre jour de la semaine, sans réunion concomitante. Les personnes interviewées n’avaient pas connaissance de notre statut professionnel. Les entretiens se sont déroulés entre le 13 octobre et le 28 novembre 2005, ils ont duré entre 25 et 92 minutes70, cependant la moyenne est proche d’une heure. L’entretien excessivement court de 25 minutes s’explique par le peu de disponibilité du médecin psychiatre de l’établissement « A » qui n’intervient que 3 heures par semaine. Les entretiens ont parfois été entrecoupés par des appels téléphoniques comme pour les éducateurs de « A », qui étaient de permanence. Le chef de service de « B » nous a fait visiter l’établissement. Nous n’avons pas visité l’établissement « A » ; la directrice nous a laissé la possibilité de reprendre rendez-vous pour le faire. Avant d’annoncer la raison de notre enquête, nous avons installé le matériel pour enregistrer, en précisant que l’anonymat de la personne et de l’institution serait respecté dans notre travail, mais que pour des raisons méthodologiques, nous sommes obligée de passer par l’enregistrement. Après avoir expliqué que nous faisions un travail de recherche sur la mise en œuvre des logiques éducatives et leurs articulations avec les autres logiques dans une maison d'enfants, nous avons demandé dans un premier temps à la personne de nous présenter simplement son parcours, sa formation initiale, ses éventuelles formations complémentaires, comment elle avait accédé à son poste. Il est 70 Le lecteur trouvera en annexe 4 la retranscription d’un entretien auprès d’un éducateur 60 apparu que, lors des entretiens avec les éducateurs et les deux chefs de service, nous avons dû insister sur le fait que nous allions poser des questions pour guider l’entretien, afin de rassurer ces personnes qui n’avaient pas réfléchi au préalable à cette question des logiques. Le démarrage par le parcours professionnel a permis à tous de se détendre en discourant sur des faits concrets. Nous pouvions ensuite les interroger sur leur travail et le fonctionnement de l’établissement. Seul le chef de service de « A » n’est pas passé à un discours sur sa pratique professionnelle actuelle. Nous expliquons ce frein par une prise de poste toute récente, puisqu’elle est chef de service depuis deux mois. Nous avons été surprise par la rapidité et la systématisation pour accéder, de façon plus ou moins explicite, à des « tragédies » passées ou actuelles des établissements. Le médecin psychiatre (5) est resté très extérieur à ces questions institutionnelles, se positionnant, jusque dans son discours sur sa pratique, dans son rôle d’expert : « l’histoire de l’institution, la directrice la connaît beaucoup, beaucoup mieux que moi » Dans la logique du recueil de discours sur une pratique professionnelle, nous n’avions pas élaboré de guide d’entretien à proprement parler, mais un guide71 qui nous permettait de ne pas oublier les points importants à identifier, afin d’avoir une trame, pour nos relances. Ce guide s’est élaboré à partir des réflexions apparues lors de la rédaction de la première partie de ce travail, et principalement des outils de la sociologie des organisations. 1.3 Traitement des données L’existence d’un projet d’établissement dans un seul des deux établissements ne nous permet pas de l’utiliser comme méthode d’investigation, nous nous sommes restreinte à l’étude des livrets d’accueil pour ne pas mettre un décalage dans notre étude et la rendre moins significative. La lecture de ce document nous a permis une compréhension plus rapide de l’organisation de ces maisons d’enfants et un support concret lors des entretiens réalisés. 71 Voir annexe 5 61 Les treize entretiens ont été enregistrés et retranscrits dans leur totalité avec le souci d’indiquer les intonations, les rires, les silences, les hésitations et les éventuelles interruptions. Le corpus ainsi obtenu représente 200 pages (sur la base d’un interligne simple). Nous avons premièrement, réalisé un tableau72 à partir des informations obtenues, au sujet du parcours des personnes interrogées, pour repérer leurs principales caractéristiques. A chacune d’elle, nous avons attribué un numéro, compris entre 1 et 13, pour classer les entretiens dans l’ordre où nous les avons effectués. Nous avons également procédé à un relevé de tous les extraits de discours que nous appelons « items ». Dans chaque entretien retranscrit, chaque item identifié produisant objectivement du cohérent a fait l’objet d’un copier-coller afin de le saisir sur un traitement de texte regroupant ainsi transversalement tous les items (précédés par la fonction et la lettre de l’établissement auquel la personne est identifiable) par sousthèmes et non plus par personne interviewée. Les sous-thèmes sont ensuite classés dans des sous-chemises qui sont à leur tour regroupées dans une chemise par thème. Par exemple l’item « Et puis l’anticipation pour moi, un chef de service ce n’est pas un éducateur chef, ça n’a rien à voir… » est rapporté au sous-thème de l’appellation chef de service/éducateur-chef qui appartient au thème des fonctions du poste. Dans les cas où le discours de la personne interrogée ne comprenait pas d’item dans une souscatégorisation nous l’avons précisé par un : « Rien dit ». Ce relevé nous a permis de classer au fur et à mesure, de la lecture des entretiens, tout ce qui a du sens et d’élaborer la grille d’analyse thématique73 qui comprend ainsi trois grands thèmes et quelques sous-thèmes que nous auront à relier avec notre hypothèse en troisième partie: Biographies de chef de service : ce thème comprend tout ce qui a trait aux trajets individuels avant l’accès au poste de chef de service : recrutement, positionnement, expérience, formation fonctions du poste : nous avons regroupé dans ce thème les histoires institutionnelles avec les histoires et statut du poste, leur création, leur dénomination et leur rôle. 72 73 Voir annexe 6 Voir annexe 7 62 Cohérence de fonctionnement : les personnes abordent assez facilement les conflits de pouvoir dans le concret de leur fonctionnement avec ses difficultés liées à de la résistance, de l’usure, de la fermeture, des logique isolées et des facilités données par la confiance, la communication, la reconnaissance, la transversalité. Nous avons ainsi, obtenu un découpage qui prend du sens suivant le comparatif que nous pouvons faire entre des locuteurs différents, par leur établissement d’appartenance et/ou par leur statut. Dans les trois chapitres suivants chaque sous-thème a été présenté en fonction de ce qui ressortait comme logique de séparation. Même si nous avons découpé et ordonné la parole des personnes pour construire une présentation qui reflète notre propre compréhension de ce qui nous était dit, nous avons choisi de citer des passages importants de la parole des personnes, source directe de connaissances. Ainsi, nous restituerons le contenu des discours des personnes interrogées en trois chapitres : biographies de chef de service, les fonctions du poste, le fonctionnement des établissements, en essayant de repérer la légitimité du chef de service éducatif et l’articulation de sa logique éducative avec les autres logiques. 63 2 : Biographies de chef de service Cette biographie concerne la restitution des propos concernant les préalables à la venue d’un nouveau chef de service éducatif et ses éventuels effets sur sa légitimité. Seuls, les deux thérapeutes de l’établissement « A », qui se situent hors champ institutionnel, ne disent rien sur cet aspect qui est largement abordé par les autres personnes. 2.1 Recrutement en interne ou externe Nous constatons que l’association est concernée, dans les deux lieux, par le choix d’un recrutement en interne ou en externe, comme nous le dit (10) « elle m’a proposé effectivement dans cette maison le poste de chef de service en lien avec l’association bien sûr. ». (7) nous précise d’ailleurs qu’un principe de départ peut être adopté « La directrice de l’association, qui est très ouverte, aussi, et qui part du principe qu’elle préfère faire une promotion en interne, plutôt que de prendre des gens de l’extérieur. ». Cependant, les modalités de recrutement (interne et externe) se sont présentées de manière inversée dans chacun des établissements : les deux établissements en sont à leur deuxième recrutement de chef de service, le premier chef de service de l’établissement «A» venant de l’extérieur et le deuxième de l’intérieur, et réciproquement pour l’établissement « B ». Toutefois cette préférence s’est faite en fonction du contexte du personnel et de l’institution au moment de l’embauche. 64 L’établissement « A » a fait le choix d’une première personne de l’extérieur. D’après (7), « c’était une création de poste donc là il n’y a pas de… mémoire, il n’y a pas eu de proposition en interne. Ils ont pris effectivement quelqu’un de l’extérieur » pour les qualités de la personne, qui avait une expérience d’éducateur. Après le départ de cette personne qui n’a pas pleinement satisfait, l’association, avec la directrice, a recruté différemment, nous explique (1) « Et là, nous, on a privilégié la compétence, l’expérience, la connaissance de la maison, du réseau, des autorités de placement, des horaires dans la maison des sensibilités de chacun, etc. » Le contexte institutionnel et les qualités d’une personne en interne ont orienté le choix pour (1) « On a vu des personnes de l’extérieur aussi, hein, non, non, c’est quelqu’un qui a toujours été, bon qui a de la bouteille, et qui a toujours été très active et très sensible à cette synergie74. » Pour l’établissement « B » on ne peut pas parler à proprement parler d’embauche à la création du poste, mais d’une promotion interne qui permettait le glissement vers un poste de chef de service, nous précise (4) « Oui, je l'ai connu comme éducateur, éducateur un petit peu « chef » entre guillemets ; je dis entre guillemets, parce que c'était une période un peu bizarroïde, où, justement, il avait été mis éducateur, enfin responsable de l'équipe mais à mi-temps. » Puis ce poste a été disponible car le chef de service est devenu directeur après le départ de la directrice. Après un temps de vacance, le choix de recruter un chef de service venant de l’extérieur a été fait, en lien avec l’absence en interne d’une personne élue, comme le directeur l’avait été par sa directrice : (10) : « Elle (la directrice de l’époque) m’a un peu conforté dans le fait d’être quelque part, oui, on peut tout mettre sur le dauphin tout ce qu’on veut, à être à cette place là, c’est sûr. Mais je n’aurais pas rejoué, j’aurais pu rejouer cette chose là avec quelqu’un avec qui effectivement on aurait été vraiment en phase, et ce n’était pas le cas. » C’est ainsi que, comme nous l’explique, le deuxième chef de service (11), il a été recommandé par un des directeurs de l’association pour son expérience aux fonctions d’éducateur. « Elle me dit vous savez je vous ai reçue parce que je vous avez convoquée mais je n’ai pas fait attention à votre ancienneté je ne peux pas me permettre de vous embaucher comme éducatrice, par contre, dans l’association, ils cherchent un chef de service pour cette institution. Vous pouvez téléphoner, moi, je vous recommanderai. Vous pouvez téléphoner de ma part et envoyer un CV de ma part. » 74 Le travail en synergie avec les autres services de l’établissement est l’objectif actuel de l’établissement « A ». 65 Les discours font apparaître qu’il serait plus opportun d’avoir un recrutement en interne quand cela est possible, ce qui facilite la continuité dans les objectifs de travail à condition que le poste soit bien repéré. Sinon l’embauche d’une personne extérieure est nécessaire pour faciliter le marquage de territoire en cas de poste nouveau. Car comme nous explique (10) « La position et le positionnement à un moment est toujours plus délicat. Beaucoup plus que lorsque vous arrivez dans quelque chose, vous voyez des choses qui ne vont pas. « Me Untel et Mr Truc, on fait comme ça, point barre. », il serait plus facile, en arrivant dans quelque chose de nouveau, de voir les choses qui ne vont pas et d’imposer comment il faut faire. Les associations gérantes sont bien concernées par le poste de chef de service éducatif. Le recrutement d’un candidat s’effectue en interne, ou en externe, en fonction du contexte du personnel de l’établissement. Il y a une préférence pour l’opportunité interne, qui facilite la continuité dans un même esprit de travail. L’embauche externe ressort comme utile lorsqu’il est nécessaire de marquer le territoire du poste. 2.2 Positionnement du chef de service Si cette connaissance préalable est considérée comme un facteur aidant à la prise de pouvoir, elle interroge sur le positionnement du chef de service éducatif et son autorité avec les enfants et les éducateurs, qui peuvent être d’anciens collègues. Nous avons dénombré vingt-neuf items sur cette question de la bonne distance, ou non, du chef de service éducatif. 2.2.1 Distance par rapport aux anciens collègues Dans une situation, le positionnement avec les éducateurs pose problème en amont de la prise de poste. Ce que le chef de service de l’établissement « A » (7) évoque clairement par « Et des fois on se dit : « Même ceux, dont on est persuadé qu’il n’y aura pas de soucis, forcément ça créé une différence » et pire « le seul point noir qui m’inquiétait éventuellement, c’était les personnes avec qui j’étais en conflit en tant qu’éducatrice, quand je serais de l’autre côté de la barrière, je me disais : « Ca ne peut qu’augmenter 66 parce que ce sont des personnes qui, pour moi, bouffent du patron. ». Après l’analyse de l’expérience d’un collègue, dans un autre établissement, qui était devenu chef et à qui les éducateurs avaient fait payer ce passage de l’autre côté, il se rassure en se disant qu’il doit être possible de rester « dans la même lignée », si la personne garde « ses valeurs, ce qu’elle porte ». Et finalement depuis trois mois que ce chef de service est en poste, ses inquiétudes se dissipent « je ne peux pas dire, même de la part des collègues avec qui on était en bisebille, qu’ il y ait des choses particulières. Les gens sont… Moi je n’ai pas l’impression non plus d’avoir changé d’habitudes, je veux dire… j’ai vraiment l’impression d’être resté égal à moi-même. C’est pas pour autant que j’ai mis une distance et que les collègues… Je veux dire on est toujours en lien. » La directrice (1) de cet établissement confirme par « On n’évitera pas des réticences de un ou deux ou trois collègues mais qui jouent le jeu ». Ce qui fait écho au commentaire d’une éducatrice (13) « Je crois que c’est très difficile dans une maison d’avoir été éduc, et de se retrouver chef de service. Moi je crois que c’est pas évident. Et pour les collègues moi je ne le ferais pas dans le même établissement. /Pourtant vous appréciez d’avoir une ancienne collègue ?75 /Oui j’apprécie parce que bon je pense que j’apprécie la personne. Mais pour mes collègues je ne serais pas chef de service. » Les interlocuteurs de l’établissement « B » dénoncent également cette difficulté, du fait de cette connaissance mutuelle, comme c’est le cas pour (4) « Mais le directeur reste pour moi un ancien collègue, donc c’est vrai que ça créé des liens qui ne sont pas toujours évidents. ». Ce sont des choses complexes qui se jouent, rajoute (10) : « Les difficultés je crois, elles sont tout simplement très, très fines dans le quotidien. C'est-àdire, vous êtes éducateur et, un jour, vous avez des positions à prendre vis-à-vis des mêmes éducateurs. » Le chef de service de l’établissement « B », qui n’a pas connu les éducateurs de l’établissement comme des collègues, connaît lui des tensions actuelles avec certains éducateurs : « L’idée d’un chef de service qui jouerait les commandeurs et… ça ne m’intéresse du tout, non plus. Moi je ne suis pas dans des trucs comme ça, donc c’est bien mal me connaître que…/Il y a des gens dans l’équipe qui vous vivent comme ça ?/Oui. Enfin, qui m’ont vécu, enfin ça a évolué aussi… il y a des traces, des traces qui sont, j’ai l’impression, indélébiles. » Ceci nous permet d’avancer qu’il aurait peut 75 Les italiques gras dans les retranscriptions indiquent nos relances. 67 être gagné à être connu dans une fonction d’éducateur, pour lui éviter de jouer un rôle dont il ne veut pas. Ce que nous confirme les interlocuteurs de l’établissement « A », qui voient des points positifs dans ce passage d’éducateur à chef de service « Avec une sensibilité différente… à l’ancien chef de service, pas la même approche non plus, et puis des méthodes complètement différentes, une grande rigueur » nous explique un éducateur (6), ancien collègue du même groupe, auprès de qui les preuves sont faites, comme auprès d’une ancienne éducatrice (13) « Elle était éduc dans l’établissement, donc c’est vrai que pour moi, ça m’est plus facile ». Il permet également un positionnement plus fin vis-à-vis des partenaires, nous précise (1) « et là, nous, on a privilégié la compétence, l’expérience, la connaissance, de la maison, du réseau, des autorités de placement, des horaires dans la maison, des sensibilités de chacun ». Dans les deux établissements, cette question de distance avec les collègues éducateurs, anciens ou pas, reste donc un véritable débat. L’ancienne éducatrice, qui a pu faire ses preuves auprès de ses anciens collègues, ne connaît pas les situations de conflits, tant redoutées. Le nouveau chef de service qui débarque sans preuves de sa bonne foi, se retrouve victime de la méfiance de l’équipe (11) « qu’est ce que c’étai, que cette femme, qui arrivait encore, qui allait nous demander des comptes, qui arrivait avec ses projets individualisés « mais qu’est ce que c’est que ça ? » Nous conclurons ici que le positionnement du chef de service avec ses collègues éducateurs n’est jamais évident, mais qu’il peut être facilité par une connaissance préalable des sensibilités de chacun, et du réseau d’appartenance de l’établissement. Dans ce type d’embauche, il est nécessaire que le candidat soit reconnu comme potentiellement compétent parmi les autres membres de l’équipe. 2.2.2 Distance par rapport aux enfants Le positionnement, vis-à-vis des enfants, peut être très varié, puisque, pour le chef de service de l’établissement « A » (7), « les enfants ont vraiment fait la différence parce que quand je remplaçais l’ancien chef de service, ceux du groupe B essentiellement, parce que ils ne me voyaient plus, enfin ils me voyaient différemment, ils venaient, on discutait, alors que, depuis le 1 septembre, ça ne se passe pas : ils viennent me dire bonjour, il n’y a pas de soucis et tout, mais je veux dire, ils ont vraiment fait la différence du remplacement, et de la titularisation du poste, finalement, parce qu’ils 68 viennent juste dire bonjour ». Donc, clairement, les enfants ont d’eux-mêmes pris de la distance. Cet avis n’est pas partagé par une éducatrice (13) qui nous dit : « Pourtant les enfants, souvent, savent faire la différence. Ils se repèrent vite/ Les jeunes que l’on reçoit ici, je trouve qu’ils ont tous un problème générationnel, ils ont tous ce côté-là, où on est tous copains. Ils ont du mal un peu à… Et c’est vrai que le chef de service est, en plus, quelqu’un qui a un caractère drôle et gai avec les enfants. Et c’est vrai que la voir maintenant dans une position de chef de service avec une certaine autorité, pour certains, il y a quelque chose de l’ordre d’un décalage, il y a quelque chose qui n’est pas évident je pense./ Il fait partie des repères, il avait sa place/ Oui je trouve. Mais il s’en sort bien (rires) ». Elle confirme l’importance de cette prise de distance, qui n’est pas forcément évidente, suivant la relation que l’on pouvait avoir comme éducatrice avec les enfants, qui le vivent comme une perte de repère. Ce manque permet également de marquer le changement de statut, au sein de l’établissement, ce qui, comme tout changement, demande du temps, poursuit notre interlocutrice (13) : « Pour mes collègues je ne serai pas chef de service. Mais aussi pour les enfants parce que justement je pense qu’il n’y a pas ce recul-là. Pour les enfants qui vont arriver après, je pense que ça sera peut être plus facile. » Dans l’établissement « B », le chef de service (11) s’intéresse aux enfants, pas dans le quotidien, mais pour les accompagner dans leur projet de vie « Il y a quelque chose qui m’intéresse de cultiver ici, concernant les enfants. …Je les reçois en entretien, quand les éducateurs me signalent qu’il faudrait que je vois un enfant. C’est toujours en relation avec les éducateurs. Quoique, des fois, pour des engueulades …/Vous les voyez en direct/ Oui, (en riant) Pas besoin des éducateurs. Mais pour rendre un petit peu l’enfant acteur de sa vie, de son placement de son… faire des projets avec lui, voir comment l’aider, je reçois toujours les enfants régulièrement en entretien. » Positionnement qui fait réagir les éducateurs, nous explique (12) « parce que, bon, du point de vue des éducateurs, l’éducatrice chef, elle est déjà quelqu’un qui, comment dire, elle rencontre aussi des enfants donc elle peut leur demander des c… c’est pas des comptes, mais elle a un regard, quand même sur leur action éducative, donc elle les interroge là-dessus. » Le chef de service a mis de la distance dans la prise en charge au quotidien des enfants, mais il ne délègue pas complètement l’accompagnement éducatif, en recevant les enfants en entretien, avec leur éducateur. (11) « Parce que j’ai un enfant, 69 un adolescent qui m’a demandé si je pouvais lui trouver une ferme pour aller de temps en temps en séjour, parce qu’il avait envie de connaître ce que c’était que le boulot de paysan ; alors je lui dis : « je crois que je vais pouvoir te trouver quelque chose », et il va chez une dame et il se régale, il se régale et il veut y retourner. » Le fait que le chef de service soit originaire de l’interne ou de l’externe ne l’inscrit pas d’office dans un positionnement de proximité ou pas. Le chef de service éducatif de l’établissement « B » a pris ses distances dans la prise en charge quotidienne des enfants, mais garde une proximité à travers l’accompagnement du projet individualisé, qu’il conduit directement auprès des enfants. Pour ce chef de service qui vient de l’extérieur, cet accompagnement, assez proche des enfants, n’empêche pas une position d’autorité, quand cela est nécessaire. Le chef de service de l’établissement « A » tient à la distance marquée par les enfants eux-mêmes. Cette position l’aide certainement dans une prise d’autorité qu’il n’avait pas forcément en tant qu’éducateur. Cette distance par rapport aux enfants doit les aider à se repérer dans les relations intergénérationnelles. Elle peut se restreindre, si elle n’altère pas l’autorité, mais ce serait aux dépens de l’action éducative des éducateurs. Qu’est ce que nous disent les personnes interrogées à propos de la formation, qui pourrait éclairer les candidats au poste de cadre intermédiaire sur ces questions de positionnement et, ainsi, les aider dans leur autorité ? 