Oui pour le footing, non pour le jogging. (Libres opinions)

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Oui pour le footing, non pour le jogging. (Libres opinions)
LIBRES OPINIONS
Oui pour le footing, non pour le jogging
par le docteur Jacques Turblin *
Reconnaissons-le, la « Nature » a bien fait
les choses et les êtres... L’homme, sur le plan
morphologique et biodynamique, est fait pour
marcher, même trés vite à 8-10 km/h, pour
courir au-delà de cette vitesse, et non pour
« jogger ». Une récente étude scientifique
américaine vient de souligner ceci en prouvant
que l’énergie dépensée au cours d’un jogging
à 8 km/h était supérieure a celle dépensée au
cours d’une marche à la même vitesse
(schéma N° 1). II va sans dire que c’est la
méthode de déplacement la plus économique,
qui est la plus efficace donc la plus naturelle.
Et en définitive, une heure de marche sera plus
rentable, car moins traumatisante pour l’obèse
qui cherche à maigrir, qu’une demi-heure de
jogging.
Schéma N° 2
La croix représente la longueur de la foulée pour
une vitesse donnée (16 km/h) qui est la plus
économique. D’après Högberg (1952).
Le Pr. Lacour qui a particulièrement étudié
la course à pied sur le plan physiologique,
dans son ouvrage « Les courses » (Edit.
Vigot), cite Högberg qui, en 1952, avait montré
que la foulée d’un coureur devrait avoir une
certaine longueur pour être la plus économique possible (schéma N° 2). II cite également
Ek Blom qui, en 1982, a confirmé sur un groupe
de sédentaires, que l’augmentation de la
vitesse de course après une certaine période
d’entraînement était assurée essentiellement
par un allongement de la foulée.
Le footing est donc nettement plus rentable
sur le plan énergétique et surtout moins
traumatisant que ne l’est le jogging.
Schéma N° 1
A 8 km/h l’énergie dépensée par un jogger est
bien supérieure à celle d’un marcheur. Preuve
que le jogging n’est pas un moyen de déplacement naturel.
* Auteur de plusieurs ouvrages dont : « Sport, médecine et
santé » et « Docteur, je cours... ».
Article paru dans la revue le I’AEFA, N°86, janver-févriermars 1984.
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L’étude de la biodynamique de la course à
pied est passionnante et les travaux de
Kapandji dans ce domaine permettent de
mieux comprendre I’aérodynamisme du coureur à pied qui s’applique à « bien courir ». Sur
le plan biodynamique, il y a une grande
différence entre les mouvements de la marche
et ceux de la course. Regardons un homme
marcher : ses membres inférieurs, pieds compris, gardent à peu prés un même alignement
par rapport au bassin. Ce dernier, ainsi que les
LIBRES OPINIONS
épaules et le tronc, ne pivote que très
légèrement. Regardons le même homme courir : son allure est tout à fait différente : ses
bras se sont fléchis, et si sa tête reste
relativement fixe, ses épaules, son tronc, son
Schéma N° 3
Position des pieds en fonction du mode de
déplacement.
bassin, subissent une véritable translation à
chaque foulée, translation inverse à l’avancée
du membre inférieur opposé. Les membres
inférieurs, par une rotation en dedans du fémur
et une légère rotation du tibia en dehors,
tendent à se déplacer sur une même ligne
droite, favorable bien sûr sur le plan aérodynamique, à l’augmentation de vitesse (schéma
N° 3). Les pieds eux-mêmes, par un certain
degré d’inversion (mouvement qui amène la
voûte plantaire à s’incliner en dedans) lors de
la course, ont tendance à ne reposer sur le sol,
que par leur bord externe, ce qui diminue les
forces de fixation avec le sol, favorisant
encore I’aérodynamisme de la foulée. La
biodynamique explique bien ce phénomène :
L’implantation du tendon d’Achille sur le
calcanéum est légèrement latéralisée en
dedans, et, comme le muscle jumeau interne
est plus fort que son homologue externe, sa
contracion lors de la course rapide engendre
par l’intermédiaire du tendon d’Achille une
traction plus importante du calcanéum en
dedans – d’ou la bascule du pied en dehors
(schéma N° 4) ».
Ainsi, la plante du pied ne s’écrase-t-elle
plus contre le sol comme c’est le cas dans la
course à petite allure. Et ce phénomène
biodynamique explique également l’usure prématurée des semelles des chaussures sur leur
bord postéro-externe – et l’intérêt de les
renforcer à ce niveau (schéma N° 5).
Cette dernière étude nous permet également de comprendre qu’un des premiers
défauts à corriger chez un coureur débutant
est le « martèlement » du sol avec ses pieds.
II pourra corriger ce défaut en allongeant sa
foulée et en assouplissant bien sûr ses pieds
et ses chevilles. L’allongement de la foulée
reste sous la dépendance d’une plus grande
élévation du genou de la jambe avant et d’une
plus forte poussée au sol de la jambe arrière
Schéma N° 4
Inversion du pied pendant la course engendrée
par l’insertion latéralisée en dedans du tendon
d’Achille et /a force prépondérante du jumeau
interne.
