En matière de fauchage d`OGM, n`est pas partie qui veut RPDP 2007-1
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En matière de fauchage d`OGM, n`est pas partie qui veut RPDP 2007-1
Version pré-print – pour citer ce commentaire : E. Vergès, « L’action publique et la comparution volontaire des prévenus (en matière de fauchage d’OGM, n’est pas partie qui veut) », note sous cass. crim. 7 fév. 2007, Revue pénitentiaire et de droit pénal 2007-1, p. 171 L’action publique et la comparution volontaire des prévenus (en matière de fauchage d’OGM, n’est pas partie qui veut) Cass. crim. 7 février 2007, pourvoi n° 06-80108 Arrêt après arrêt, les faucheurs d’OGM sont condamnés pour la commission d’infractions prétendument attribuées à des actes de désobéissance civile. Si l’on excepte une décision rendue par une juridiction du fond sensible à la cause écologiste, la Cour de cassation rappelle inlassablement que la mise en œuvre du principe de précaution est incompatible avec les conditions d’application de l’état de nécessité. Au-delà des questions de droit pénal général, le particularisme de ces infractions commises en groupe soulève parfois des problèmes de procédure pénale. En effet pris au cœur de contradictions multiples, les faucheurs d’OGM s’estiment innocents pour les infractions qui leur sont reprochées, mais prétendent tout de même devoir être poursuivis. Cette position étrange a été défendue vainement devant la Cour de cassation. Ainsi, l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 7 février 2007, comportait un intéressant problème procédural. En l’espèce, quatre cents militants anti-OGM avaient participé à la destruction d’un champ comportant une partie de semences transgéniques à des fins expérimentales 1. Neuf d’entre eux furent poursuivis devant le tribunal correctionnel de Toulouse pour délit de destruction ou dégradation volontaire du bien d’autrui commis en réunion. Si la commission de l’infraction poursuivait un but idéologique, l’action publique mise en mouvement par le parquet visait, quant à elle, un objectif symbolique. Le procureur de la République avait pris soin de poursuivre les principaux représentants de la cause anti-OGM, dont un élu local et un représentant syndical de grande notoriété. Par solidarité envers les prévenus, deux cent trente faucheurs se présentèrent le jour de l’audience devant le tribunal correctionnel et demandèrent à être jugés pour les actes qu’ils revendiquaient avoir commis. Le tribunal donna acte de la comparution volontaire des prévenus pour accueillir leur action en défense. Ce jugement fut annulé par la Cour d’appel qui évoqua au fond et se contenta de juger les neuf prévenus cités à comparaître par le ministère public. Les deux cent trente faucheurs délaissés formèrent alors un pourvoi en cassation. L’argument du pourvoi était finement formulé puisqu’il se fondait notamment sur l’article 388 du Code de procédure pénale qui prévoit que le tribunal correctionnel est saisi « par la comparution volontaire des parties » 2. En refusant de juger des personnes ayant comparu volontairement, la Cour d’appel aurait « ajouté une condition qui n’est pas prévue par la loi et ainsi (…) violé les textes visés ci-dessus ». Une interprétation littérale de l’article 388 du code de procédure pénale devait effectivement conduire à recevoir l’action des faucheurs dans la mesure où cette disposition semble faire produire le même effet à une citation, une convocation par procès verbal ou une comparution volontaire. Ce moyen n’avait rien d’absurde. La présentation volontaire des parties figure parmi les actes qui permettent la saisine de certaines juridictions en matière civile. Devant le tribunal d’instance, les parties signent simplement le procès verbal constatant leur présentation pour saisir le juge. Devant la juridiction prud’homale, la simple présence des parties suffit à saisir la juridiction 3. Il était donc possible d’imaginer que la simple présence du ministère public et des prévenus volontaires devant le tribunal correctionnel suffirait à saisir la juridiction répressive de l’action publique. La Cour de cassation ne fut pas de cet avis. Elle rejeta le pourvoi en s’appropriant le raisonnement opéré par la Cour d’appel. Les juges du second degré avaient fondé leur décision d’irrecevabilité sur un syllogisme très cohérent. La Cour d’appel avait d’abord affirmé que « la comparution volontaire du prévenu exige comme préalable la mise en mouvement de l’action publique dans les conditions prescrites à l’article 1er du code de procédure pénale ». La disposition citée prévoit effectivement que l’action publique est mise en mouvement « par les magistrats (…) auxquels elle est confiée par la loi » ou encore « par la