2.3 Formations pour accéder au poste Les deux chefs de service interrogés ont accédé à leur poste respectif par opportunité, comme le dit (11) « Et c’est comme ça que je n’allais pas à la recherche d’un poste de chef de service et c’est comme ça que, donc, j’ai été embauché ici et je ne le regrette pas. » La décision de (11), qui a été recruté en externe, s’appuie sur son parcours professionnel, pour y puiser les ressources de son assurance : « Mon vrai travail d’éducateur, je l’ai appris avec ces jeunes, ces ados, parce que je vous assure, il fallait tenir, et puis il fallait supporter d’être le mauvais, le méchant. Après, c’est la découverte du champ social. La conjonction des deux a fait que j’étais prêt finalement 70 pour avoir un poste comme ça. Au sortir de L’IR, je crois que je n’aurais pas pu, car je ne connaissais pas le fonctionnement des maisons d’enfants ». Tandis que (7), qui a été recruté en interne, a plutôt été motivé par sa connaissance de l’institution : « J’avais cette envie en me disant : « C’est vrai, c’est du pain béni, tu connais l’association, tu sais qu’elle tient la route, ils défendent des valeurs auxquelles tu adhères. Tu as une équipe qui est stable et solide, tu connais les gamins. ». Je gérais déjà les horaires, l’annualisation et donc c’est des choses qui roulaient pour moi. ». Ils n’ont pas de formation spécifique, et n’évoquent pas la possibilité d’en faire une, comme dans la non réponse de (11). « D’autant plus seule, si vous voulez que ce poste j’ai dû le bâtir/ Avec vos repères habituels ; vous n’avez pas de formation autre qu’éducatrice ?/ Conseiller conjugal et familial. Oui c’est ça, j’ai dû le structurer ce poste. ». Ils sont trop occupés dans leurs nouvelles tâches pour l’envisager, ou trop hésitants à se lancer dans de nouvelles fonctions qui demandent un bouleversement dans leurs habitudes, comme (7) le commente « Ca a commencé un peu par de la coordination et puis ça cheminait et puis je me disais : « Oh là, là, non ». La directrice générale me disait : « C’est quand que vous allez prendre un poste de chef de service ?...je lui dis : « Moi j’aime bien les horaires d’internat». » Pour deux éducateurs qui prévoient d’en suivre une, c’est l’assurance de prendre de l’aisance afin de postuler en dehors de l’établissement, comme nous dit (4) «J’avais toutes les qualités mais je n’ai pas été prise car j’étais interne à la maison. J’ai eu d’autres propositions de poste à responsabilité, mais il me manque tout de même la formation. Je sens que je n’ai pas l’aisance qu’il faudrait, même si au niveau de ce qu’il y a à faire, je m’y retrouverais, mais je pense qu’il faut une base, une formation qui permette plus au niveau de l’encadrement des équipes. » Cette question de la formation est abordée par les deux directeurs comme un apport théorique qui peut se faire dans un deuxième temps, comme nous le précise (1) « Pour moi, c’est par l’expérience, la sensibilité, la rigueur de quelqu’un qu’on peut venir suppléer un temps à la formation, la formation est garante d’un certain nombre d’acquis surtout théoriques. » Pour le directeur de « B » qui avait pris le poste de chef de service avec « un certificat aux fonctions de l’encadrement » qui complétait sa formation de base de moniteur éducateur, il n’a été légitimé dans ses fonctions de responsable éducatif que lorsqu’il a, par la suite, obtenu son diplôme d’éducateur 71 spécialisé « après effectivement avoir fait quand même quelque part une formation de cadre, même s’il elle n’était pas reconnue comme l’est une formation de directeur ou autre. C’était un peu revenir, mais en même temps, tout ça était très intéressant, dans la formation elle-même bien évidemment. C’est toujours intéressant dans le fait de valider quelque chose et de marquer aussi. A partir du moment où j’ai eu mon diplôme d’éducateur spécialisé, j’étais officiellement beaucoup plus reconnu comme chef de service/ Ca a aidé à votre légitimé, votre diplôme ?/Ah oui, complètement. C'est-à-dire, au niveau de l’association et puis d’un parcours aussi, la légitimité était entachée par le fait que je n’étais pas éducateur spécialisé ». C’est alors la nécessité du diplôme d’éducateur spécialisé qui apporte la reconnaissance officielle, alors qu’une formation d’encadrement donnerait des repères théoriques. Il semble que cette reconnaissance par le diplôme d’éducateur spécialisé confirme notre étude du concept de légitimité de compétence qui s’appuie sur une logique collective. Ici, ce serait celle des éducateurs spécialisés. Nous retenons que la formation de chef de service éducatif n’est pas prioritaire, elle est remplacée par une assurance puisée dans les expériences antérieures et/ou la connaissance de l’établissement. La formation de chef de service peut être un plus, pour aider dans des acquis théoriques qui peuvent faciliter la candidature dans un établissement extérieur. Il est à souligner, par contre, que la formation d’éducateur spécialisé est indispensable à la reconnaissance officielle d’une responsabilité éducative. Nous nous arrêtons alors sur les propos recueillis sur cette expérience indispensable à la prise de fonction d’un poste à pouvoir 2.4 Expériences Cette question est naturellement abordée dans les discours des personnes interrogées qui utilisent le mot « expérience » 14 fois, dans les trente items identifiés. Il y a l’expérience qui élargit l’horizon comme pour (11) « Alors là , c’était vraiment, ça m’a ouvert des portes…mon champ professionnel s’est ouvert d’un coup parce que j’ai rencontré des partenaires dont j’entendais parler mais que je n’avais jamais eu l’occasion de rencontrer. », et plus précisément l’expérience qui permet une 72 confrontation permettant de réajuster la perception des choses pour (7) « C’était vraiment enrichissant parce qu’on est confronté à des tas de choses et puis c’est vrai que des fois on a des idées un peu toutes faites et puis que, du coup, ça permet soimême de changer un peu sa façon de voir les choses. », et ce surplus d’expérience est à considérer comme une évolution et un enrichissement, et non comme de l’instabilité : « Oui, oui, c’est vrai j’ai pas mal vadrouillé, mais ce n’était pas de l’instabilité, je crois que c’était vraiment cette soif, effectivement, de voir différentes choses, de s’enrichir et puis c’est vrai que c’est en côtoyant différents domaines qu’on peut évoluer soi-même. » nous précise (7). Car effectivement, dans ces expériences, il y a la découverte de lieux nouveaux, avec d’autres façons de faire qui sont à prendre ou à laisser, nous explique (10) « Je pense que honnêtement elle m’a appris beaucoup du métier, on a fait un parcours, bon, ben, avec les aléas de toutes les institutions. J’ai beaucoup apprécié ce temps-là et je pense que j’ai beaucoup puisé et creusé dans tout ça, dans un ancien fonctionnement, dans des choses dont moi j’avais envie, et que je ne pouvais pas forcément mettre en place et qu’ensuite j’ai pu me nourrir de tout ça, d’un ancien passé. » Les formations peuvent permettre d’acquérir une expérience dans d’autres domaines, pour ne pas rester éducateur en internat toute sa carrière, nous explique (7) : « est ce que tu fais chef de service ? Est ce que tu vas faire une formation ? Et puis je savais que je ne finirais pas éduc en internat enfin moi je ne me voyais pas finir comme çà. Donc, en même temps, j’ai fait cette formation de tutelles en me disant ça peut être une voie de sortie » Il y a enfin l’expérience uniquement en interne, où le parcours laisse un unique héritage, et l’expérience externe, où « les envies » de la personne peuvent se vérifier dans d’autres lieux permettant ainsi plusieurs modèles : « Alors lui, il a des modèles, je pense que lui, il a plus de modèles, que n’a pas le directeur parce qu’il a tout fait ici. Lui, il en a, lui, le directeur peut s’en construire, en même temps, parce qu’il fait des remplacements, mais voilà... », nous explique (12) Cette expérience est donc bien primordiale dans un préalable à la prise de fonction de chef de service éducatif. Elle est plus probante lorsqu ‘elle s’appuie sur plusieurs modèles possibles. 73 Conclusion Dans ces biographies, nous retenons comme idées fortes, du discours des personnes interviewées : premièrement, la formation à l’encadrement n’est pas prioritaire. Deuxièmement, la reconnaissance d’un chef de service éducatif passe par la formation incontournable d’éducateur spécialisé et troisièmement, des expériences dans des lieux multiples sont valorisées. La légitimité institutionnelle du chef de service éducatif de ces deux établissements est reconnue par les associations qui sont engagées dans leurs recrutements. Le recrutement en interne est apprécié parce qu’il rend possible la continuité dans un même esprit de travail, et parce qu’il facilite le positionnement du chef de service éducatif qui connaît, dès sa prise de fonction, tout le contexte institutionnel. Le revers de cette connaissance est la proximité vécue avec les enfants et les anciens collègues, qui peut nuire à l’autorité nécessaire du chef de service. Ce changement de posture se fait plus ou moins facilement, suivant la personnalité de la personne embauchée. Lorsque, dans l’établissement, les professionnels ne sont pas habitués à fonctionner avec un chef de service, une embauche en externe permet de marquer plus facilement le territoire du poste. Dans cette situation, le chef de service peut être en difficulté dans son positionnement vis-à-vis des éducateurs qui se méfient, surtout quand le nouveau chef de service fait preuve d’autorité auprès des enfants, avec une proximité qui peut gêner l’action éducative des éducateurs. 74 3 La fonction du Poste de chef de service Nous allons maintenant à travers les histoires institutionnelles et plus particulièrement les histoires du poste de chef de service éducatif, avec leur création, leur dénomination et le rôle du chef de service, ainsi qu’à travers la répartition des tâches, dans laquelle la communication et la confiance sont incontournables, étudier l’impact sur les profils des postes qu’occupent aujourd’hui les chefs de service dans les deux établissements et, donc, leur capacité à faire. 3.1 Histoires institutionnelles Le dernier changement de direction, dans les deux établissements où nous avons enquêté, est lié à un état de crise. Sur cet aspect historique, le psychologue de l’établissement « A » s’est exprimé car, sur ses 15 ans d’ancienneté dans la maison, il a connu un statut plus institutionnel qu’aujourd’hui. (8) « Je faisais quelque chose qui était à la fois…, je ne faisais pas de la thérapie, ce n'était pas possible puisque je devais à la fois rencontrer les équipes et avoir un travail institutionnel. Mais c’était comme ça... (Voix à bout de souffle) C'est une création… ». Nous interpréterons sa voix par une position assez inconfortable occupée à cette époque. Il se sort de cette souffrance par l’évocation de la création qui s’en suivit : « Il y a des moments, les pulsions de mort sont particulièrement actives et que, du coup, il y a crise, il y a véritablement crise, mais si on arrive à transformer, si on arrive à tirer des conclusions et à repartir, ces crises sont toujours bénéfiques. » 75 Ce qui semble avoir été possible dans l’établissement « A », comme l’analyse le psychologue (8) « Mais c’est vrai que cette crise-là a permis de refondre beaucoup et de reprendre l’existant et de le transformer. » ; Mais l’a moins été dans l’établissement « B », pour lequel le psychologue (12) dénonce les « fantômes » : « C'est des trucs, les fantômes, on ne les dégote pas toujours, ils ne sortent pas toujours de leur placard. Moi, il y en a quelques-uns, que je connaissais bien, comme celui de la directrice, que j'arrivais à repérer. Mais le sien, on va dire moins facilement, plus difficilement, j'ai pu moins mettre le doigt dessus. Il y a eu… si, sur les histoires de formation, il y avait eu des positions d'anciens éducateurs qui se mettaient en position de mettre en échec ce que le directeur décidait, par exemple, ou de dire : « mais il n'y a rien de décidé ». C'est-à-dire, il prenait une décision et juste derrière il y avait quelqu'un qui disait : « mais il n'y a rien... » Ca revenait à dire : « mais il n'y a pas de directeur ». Alors que si, il y en avait un. Moi je me disais : « c'est incroyable, il y a une volonté de ne pas voir ce qu'il a fait alors qu’effectivement, il a posé plusieurs actes, pris des décisions. ». » Ce que nous percevons alors, c’est que la qualité réelle des gens peut être masquée par le rôle que l’institution, en fonction de son histoire, veut leur faire jouer, comme nous l’explique (12) « Et justement, je pense que le développement de son métier est entravé par ce contexte qui n'est pas valable. » Cette inhibition fait apparaître un aspect négatif, attaché à la promotion interne. Les deux établissements ont connu un état de crise avec le départ d’un directeur. Seul l’établissement « A » en a tiré bénéfice par la transformation de l’existant. L’établissement « B » reste perturbé par cet épisode qui empêche encore, aujourd’hui, l’émergence des compétences du directeur. 3.2 Histoires et statut du poste de chef de service éducatif 3.2.1 Sa création Dans les deux situations, la création du poste de chef de service est assez récente, 1993 puis 2001 pour l’établissement « B », la première période restant floue, comme nous dit une éducatrice (4) : « Au départ c’est le directeur actuel qui a été choisi mais un peu élu par la directrice comme chef de service alors qu’il n’était pas formé à l’époque, c’était un membre de l’équipe. Il est passé en temps que chef de service, mais pas de façon officielle. Il faisait quelques trucs pour aider un petit peu la directrice. Après, de son 76 statut de chef de service, il a été un peu élu pour être le directeur. Donc c’est quelque chose qui a un peu faussé le poste et, vraiment, c’est récent, depuis l’arrivée du chef de service actuel, ça remonte à quoi 3-4 ans. Donc là il y a vraiment eu un poste en fonction de chef de service qui s’est mis en place. » Ce qui est confirmé par un éducateur (2) tout récent : «C’était un poste qui n’existait pas, je crois, il y a quatre ans. C’est le directeur qui l’a créé, donc c’était une chose qui n’existait pas ». Pour l’établissement « A », c’est également en 2001. Cette création a été précédée, pour les deux établissements, par une période où le directeur était seul, nous disent (1) « Donc j’ai fonctionné deux ans sans chef de service, seule » et (10) « Oui, j’étais seul, depuis des mois et j’ai continué d’être seul. » Les postes de chef de service ont donc été créés pour soulager les directeurs de leur masse de travail et pour apporter une professionnalisation supplémentaire auprès des directeurs en poste, qui succédaient à des directeurs partis dans des conditions particulières. « Quand je suis arrivée, j’ai été très, très surprise. Très surprise de… Je sentais des équipes apeurées, encore bouleversées de choses qui s’étaient passées », nous commente (11). Pour les anciens éducateurs, cette création de poste a apporté un changement que certains voient comme une simple différence dans leur travail, nous explique (6) « Donc il a fallu réorganiser tout ça, il a fallu aussi s’approprier aussi, au niveau des éducateurs, le nouveau fonctionnement, nouvelle prise en charge des jeunes. Travail différent, puisqu’il y avait un autre intermédiaire, en l’occurrence un chef de service. » D’autres le perçoivent comme quelque chose en plus comme le dit (9) « Donc c’était difficile et je crois que l’introduction du chef de service a permis d’avoir un peu plus d’aisance. D’avoir une prise en charge de meilleure qualité dans la mesure où on arrivait à prendre le temps d’organiser, et puis de parler que de l’éducatif avec une personne. » Chez les plus anciens, ce changement peut être perçu comme une dépossession. C’est le cas pour (4) : « chaque équipe qui venait de se constituer avait enfin la possibilité de devenir responsable. Donc nous, on y est allé à fond, on était vraiment dans les décisions, dans la réflexion pour les enfants. Là-dessus arrive un chef de service qui nous dépossède de tout, en disant « c’est moi qui vient décider ». » C’est un sentiment de perte de contrôle qui peut se négocier suivant les affinités avec la personne en poste, nous précise (13) : « C’est vrai qu’avec le chef de service, on se 77 connaît depuis tellement longtemps, il y a des choses qu’elle peut aussi déléguer, qu’elle ne demandera pas forcément à une collègue qui débarque, parce que je connais. » La construction de poste s’affine toujours puisque, sur l’établissement « A », le deuxième chef de service succède à une personne qui avait quatre ans d’ancienneté et la directrice (1) nous confie « c’est la deuxième chef de service, et avec la responsabilité de créer le service éducatif, parce qu’à mon sens il ne l’était pas ». Sur l’établissement « B » le psychologue nous dit : « Mais, je pense que, historiquement, ça, ça vient du fait que le... Parce que c'est une maison où il y a eu un pseudo éducateur chef, puis un éducateur chef qui n'avait jamais, lui-même, je crois été éducateur chef, donc le truc se crée, il y a personne qui a porté. » Nous soulignerons cependant la distinction entre l’établissement « A » qui crée son service éducatif et l’établissement « B » qui bâtit le poste de chef de service éducatif « D’autant plus seul, si vous voulez, que ce poste j’ai dû le bâtir » La création des postes de chef de service éducatif est assez récente, puisqu’on peut la considérer vieille de 4 ans dans les deux structures. Cette création semble emprunter les mêmes aléas, car dans les deux cas, la demande des directeurs est liée à une surcharge de travail et la conséquence sur les éducateurs est un changement dans leur fonction avec, plus ou moins, une perte de contrôle. A cette étape de notre étude, nous retiendrons cette différence entre les termes de « service éducatif » et « bâtir le poste de chef de service éducatif » utilisés. 3.2.2 Sa dénomination L’appellation de « chef de service éducatif » est bien adoptée au niveau des discours des professionnels des établissements. Nous avons noté la seule reprise par le psychologue (12) de l’établissement « B » « un psychologue dans l'institution pour travailler avec le directeur, le chef éduca..., l'éducatrice-chef et l'équipe » qui a, par ailleurs utilisé au cours de notre entretien neuf fois ce seul terme d’ « éducatrice-chef », malgré nos répétitions du terme « chef de service », alors que le psychologue (8) de « A » a prononcé dix fois uniquement le terme de « chef de service » et le médecin psychiatre (5) deux fois uniquement celui de « chef de service éducatif ». Nous nous permettons une comparaison entre ces thérapeutes, car ils côtoient tous les trois dans d’autres 78 services des médecins chef, comme la psychiatre qui se dénomme elle-même, médecin chef de service d’un centre hospitalier. La confusion du psychologue viendrait donc confirmer une représentation de poste de chef de service qui est encore reconnu comme occupant des fonctions d’éducateur et pourtant « Pour moi, c’est clair et ça je l’ai posé dès le premier jour. Un chef de service il est cadre, il fait partie de la direction. » nous dit le directeur (10) qui distingue bien ces deux appellations. « Elle est chef de service, c’est à dire qu’elle est cadre dans cette maison. Je sais que ça fait grincer des dents aussi, parce que certains aimeraient bien que ce soit autrement, mais elle est chef de service/Comment ça autrement ?/C’est à dire que quand on est éduc chef on peut être plus du côté… des équipes éducatives. Ca peut être ça, un éduc chef, il est plus proche de l’équipe, il fait un peu l’intermédiaire mais quand même du côté de l’équipe, pas du côté de la direction » Le chef de service (11) se met bien du côté de la direction «Tout le monde, dans la vie doit rendre des comptes, moi y compris, moi je rends des comptes à mon directeur », mais se met aussi du côté des enfants, comme nous l’avons déjà souligné dans le paragraphe sur le positionnement par rapports aux enfants : «Le chef de service voit aussi régulièrement les enfants, alors ça peut être, c’est souvent quand ça ne va pas bien…pour les projets individualisés (silence) voilà », nous explique (4). Ceci peut induire en erreur sur ses fonctions, ce qui expliquerait la confusion entre les termes du psychologue, qui est dénoncée par l’autre directeur (1) « Et puis l’anticipation pour moi, un chef de service ce n’est pas un éducateur chef, ça n’a rien à voir et, donc, pour être chef de service, il faut qu’il y ait un service, par définition, alors que pour être éducateur chef, pas forcément, c’est le super éducateur, moi j’ai besoin d’un service éducatif voilà. Donc qui gère, coordonne, anime, le travail éducatif entrepris dans la maison ». Le chef de service s’occupe d’une équipe qui éduque les enfants, comme le souligne le chef de service (7) à propos du chef de service précédent « La directrice, ce qu’elle dit souvent : « elle voulait un chef de service qui s’occupe d’une équipe qui gère une équipe éducative ». » Cette distinction dans les termes de « éducateur chef » ou de « chef de service éducatif » reflète bien, les représentations qui peuvent exister. L’éducateur chef serait du côté des équipes, pour faire l’intermédiaire entre les éducateurs et la direction, c’est le super éducateur. Le chef de service éducatif est du côté de la direction pour décider, dans l’établissement « B », gérer le service éducatif, dans l’établissement « A ». Dans les 79 deux situations nous retrouvons bien une volonté de donner au poste de chef de service une dimension stratégique de pouvoir faire. 