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LIBRES OPINIONS
Son tendon peut être l’objet de tendinite chez
le coureur à pied, tendinite souvent confondue
d’ailleurs avec celle des adducteurs. Le
psoas-iliaque contribue à l’élévation de la
cuisse et à sa rotation interne, favorisant
I’aérodynamisme de la foulée lors de la course.
D’ou la nécessité pour le coureur à pied de
muscler ses psoas-iliaques (par élévation
alternative des genoux en direction de l’épaule
opposée et, en position couchée, en appui sur
les coudes écartement-rapprochement des
membres inférieurs tendus, par exemple.
Schéma N° 5
II existe un physiologique talon-jambe (varus de
10” environ).
Des semelles usées inversent cet angle modifiant ainsi la dynamique jambe-pied source de
blessures.
– d’ou l’intérêt chez le coureur débutant de la
pratique d ' u n e musculation
dynamique
(course avec élévation forcée des genoux,
suivie par une course « talons aux fesses »).
L’étude de la biodynamique de la course à
pied permet également d’insister sur le rôle
d’un muscle auquel on ne pense pas, c’est le
psoas-iliaque. Ce muscle s’insère le long de la
colonne vertébrale dorso-lombaire, traverse le
bassin pour venir se fixer par un tendon sur le
petit trochanter (partie supérieure du fémur).
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De même, si l’atteinte des muscles adducteurs est classique chez le footballeur, le
coureur à pied peut souffrir de ces muscles.
Les adducteurs engendrent en premier une
adduction de la cuisse – d’où leur nom –
mouvement qui amène la cuisse en dedans. Ils
interviennent donc en priorité. en course
latérale, lors des tacles ou des shoots de
l’intérieur du pied. Mais les adducteurs sont
également des élévateurs de la cuisse. Elévation-adduction de la cuisse, encore un élément
biodynamique favorable à I’aérodynamisme de
la foulée. Le coureur à pied aura donc intérêt à
muscler et à étirer ces muscles (schéma N° 6)
LIBRES OPINIONS
technique et par de nombreuses courses
également en montée et en descente. Mais
loin de moi l’idée de vouloir ici prôner une
méthode plus qu’une autre. Mon expérience,
aujourd’hui, en course à pied, m’autorise à
écrire qu’il ne peut y avoir une méthode
standard d’entraînement tant sur le plan
technique que sur le plan foncier.
Schéma N° 6
Musculation dynamique des adducteurs.
pour éviter leur contracture par fatigue en fin
de course de fond.
Bien sûr, a cote de ces éléments biodynamiques spécifiques à tout homme, on doit
également considérer certaines qualités héréditaires, voire défauts, sur le plan biodynamique. Je me rappelle, étant étudiant, avoir
mesuré et comparé sur des photographies, les
mesures anthropométriques de Michel Jazy.
J’en avais conclu, alors, que notre champion
avait, pour une taille relativement moyenne,
des membres inférieurs très longs par rapport
a son tronc, avec un segment « cuisse »
particulièrement développé. Ces caractères
expliquent en partie l’ampleur et la beauté de
sa légendaire foulée. De même aujourd’hui,
quand on voit courir un Sébastien Coe, on ne
peut avoir qu’un sentiment d’admiration pour
son allure majestueuse. II est certain que ces
champions, pour ne citer que ces deux
exemples, ont su, dans des temps différents,
tirer partie au maximum de leurs qualités
naturelles. Le premier, très bien conseillé par
René Frassinelli, a travaillé la biodynamique de
sa foulée par des courses en terrains variés,
la « Méthode Naturelle » en quelques sorte. Le
second a su exploiter au maximum la musculation dynamique par une gymnastique très
Les hommes sont tous différents les uns des
autres, leur psychologie, leur morphologie, leur
physiologie même sont dissemblables. Les
découvertes scientifiques, toujours perfectibles car incomplètes, ne peuvent donner que
des canevas grossiers de méthodes d’entraînement. Pour essayer de donner le meilleur de
nous-mêmes, à chacun de nous, à partir de
principes de bases, d’essayer de courir au
mieux en fonction de nos possibilités.
Dans cet état d’esprit, le premier conseil que
nous devons donner au coureur débutant, quel
que soit son âge, est de s’appliquer à bien
courir. Pour cela, il doit courir relativement vite
à 10-12 km/h en alternant course et marche,
et en augmentant progressivement périodes
de course. A chaque séance, ce débutant
devra également s’imposer 10’ d’assouplissement et 10’ de musculation dynamique.
Je suis étonné de constater aujourd’hui que
dans bon nombre de sports d’équipe, même
chez certains professionnels, le footing se
réduit à 20-30’ de jogging à 8 km/h. II n’est
pas question à cette allure de développer la
« VO2 Max. » et encore moins « la puissance
maximale aérobie », c’est-à-dire la possibilité
d’utiliser au maximum l’oxygène distribué aux
muscles. La moyenne de la valeur de ces tests
chez ces joueurs est relativement basse
malgré un entraînement quotidien. Il n’est pas
étonnant, alors, que nombre d’entre eux ne
« tiennent » pas la durée d’une partie, récupèrent mal après leurs efforts, et se blessent
fréquemment.
Ne retenons donc du « jogging » que le côté
positif, celui qui a fait prendre conscience à
bon nombre de nos concitoyens de la nécessité d’une activité physique, de la course à
pied en particulier, sport à la fois très simple
et très complet.
J. T.
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