Ploum-ploum tralala - Le Nouvel Observateur

Transcription

Ploum-ploum tralala - Le Nouvel Observateur
ESSAI
en bivalves, ramassés sur la côte atlantique ou
trouvés dans le golfe du Mexique; en mica,
descendu des Appalaches ; en cuivre et en
plomb, transportés des Grands Lacs et de la
haute vallée du Mississippi. Le premier Blanc
qui ait jamais commercé avec les Indiens sur
l'actuel territoire des Etats-Unis. Il marche,
marche et, selon les saisons, les tribus, mange
d'abondance (farine, maïs, haricots...) ou mal
(une poignée de graisse de cerf et des araignées), dans le froid ou la chaleur excessifs,
fantastique va-et-vient de la côte du Texas
oriental à son arrière-pays et, parlant de son
corps par le soleil brûlé, Cabeza 'de Vaca a
cette phrase saisissante : « Deux fois par an
-
nous changions de peau, comme les serpents. »
On ne s'étonne plus que la soldatesque de
Mendoza, le gouverneur de la Nouvelle-Galice,
n'ait pas reconnu, sous cette créature cuite
par'le soleil, le Blanc.
La bande des quatre
Revenons à cette définition de l'ordalie
4: épreuve de Dieu », selon le « Robert ».
• Un jour de l'hiver 1533-1534, Cabeza de
Vaca tombe sur les trois autres, les deux Espagnols et le Maure. Voilà cinq ans qu'il fait le
marchand. Il ne le sera bientôt plus. Un Indien
se meurt et sa parentèle a l'idée d'exiger des
étrangers qu'ils le guérissent. Le presque mort
ressuscite où, sur le presque cadavre, le quatuor y est allé de la seule médication qu'il
possède : la prière. L'invocation à Dieu. Foudroyante, la nouvelle se répand, vole de tribu
en tribu, sème l'enthousiasme, stiscite la ferveur, lève l'admiration pour ces esclaves d'hier,
aujourd'hui des dieux, qui renouvellent le miracle de sorte qu'ils ne se déplacent plus
qu'entourés, protégés par les Indiens, chaque
tribu les escortant jusqu'aux limites de son
territoire, la bande des quatre aussitôt prise en
charge par les Indiens des nouveaux territoires
qtii comblent les chamans blancs de cadeaux,
et eux de les donner, aussitôt; aux Indiens qui,
pour s'en retourner chez eux, les quittent. En
larmes.
YVES BERGER
MARCEL DE l'AUTRE COTE DU MIROIR
LES HAUTES ET FINES ENCLAVES DU PASSE
par Marcel Proust .
Le Temps singulier, 98 pages
Heureuse initiative que celle de ce petit éditeur
de Nantes (installé dans le sublime passage_de
la Pommeraye) de rééditer ce texte de Proust,
soi-disant préface à un ouvrage de l'esthéticien
anglais John Ruskin, amateur de nos cathédrales.
Soi-disant parce que Ruskin devient vite prétexte à des vagabondages littéraires, eux-mêmes,
prétextes à des investigations rêveuses du côté
de Marcel.
Roland Barthes,' dans « le Plaisir du texte »,
avait bien décrit cette « drague » nonchalante
du lecteur qui glisse de là page ou même de
la phrase pour s'évanouir çlans une griserie affabulatoire. En fait, ce lecteur, paradoxalement
attentif et distrait à la fois, franchit le texte
comme Alice les miroirs, invente sa mémoire,
tronque et truque la vie, fausse les apparences,
brouille les pistes mais, créateur vigilant — il
s'agit, bien sûr, de ces lecteurs actifs qui se
substituent à l'auteur au cours de leur lecture —,
reconstruit une vérité à partir de ses mensonges
exquis. Proust, bien sûr, est le roi de ces lecteurs. S'extasiant sur une phrase du « Capitaine.
Fracasse » de Théophile Gautier, il la cite mais,
aussitôt, précise dans une note que cette phrase
n'existe pas dans «.` le Capitaine Fracasse » ni
ailleurs, et qu'il vient de l'inventer... De même,
il décrit, au cours d'un yoyage en Hollande, le
charme secret d'un couvent à Utrecht qu'il serait
— souligne-t-il inutile de chercher puisque
ce morceau est de pure imagination ».
Or , ce texte est une préface — non pas intitulée « les Hautes et Fines Enclaves du passé »
mais, plus prosaïquement, « Sur la lecture »
donc un travail concret, précis. Au reste dédié
à la princesse de Caraman-Chimay, s'il vous
plaît. Si l'imaginaire envahit ce texte 'à la manière
'd'un brouillard, c'est que (on est en 1905) le
formidable romancier dévore l'esthète mondain.