3.3 Son rôle De ce statut créé dans chacun des établissements, va dépendre en partie le rôle des chefs de service. 3.3.1 Répartition des tâches Avec la création du poste de chef de service éducatif, les tâches qui étaient réparties entre le directeur et les éducateurs se sont, par la force des choses, redistribuées différemment, avec plus ou moins de tensions, comme nous l’avons vu dans le paragraphe sur la création du poste. Ce qui nous intéresse dans ce paragraphe, c’est la logique de cette répartition entre les dirigeants. Dans les deux lieux, l’accent est mis sur l’importance de bien définir les domaines de chaque partie, comme nous explique (10) « Et c’est vrai qu’à des moments il y a des choses que je ne fais pas et qu’un éducateur a à faire : c’est sa partie, et si ce n’est pas la sienne, c’est le chef de service. Donc après non je ne dirais pas plus difficile, mais plus délicat, au niveau des deux cadres, on n’est pas quinze non plus, de pouvoir justement, se répartir nos différentes tâches. » Dans l’établissement « B » cette distinction se fait par le domaine des compétences « Le directeur, dites vous, n’est pas présent lors des synthèses et dans l’élaboration des projets individualisés, du coup j’ai envie de vous poser la question : vos tâches et fonctions sont bien séparées, bien déterminées, bien claires ?/Bien délimitées, en tout cas le domaine des compétences/Vous êtes bien dans l’éducatif et lui dans l’administratif ?/ La gestion, le financier. ». Elle se fait même par leur rôle, nous commente (11) « J’aimerais vraiment pas être directrice quoi, non pas pour la responsabilité que ça engage, c’est pas ça, parce que je me sens vraiment responsable à part entière de ma fonction, dans ma fonction, mais pour l’argent, le…tout ce qui est administratif. Ce serait une catastrophe (rire) je ferais sombrer une institution. » Ils sont alors bien clairs dans des territoires distincts et dans leur rôle comme le préconise la directrice (1) « une définition claire et précise des rôles et des territoires de chacun. Parce qu’ on ne peut pas parler d’articulation et de synergie sans avoir préalablement, bien défini le rôle, la place, la fonction, la mission de chaque secteur, de chaque secteur 80 d’activité et de chaque professionnel. » La différence entre ces deux structures est que pour l’établissement « B » la séparation par domaine de compétence peut poser problème lorsqu’il y a chevauchement comme le reconnaît (10) : « Tout ça est, à mon avis, assez structuré pour que, justement, il ait son domaine de compétence à lui, sans que je lui marche dessus, sur ses plates-bandes. Alors, des fois, il y a des moments, j’interviens pour des choses, mais on essaye à mon avis ce respect mutuel. Et puis, à des moments, lui aussi, à des moments, il me relance : « attendez, là, je ne peux plus, je ne sais pas, j’ai besoin de vous », et on en parle ». Alors que pour (1) cette séparation est productrice de sens : « il arrivera qu’à certaines audiences, il y ait le chef de service, l’éducateur référent et moi, étant donné que nos territoires sont bien définis, on représente des choses différentes. » La répartition des tâches est importante dans les deux établissements, car l’accent est mis sur la définition du rôle de chacun des dirigeants, afin que chacun puisse agir librement. Cependant, la logique qui accompagne cette séparation est différente puisque, chez « B », elle se fait par domaine de compétence, l’éducatif pour le chef de service et l’administratif pour le directeur, qui participe donc uniquement aux réunions institutionnelles, pour éviter la confusion que la présence des deux cadres aux autres réunions pourrait générer ; alors que, chez « A », la logique de séparation se situe au niveau des responsabilités différentes, la directrice participant à toute les réunions institutionnelles et éducatives, où les compétences de chacun se complètent et s’articulent. Nous nous proposons maintenant d’étudier ce que nous disent les interlocuteurs sur les fonctions attendues par les éducateurs et les cadres, dans les deux lieux d’investigation. 3.3.2 Fonctions attendues Les éducateurs, qu’ils aient toujours fonctionné avec un chef de service, ou connu la création du poste de chef de service, en attendent des choses précises. Alors quelles sont ces attentes ? Pour les anciens comme pour les nouveaux éducateurs, elles se situent au niveau : de la communication : passage d’information, centralisation, coordination, écriture, planification des horaires, validation des organisations proposées par les éducateurs 81 de la conduite des projets et idées « Je crois que c'est le rôle aussi du chef de service de repréciser certaines choses, le cadre, et puis de repréciser l'esprit. » nous dit (6) de la confiance : fiabilité (fait ce qu’elle dit), rigueur, disponibilité, écoute, autorité garantissant les limites autorisées, soutien des équipes dans leur travail. de la cohérence : avec le cadre institutionnel, avec les équipes ; les aide dans la réflexion (ne décide pas seul), permet d’anticiper. Et pour les nouveaux, les attentes sont aussi au niveau de la présence physique : rassure, interlocuteur direct des éducateurs et aussi des familles du recadrage : avec pertinence, sur les écrits, les choix éducatifs, en lien avec l’histoire de l’enfant et de sa famille de l’instruction : sur la profession, le positionnement professionnel dans les situations de premier poste. Ces attentes se situent essentiellement à un niveau fonctionnel et peu dans la gestion dynamique d’une équipe, ce qui, du point de vue de la légitimité, reste faible. C’est dans le vocabulaire utilisé par les cadres, directeurs et chefs de service ; mais également psychologue, que nous avons trouvé des dimensions plus stratégiques à la fonction de chef de service éducatif. Dans l’établissement « A », les compétences du chef de service sont caractérisées en des termes supposant une dynamique de faire accepter qui prédisposerait le poste à être reconnu : porter l’équipe éducative articuler tout le travail entrepris au service du projet personnalisé de l’enfant, le travail de partenariat, les horaires. faire circuler les informations par des supports écrits. Dans l’établissement « B » elles se déclinent dans le registre plus formel du « faire faire » qui indiquerait une orientation du poste vers plus de contraintes : Partager, travailler en équipe, avoir un partenariat avec les éducateurs avoir en charge l’équipe éducative demander un travail bâti ensemble, de concert. permettre aux enfants de se repérer, d’avoir un cadre, une éducation 82 Etre médiateur entre l’éducateur et l’enfant Donner confiance en eux, aux éducateurs. organiser ; ordonner les réunions avec l’extérieur en accord avec les juges, assistantes sociales, parents et en fonction des urgences des situations. Faire fonctionner les horaires, l’organisation, les projets de vacances, les camps… Il nous faut réunir les attentes des éducateurs et des cadres pour faire apparaître toutes les responsabilités d’un chef de service avec leur rôle stratégique. Le positionnement hiérarchique des interlocuteurs explique cette différence, car les éducateurs sont les premiers bénéficiaires du concret de l’action de leur chef de service, alors que les cadres sont dans la philosophie de l’action. L’approche conceptuelle de la fonction entre le « faire accepter » et le « faire faire » creuse un écart entre les deux lieux. L’établissement « A » fait ressortir plus de prédisposition à la légitimité, contrairement à l’établissement « B » qui se soucie plus du pouvoir de son chef de service éducatif. Nous allons maintenant étudier de plus près les discours sur la communication, la confiance et la délégation qui ressortent comme des valeurs incontournables dans ces attentes. 3.3.3 Les incontournables Communication Nous avons trouvé 36 items qui traitent de cette notion. En latin, « communiquer » c’est « communicare : être en relation avec ». La communication c’est « dans un sens large, toute opération de transfert ou d’échange d’informations entre un « émetteur » et un « récepteur ». Dans ce sens, la communication ne se réduit pas à l’échange verbal, puisqu’il existe bien d’autres systèmes de communication, aussi bien humains (l’écriture Braille, la signalisation routière, les cartes, etc.), que non humains (par exemple, la danse des abeilles). Quel que soit le type de communication, le transfert d’informations n’est possible que si émetteur et récepteur partagent, au moins partiellement, le code (c’est-à-dire le système de signes) dans lequel a été transcrit le message. »76 Nous comprenons alors qu’au delà du code, plus les personnes qui communiquent partagent de choses, plus leurs transferts d’informations seront riches. 76 Encyclopédie Microsoft Encarta. 2003. 1993-2002 Microsoft Corporation. 83 Nos interlocuteurs confirment qu’une proximité entre les personnes favorise la communication, entre pairs, nous dit (11) « c’est une question que je vais débattre très prochainement avec mes collègues, chef de service de l’association ». Elle est d’ailleurs évoquée comme un signe de bonne cohérence, entre les personnes ou les services, nous précise (1) « C’est très bien repéré et on n’est pas du tout l’une et l’autre dans le bureau de l’autre tout le temps, mais tout le monde sait qu’on communique bien. Alors qu’avant, souvent les éducateurs venaient aussi vérifier si j’étais d’accord avec ce qui leur avait été dit. » Il est important de passer par des lieux prévus, comme les réunions, ou alors par une communication écrite, qui rend compte de ce qu’on fait, et qui est en cohérence avec ce qu’on a dit. « Le rapport est écrit et toujours relu par moi, et la conclusion rédigée avec moi. Parce que c’est aussi, en terme de communication, une vitrine de la qualité du travail qui est fait» pour (1). Car, oralement, elle peut se perdre, d’après (7) « les choses étaient dites verbalement et que forcément, ça se perd » Les outils de ce type de communication existent dans les deux lieux : cahier de liaison, feuillet de message… Ils servent également pour un gain de temps avec les personnes qui sont peu présentes, comme le médecin psychiatre. Un directeur précise qu’il faut être joignable, mais ne pas en devenir corvéable, car la communication a aussi ses travers. On peut communiquer pour ne rien dire, ou dire des choses fausses, d’après (9) «plus vite il est rectifié mieux ça vaut, plutôt qu’il y a des bruits de couloir » car quand on peut se parler sans détruire, elle est un outil intéressant qui enlève de la pression à tout le monde, explique (7) « c’est que les choses soient dites et posées parce que il y a que comme ça qu’on peut avancer, en tout cas à mon avis à moi, sereinement. Je travaille beaucoup la porte ouverte » Cet outil de la communication est également important, car il permet de passer par une triangulation qui met une circulation et évite le piège du sens unique, comme celui de parler sans être entendu, ou ne pas arriver à se parler. Ces situations, où la communication est entravée, empêchent toute élaboration : «ce groupe là n'arrivait pas à se parler et à élaborer sa pratique éducative », d’après (12). Cet aspect de la communication est à souligner car, d’après Paul WATZLAWICK, « Toute communication présente deux aspects : le contenu et la relation, tel que le second englobe le premier et par suite est une méta 84 communication.»77. Dans ce type de communication où la parole ne passe plus, il reste l’aspect de la relation qui contient du sens. Comme nous le dit encore (12) d’une autre manière « Mais quand même l'idée, c'était un groupe de grands : un groupe d'éducateurs qui n'arrivent pas à se parler à leur sujet et qui faisait que les problèmes qu'ils auraient pu parler entre eux, ou les critiques qu'ils auraient pu s’émettre les uns les autres, au sujet de la façon de faire avec leur groupe d'enfants, ils les laissaient faire. Ils les exposaient et ils les laissaient montrer du doigt par le psychologue ou l'éducatrice chef par exemple. » La communication est incontournable, mais elle peut construire ou détruire. Elle est facilitée par une reconnaissance entre les communicants, et elle facilite leur cohérence, à condition qu’ils respectent certaines règles. La communication doit être écrite, plutôt qu’orale, elle doit respecter des lieux, des temps prévus, et la disponibilité des personnes. Elle suscite de l’intérêt pour un responsable quand elle sert d’intermédiaire, en permettant de faire du lien, et du coup enlève des tensions. Dans les situations de non communication orale, il reste du sens, sous forme d’une relation, que WATZLAWICK appelle méta communication. « On ne peut pas, ne pas communiquer »78, cette formule pragmatique de la communication doit être un outil pour les chefs de service qui peuvent décoder un certain nombre de messages implicites, et ainsi remettre du sens et du lien. Elle est alors, un outil stratégique qui renforce les compétences du chef de service éducatif, car elle permet d’énoncer les problèmes, de faire circuler de l’information sur les faits, les valeurs et les points de vue. Confiance et délégation Nous étudions alors le contenu des discours sur cet aspect de la confiance qui semble indispensable pour que la communication entre les acteurs puisse continuer à produire du lien. Toutes les personnes interrogées confirment dans 43 items que la confiance est nécessaire dans le lien qui unit les différents partenaires. La confiance se construit réciproquement, explique (10) « les gens sentent cette confiance qui peut être témoignée de l'équipe de cadres à son personnel, donc confiance après réciproque quand ça fonctionne » Même si elle doit prendre son temps pour s’instaurer, nous démontre (11) : « Les trucs de bases n’étaient pas acquis chez les enfants/Et chez les adultes non 77 Paul WATZLAWICK, Janet HELMICK BEAVIN, Don D JACKSON Une logique de la communication. Seuil, Paris, 1972, p 52 78 Paul WATZLAWICK, Janet HELMICK BEAVIN, Don D JACKSON.op.cit.p.48 85 plus, pour que vous les posiez ?/Hé ?/Et chez les adultes non plus pour les poser? Il n’y a pas d’adultes non plus pour les poser/Non, non. Il y avait une confusion dans les places de chacun, c’était assez impressionnant ». Nous comprendrons que c’est difficile pour cette chef de service (11) de faire confiance au personnel éducatif et que lors de l’enquête, l’équipe devait encore apporter ses preuves à (11) « Moi je regarde systématiquement tous les cahiers des éducateurs, je les lis en long en large et en travers, le cahier de liaison collectif ». Par contre, lorsqu’elle est acquise, elle le reste, à condition qu’une des parties ne fasse pas alliance avec une autre personne qui n’inspire pas confiance, comme nous le dit (4) « Oui, j’avais beaucoup confiance, qui m’a beaucoup déçu, ça c’est clair. Mais bon, qui est quand même une personne humaine de valeur et de qualité, par contre, pris dans la relation avec le chef de service qui ne fonctionne plus du tout, quoi », ou que personne ne se sente trahi, d’après (9) : « les gens ne se sentaient plus en confiance, ce sont des mots qui ont pu être dits : « Je ne sais pas ce que tu pourrais aller dire un jour » ». La confiance permet d’aller vers l’autre pour exprimer ses idées, elle apporte de la sérénité, précise (12) : « Elle avait assez confiance en moi, donc je pense qu'elle arrivait à peu près à naviguer là-dedans. Mais elle pouvait assez vite imaginer qu'on voulait prendre ce pouvoir ». Un lien entre respect et confiance peut être établi, la confiance peut se définir par un respect mutuel, nous dit (1) : « dans le mot respect, il y a le mot confiance ». Les deux directeurs ne se situent pas de la même façon sur les limites à donner à cette confiance. Nous touchons alors à leurs responsabilités, et à leur conception de la délégation. Le directeur de « B » (10) a une confiance totale en la personne à qui il délègue, que ce soient éducateurs ou chef de service : « Il assumera son rôle qui est celui de représentant permanent du directeur en son absence. Ce pourquoi, et ça aussi on en a beaucoup parlé entre nous, il n’empêche que sa décision qu’il aura prise à ce moment là, je ne lui dirai pas « vous avez pris, débrouillez vous », j’assumerai et je prendrai en compte, en tant que responsable quand même de cette maison, que cette décision, je l’assume même en mon absence ». La délégation est pour lui un outil pour responsabiliser : « C’est à dire que déléguer, on peut le faire de plein de formes, on peut déléguer pour se décharger, on peut le faire pour plein de choses. Et moi je le fais pour responsabiliser les gens. ». Le directeur de « A » (1) ne délègue pas toute sa responsabilité, il reste garant de l’institution : « Alors, comme mot clef, je rajouterais, 86 quand je mets « participation », en sous chapitre je mettrais « délégation ». C'est-à-dire que tout se tient quoi, quand on est cohérent au service d’une même mission que chacun connaît bien, là où commence et où finit ses responsabilités son territoire, sa fonction, ça veut dire qu’il est au clair avec les délégations aussi. Donc c’est pas moi qui fait tout, je suis garant de ce qui se fait, mais voilà, j’impulse… ». Mais il permet un partage des tâches sous son contrôle : «En étroite collaboration avec le directeur dans des délégations claires nettes très précises, rigoureuses avec une organisation interne du service éducatif qui veut dire qu’on peut anticiper ». Une dernière particularité commune aux deux établissements est que le directeur communique nettement sa façon de déléguer, comme nous pouvons le voir dans l’établissement « A », à travers le commentaire de (1) : « D’un enfant à l’autre, d’un éducateur à l’autre, d’une situation à l’autre, les choses se répartissent différemment », qui fait écho au commentaire de l’éducatrice (13) : « il y a des choses que le chef de service peut aussi déléguer, qu’il ne demandera pas forcément à une collègue qui débarque parce que je connais, depuis le temps que je travaille ici. » Cette dernière remarque explique également l’absence de la notion de délégation dans le discours du chef de service (7). La confiance envers les éducateurs n’est pas encore pleinement assurée, comme nous l’avons vu, ce qui semble peu compatible avec une responsabilisation totale, comme le directeur de cet établissement l’accorde au chef de service. La délégation est bloquée à son niveau, ce que confirme une éducatrice (4) : « Quand le chef de service dit : « c’est moi qui m’en occupe », on ne peut pas passer outre ». La confiance s’instaure réciproquement et doucement, les preuves sont à faire et, elle peut disparaître dans certaines situations de trahison. Elle permet de créer du lien, d’échanger. On peut la mettre en lien avec les notions de respect mais aussi de délégation. Notions qui ne sont pas approchées tout à fait de la même manière dans les deux établissements ; mais qui démontrent bien que la façon de déléguer part du directeur et se poursuit en cascade sur le même mode d’approche, ou s’arrête, quand la confiance n’est plus. « Effectivement pour les sociologues, la détermination des comportements seulement à partir des stratégies des acteurs ne permet pas d’appréhender avec suffisamment de précision la création ou l’acceptation de la coopération. D’où aussi la question du lien social, qui passe par la confiance »79. Ainsi, 79 Philippe BERNOUX. La sociologie des entreprises. Paris, Seuil, 1995, p.177 87 la confiance se gagne, s’entretient, elle est bien un outil indispensable pour le chef de service éducatif qui veut faire accepter ses décisions. Conclusion Les deux établissements ont connu une crise, suite au départ d’un directeur, dont l’un a su bénéficier, l’autre pas. L’établissement « A », qui a repris son projet, connaît une construction qui se poursuit vers la création d‘un service éducatif. Dans l’établissement « B », qui n’a pas, au moment de l’enquête, réécrit son projet, le chef de service continue à bâtir le poste. La création de ces deux postes (ou services) de chef de service éducatif se fait dans les mêmes périodes et dans des conditions similaires. La dénomination d’éducateur chef est bien cernée dans les deux établissements qui souhaitent, en définissant bien la répartition des tâches entre les cadres, donner à leur chef de service éducatif une position stratégique de « pouvoir faire ». Les différences se situent premièrement dans la dimension donnée au « faire » du « pouvoir faire », qui est « pouvoir décider » dans l’établissement « B » et « pouvoir gérer » dans l’établissement « A » ; deuxièmement dans la logique de séparation, qui se fait au niveau des compétences, pour l’établissement « B », avec le chevauchement qui est nommé comme un inconvénient, et qui se fait au niveau des responsabilités, pour l’établissement « A », qui vit cette séparation de territoire comme une richesse de sens. L’incidence de ces différences sur les stratégies menées par les chefs de service éducatif éclaire également l’écart dans l’approche conceptuelle de la fonction, qui se situe plus dans le formel pour l’établissement « B », et plus dans le fonctionnel pour l’établissement « A », qui fait ressortir ainsi sa prédisposition à la légitimité. Nous avons vu que les fonctions attendues du chef de service tournent beaucoup autour des questions de communication, confiance, délégation, dans les deux établissements. La communication est essentielle dans le discours des personnes interrogées car elle permet le maintien du lien quand certaines conditions sont respectées, comme la confiance entre les interlocuteurs. La confiance est aussi un élément indispensable dans la délégation. Ces notions sont des outils stratégiques indispensables aux chefs de service qui veulent renforcer leurs compétences et ainsi leur légitimité. Nous allons maintenant repérer dans les discours ce qui est dit au sujet du fonctionnement dans sa cohérence, ses difficultés et ses facilités. 