partie lésée ». La juridiction du fond avait ensuite constaté que les « personnes qui ont demandé à comparaître volontairement devant le tribunal correctionnel de Toulouse n’ont pas reçu d’avertissement délivré par le ministère public, indiquant le délit poursuivi et visant le texte de loi qui le réprime ». Elle avait enfin pu en conclure que « sans l’accord du parquet et alors qu’il n’est pas saisi par la partie lésée, le juge ne peut s’emparer des faits, alors même que l’auteur auto-désigné de l’infraction demanderait à être jugé » 4. En d’autres termes, la saisine de la juridiction de jugement nécessitait que le parquet ait manifesté sa volonté 1 Ce sont les essais dits « plein champ » dont la fonction est d’évaluer les risques de dissémination liés à la culture de plantes transgéniques. 2 Parmi d’autres modes de saisine : citation, convocation par procès verbal, comparution immédiate, renvoi par la juridiction d’instruction. 3 Cf. L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Litec, 2006, n°556, p. 361. 4 En l’espèce, la victime n’avait pas désigné dans sa constitution de partie civile le nom des deux cent trente faucheurs comparaissant volontairement. de poursuivre les comparants volontaires, par un avertissement indiquant le délit poursuivi et le texte d’incrimination. Devant cette argumentation élaborée des juges du second degré, la Cour de cassation s’est contentée de décider que la cour d’appel avait justifié sa décision. La solution doit être approuvée, au moins pour trois raisons. La première tient à l’esprit de l’article 388 du Code de procédure pénale visé et mal interprété par le pourvoi. En prévoyant la comparution volontaire comme mode de saisine du tribunal correctionnel, le code cherche à simplifier le formalisme procédural dans certaines circonstances. Par exemple, lorsque le juge requalifie les faits et modifie le fondement des poursuites, le prévenu doit accepter cette requalification au cours de l’audience. La juridiction est alors saisie de la nouvelle qualification par la simple comparution volontaire du prévenu 5. Ce mode de saisine simplifié montre ici tout son intérêt. En revanche, interpréter l’article 388 du Code de procédure pénale comme autorisant le tribunal à juger un prévenu sur la simple demande de ce dernier conduirait à détourner la finalité du texte. La deuxième raison tient à la définition de la saisine du juge. Si le juge d’instruction est simplement saisi in rem et peut mettre en examen toute personne de son choix, tel n’est pas le cas de la juridiction de jugement, laquelle est saisie in rem et in personnam 6. Dès lors, l’acte de poursuite devant la juridiction de jugement ne peut saisir le juge qu’à l’égard des personnes qui sont visées dans cet acte. Cette règle est rappelée par la Cour de Toulouse lorsqu’elle affirme que « le juge ne peut s’emparer des faits, alors même que l’auteur auto-désigné de l’infraction demanderait à être jugé ». La troisième raison tient à une règle non écrite selon laquelle la juridiction ne peut être saisie d’un litige que lorsqu’une action en demande a été exercée contre un défendeur identifié. Il suffit, pour s’en convaincre, de raisonner en sens inverse, en s’attachant à l’autorité du jugement. Cette autorité concerne un objet (défini par une ou plusieurs prétentions) une cause et des parties. Sans la réunion de ces trois éléments, il n’y a point de jugement, point de procès, et le juge n’a pas pu être valablement saisi. L’action en demande comporte donc deux éléments objectifs (l’objet, la cause) et un élément subjectif (le défendeur contre qui elle est dirigée). Le pourvoi semble s’être concentré sur l’élément objectif de l’action exercée par le ministère public : l’infraction de destruction ou dégradation volontaire du bien d’autrui. La Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, rappelle aux prévenus volontaires la dimension subjective de l’action publique : l’acte de poursuite ne peut saisir le juge qu’à l’égard des personnes visées dans cet acte. Les faucheurs comparants volontaires auraient pu s’attendre à une telle solution. La Cour de cassation avait déjà jugé en 1997 que « la comparution volontaire suppose au préalable la mise en mouvement de l’action publique dans les conditions prescrites à l’article 1er du Code de procédure pénale » 7. Devant une juridiction de jugement, n’est donc pas partie qui veut. 5 A. et CH. Guéry, De la difficulté pour le juge pénal d’appeler un chat un chat (requalification « stricte » ou « élargie » : devoirs et pouvoirs du tribunal correctionnel), Dr. Pén. 2005, n°4, étude n°6. 6 Cf not. J. Pradel, Procédure pénale, Cujas, 2006, n°837, p. 765. 7 Cass. crim. 19 mars 1997, bull, n°110, RSC 1997, p. 665, Dr. Pén ; 1997, com. 116.