Toutes les prémices de « A la recherche du
temps perdu » sont, évidemment, ces hautes et
Fines enclaves du passé. Comme d'ailleurs on
les retrouve dans « 'Jean Santeuil » ou « les
Plaisirs et les Jours ». Le fond et la forme se
cherchent. Les défauts, pris en charge par le
génie, deviennent des qualités.
Et puis, il y a les fulgurances qui zèbrent clejà
cette prose lente : les vers de Racine charment
« par quelque audace familière de langage jetée
comme un pont hardi entre deux rives de douceur » ou encore : « La lecture est une amitié. [...] Nous ne sommes tous, nous les vivants,
que des morts qui ne sont pas encore entrés
en fonction..
And so on; comme dirait Mr. Ruskin. Bref,
on est à pied de chef-d'œuvre.
JEAN-FRANÇOIS JOSSELIN
-
LA RADIO PAR MICHEL LE BRIS
l'huitre ! Vive fa moule Vive la République ! » ,
« Le Cadran solaire », ce livre étincelant,
abonde d'anecdotes semblables. Celle-ci suffit à
faire comprendre quel regard Philippe Lamour
porte sur sa vie toute de courage et d'humour,
tracée aussi droitement que le canal du Rhône
à Sète à travers les péripéties du siècle. Cet
homme issu de la robuste paySannerie du Nord
a plus fait pour le midi de la Frahce que vingt
ministres et tous les présicents du monde, à
la tête de 'la Compagnie du Bas-Rhône, sa
grande oeuvre entre tant d'autres. Son récit n'est
pas seulement celui du mariage d'amour entre
le Languedoc et lui, c'est un fourmillement d'épisodes et de rencontres, de l'affaire Stavisky
(vécue en avocat) à la visite de Khrouchtchev à
Nimes. Liées ensemble, elles forment la -trame
du destin exceptionnel d'un monsieur qui n'a
jamais triché.
Sauf quand il prétend être aujourd'hui septuagénaire. L'historien s'insurge. Demandez l'avis
des jeunes qui s'essoufflent derrière lui dans les
sentiers de la haute montagne où il est maire
du village de Ceillac I Homme de nature, homme
d'esprit, il nous livre sans y penser un secret
de jouvence qui se nomme le caractère. En le
lisant, on comprend aisément pourquoi ii ne fut
jamais le ministre dont la rrahce aurait pourtant
eu bien besoin, mais aussi pourquoi il nous
enterrera tous. Refuser de ramper, ça tient
debout pour longtemps.
CLAUDE MANCERON
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Ploum-ploum
tralala
19304950: vingt
ans de « nonsense musical
auz Etats-Unis
THANK YOU, MUSIC LOVERS : SP1KE JONES
par Daniel Çaux, avec la participation de Gotlib
France-Culture, Atelier de Création radiophonique,
dimanche 3 février, à 20 h 40
111 S'avançant à grands pas vers le podium,
avec l'aisance chaloupée d'un James Cagney,
l'oeil diabolique sous des sourcils broussailleux, le célèbre maestro Lindley Armstrong
Jones adressa un signe de tête nonchalant au
pupitre des cordes et marqua son approbation
d'un sourire lorsque le pistolet doré d'un des
percussionnistes cracha un mi bémol parfait,
apporta une rapide correction à la partie du
sifflet à deux ronds, réclama l'attention des
musiciens en frappant légèrement sur son pupitre et, sa baguette d'une main, un Smith et
Weàson de l'autre, donna le départ tant
attendu. Bizet, là où il se trouvait, dut en
frémir d'horreur, tandis que Tchaikovski, Rossini, Liszt et Offenbach, réveillés en sursaut
de leur sommeil éternel, protestaient vigoureusement. Mais il en fallait bien plus pour détourner Spike Jones et ses City Slickers de leur
tâche...
Vertigineux collectionneur de tous les bruits
bizarres émis sur cette planète, à qui nous
devons quelques récentes émissions, passionnantes, sur Terry Riley, Michael Snow, les
nouvelles musiques anglaises et californiennes,
et que connaissent bien les lecteurs de e Char
lie » ou ceux du « Jazz Hot » des temps
héroïques, lorsqu'il fallait presque faire le
coup de poing contre la « critique » officielle
pour défendre le free jazz naissant, Daniel
Caux, avec la complicité de Gotlib plus hamster jovial que jamais et fan inconditionnel des
Slickers, s'est ici surpassé ! Imaginez l'orchestre
Le Nouvel Observateur 73

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