88 4 Fonctionnement Après, la restitution des caractéristiques apparues autour de la légitimité des chefs de service éducatif de ces deux établissements, nous allons poursuivre notre analyse, en nous attachant à l’articulation des logiques, à travers la cohérence des fonctionnements, l’étude des conflits de pouvoir et des difficultés ou facilités qu’ils peuvent rencontrer. 4.1 Cohérence Dans nos choix de support d’investigations nous avons demandé l’accès au projet d’établissement, mais seul le livret d’accueil de chaque établissement a pu nous être remis. Il nous semble opportun dans l’étude du fonctionnement, de nous y référer. En ce qui concerne l’établissement « A » nous trouvons inscrit, comme la loi le stipule, les missions de l’association et de l’établissement qui sont rédigées ainsi : « La mission de l’association est de participer à l’éducation des enfants et des adolescents, en difficulté dans leur milieu familial, et d’héberger et de réinsérer des femmes seules avec leurs enfants. » et « La mission de l’établissement est d’assurer, au bénéfice des jeunes, les fonctions d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement éducatif. ». Celle-ci est beaucoup plus détaillée dans le projet d’établissement où elle occupe une trentaine de lignes. Si nous mettons ces missions, qui reflètent les orientations de la loi 2002-2 en inscrivant l’usager au coeur des pratiques, en lien avec les propos des personnes qui les mettent en acte, nous constatons de la cohérence à beaucoup d’endroits : 89 Entre la vie de groupe et la mission comme l’explique (1) « On est là ensemble, personnel de l’établissement au service d’une même mission, même si la notion de groupe est indispensable dans l’organisation au quotidien pour créer une intimité » Entre la prise en charge des enfants et la mission, nous commente (8) : « c’est un établissement, ici, qui n’est pas un établissement thérapeutique, c’est un établissement éducatif ; donc, dans ce sens-là, qui s’est doté d’une enveloppe. Donc, moi, quand je vous parle de la direction, que ce soit cette direction-là ou une autre direction, ce n’est pas un psychiatre et quand bien même il serait psychiatre, il serait dans une fonction éducative, parce que c’est le fondement même du pacte narcissique, de l’institution avec la société, c’est celui-là. » ou encore (8) « Ici on vise à la démocratie psychique. Et si on veut la démocratie psychique, il faut que la démocratie institutionnelle existe, donc il faut qu’il y ait un moi, un ça et un surmoi bien différenciés, donc il faut qu’il y ait des instances de décisions. Il y a des protocoles, des rituels, il faut qu’ils soient suffisamment en place et cohérents pour que l’enfant ne se sente pas objet de l’emprise. » Entre le travail au quotidien et le projet de l’établissement, nous dit (7) « Mais je crois qu’elle a vraiment réussi à instaurer quelque chose de serein et de relativement harmonieux pour qu’on puisse travailler avec nos idées avec le désir de porter le projet d’établissement. C’est que depuis, du coup, il a été aussi réécrit. Donc on a été associé à ça, c’est vrai que tout ça, eh bien ça porte et ça donne envie de travailler, d’aller de l’avant ». Entre ce qui est écrit et ce qui est fait, nous confirme (1) « Alors, la demande d’admission : quand le travailleur social, il envoie un dossier, il vient, il a une rencontre comment ça se passe ? A la première rencontre, qui vient ?/ Oui alors vous allez avoir dans le projet toute la procédure d’admission. » Dans la rédaction de la procédure, nous pouvons lire « Dans un second temps, le jeune participe à un entretien avec le médecin psychiatre de l’établissement », ce que nous confirme cette personne ((5) : « je vois tous les enfants au moment de leur admission, quand je dis « au moment de leur admission », c’est un petit peu large : c’est dans le mois de leur admission » 90 Pour l’établissement « B », nous trouvons noté que « L’Association milite dans ses engagements auprès des enfants qui rencontrent de grandes difficultés. Sa volonté est de permettre leur résolution en associant à chaque fois que c’est possible les parents, les familles, dans un esprit de coopération et de complémentarité ». Cette mission se centre davantage sur l’enfant, qui peut être isolé de sa famille, alors que dans le livret d’accueil, la fiche concernant le séjour à l’établissement débute par « Actuellement la situation de tes parents est difficile ». Nous soulevons d’emblée la question de la cohérence entre « l’enfant en grandes difficultés » et « la situation des parents qui est difficile ». Rien n’est écrit sur la mission de l’établissement, juste, sous le titre de « population accueillie », nous lisons : « La maison (nom de l’établissement) est une maison d’enfants à caractère social, qui accueille 25 enfants, garçons et filles de 5 à 18 ans, en difficulté familiale importante ». Nous rappelons que cet établissement prévoit d’écrire son projet et qu’alors leur mission pourra être stipulée. En ce qui concerne les propos recueillis nous constatons également une cohérence défaillante dans : La mission « Auprès d’enfants qui rencontrent de grandes difficultés…permettre leur résolution » et les propos d’un éducateur (4) « C’est vrai qu’on ne sait pas trop y faire, je crois non plus, avec des enfants en grandes difficultés, quand on est justement face à des enfants qui sont violents. On a quand même évincé beaucoup d’enfants (rire moqueur) cette année. Tous les départs, c’est quand même beaucoup d’enfants qui ont posé des problèmes et qui ne sont plus là ». La procédure d’admission inscrite ainsi : « Après réponse favorable, une rencontre avec l’enfant et sa famille est organisée en présence du travailleur social. A cette rencontre est présent l’éducateur référent de l’enfant » et le discours du directeur (10) Parce que dans ces admissions, il y a des familles et des enfants. Elles le vivent comment la présence d’un psy à ce moment là ? Elles le savent ?/On le présente toujours. Non ça se passe assez bien. Les gens qui arrivent dans des maisons d’enfants, ils savent qu’il y a tout un entourage. On essaye de ne pas mettre tous les éducateurs qui ont les enfants, on essaye qu’il n’y ait pas dix personnes en face des parents. Ca fait moi-même, enfin le chef de service, moi-même, le psychologue et un éducateur ou éducatrice, ça fait 4 personnes » Le paragraphe intitulé « ton projet personnalisé », dans le livret d’accueil, utilise dans son contenu le terme de « projet individuel » : « C’est ce qu’on appelle un 91 projet individualisé. Chaque année, à l’occasion de l’audience, ou de la commission éducative, ton projet sera réévalué ». Ces appellations de « personnalisé » et « individualisé » ne sont pas distinctes alors qu’elles font l’objet d’un débat80. Et dans cet écrit apparaît la notion de réévaluation, ce qui n’est pas du tout le cas, dans la réalité, puisque l’écrit n’est pas ressorti du placard, et ceci est dénoncé (4) : « Ce qu’il y a, en plus, ces projets individualisés ne sont pas réévalués, donc, pour l’instant. Par exemple dans trois mois on va pas reprendre chaque projet en disant bon ben voilà, il y a trois mois on en était là, où on en est par rapport à l’enfant qu’est ce qu’on change ? Donc un an après, en fait on en fait un nouveau. (rire) Sans évaluation avec l’enfant, ça ne sert pas à grand-chose ». La cohérence est défaillante dans l’établissement « B » à plusieurs niveaux et en premier lieu par rapport à sa mission initiale, ce qui fait cascade avec les autres niveaux. Dans l’établissement « A » une bonne cohérence existe avec les écrits fondateurs. Or, cette cohérence aide à l’articulation des logiques car elle oblige à un accord, pour un même projet « On est là ensemble, personnel de CD au service d’une même mission et si la notion de groupe est indispensable dans l’organisation au quotidien pour créer une intimité qui se traduit par la manière dont on choisit les meubles, la répartition, bon, c’est quand même les mêmes règles de vie pour l’institution. Moi, quand je suis arrivée, il y a six ans, il n’y avait pas de règlement, dans la maison, et chaque groupe avait ses règles de vie, qui n’étaient pas du tout les mêmes ; donc, il y a eu tout un travail à faire pour que… il peut y avoir des règles de vie propres à chaque groupe, dans des domaines très précis, mais n’empêche qu’elles sont toutes fédérées par un même projet, la loi de l’établissement ». S’ il n’y avait pas d’accord possible, chacun, avec sa vision différente, tenterait d’entraîner en faveur de la stratégie qui a sa préférence. L’importance de conflits de pouvoir dans une organisation traduit son incapacité à articuler les logiques entre elles. 80 Jean-René LOUBAT écrit dans le lien social du 16 janvier 2003 « La notion d’individu (étymologiquement ce qui ne peut être divisé) exprime une idée d’unité, tandis que celle de personne (du latin persona : masque, et par extension : caractère, rôle) rend compte d’une singularité, d’une figure. Par conséquent la personnalisation n’exprime pas du tout la même idée que celle d’individualisation, c'est-àdire l’action de réduire à une unité indivisible, mais celle d’identifier à une personne, de saisir sa singularité. » 92 4.2 Conflits de pouvoir Nous allons donc explorer à travers les conflits de pouvoir de chaque établissement leur capacité à articuler les logiques. Pouvoir dans l’établissement « A » Les organigrammes hiérarchique et fonctionnel existent. Ils ont été pensés en cohérence avec le projet de l’établissement et s’attachent à définir la place et la fonction de chacun. L’organigramme fonctionnel81 concrétise bien les territoires et responsabilités de chacun. Si bien que le rajout d’un coordinateur entre le chef de service et les éducateurs, dans des temps occasionnels de prise de congé par exemple, n’est pas vécu comme un problème « Donc ça a commencé par un poste de coordination, où il n’y a pas les mêmes responsabilités que le chef de service mais où on est quand même plus en lien avec nos partenaires. Et, bon, on est plus à distance des enfants », nous explique (7) C’est l’occasion pour des éducateurs qui ont de l’expérience et qui se projettent vers un poste de cadre, de prendre quelques responsabilités supplémentaires. La psychiatre et le psychologue sont bien mis à part du management, même si leur statut les autorise à une autonomie dans leur organisation propre. Ils sont vécus comme un apport technique par la directrice (1) « La psychiatre est considérée comme un partenaire, une collègue de travail, elle n’a pas de pouvoir hiérarchique sur moi. Elle n’est pas là pour nous dire ce qu’on a, à faire ou pas faire. C’est vraiment un éclairage technique, le psychologue également, c’est la même place ». Par contre pour le psychologue, l’organisation hiérarchique permet que les informations redescendent et circulent mais surtout la différenciation du rôle de chacun donne du sens « le rôle de la direction et du chef de service est extrêmement important,et de la psychiatre aussi parce que ce n’est pas un face à face, ça triangule » Ce qui est confirmé ar les éducateurs,qui apprécient la hiérarchie également pour son rôle régulateur (6) « Ce n'est pas que la hiérarchie d'un point de vue management. On est aussi à un moment donné, à réfléchir sur les mêmes bases, on est à des niveaux certes différents, mais on est là pour la même cause. » Ainsi, les accords peuvent se trouver dans cet établissement, dans lequel nous n’avons ressenti aucune tension à travers les organigrammes. Dans l’étude des zones d’incertitudes nous avons pu déceler des difficultés entre certains éducateurs et la direction car pour la 81 Voir annexe 8 93 directrice et le chef de service, les zones d’incertitudes se situent au niveau des bruits de couloir sur les groupes où se traitent aux dépens des enfants des questions qui devraient se débattre dans les lieux appropriés. Les conflits se retrouvent également entre les services généraux et éducatifs, dont les missions se heurtent par moments, nous dit (9) « Les services généraux regardent beaucoup ce qu’on fait et critiquent beaucoup, ils critiquent positivement, mais très négativement le travail qu’on peut faire ». Les comparaisons d’un groupe à l’autre sont fréquentes avec des sentiments d’injustice, la directrice (1) le dénonce également au niveau des enfants : « on voit des enfants qui peuvent dire : « ho ben toi, t’as pas de chance, t’es sur tel groupe, le mien il est mieux » et même des adultes « Notre petit groupe, il est bien ». Même s’ils existent, ces conflits sont bien repérés par la direction et le personnel. Ils sont vécus comme des sonnettes d’alarme qui permettent la mise en place de dispositifs permettant la réflexion, afin d’améliorer le fonctionnement de l’établissement. Pouvoir dans l’établissement « B » Les organigrammes n’existent pas. Lorsque nous évoquons devant le chef de service (11) la nécessité de les faire figurer dans le futur projet, nous obtenons un soupir, puis un commentaire à propos du directeur général représenté dans une position hiérarchique très directive et pyramidale : « le directeur général c’est quelqu’un qui collecte tout, tout au niveau des lois, de tout. Quand il nous réunit, il nous fait part des décrets, de la façon dont on va s’y prendre pour s’acheminer vers les orientations définies par la loi, etc, etc…mais c’est quelqu’un qui est dans le… même s’il oriente de façon directive parce que on ne peut pas y échapper de toute façon, il est dans le dialogue bien évidemment, c’est le grand directeur mais il fait bien suivre les informations, c’est bien, ça descend » Le directeur (10) nous dit ne pas avoir réfléchi à cette question et n’élabore pas dessus car il sait qu’il va la travailler avec le projet d’établissement « un travail surtout du projet d’établissement qui va reprendre tout ça bien sûr, organigramme et autre et donc ce qu’on fait au jour d’aujourd’hui, et qu’est ce qu’on peut faire, ce qu’on va devenir, ce qu’on voudrait devenir, et ainsi de suite... Ce qui est le but d’un projet d’établissement » Par contre le chef de service a une fiche de poste qui le place au dessus des éducateurs et pas dans un entre deux, comme l’a connu à ses dépens le directeur actuel, quand il était au poste de chef de service. Il a une réelle 94 capacité à pouvoir faire comme nous l’avons déjà souligné. Effectivement, les éducateurs de cet établissement placent tellement bien le chef de service au dessus d’eux, que l’un d’eux, (3), le voit au dessus du directeur « Le directeur se fait mener par le chef de service qui a une très forte personnalité ». Alors que pour le directeur (10), la place de chacun est claire : « un chef de service n’est pas un directeur, un directeur n’est pas chef de service » Le débat autour de cette question de hiérarchie permet de découvrir un conflit entre les éducateurs et la direction, conflit qui se confirme quand une éducatrice (4) nous confie : « Et des impossibilités, en fait de la présence d’un cadre constante qui ne permet pas de développer certaines autres choses, puisqu’en présence d’un cadre nous on fait des constats par rapport aux enfants mais on ne se permet pas forcément d’aller plus loin ». L’absence de base organisationnelle a pour conséquence la présence de nombreuses zones d’incertitude. Nous énumérons ainsi les conflits de pouvoir qui en découlent illustrés par des items : Chef de service et éducateurs « Il y avait des équipes éducatives, je ne pouvais pas m’approcher du travail qui s’y faisait. il y avait comme un veto de la part des équipes éducatives, donc ça était loin parce que j’ai dû, j’ai dû/Un bras de fer ?/Oui, oui. Maintenant je crois que les choses sont comprises »(11) Educateurs entre eux et/ou entre groupe « Chacun est identifié à son groupe, on est amené à travailler avec des collègues le soir ; mais il y a un lieu commun qui est le bureau des éducateurs. Je peux mieux connaître les éducateurs des autres groupes avec qui je travaille que mes collègues avec qui je ne travaille pas »(2) Educateur et personnel de service « Je veux dire que c’est vrai, il y a quelque chose à organiser maintenant autour d’une rencontre régulière autour de ces personnes. Il y a eu des rencontres comme ça, une fois tous les… Mais c’était assez nul car ça tournait en eau de boudin, parce que c’était des rencontres du personnel de toute l’institution y compris le cuisinier…/Des réunions institutionnelles. Ce qu’on appelait réunion institutionnelle./Voilà. Donc dans laquelle le personnel de service posait des revendications à l’encontre des éducateurs. Ca tournait autour de la vaisselle, des poubelles, qui vidait les poubelles, les poubelles qui n’étaient pas vidées, les éducateurs qui laissaient des plats dans l’évier … »(11) Educateur et veilleur de nuit « Mais ça c’est pareil, ça va être à discuter, une veilleuse de nuit me faisait part l’autre jour que le lien ne passe pas avec les 95 éducateurs, c’est à dire que des fois le matin, « je ne sais pas qu’il ne faut pas réveiller tel enfant alors, je vais le réveiller ». Sur des trucs quand même essentiels les éducateurs ne transmettent pas l’information. »(11) Chef de service et secrétaires « Une maîtresse de maison avait des reproches de la part des secrétaires concernant le ménage qui n’était pas suffisamment fait à tel endroit, du temps qu’elle prenait avec les enfants, alors que c’était organisé avec moi. Enfin il y avait…ça créait une rivalité, non seulement une rivalité. Mais en plus ce n’est pas leur job, ce n’est pas leur job. Je l’ai dit après ça, à la secrétaire/Sans le directeur? /Sans le directeur. Et après j’en ai parlé au directeur, j’en ai reparlé au directeur »(11) Chef de service et directeur « « Donc réellement physiquement, même géographiquement vous avez dû faire votre place ?/ Physiquement, géographiquement j’ai du m’imposer./ Vis-à-vis des équipes, mais vis à vis du directeur aussi ?/Oui aussi, parce qu’il n’avait pas l’habitude de travailler, là où était mon attente. Mon attente, c’est vraiment partager, moi j’aime travailler en équipe. » nous explique le chef de service (11), ce qui est confirmé par le propos d’une éducatrice (4) « Donc vous dites il y a aucune communication entre le chef de service et le directeur ?/Non parce que des fois on a même des avis contraires, des désaccords mais qui nous sont renvoyés à nous ». Les conflits sont nombreux, repérés avec l’aide du chef de service qui souhaite y remédier en dénonçant chaque point pour que des solutions soient trouvées. « Mais demain on revoit toutes ces petits points qui finalement détériorent l’ambiance d’une maison d’enfants on va revoir ça en réunion d’éducateurs. On revoit ça avec le directeur ». Alors que nous ne pouvons que constater les grandes lacunes de cet établissement pour articuler les différentes stratégies, l’éducateur (3) le formule très clairement dans son propos « les manières de voir les choses, c’est pas simple, c’est souvent houleux, on ne comprend pas bien pourquoi l’autre fait comme ça, et les espaces entre les groupes, ça demande souvent des discussions, des trucs compliqués » Nous comprenons que c’est la stratégie de l’autorité avec le soutien du directeur que le chef de service va faire jouer, pour permettre d’améliorer l’ambiance de la maison d’enfants. 96 C’est ainsi que nous proposons de relever les raisons abordées par nos interlocuteurs au sujet des difficultés et des facilités rencontrées dans leur établissement pour assurer une bonne cohérence. 4.3 Circonstances favorisant ou non la cohérence 4.3.1 Difficultés Les premières difficultés qui viennent à l’esprit des personnes interrogées sont liées à la résistance au changement. Les raisons de cette résistance s’expliquent par des peurs : De perdre quelque chose ou quelqu’un, nous explique (12) «ça pouvait faire peur aux éducateurs de réduire leur groupe, être avec des collègues et pas avec les autres. Voilà, tout ce qui est de l'ordre du choix, de la restriction, mais pour avoir un plus, un moins pour un plus » De ne plus comprendre la finalité des choses, nous dit (4) « c’était tellement fermé dans des petits tiroirs qui répondaient à une commande en fait par rapport aux tutelles et au conseil général. Que nous on ne pouvait pas en fait développer la pratique, ce qu’on faisait dans l’établissement, donc c’était un peu vide de sens ». D’être uniformisé, nous explique (13) : « Chaque groupe avait un peu sa particularité, son fonctionnement, aujourd’hui il faut uniformiser ou presque ». Ces peurs amènent à une fermeture pour se protéger, nous dit (1) :« on voit de la part des anciens éducateurs surtout, des réflexes de se refermer sur son petit groupe ». Les motivations de cette résistance s’expliquent alors, dans des choses simples qui ne remettent pas en cause le fonctionnement ou l’utilisation des locaux existants, nous commente le chef de service (11), qui a dû géographiquement marquer son territoire, rencontrant beaucoup de résistances : « Au début, donc, mon bureau était là et le jeudi, les réunions d’éducateurs avaient lieu dans mon bureau. Ce qui fait qu’il y avait une invasion d’éducateurs. J’étais obligé de pousser mes affaires. Ca me… c’était insupportable. J’ai assez rapidement demandé que mon bureau reste mon bureau, je ne supportais pas cette intrusion ! / Surtout que c’était les trois groupes, du coup, qui venaient ?/Oui donc les réunions d’éducateurs, enfin, institutionnelles, se font dans le petit préfabriqué là-bas. Dans une salle qui était intouchable, elle n’ était utilisée que le 97 soir parce qu’elle correspondait au soutien scolaire des enfants, donc, dans la journée, elle était libre ; mais c’était la pièce où on n’entre pas !». Car le changement, obligerait à transformer les manières de faire. Un éducateur dénonce ainsi la lassitude des actes du quotidien (6) «Je pense que vraiment si je parle de résistance, c’est plus du confort de travail et puis d’une lassitude d’avoir toujours le groupe. C’est plus propre à des gens qui sont là depuis pas mal de temps avec un mode de fonctionnement particulier ». Ainsi qu’un chef de service (7) qui rappelle la nécessité de se remettre en question « pour certaines personnes, il y a de la résistance, car cette flemme je ne sais quel terme employer, de modifier des choses ou en tout cas de les réinterroger ». Et si cette résistance devait s’installer, le risque serait alors que les choses soient acceptées comme impossibles à remettre en question, nous dit (11) : « Leur poste n’était pas bien défini. J’en avais parlé plusieurs fois au directeur qui n’avait pas relevé, qui me disait « c’est un état de fait », et il ne reste alors qu’un pas, pour rendre responsables des individus de cet état de fait, ce qui peut conduire à un déplacement de la cause réelle sur une personne « C’était les affaires de Me X (chef de service) ce n’était pas la loi 2002 » ou, sur des organisations-vérités « On ne pouvait pas toucher à l'organisation c'était comme si toucher à cette organisation, on touchait à une vérité » qui peuvent aboutir à des croyances uniques, voire des positions totalitaires, nous dit (8) : « Ca s’entretient, la démocratie, si ça s’entretient pas, on régresse à des formes beaucoup plus archaïques de groupement qui sont la dictature ou autres, quoi ». Même si, dans des cas extrêmes, les thérapeutes l’expliquent à travers des incapacités (12) : « Finalement ses capacités d’adaptation n'étaient pas assez grandes pour changer », voire des structures de personnalité (5) : « mais il peut se faire dans d’autres institutions que ce soit la psychorigidité de tel ou tel interlocuteur qui rend les choses difficiles, beaucoup plus que la différence des cultures à mon avis, parce que ça, ça peut toujours se travailler ». Les autres difficultés évoquées sont d’ordre organisationnel : soit, tout simplement dans des questions d’espace nous dit (9) : « L’antagonisme, les réticences, elles sont plus ciblées sur un groupe quand même. On parle du groupe C qui en plus est à l’opposé des deux autres groupes. Premier étage, groupe B, deuxième étage, groupe V, et à l’autre bout, il y a l’aile où il y a le groupe C. Et bien le lien est plus difficile, et c’est ce petit groupe là bas où il y a tous les jeunes en plus », soit, dans la répartition des enfants en groupes verticaux ou horizontaux, comme le vit (6) : « le problème, on a plus de pré 98 ados, des garçons, les petits ils ne supportent pas. On leur fait violence quand on leur dit : « on va manger là-bas ». Donc on essaye de casser, on invite les adolescents parfois ; mais on ne peut pas faire ça tout le temps non plus, on perd l’âme de la verticalité », soit dans la mixité des équipes nous dit encore (6) : « je dirais l'autre point noir, c'est qu'il y a peu d'hommes dans cette maison. Vous verrez beaucoup de femmes sur les équipes qu'un éducateur et par groupe on est quatre ou cinq personnes. Donc, ça fait 14 éducateurs au total et il y a trois hommes. C'est peu, sachant qu’on a actuellement plus de garçons que de jeunes filles, avec des problématiques justement de mère isolée ou autre, absence du père. Moi je trouve que les jeunes nous sollicitent de plus en plus et c'est ce qui conduit certains jeunes à dire : « c'est mon éducateur » plus que : « c'est mon éducatrice », il se l'approprie ». Ces difficultés organisationnelles renforcent effectivement la complexité du travail, citée par (5) « C’est toujours un travail extrêmement complexe parce que les exigences éducatives sont différentes, peuvent même parfois, être contradictoires avec le soin. » car ce ne sont pas les caractéristiques d’un individu, mais la capacité des gens à coopérer (7) : « « mais tu n’es pas sur mon groupe » et pour que des gamins disent ça c’est que forcément ils le ressentent chez les adultes » en s’adaptant aux circonstances « ce qui est important c’est que les choses qui ont pu être travaillées puissent leur être restituées, mais à leur niveau, avec leurs mots, on emploie du vocabulaire technique aux réunions de synthèse » Les premières difficultés se situent dans la résistance au changement qui s’explique par la peur de perdre quelque chose, ou quelqu’un, la finalité des actions menées ou encore la peur d’être uniformisé. Elle mène à un repli pour se protéger en limitant l’action comme sur le groupe d’appartenance qui permet un meilleur contrôle. Cette forme de difficulté amène au risque que les pensées deviennent rigides avec des systèmes de bouc émissaire, et au pire, des organisations archaïques de groupement. D’autres difficultés sont d’ordre organisationnel, soit de configuration de lieu, de groupes d’enfants ou de parité entre les hommes et les femmes composant les professionnels, ce qui n’arrange pas la complexité du travail qui doit faciliter la coopération entre les gens. Ces difficultés sont donc stratégiques, elles doivent être 99 connues pour permettre l’articulation des logiques, sinon l’établissement court le risque de fonctionner avec des logiques isolées. 4.3.2 Facilités Face à ces difficultés nous trouvons effectivement, dans les propos recueillis, des solutions vécues par ces acteurs de terrain. Elles passent par une énergie renouvelée grâce à l’accueil de jeunes professionnels, nous dit (6) « il y a des tas d’ateliers qui sont mis en place, et qui accueillent des enfants de tous les groupes ; ça a beaucoup été insufflé par des éducateurs qui sont arrivés ces 5 dernières années », également de stagiaires, nous précise (13) « Les vieux comme nous c’est bien que les jeunes nous renvoient des choses, parce que je crois que des fois on a tendance à rester un petit peu sur ses acquis et sa façon de fonctionner ; mais c’est aussi l’intérêt des stagiaires ». Mais, également, par une façon de travailler en équipe où chacun trouve sa place, comme le reconnaît (4) : « Du jour au lendemain il a fallu tout relâcher de nouveau quoi, alors que, vraiment, enfin, on trouvait une façon de bosser qui nous correspondait. Donc c’est plus ça qui a créé des tensions ». Ces solutions passent aussi par le biais de nombreux lieux d’échanges qui favorisent la circulation d’informations, nous explique (11) : « les cahiers, je pense qu’ils ont été faits juste avant mon arrivée ; sinon, avant, je ne sais pas comment ils communiquaient, ça devait être un gros bazar, pour ne pas dire autre chose… » et qui encouragent l’expression des malaises et insatisfactions dans le respect et la confiance de l’autre, grâce à un souci de professionnalisation, nous dit (1) : « Le pôle logistique qui peut trouver que les éducateurs ne font pas assez attention à ce que les enfants respectent leur travail ». Ces lieux d’échanges permettent ainsi l’élaboration commune pour rechercher des solutions vers un minimum commun, pour avoir des projets de création, pour améliorer l’harmonie institutionnelle dans une idée d’appartenance et de synergie. « Je crois que l'avantage du chef de service, c'est que ça a permis, justement de lancer un sentiment d'appartenance, de synergie, de lancer vraiment ce fonctionnement, mais qui a du mal à se mettre en place. Il fonctionne, ça fonctionne de fait, mais pas dans l'âme, pas dans l'esprit », nous dit (6). Donc de nombreuses réunions doivent être organisées par des personnes compétentes et dans un souci de transparence, nous commente (7) : « Donc vraiment ces modules ça a 100 été un lieu où les gens ont pu livrer leur ressenti et où ça a pu être parlé et où il y a pas eu de jugement de valeurs et je pense que vraiment, là, ça a apporté aux gens qui ont participé, à chacun, ça a beaucoup apporté, parce qu’ on s’est vu sous des angles différents ». Les supervisions ou analyses de la pratique sont bien appréciées pour la cohérence qu’elles apportent, nous dit (6) : « alors c'est vrai qu'en analyse de la pratique, on ne parle que de notre pratique au sein de notre groupe, ou de l'institution. De manière que l'on puisse échanger et que ça ne soit pas un déversoir, ou autre, de revendications particulières. Parce que là, de toute façon elle nous... Quand ça dérape, elle remet le cadre de. C'est quelque chose qui permet de bien réguler, de bien travailler en cohérence avec l'établissement ». Cette diversité de lieux et d’éclairages permet de différencier symboliquement les lieux, ce qui facilite l’autonomie de chacun, nous explique (8) : « Ensuite est arrivée une psychiatre, donc ça fait du poids, donc les réunions ont commencé à s’organiser autrement, se différencier, et puis ensuite il y a eu l’arrivée du chef de service et l’arrivée de la psychologue pour l’analyse de la pratique, ça s’est fait en même temps. Et du coup les choses se sont petit à petit différenciées ». Car les facilités d’une articulation se trouvent dans la compréhension de la nécessité des choses, dit (1) : « il y a bien un moment où il faut se poser et raccrocher toutes ces urgences à une ossature, c’est à dire à un service, on sait exactement ce qui se passe pour le soin, ce qui se passe pour les écoles, qu’est ce qu’on met en place ». Une des façons pour les comprendre est d’entreprendre une formation comme (10) : « j’ai énormément apprécié cette formation. Parce que là on est vraiment dans l’action, on n’est pas dans le fait d’absorber des choses, on est dans quelque chose de l’ordre du partage avec des gens hyper-pointus en terme de droit, de compta, de management, en terme de plein de choses qui vous font mais avancer ». Car le sens des choses, on le croise surtout dans l’élaboration de l’édifice de l’établissement, nous explique (5) : « des réunions où l’on aborde tous les problèmes généraux de l’institution, certains qui me sont un peu étrangers, d’autres qui sont plus proches de ma fonction, qui ont trait justement à la construction de l’édifice éducatif, et ça a une influence directe sur la vie psychique des enfants. Et là, j‘y suis très intéressée, je veux dire simplement les règles de base, les règles de vie de base », car il est important qu’entre les différents points de vue une entente puisse se faire, nous raconte (10) : « Il y a des choix qui s’entrecroisent entre, même si le directeur et le chef de service ont des fonctions bien distinctes, ils 101 peuvent aussi se rencontrer, et le psychologue est là aussi pour trouver une solution commune » ainsi, les différences deviennent une complémentarité, comme l’a découvert (4) : « En fait, de nos différences, on en a fait une complémentarité et une richesse. Alors qu’avant, toutes différences c’était une horreur entre nous et c’est ce qui fait maintenant la force de notre équipe », et pour que ça puisse se faire il faut pouvoir un minimum s’identifier à l’autre, explique (8) : « Ce qui ne veut pas dire que les identifications éducatives vont être celles à partir desquelles l’on travaille dans le cadre de la thérapie ; mais si, moi, je n’ai pas une représentation, si je ne peux pas m’identifier au monde éducatif, si j’ai pas idée de ce que je peux faire bouger, ce que je peux demander en terme d’investissement, d’ennui, de tracas à un éducateur, je ne peux pas rencontrer l’éducateur. » Les solutions trouvées par les acteurs de terrain se trouvent dans un apport de regards neufs mais aussi dans la multiplication de lieux qui favorisent la communication et donc les liens, les projets communs. Les nombreuses réunions sont donc un outil essentiel, à condition, qu’elles permettent la diversification des compétences pour mieux comprendre et organiser le travail des établissements. Dans ces temps de rencontre, la diversité des points de vue peut alors devenir une richesse. Conclusion La cohérence dans les établissements impulse l’articulation des logiques qui, en diminuant les zones d’incertitudes, limite la fréquence des conflits de pouvoirs. L’établissement « A » connaît une organisation cohérente où les rares conflits sont considérés comme des indicateurs de point à surveiller. Pour l’établissement « B », où la cohérence est défaillante, les conflits de pouvoirs sont nombreux et le chef de service conscient de ces dysfonctionnements propose de les réguler par sa logique d’autorité. Les origines des difficultés de fonctionnement se répertorient dans la résistance au changement qui s’explique par des peurs ou par des problèmes organisationnels au niveau des espaces, des compositions de groupe, ce qui entraverait une synergie. C’est pourquoi les solutions proposées se situent dans tout ce qui favorise la circularité, avec des outils permettant des apports diversifiés et riches, pour permettre un fonctionnement avec une bonne cohérence où l’articulation des compétences serait possible. 102 Conclusion Les récits des 13 personnes rencontrées dans le cadre de notre investigation montrent que l’histoire de ces deux établissements est jalonnée de chaos, que chacun d’eux a négocié différemment. Ces histoires se distinguent en première lecture, par la présence d’un projet dans un seul établissement. Nous notons aussi que dans les deux établissements, les chefs de service ont eu accès à leur poste sur la base de leurs expériences. Leur légitimité institutionnelle est reconnue, ce qui semble moins évident pour la légitimité démocratique du chef de service dans l’établissement « B ». Cette prédisposition à la légitimité dans l’établissement « A » se confirme par l’approche conceptuelle des responsabilités du chef de service qui est pratiquée. Mais nous allons revenir sur ces questions. La communication, la confiance et délégation sont les ingrédients stratégiques indispensables aux chefs de service qui veulent renforcer leurs compétences et ainsi leur légitimité. Arrivée à cette étape, nous découvrons que la cohérence facilite l’articulation des logiques dans le fonctionnement des établissements. Les conflits de pouvoir qui sont attachés aux zones d’incertitude sont plus ou moins nombreux suivant l’élaboration de l’organisation. C’est ainsi que les conflits de pouvoir peuvent se réguler dans une logique d’acceptation ou une logique de contrainte, suivant le contexte dans lequel se situe la capacité du chef de service à se faire obéir. 103 Troisième partie Du concept de légitimité au fonctionnement institutionnel « Plus le manager est capable de faire émerger un mode d’organisation résultant des attentes des clients et des compétences de son système, plus est grand son pouvoir alors qu’il paraît y avoir renoncé » Isabelle ORGOGOZO Les paradoxes du management : Des châteaux forts aux cloisons mobiles 104 1 : Articulation des logiques et légitimité Nous allons tenter de relier le concept de légitimité à nos observations de la deuxième partie en montrant en quoi l’articulation des logiques entre elles peut permettre la reconnaissance de la légitimité du chef de service éducatif. 1.1 Reconnaissance de légitimité A partir de notre recherche sur le concept de légitimité, nous avons retenu qu’il y avait quatre sources de la légitimité dans les organisations, d’après Michel CROZIER82. Nous ne conservons pas la source concernant la maîtrise des relations avec l’environnement qui est très peu présente au regard du poste de chef de service éducatif. « La première, la plus immédiatement perceptible, est celle qui tient à la possession d’une compétence ou d’une spécialisation fonctionnelle difficilement remplaçable. L’expert est le seul qui dispose du savoir faire, des connaissances et de l’expérience du contexte qui lui permette de résoudre certains problème cruciaux pour l’organisation. » Cette source est conséquente pour le chef de service de l’établissement « A » comme nous pouvons le lire à travers le propos du psychologue (8) : « le chef de service est pour moi précieux, parce qu’au lieu d’aller voir individuellement les éducateurs, j’ai une personne référente à qui m’adresser, que ce soit pour les rendez-vous avec les parents, les informations concernant les horaires, tout ce qui fait la vie de mon travail, tous les problèmes qui peuvent se poser, administratifs ou pas. C’est extrêmement intéressant parce que je ne suis pas obligé d’attendre quand l’éducateur référent n’est 82 Philippe BERNOUX. La sociologie des organisations : Initiation théorique suivie de douze cas pratiques Paris, Seuil, 1985, p.162 105 pas là ou de m’adresser à un collègue. En toute confiance, je vais parler au chef de service, j’ai telle ou telle chose, qu’est ce que vous en pensez ? Et je sais que ça va redescendre ». Nous retenons que les compétences fonctionnelles attachées à la fonction du chef de service éducatif sont largement reconnues donc légitimées dans cet établissement. Dans notre première partie, nous avons souligné que la compétence du chef de service s’appuie beaucoup sur une logique collective, nous allons revenir sur cet aspect dans notre chapitre suivant. Pour le chef de service « B », les choses ne sont pas si simples. Dès ses prises de fonction « quand je suis arrivée, donc, qu’est ce que c’était que cette femme qui arrivait encore, qui allait nous demander des comptes, qui arrivait avec s(c)es projets individualisés, « mais, qu’est ce que c’est que ça ? » (se demandaient les éducateurs)/Pourtant ça avait été parlé à la démarche qualité ?/ Oui ça a été parlé à la démarche qualité, mais entre le parler et le mettre en œuvre c’était pratiquement… si vous voulez, le cadre de la loi 200283 n’avait pas encore été ingéré ici. » Ce champ de compétences, elle est la seule à le posséder au départ. Depuis, le chef de service détient bien la compétence de finaliser les projets personnalisés, cependant avec un bémol, puisqu’on n’en reparle jamais. Cette spécialisation du chef de service n’est pas difficilement remplaçable semble nous dire (3), qui nous répond lorsqu’on l’interroge sur les projets : « Sur le groupe vous faites des projets individualisés ? Oui, C’est le chef de service qui reçoit l’enfant avec l’éducateur référent, pour savoir (ce que pense l’enfant des projets) les projets de l’année, l’aider, l’aiguiller, qu’il nous donne son avis, nous, qu’on lui dise ce qu’on en pense. A ce moment là, c’est le chef de service qui remplit la feuille. Le problème de ce truc là, c’est qu’en fait, ce projet, on ne le ressort pas après. C’est un truc, c’est une feuille qu’on écrit. On reparle du projet, dans l’année, mais sans en parler et sans ressortir la feuille », ce que reconnaît le chef de service (11) qui se sent bien seul dans son champ de compétence mise en doute, à quoi ça sert ? «Bon alors pour bâtir le projet individualisé je ne sais pas si je m’y prends bien. Ca, c’est une question que je vais débattre très prochainement avec mes collègues chef de service de l’association. Parce que je ne sais pas ce que vous en ont dit les éducateurs mais, pour moi, le Projet Individualisé, c’est une base de travail qui doit pouvoir être lue partout, par l’ensemble des éducateurs, même des autres équipes. ». 83 Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale et prescrivant une obligation de démarche qualité aux établissements d’ici 2008. 106 La deuxième source qui concerne le poste de chef de service est la communication. « La communication d’information a toujours une grande valeur stratégique. Elle s’effectue donc en fonction des objectifs des individus et de ceux qu’ils prêtent à leurs correspondants. » Nous avions fait ressortir dans notre deuxième partie, cet aspect de la communication, qui est un outil stratégique pour les chefs de service, car elle permet d’énoncer les problèmes en décodant des messages implicites, de faire circuler de l’information sur les évènements en remettant du sens et du lien. Cet outil semble bien utilisé dans l’établissement « A », où la communication est une préoccupation capitale : « son poste (le chef de service précédent), il ne l’a pas occupé pleinement, si je puis dire de ce que j’en sais…/Ben oui, puisque il a été beaucoup sur le…/Questions d’infos surtout, Passages d’infos/Passages d’infos oui, ça me (le chef de service actuel quand il était en fonction d’éducateur) manquait aussi parce que j’ai une certaine rigueur, je pense pouvoir dire (rire), c’est des choses qui manquaient, les choses étaient dites verbalement et que forcément ça se perd. Et on demandait souvent en équipe régulièrement que les choses… on a un feuillet tout bête de message, c’est pas très long, en plus moi, j’en ai toujours sous le coude (sort un exemplaire du tiroir du bureau), c’est des feuillets comme ça donc notés par… la date, qui on a eu, et puis on met dans le casier, et du coup, ça, c’était pas fait, et je pense qu’il y a des passages d’infos qui pouvaient manquer ». Ces propos recueillis auprès du chef de service (7) confirment qu’il a bien conscience des enjeux stratégiques et ainsi cette source alimente sa légitimité « Tout individu a besoin d’informations et il dépend pour elles de ceux qui les détiennent. »84 Là encore, le chef de service de « B » n’est pas gagnant en légitimité, même s’il est lucide sur les conséquences d’un manque d’informations, (11) : « Parce que les cahiers je pense qu’ils ont été faits juste avant mon arrivée, sinon, avant je ne sais pas comment ils communiquaient, ça devait être un gros bazar, un gros bazar… » et depuis, il tente d’améliorer la communication et pourtant sa valeur stratégique ne semble pas un point fort dans cet établissement, d’après l’éducateur (2) : « Le projet doit tenir sur l’année ; il peut y avoir des évènements qui font que si des axes se sont 84 Philippe BERNOUX. La sociologie des organisations : Initiation théorique suivie de douze cas pratiques. Paris, Seuil, 1985, p.165 107 retrouvés dans une impasse ou, peut être, qu’on a fait des mauvais choix, notamment pour le travail avec les familles, dans ce cas là, on peut le retravailler ; mais c’est vrai que ça ne va pas se faire de façon formelle, c'est-à-dire, le projet individualisé, on ne va pas le notifier dessus le changement d’orientation, ça va se faire implicitement. Une entrevue avec le chef de service suffit. » Nous voyons que l’information tacite, entre le chef de service et un éducateur, suffit à modifier le projet d’un jeune sans que la décision prise et rédigée à la base ne soit réécrite, elle a donc évolué mais reste la seule référence. Dernière source de légitimité répertoriée par nos auteurs : « l’utilisation des règles organisationnelles. Les membres d’une organisation sont d’autant plus gagnants dans une relation de légitimité qu’ils maîtrisent la connaissance des règles et savent les utiliser. » Pour le chef de service « B » ce n’est toujours pas une source de légitimité «Et vos horaires ils sont établis par le chef de service ?/En fait au départ nous, on s’est occupés de nos horaires, parce que le chef de service, c’est quelque chose qu’il ne savait pas vraiment faire, il ne sait toujours pas vraiment faire », nous dit (4) ou encore : « Non c’est le chef de service qui écrit en fait sur un W-E les enfants présents ou les enfants absents. Donc généralement on sait le jeudi pour le W-E quels enfants sont présents et si notre W-E est modifié ou pas./ Il n’y a pas de prévisionnel ?/ Aucun, alors que les enfants sortent sur l’année de la même façon. Et ce n’est pas du tout organisé. C’est pour ça qu’on est assez souple. Des fois on apprend le jeudi qu’on a 20 H en moins à faire le W-E et qu’on doit mettre ailleurs. 85 » Alors que pour le chef de service « A », c’est une source supplémentaire, comme le dit (1) : « Il a toujours été responsable des horaires avant d’être chef de service, avant même que j’arrive dans la maison. C’est qu’ayant lui-même plus de dix ans d’ancienneté, il connaît les moments… l’histoire d’abord de l’institution et les moments clefs. » Le résultat de cette analyse des sources de légitimité, vient bien confirmer nos observations sur la légitimité du chef de service de l’établissement « A », qui lui sont très propices. Pour le chef de service « B », sa légitimité institutionnelle reste 85 L’interlocuteur veut dire que les heures qu’il ne fera pas sur le week-end, il devra les faire sur une autre plage horaire. 108 indiscutable, mais la faiblesse de ses autres sources de légitimité, fait, d’une part, que la reconnaissance de sa personne, de ses valeurs n’est pas construite et, d’autre part, qu’il ne peut pas faire accepter ses décisions. 1.2 Logiques collectives Pour valider notre hypothèse, nous devons vérifier que si la logique éducative du chef de service éducatif parvient à s’articuler avec les autres logiques, alors, la légitimité du chef de service éducatif est reconnue. Nous venons de voir que nous avions un établissement avec des logiques qui s’articulent, où le chef de service est légitimé, et un autre établissement où il n’est pas légitimé avec des logiques qui ne s’articulent pas. Si, nous utilisons, le matériau récupéré dans l’établissement où le chef de service éducatif est légitimé, nous allons vérifier si cette reconnaissance se justifie par l’articulation de sa logique éducative avec les autres logiques en présence dans cette maison d’enfants. D’entrée nous pouvons citer, la réponse de l’éducateur (6) : « C’est vrai qu’on a beaucoup, dans cet établissement, comment dirais-je ?...de marge de manœuvre, d’initiatives, de responsabilités. Ce qui est très intéressant, ce qui crée une dynamique qui est intéressante./ Et qui est…, parce que c’est bien d’avoir des initiatives et une marge de manœuvre mais qui recentre tout ça pour qu’il y ait une cohérence ?/ Donc il y a un chef de service justement, c’est son boulot de coordonner toute l’action éducative. » Nous allons analyser un peu plus en profondeur les réalités de terrain sur la réflexion de cet éducateur. Il nous dit que c’est le chef de service qui coordonne toute l’action éducative pour une cohérence. Or, nous avons vu dans notre deuxième partie, comment la cohérence impulse l’articulation des logiques et réciproquement, mais qu’en est-il de la logique collective de cette action éducative ? 109 Nous confrontons à la réalité trouvée dans cet établissement « A », les quatre modalités nécessaires à l’accès d’une identité collective, d’après la référence de Renaud SAINSAULIEU86 déjà utilisée dans notre première partie La modalité identitaire sur « la résistance contre toute forme de domination et la capacité de l’individu à dire non » est en bonne place dans cet établissement car nous avons vu que, pour le chef de service, la principale inquiétude par rapport à sa prise de fonction se situait bien dans une capacité d’être en désaccord, ce que certains collègues savent exprimer : « le seul point noir qui m’inquiétait éventuellement, c’était les personnes avec qui j’étais en conflit en tant qu’éducateur, quand je serais de l’autre côté de la barrière, je me disais : « ça ne peut que augmenter », parce que ce sont des personnes qui pour moi « bouffent du patron » ; pour moi il n’y a pas d’autres termes. » L’expérience identitaire qui s’appuie sur la diversification des expériences a une place importante. En annexe 2 du projet d’établissement, nous trouvons un descriptif des compétences et des qualifications internes87 des différents pôles de l’établissement, dont l’éducatif. Les promotions internes dans l’association sont possibles, comme le prouve le chef de service. La formation est encouragée, l’un des éducateurs (6) est inscrit pour une formation à l’encadrement. Le renouvellement du personnel est un plus, pour la directrice présente depuis six ans sur cet établissement : « C’est intéressant il y a des tas d’ateliers qui sont mis en place, et qui accueillent des enfants de tous les groupes, ça a beaucoup été insufflé par des éducateurs qui sont arrivés ces 5 dernières années. » Par contre, là aussi, l’équipe a conscience d’une difficulté dans l’insuffisance de mixité de l’équipe d’encadrement, comme nous l’avons vu dans le propos d’un éducateur (6). Le résultat de l’action créatrice en entreprise d’un individu lui permet d’être socialement reconnu est ici encore d’actualité, nous explique (6) : « Non le retour, il est positif. C'est vrai qu'on a une tendance toujours à se mésestimer. Maintenant, on a appris aussi à dire : « oui, on fait du bon boulot ». Ce n'est pas facile, pour des éducateurs (rire). Donc, on reste un petit peu en retrait, humbles, mais on peut aussi 86 Renaud SAINSAULIEU. Comprendre les organisations : Culture et identité : La construction des identités au travail. In, sciences humaines, hors série, mars-avril 1998, p.41 87 Annexe 9 110 rester humbles et puis dire que l'on fonctionne bien aussi. Je pense que là, en l'occurrence... » Et une quatrième, qui est la plus ancienne forme d’identité collective, celle de l’appartenance à l’établissement. Cette appartenance est un véritable souci pour la direction de cet établissement qui combat donc très justement le sentiment d’appartenance des anciens qui l’accordent en priorité à leur groupe, nous dit la directrice (1) : « On travaille au service des usagers, mais quand même dans une synergie, bon on verra que l’établissement est formé de trois groupes, la notion de groupe arrive bien après l’appartenance à l’établissement. Voilà, on est d’abord personnel de « A » avant d’être éducateur de tel groupe. Le groupe, c’est l’organisation concrète au quotidien. Ce qui n’existait pas quand je suis arrivée, puisque les groupes étaient autonomes ». Elle nous confirme qu’un moyen pour assurer la cohérence de l’ensemble est d’adopter, à l’arrivée de nouveaux, une méthodologie qui permette la transmission d’une appartenance à l’établissement : « Et donc, dans ce fonctionnement vous disiez vous parliez de cohérence, que vous veillez à ça quels moyens vous mettez en œuvre pour veiller justement à ça ? /Alors il y a déjà au départ, à l’arrivée d’un nouveau personnel dans la maison… la distribution des documents de base. C'est-à-dire que toute personne qui arrive et travaille à « A », qu’elle soit stagiaire ou titulaire d’un poste, se voit remettre le projet d’établissement, le livret d’accueil, les règles de vie, les règles de fonctionnement de la maison. Donc ça, ça me paraît déjà un signe de reconnaissance et d’appartenance ». Les principales modalités d’accès à la reconnaissance de la logique de l’équipe éducative de cet établissement sont très positives. La compétence éducative est donc une véritable valeur dans cet établissement. Nous renforçons notre propos par celui du psychologue (8) « Donc, moi, quand je vous parle de la direction, que ce soit cette direction là, ou une autre direction, ce n’est pas un psychiatre, et quand bien même il serait psychiatre, il serait dans une fonction éducative, parce que c’est le fondement même du pacte narcissique de l’institution avec la société ». Comme le chef de service est au cœur de cette cohérence et que sa logique éducative s’articule bien avec la logique de l’équipe éducative ainsi que les autres logiques, nous 111 pouvons nous permettre de confirmer notre hypothèse. Nous la vérifions également par la contre hypothèse : dans l’établissement où les logiques ne s’articulent pas, le chef de service n’est pas légitimé. 1.3 Un service éducatif pour favoriser la démocratie 88 Nous revenons un instant sur l’approche conceptuelle des responsabilités du chef de service dans l’établissement « A », qui se situe dans un registre assez dynamique, avec l’idée de faire accepter ses décisions, comme nous dit (1) : « C’est le chef de service qui est le garant du projet personnalisé, c'est-à-dire qu’il articule tout le travail entrepris au service du projet personnalisé de l’enfant, en lien étroit avec le référent ; il est responsable de la cohérence du projet personnalisé par rapport à la mission, au projet, aux choix associatifs ; il suit et articule le travail de partenariat ; il fait circuler les informations par des supports écrits, articule les horaires et le suivi de l’annualisation. » Dans ce discours, nous entendons le fait que la légitimité du chef de service éducatif lui permet de faire accepter ses décisions parce qu’il parvient à faire accepter sa logique. C’est le fondement de la légitimité. Cependant, nous devons rappeler que dans la volonté de donner à son chef de service une position stratégique de « pouvoir faire », qui est de l’ordre du pouvoir « gérer » dans cet établissement, la directrice (1) précise : « J’ai besoin d’un service éducatif, voilà. Donc qui gère, coordonne, anime le travail éducatif entrepris dans la maison. Pour qu’il y ait des traces écrites, il y a toute une organisation qui n’existait pas avant, le chef de service il est parti, ses armoires étaient vides. Pour moi c’est un signe, donc il y a toute… il y a une documentation, oui, il y a des tas de choses qui montrent que le service existe… Des fiches de suivi, d’anticipation, des documents écrits, voilà, et puis cette anticipation dans le temps, il va y avoir les inscriptions en colo, il va y avoir les vacances, il va y avoir la synthèse d’untel, les invitations, etc… C'est-à-dire, pas seulement gérer le quotidien, parce que c’est une succession d’urgences. On dit urgences en fait qui ne sont pas si urgentes que ça. Ce n’est pas à vous que je vais apprendre ça. Et, il y a bien un moment où il faut se poser et raccrocher toutes ces 88 Nous utilisons ce terme dans le sens d’un système organisé suivant les principes de la démocratie. 112 urgences à une ossature, c’est à dire à un service, on sait exactement ce qui se passe pour le soin, ce qui se passe pour les écoles, qu’est ce qu’on met en place ? qu’est ce qui... » A travers, cette appellation de service éducatif la directrice entend une ossature matérialisée par toute une documentation qui remplit les armoires. Cette formalisation écrite permet, dit-elle, d’anticiper pour ne pas être dans l’urgence ce qui nous permet de dépasser notre hypothèse de départ. Dans un autre propos, la directrice (1) nous précise que l’anticipation qui permet d’échapper à l’urgence a été facilitée par des supports écrits qui permettent de s’organiser à l’avance par rapport aux évènements annuels : « Dans l’année, il y a des moments clefs, donc il y a des supports qui ont été créés, au fil du temps, depuis que je suis là, d’organisation, donc de « savoir à l’avance », en particulier pour les vacances, les fiches, des choses comme ça : les mettre en circulation, veiller à ce qu’elles soient remplies et bien remplies. C’est une organisation interne du service éducatif qui veut dire qu’on peut anticiper, ce qui est très intéressant. » Cette organisation n’oblige pas à rajouter des règles qui répondraient à l’imprévu, elle permet de mettre en circulation les informations, c'est-à-dire d’utiliser stratégiquement la communication et d’établir des relations sécurisantes et de confiance qui, encore une fois, renforcent la légitimité de compétence du chef de service éducatif. Un service éducatif concrétise donc le fonctionnement de l’éducatif. Ce service éducatif fonctionnel est géré par un chef de service éducatif reconnu par sa logique éducative et donc collective, qui s’articule avec les autres logiques. Dans ce type de fonctionnement, la légitimité du chef de service est acceptée, ce qui rend opérationnel l’établissement. Nous apportons quelques éclairages quant à ces conclusions. Dans notre deuxième partie, à propos de la répartition des tâches entre la directrice et le chef de service, nous avons vu que dans l’établissement « A », la logique de séparation se situe au niveau des responsabilités permettant une complémentarité, qui a son tour est productrice de sens. Nous avons également retenu que, pour le psychologue de cet établissement (8), « Du fait qu’il n’y avait pas de chef de service, il n’y avait rien qui venait, il n’y avait pas de triangulation. Il y avait deux cadres avec une logique éducative et une logique clinique ». L’arrivée du chef de service a permis de structurer la vie de l’établissement 113 entre l’éducatif et le thérapeutique : « Donc, si vous voulez, la complémentarité n’ est possible que si on est différencié ; autrement c’est de la confusion ». C’est ainsi que pour la cohérence de cet établissement, la présence d’un projet et d’organigrammes, dont un fonctionnel, participent à cette différenciation indispensable. Comme nous l’avons relevé dans les solutions proposées par les personnes interrogées, qui soulignent que les nombreuses réunions sont un outil essentiel, à condition que la diversité des points de vue devienne une richesse par l’acceptation de l’autre. Il est donc primordial que chacun ait la liberté de s’exprimer et de prendre des initiatives. Et pour que cela soit possible, il faut qu’il y ait une organisation cohérente où chacun est repéré, rajoute (8) : « ici on vise à la démocratie psychique. Et si on veut la démocratie psychique, il faut que la démocratie institutionnelle existe, donc il faut qu’il y ait un moi, un ça et un surmoi bien différenciés, donc il faut qu’il y ait des instances de décisions. Il y a des protocoles, des rituels, il faut qu’ils soient suffisamment en place et cohérents pour que les enfants ne se sentent pas objets de l’emprise » Nous rajouterons : pour que les professionnelles ne se sentent pas objets de l’emprise, mais acceptent sans contrainte les décisions de la direction, il faut que la démocratie institutionnelle existe. Nous avons alors bien dépassé notre hypothèse de départ car la création du service éducatif, en rendant fonctionnel l’éducatif, va à son tour être reconnu parmi les logiques de l’établissement, dont la mission devient alors opérationnelle, grâce à son système démocratique. 114 2 : logiques isolées et autorité 2.1 Autorité Nous avons vu dans notre première partie que les concepts de pouvoir, légitimité et autorité avaient des liens étroits. Nous allons maintenant confronter avec les fondements du concept d’autorité, la stratégie de l’autorité que le chef de service éducatif de l’établissement « B », soutenu par le directeur, met en place pour contrôler les zones d’incertitude. A la différence du pouvoir, nous avons vu que l’autorité n’est pas hiérarchique. Dans notre situation nous la rattachons à une position de cadre, de chef de service, donc du côté du pouvoir où elle devient un art de manager. Dans les discours recueillis nous retrouvons effectivement bien l’aspect de l’autorité décrit dans notre première partie comme un moyen pour faire agir un groupe en bien ou en mal. C’est un outil que le chef de service éducatif peut utiliser en bien pour organiser, nous dit (9) : «le chef de service a dit : « pas de rendez-vous le mercredi après midi, sinon on ne fonctionne pas. Maintenant on arrive à quelque chose d’intéressant » qui permet ainsi, de diriger son personnel : « J’ai une autorité, mais avant tout ce qui me convient, c’est ce travail : je continue de travailler en partenariat avec mes éducateurs, c’est ça qui m’intéresse. Ce n’est pas avoir une autorité toute imbécile, je veux dire, je ne suis pas comme ça/Partenariat avec vos éducateurs est ce que vous pouvez expliquer un peu ce que vous mettez derrière ?/ Eh bien, que ce travail que l’on bâtit ensemble, c’est un travail de concert. C’est pas moi qui impose, des fois je dis, bien évidemment, je dis ce que je pense, je dis quand ce n’est pas souhaitable, des fois je dis non, parce que ce n’est pas possible ». Et le fait de se positionner clairement en faisant preuve d’autorité 115 permet aux personnes d’en face de se positionner à leur tour et de conduire ainsi à des conflits constructifs. : « ça a été l’objet d’un conflit finalement constructif, qui a conduit à un entretien entre les Maîtresses de maison et le directeur, qui a conduit à regarder le travail de chacune et de faire une fiche de poste ». Car dans certaines situations, le recours à une forme d’autorité directive est d’actualité, comme nous l’avons déjà souligné dans notre sous-chapitre sur la légitimité par notre exemple de gifle qui peut être considérée légitime mais pas légale. Ce type d’autorité peut s’utiliser dans des cas de parents récalcitrants au placement ou vis-à-vis de dérapages professionnels, comme nous l’explique le directeur (10) : « Certains dysfonctionnements, horaires fantaisistes, de choses comme ça que reprend le chef de service, bien évidemment, c’est dans son rôle et dans son poste, par rapport à ça, il fait des remarques, ces remarques ne sont pas entendues. On reçoit l’éducateur, on dit des choses mais ça fait des mois, voire des années que ça dure. Ca s’enkyste ». On voit que ce mode d’autorité ne résout pas les problèmes, les situations de débordements des règles persistent, elles s’enkystent quandmême. Une autre forme d’autorité se situe au-delà de l’influence, dans la persuasion. Elle est à sens unique, ce sont des idées qui descendent du chef, nous explique (7) : « la direction d’avant était quand même…, fermait bien les choses, c’est à dire que… à la limite, il fallait faire son boulot, s’il était bien fait, ben, ça allait et, bon, la parole ne circulait pas beaucoup. Je veux dire, c’était quelqu’un quand même qui faisait régner un certain, pas une certaine autorité, mais un certain autoritarisme ». Les propos de l’éducatrice (4) positionnent son chef de service dans un management qui utilise ce type d’autorité. Elle accompagne sa phrase d’un rire : « C’était débarrasser le directeur d’une somme de travail, de planning, de choses matérielles, organisationnelles et pas de management d’équipe ? Aujourd’hui est ce qu’il y a un management d’équipe ?/Oui, oui, le chef de service fait ça très bien (rires moqueurs). Alors ça passe plus par des … oui malgré tout par une autorité. C’est à lui que revient tout ce qui est de l’ordre de l’organisation alors on est très vigilent parce que ça reste quand même. Si, si, il est vraiment chef de service à tous les niveaux, il n’y a pas de souci ». Elle parle de vigilance à avoir, car elle ne reconnaît pas son chef de service comme compétent en terme d’organisation des horaires : « Et c’est pas du tout organisé, c’est pour ça qu’on 116 est assez souple. Des fois on apprend le jeudi qu’on a 20 heures en moins à faire le W-E et qu’on doit mettre ailleurs. Mais là, pareil, on ne dit rien, on prend et puis voilà./Oui, parce que vous ne pouvez pas discuter. » Elle dénonce ainsi cette autorité de la part de son chef de service qui ne permet pas l’échange, mais décide, c’est tout, nous commente (4) : «Souvent, c’est le chef de service justement qui décide du passage d’un enfant. Pas forcément quand nous, on est prêt à le faire » Ces constats sont confirmés par son collègue (3) : « Il nous corrige les écrits qu’on doit envoyer aux audiences. Il est très… Il veut y mettre sa patte, il arrive parfois même, qu’il raye tout un truc et qu’il refasse, parce que ça ne lui convient pas/ Il vous en parle ?/ Non, pas spécialement. C'est-à-dire, qu’après on se retrouve avec des trucs tapés « mais, c’est pas moi qui ai écrit, ça ! » alors il y a des éducateurs qui vont le voir, d’autres pas. Il y a des éducateurs énervés, agacés./Vous avez une trame pour vos écrits ?/ J’ai la mienne de l’école d’éduc, mais le chef de service ne nous en a pas donné. Ce sont surtout les jeunes qui se font reprendre, pas trop les anciens, sauf un qui se fait bananer à chaque fois…Le chef de service aime bien avoir la main mise, et il n’aime pas trop avoir de résistance, donc lui, il résiste un peu, donc ça ne lui convient pas. Il est maladroit. Je lui résiste aussi, mais j’utilise l’humour, par contre, quand je dis des trucs, je ne gueule pas. » Les propos du chef de service éducatif (11) confirment cette position autoritaire qu’il doit prendre malgré lui : « Et puis, l’idée d’un chef de service qui jouerait les commandeurs, ça ne m’intéresse du tout, non plus. Moi je ne suis pas dans des trucs comme ça, donc c’est bien mal me connaître que… » mais qui le conduit à des impasses qui rendent la communication difficile : « On ne prend aucune décision sans l’avis du chef de service. Par contre quand on voit que les conversations commencent à virer un peu et pourraient nous porter préjudice, on dit stop. Et on n’entre plus dans ce genre de conflits. C’est d’accord, on n’a pas fait ce qu’il fallait, point barre ». Et pourtant cette forte autorité lui permet aussi d’être reconnu, elle rassure, nous dit (3) : « C’est une forte tête, très forte tête/ Qui a des qualités ?/ Oui, qui mène très bien son rôle de chef de service. Il s’occupe très bien de tout ce qui est relation avec les assistantes sociales et les parents. Il nous mâche le travail, ce qui nous facilite le travail avec les enfants. On n’a pas les coups de téléphone, des trucs qui peuvent être envahissants. » Par son 117 autorité, il évite trop de zones d’incertitude, se conférant ainsi un pouvoir qui rejoindrait le vieil adage « diviser pour mieux régner », consistant à ne pas mettre les qualités, les compétences des autres en synergie. Et pourtant, ce chef de service (11) manifeste son intérêt d’un travail en équipe : « J’ai une autorité mais avant tout ce qui me convient, c’est ce travail… je continue de travailler en partenariat avec mes éducateurs. C’est ça qui m’intéresse. Ce n’est pas avoir une autorité toute imbécile, je veux dire, je ne suis pas comme ça. » 2.2 Logiques isolées Cette position a contrario du chef de service s’explique par le contexte institutionnel, comme nous l’avons déjà souligné par rapport à l’histoire de cet établissement. Le projet n’est pas réécrit et le poste du chef de service doit être bâti, afin de marquer son territoire. Cette notion de territoire est essentielle dans la philosophie de cet établissement. Nous avons déjà dit que la logique de séparation se fait au niveau des compétences pour l’établissement « B » ; Cette séparation conduit à une véritable coupure, comme nous l’illustre le propos de (2), qui répond à notre schéma représentant l’organigramme de l’établissement, où nous positionnons le chef de service en dessous du directeur (cette position fait rire notre interlocuteur) : « C’est quand même Mr Y, l’employeur. Il y a un ordre hiérarchique, on peut dire qu’ils font partie de la catégorie des cadres. Moi, je mettrais plutôt deux branches, c’est vraiment deux bras. C'est-à-dire, le directeur s’occupe des questions institutionnelles et budgétaires, alors que le chef de service a plus les compétences pour gérer les questions éducatives et la ligne de conduite des équipes éducatives. ». L’éducateur (3), devant la question « Si vous deviez faire l’organigramme comment vous le rédigeriez ? », ne comprend pas tout de suite notre question. Nous devons insister par des « Qui fait quoi ? » ; « comment ça s’organise ? » ; « qui gère quoi ? », pour finalement entendre un « D’accord » indiquant que notre interviewé avait besoin d’un certain temps pour accéder à une représentation de l’organisation hiérarchique qui est une question complexe voire embarrassante, car après avoir commencé par « le directeur, lui, c’est tout ce qui est administratif, tout ce qui est lié à l’argent. Tout… si il a besoin, si on a besoin pour un 118 enfant qui ne va vraiment pas bien, on se sert du directeur, sinon le directeur il …. ». Il continue sur les qualités du directeur qui, en tant qu’ancien éducateur, sait ce que peuvent faire ou ne pas faire les éducateurs dans l’application d’une punition. C’est plus tard, lors d’une autre question, qu’il nous confirme cette véritable difficulté pour répondre à nos questions sur l’ordre hiérarchique « Le conflit est évité quand même par le directeur et le chef de service ?/ Oui, le directeur se fait mener par le bout du nez par le chef de service qui a une très forte présence, une forte autorité. Le directeur, il s’occupe de son administratif. De temps en temps, (…il intervient…) pour gueuler après un gamin. Mais le directeur ne va jamais contre ce que dit le chef de service. » Manifestement, pour les éducateurs de cet établissement, l’organisation hiérarchique pose problème et ne peut se résumer que par une répartition très compartimentée des compétences. Le directeur souhaite cette répartition pour ne pas nuire au pouvoir décisionnel de son chef de service, qui aimerait lui, plus de travail en équipe (11) : « Partager, travailler en équipe, avoir un partenariat avec les éducateurs ce qui demande un travail bâti ensemble, en concert, sachant qu’une concertation est plus souhaitable que des décisions imposées ; permettre aux enfants de se repérer, d’avoir un cadre, une éducation, en étant médiateur entre l’éducateur et l’enfant ; donner confiance en eux aux éducateurs ; organiser ; ordonner les réunions avec l’extérieur en accord avec les juges, assistantes sociales, parents et en fonction des urgences des situations. » Il se situe dans un positionnement que nous nommerons de médiateur qui ordonne. Le discours du psychologue (12) confirme cette posture assez statique « le chef de service est devant les équipes comme doit l’être un cadre, chacun dans son domaine. Pour un éducateur chef, ce sera d’aider les équipes à se positionner entre la proximité de leur tâche et le recul qu’il est nécessaire de prendre, pour une bonne lecture des situations ». Il est devant, tel un guide, mais rien n’indique un mouvement de circularité. L’incapacité de faire articuler les logiques entre elles a pour conséquence de produire beaucoup de conflits de pouvoir. Par exemple, le chef de service nous explique être le réalisateur du joli hall d’accueil de l’établissement, mais sans aucune concertation avec le directeur qui, lui, a réalisé des panneaux indicateurs d’entrée pour les visiteurs. Dans cette situation, les compétences de chacun dans son domaine ont bien été complémentaires, l’un dans l’artistique, l’autre dans l’organisation. Le personnel, lui, se situe encore dans un autre registre, car depuis sa réalisation, seul le chef de 119 service utilise le hall d’entrée, les cuisines restent l’entrée utilisée par tous. Dans cette situation, nous considérons que nous sommes dans des discordances de points de vue qui entraînent plus ou moins de dysfonctionnements. Les accords ne sont pas possibles car chacun a sa vision différente des choses et se ferme dans son domaine. « Pour que les processus attendus puissent s’accomplir et pour que les situations puissent se dérouler de manière correcte (par opposition aux situations perturbées qui sont qualifiées, selon la discipline de référence, de pathologiques, dysfonctionnelles, conflictuelles, etc…) pour que la situation soit justifiable d’un principe supérieur commun, il faut que chaque être lui soit ajusté. La situation est dite naturelle. »89 Ce qui veut dire que pour sortir de « chacun dans son domaine », il faut s’accorder sur un principe supérieur commun. Nous sommes alors dans des logiques isolées, comme nous l’explique (4) : « Mais après, au niveau de l’institution, en plus, il y a ces groupes, quand mêm,e qui fait que chacun tourne beaucoup sur son groupe, fonctionne beaucoup sur son groupe, réfléchit beaucoup à travers son groupe. Donc après la dynamique institutionnelle. On n’essaye pas d’être une institution performante (rire) chacun fait bien son travail … » 2.3 Organisation formelle pour un pouvoir archaïque Dans leur ouvrage qui porte sur la relation entre accord et discorde, Luc BOLTANSKI et Laurent THEVENOT analysent que nombre de disputes s’observent lorsque les personnes ne trouvent pas concordance dans un monde de référence commun. Ainsi les deux cadres font le même constat du manque de place dans la maison occupée par l’établissement, mais chacun a sa solution dans sa logique. Ainsi le directeur veut extérioriser des locaux et pense raccrocher cette orientation à la réflexion générale qui doit se faire avec l’écriture du projet d’établissement : « Dans cette maison, on est un peu à l’étroit. Quand je dis à l’étroit, ce n’est pas que simplement dans les murs. Il y a des choses à réfléchir, il y a des espaces malgré tout géographiques, dont on a besoin. Il n’ y a pas de salle pour les parents, il n’y a pas de bureau pour le psychologue, il n’y a pas de lieu de rencontre, on fait ça dans les couloirs, on est encore dans un truc ou 89 Luc BOLTANSKI. Laurent THEVENOT. De la justification : Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991, p.58 120 des fois, c’est gênant de recevoir les parents alors que les autres sont là. Mais l’espace des enfants aussi « Tiens deux groupes à chaque niveau ce serait plus intéressant que d’avoir trois groupes sur deux ». Ce qui veut dire extérioriser, un autre groupe en externe mais de quelle façon ? Une construction à droite, à gauche, à l’extérieur, des chambres pour nos ados, une construction dans le parc ? » . Pour le chef de service, la solution doit rester dans les murs existants «Mr Y m’a parlé de projets de construction, de changement…/ Oui, enfin bon, c’est dans des années. Moi, si vous voulez…/ Vous êtes plus au jour d’aujourd’hui/ c’est vrai, qu’il y a des bâtiments que j’aimerais voir naître. J’aime bien cette petite institution, elle a un côté familial que je n’aimerais pas perdre, elle a un côté cocooning que je n’aimerais pas quitter au profit de bâtiments ultra-modernes avec une chambre pour chacun. Ce que j’aimerais moi, si vous voulez, c’est des groupes de vie un peu autonomes. L’idéal, vous verrez comment c’est fait, l’idéal ce serait un groupe de vie sur chaque étage avec une petite cuisine ». Nous avons une solution dans le domaine politique par le directeur, une deuxième solution par le chef de service de l’ordre de l’idéal, et la visite que nous avons faite nous a révélé une troisième réalité. Chaque groupe n’occupe pas du tout le même espace pour un même nombre d’enfants. Groupe E Groupe S Groupe A Nbre d’enfants 9 8 9 Nbrede chambres 6 5 4 Le groupe A occupe un espace réduit au niveau du nombre de chambres mais aussi de la surface, concrètement, les mètres carrés sont trois fois moins importants que celui des deux autres groupes90 qui disposent en plus des chambres, de salles de jeu très spacieuses. « Vous verrez une pièce de jeu qui est magnifique » nous précise (11). Chaque groupe dispose d’une salle à manger, celle du groupe A a une double fonction, car elle est utilisée comme salle pour tout le personnel. Cette réalité traduit effectivement le manque de place, mais cette fois de l’ordre organisationnel. Cette réalité appartient tout à fait à l’ordre du formel, en l’absence de base fonctionnelle. La 90 Nous n’avons pas relevé les mètres exacts occupés par chaque groupe mais cette répartition est visible à l’œil, c’est pourquoi nous nous sommes autorisée à la retranscrire dans le rapport proportionnel d’1/3. 121 forme importe plus que le contenu, qui avantage deux groupes au détriment d’un troisième. Ces nombreux dysfonctionnements constatés sont minimisés par un éducateur recruté depuis un an. Nous avons été frappée par la neutralité qu’il a adoptée, nous n’avons pas réussi à le faire parler des tensions, il a évité nos relances en restant dans un discours assez banal : «Vous connaissez des tensions par rapport au personnel de la maison ?/ Et puis dans le personnel de maison il y a un cuisinier qui fait de la cuisine maison ». Ces difficultés sont ciblées sur certaines personnes pour le directeur, qui pense qu’elles sont inhérentes au fonctionnement d’un tel établissement : « Il y a un peu de résistance aussi de la part des éducateurs. Il y a quelques arrêts maladies de certains, j’ai cru comprendre que../Aïe, ah voilà. On pourrait dire « c’est symptomatique : quand un établissement va pas bien, il y a beaucoup d’arrêts maladie », ce qui n’est pas notre cas, nous, on en a très peu. Moi je vais dire deux personnes/ J’allais dire ciblé sur une ou deux personnes/ C’est exactement ça, ciblé sur une ou deux personnes. Pour qui, effectivement, de ma place et de notre place, encore une fois, pour qui des dysfonctionnements repérés ont amené à poser des sanctions de type avertissement. Donc ça, ça arrive dans tous les établissements, toutes les institutions ». Il estime que l’établissement connaît moins de difficultés qu’auparavant. Ce qui nous permet d’aller plus loin dans notre réflexion, car au-delà d’une organisation formelle, le pouvoir peut prendre des formes archaïques. Le psychologue (8) le dénonce dans son propos : « Ca s’entretient, la démocratie, si ça ne s’entretient pas, on régresse à des formes beaucoup plus archaïques de groupement qui sont, ben, la dictature ou autres, quoi. ». Ces formes archaïques peuvent se traduire par des positions totalitaires, comme nous l’avons repéré dans les difficultés de cohérence pour le fonctionnement d’un établissement. Cet aspect d’une autorité extrême apparaît dans certains discours qui évoquent une vérité qui ne se discute pas, mais qui doit être acceptée dans le sens de la contrainte, comme l’établissement « B » a pu le connaître avec une ancienne directrice, nous explique (12) : « C'est-à-dire, il fallait qu'elle décide toujours tout, mais que tout le monde soit d'accord avec ce qu'elle décide. Ou alors elle ne pouvait pas décider, il fallait que ce soit les autres qui lui disent : « voilà, c'est la décision qu'il faut prendre et on est tous d'accord. » Comme si c'était la seule décision. En fait ce n'était pas des 122 décisions, c'était une vérité ». Cette autorité reflète une obéissance volontaire qui peut avoir les travers de la soumission par la culpabilité, nous dénonce (11) : « un éducateur a la référence de 2 ou 3 enfants. S’ ils ont la chance de tomber sur des enfants… « de tomber » excusez moi du terme, je n’aime pas bien ça.. mais dont la situation est relativement facile, tant mieux pour eux. S’ ils avaient en charge des enfants dont la situation était extrêmement douloureuse et qu’ils n’arrivaient pas à la faire évoluer, il y avait une culpabilisation énorme de la part de la directrice ». Cette forme de soumission est alors de l’ordre d’une position totalitaire, car la culpabilité est un outil prégnant auprès de certains éducateurs, nous précise (12) : « Je pense que dans les maisons éducatives, il y a des éducateurs qui se mènent une vie d’enfer et qui sont malheureux, harassés par le fait que les enfants leur font penser qu’ils ne font jamais bien les choses, et du coup aussi , d’ailleurs, je pense qu’ils ont des mouvements de rejet et puis, à des moments, des mouvements assez violents pour rejeter ces sales enfants qui les font autant souffrir, et en même temps, ils souffrent d’une culpabilité de le faire ». Ce qui confirme l’énorme puissance que peut prendre un pouvoir managé par autorité qui peut conduire à des formes archaïques du type : « Abus de pouvoir et soumission à l’autorité, ou excès de pouvoir sur carence d’autorité, ou excès d’autorité par prise de pouvoir »91 Dans l’établissement « B », les décisions autoritaires sont majoritaires pour préserver la place et le pouvoir du chef de service, qui a la tâche d’organiser la vie des équipes et des enfants. Ainsi, les territoires de compétences distincts entre le directeur et le chef de service, conduisent cet établissement à des logiques isolées. Elles ont pour conséquences de faire mener aux détenteurs du pouvoir une politique autoritaire qui, faute de discordes annoncées, les mène à des dysfonctionnements qui rendent la réalité de terrain formelle au détriment du fonctionnel. Du coup, le fonctionnement a du mal à se mettre à jour et se rigidifie dans la forme, nous commente (4) : « Il n’y a rien qui est mis en place pour soutenir les équipes dans leur travail. Les temps, ils sont institués, voilà, point barre ». 91 Jean Claude BISSARDON. Cours sur Management en formation DSTS. Mars 2005. Source : comment gérer ses subordonnées. G. DESAUNAY 123 Conclusion Après avoir repéré quelles perceptions les personnes rencontrées avaient de la légitimité vis-à-vis de leur chef de service éducatif, nous avons étudié les effets que cette autorité du côté de la légitimité ou du côté du pouvoir provoquait sur le fonctionnement des établissements, notamment en ce qui concerne l’éducatif. Nous avons essayé de schématiser le processus que nous avons pu observer au cours de cette recherche afin de mettre en lumière les articulations qui nous sont apparues entre légitimité, pouvoir, autorité et contrainte, reconnaissance, ainsi que leurs conséquences. Notre schéma axiologique fait apparaître en bleu ce que nous nommerons la « colonne vertébrale » du poste de chef de service éducatif. C’est dans cet axe que nous retrouvons les éléments nécessaires à la définition du statut de ce poste. Les deux autres couleurs différencient les conséquences d’une posture tendant vers la reconnaissance ou la contrainte. 124 125 3 : Passer du conflit de pouvoir à la légitimité : une nouvelle étape dans le statut des chefs de service éducatif Au terme de ce travail de recherche, nous pouvons oser quelques préconisations, fruits de nos observations et de notre réflexion. Nos propositions sont faites pour permettre de réunir un maximum de conditions requises à la légitimité du chef de service. Elles se situent dans la nécessité d’un service éducatif, une formation adéquate et donc une démarche d’évaluation institutionnelle et individuelle. 3.1 Un service éducatif Nous avons vu dans notre première partie qu’il existe un malaise inhérent à ce poste, du fait de sa position entre la direction et les équipes éducatives. Sur les terrains explorés, nous avons constaté que cette difficulté de positionnement de cadre intermédiaire n’en était pas une. Car, dans chacun des établissements, nous avons perçu une véritable volonté de donner à leur chef de service éducatif une définition claire de ses fonctions qui lui permette d’assurer une jonction, une communication, une transmission. Ces fonctions, comme nous l’avons vu avec Patrick LEFEVRE, demandent une délégation stratégique que chacun des établissements visités donne à son chef de service éducatif. Dans les deux lieux, ils ont une position de « pouvoir faire » stratégique. Patrick LEFEVRE précise également qu’une délégation technique est nécessaire pour une bonne définition d’actions. Cette délégation se concrétise dans le service éducatif de l’établissement «A », où le chef de service dispose d’un plateau technique suivant la volonté de la directrice (1) : « Une ossature, c’est à dire à un service, on sait 126 exactement ce qui se passe pour le soin, ce qui se passe pour les écoles, qu’est ce qu’on met en place ». Cette préconisation est au centre de la nécessaire clarification de l’acte éducatif. Elle donne à la prestation éducative un sens plus rationnel et lui permet d’être mieux définie. Ainsi, l’équipe éducative, sous la responsabilité de son chef de service éducatif, qui a délégation92 de la directrice, a la capacité de prendre des positions déterminées, éclairées par la réalité rencontrée dans le quotidien et la conduite des projets personnalisés. « Le service reçoit une définition ouverte, mobile, susceptible de correspondre à une demande fluctuante et évolutive, il détermine la compétence et ses caractéristiques au sein d’une organisation. »93 Un établissement qui inscrit dans son projet le service éducatif comme un outil technique redonne toute sa dimension à la dénomination de chef de service éducatif, et ouvre les portes sur sa reconnaissance dans l’articulation des logiques. 3.2 Une reconnaissance du titre Le service éducatif offre l’avantage au chef de service éducatif d’être dans une position plus technique et stratégique. Il devra alors développer des compétences lui permettant d’assumer cette responsabilité. L’expérience antérieure reste inhérente à ces prises de fonction mais risque d’être insuffisante pour des compétences adéquates à construire et mener les projets nécessaires à l’évolution d’un tel service. Le diplôme d’éducateur spécialisé et l’expérience suffisent à justifier la promotion vers un poste de chef de service au regard de la convention collective de 1966. Cette convention est actuellement révisée, comme la loi préconise de le faire, tous les cinq ans. Nous pouvons penser que, dans la mise à jour qui s’annonce importante, la nécessité d’une formation spécifique soit inscrite. Car le métier de chef de service éducatif, que nous distinguons, rappelons le, de profession, pour des questions de légitimité, gagnerait dans la reconnaissance de son titre. Cette préconisation est réaliste dans la mesure où, depuis septembre 2005, ont démarré des formations préparant à un certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement 92 Selon nous la délégation est indispensable à condition que le responsable qui délègue demeure le garant du projet ou, comme le dit Luc BOLTANSKI, du principe supérieur commun. Car le risque dans la délégation est un effet pervers de repli sur soi-même. 93 Patrick LEFEVRE. Guide de la fonction chef de service dans les organisations sociales et médicosociales, Dunod, Paris, 2001, p.94 127 et de responsables d’unité d’intervention sociale94. C’est un diplôme du ministère des affaires sociales dont les objectifs sont de développer des compétences dans les domaines suivants : Conception et conduite de projets. Connaissance des grandes orientations des politiques sociales et de l’organisation politique, juridique et administrative. Management d’équipe et gestion des ressources humaines. Gestion administrative et budgétaire. La finalité de cette formation est de développer des compétences pour animer une unité de travail et piloter l’action, dans le cadre d’un projet de service ou d’établissement. Dans cette volonté de former des éducateurs à l’animation et au pilotage de projet de service, le secteur social se dote d’experts qui auront les capacités de se faire reconnaître et ainsi d’adopter une stratégie qui permette l’articulation des logiques avec les autres champs. 3.3 Une stratégie d’évaluation Le service éducatif, avec son contenu et les compétences d’expert du chef de service éducatif, se doit d’être évolutif et de s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue de ses prestations dans la suite de l’histoire de ces établissements, qui ont toujours su plus ou moins s’adapter aux contextes. Ce constat nous renvoie à une nécessité d’évaluation. La définition neutre de l’évaluation est seulement « le rapport aux valeurs ». A partir du moment où l’on définit quel est le rapport aux valeurs, on entre dans un modèle d’évaluation. « C’est une chose que l’on a beaucoup oubliée et qui a provoqué la confusion entre évaluer et contrôler »95. Dans l’évaluation, il y a nécessité de mettre au travail trois pôles en tension: le pôle de la pratique, le pôle scientifique et le pôle des valeurs. Ce travail doit produire de la connaissance praxéologique et scientifique, sinon il n’y a pas d’évaluation96. Elle demande que les projets soient bien 94 CAFERUIS désormais dans le texte Michel VIAL. Se former, pour évaluer : Se donner une problématique et élaborer des concepts pédagogique en développement. Editions De Boeck université, 2001, Bruxelles, p.9 96 « Les trois fonctions de l’évaluation sont Cognitive : produire de la connaissance de premier degré puis praxéologique et enfin scientifique. Normative : produire un jugement. Instrumentale : produire une aide à la décision, une préconisation. » Christine MOLINA, cours CCRA du 08.04.05 95 128 fondés sur des visées et ordonnés par un plan ou une mise en forme logique de ce qui est anticipé. 3.3.1 Une démarche qualité pour une évaluation du service éducatif Avec la loi 2002-2 les établissements ont une obligation d’évaluation avant 2008. Cette démarche d’amélioration continue de la qualité est un outil d’évaluation du projet. Ce type d’évaluation doit permettre de constater si la mission a fonctionné, par de la mesure. Le service éducatif devrait figurer dans les axes de travail retenus comme prioritaires dans cette idée de mesurer la qualité, pour permettre son ajustement permanent aux attentes et aux besoins des usagers. 3.3.2 Un management situationnel pour une évaluation individuelle L’évaluation individuelle n’a pas encore de caractère obligatoire dans nos établissements associatifs, où les résistances sont encore nombreuses. Ces résistances sont liées à une crainte de contrôle qui déboucherait sur de la sanction. Or l’évaluation ne se réduit pas au contrôle, comme nous l’avons dit avec Michel VIAL. C’est un outil de management, qui va permettre d’évaluer par l’intermédiaire d’entretiens, la manière dont on exerce. Les procédures d’entretien doivent être complètement transparentes au niveau de l’établissement, écrites et élaborées en équipe. La direction est la première à être évaluée, et ne peut pas conduire un entretien d’évaluation si elle n’a pas été managée. Au terme d’un entretien, deux types d’objectifs concrets peuvent être fixés. Premièrement les objectifs d’amélioration, ils sont liés à la mission initiale, pas toujours entièrement suivie. Deuxièmement les objectifs de développement, dans le cas où les premiers objectifs seraient tous atteints. Ce type d’évaluation managériale est donc un véritable outil pour le chef de service qui veut mesurer où il en est dans son fonctionnement, mais également pour améliorer la technicité de l’équipe éducative. 129 Conclusion générale « A l’heure de l’ouverture des frontières nationales, l’essentiel à apprendre réside dans l’art d’ouvrir d’autres frontières, mentales celles-là…Aucune d’entre elles n’est rédhibitoire. Pluridisciplinarité, effort de connaissance et de compréhension, projets communs peuvent faire tomber les murs les plus fortifiés. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus concurrence, lutte, rivalité. Le dynamisme de la vie implique l’opposition, la différenciation et le conflit, mais il impose aussi et simultanément l’union, la solidarité, l’intercompréhension. » «Les paradoxes du management. Des châteaux forts aux cloisons mobiles » Isabelle ORGOGOZO 130 Notre autobiographie écrite en avant-propos trouve sa place dans son rapprochement aux biographies trouvées, lors de notre enquête auprès de professionnels. Mais elle retrace aussi notre questionnement de terrain, car dès notre arrivée dans l’établissement où nous travaillons, riche de nos expériences professionnelles, nous avions perçu une faible identité collective des éducateurs et des limites dans nos capacités de chef de service éducatif. Nous étions cependant encore loin de pouvoir en comprendre le sens et à en définir le contenu, le travail de recherche a permis de parcourir cette distance. A l’occasion de notre conclusion nous rappelons les endroits explorés qui nous ont permis de conduire ce mémoire. La première partie de ce travail a donc permis une mise à jour de l’évolution des MECS en lien avec les contextes socio-politiques. C’est une évolution considérable qui s’est réalisée au fil des siècles, créant au fur et à mesure, de nouveaux concepts éducatifs auxquels les MECS après avoir vu le jour, ont dû s’adapter. Ce processus vient d’être conforté avec la loi du 2 janvier 2002, qui place les usagers au centre des dispositifs avec devoir de s’adapter à leurs besoins. Notre établissement fait partie des MECS qui savent suivre les exigences de ces réalités qui sont devenues socio-éco-politiques et qui gardent dans leur sillage les références antérieures fondatrices. Nous avons rencontré les traces de ces valeurs fondatrices à propos des particularités du poste de chef de service éducatif. Ce statut est parfois trouble avec un positionnement complexe de cadre intermédiaire. Dans notre propre situation, le fonctionnement institutionnel est encore largement marqué par des caractéristiques charismatiques. La conséquence de ce type de management est que, malgré nos responsabilités opérationnelles, nous ne sommes pas en mesure de discuter de choix institutionnels. L’exemple du conflit de pouvoir entre les logiques éducatives et thérapeutiques montre que dans ce contexte une entente n’est pas concevable. Notre légitimité de chef de service éducatif n’est pas reconnue. Notre recherche se situe donc dans le champ de la sociologie des organisations, qui définit la légitimité par le fait que l’inférieur accepte d‘obéir aux ordres du supérieur. La déconstruction de ce concept nous conduit à ceux de pouvoir et d’autorité qui lui sont attachés. Nous choisissons de placer le pouvoir du côté de la direction dont les chefs de service éducatif font partie. Ce concept de pouvoir est comme l’autorité dans le « faire 131 faire », contrairement à la légitimité qui se trouve dans le « faire accepter ». Donc, seule la reconnaissance de la légitimité de chaque partie peut mettre fin aux conflits de pouvoir. Notre légitimité de chef de service éducatif n’est pas construite face à celle d’un thérapeute qui dispose de nombreuses références lui permettant d’accéder à un statut d’expert attaché à sa profession. L’état des lieux de nos légitimités qui d’après Hélène HATZFELD sont au nombre de trois dans le travail social, révèle une difficulté à valider la légitimité de compétence, qui est pourtant la principale source de légitimation. Notre compétence de chef de service éducatif se situe dans l’éducatif en lien avec l’équipe éducative. Notre légitimité éducative dépend de la logique collective de l’équipe éducative. Et cette logique collective dépend à son tour de l’identité collective des éducateurs que le chef de service éducatif peut alimenter en permettant une confrontation dans le sens d’une articulation de la logique éducative avec les autres logiques en présence. Notre deuxième partie correspond à notre enquête. Nous rappelons que nous avons fait le choix préalable de sélectionner, dans une liste régionale, deux MECS, qui devaient répondre à 3 critères obligatoires se situant dans la composition hiérarchique de la direction, l’âge des enfants, l’absence en interne d’un autre secteur que l’éducatif. Après sélection faite suivant nos conditions, il nous restait quatre établissements dont deux ont bien voulu nous accueillir. Pour tenter d’apporter des éclairages à notre question, nous avons rencontré 13 personnes dans ces deux établissements afin de leur demander de nous raconter leur parcours avec leurs formations, après leur avoir expliqué que nous faisions une recherche sur la mise en œuvre des logiques éducatives et leurs articulations avec les autres logiques dans une MECS. Nous cherchions à comprendre la construction de la légitimité du chef de service à travers l’articulation de sa logique éducative avec les autres logiques. Dans ces récits nous avons relevé trois grands thèmes qui traitent de la biographie des chefs de service éducatif, des fonctions du poste et de la cohérence de fonctionnement. Ces thèmes mettent en évidence des trajectoires historiques difficiles pour les deux établissements, dont l’un a pu tirer des bénéfices, élaborant un projet adapté et fiable. Pour l’autre, qui n’a toujours pas écrit son projet d’établissement, le fonctionnement 132 montre beaucoup d’incohérences. Le contenu des propos des personnes interrogées fait apparaître que l’articulation des logiques facilite la cohérence, tandis que les difficultés de fonctionnement sont liés à un manque de synergie. Concernant les postes de chef de service éducatif, leur accès est inséparable de la formation d’éducateur spécialisé, mais pas de celle de cadre. Par contre, l’expérience variée est fortement reconnue, ainsi que le recrutement en interne quand le contexte l’autorise. L’abandon de l’appellation « éducateur chef » se confirme au profit d’une appellation qui reflète la réalité des responsabilités et du pouvoir faire du chef de service éducatif, qui est légitimé institutionnellement. L’approche conceptuelle du pouvoir faire du chef de service éducatif n’est pas abordée sous le même angle, ainsi que le type de délégation, beaucoup plus large dans l’établissement « B », ce qui entrave une communication et une confiance. Ces ingrédients sont indispensables pour renforcer la légitimité des chefs de service. Un écart se creuse entre, d’un côté, une fonction plus formelle et, de l’autre, plus fonctionnelle, donnant une prédisposition à la légitimité dans l’établissement « A » et une tendance vers l’autorité dans l’établissement « B », où apparaissent de nombreux conflits de pouvoir. Un rapprochement entre le concept de légitimité, déconstruit en première partie, et les observations relevées à travers notre enquête confirme les nombreuses ressources de légitimité du chef de service de l’établissement « A ». Cette légitimité lui permet également l’articulation de la logique éducative avec les autres logiques, puisque à travers la création d’un service éducatif qui constitue la structure matérielle permettant le lien de cette logique avec les autres, le chef de service évite trop de zones d’incertitude et articule les logiques entre elles. Le service éducatif concrétise la légitimité du chef de service éducatif. La logique éducative est reconnue parmi les autres logiques. L’établissement devient opérationnel grâce à ce fonctionnement démocratique. Notre hypothèse de départ est alors confirmée et l’analyse du matériau recueilli nous permet de le confirmer encore une fois par une contre hypothèse : « Dans l’établissement où les logiques ne s’articulent pas, le chef de service n’est pas légitimé. ». Mais cette analyse nous permet également d’aller plus loin. 133 Le chef de service éducatif de l’établissement « B » n’est pas reconnu, il tente par son autorité d’empêcher les conflits de pouvoir, en limitant les zones d’incertitude qui sont la cause de beaucoup d’incohérences. Dans notre première partie, nous avons vu que l’autorité avait des liens étroits avec le pouvoir et la légitimité. Dans les discours, nous relevons qu’elle est utile à la fonction de cadre qui l’utilise pour organiser, diriger, rassurer, voire sanctionner quand cela est nécessaire. Ce recueil de données confirme sa forme stratégique de management pour un supérieur hiérarchique. Dans ce type de management, composé du couple pouvoir et autorité, il existe un risque de ne gouverner qu’avec la contrainte. Ce duo empêche alors les échanges constructifs avec des idées qui descendent du chef. Ainsi le chef de service éducatif de « B » se trouve dans une position paradoxale entre la nécessité de contrôler les zones d’incertitude et l’intérêt qu’elle porte à un travail en concertation. Cette incapacité à faire circuler les logiques trouve une explication dans la séparation des compétences au niveau hiérarchique. Cette absence de liaison entre les logiques accentue l’isolement. La conséquence de cette forme est qu’elle demande une organisation très formelle, sans ossature élaborée. Nous sommes dans un système en boucle, où les dysfonctionnements entraînent des conflits de pouvoir, donc des positions autoritaires, donc une impossibilité d’articuler les logiques. Cette séparation par territoire, qui conduit au couple pouvoir autorité, peut aller jusqu’à prendre des formes totalitaires de pouvoirs archaïques. Concernant notre troisième partie, nous avons osé quelques préconisations qui permettraient le passage de conflits de pouvoir à la reconnaissance des légitimités qui permet l’articulation des logiques entre elles. Ces propositions concrètes recommandent l’instauration dans le projet d’établissement d’un service éducatif, outil rationnel du chef de service qui, à travers cette concrétisation fonctionnelle, dispose d’une reconnaissance lui permettant d’articuler les logiques. Cette organisation requiert un chef de service disposant de compétences pour le mener. C’est notre deuxième recommandation : une formation qui s’inscrit, à l’occasion de la refonte de la convention collective, comme une règle, et qui accompagne l’instauration du nouveau diplôme CAFERUIS97. Ces dispositions concourent à une élévation du titre de chef de service vers la notion d’expert. Enfin, une nécessité d’évaluation doit accompagner ces 97 Même si évidemment la légitimité de l’expert ne vient pas uniquement du diplôme. 134 solutions, car la légitimité comme la démocratie s’entretiennent, d’une part, et, d’autre part, les MECS doivent poursuivre leur permanente remise en question. Celle-ci est d’autant plus d’actualité qu’actuellement, leur coût et leur gestion humaine, avec tous les travers inhérents aux collectivités, sont très décriés. Pourtant, leur utilité est reconnue comme un des rares moyens spécialisés d’aménagement de la séparation, suffisamment sécurisant pour aider l’enfant à grandir, à se construire et pour répondre à la question fondamentale du besoin de protection. Mais nous ouvrons là un autre débat qui mériterait une nouvelle recherche… Expériences Formation Diplôme RECONNAISSANCE CONTRAINTE Chef de service AUTORITE/ LEGITIMITE Poste à pouvoir communication Confiance manager AUTORITE/ POUVOIR Légalité, Règles, principes Service éducatif Logiques collectives Fonctionnel ACCEPTATION Rend opérationnel Démocratie Articulation des logiques Conflits Dysfonctionnement Territoires de compétences Devoir, Savoir, Pouvoir, Vouloir, Faire : Compétences Formel Logiques isolées Apparence Pouvoir archaïque 135 Références Bibliographiques ARENDT hannah. 1972. La crise de la culture : Huit exercices de pensée politique, Paris, Gallimard, 380p. AMBLARD Henri, BERNOUX Philippe, et autres. 1996 Les nouvelles approches sociologiques des organisations, Paris, Seuil, 245 p. 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NOM DU CANDIDAT PRENOM DATE DU JURY Madame DORBEC Dominique DIRECTEUR DE RECHERCHE PRENOM Monsieur BERNOUX Philippe SEPTEMBRE 2006 DIPLOME : Mémoire en vue de l’obtention du Diplôme de Hautes Etudes en Pratiques Sociales DHEPS TITRE : VERS UNE LEGITIMITE… DU CHEF DE SERVICE EDUCATIF SOUS-TITRE : Une logique éducative parmi d’autres logiques RESUME : Le statut de chef de service éducatif est complexe, du fait de son positionnement de cadre intermédiaire. Dans l’histoire des MECS, l’existence des chefs de service éducatif est récente. Elle est soumise aux seules exigences d’un diplôme d’éducateur spécialisé avec un peu d’expérience. Pourtant, leur fonction semble attendue au niveau de l’organisation et du fonctionnement de ces établissements. Dans sa situation professionnelle, l’auteur est freiné, en tant que chef de service éducatif, dans son rôle éducatif. Les conflits de pouvoir entre logiques éducatives et thérapeutiques, ne sont pas solubles sans reconnaissance de sa légitimité. A travers les discours des personnes interrogées dans deux établissements, il cherche à étudier la construction de la légitimité des chefs de service éducatif et l’articulation de sa logique éducative avec les autres logiques en présence. Cette étude confirme les liens étroits existants entre légitimité, autorité et pouvoir. Le pouvoir conféré au poste de chef de service éducatif ne rend pas son autorité légitime pour autant. Cet écart conceptuel entre autorité, pouvoir et légitimité a une incidence sur le fonctionnement éducatif des établissements. Un chef de service légitimé peut articuler sa logique éducative avec les autres logiques. Il a la capacité de faire accepter ses décisions à travers un service éducatif et sa logique éducative fonctionnelle. L’établissement est opérationnel grâce à un fonctionnement démocratique. Un chef de service non légitimé impose sa logique éducative. Ce management autoritaire conduit à renforcer l’isolement des différentes logiques qui ont pour conséquence des dysfonctionnements obligeant au formalisme. Le risque est alors de rendre impossible les compromis entre les différentes rationalités et de fonctionner avec des modes de pouvoirs archaïques. La reconnaissance des légitimités des chefs de service éducatif permet de franchir l’étape des conflits de pouvoir stériles pour l’amélioration des pratiques institutionnelles. Elle doit passer par la concrétisation d’un service éducatif au sein des projets d’établissement, l’obligation d’un diplôme d’expert pour accéder au poste, et la nécessité d’une évaluation tant individuelle que collective des services rendus. MOTS-CLES : Autorité/légitimité, autorité/pouvoir, chef de service, logiques collectives, articulation. Nombre de pages : 139 Volume des annexes : 34 pages Centre de formation : COLLEGE COOPERATIF RHONE-ALPES (CCRA) ANNEXES Annexe 1 Historique de la maison d’enfants Annexe 2 Organigramme Annexe 3 Fiche de poste Annexe 4 Retranscription d’un entretien Annexe 5 Guide pour le recueil de discours sur la pratique professionnelle et le fonctionnement de l’établissement Présentation de départ : « Dans le cadre de mes études, je suis chargée de faire une enquête sur l’articulation des logiques éducatives parmi d’autres logiques. Je vous demanderais dans un premier temps de me raconter votre parcours professionnel, votre formation initiale et l’accès à votre poste, pour ensuite me parler de votre travail actuel et du fonctionnement de cet établissement. » Trame pour relances éventuelles avec les points à identifier : /Poste : Formation initiale, complémentaire et continue Ancienneté Parcours professionnel Type de management Fonction -Projet Accès au poste /Organigramme : Liens hiérarchiques Support Liens fonctionnels Concrètement ça se passe comment ? Facilités, difficultés ; Relations de pouvoir Règles implicites Zones d’incertitudes Reconnaissance de la fonction du chef de service : Légitimité /Projet institutionnel : Mission mise en œuvre Logiques d’action Valeurs institutionnelles Réunions Outils promotionnels Annexe 6 Tableau des caractéristiques des personnes interrogées Tableau des caractéristiques Individu Etab.t Sexe Statut 1 A F Directrice 2 B M 3 B M 4 B 5 Formation origine Ancienneté établissement Assistante-sociale Ancienneté professionnelle Diplôme 1971 Educateur Groupe S Educateur Groupe E Histoire Educateur-spécialisé Economie Educateur spécialisé Licence pas validée Diplôme 2004 1 an de fac (ennui) Diplôme 2001 2004- 1 an F Educatrice Groupe Z Socio ethno Educatrice-spécialisée DEUG – 1 UV Diplôme 1989 1991-15 ans A F Medecinpsychiatre Docteur en médecine Medecin psychiatre spécialisée pour les enfants 6 A M Educateur Groupe B Educateur spécialisé 7 F Chef de service Educatrice-spécialisée 8 A Création du poste en 2001 A M Psychologue Psychologue clinicien Bac + 5 9 A M Educateur Groupe C BTS Electronique Educateur spécialisé 1996 Diplôme 2001 2001- 4 ans 10 B M Directeur Moniteur-Educateur Diplôme 1980 1985 Monit educ-8 ans 1993 chef de serv- 8 ans 2001directeur- 4 ans 11 F Chef de service Educatrice-spécialisée Diplôme 1976 2001-4 ans 12 B Création du poste en 1993 B M Psychologue Economie Psychologue clinicien Maîtrise pas passée DESS 1990- 15 ans (vient de démissioner) Orientation psychanalytique (10 ans d’analyse) Psychothérapie de groupe, familial 13 A F Educatrice Groupe V Monitrice éducatrice Diplôme 1974 1992 groupe C ¾ tps 2002 groupe V tps plein VAE éducatrice spécialisée en cours Sept 1999-6 ans 2003- 2 ans (CDD jusqu’en juin 2007) Autres formations Management : gestion du conflit, conduite de réunion, droit du travail. Thérapie familiale systémie Analyse transactionnelle Ecole internationale de coaching BAFA Centre de loisirs Avec ados Vendeur de fruits et légumes pour s’aérer la tête après sa form°. 8 mois Tour du monde Animatrice BAFA Entre 1990 et 1995 plus de 10 ans, ne peut pas me dire l’année précisément Concours de psychiatre des hôpitaux Formation théorique à la psychanalyse mais n’exerce pas comme psychanalyste Diplôme 1999 1998-7ans Inscrit en CAFERUIS commence en janvier 2006 Diplôme 1984 1995- 10 ans Informatique Massage Prestations aux tutelles Orientation psychanalytique Psychothérapie de groupe Formateur enseignant 1990- 15 ans 2004 DESS management des structures sociales Format° chef de serv Certificat 1993 Educateur-spécialisé Diplôme 2001 Expériences autres Directrice depuis 1987 Stage secteur : toxico et errance IMP pour IMC Long dans cet étab. A travailler 2 ans sans diplôme dans une MECS Prévoit CAFERUIS Internat en psychiatrie adulte Praticien hospitalier Médecin chef de service depuis 3 ans Activités salariés : IMPRO, foyer adultes handicapés, MECS successivement Objecteur de conscience : directeur de centre de loisir Coordinateur été 2005 Poste de coordination dans l’étab Remplacement chef de service dans l’association Psychothérapeute en CAMS Chargé de cours Superviseur en MECS, AEMO, tutelle, médecin du monde, service téléphonique Poste en tant qu’élève éducateur : IME, foyer occupationnel Stage en prévention Plusieurs emplois dans le milieu social jamais dans l’ handicap IME 3 ans IR 20 ans Accueil familial 18 mois Stage de moniteur d’été en MECS Travail en psychiatrie, gériatrie, hôpital de jour pour autistes IMP 1 an MECS 7 ans Break pour élever ses enfants 10 ans Annexe 7 Grille d’analyse thématique I. Biographie de chef de service éducatif 11- Recrutement interne externe 12- positionnement du chef de service/ enfants et/ou ex-collègues 13- Pour accéder au poste : Formation Assurance 14- Expériences II. Fonctions du poste 21- Histoire institutionnelle 22- Histoire du poste 221Création 222 Dénomination 23- Rôle 231Répartition des tâches 232Fonctions attendues III. Cohérence 31- Conflit de pouvoir 32- Difficultés 321 Résistance 322 Logiques isolées 33- Facilités 331 Confiance/ Délégation 332 Communication IV. Les concepts liés à la fonction 41. Pouvoir 411- Zone d’incertitude 412- Organigramme 42. Autorité 43. Légitimité Annexe 8 Organigramme fonctionnel de l’établissement « A » Annexe 9 Annexe 2 du projet d’établissement « A »